Dès la
fin de 1657, le conflit entre Nicolas Foucquet et son frère Basile engendra
de très funestes conséquences. De même
que dans ses fonctions de procureur général, Nicolas se déchargeait de la
besogne courante sur des substituts, de même, pour l'expédition des affaires
de finance, il s'en rapportait à certaines personnes, nommées alors commis,
qui se qualifieraient aujourd'hui de directeurs, de secrétaires généraux ou,
au minimum, de fondés de pouvoir. Le principal était un sieur Delorme ou de
Lorme, suivant les occasions, ex-officier[1], c'est-à-dire, fonctionnaire en
Bretagne, marié richement. Venu à Paris, entré dans la finance, grâce à ses
relations avec Servien, gagnant beaucoup, dépensant peu, il jouissait d'un
très grand crédit, auquel on avait eu recours en 1655 et en 1656[2]. On ne saurait trop le répéter,
les capitalistes de ce temps-là n'aimaient pas à prêter au Roi, débiteur
qu'on ne pouvait contraindre. On préférait un bon contrat avec un simple
particulier, soumis aux lois civiles et contraignable par corps. Voilà tout
le secret du système des emprunts au dix-septième siècle. Delorme possédait
la confiance des bailleurs de fonds, et Foucquet, trop heureux de trouver de
l'argent, avait petit à petit abandonné son autorité à ce commis, signant
sans les voir les pièces qu'il présentait, le laissant prendre place entre
lui et les préteurs[3]. Or,
Basile Foucquet, qui connaissait bien Delorme, entreprit de s'en faire un
allié pour ruiner le crédit de son frère, ruine certaine si Delorme retirait
subitement son concours à son patron[4]. Les deux hommes s'entendirent. C'est
tout juste à cette heure que Mazarin, revenant à Paris, vers novembre 1657,
demanda, exigea le payement de sommes immenses pour les quartiers d'hiver de
1658. Sans argent, les troupes se dissiperaient ; les alliés, privés de leurs
subsides secrets, feraient défection ; les avantages de la dernière campagne
seraient perdus, la paix retardée. Il fallait trouver 10 millions, ou tout
était perdu. Si la
nécessité des dépenses n'était pas contestable, la pénurie des ressources
était évidente. Rien à l'Épargne ; toutes les recettes aliénées d'avance pour
deux ans[5]. Que faire ? Emprunter ! On
s'adresse à Delorme, qui refuse. Les deux complices croient déjà le
surintendant perdu. Foucquet,
en détresse, appela Gourville, ex-factotum de La Rochefoucauld. C'était un
homme que Colbert traitait de hâbleur[6], mais plein d'entregent et
d'habileté. Gourville s'efforça de ramener Delorme à de meilleurs sentiments.
Peine perdue. La crise devenait de plus en plus intense, Mazarin de plus en plus
exigeant. Gourville alors mit la main sur un allié bien inattendu. L'Allemand
Herwarth, contrôleur des finances, ne se renfermait pas plus que les autres
dans les limites de sa fonction ; il
fourrageoit dans
les prêts, faisait la banque. Mazarin le savait et en profitait. Herwarth
s'était heurté souvent à Delorme, qui faisait le même commerce. De plus,
l'abbé Basile avait combattu la candidature d'Herwarth au contrôle général.
Gourville exploita fort habilement tout ce passé[7]. Trouvant son intérêt d'accord
avec ses rancunes, l'Allemand promit au surintendant d'avancer 3 millions,
sur assignations à sa convenance et à gros intérêts[8]. Il manquait encore 7 millions,
mais la crise était conjurée. Jeannin
de Castille consentit à fournir une moitié de la somme, si Foucquet
s'obligeait personnellement pour le surplus. Foucquet promit de donner sa
signature, à condition que Jeannin trouvât l'argent, ce qui fut fait ù
concurrence de 1.100.000 livres. Un certain Brisacier fournit encore 600.000
livres, toujours sur la garantie personnelle de Foucquet. Bref, un prêt de 10.150.000
livres fut réalisé par tiers entre Jeannin, obligé direct, Herwarth et
Foucquet, garants. Intérêt au denier dix, le
moindre pied sur lequel le Roi ait jamais payé l'intérêt pour prêts volontaires[9], avec la remise d'usage. C'est
sur cet argent que les troupes vécurent jusqu'à leur entrée en campagne[10], campagne glorieuse et
décisive, qui devait être couronnée par la bataille des Dunes et par la paix. En
attendant, il n'y avait plus, à proprement parler, de revenus réguliers. Pour
payer les rentes ou acquitter les dettes, on créait d'autres dettes et
d'autres rentes. On ne connaissait pas le prêt direct, sans gage, à la
moderne. Force était donc d'inventer des affaires quasi imaginaires[11]. C'est ainsi qu'on fit, sous le
nom d'un quidam, nommé Chirol, un traité où il y avait de tout, des créations
d'offices dits quatriennaux, c'est-à-dire servant tous les quatre ans, des
taxes sur les greffiers, des attributions de gages. Le prix, fixé d'abord à 3
millions de livres, fut réduit par des remises et par l'escompte à 1.500.000
ou 1.600.000 livres au plus[12]. On prit l'argent de Chirol,
mais on ne sut comment lui livrer ce qu'on lui avait vendu ou donné à vendre. On
faisait argent de tout. Ce même mois de mars 1658, Foucquet convoqua chez lui
Châtelain, un des fermiers des gabelles depuis 1655. Il lui montra un écrit
par lequel les intéressés de la ferme promettaient à un tiers une pension de
120.000 livres. Châtelain reconnut la promesse comme bonne et déclara qu'on y
ferait honneur à l'échéance. Ce n'est pas
assez, répliqua le surintendant ; une personne que je n'ose ni ne veux nommer
m'a donné ce titre pour argent comptant ; il faut que la Compagnie avance le
second semestre de 1658 et tout 1659. Châtelain et ses associés comprirent à demi-mot
et payèrent[13]. Foucquet aussitôt envoya la
somme à Bernouin, valet de chambre et trésorier secret de Mazarin, qui
l'avait chargé de cette commission. Voilà encore une affaire, alors jugée
très simple, qui prendra plus tard, à l'heure de l'adversité, les plus noires
couleurs. Foucquet était cependant plein de zèle et dévoué jusqu'à l'imprudence.
