Malgré
le silence de Mazarin, qui s'obstinait à rester devant Gravelines, la
situation intérieure ne s'améliorait pas. Foucquet, obligé par ses
engagements personnels d'assurer la rentrée des impôts, c'est-à-dire la paix
dans le royaume, trouvait de grands obstacles devant lui. Si quelques coups
de canon avaient eu raison du troupeau des sabotiers, il était plus difficile
de venir à bout des ennemis multiples, insaisissables, répandus dans toutes
les provinces. La noblesse, le clergé, les cours souveraines, le peuple, sans
se révolter directement, résistaient aux ordres du Roi, surtout aux ordres de
payement. N'ayant
pas la force en main, Foucquet usa d'adresse. Il fit
d'abord surseoir à la recherche des nouveaux anoblis, cause de tant de
colères. Pour bien comprendre la portée de cette recherche, il faut se
figurer une remise en discussion des titres des chevaliers de la Légion
d'honneur, nommés depuis dix ou vingt ans, avec cette circonstance aggravante
que les anoblis de 1658 avaient officiellement payé leurs titres, et que ces
titres exemptaient de certains impôts. Quant
aux gentilshommes de plus vieille souche et qui évoquaient trop le souvenir
des anciens temps, Foucquet les ménageait moins. Les uns et les autres
étaient d'ailleurs plus procéduriers que belliqueux. Une assemblée des
députés de huit provinces, tenue dans les profondeurs de la forêt de Conches,
aboutit à la signature d'un papier d'Union et à l'envoi d'une lettre à Son
Altesse M. le duc d'Orléans, pour réclamer la convocation des États généraux
promise au nom du Roi en 1649. Depuis beau temps cette promesse était
oubliée, et Foucquet ne s'embarrassait pas pour si peu : On ne viendra à bout de ces gens-là, écrivait-il à
Mazarin, que par la punition de quelques-uns. Dès qu'on paraît, ils fuient. De l'Orléanais, ils
passent en Berry. Le maréchal de Clérambault y va, plus d'assemblées. De même
en Anjou, en Saintonge, en Poitou, les révoltés disparaissent dès qu'ils
sentent quelques prévôts à leurs trousses. En Normandie, au contraire, non
seulement on tolère tout, mais tout est excusé[1]. Pour la noblesse, j'ose dire à Votre Éminence que, s'il ne s'en fait
exemple, il n'y a plus d'authorité, et j'estime la monarchie en péril. On traite ces assemblées de
bagatelles, la suite pourtant doit faire peur. Il est honteux qu'en Normandie, aulcun gouverneur ny lieutenant du Roy
ne s'en soit mis en peine. Voilà comme on répond aux bontés du ministre[2]. Foucquet appelle ici bonté ce
qu'il qualifiait au fond de faiblesse. A bout
de patience, il envoie au Cardinal un projet de déclaration contre les
assemblées de la noblesse. Il le conjure de ne pas perdre de temps. Qu'il
désigne ceux qu'il veut excepter, comme Tarente, Chandenier, Jarzé, mais que la déclaration soit après exécutée de bonne foy[3]. De bonne foi ! Ce mot en dit
long sur la politique tortueuse de Mazarin. Foucquet
n'était pas moins exaspéré contre les cours souveraines. Au
Parlement, on s'assemble (7 août 1658). On déclame contre le chancelier et contre le
conseil ; on dit tout haut qu'on traittera
d'autres matières,
qu'on politiquera. On fait venir des crieurs à l'entrée des Enquêtes. Enfin,
on est aussi échauffé qu'avant la bataille des Dunes[4]. Le procureur général déclare à
Mazarin que, de toute nécessité, il faut nommer un premier président avant
les vacations (7 septembre).
Ceux qui seront déçus dans leur espoir auront deux mois pour se rafraîchir le
sang ; le nouveau pourvu se fortifiera d'amis et prendra ses mesures pour la
rentrée. Dix
jours plus tard, le 19 août, il insiste : M. de Nesmond est impuissant à
empêcher les assemblées. La tranquillité du
Parlement, de laquelle dépend en partie celle de la ville, et, par
conséquent, des provinces, ne sera pas bien établie pour toute l'année
prochaine, si dès à présent on ne désigne un chef, qui prenne sa place... Cela nous est si nécessaire pour les finances, qu'il
seroit impossible de les soutenir sans cette tranquillité[5]. Le
procureur général se transformait en surintendant pour parler au cœur de
Mazarin. Les
délibérations de la Cour des aides sont aussi violentes et plus préjudiciables de beaucoup que celles du Parlement[6]. Le peuple s'en autorise pour
refuser le payement des impôts. A Rouen, un conseiller, le sieur de La Place,
criait en pleine séance que les ministres
estoient des valets du bourreau, que ce seroit un grand bien pour le peuple
si le Roy mouroit.
Il est venu au palais, deux pistolets à la ceinture, pour tuer les maltôtiers. Les maltôtiers étaient ses confrères des Aides,
qui avaient été de bon avis. Cependant, M. de Longueville,
le gouverneur de la province, défend ce personnage, le réclame, sans doute pour commencer une révolte en temps et lieu[7]. A Paris, l'union des cours
souveraines a été non seulement proposée, mais presque résolue. Il faut une
répression vigoureuse, un exemple qui face
peur. Je vois tous les Ordres esmus, et l'authorité fort
attaquée partout[8]. Le
clergé préoccupait moins Foucquet. Depuis
bientôt un an, les jansénistes ne songeaient qu'à faire condamner un livre du
Jésuite Pirot, l'Apologie des casuistes. Les curés de Paris, notamment,
avaient rédigé une Censure dont le gouvernement empêcha la publication[9]. Comme ils voulaient se
plaindre en corps, Foucquet leur intima l'ordre d'agir individuellement. Tout
se réduisit à une lettre de Mazure, curé de Saint-Paul, adressée au ministre
; encore le procureur général déclara-t-il en la recevant que Son Éminence,
engagée dans d'autres occupations, ne répondrait pas avant son retour. Autant de temps de gagné[10]. Profitant de l'occasion, il
montra à ce curé la perspective d'une nomination à l'évêché d'Acqs. Le
rigoriste Mazure déclina cette offre, mais laissa entendre qu'il accepterait
le siège d'Avranches, si Son Éminence le
trouvoit bon. Ainsi
préparé, cet incorruptible se rendit à Fontainebleau[11], et en rapporta promesse de
Mazarin qu'aussitôt rentré à Paris il leur
donneroit satisfaction.
Mazure fut d'ailleurs payé en même monnaie que ses confrères et resta curé[12]. Le
petit peuple était plus à ménager. Le surintendant fit diminuer les tailles,
supprima certains impôts vexatoires, comme celui de quatre deniers par
quittance[13]. Il conjurait Mazarin de
montrer le Roi dans toutes les provinces. C'est aussi ce que disait M. de
Pilois, le vainqueur des sabotiers. Il est
très important que le Roy vienne faire un tour à Orléans, pour s'y faire
cognoistre et désarmer les habitants, dont la pluspart sont insolens au
dernier point[14]. Les mutins n'appréhendaient
rien plus que ces petits voyages[15]. On a
plus tard reproché à Foucquet d'avoir, de parti pris, effrayé Mazarin, en
agitant devant lui les fantômes de la Fronde[16] ; mais Colbert, l'homme de
confiance du Cardinal, montrait encore plus de terreur. Il se défiait des
nobles, du clergé, du peuple, de tout le monde et surtout de Foucquet, malgré
son zèle et ses bons services. Du
Terron écrivait de la Rochelle qu'on avait mis cent vingt hommes de garnison
dans l'île Dieu, tous levés aux environs d'Angers, pays du surintendant. On
dit que c'est pour servir à bord d'un navire ; mais et ces tours qu'on élève,
et ce bassin, creusé pour plusieurs vaisseaux ? Cela passe le profit à en
tirer. Cette grande dépense ne se ferait-elle pas de compte à demi entre MM.
