NICOLAS FOUCQUET

QUATRIÈME PARTIE

 

CHAPITRE II. — PREMIÈRE ANNÉE DE LA SURINTENDANCE.

ORGANISATION DE LA SURINTENDANCE. - OPÉRATIONS SUR LES MONNAIES. - RÉFORMES FINANCIÈRES. - HERWARTH NOMMÉ CONTROLEUR. - PLAN FINANCIER DE FOUCQUET (1653-1654)

 

 

Les deux hommes que la défiance de Mazarin associait, bon gré, mal gré, dans cette œuvre difficile de la réorganisation des finances, n'avaient d'autre point de sympathie que la volonté du ministre.

L'un, Servien, avait passé la soixantaine ; l'autre, Nicolas Foucquet, entrait dans sa trente-neuvième année.

Ils différaient encore moins par l'âge que par le caractère. Servien, après des débuts faciles, avait vu subitement sa carrière brisée sous le ministère de Richelieu. Rentré en grâce sous la Régence, il avait servi dans la négociation de Munster. C'était un esprit appliqué, tenace, sans facultés imaginatives ; mais un plan une fois donné, il l'exécutait fidèlement.

Foucquet, aussi laborieux que son collègue, n'avait guère connu de difficultés dans sa rapide carrière que pendant son intendance de Grenoble. Les malheurs publics avaient servi sa fortune. Doué d'une imagination féconde, il s'était montré à la fois homme pratique et fertile en ressources.

L'ambassadeur Servien, blanchi sous le harnois, obligé de tenir rang auprès des princes comme M. de Longueville, n'avait pu se constituer une grande situation. Au moins il se plaignait beaucoup, et c'était presque à titre de compensation, pour trente ans de services stériles, qu'il avait demandé la surintendance[1]. Il était pris de cette passion d'amasser, commune à ceux qui approchent du terme où l'on n'aura besoin de rien.

Nicolas Foucquet, riche par son premier mariage, plus riche par le second, était politiquement bien mieux apparenté que son collègue. Si des deux frères de Servien l'un était président au parlement de Grenoble, l'autre évêque de Bayeux, le procureur général comptait deux frères dans l'épiscopat ; un troisième, l'abbé, procureur général à Metz et confident du premier ministre ; deux autres frères conseillers ou dans les emplois ; deux ou trois cousins Maupeou au Parlement et à la Chambre des comptes ; enfin toute une tribu de Jeannin-Castille dans les finances. Ce sont ces derniers qu'on a vus, lors de la banqueroute de 1648, subvenir avec leurs propres ressources aux besoins de la maison royale.

Comme on l'a dit dans le chapitre précédent, le surintendant était un ordonnateur, non un manieur de fonds.

Le commandant de troupes, l'officier de la maison du Roi, l'ingénieur chargé de travaux, le premier président du Parlement, les chefs des corps judiciaires, les rentiers, les prêteurs d'argent, en un mot, ceux dont la solde, la dépense, le traitement, l'arrérage étaient fournis par le Roi, devaient s'adresser au surintendant et en obtenir une ordonnance de payement.

Cette ordonnance enjoignait au trésorier de l'Épargne, au nom du Roi, ou du conseil, ou du surintendant seul, suivant les cas, de payer certaine somme[2].

Si le pavement s'était fait en espèces à bureau ouvert, l'ordre aurait suffi ; mais, ainsi qu'on l'a déjà exposé, les créanciers de l'État étaient loin de cet âge d'or.

Sous prétexte d'ordre, on assignait les payements sur certaines recettes. L'assignation consistait dans un ordre particulier mis au bas de l'ordonnance, qui était alors dite ordonnance assignée.

Le plus souvent, les fonds n'étaient pas venus aux mains du trésorier, qui, pour ne pas laisser le créancier sans consolation ou sans moyens de crédit, lui donnait contre son ordonnance un billet de l'Épargne, portant qu'il tiendrait compte à tel receveur, ou fermier d'impôts, ou traitant de droits, de la somme mentionnée au billet[3], qu'on négociait ensuite comme on pouvait.