Pour augmenter son fonds en espèces, il vendit Belle-Assise, domaine de sa
femme, qui faisait double emploi avec Vaux et Saint-Mandé[14]. Le 25
avril 1658, le jeune Louis XIV partit de Paris, ne rêvant que sièges et
batailles. Mazarin, plus diplomate que guerrier, continuait à jouer son
double jeu, négociant à la fois avec Cromwell et avec Condé[15]. Ce dernier prince, au cœur si
français et qui semblait moins servir les Espagnols que les traîner à sa
suite comme des mercenaires, était tout prêt à traiter. Un vulgaire incident,
amené par les persécutions policières de Basile Foucquet, fit avorter ce
projet, dont la réalisation eût changé singulièrement la face des affaires. Un
lieutenant du Roi à Hesdin, en Artois, le sieur Balthasar de Fargues,
supposait alors, non sans raison, qu'on voulait lui enlever une charge qu'il
considérait comme sa propriété, ainsi que tous les lieutenants et gouverneurs
de ce temps-là. En réalité, c'étaient eux qui, le plus souvent, entretenaient
les fortifications et les garnisons, avançant de leur bourse un argent qu'ils
ne recouvraient que longtemps après, quand ils le recouvraient. En même
temps, le vieux maréchal d'Hocquincourt prétendait être poussé à bout par les
sourdes menées de l'abbé Foucquet, son spoliateur à Ham, son ennemi en tout
temps et sur tous les points[16]. Il encouragea, il suscita
peut-être la résistance de Fargues, qu'il rejoignit dès les premiers jours de
mars. Nicolas
Foucquet voulait intenter immédiatement des poursuites judiciaires[17] contre le maréchal et ses
adhérents. Le Cardinal refusa, s'approcha de la place pour la reprendre par
force ou par négociation. Mais alors, Cromwell, qui voulait Dunkerque, se
fâcha, considéra cette entreprise sur Hesdin, une bicoque, comme une atteinte
au traité, et le jeune roi subit l'affront de passer au loin de sa ville et
de son château. Naturellement, Fargues et Hocquincourt étaient entrés en
relation avec Condé, qui leur promettait son appui. Mazarin, irrité,
abandonnant encore une fois ses négociations avec le Prince, se décida pour
l'alliance anglaise, et la campagne de Flandre fut définitivement commencée.
Fargues fit bientôt aussi mauvaise chère au maréchal qu'à Mazarin, et ce
vieux soldat, dernier type de l'autocrate militaire, bizarre mélange de
galanterie et de rudesse, dut se retirer à Bruxelles, où les espions de
l'abbé Foucquet ne tardèrent pas à le rejoindre[18]. Quant à Fargues, nous le
verrons plus tard payer de sa vie une parole imprudente du surintendant. A
cette époque, on le laissa tranquille. Mazarin
avait fort à faire. Trente mille hommes à nourrir, et, autant que possible,
en gagnant sur leur nourriture. Ce dernier soin incombait à Colbert[19]. Mais c'est toujours à Nicolas
Foucquet qu'il s'adressait pour l'argent, et avec quelles objurgations ! Je vous prie de considérer qu'il est impossible que tout
ne se renverse, s'il y a la moindre faute au payement ponctuel de ce que vous
estes convenu de donner chaque mois. Le Midi est aussi exigeant que le Nord. Il faut absolument de l'argent pour l'Italie et la Catalogne, sans quoy, ces affaires-là sont exposées à des préjudices
irréparables ; je vous conjure d'y songer et de me mander ce que je dois espérer n. Le surintendant profita de
la circonstance pour insinuer que le ministre lui adressait trop de
solliciteurs d'ordonnances de comptant, c'est-à-dire de payements à vue et en
espèces. Il en vient une infinité qui ont ou
auront des lettres de Votre Éminence, mais je la supplie de me donner un peu
de relasche.
Mazarin fit semblant de ne rien entendre[20]. Enfin, Foucquet fournit les
fonds. Sans plus le remercier, le Cardinal lui répond : Je sçay qu'il y a de la peine à se procurer de l'argent ;
mais je sçay aussy que, s'il y alloit de mon salut, je ne sçaurois
m'appliquer davantage que je fais pour vous soulager... Il sembloit que la vérification des lettres et des édits
vous devoit mettre un peu au large. Il est impossible qu'on se puisse passer
du payement ponctuel de la somme que vous avez promise chaque mois, sans que
tout ne soit renversé en peu de jours. Demain, on assiège Dunkerque ; le Roi veut
assister en personne à cette entreprise, qui
est de la considération que vous voyez. En vous demandant 600.000 livres, je
ne vous demande rien que ce que vous devez[21]. Mazarin
oubliait volontairement les hostilités sourdes, qui tuaient le crédit du
surintendant, car de celui de l'État, il n'en fallait pas parler. Foucquet le
lui disait très nettement : Toutes ces
mauvaises dispositions ne favorisent pas le recouvrement des deniers... l'argent ne vient point. Je tasche de contenter ceux qui
m'ont prêté, de différer un peu leur remboursement. Je supplie Votre Éminence
de croire que je n'espargneray ni nies soins, ni mes intérêts, ni ma vie pour
son service'[22]. Il faut commencer à prendre sur les tailles de 1659, M.
Herwarth aussi bien voulant absolument y avoir son remboursement. Cependant, malgré les
difficultés, le trésorier de l'extraordinaire des guerres recevra ses 700.000
livres. Foucquet fera tout pour aider les
belles entreprises de Son Éminence. Mais
Son Éminence ne s'arrête pas aux compliments. Ce qu'on a dit des tailles l'a
touché : Je remarque, écrit-il en hâte, que vous me dittes, en passant, qu'il faudra prendre sur
les tailles de l'année prochaine, et je crains fort que vous n'ayez commencé
à le faire, contre la résolution que vous avez prise de concert avec moi... Il n'y a pas d'autres fonds pour l'année 59 et pour le
payement des quartiers d'hyver. Il est infaillible qu'on tombera tout d'un
coup, si on en traitte dès à présent. Je ne vois aucune ressource pour
subsister l'année prochaine. Puis le
ministre revient à son idée : Je m'étois
flatté que la vérification de tant d'édits et d'aliénations du revenu du Roy
vous donneroit le moyen de ne toucher pas aux tailles. Quant à Herwarth, Foucquet
avait promis de le rembourser par quelque
affaire extraordinaire.