Foucquet et Mme d'Asserac ? Sinon, il faut que ce soit pour MM. de Retz ou de
Brissac, deux opposants[17]. Dix jours plus tard, du Terron
sait à quoi s'en tenir. Mme d'Asserac est à l'ile Dieu ; on arme deux
vaisseaux pour un grand commerce. Les gens qui vivent dans l'abondance, ajoute le positif confrère de Colbert, et qui ne connoissent point la mer, donnent aisément dans
les nouveautés. Je suis fort trompé s'ils réussissent ; au moins je voy que
les plus puissans et les plus éclairez demeurent sans rien faire. Les plus puissants, les plus
éclairés, ce sont, on le devine, Son Éminence et M. Colbert[18]. Or, en
ce même moment, Foucquet traitait de l'acquisition de Belle-Isle, au vu et au
su de Mazarin. Belle-Isle,
ancienne propriété monastique, avait été donnée par le roi Charles IX à la
famille de Retz, alors qu'on ne pouvait soupçonner l'importance de cette
station maritime. Les Retz, obligés par l'acte de donation d'en assurer la
défense, y construisirent une petite forteresse, à la hollandaise, un donjon
et quatre tours, réunis par quelques toises de rempart. Cinquante ans se
passèrent sans grandes modifications à l'aspect militaire de l'île ;
toutefois le mérite de sa situation, point de repère des navires revenant
d'Amérique, la sûreté de sa rade commençaient à être connus. Aussi les États
de Bretagne en avaient-ils proposé le rachat. Le duc de Retz signa même en
1625 une promesse de vente et reçut un acompte de 50.000 livres ; mais, on se
le rappelle, les intrigues de Cour, la décapitation de Chalais, l'émotion
profonde au sein des États séant à Rennes, firent perdre de vue une opération
jugée alors très secondaire[19]. Les
entreprises politiques du cardinal de Retz, le secours qu'il trouva dans ce
domaine de famille lors de son évasion du château de Nantes, ramenèrent
l'attention sur Belle-Isle. Mazarin, désireux de s'en emparer, commanda un
coup de main qui ne réussit pas. Un autre moyen d'attaque, plus pacifique et
plus sûr, se présenta bientôt. Les
Retz, grands seigneurs et volontiers populaires, avaient moins profité que
dépensé à Belle-Isle[20]. Le duc, chef de cette maison,
était criblé de dettes, poursuivi, saisi. En 1658, il ne comptait plus sur
l'influence de son parent le Cardinal, alors errant et sans crédit. La
prudence conseillait de vendre un bien dont la moindre complication politique
pouvait entraîner la confiscation. Servien, ami de la famille, fut pressenti,
en parla à Mazarin, qui approuva l'idée d'une mise en vente ; mais nul
amateur ne se présenta, si ce n'est M. de Brissac, ce mécontent déjà
soupçonné de vouloir s'établir à l'île Dieu. Mazarin, désireux d'écarter cet
acquéreur désagréable et de se ménager une option, invita Foucquet à acheter
ce domaine, en grand secret, pour éviter le
retrait lignager,
c'est-à-dire le droit de préemption et les oppositions du cardinal de Retz[21]. Le 28
août 1658, Nicolas reçut un ordre du Roi ainsi conçu : Le Roi, étant à Paris, ayant été informé que le sieur duc
et la dame duchesse de Retz sont sur le point de vendre la terre et marquisat
de Belle-Isle, et pour que cette place ne tombe pas entre les mains de
personnes suspectes et qui n'aient pas toutes les qualitez requises pour la
bien défendre, a résolu d'engager un de ses plus sûrs serviteurs d'en
traiter. Or, il n'y a personne qui ait donné plus de preuves de son zèle et
de sa fidélité que le sieur Foucquet. En conséquence, Sa Majesté l'invite à traiter de
ladite terre, à l'exclusion de tous autres. Elle s'interdit même d'y
nommer ni gouverneur ni commandant, nominations réservées à Foucquet[22]. L'acte en bonne forme était
signé Louis et contresigné Loménie. La clause à
l'exclusion de tous autres
obligeait MM. de Retz à accepter l'amateur qui se présenterait avec
l'agrément du Roi. Alors
une grosse difficulté surgit. Foucquet,
ne voulant pas se montrer, se servit d'un prête-nom, le sieur Fleuriot, qui
devait être l'acquéreur apparent, jusqu'au 16 décembre 1660, date de
l'expiration du droit de retrait lignager. Les Retz ne discutèrent pas
Fleuriot ; mais quand ce dernier demanda à être mis en possession même avant
d'avoir payé, ils refusèrent. Cependant, Foucquet tenait à cette occupation
immédiate, par peur de quelque changement d'idées du vendeur. Mme du Plessis-Bellière
trouva un expédient. Elle connaissait un sieur Mantatelon, possédant la
confiance des deux parties et qui fut constitué gardien de la place jusqu'au
payement[23]. Pendant
ce délai, Mazarin devait étudier l'affaire restée secrète. L'acte
de vente fut signé le 5 septembre 1658, au prix de 1,300.000 livres, payables
: 400.000 livres comptant au duc de Retz, 900.000 livres à ses créanciers.
Par comptant, on entendait à compter, car le payement était renvoyé après
l'exécution des formalités[24]. Foucquet,
sortant à peine de la crise redoutable où il avait failli laisser sa vie et
la fortune des siens, chargé de Vaux et de Saint-Mandé, ne se fût pas engagé
dans une acquisition aussi téméraire, si Mazarin n'eût promis de la
reprendre. La véritable témérité fut de compter sur cette promesse ; mais dès
ce temps-là, Nicolas se fermait les yeux avec ce funeste bandeau d'optimisme
qu'à la fin on n'ose plus, on ne peut plus arracher. Trois
ans plus tard, jour pour jour, le malheureux sera arrêté à Nantes et accusé
d'avoir voulu se faire roi de Belle-Isle et des îles adjacentes. A ce
moment, tout entier à ses idées de restauration du principe d'autorité,
Foucquet harcelait Mazarin pour le décider à nommer un premier président au
Parlement de Paris. Amener le Cardinal à prendre une décision de quelque
importance n'était pas chose facile. Tout
demeure quand il est éloigné, dit une contemporaine[25]. L'éloignement servait de
prétexte à ces ajournements si chers à l'homme dont la maxime était : Le
temps et moi. De plus, Foucquet savait bien que Mazarin voulait avoir seul le
mérite de ce choix important[26]. Cependant, par toutes sortes
de motifs exposés plus haut, il insistait, et au premier rang des candidats,
il plaçait Lamoignon. C'était
pourtant un magistrat dont les agissements, au début de la Fronde, avaient
laissé d'assez fâcheux souvenirs. Maitre des requêtes, on l'avait vu diriger
la résistance opposée par sa compagnie aux volontés de la Cour ; colonel de
la milice bourgeoise de son quartier, il suivait plutôt qu'il ne dirigeait
les soldats citoyens. Mais vers 1652, à la veille de la défaite des frondeurs,
ses yeux se dessillèrent ; la tyrannie de la populace lui parut plus
extravagante que celle des plus cruels princes du monde[27]. Depuis cinq ans, il servait
avec distinction, lorsque la nécessité de ses affaires et le besoin qu'il eut
des gouvernants l'obligèrent, de son propre aveu, à devenir courtisan. Il se lia tout naturellement avec le prudent Le
Tellier. Il subit plutôt qu'il ne rechercha, s'il faut l'en croire, la
protection de Foucquet, en qui cependant il reconnaissait le plus vigoureux acteur qui fût à la Cour. Or, Le
Tellier avait un candidat à la première présidence, M. de Nesmond, et se
contenta de demander pour Lamoignon une présidence à mortier, son amitié n'osant porter plus loin ses espérances. Foucquet, au contraire,
soutint la prétention du jeune maitre des requêtes avec une énergie
diversement appréciée suivant le temps. On y découvrit plus tard
l'affectation de l'autorité, le secret désir d'écarter un concurrent possible
à la dignité de chancelier, un parti pris de s'imposer, comme si l'on ne
pouvait réussir que grâce à lui, ce qui a
toujours été le faible de ce pauvre homme et a beaucoup contribué à sa perte[28]. Ainsi s'exprima Lamoignon
beaucoup plus tard. En 1657, il tenait Foucquet pour le plus vigoureux acteur qui fût à la Cour. Mazarin,
suivant son habitude, jouait avec le solliciteur : Ne me dites rien, lui répondait-il ; je pense plus à vous que vous ne pensez. Et, partant pour le siège de Dunkerque : Je persiste, vous serez premier président, parce que je le
veux, parce que le Roi le veut, parce que Dieu le veut. Protestations accompagnées de
textes de l'Écriture cités par à peu près : Je
suis un scribe, assis sur la chaire de Moïse, dans laquelle Dieu me fait
connoitre ce qu'il lui plaît[29]. Il sçait que je l'ai prié... Je ne vous
demanderai rien contre la justice. Nous travaillerons ensemble au soulagement
du peuple. Ces
pieuses paroles inquiétaient le candidat. En effet, le Cardinal s'en allait
guerroyer, sans prendre de décision, pour laisser à chacun son espérance[30]. Sur les
vives instances de Foucquet, il en finit avant de partir, mais son dernier
mot fut digne d'un grand comédien : Il y a
assez longtemps,
dit-il à Lamoignon, que vous êtes dans le
noviciat : il faut faire profession. On a fait de grandes offres, si le Roi
les eût voulu écouter ; on a offert encore depuis peu de jours six-vingt,
mille pistoles (1.200.000 livres) ; mais quelque
besoin qu'en ait le Roi, il vaudroit mieux qu'il les donnât pour avoir un bon
premier président que de les recevoir. Chose
aussi certaine qu'extraordinaire, l'affaire fut faite sans commission pour
Son Éminence. Mme de Motteville prétend que Foucquet décida Mazarin en le flattant de l'honneur qu'il aurait d'avoir fait ce
choix par le seul motif du bien public[31]. L'avare Italien, condamné au
désintéressement, voulut au moins s'en donner tout le mérite, et la postérité
a répété l'éloge qu'il se plut alors à se décerner. Lamoignon
prêta serment le 4 octobre 1658[32]. A trois ans de là, nous le
retrouverons présidant la Chambre de justice, commission extraordinaire
chargée par le Roi de condamner Foucquet. Quant à
ce dernier, à peine eut-il obtenu la nomination de ce collaborateur, choisi
pour son zèle royaliste, qu'il dut courir du Palais à la Surintendance.