Le surintendant n'était pas un comptable. A proprement parler, il n'avait pas plus de bureaux qu'il n'existait alors d'hôtels ministériels. Cependant une fonction si importante exigeait un service d'écritures, et le Trésor payait un certain nombre d'employés[4] ; mais c'était le titulaire de la commission de l'Épargne qui ouvrait un registre portant d'un côté les fonds, objet des assignations, et de l'autre, les ordonnances qui, une fois délivrées et assignées, entrainaient la consommation de ces fonds[5]. Dans cet agenda, servant entre le ministre et le Roi, on énonçait souvent plus au long la cause de certaines dépenses libellées sommairement dans les ordonnances, afin d'assurer le secret de l'État.

Jusqu'alors, les surintendants avaient été maitres du choix de ce premier commis[6]. Bien que Servien et Foucquet eussent été nommés conjointement et sans distinction de pouvoir ni d'exercice[7], Servien, par l'âge, par l'ancienneté dans le ministère comme par la confiance du Cardinal, avait le pas, la parole et la plume[8]. Ce fut donc lui qui nomma commis M. de Marandé, personne de son intimité[9]. Mais Mazarin laissa entendre qu'il voulait mettre en cet emploi M. de Bordeaux, intendant des finances, très avant dans la confiance du Cardinal. C'est à lui qu'à la mort de La Vieuville la Reine régente voulait confier l'intérim, pour assurer le secret des grandes affaires que le surintendant défunt avait pu brasser avec Mazarin[10].

Le vieux Servien, aussi défiant que le Cardinal, ne s'accommoda pas longtemps de ce commis imposé. Il avait conçu quelques soupçons, et demanda la permission de mettre un autre en sa place. Mazarin consentit au renvoi de Bordeaux, mais désigna pour son successeur un sieur Herwarth.

Barthélemy Herwarth, né en France, de parents allemands qui exerçaient à Lyon le commerce d'argent, après avoir passé son adolescence à Francfort, était venu à Paris à la suite du duc Bernard de Saxe-Weimar, général des troupes suédoises à la solde de Louis XIII (1639). Herwarth et son frère avancèrent d'abord les subsides promis à ces alliés[11]. En février 1640, il rendit un service plus considérable. Le duc se trouvait alors en Bourgogne et, mécontent de Richelieu, était prêt à changer de parti ; toutefois, avant de se décider, il envoya à Lyon chercher Herwarth, qui réussit à le détourner de son projet[12]. Le coup de maitre du financier fut une avance de fonds qui, en 1649, enleva mieux qu'un coup de force, et assura au Roi les troupes que Turenne allait mener au secours des frondeurs. A partir de ce moment, il devint l'homme de confiance de Mazarin. Un peu plus tard, la banqueroute de Cenami et de Cantarini, où l'Allemand et l'Italien se trouvèrent engagés, réunit les intérêts particuliers de ces deux habiles personnages[13].

Le choix d'Herwarth n'était pas fait pour contenter Servien ; mais comme tous les ministres de finances, il devait aller au plus pressé, c'est-à-dire trouver de l'argent. Les caisses étaient vides, les besoins urgents.

On ne sait au juste qui eut, l'idée d'une opération sur les monnaies.

Elle fut, en tout cas, aussi productive qu'ingénieuse.

Jadis, dans les temps de pénurie, les gouvernements s'étaient avisés d'abaisser le titre des monnaies et de 100 livres en faire 110 ou 120. En 1653, on s'y prit tout autrement. Un édit fut publié qui décria les pistoles d'or, les réduisant de 12 livres à 10, et la monnaie blanche à proportion.

C'était une perte du sixième pour les détenteurs d'espèces[14]. L'or et l'argent sortirent des cachettes où on les renfermait depuis la banqueroute de 1648.

Le gazetier Loret a exposé la situation avec une verve plaisante :

Chacun épuize ses cassettes,

Pour aquiter ses vieilles debtes ;

On n'aperçoit de tous cotez

Que des sacs d'argent transportez ;

Tel en prend, tel autre en refuze,

Aléguant quelque fine excuse...

Qui vit jamais une merveille

A celle de ce temps pareille ?

Jadis, pour avoir de l'argent,

Un homme de bien, un sergent,

Alloit dire aux gens : Je vous somme

De payer à Tel telle somme ;

Il ne veut plus faire crédit.

Et maintenant, le sergent dit

A monsieur, à mademoizelle :

. Je vous somme et vous interpelle

D'accepter en argent comptant

La somme de tant et de tant,

Dont monsieur Tel, homme solvable,

Maintient vous être redevable[15].