Mazarin, on le voit, était bien combattu entre son désir d'interdire tout escompte
des tailles de 1659, et sa crainte de ne plus recevoir d'argent en 1658. Enfin, je vous conjure de n'y touscber pas et, si vous ne
vous y pouvez empescher, de me mander la somme, vous priant de ne vouloir en
aucune façon ni pour le remboursement de qui que ce soit, prendre sur les
tailles de 59, mais seulement lorsqu'il vous sera impossible d'en user
autrement pour satisfaire à ce que vous devez payer chaque moys[23]. Je n'ay point encore veu les
finances en si mauvais estat, répliquait le surintendant, tout
le monde voulant de l'argent et s'opposant à ce qui en peut produire. Et il montrait M. d'Épernon
exigeant 300.000 livres, sinon, il traverseroit
les affaires du Roi
en province ; M. de Vendôme demandant 30.000 livres de pension aux adjudicataires
des gabelles, avec menaces de ruiner leur
ferme et de soutenir le faux saunage, s'il n'est satisfait. Il faut que Votre
Éminence sache ces choses, mais je la prie de ne me pas nommer[24]. Le
peuple était aussi animé d'un esprit de révolte. Le Parlement de Toulouse
rendait des arrêts injurieux à l'autorité royale. Dans celui de Paris, le
vieux levain de la Fronde fermentait toujours. La population des campagnes
prenait les armes ; les petits gentilshommes s'assemblaient et, vêtus de
toile, se mêlaient aux paysans. Mazarin
cependant prêtait une oreille distraite à ces nouvelles de l'intérieur, ne
songeant qu'à l'argent à fournir au trésorier de l'armée. Il faut 320.000
livres en Catalogne, pour la solde des troupes, pour l'artillerie et autres choses. Il faut 200.000 livres pour Dunkerque. Son Éminence supplie le
surintendant d'envoyer ces grosses sommes ; il l'en conjure de tout son cœur[25]. Foucquet
subvint non sans peine à ces dépenses ; car il disait vrai en alléguant les
révoltes sans cesse renaissantes qui arrêtaient et parfois supprimaient les
recettes. A chaque commencement de campagne, les mécontents espéraient une
révolution, à laquelle, illusion commune à tous les opposants, ils voyoient plus d'apparence qu'il n'y en avoit en effet[26]. Ces
opposants étaient de toutes sortes. On avait taxé les nouveaux nobles, gens
ayant chèrement payé leur privilège, doublement irrités et par la taxe et par
l'affront infligé à leur blason neuf. Très nombreux en Normandie, les anoblis
se réunirent, adressèrent un appel aux gentilshommes de France, et bientôt
cette espèce de ligue eut des ramifications en Poitou, en Saintonge, un peu
partout. On essaya de faire avorter le mouvement, de le réduire en
députations à la Cour. Quelques gentilshommes risquèrent le voyage ; mais un
d'entre eux ayant voulu rendre compte d'une espèce d'audience qu'il avait
obtenue de Mazarin, et solliciter les remerciements de l'assemblée pour la
bonne volonté du ministre, fut traité de suspect, de traître, d'indigne. Son
compagnon de voyage n'osa même pas se présenter, un sieur de Créqui l'ayant
menacé d'autres choses que de poires molles[27]. Le duc de Longueville,
gouverneur de la province, louvoyait, ménageant le pouvoir et les anoblis,
avec un secret penchant pour ces derniers[28]. Des magistrats du Parlement de
Rouen, de la Cour des aides manifestaient une opposition si hardie qu'il
fallut les réprimander et même les exiler[29]. A la fin de mars 1658, une
révolte éclatait dans la garnison du Havre ; petite affaire, qui eût pu
devenir de grosse conséquence, car un sieur Latreaumont, homme résolu, se
tenait à portée pour développer le mouvement[30]. Foucquet envoya immédiatement
dans cette ville la duchesse d'Aiguillon qui en possédait le gouvernement,
avec ordre de ne conserver dans la place que des gens fidèles. Même
insubordination dans le Midi, où le Parlement de Toulouse entravait les
recettes des deniers du Roi, emprisonnait même les agents royaux. Foucquet,
exaspéré, voulait faire arrêter cinq ou six des magistrats séditieux,
interdire le Parlement, enfin pousser
l'affaire avec vigueur. Autrement, il vaut mieux ne leur rien faire et les
laisser entreprendre tout impunément[31]. Malgré ces vives instances,
Mazarin temporisait à son ordinaire, ajournait toute répression au lendemain
de la prochaine victoire en Flandre ; en attendant, il suffisait de tenir
registre de toutes les offenses reçues. C'est au milieu de ces difficultés
que Foucquet devait gouverner à l'intérieur, administrer la justice et
trouver de l'argent. L'impunité
augmentait l'insubordination. Vers le commencement de mai, quelques
gentilshommes chartrains et beaucerons s'assemblèrent à cinq lieues
d'Orléans, à l'Orme, lancèrent une lettre circulaire à leurs confrères de
Sologne et de Normandie, les exhortant à s'unir à eux pour le service du Roy, le bien de l'Estat, le maintien
des privilèges et prérogatives de la noblesse désormais destruite. Mais quand il s'agit de monter
à cheval, de brocher Bayard, comme on disait, les
volontaires parurent si peu nombreux qu'on en revint au colportage des
lettres et des cahiers d'adhésion. La féodalité entrait dans l'âge de papier. Le
peuple, plus lent à s'émouvoir, ne se calma pas si aisément. Foucquet, resté
seul à Paris, eut bientôt à faire face à une véritable révolte, qu'il avait
prévue sans pouvoir l'empêcher, qu'il dut réprimer rudement, malgré sa pitié
pour de pauvres diables mourant de faim. Véritablement,
les paysans de Sologne et de Berry avaient été poussés à bout. La cavalerie
lorraine et française, passant par leur pays, avait ordre de demander à
l'habitant vingt sols par jour pour nourriture de l'homme et du cheval ; refusant
ces vingt sols, les soldats exigeaient qu'on les nourrît ou qu'on leur payât
plus de cinq livres. Ces exactions n'allaient pas sans violences, pillages,
tueries. Les prévôts du Roi, craignant les coups, ne bougeaient de chez eux
et ne tentaient rien qui pût consoler le
peuple. Ces
paysans étaient pourtant de braves gens, payant bien leurs impôts : certaines
paroisses ne devaient rien comme arriéré, et toutes avaient acquitté plus de
la moitié de l'année courante ; mais ces levées militaires coûtaient plus que
les impôts. Où les soldats passaient, les receveurs des tailles ne trouvaient
plus rien. Les prisons s'emplissent de
misérables, qui y pourrissent[32]. Pendant
que les hobereaux cavalcadaient la nuit et conjuraient au fond des bois, les
conseillers dans les Parlements se reprenaient à fronder, les sabotiers de
Sologne et les bateliers de la Loire se mettaient en révolte ouverte, armés
de haches et de gaffes ferrées. Cette
insurrection avait son centre dans les environs de Sully et de Saint-Fargeau.