Certes, Mazarin pouvait parler des nécessités financières de l'État. Elles
allaient toujours croissant. On ne discutait plus la levée anticipée des
tailles ; c'est le capital même de cet impôt qu'on aliénait, non sans
difficultés, comme on le verra par un exemple. On se
rappelle le traité Chirol d'août 1657, où il y avait de toutes sortes
d'offices à vendre. Il laissait de gros mécomptes à Gourville et surtout à
Herwarth et à Colbert, qui représentait Mazarin. Tous deux pressaient le
surintendant de leur donner une compensation. Herwarth proposa l'aliénation
de 400.000 livres de rentes sur les tailles. Foucquet accepta. L'édit,
l'ordonnance du traité, signés par les ministres et le chancelier, furent
rendus par Chirol, et les 400.000 livres offertes à qui voudrait en proposer
un prix. Mais
les traitants réfléchissaient et faisaient leur compte. Ce
chiffre de 400.000 livres était un leurre. Le Roi, par mesure générale,
retranchant deux quartiers (c'est-à-dire six mois d'intérêts), 200.000 livres
seulement devaient être touchées par les rentiers. 50.000
livres restaient aux mains des receveurs, des trésoriers, des payeurs, ou
tombaient en non-valeurs. Les
soi-disant 400.000 livres de rentes produisaient donc tout juste un revenu
effectif de 150.000 livres. Or, en 1658, au cours de ces
sortes de valeurs, le Roy ne pouvoit pas espérer plus de 800.000 livres d'une
pareille constitution'[33], c'est-à-dire un placement à
plus du denier deux du revenu annoncé ou, comme nous comptons à présent, à
plus de 18 ¾ pour 100 du revenu effectif. Mais,
comme on l'a déjà vu, les particuliers n'étaient pas désireux de devenir
créanciers directs du Roi, débiteur non contraignable par corps, qui au
contraire mettait en prison les réclamants. Force était de s'adresser à des
traitants, gens moins impressionnables, plus habitués à ces coups d'autorité. Cette
opération, si compliquée dans ses préliminaires, devenait presque
incompréhensible quand on la mettait en forme. En
droit, pour obéir aux édits et déclarations, l'aliénation ne devait pas être
faite à moins de 5,22 pour 100, c'est-à-dire au-dessous du denier dix-huit. On
devait donc vendre, en apparence, les 400.000 livres de rentes sur les
tailles 7.200.000 livres ; mais aussitôt la vente faite, le gouvernement
expédiait au trésorier de l'Épargne une ordonnance de 6 millions à sa
décharge. Le trésorier donnait des quittances pour pareille somme aux
traitants qui ne restaient débiteurs que de 1,200.000 livres. Comme on leur
accordait le tiers de ce prix pour frais de perception, ils apportaient
effectivement les seules 800.000 livres destinées au vu et au su de tous à entrer
dans le trésor royal. 800.000
livres d'argent, 400.000 livres de frais de gestion et 6.000.000 de
quittances, ces trois sommes apuraient pour la Chambre des comptes la vente
des 400.000 livres de rente, au prix légal de 7,200.000 livres. Certes,
ces expédients, ces fictions de trésorerie étaient critiquables à plus d'un
titre ; mais, comme le disait Foucquet, qui ne les avait pas inventés, la saison n'estoit pas propre, en 1658, à faire des
règlemens nouveaux et à changer la forme des finances[34]. L'opération
laborieuse qu'on vient de décrire se pratiqua tout naturellement au mois
d'août 1658. Un ami de Herwarth, nommé Tabouret, un ami de tout le monde,
Gour-ville, prirent pour 7.,200.000 livres, en apparence, pour 800.000 livres
en réalité, les soi-disant 400.000 livres de rentes aliénées sur les tailles.
Le trésorier général Jeannin, en vertu d'une ordonnance régulière, délivra
trente-sept billets formant ensemble la somme de 6 millions que les traitants
devaient rapporter aux trésoriers particuliers comme payement complémentaire,
et que les trésoriers porteraient plus tard à la Chambre des comptes pour la
bonne règle. Le sort
de ces trente-sept billets sera plus tard l'objet d'une grosse enquête
dirigée contre Foucquet ; mais au 21 août 1658, date de l'ordonnance signée
par Séguier, Servien, Foucquet, Herwarth, aucune protestation ne s'éleva
contre cette opération financière[35], dont le succès n'était
d'ailleurs nullement certain. Entre
autres moyens de rétablir l'ordre et de faciliter la rentrée des impôts,
Foucquet recommandait à Mazarin les voyages à l'intérieur. A la fin d'octobre
1658, le Cardinal se résolut à commencer ses tournées par la Bourgogne[36]. L'expédition avait un double
but, tirer une grosse somme des États assemblés à Dijon, puis pousser jusqu'à
Lyon, où l'on ménageait une entrevue du jeune Louis XIV avec la princesse
Marguerite de Savoie. Le
premier ministre avait vu sa fortune politique trop en péril, lors de la
maladie du Roi, pour ne pas désirer de marier son royal pupille au plus vite.
Mais à qui ? à l'infante d'Espagne ? Les Espagnols l'avaient refusée depuis
moins d'un an. A une de ses cousines d'Orléans ? Quand Gaston, toujours naïf,
émit cette idée[37], on l'éconduisit avec hauteur.
A une Mazarine ? Ce dernier projet, si l'astucieux Italien le forma, devait
rester et resta dans le secret de sa pensée. En tout cas, on ne pouvait le
présenter qu'après l'échec d'autres négociations. Mazarin déclara donc qu'il
fallait faire réussir l'affaire de Savoie. Un prince de cette maison
était déjà son neveu, ayant épousé une Martinozzi. Une autre nièce pouvait
plaire au duc régnant et devenir belle-sœur du roi de France, si le Roi
épousait la princesse Marguerite. Enfin, si tout ne marchait pas au gré du
Cardinal, le peu de goût de la Reine mère pour le mariage savoyard lui
ménageait une rupture facile. Muni de toutes ces combinaisons, il partit, en
proclamant l'objet du voyage à si haute voix qu'on put l'entendre de Madrid. La
régente de Savoie, Christine, fille de Henri IV, souhaitait passionnément le
mariage de sa fille avec son neveu. Son agent diplomatique à Paris, l'abbé
Amoretti, ne cessait d'y travailler, secondé par des envoyés extraordinaires,
entre autres par un M. de Bruslon, ancien résident de France à Turin. Or,
Bruslon avait ses grandes entrées à l'hôtel de Soissons, où allait souvent
Mme du Plessis-Bellière, l'amie de Foucquet. On sait
que cette dame appartenait à la famille de Bruc-Monplaisir. Jean de Bruc, son
père, avait épousé, vers 1602, Marie Venier ou Venieri, fille d'un
gentilhomme vénitien, devenu par les hasards de la guerre gouverneur de
Machecoul en Bretagne. De ce mariage étaient nés trois garçons et cinq
filles. De ces dernières, deux entrèrent aux Ursulines, une épousa César
Blanchard, président de la Chambre des comptes de Rennes, l'autre devint Mme
du Plessis-Bellière. L'aînée, établie moins richement, avait été mariée à un
M. de Trécesson[38]. Trécesson
était le nom d'un très grand château dominant un tout petit fief de la
paroisse de Campénéac, au diocèse de Vannes. La nouvelle famille dut envoyer
des colonies au dehors. C'est ainsi que Mme du Plessis-Bellière se trouva
chargée d'assurer l'avenir de ses nièces. Tous les de Bruc étaient d'ailleurs
pleins d'intelligence, et ceux qui les aimaient le moins leur reconnaissaient
beaucoup d'esprit[39]. Or, la
régente de Savoie tenait à avoir autour d'elle un grand nombre de demoiselles
d'honneur. Une jeune Trécesson, fraîche, attrayante, spirituelle et vive,
parut propre à tenir une de ces places et en fut pourvue. Que
Nicolas Foucquet se soit intéressé à la nièce de son amie, qu'avec sa finesse
ordinaire il ait deviné en elle un auxiliaire habile, on n'en saurait douter.