Qui n'avait pas de créanciers s'efforçait de trouver des emprunteurs. On se rapprocha des traitants, qui, prêtant à gros intérêts au Roi, pouvaient perdre un peu sur la valeur des espèces reçues. Colbert, alors intendant de Mazarin, ne manqua pas l'occasion. Il se hâta de proposer à son patron, pour nous sauver de la perte du rabais des monnoies, de faire un prêt au Roi à 15 pour 100, avec assignation sur un bon fonds[16].

Le gouvernement mena fort habilement l'entreprise. La réduction ne se fit qu'à diverses périodes, de trois mois en trois mois, de juillet 1653 à septembre 1654[17]. C'était d'ailleurs un simple expédient ; car, dès 1655, un autre édit porta qu'à partir du 1er février 1657, les monnaies seraient ramenées à l'ancien type.

Grâce à ce tour de finances, on encaissa le produit de 600.000 francs de rentes aliénées, plus d'assez grosses sommes empruntées au taux de 6 pour 100 en apparence, de 15 pour 100 en réalité. Qui prenait 6 livres de rente sur le Roi devait bien verser 100 livres à l'Épargne ; mais le Roi lui faisait un don, une remise ou escompte de 9 livres. On ne versait que 91 livres, partie en vieux billets, et l'on en touchait toujours 6 d'intérêt. Ce sont ces escomptes qui grossissent tant le chapitre si discuté des ordonnances de comptant[18].

Donc, tout était pour le mieux ; aussi les états de comptant des années 1653 et 1654 portent d'assez larges gratifications pour les principaux fonctionnaires ; le chancelier et le garde des sceaux touchèrent chacun 40.000 livres. Foucquet et Servien reçurent à eux deux 28.000 livres de Sa Majesté, pour certaines considérations dont elle ne veult estre faict mention, plus 20.000 livres, pour leur ameublement[19].

Il faut dire, pour être juste, que les surintendants ne se cantonnèrent pas dans la besogne de ministre aux abois. Servien et Foucquet étaient des hommes de gouvernement et dignes à beaucoup de titres de la haute situation qu'ils occupaient. On n'avait pas apuré de comptes depuis 1649. Ils ne se dérobèrent pas à l'accomplissement de cette tâche ingrate[20]. Parmi les dépenses qu'ils durent enregistrer, plus d'une leur rappela de pénibles souvenirs, comme tous ces remboursements faits à Condé, leur allié en 1648, leur ennemi à cette heure et la cause, par ses entreprises militaires, de leurs ennuis. Des frondeurs même présentaient leurs notes de frais. Dans tous les siècles, en France — est-ce un bien ? est-ce un mal ? — on a oublié vite les dissentiments politiques. En août 1654, mourut le vieux Broussel, le héros des barricades. Personne n'y prit garde. Son fils, ex-gouverneur de la Bastille, fut reçu conseiller au Parlement en survivance de son père, sans difficulté[21]. Il avait même obtenu une récompense.

Servien et Foucquet essayèrent de mettre un terme aux réclamations en arrêtant les comptes. Ils travaillèrent également pour l'avenir. En 1654, deux édits parurent, apportant des améliorations importantes au régime de perception de la taille. Le nombre des percepteurs ou collecteurs fut réduit, et un contrôle de leurs actes institué. L'édit de décembre 1654 est particulièrement digne de remarque. Depuis bientôt deux siècles, on connaissait l'imprimerie ; l'administration se décida enfin à s'en servir pour la confection des quittances. La forme en fut arrêtée, et pour le cas où ni le receveur ni l'imposé n'eussent su écrire, on s'en remit au curé de la paroisse. De là au livre à souche, dernier terme des moyens de contrôle, il n'y avait qu'un pas[22].

Pendant quelque temps, Mazarin, tout à ses entreprises militaires, trouva que les affaires de finances marchaient assez bien. Herwarth était son homme, l'intime de Colbert[23], très utile à la bonne liquidation de Cantarini. Ce failli, bon gré, mal gré, avait dû remettre 1.312.770 livres en billets de l'Épargne ou ordonnances et 508.333 livres en assignations, pour l'affaire de Mantoue. Cenami avait dû également lâcher 650.000 livres de billets en nantissement. Ces effets, de peu de valeur pour bien des gens, prenaient un tout autre prix entre certaines mains. Le Cardinal était aussi très content de Servien, qui donnait audience pendant des heures entières à Colbert[24]. Quant à Foucquet, Mazarin le comblait d'éloges, directs et indirects[25]. Les temps faciles étaient revenus ; la bonne humeur avec eux.