Les hommes de ces cantons obligèrent ceux des paroisses voisines à se joindre
à eux. En peu de jours, ils furent deux mille ; tous criant qu'il fallait
faire revenir le Jubilé de 1649. On commença par piller le grenier à sel de
Sully, puis celui d'Aubigny en Berry. A Montereau, des navées
de sel, remontant en Bourgogne, subirent le même sort[33]. Tout financier, maltôtier,
collecteur d'impôt, qui tombait dans leurs mains, était assommé sans
rémission. Sur le bruit que Monnerot, un gros bonnet de la finance, était
dans le pays, à Souesmes, ils y coururent, mais ils trouvèrent le logis vide.
Leur audace croissant, ils arrêtaient les gens de guerre isolés, prenaient
leurs armes et leurs montures. Ils s'étaient donné six capitaines, désignés,
suivant l'usage de toutes les révoltes, par des sobriquets : la Fourche,
Bontemps, la Fortune, etc.[34] Quand
l'insurrection éclata, Servien était en Anjou, résistant de son mieux.
Séguier écrivait beaucoup à Mazarin ; mais Sully et les bords de la Loire lui
rappelaient de trop tristes souvenirs pour qu'il osât se mettre en avant. Il
se contentait de se plaindre des surintendants, toujours à leur campagne[35]. Cependant, Foucquet seul
représentait le gouvernement, et seul agissait. Ce fut
d'abord l'avis commun qu'avec quelques cavaliers on viendrait à bout de cette
populace sans chefs, sans armes, sans chevaux, sans place fortifiée. Foucquet
avait le coup d'œil plus juste que ces militaires de cabinet. Si Votre Éminence, écrivait-il à Mazarin, pouvait destiner quelque régiment de cavalerie, commandé
par un officier bien discipliné pour réprimer ces émotions en leur
commencement et chercher les coupables, je croy qu'il seroit aussy bien
employé qu'ailleurs[36]. Selon lui, il fallait défendre
en Sologne les lignes de circonvallation de Dunkerque. Paris s'agitait ;
l'insuccès d'un coup de main sur Ostende y avait excité la joye des malintentionnez. Dans le Parlement et dans la ville, on faisait
sans cesse de nouvelles tentatives pour
exciter du bruit. Au
Parlement, on avait pris prétexte d'un projet sur la valeur des liards,
baissée de trois à deux deniers[37]. Le menu peuple de Paris, les
mariniers particulièrement étaient fort émus, tout comme en Sologne, parce
que sans doute ils possédaient la plus grosse part de ces liards dépréciés
d'un tiers. Étonnée par cette résistance, la Cour des monnaies rendit un arrêt
maintenant le cours ancien. Denis
Talon, au contraire, trouva le moment opportun pour déclarer que, si l'on
n'opérait la réduction dans la semaine, il provoquerait au Parlement
l'assemblée des Chambres. Assembler les Chambres, c'était agiter le spectre
de la Fronde. Ce seroit une estrange
entreprise,
écrivait Foucquet à Mazarin. Il semble qu'on
veuille faire naître quelque rumeur. Séguier, toujours indécis, trouvait la réduction
très justifiée et en même temps la prétention de Talon téméraire. Seul
encore, Foucquet donnait un avis clair, net, pratique[38], conseillant de maintenir la
mesure en principe et d'en différer l'exécution. Mazarin
approuva les vues du surintendant. De plus, pour couper court à la révolte,
il mit à la disposition de Foucquet, avec seize ou dix-huit cents hommes de
troupes des meilleurs que le Roy aie, cinq à six cents cavaliers des
amis de M. de Saint-Aignan, qui se chargeait de les réunir[39]. Autant de secours à
l'italienne. Ces troupes étaient en Auvergne ou en Dauphiné, loin de la
Sologne. Quant aux amis de M. de Saint-Aignan, tous intéressés dans l'affaire, on les considérait comme dangereux[40]. Pendant
que Mazarin écrivait ses belles lettres, le bailli de Chartres, malgré son
courage, avait dû battre en retraite, s'enfermer dans Sully, où les
sabotiers, au nombre de plus de dix mille, le tenaient assiégé. Orléans même
n'était pas en très bonne assiette. On y applaudissait aux mutins. Les
ouvriers en laine de Romorantin, misérables
et qui meurent de faim,
les appelaient de leurs vœux. A Paris, on se mit sur la défensive. Le
lieutenant de robe courte, avec sa compagnie, assez bonne, garda les avenues
de la capitale. Foucquet
prit son parti sans hésiter. Trouvant un lieutenant général, le sieur de
Pilois, de passage à Paris, il le requiert, lui promet son concours, de
l'argent, et l'envoie commander les troupes qui
arriveront. A cette
nouvelle, Mazarin, si assuré la veille, s'effraye. Je ne doubte point que Piloys n'ayt ordre de n'hazarder
rien, avec le peu de troupes qu'il a, ce seroit imprudent de se commettre[41]. Cependant,
dès le 7 juin, Pilois arrivait à Orléans, préoccupé surtout des moyens de
faire vivre son armée à venir, sans estre
obligé de manger les gens bien intentionnez[42]. Mais le surintendant lui tint
parole et lui expédia de bonnes traites sur les financiers orléanais[43], avec sa garantie personnelle.