Des historiens modernes, prévenus par la mauvaise renommée faite après coup à
un homme malheureux, ont présenté cette jeune fille comme la maitresse de ce
surintendant qui, suivant l'axiome, ne trouvait pas de cruelles. Jugement
téméraire. Tout ce qu'on sait, c'est que Foucquet prit Trécesson à part dans
le petit cabinet de Saint-Mandé, l'endoctrina, lui montra la perspective d'un
retour en France à la suite d'une reine dont elle serait la favorite. Il lui
remit un chiffre pour correspondre avec lui et avec sa tante. Naturellement
poli avec toutes les femmes, plus galant avec les jeunes et les jolies, il
ajouta à ses instructions quelques douceurs, recommanda à la belle
ambassadrice de ne pas se laisser séduire par les seigneurs de Chambéry, de
lui rester fidèle. En fallait-il plus pour charmer la jeune Bretonne ? Ravie,
enthousiasmée, pleine de reconnaissance pour son aimable protecteur, elle
partit à la conquête de ce bel avenir. On a dit encore qu'on l'envoyait en
espionne[40]. Calomnie. Madame Royale la
recevait de la main de Foucquet, portait devant elle la santé de ses amis de
Paris, et la nouvelle demoiselle d'honneur était obligée de comprimer
l'explosion de cette reconnaissance anticipée. Si quelque secret entoura
cette petite intrigue, ce ne fut que pour Mazarin, et encore on n'oserait
l'affirmer. Jamais on n'en a fait grief à Foucquet, à qui plus tard on a tant
reproché ses prétendues intrigues à l'étranger[41]. Nicolas
avait alors bien autres soucis en tête. Il envoyait chaque jour des courriers
au Cardinal pour lui rappeler le premier objectif de l'expédition : tirer de
l'argent : Si la Bourgogne et les provinces
dont le Roi s'approche ne nous donnent le secours que l'on s'en est promis, il sera bien difficile
d'exécuter les ordres de Son Éminence[42]. Ordres de payement, bien
entendu. La
Bourgogne comptait encore parmi les pays d'états, votant l'impôt, en
ordonnant la répartition et le pavant sous le nom trompeur de don gratuit.
Depuis plusieurs années, l'assemblée s'enhardissait aux refus[43]. Dans l'espoir que la présence
du Roi les rendrait plus généreux, on convoqua les États avant la date
accoutumée. Mais ces Bourguignons étaient mal disposés. Devançant l'arrivée
de la Cour, ils essayèrent leur pouvoir de résistance en envoyant une députation.
Le chancelier Séguier entra même en négociation avec elle, à la grande colère
de Foucquet. Cette transaction, déclara-t-il, fera tort non seulement aux
finances, dont on ne peut plus s'assurer, mais à la gloire de Son
Éminence. On dit déjà publiquement que le Chancelier a souffert dans sa personne un outrage irréparable. Il faut, au contraire, saisir
cette occasion pour rétablir l'autorité du Roi dans ces pays d'états ! Et le
surintendant ajoute : Quoyque dans le poste
où je suis, l'argent doibve estre la seule chose à laquelle je m'attache, la
nécessité d'en avoir estant grande, néantmoins s'il falloit, non seulement
n'en point retirer, mais en cloner pour soustenir un chastiment exemplaire,
je m'y offrirois et n'en manquerois pas pour cela, dans l'asseurance de le
retirer au centuple.
Donc, repousser toute transaction, renvoyer les députés, interdire le
Parlement : Ceux qui conseillent
l'accommodement, ou n'ont pas envie que l'authorité du Roy soit sy puissante,
ou n'entendent pas bien la conséquence de cette affaire. Foucquet termine en s'excusant
; s'il risque cette incursion dans le domaine de la politique, c'est à raison
de l'intérêt qu'il y prend comme surintendant. Puis, Votre Excellence remarquera que cela ne m'arrive guère que
dans les grandes occasions, où je suis convaincu qu'il y va de son service,
que je préférerai toute ma vie à toute autre considération[44]. Le jour
même où cette lettre partait de Paris, la Cour entrait à Dijon. Le jeune Roi
ne se montrait pas dans un appareil bien sévère. Tout occupé de Marie
Mancini, il ne songeait qu'à ses plaisirs. Messieurs des États allaient le voir
danser, puis s'assemblaient sans rien conclure, laissant couler le temps,
dans l'espoir de quelque événement qui obligerait la Cour à presser la marche
sur Lyon. Cette temporisation réussit. Le Tellier leur insinua que, s'ils
augmentaient un peu le don gratuit, le Roy ne
feroit rien de nouveau dans la province. Ils acceptèrent ou feignirent d'accepter[45]. Dès le
lendemain, on tenait au Parlement de Dijon un lit de justice. Séguier
prononça un discours sur les nécessités de l'État, les dépenses de la guerre
; le Roi voulait qu'on enregistrât ses édits. Tout paraissant d'accord, le
chancelier avait repris son assurance. Le
premier président de la Cour était le plus jeune président de France, mais
non le moins capable. Il appartenait à la grande famille des Brulart, où l'on
comptait nombre de magistrats de talent et même un chancelier de France. C'était
un homme aimable, spirituel, sachant parfaitement bien son monde, en même
temps instruit, ferme, résolu. Il remercia le Roi de l'honneur qu'il faisait
à la compagnie. Un prince comme lui ne doit jamais apporter que des bienfaits.
Or, ces édits allaient fouler la province, déjà ruinée. On n'avait nul besoin
de nouveaux officiers dans un Parlement d'un si petit ressort. Enfin, Brulart
s'exprima si respectueusement, si éloquemment, qu'il mérita les éloges de
tous ceux qui l'entendirent[46]. Les
décisions royales n'en furent pas moins enregistrées. Mais, dès le lendemain,
Mazarin, dont les idées sur la politique étrangère, sur la paix et sur le
mariage du Roi venaient d'être entièrement modifiées, partait en hâte pour
Lyon. Les Bourguignons, se voyant libérés de la Cour et surtout du régiment
des gardes, cherchèrent aussitôt à revenir sur leur décision. Des députés des
États partirent à la suite du Cardinal, demandant la révocation des édits,
annonçant qu'ils surseoiraient à leur exécution, en d'autres termes, au
payement du don gratuit. Le Parlement, malgré la présence de Séguier, resté
pour le tenir en respect[47], remit en question tout ce
qu'il avait accepté en présence du Roi. Un des greffiers, n'ayant pas voulu
transcrire ces délibérations, fut mis en prison. Quand
ces nouvelles parvinrent à Foucquet, il était tout justement importuné par le
duc d'Épernon, président des états de Bourgogne, et par l'évêque d'Autun
sollicitant le payement, l'un de ses appointements, l'autre d'une
gratification pour sa séance dans une assemblée qui refusait toute contribution.