Rien ne dure.

Servien était vieux, attaché à son sens. Il prétendit avoir seul qualité pour assigner les fonds ; son jeune collègue soutenait au contraire que ce n'était pas là une prérogative de son ancien ; que l'assignation pouvait être faite indifféremment par l'un ou par l'autre, ou mieux par Herwarth. Mazarin, pris pour arbitre, décida que ni Servien ni Foucquet n'écriraient les fonds, mais bien le seul Herwarth, homme de son secret domestique.

Foucquet ne dit mot. Servien, plus directement touché, supporta ce règlement avec beaucoup d'impatience. Il alléguait au Cardinal, qui le savait du reste, que Herwarth, créancier de grandes sommes pour d'anciennes assignations, ne pouvait être ainsi laissé maitre de toutes les finances. Sa raison principale était bien curieuse : Herwarth, disait-il, écrivoit fort mal. Après avoir assigné devant M. Foucquet et devant moi pour une ordonnance, un fonds qui ne valoit rien, et pris nos signatures, il lui étoit facile de le changer. En d'autres termes, Servien disait que lui et son collègue ayant, pour cause ou autre, signé quelque ordre de payement avec l'arrière-pensée de ne point payer, le commis de l'Épargne pourrait altérer leurs intentions et rendre effectif cet ordre qui devait rester un leurre[26].

Vers la fin de septembre, Mazarin convoqua les trois rivaux, Servien, Foucquet, Herwarth, non pour les mettre d'accord sur leurs différends, mais pour les inviter de songer à une nécessité plus urgente. Grâce à la facilité d'emprunter, on avait consommé d'avance les revenus de 1655 et de 1656 et toutes les affaires dont on avoit pu s'aviser. Les capitalistes, faisant réflexion sur la banqueroute de 1648, songeaient à retirer leur argent. Que faire ? manger 1657, suivant l'expression du temps ? Personne ne voulait escompter de si lointaines espérances. Se passer des préteurs ? Loger les troupes dans les provinces, pour y consommer les tailles ? C'était manquer de parole aux gens d'affaires qui avaient avancé la valeur de la taille et du taillon. Le Cardinal supplia ses collaborateurs de faire un effort, de s'engager en leur particulier. Il emprunta lui-même en son nom. Les trois ministres et leurs commis réunirent quelques sommes, bientôt consommées, tant les dépenses ordinaires et extraordinaires s'accumulaient tous les jours.

On se trouva de nouveau à sec et, qui pis est, avec un crédit épuisé. Cependant, les gardes-françaises criaient, les Suisses, à leur habitude, menaçaient de se retirer ; on n'obtenait plus rien des pourvoyeurs de la maison du Roi[27].

Nouveaux conciliabules. Le Cardinal proposa plusieurs fois de toucher aux rentes et de faire une nouvelle banqueroute. Ul n'aimait pas ces rentiers qui prélevaient le plus net de l'impôt. Tout récemment, en juin 1654, excité par Colbert, il avait proféré contre eux et contre le Parlement, leur défenseur, de violentes paroles[28].

Changeant de tactique, il supplia les créanciers de prendre patience ; il assembla les traitants, les menaça de leur ôter leurs assignations. Vaines menaces. Il leur demande alors d'aviser au moins à quelque expédient. Tout cela ne produisoit rien, sinon que plus on paroissoit alarmé, plus on publioit le mal et plus les bourses se fermoient. A la fin de novembre, tout était à la veille d'une confusion plus grande que jamais.

Le Cardinal ne s'entêtait guère sur une idée préconçue.

Au fond, il préférait Servien à Foucquet[29], mais réglant son affection pour les hommes sur la mesure des services qu'il pouvait en tirer, il ne se dissimulait pas combien le jeune procureur général, le parent et l'allié des riches familles des Maupeou et des Castille, avec son esprit simple et son imagination féconde, son discours aimable et ses paroles engageantes, était plus propre au rôle de surintendant emprunteur que Servien, vieux, égoïste, hésitant, ne montrant qu'un front négatif[30]. En décembre, il prit à part Foucquet et lui dit en confidence que Servien ne répondait nullement à son attente.