Fait moins considérable, mais qui prendra plus tard son importance : Un sieur
Deslandes, capitaine dans Concarneau, était venu le 2 juin apporter à
Foucquet, récent acquéreur de cette place pour son frère, un engagement de le
servir fidèlement. Le surintendant, sans plus s'arrêter à ses intérêts
personnels, expédia l'homme en Sologne, pour concourir à la répression des
sabotiers[44]. En même temps, sur sa requête,
le Parlement rendait des arrêts contre les insurgés ; mesure vaine si l'on
veut, mais qui engageait au moins les magistrats. Le
dimanche 16 juin 1658, Nicolas apprit par son frère l'abbé la nouvelle de la
bataille des Dunes, victoire décisive, récompense méritée de tant d'efforts.
Son premier mouvement fut de dépêcher un courrier à Orléans et en Berry, où
l'annonce de ce grand succès devait faire tomber les armes des mains des
révoltés ; puis, quand il voulut écrire au Cardinal, il se sentit tout à coup
saisi de douleur de tête, de fièvre, d'épuisement. On dut le saigner trois
fois de suite[45]. Le mal
fit de rapides progrès. Si dévoué qu'il fût à l'État, Nicolas, à la vue de la
mort prête à le saisir, songea à sa femme, à ses enfants, à ses affaires en
désordre. Il tenta de dresser un état de ses biens. Il possédait sa charge de
procureur général, Vaux, dont il avait refusé 250.000 livres ; la vicomté de
Melun, valant 42.000 livres ; Kerraoul, 84.000 livres ; deux ou trois mille
livres de rente, au total 1,750.000 livres. A cela s'ajoutait le bien de sa
femme, estimé deux millions, mais déjà aliéné pour onze ou douze cent mille
francs. Très touché par la maladie, Foucquet ne fit compte ni de ce qui lui
était encore dû par le Roi pour ses appointements, ni de ses intérêts dans les
îles d'Amérique, ni de ses meubles, ni de sa bibliothèque, doublée depuis la
mort de son père. La situation lui apparut très mauvaise. Réduit en peu de
jours à l'extrémité, il abandonna tout travail, et resta plusieurs jours sans
connaissance, entre la vie et la mort[46]. Le 21 au soir, saigné au pied,
il se trouva mieux, dormit un peu. Au réveil, il chargea son frère l'abbé,
revenu près de lui à cette heure suprême, de faire savoir à Son Éminence
qu'au milieu de son mal, il avait fait porter à l'Extraordinaire (trésorier de
la guerre) quelque somme d'argent pour les estappes. — Mais, comme il ne sauroit parler d'aucune affaire avec les
traictans en l'estat où il est, il a fallu que cet argent ayt esté pris de la
vente de la terre de Belle-Assize, qui estoit à Madame sa femme. Le 22, il prépara l'arrêt
réduisant définitivement la valeur des liards à deux deniers[47]. Cette décision, réclamée par
le commerce, était de conséquence moins dangereuse depuis la victoire des
Dunes. Ce fut son dernier effort. La
maladie, imprudemment défiée par le ministre, reprit ses droits sur l'homme.
Le même jour, à huit heures du soir, l'état devint très grave. Le lendemain
et les jours suivants, on considéra Foucquet, et il se considéra lui-même,
comme perdu. Calme et résigné, il ne regrettait pas sa vie brisée à
quarante-trois ans à peine, en pleine force, ni tant d'espérances justement
caressées ; mais cette femme, ces enfants, à quelles complications d'affaires
les laissait-ils livrés ! Ses amis, ses préteurs de bonne foi et par
obligeance, seraient-ils donc ruinés ! Quel désespoir pour cet homme si fier
de son crédit, pour ce père de famille si ambitieux ! Plusieurs jours encore
se passèrent dans ces affres à la fois physiques et morales. Enfin, vers le
28 juin, une crise survint qui tourna bien et laissa Foucquet hors de danger.
La nature avait aussi gagné sa bataille des Dunes, et, comme le péril
national, le péril domestique disparut. S'il fût mort, écrivait à Mazarin un de ses
confidents, Bartet, s'il fût mort, il
laissoit sa maison et tous ses amis dans une pauvreté ridicule. Je vous en feray
le détail, quand j'auray l'honneur d'estre auprès de Votre Éminence. Jamais
il ne s'est vu une pareille consternation à celle de sa maison et de ses
amis. Il a tenu une contenance d'honneste homme et témoigné, quand il y a eu
du danger, que rien ne luy faisoit peine que ses amis qu'il avoit abymés[48]. Bartet
n'exagérait rien. Pendant que les parents, les amis veillaient au chevet du
moribond, les gens d'affaires s'inquiétaient. Les trésoriers de l'Épargne,
jusqu'alors si accommodants, qui, la veille, acceptaient de Bruant, commis de
la Surintendance, des promesses de décharge pour plusieurs millions, se
concertaient déjà pour le faire arrêter prisonniers[49]. Bruant le sut et se vit à la
Bastille. Foucquet guérit de sa maladie, mais non pas le commis de sa
terreur. Petit incident, alors caché, désavoué par tout le monde, plein de
grosses conséquences pour l'avenir. Par une
curieuse coïncidence, en ce même temps, le 22 juin, Colbert mettait la
dernière main à l'état très net, très clair, très brillant de la fortune de
son maître, M. le Cardinal. Rien de plus habilement équilibré. Biens en
France, biens en Italie. Les biens de France sont divisés en immeubles acquis
à d'excellentes conditions, 2.850.000 livres ; en créances sur le Roi, 2.342.000
livres en capital, produisant 253.000 livres d'intérêts ; en bénéfices et
pensions, 457.000 livres ; en argent comptant et effets divers, 2.457.000
livres. Même répartition savante en Italie, où l'on trouve, outre un palais,
1,232.000 livres de créances sur la maison de Mantoue. Au total, 8.052.165
livres 7 sols 11 deniers en capital, 793.570 livres 8 sols en revenu. Environ
quarante millions d'aujourd'hui. Les dettes de Son Éminence
montaient à 378,158 livres 1 sol 8 deniers, et ses créanciers n'étaient pas inquiets[50]. Cela n'empêchait pas Mazarin
de crier misère et de se plaindre de ses immenses engagements. L'intendant
du Cardinal n'était pas en pire situation. Dès. 1657, il achetait le domaine
de Seignelay et disait volontiers : Mon
château, ma chapelle, mes fourches patibulaires, mes habitants. Pour mieux tenir ces derniers,
il achetait des créances sur leur paroisse ; il voulait s'arrondir. On ne lui
connaissait pas de dettes. Foucquet,
de beaucoup moins riche que le Cardinal et même que Colbert, se rétablit, non
très rapidement. Le présent et l'arriéré des affaires prirent tout son temps.