Sa colère n'eut plus de bornes. Il fallait, selon lui, dissoudre les États,
en insinuant que le Roi pourvoirait au reste à son retour. Assurément ils ont plus à perdre que ce qu'ils disputent[48]. Quant au Parlement, il faut en
faire un exemple et si grand, que les autres
compagnies en trembleront. Ce n'est pas assez que ces gens-là se remettent
dans leur debvoir, qu'ils obéissent et facent les choses comme auparavant on
eust peu désirer ; il faut une punition qui répare advantageusement le mal. Ils ont emprisonné le
greffier, qu'on les emprisonne à leur tour ! Autrement,
que feront les aultres parlements esloignez, au commencement d'une campagne,
dans les provinces voisines de l'ennemy, si ceux-ci, au commencement de
l'hyver, à la veue du Roy qui doibt repasser chez eux, dans une petite
province, au voisinage de Paris, font passer pour un crime capital
l'obéissance rendue aux ordres exprès du Roy[49]. Mazarin
ne prêta aux objurgations du surintendant qu'une oreille distraite. Le 19
novembre, le lendemain du lit de justice, pendant que la Reine visitait les
hôpitaux de Dijon, il avait reçu la visite du diplomate espagnol Pimentel[50]. Le bruit de la marche nuptiale
avait retenti jusqu'à Madrid, et l'ordre en était parti d'arrêter le cortège
au passage. Il n'y avait pas à s'y tromper. C'était la paix proposée,
l'infante accordée. Le Cardinal toutefois, pour se donner le loisir de la réflexion,
garda pour lui le secret de cette nouvelle négociation. Lionne seul y
participa. Cependant,
la cour de Savoie accourait, bravant l'hiver et les précipices du mont Cenis.
Mlle de Trécesson accompagnait la Régente, bien que Foucquet l'eût engagée à
rester à Chambéry. Lionne avait-il avisé son collègue des propositions
espagnoles ? Le surintendant craignait-il quelque fâcheuse interprétation de
la présence de sa protégée auprès de la princesse Marguerite ? Quoi qu'il en
soit, le sort en était jeté. Trécesson n'osa ou ne voulut pas feindre une
maladie et rester en Savoie avec le duc héritier, devenu trop galant. Elle
arriva donc à Lyon pour assister à la ruine de ses espérances. Seul,
au milieu de ces politiques, le jeune Louis, très désireux d'épouser, ne joua
pas la comédie ; il s'enthousiasma de sa cousine, malgré son teint olivâtre,
se montra si fort et si visiblement amoureux, que Mazarin jugea nécessaire
d'arrêter net cet amour compromettant. Anne d'Autriche fut enfin avisée de la
venue de Pimentel. Marie Mancini amenée à Lyon à toutes fins, et pour être
montrée au duc de Savoie et pour divertir l'esprit du jeune Roi, s'appliqua
exclusivement à ce divertissement et, en vraie Mazarine, travailla pour son
compte[51]. Ce ne fut guère avant le 3
décembre que Mazarin laissa entrevoir à ses hôtes la vérité de la situation.
Lionne aussitôt envoya à Madame Royale un ami de Foucquet, nommé du Long (un pseudonyme), avec mission d'affirmer qu'il
était toujours dans ses intérêts[52]. Madame Royale ne fut pas trop
persuadée de ces protestations tardives. Elle savait déjà que Lionne devait
se rendre en Espagne, pour négocier l'autre
mariage. Trécesson,
confidente de ses craintes, s'efforçait de la rassurer. Il fallait que Foucquet eust été trompé le premier ! On était cependant résolu à de
grands sacrifices. Trécesson fit même savoir au surintendant que le duc
héritier serait en disposition d'épouser une
niepce, si on lui
rendait Pignerol. Quand Foucquet reçut cette lettre de son habile mais bien
jeune agente, il n'était plus temps de profiter de ses avis. Il ne s'agissait
plus de savoir si l'on donnerait Pignerol, sa citadelle et son donjon en dot
à une Mazarine transformée en duchesse de Savoie. Le duc, dès le 4 décembre,
s'était retiré, plus indigné d'une telle proposition[53] que de l'affront infligé à sa
sœur Marguerite. Trécesson repartit avec la princesse dédaignée. La
nièce de Mme du Plessis-Bellière avait été reconnue par tous les personnages
de la Cour, félicitée par les uns, observée malignement par les autres. La
duchesse disait bien que c'était M. de Bruslon qui lui avait donné cette
jeune Française. Mademoiselle de Montpensier, qui, elle aussi, avait eu des
vues et sur le trône de France et sur celui de Savoie, clairvoyante comme une
jalouse, soupçonna dans cette présence une habileté de Foucquet, qui voulait
avoir des habitudes partout. A son avis, Madame Royale
ignorait cette intrigue. Madame Royale n'ignorait rien. La
jeune Trécesson, au milieu des fêtes et de son succès personnel, eut le
sentiment du tort que cette expédition manquée pouvait causer à son
protecteur. Tout le monde, lui écrivait-elle le 6
décembre 1658, sait la parenté de Mme du Ryer
(de
Plessis-Bellière) et de Mlle de Belair (Trécesson), coy qu'elle ne l'avt avouée à personne... Si les choses tournoient de manière à faire tort à M. le
Baron (N.
Foucquet), Mlle de Belair le suplie de
n'avoir aucune considération pour son avantage et de la sacriffier entièrement.
Je réponds pour elle qu'elle n'en murmurera pas[54]. Cette Trécesson n'avait pas
seulement de l'esprit, c'était aussi une fille de race, très brave et pleine
de cœur. Si
cette fâcheuse nouvelle causa quelques ennuis à Foucquet, ils firent masse
avec bien d'autres. Comme tous les hommes peureux, Mazarin était plus
tourmentant et plus dangereux de loin que de près. Dès le 26 novembre, le
surintendant s'inquiétait de critiques dont son administration était l'objet
auprès du Cardinal. Ceux qui en ont parlé
seroient bien embarrassés de faire mieux... ils ne savent
pas les affaires dont ils parlent... Espérant que ce don gratuit (des états de
Bourgogne) auroit lieu, je l'avois remis à M.
Colbert pour le pain de munition. On sait que le fournisseur du pain était le Cardinal lui-même[55]. Si Son Éminence, par
faiblesse, laisse tarir les sources de l'argent, il ne devra pas s'étonner de
n'en pas recevoir. On se
plaignait de tous côtés. Turenne,
qui prenait en Flandre une position militaire dont le premier ministre ne sut
ou ne voulut pas profiter, Turenne coupait en morceaux sa vaisselle plate
pour payer ses troupes[56]. Il réclamait des fonds ; mais
on ne pouvait rien faire, faute d'ordres du Roi[57]. Le général s'en prenait au
surintendant, naturellement. Colbert,
plus sournois, dénonçait Foucquet, qui ne voulait pas ruiner au profit de
l'élection de Brouage, domaine de Mazarin, les élections voisines, restées au
Roi. Il travaillait dans l'ombre pour obtenir celle des Sables à bon marché,
et ne se souciait alors que de l'intérêt de son patron[58]. Le
Tellier traversait aussi les projets de son collègue. On l'avait bien vu à
Dijon. Passe
encore pour Le Tellier, un rival, passe pour Colbert, un envieux, mais ni
leur rivalité ni leur envie n'égalait la haine vouée par Basile Foucquet à
son propre frère. Il n'y a rien qu'il n'eût
dit à Lyon au Cardinal pour le perdre S[59]. Assez
délicat de santé, Foucquet tomba de nouveau malade. Son esprit, naturellement
inquiet, s'emplit des plus noires idées. Il écrivit à Mazarin pour le prier
de l'ôter des Finances[60]. On refusa sa démission, et en
termes si obligeants, que l'esprit de Nicolas en fut tout retourné. Il faudroit, répondit-il en toute hâte, que
j'eusse esté bien malade, si la bonté que Vostre Éminence a fait paroistre
pour moy ne m'avoit redonné la vie et la santé. La passion que j'ay de
mériter par mes services la confiance qu'elle me témoigne m'inspire de
nouvelles forces. Je n'ai point discontinué, pendant mon mal, de travailler... On achève aujourd'huy et demain de compter les 1.700.000
livres à M. Le Clerc...