Avec lui, pas d'argent, pas de crédit ; par contre, de grands projets de guerre au printemps. C'étoit chose cruelle de n'avoir aucune ressource devant soi.

Foucquet répondit avec à-propos. Il n'estimoit pas que les choses fussent si désespérées ni la subsistance de l'État impossible : sans doute, il ne s'étoit pas beaucoup appliqué aux emprunts parce que le Ministre n'avoit pas semblé le désirer, parce qu'aussi M. Servien n'étoit pas d'humeur à s'accommoder aux pensées d'autrui. La vérité, c'est que cette conduite n'étoit pas bonne, qu'on avoit tenue jusqu'alors. Le meilleur moyen étoit d'en prendre une tout oppoée : ne manquer jamais de parole, pour quelque intérest que ce fût, mais ramener les personnes à la raison par douceur et de leur consentement ; ne menacer jamais de banqueroute, et ne parler de celle de 1648 qu'avec horreur, pour la détester comme la cause des désordres de l'État, afin qu'il ne pùt tomber en la pensée qu'on fût capable d'en faire une seconde ; ne toucher jamais aux rentes ni aux gages, et n'en pas laisser prendre le soupçon, afin que lu tranquillité et l'affection, qui est une autre source de crédit, ne fût jamais altérée : ne point tant parler de taxes sur les gens d'affaires, les flatter, et au lieu de leur disputer des intérests et profits légitimes, leur faire des gratifications et des indemnitez de bonne foy, quand ils avoient secouru à propos. Le principal secret en un mot estoit de leur donner à gagner ; estant la seule raison qui fait que l'on veut bien courir quelque risque. Mais surtout, s'établir la réputation d'une seureté de paroles si inviolable, qu'on ne croye pas méme courre aucun danger[31].

Mazarin écouta cet exposé, prit plusieurs jours pour réfléchir, tant la théorie était neuve et en contradiction avec la pratique. Puis, en forme d'acquiescement, il pria Foucquet de prendre soin de tout et qu'il dirait à Servien de le laisser agir. Foucquet lui fit entendre qu'il serait importuné tous les jours de leurs différends, qu'il valait mieux déterminer les attributions de chacun, ce qui fut fait par le règlement du 24 décembre 1654, qu'on publia solennellement.

Mazarin avait un très grand souci de l'opinion. Les considérations banales sur la volonté de Sa Majesté de diminuer les charges du peuple ne manquèrent donc pas.

Le Roi avait chargé de l'administration de ses finances deux hommes d'une capacité singulière, dont la mission était de pourvoir tant au recouvrement des fonds de deniers, dont Sa Majesté auroit besoin en son Épargne, qu'au retranchement de toutes les dépenses qui ne seroient pas absolument nécessaires. Mais elle avait reconnu que chacun de ces emplois requérait l'application entière d'une seule personne. En conséquence, et tant que la guerre durera, Servien prendra soin d'ordonner des fonds de toutes les dépenses, donnera les assignations, et Foucquet signera sans difficulté les ordonnances, même celles de comptant, après qu'elles seront signées dudit sieur Servien. Quant à Foucquet, il pourveoira au recouvrement des fonds, fera compter les fermiers et les traitants, leur allouant en dépense tout ce qu'ils auront payé en vertu des quittances et billets de l'Épargne... il arrestera aussi tous traités, prêts et avances, examinera les propositions de toutes affaires qui se présenteront, et le sieur Servien signera sans difficulté les Estats, Comptes, Baux à ferme, Arrêts et autres expéditions qui seront à faire en conséquence s des pouvoirs ci-dessus donnés à son collègue[32].

C'est alors, à proprement parler, que commença la surintendance effective de Nicolas Foucquet.

 

 

 



[1] Cf. KERVILER, Abel Servien..., p. 176.

[2] FOUCQUET, Défenses, t. V, p. 174 ; PELLISSON, Second discours au Roy, Œuvres diverses, t. II, p. 144.

[3] PELLISSON, loc. cit., p. 145.

[4] Bibl. nat., ms. V° de Colbert, vol. 106. État des finances payées pour le quartier de janvier 1653.