De mise en ordre de ses intérêts personnels, il ne fut plus question[51]. Il
s'agissait d'abord de mater définitivement les sabotiers. Après
avoir accepté, puis refusé la médiation de leur suzerain, Gaston, duc
d'Orléans, ces petites gens à l'œil clair, à l'oreille fine, devinèrent
qu'ils n'avaient nulle chance de succès. Sans se laisser battre[52], ils se dissipèrent, chacun
emportant ce qu'il avait pu prendre de sel dans son chapeau. Les habitants de
Jargeau, ceux de Cosne, en réputation toute particulière de mutinerie, se
barricadèrent, proférant des injures et
insolences horribles.
Pilois reçut l'ordre de les forcer. Les portes furent abattues, afin d'intimider les petites villes malintentionnées. Ce général avouait d'ailleurs
que sans le bon succès de la bataille des Dunes, le soulèvement estoit universel en France[53]. Ce fut la fin ; la petite
armée ne servit plus, si ce n'est comme maréchaussée, prenant des recrues
pour les galères, ou comme garnisaire, occupant les villages pour faire payer
les impôts[54]. Cette
préoccupation n'était pas évanouie qu'une autre beaucoup plus sérieuse
surgissait. Le jeune Roi tomba gravement malade, et, à son tour, on le tint
pour perdu. Il ne
s'agissait plus de la disparition d'un surintendant imprudemment engagé. Le
jeune frère de Louis XIV, Monsieur, était aux mains des ennemis latents de
Mazarin. Le Cardinal, dans sa prudence infinie, avait bien songé à se ménager
une chance de ce côté. Il reprochait à Colbert de négliger Monsieur, de ne
pas lui envoyer de petits cadeaux, des veaux de rivière. Certes, le ministre
possédait un certain ascendant sur la Reine, mais cet ascendant diminuait
comme avec le soir tombe la chaleur du jour. Grande incertitude. Sans
avis, sans ordres, Colbert sentit la portée du coup. A tout événement, il fit
doubler les garnisons de la Bastille, de Vincennes, de Brisach, de Brouage,
places appartenant au Cardinal ; il mit en sûreté[55] les papiers du patron. Ses
précautions prises, il observa de ses yeux gris et perçants les Gestes et les
visages des ministres et des gens en place, notant ceux qui s'orientaient
vers le soleil levant, ceux qui demeuraient fidèles. Nicolas Foucquet lui prêta
à cette heure décisive un concours efficace[56]. Il écrivit même au ministre
une lettre pleine de bonnes promesses. Malgré les lenteurs de sa
convalescence, il offrait de se rendre à Calais ; si son dévouement était
plus utile à Paris, il le promettait tout entier. Je ferai cognoistre (à Son Éminence) que le bien qu'elle
m'a fait n'a pas trouvé un cœur tout à fait indigne de ses Grâces ; je suis
assuré que ce que j'ay d'alliés, parents et amis en useront de mesme ; je
crois que M. de Charrost, qui tient mes sentimens, aura fait et fera son
debvoir. Je prie Dieu de tout mon cœur qu'il destourne de la France un mal si
terrible[57]. Les actes de Foucquet
répondaient à ses déclarations. Il agissait avec autant de décision que de
douceur, évitant les à-coups, coupant dans leur racine les séditions[58]. Je me concerte avec le procureur général, écrivait Colbert. Je
me concerte avec M. Colbert, écrivait Foucquet. Mazarin,
ce grand homme qui s'était laissé surprendre par un accès de faiblesse
lorsqu'au lendemain de la bataille des Dunes il avait tenté de s'en faire
céder les lauriers par Turenne, Mazarin, durant cette crise, resta maître de
lui. Il autorisa sur son royal pupille l'essai de l'émétique, remède
officiellement interdit, remède de charlatan, selon le médecin de la Cour,
mais qui, la nature aidant, sauva Louis XIV et son premier ministre. Le Roi
était jeune et, dans toutes ces inquiétudes, n'avait guère vu que les larmes
amoureuses de Marie Mancini. Le ministre était du pays où la reconnaissance
fleurit vite et dure peu. Le dévouement de Foucquet passa inaperçu ou fut
bientôt oublié. Après
la joie ou les douleurs suprêmes, il faut vivre de la vie de tous les jours.