Le thrésorier de la marine recevra aussy les
dix-neuf mil livres que Votre Éminence a ordoné (sic) pour M. de Vendôme[61]. Huit
jours plus tard, sur la demande de Mazarin, il lui expose en un long mémoire
le mode de châtiment à imposer au Parlement de Bourgogne. Tardive, la
punition doit être d'autant plus exemplaire. En Normandie, comme en
Bourgogne, il faut prendre des mesures énergiques et sévir contre M. de
Longueville, qui a maltraité un intendant[62]. Mazarin
n'avait envie de rien faire. Foucquet s'en aperçut à de nombreux indices. Il
ne pouvait pas même tirer un reçu du Cardinal. A la fin du mois, la
correspondance devient aigre-douce. Foucquet envoie une lettre de change de
30.000 livres à Son Éminence : Elle me fera
l'honneur, s'il luy plaît de commander à M. de Villacerf d'en doner des
décharges. Certaines
gens, ajoute-t-il, disent librement en mon
absence ce qu'ils ne feroient pas si j'étois en lieu à leur pouvoir respondre. On a dû réformer le règlement
du quartier d'hiver, mal dressé en dehors de lui, parce qu'on s'est trop fié à des gens ayant divers intérêts. — Pour moy, je n'en ay pas d'autres que l'honneur du
ministère de Son Éminence, le zèle de son service et l'amour de la justice et
de la vérité[63]. Ce
compliment de fin d'année ne laisse pas d'être un peu sec. Malgré les
témoignages affectés de reconnaissance dont l'accablait Mazarin, Foucquet se
sentait au fond de son âme envahi par une grande défiance. C'est
en ce temps-là, fin décembre 1658 ou commencement de janvier 1659, on n'a pu
préciser la date, que le projet de défense, ébauché en juin 1657, et si
complètement oublié depuis, se représenta comme un cauchemar à l'esprit
troublé du surintendant. Il le recherche, le relit ; et cette lecture surexcite
ses craintes. Sa plus forte ligne de résistance consistait alors dans la
situation de son frère, aujourd'hui son ennemi acharné, irréconciliable.
Vite, il efface ; il modifie ses premières dispositions. S'il était arrêté, il faudroit doubter, non pas doubter, croire pour certain
que Basile a été gagné contre lui, qu'il est plus à craindre qu'aucun autre[64]. Jadis, on devait se jeter dans
Ham, la place forte de l'abbé. Non seulement l'abbé n'y recevrait plus les
amis du surintendant, mais Ham appartient à un autre ; et ainsi de suite.
Bellebrune, le gouverneur d'Hesdin, était mort ; Du Fresnes[65], La Garde-Foucquet, qui
devaient défendre Tombelaine et le Mont-Saint-Michel, disparus. On ne pouvait
plus compter sur personne. En somme, du projet de 1657, à part la confiance
dans Mme du Plessis-Bellière, rien ne subsistait. De plus
en plus fiévreux, Foucquet efface, corrige, remplace un nom par un autre. Il est bon que mes amis soient advertis que M. le
commandeur de Neuf-Chavse me doibt le restablissement de sa fortune, que sa
charge de vice-admirai a esté payée des deniers que je luy ay donnés par les
mains de madame du Plessis, et que jamais un homme n'a donné de parolles plus
formelles que luy d'estre dans mes intérêts en tous temps, sans distinction,
envers et contre tous.
Et que va-t-il lui demander, à cet homme ? Il faudra lui parler, voir la
situation de son esprit ; qu'il ne se déclare pas pour le surintendant, car
dès lors il n'aurait plus d'action ; mais il peut beaucoup servir en ne faisant rien. Par exemple, si on lui donne le commandement de
la flotte pour prendre Belle-Isle, Concarneau, le Havre ou Calais, il
trouvera des difficultés qui ne manquent
jamais quand on veut. Guinant
inspirait plus de confiance. Il menacera les places maritimes. M.
d'Andilly, un ami, échauffera le zèle de Feuquières. Louis Foucquet, l'évêque
d'Agde, son frère François, archevêque de Narbonne, agiront l'un dans le
Parlement, l'autre dans les assemblées du clergé. On demandera la convocation
d'états généraux, de conciles nationaux, convoqués dans des lieux éloignés des troupes, et l'on y proposera mille matières délicates. — Voilà, écrit Foucquet encore une fois enfiévré, l'estat où il faudroit mettre
les choses, sans faire d'autres pas, si on se contentoit de me tenir
prisonnier. Mais si
l'on passait outre et si l'on voulait faire son procès, alors les gouverneurs
des places écriraient à Son Éminence pour demander sa liberté, sinon, sous
prétexte de ce qui leur serait dû (il était toujours dû aux gouverneurs), ils
arrêteraient les deniers des receveurs d'impôts, chasseraient les soldats
suspects, publieraient un manifeste contre l'oppression et la violence du
ministre. Guinant ferait plus. Renforçant ses équipages de matelots
principalement étrangers, il enlèverait tous
les vaisseaux qu'il rencontreroit dans la rivière du Havre à Rouen, et par
toute la coste. Sur
cette belle conception, Foucquet, évidemment se parlant à lui-même, ajoutait
: Il est impossible, les choses estant bien
conduites, se joignant à tous les malcontents par d'autres intérêts, que l'on
ne fit une affaire assez forte pour arriver à une bonne composition, d'autant
plus qu'on ne demanderoit que la liberté d'un homme prêt à donner caution de
ne faire aucun mal. Suivent
quelques idées de détail, où l'on trouve à peine à noter le dépôt des papiers
dans des maisons religieuses, l'enlèvement de Le Tellier, ou de quelques autres de nos ennemis plus considérables, la publication de pamphlets.
Le comble de l'illusion est ce que le malheureux écrivait au sujet de
Lamoignon. Il m'a l'obligation toute entière
du poste qu'il occupe, auquel il ne seroit jamais parvenu, quelque mérite
qu'il ait, si je ne luy en avois donné le dessein, si je ne l'avois cultivé
et pris la conduite de tout, avec des soins et des applications incroyables. Fort des protestations de
reconnaissance adressées par le premier président à lui, à Langlade, à Mme du
Plessis-Guénégaud, il ne doute pas qu'il ne fasse les derniers efforts en sa faveur,
qu'il agisse, ce sont les expressions de
Foucquet, comme je ferois pour un de mes amis en pareille occasion. Enfin,
la fièvre tomba, et la plume s'échappa des doigts de l'affolé. Il ne relut
même pas son œuvre si confuse. S'il eût revu de sang-froid cette conception
fantastique, presque absurde, ce plan gigantesque, ces montagnes à soulever
avec d'aussi fragiles leviers, a pour ne rien faire r, pour obtenir la liberté d'un homme qui donneroit des cautions de
ne faire aucun mal,
assurément il eût anéanti ces pages inutiles, partant dangereuses, il eût
chassé les vapeurs malsaines de cet affreux cauchemar. Foucquet avait écrit,
dans son inquiétude, comme chantent les peureux qui traversent un bois. Mais,
le bois traversé, l'écho de la chanson se perd. L'écrit, ce ridicule et fatal
écrit restera, pour être transformé par des ennemis implacables en projet
d'attentat, en crime de lèse-majesté, méritant la mort. Quand
Foucquet reprit son calme, la situation entre lui et Mazarin restait aussi
tendue que par le passé. Colbert se plaignait toujours au Cardinal de ne pas
recevoir ses mandats[66]. Avant de mandater, il faut
avoir provision. L'Épargne était vide. Le premier ministre, si exigeant quand
il s'adressait à Foucquet, tremblait en présence du contribuable. Revenant à
Paris, il passa par le Nivernais pour éviter les récriminations des Bourguignons.
Chemin faisant, il écrivit au surintendant qu'un sieur Catelan, partisan bien
connu, lui transmettrait ses vues sur les finances[67]. Cette réserve et la forme
insolite de ces instructions avaient une double cause. D'abord, Mazarin ne se
compromettait pas en écrivant. De plus, d'un jour à l'autre, le
fonctionnement de la surintendance pouvait être profondément modifié. En
effet, le collègue de Foucquet, Servien, malade depuis plusieurs mois[68], mourut le 16 février 1659, peu
après le retour de la Cour à Paris. C'était un homme de second plan, plus
laborieux qu'intelligent, devenu ambitieux et avare sur ses vieux jours[69]. Or, aux termes de leur
commission, les deux surintendants étaient tenus de signer collectivement
tous les actes importants de leur ministère. Cent fois le Cardinal, pressé
d'argent, avait déclaré à Foucquet que cette collaboration constituait un
embarras. Servien n'était qu'un obstacle. Il l'ôterait bien ; mais ne
serait-ce pas achever ce moribond ? Il fallait patienter. Foucquet aurait
seul tout l'emploi, Mazarin en donnait la promesse positive ; mais on sait
qu'il venait du pays des promesses. Avant
mème que Servien fût mort, chacun avait pris son poste de combat. Herwarth,
mis en avant par Colbert, qui vouloit jeter
la pierre et cacher le bras, insinue au Cardinal qu'il ne faut pas se presser. De son côté,
Foucquet est averti des conciliabules tenus nuit et jour par ses deux
ennemis. On tâte le surintendant en lui demandant de l'argent. Il fait
l'ingénu, demande à son tour ce qu'il doit faire ; sa commission ne
l'autorise pas à signer seul ; il attend des ordres. Sur cette habile parade,
Mazarin ajourne toute décision au 17, puis au 18 février[70]. L'occasion était tentante. On
tenait un prétexte spécieux pour mettre un
autre surintendant, soit pour estre premier et au-dessus du sieur Foucquet,
soit pour estre en second[71]. Enfin,
Mazarin se décide. Le surintendant, ce sera lui, les lettres de nomination
sont scellées par le chancelier. Le 19, en présence d'Herwarth, il annonce à
Foucquet la décision qu'il a prise. Ils exerceront conjointement la
surintendance, signeront toutes les expéditions. Quel honneur que d'être
l'alter ego du premier ministre ! quels avantages à tirer du crédit et de
l'autorité d'un si grand nom ! A l'instant même, sans le laisser répondre, le
Cardinal ordonne à Herwarth et à Foucquet de se mettre au travail avec lui.