[5] FOUCQUET, Défenses, t. V, p. 231 ; t. VII, p. 213 ; PELLISON, Œuvres diverses, t. II, p. 122.

[6] Pellisson dit le contraire, Œuvres diverses, t. II, p. 122 ; mais Foucquet en savait plus long que Pellisson. Cf. Défenses, t. VII, p. 216. L'assertion de Foucquet est confirmée par Conrart, Mémoires, p.610, où il raconte comment d'Emery s'y prit pour faire nommer Guérapin à cet emploi.

[7] FOUCQUET, Défenses, t. VI, p. 8 (production de M. Talon).

[8] FOUCQUET, Défenses, t. VI, p. 9 (production de M. Talon) ; Défenses, t. V, p. 56 et suiv.

[9] Défenses, t. V, p. 58. Marandé était maitre d'hôtel du Roi. Cf. DUBUISSON-AUBENAY, Journal, t. I, p. 265 ; t. II, p. 330. Appendice. La charge (de surintendant) fut donnée à M. d'Avaux et à lui (d'Émery) conjointement, et M. d'Avaux eut le premier lieu, comme le plus ancien conseiller d'État. Par cette raison, il devoit avoir le choix de l'emploi, c'est-à-dire de l'employé. CONRART, Mémoires, p. 610.

[10] COLBERT, Lettres et Instructions, t. I, p. 199. Colbert répondit s qu'il ne s'était fait aucune affaire dont il ne pût faire le rapport devant deux mille personnes Foucquet (Défenses, t. V, p. 57) signale les prétentions de M. de Bordeaux à la surintendance. Les lettres de Mazarin confirment l'assertion de Foucquet.

[11] G. DEPPING, Barthélemy Herwarth, etc., extrait de la Revue historique (1879), consciencieux travail, fait avec des matériaux jusque-là inconnus ou très dispersés.

[12] Négociations de M. d'Herwarth avec le duc de Weimar et les troupes d'Allemagne commandées par M. de Turenne, depuis 1640 jusqu'en 1650. Mémoire dressé par Herwarth, Bibl. nat., fr., Joly de Fleury, 2520 ; Papiers de la Reynie, XXIII, f° 39. Ce document parait avoir échappé aux recherches de M. G. Depping. En juillet 1640, à la mort du duc Bernard, Herwarth rendit de grands services. En 1644, il prêta une somme considérable pour le siège de Philisbourg.

[13] FOUCQUET, Défenses, t. V, p. 58. Le 24 juillet 1654, Colbert annonce qu'il a contraint Cantarini à partager ses effets entre ses débiteurs. Lettres et Instructions, t. 1, p. 223.

[14] CLÉMENT, Lettres et Instructions de Colbert, t. VII, p. LXXV ; FOUCQUET, Défenses, t V, p. 59, 61.

[15] LORET, La Muze historique, du 26 septembre 1653, t. I, p. 413.

[16] Lettre du 30 octobre 1653. Il avait 150 ou 200.000 livres à placer. Cf. CLÉMENT, Lettres et Instructions, t. II, introd., p. II, note.

[17] Le Trésor tint compte à ses agents de la diminution décrétée par l'État. On accorda à M. Guénégaud 42.349 livres, à raison de 932.000 livres qui se sont trouvées à l'Épargne, fin décembre 1653, laquelle somme il avoit empruntée par ordre de Sa Majesté sur son crédit pour faire les advances des despences des maisons royalles. On donnait 10 sols par louis d'or et pistole d'Espagne, 5 sols par écu d'or, 3 sols par louis d'argent. Bibl. nat., ms, Colbert V°, vol. 106. Compte de janvier 1654.

[18] D'autres particuliers, même en leur donnant des fonds à 15 pour 100 d'intérêt, ou avec des remboursements de vieilles dettes, au lieu d'intérêts, fournissoient des sommes considérables. FOUCQUET, Défenses, t. V, p. 61.

A l'appui de l'assertion de Foucquet, on peut citer, entre beaucoup d'autres, un extrait des comptes de 1654, conservés par Colbert : Au sieur Marigny, qui a faict prest au Roy de VIIc IIIIxx XIIII mille (794.000) livres, la somme de 119,100 livres à luy remise par Sa Majesté pour les intérêts et advances et frais de recouvrement de ladite somme,... ci cxix c livres. Bibl. nat., ms. Colbert, Vu, vol. 106. État de janvier 1653.