Le 14 juillet, Foucquet, qui se remettait plus lentement que le jeune prince,
écrivait au Cardinal : Je croys qu'il est
inutile d'exprimer à Votre Éminence la joye que les bonnes nouvelles du Roi
m'ont donée... Tout est calme dans Paris ; mais pour peu qu'elles eussent
tardé, ce calme n'eust pas duré longtemps. Dieu y a pourveu. Cependant, il
faut que Votre Éminence sçache que les troubles, qui ont esté partout, ont
empesché les gens d'affaires de recevoir leur argent. Ma maladie a fait faire
des réflexions d'une ruine certaine à la plus part, qui sont dans de grands
engagements, et se croioient perdus dans un changement. Celle du Roy, qui a
suivy, a faict le même effect, de sorte que chacun est encore sur ses gardes
et plusieurs dans l'impuissance de rien advancer. Puis,
le surintendant rappelle le tort causé au crédit royal par les grandes banquerouttes qui ont été faictes, et il ajoute : Quand Votre Éminence mande qu'il faut reculer les
remboursemens de ce qui est deub, cela ne se peut sans une banqueroute
générale, parce qu'ils (les gens d'affaires) ne le veulent et ne le peuvent... M. Herwart, ni
M. Jeannin n'ont pas pu les différer sans perdre tout crédit... Votre Éminence, pour peu qu'elle entre dans le sentiment
des particuliers, jugera bien qu'ils ont eu raison. C'est pourquoy il faut
laisser reprendre peu à peu le train du commerce et prendre l'argent où on
pourra[59]. Des
généralités Foucquet passe aux détails. Telle opération n'a pas pu aboutir, crainte de sédition. — Les taxes des
gens d'affaires vont très lentement, et, hors une douzaine d'hommes qui sont
soubs notre main, on ne peut point faire des exécutions violentes contre les
autres, ny attaquer plusieurs à la fois. Je répéteray encor, nonobstant tous
les raisonnements, que ceux qui n'entendent point les finances disent contre
les brans gains des traittans, que de vingt affaires ce sera un grand hasard
si une réussit. Les raisons en sont claires et certaines, mais trop longues à
expliquer icy[60]. Évidemment,
il signor Mazarini songeait toujours à l'expédient italien plus ou moins
déguisé, la bancarotta. De plus, malgré la lettre si
émouvante de Bartet, redevenu tout à fait lui-même, il laissait percer à
l'égard du surintendant des soupçons vrais ou feints. Foucquet, qui s'était
rendu à Compiègne dans l'espoir d'y rencontrer le Cardinal, lui écrivit, ne
le trouvant pas : Je
retourne demain à la pointe du jour (à Paris), continuer un travail qui ne produit pas ce
que je souhaitterois pour la satisfaction de Votre Éminence ; mais j'ose luy
dire qu'il ne laisse pas d'estre fort grand et fort pénible. L'argent est
tellement hors du commerce, depuis les dernières banqueroutes, qu'après que
j'ay réduit les gens les plus accréditez à vouloir bien en prester, il faut
que je sois tesmoin de leurs efforts et de leur impuissance, de sorte que je
suis contraint moi-même de les mesnager. Cependant, ce qui se trouve de
despenses nécessaires, que je commence à faire payer, est dans un excez que,
si Votre Éminence le voyoit tout ensemble, elle seroit asseurément surprise. Je
ne puis pas m'empescher de dire à Votre Éminence que je n'ay pas assez
l'honneur d'estre cogneu d'Elle, puisqu'elle a pensé que le péril où ma
famille m'avoit veu m'auroit fait prendre la résolution, toute autre
considération cessante, de m'appliquer à me dégager, à retirer ce qui m'est
deub. Si je l'avois fait, peut-estre seroit-ce une action légitime et qui ne
seroit pas désapprouvée de tout le monde, particulièrement en ce que ceux à
qui je doibs peuvent estre pressez. Il ne seroit pas juste de les laisser
périr dans un mauvais temps pour m'avoir assistez ; mais, tout au contraire,
plus tost que laisser les choses dans le mauvais estat où la conjoncture des
affaires présentes les avoit réduites, je me suis engagé, depuis ma maladie,
de 400.000 livres de plus que je ne debvois auparavant, lesquelles j'al,
empruntées de la Basinière et des Monnerot ; et en. cela j'ay fait une chose
peut-être imprudente, mais du moins qui me satisfait à présent l'esprit et
est conforme à mon honneur. J'espère
qu'avec un peu de temps les affaires se rétabliront, cette saison jusqu'à la
Toussaint estant la plus morte de l'année pour l'argent ; et je rendray un
compte si exact à Votre Éminence de l'estat de toutes choses, qu'elle n'aura
qu'à prendre les résolutions qu'il lui plaira pour la conduite des finances,
qui ont asseurément besoin d'authorité, de force et de grande application. C'était offrir sa démission. Mazarin comprit et ne répondit pas. Il avait encore besoin de Foucquet. |
[1]
Officier est à cette époque un titre assez général. N. Foucquet était officier,
le sergent d'une justice de village était officier. Cf. le Dictionnaire de
Furetière, au mot Officier.
[2]
Défenses, t. V, p. 338.
[3]
GOURVILLE, Mémoires,
p. 523, édit. Michaud. Foucquet a signalé sa mésintelligence avec Delorme dans
ses Défenses, t. VII, p. 30 ; t. VIII, p. 35, 54, et en fixe la date en
septembre 1657 ou fin 1657. Défenses, t. X, p. 424.
[4]
Défenses, t. VIII, p. 248.
[5]
Défenses, t. V, p. 290. 1658, l'année la plus
fâcheuse pour les conjonctures publiques que l'on eût eue depuis les derniers
troubles.
[6]
Lettre du 20 septembre 1658. Lettres et Instructions, t. I, p. 313.
[7]
GOURVILLE, Mémoires,
p. 523, 524. Lettre du 23 septembre 1657 adressée par un serviteur de Mazarin à
Basile Foucquet déjà citée.
[8]
Gourville parle de deux millions ; mais il rédigea ses Mémoires étant
déjà fort âgé. Cf. Défenses, t. VIII, p. 248.
[9]
Défenses, t. VIII, p. 263, 268.
[10]
Défenses, t. VII, p. 228, 229. L'état de ce prêt fut trouvé dans la
cassette de Foucquet, à Fontainebleau.
[11]
Foucquet cite des prêts faits par Jeannin sur fonds imaginaires et traités
encore non faits. Défenses, t. V, p. 141.
[12]
Défenses, t. XII, p. 29.
[13]
Défenses, t. V, p. 201. Il (Châtelain) me fit connoitre qu'il entendoit bien qui c'estoit.
La déposition de Châtelain a été fidèlement rapportée par Foucquet.
[14]
Défenses, t. VI, p. 149.
[15]
MONTPENSIER, Mémoires,
t. II, p. 219. Cf. BOURELLE,
Deux campagnes de Turenne, p. 107.
[16]
MONTPENSIER, Mémoires,
t. II, p. 248.
[17]
J'attends toujours les ordres de V. E. contre le
maréchal d'Hocquincourt et ceux qui commandent dans Hesdin. N. Foucquet
à Mazarin, 5 mai 1658. Affaires étrangères, France, 905, f° 60. Le 12 mai,
Mazarin répondait : Vous recevrez les ordres dans peu
de jours.
[18]
V. deux pièces curieuses, datées d'avril 1655, où un sauf-conduit est donné à
un sieur Noël, qui se retire auprès du
maréchal. Affaires étrangères, France, 905, f° 50.
[19]
MOTTEVILLE, Mémoires,
t. IV, p. i09 ; CHÉRUEL,
Histoire, t. III, p. 139, et ROUSSELY, Deux campagnes de Turenne, p. 156, combattent
cette accusation qui n'est appuyée d'aucune preuve.
Le fait n'est pas déniable. V. CLÉMENT, Lettres et Instructions, t. I, p. 309. Mazarin
était même hardi ; il voulait avancer de l'argent aux paysans de ses élections.