Il leur développe son plan de conduite. Comme il a d'autres soucis que ceux
des finances, quand il y aura des expéditions à signer, Herwarth les remettra
entre les mains de Colbert, qui les présentera à Mazarin. L'Allemand
s'aperçoit alors qu'on l'a pris pour dupe et qu'il a travaillé pour un autre,
plus fin que lui. Il prie aussitôt le Cardinal de trouver bon qu'il exerce sa
fonction sans intermédiaire. Le ministre refuse, finit par céder, mais pour
cette fois seulement. On
examine la situation. Fermes, prêts, traités, tout est consommé pour dix-huit
mois, pour deux ans. Où donc, dit Mazarin, pourrait-on prendre de l'argent ? Certaines dépenses sont
très pressées ! Herwarth,
convié d'en prêter, s'excuse ; il est déjà en avance de deux à trois
millions, à bout de ressources. Alors, ce sera Foucquet, recours ordinaire
des nécessiteux, qui fera cet effort ? Foucquet se défend par de semblables
raisons et de plus fortes. Quelques jours d'incertitude sur sa situation ont
ébranlé son crédit ; ses créanciers exigent leur payement. Puis, passant à
l'offensive : Son Éminence n'a-t-elle pas dit mille fois qu'elle s'engagerait
quand il serait temps ! Ce temps est venu. Dans un commencement d'emploi
comme celui-là, aucun homme d'affaires ne refusera son concours au Cardinal,
s'il s'oblige en son nom. Mazarin
voit le gouffre ouvert devant lui. Il va falloir toucher à l'une de ses
grandes réserves de la Fère ou de Brouage, de Sedan ou de Vincennes, de Paris
ou d'Italie. Toutes lui sont chères. Signer et laisser courir des billets,
c'était un expédient ; mais un jour ou l'autre, il faudra payer. Faire une
nouvelle banqueroute ? c'était bien avantageux, mais le remède n'était ni
prompt ni sûr et ne donnait pas d'argent. Foucquet, alors, porta un dernier
coup, montra clair comme le jour que sa bonne volonté même ne servirait de
rien. On n'accepterait plus sa signature ni sa parole. Bien ne vaudrait, qui
ne fût signé de Son Éminence et agréé de M. Colbert. Mazarin, ne sachant que
répondre, dit à Herwarth : On m'a fait faire
icy un méchant pas,
et il leva la séance. Colbert,
maître de la bourse et du cœur de son maître, avait machiné cette grosse
intrigue[72] qui lui donnerait, sans
responsabilité propre, toute l'autorité d'un surin tendant. Mais Mazarin
voyait peu de profits, contre beaucoup de risques. Le lendemain, 20 février
1659, après une courte discussion, il déclara qu'il renonçait à son dessein. Sur ce
qui suivit, deux versions circulèrent, fort différentes et vraisemblablement
très exactes toutes les deux. Selon
Foucquet, le Cardinal, le tirant à part dans son cabinet, lui fit entendre en
façon d'excuse, mais sans nommer personne, qu'on l'avait surpris, en
l'embarquant dans cette aventure, le laisserait seul surintendant et ferait son
possible pour lui donner du crédit. En somme, beaucoup de bonnes paroles, de
compliments sur son habileté à emprunter de l'argent, à soutenir les affaires[73]. Selon
Colbert, Mazarin, après avoir voulu se réserver la surintendance et s'en estre déclaré, aurait fait cette réflexion qu'il ne pourroit jamais retenir l'horrible corruption de Foucquet, dont l'esprit consommé et fertile en expédiens l'abuserait toujours. Sa signature autoriseroit ses malversations présentes et
mesme les passées. Il
avait la paix à négocier. Peut-être la grande confiance ramènerait-elle le
surintendant à une meilleure conduite ; enfin, après la paix, on réformerait tous les désordres[74]. Quoi
qu'il en fût, les secondes provisions de Foucquet parurent le 21 février
1659. Nous aurions lieu, faisait-on dire au Roi, de penser au choix d'un sujet capable de remplir la place
que le sieur Servien occupoit, si la confiance que nous avons en vostre
personne éprouvée pendant six années en cette fonction, la prudence et le
zèle que vous y avez fait connoistre, l'assiduité et la vigilance que vous
avez apportées avec l'expérience que vous y avez acquise, et l'épreuve que
nous avons fait de vostre conduite en cet emploi, en plusieurs autres
occasions pour nostre service, ne nous donnoient toutes les assurances que
non seulement il n'est pas nécessaire de partager les soins de cette charge
et de vous soulager par l'adjonction d'un collègue, mais aussy qu'il importe
au bien de nostre Estat et de nostre service, pour la facilité des affaires
et la promptitude des expéditions, que l'administration de nos finances ne
soit pas divisée, et que, vous estant entièrement commise et à vous seul,
nous en serions mieux servis et le public avec nous[75]. La
phrase est longue et le style administratif ; mais rien n'y manque. En somme,
l'intrigue avait duré quatre jours et finissait en façon de comédie héroïque.
Tous les acteurs s'étaient appliqués à jouer au plus fin, et Foucquet avait
les honneurs du dénouement. Il en usa d'ailleurs avec modération vis-à-vis de
Colbert. Ce dernier avait sous ses ordres un homme d'une réelle valeur, plein
d'entregent, nommé Berryer, qui s'entremit de réconcilier ces deux ennemis, réconciliation
d'autant plus délicate que l'inimitié n'était pas déclarée. Le trésor royal
fit, comme toujours, les frais de l'entente. Colbert reçut quatre-vingt et
tant de mille livres, en remboursement de certains droits assez douteux. Il
les encaissa, montra pour un temps meilleur visage, préparant pour l'avenir
une attaque mieux étudiée. Berryer obtint une place qu'on prit à un autre, ce
qui fit un ennemi au surintendant, sans lui donner un ami. Enfin, croyant prendre ses précautions et même se faire valoir, Foucquet remit à Mazarin, le 7 mars 1659, l'état de cinq millions et tant de mil livres à lui dus par le Roi et qu'il devait lui-même à des préteurs[76]. On ne peut trop rappeler que les personnes argentées, selon le langage d'alors, les capitalistes, comme on dit aujourd'hui, prêtaient plus volontiers leur argent à des particuliers soumis au droit commun qu'au Roi, maitre du droit et de la justice. De là cette facilité que Foucquet, connu pour sa bonne foi, trouvait à emprunter. En remettant au Cardinal l'état de ces dettes dont il s'était surchargé, il pensait prouver son dévouement. Tout au contraire, ses ennemis tournèrent à mal ce beau zèle, et préparèrent ces accusations sous lesquelles l'infortuné devait un jour succomber. |
[1]
Foucquet à Mazarin, 8 août 1658. Lettre déjà citée.
[2]
Foucquet à Mazarin, 24 août 1658. Affaires étrangères, France, 905, f°
418.
[3]
Foucquet à Mazarin, 17 septembre 1658. Affaires étrangères, France, 905,
f° 448.
[4]
Foucquet à Mazarin, 8 août 1658.
[5]
Foucquet à Mazarin, 19 août 1658. Affaires étrangères, France, 905, f°
395.
[6]
Foucquet à Mazarin, 22 août 1658. Affaires étrangères, France, 905, f°
414.
[7]
Foucquet à Mazarin, 22 et 24 août 1658.
[8]
Foucquet à Mazarin, 17 septembre 1658.