[19] Bibl. nat., ms. Colbert V°, vol. 106. Compte du quartier de janvier 1653, arrêté le 29 mai 1653.

[20] Bibl. nit., ms. N° 108, Colbert V°, loc. cit.

[21] GUY-PATIN, Lettres, t. I, p. 242.

[22] Édit de mars 1654, vérifié le 9 mars 1854. Édit de décembre 1654, vérifié le 20 mars 1655. Cf. Code des tailles, t. I, p. 445. Il sera par nous commis une personne qui fera imprimer les dictes quittances... qui seront paraphées 'dudit commis et par lui déposées entre les mains du Greffier de l'Election, qui les remettra aux collecteurs. Ibid., p. 453. Sully avait créé des modèles d'états de finances. Ce serait un travail Lien curieux que celui qui donnerait le formulaire des administrations financières françaises depuis le quinzième siècle.

[23] Votre Éminence le doit considérer particulièrement, puisqu'il contribue au bien de ses affaires autant qu'il est en son pouvoir. Colbert à Mazarin, 22 août 1654. Lettres et Instructions, t. I, p. 227.

Les comptes Cantarini et Cenami sont donnés dans une lettre du 28 juillet 1654. Ibid., p. 225. Remarquer les chiffres 770.333 qui indiquent un compte par tiers, sans doute entre Cantarini, Cenami et Mazarin.

[24] Colbert à Mazarin, 21 octobre 1653. Lettres et Instructions, t. I, p. 212. M. le procureur général (N. Foucquet) et vous (l'abbé Foucquet) estes fort bien icy ; M. Servien n'y est pas mal. Lettre du 8 août 1654 d'tri secrétaire de Mazarin à l'abbé Foucquet. Bibl. nat., me. fr. 23202, p. 130.

[25] Cf. notamment lettres de Mazarin à l'abbé Foucquet, du 8 août 1654 et du 26 août 1654, de Péronne à N. Foucquet. Bibl. nat., ms. fr. 23202,. p. 316.

[26] FOUCQUET, Défenses, t. V, p. 60, 61.

[27] FOUCQUET, Défenses, t. V, p. 65. Nous n'admettons ces énonciations de Foucquet que collaborées par des preuves. Voici une lettre du 20 juin 1654, écrite de Bethel par un confident de Mazarin à l'abbé Foucquet :

Cette lettre vous sera remise par le député du Rouergue, qui en a une de Son Éminence pour les surintendants, pour escompter les propositions qu'il fait pour l'exemption du quartier d'hiver prochain de sa province. Le député offrait 100.000 livres contre un arrêt d'imposition de 130.000, dont le surplus sera pour les remises et les frais. Et j'y trouverai quelque chose pour moy, ajoute le correspondant de B. Foucquet. Bibl. nat., ms. fr. 23202, p. 125.

[28] Je voudrois que l'affaire des rentes s'accommodât en la manière que le Roy le souhaite. S'ils prennent un prétexte pour ne rien conclure, je vous asseure qu'ils s'y tromperont. Sa Majesté, quelque advantage qu'elle puisse espérer pour ses armes sur la frontière, n'hésiteroit pas à retourner à Paris se faire obéir. Mazarin à l'abbé Foucquet, Reims, 8 juin 1654. Bibl. nat., ms. fr. 23202, p. 124. Cf. CLÉMENT, Lettres et Instructions, t. I, p. 228. Au nom de Dieu, écrit Colbert, que (V. E.) demeure ferme dans la résolution qu'elle a prise de châtier.

[29] Son Éminence a pour lui (Servien) une estime toute particulière. Boreel à de Witt, 14 novembre 1653. Servien ne fait et ne dit rien par lui-même. Ibid., Lettres de Witt, t. I, p. 60.

[30] Le député de Rouergue est fort satisfait de vous et de M. le procureur général, et fort peu de M. Servien. Lettre du 11 juillet 1655, écrite par un confident de Mazarin à l'abbé Foucquet. Bibl. nat., ms. fr. 23202, p. 128.

[31] FOUCQLET, Défenses, t. V, p. 67.

[32] Règlement du 24 décembre 1654. FOUCQLET, Défenses, t. V, p. 355.