Autant en faisait Colbert, qui prêtait aux paysans de Seignelay.
[20]
Lettre du 5 mai 1658 avec réponse du 12 mai ci-dessus citée.
[21]
Mazarin à Foucquet. Calais, 25 mai 1658. Réponse marginale du Cardinal à une
lettre de Foucquet du 18 mai 1658 (copie). Affaires étrangères, France,
905, f° 84.
[22]
Foucquet à Mazarin,23 mai 1658. Affaires étrangères, France, 905, f°
111.
[23]
Mazarin à Foucquet. Calais, 8 juin 1658, en marge de la lettre du 29 mai.
Affaires étrangères, France, 905, f° 124.
[24]
Foucquet à Mazarin, 3 juin 1658. Affaires étrangères, France, 905, f°
135 Cf. Défenses, t. V, p. 290, où Foucquet appelle l'année 1858 la plus fascbeuse que l'on eut eue depuis les derniers
troubles.
[25]
Foucquet à Mazarin, 5 juin 1658, avec réponse du 8 juin. Affaires étrangères, France,
905, f° 139.
[26]
Mémoires du prince de Tarente, p. 204 et suiv.
[27]
Le très curieux récit de cette assemblée aux environs de Trun, en mars 1658, se
trouve aux Archives des affaires étrangères, France, vol. 905, f° 39.
[28]
Vendôme dénonce le duc comme chef des révoltés. 20 février 1658. Affaires
étrangères, France, vol. 905.
[29]
LORET, La
Muze historique, t. II, p. 465. N. Foucquet à Mazarin,23 mai 1658. N.
Foucquet propose de renvoyer un conseiller des Aides à Bayonne. où il estoit. Affaires étrangères, France,
vol. 905, f° 111.
[30]
Latreaumont avec Gouville, d'Aussi et foyer, se sauvèrent à Flessingue. Lettre
adressée à Mazarin par la duchesse d'Aiguillon, jar juin 1658. Archives des
affaires étrangères, France, 905, f° 132.
[31]
N. Foucquet à Mazarin, 5 mai 1658, déjà citée.
[32]
Relation de ce qui se passe dans la Généralité d'Orléans à l'essart' des
révoltes, fin mai 1655. Pièce adressée à Mazarin, qui a lui-même rédigé la
note ci-dessus transcrite. Affaires étrangères, France, 905, f° 149.
[33]
N. Foucquet à Mazarin, 18 mai, lettre citée.
[34]
Relation de ce qui se passe, etc.
[35]
JARRY, La
guerre des sabotiers, p. 119. Orléans, 1880.
[36]
N. Foucquet à Mazarin, 23 mai 1658, déjà citée.
[37]
Le liard valait trois deniers ; c'était donc une réduction de 33 %, la perte du
tiers pour les ouvriers qu'on payait surtout en liards ; d'autre part, les
marchands en détail qu'on payait aussi en liards, se voyaient refuser cette
monnaie faible par les marchands en gros.
[38]
N. Foucquet à Mazarin, 23 mai 1658. Mazarin répondit que le Roi donnerait des
ordres conformes aux vues de Foucquet. V. lettre de Séguier â Le Tellier, où le
chancelier condamne la prétention de Talon. JARRY, La guerre des sabotiers, p. 111.
[39]
Mazarin à Nicolas Foucquet, 25 mai 1658.
[40]
Foucquet à Mazarin, 29 mai 1658.
[41]
N. Foucquet à Mazarin, 5 juin 1658. Affaires étrangères, France, 905, f°
139. Réponse de Mazarin du 8 juin. Ibid.
[42]
Pilois à Mazarin. Orléans, 7 juin 1658. Affaires étrangères, France,
905, f° 147.
[43]
Défenses, t. VI, p. 250 ; t. X, p. 248.
[44]
Défenses, t X, p. 214, 245.
[45]
Lettre à l'abbé Foucquet, s. d., mais postérieure an 16 juin 1858. Affaires
étrangères, France, 905, f° 188.
[46]
Ces détails sont extraits d'une partie inédite des Défenses de Foucquet,
que j'ai retrouvée à la Bibl. nat., dans le ms. fr. 7622, f° 371 v°. Ce ms. est
inédit du f° 133 v° au f° 402.
[47]
Lettre à l'abbé Foucquet. Paris, 22 juin 1658. Archives des affaires
étrangères, France, 905, f° 190.
[48]
Bartet à Mazarin, 22 juin et 30 juin 1658. Affaires étrangères, France,
905, f° 193.
[49]
Défenses, t. XII, p. 150.
[50]
CLÉMENT, Lettres
et Instructions de Colbert, t. I, p. 520-530.
[51]
Défense inédite de Foucquet, Bibl. nat., français, 7622, ci-dessus cité,
f° 371 v°.
[52]
M. Jarry dit (p. 38) qu'il ne sait pas où les sabotiers furent défaits. Ils ne
résistèrent pas. V. lettre de Bartet à Mazarin, 4 juillet 1658 : La dissipation des sabotiers, suivie de quelque châtiment
pour l'exemple, faict encore icy de très bons effets. Affaires
étrangères, France, 905, f° 234.
[53]
N. Foucquet à Mazarin, 14 juillet 1858. Affaires étrangères, France,
905, f° 262. Pilois à Mazarin, 29 juillet 1658. Ibid., f° 298. Foucquet
à Mazarin, 8 août 1658. Ibid., f° 249. Foucquet à Mazarin, 19 août 1658.
Ibid., f° 295.
[54]
JARRY, La
guerre des sabotiers, p. 39.
[55]
CLÉMENT, Lettres
et Instructions, t. I, p. 300-302.
[56]
CLÉMENT, Lettres
et Instructions, t. I, p. 298.
[57]
N. Foucquet à Mazarin, 10 juillet 1658. Affaires étrangères, France,
905, f° 251.
[58]
N. Foucquet à Mazarin, 10 juillet 1658. Affaires étrangères, France,
905, f° 253.
[59]
N. Foucquet à Mazarin (autographe), 14 juillet 1658. Affaires étrangères, France,
905, f° 262.
[60]
N. Foucquet à Mazarin (autographe). Compiègne, 28 juillet 1658. Affaires
étrangères, France, 905, f° 294.