[9]
Vie de messire Ans. Arnauld, t. I, p. 199 ; Écrits des curés de Paris,
3e part., p. 208.
[10]
Foucquet à Mazarin, 15 août 1658.
[11]
Écrits des curés de Paris, septième écrit, ou Journal des curés de Paris,
p. 210.
[12]
Le secret ne fut pas bien gardé. Les Jésuites, écrit Guy Patin, disent qu'il veut être évêque, mais qu'ils s'y opposeront.
[13]
Foucquet à Mazarin, 24 août 1658, déjà citée.
[14]
Foucquet à Mazarin, 8 août 1658. M. de Pilois avait écrit dans le même sens au
Cardinal.
[15]
Lettre du 29 juillet 1658. Affaires étrangères, France, 905, f° 298.
[16]
RAPIN, Mémoires,
III, p. 111.
[17]
La Rochelle, 19 juillet 1658. Affaires étrangères, France, 905, f° 280.
[18]
Brouage, 28 juillet 1638. Affaires étrangères, France, 905, f° 293.
[19]
V. ci-dessus, le chapitre IV de la première partie.
[20]
LE RAY, Belle-Isle en
mer, p. 108.
[21]
Défenses, t. V, p. 336, 338 ; t. X p. 313.
[22]
Défenses, t. V, p. 325, 327. Le 28 août, Mazarin n'était pas à Paris ;
mais on voit par une lettre de Foucquet que ce jour-là il y eut un conseil de
cabinet où se trouvèrent Séguier, Brienne, Servien et Villeroy. Foucquet à
Mazarin, Affaires étrangères, France, 905, f° 395. Il n'est pas question
de Belle-Isle dans cette lettre ; mais il n'est pas admissible que le vieux
Brienne ait contresigné le 29 un acte qui aurait été escourté
[23]
Défenses, t. X, p. 318.
[24]
Défenses, t. V, p. 331.
[25]
Mlle DE MONTPENSIER, Mémoires,
t. III, p. 279.
[26]
Foucquet jugea que Mazarin ne vouloit point que
personne entrât en part avec lui sur ce qui me regardoit, dit Lamoignon.
Texte cité dans la Vie de M. de Lamoignon, p. XIX ; Recueil des arrêts, t. I.
[27]
Vie de M. de Lamoignon, p. XVII.
[28]
Vie de M. de Lamoignon, p. XIX.
[29]
L'éditeur de la Vie fait remarquer que le texte concorde peu avec les
paroles du Cardinal : Faites ce qu'ils disent
(les scribes), et non ce qu'ils font.
[30]
AUBERY, Histoire
de Mazarin, t. IV, p. 206.
[31]
MOTTEVILLE, Mémoires,
t. IV, p. 117.
[32]
LORET, Muze
historique, t. II, p. 536. Lettre de Balledens, Bulletin du Comité
historique, mars 1849, p. 80, 81.
[33]
Défenses, t. XII, p. 2.
[34]
Défenses, t. XII, p. 25.
[35]
Défenses, t. XII, p. 7.
[36]
Per Burgundien non satis quietam. PRIOLO, De rebus
gallicis, lib. X, p. 456, édit. 1677.
[37]
MONTPENSIER, Mémoires,
t. III, p. 371.
[38]
SAINT-ALLAIS, Nobiliaire,
t. X, p. 382, 383.
[39]
MONTPENSIER, Mémoires,
t. III, p. 309.
[40]
Je pense qu'elle (Madame Royale) ne savait pas que ce fat le procureur général qui l'eût
envoyée là. MONTPENSIER,
Mémoires, t. III, p. 311. Mlle de Montpensier fut trompée par Mme de
Savoie.
[41]
Le nom de Trécesson n'est pas prononcé dans les actes du procès.
[42]
Foucquet à Mazarin, e octobre 1653. Affaires étrangères, France, 905, f°
470.
[43]
MONTPENSIER, Mémoires,
t. III, p. 288, 289.
[44]
Foucquet à Mazarin,6 novembre 1658. Affaires étrangères, France, 905, f°
481.
[45]
MONTPENSIER, Mémoires,
t. III, p. 291.
[46]
MONTPENSIER, Mémoires,
t. III, p. 293.
[47]
Mémoires du prince de Tarente, p. 213.
[48]
Foucquet à Mazarin, 26 novembre 1658. Affaires étrangères, France, 905,
f° 498.
[49]
Foucquet à Mazarin, 29 novembre 1658. Affaires étrangères, France, 905,
f° 502.
[50]
VALFREY, Hugues
de Lionne, ses ambassades en Allemagne, etc., p. 190, 203 et suiv. Priolo
dit que Pimentel rejoignit la Cour à Villefranche. De rebus gallicis,
lib. X, p. 457.
[51]
MONTPENSIER, Mémoires,
t. III, p. 310.
[52]
Lettre du 3 décembre. Affaires étrangères, France, 905, f° 510.
[53]
Le duc, par sa fierté naturelle, choqué de la seule proposition que lui fit le
Cardinal, partit de Lyon dès le lendemain matin. RAPIN, Mémoires, t. III, p. 20. Dux evaserat ab aula, potius quam discesserat. PRIOLO, De rebus
gallicis, p. 458.
[54]
Lettre de Caen (Lyon), 6 décembre 1658. Bibl nat., ms. Baluze, 150, f° 280.
[55]
Lettre du 29 novembre 1658.
[56]
BOURELLY, Deux
campagnes de Turenne, p. 27. Paris, Didier.
[57]
Je n'ay point encor receu les ordres de V. E. pour
l'argent qui doibt estre délivré au sr Le Clerc, ny luy les ordonnances et
expéditions nécessaires. Foucquet à Mazarin, 4 décembre 1658. Affaires
étrangères, France, 905, f° 514.
[58]
Lettres de décembre 1658 à Colbert du Terron. Lettres et Instructions,
t. I, p. 318, 320.
[59]
BUSSY-RABUTIN, Mémoires,
t. II, p. 87, édit. Lalanne.
[60]
Foucquet à Mazarin, 17 décembre 1658. Affaires étrangères, France, 905,
f° 385.
[61]
Défenses, t. VI, p. 250.
[62]
Lettre du 24 décembre 1658. Affaires étrangères, France, 905, f° 543.
Cette lettre est extrêmement remarquable.
[63]
Foucquet à Mazarin, 30 décembre 1658. Affaires étrangères, France, 905,
f° 553. Mazarin avait décidé que les gouverneurs de province partageraient avec
les intendants les pouvoirs dont ces fonctionnaires étaient jusqu'alors seuls
investis en matière de logements militaires. Bibl. nat., fr., 4237, ms. La
lettre a été citée par M. Bourelly comme étant de Fabert. Vie de Fabert,
t. II, p. 204.
[64]
Copie figurée de l'écrit trouvé dans le cabinet appelé secret de la maison de
M. Foucquet à Saint-Mandé.
[65]
Du Fresne était alors l'homme de Basile Foucquet. Cf. CLÉMENT, Lettres, t. I, p. 299,
et lettre de Mazarin à l'abbé Foucquet, 7 juillet 1658. Bibl. nat., ms. fr.,
23202, p. 253.
[66]
Colbert à Mazarin, 14 janvier 1659. Lettres et Instructions, t. I, p.
322.
[67]
Mazarin à Foucquet, 14 janvier 1659. Bibl. nat., ms. fr. 23202, p. 346.
[68]
Lettres de Ballesdens à Séguier.
[69]
G. Patin, lettre du 19 janvier 1859. De la lettre de G. Patin, il résulterait
que Servien serait mort le 18 ; la date exacte est le 16. Défenses, t.
V, p. 79.
[70]
Défenses, t. V, p. 79.
[71]
Mémoire sur les affaires de finance de France, par Colbert. JOUBLEAU, Études sur
Colbert, t. II, p. 287.
[72]
Pour en être sûr, il suffit de voir le Mémoire de Colbert à Mazarin, en date
d'octobre 1659.On y retrouve toutes les idées que Foucquet lui attribue dans
ses Défenses.
[73]
Défenses, t. V, p. 87. Talon e reconnu que le Cardinal avait eu le
dessein de se faire surintendant. Défenses, t. VII, p. 237.
[74]
Mémoire de Colbert ci-dessus cité au chapitre VII de la troisième partie.
[75]
Défenses, t. V, p. 356.
[76]
Défenses, t. V, p. 152. Inventaire des papiers saisie chez Bruant.