Les
deux hommes que la défiance de Mazarin associait, bon gré, mal gré, dans
cette œuvre difficile de la réorganisation des finances, n'avaient d'autre
point de sympathie que la volonté du ministre. L'un,
Servien, avait passé la soixantaine ; l'autre, Nicolas Foucquet, entrait dans
sa trente-neuvième année. Ils
différaient encore moins par l'âge que par le caractère. Servien, après des
débuts faciles, avait vu subitement sa carrière brisée sous le ministère de
Richelieu. Rentré en grâce sous la Régence, il avait servi dans la
négociation de Munster. C'était un esprit appliqué, tenace, sans facultés
imaginatives ; mais un plan une fois donné, il l'exécutait fidèlement. Foucquet,
aussi laborieux que son collègue, n'avait guère connu de difficultés dans sa
rapide carrière que pendant son intendance de Grenoble. Les malheurs publics
avaient servi sa fortune. Doué d'une imagination féconde, il s'était montré à
la fois homme pratique et fertile en ressources. L'ambassadeur
Servien, blanchi sous le harnois, obligé de tenir rang auprès des princes
comme M. de Longueville, n'avait pu se constituer une grande situation. Au
moins il se plaignait beaucoup, et c'était presque à titre de compensation,
pour trente ans de services stériles, qu'il avait demandé la surintendance[1]. Il était pris de cette passion
d'amasser, commune à ceux qui approchent du terme où l'on n'aura besoin de
rien. Nicolas
Foucquet, riche par son premier mariage, plus riche par le second, était
politiquement bien mieux apparenté que son collègue. Si des deux frères de
Servien l'un était président au parlement de Grenoble, l'autre évêque de
Bayeux, le procureur général comptait deux frères dans l'épiscopat ; un
troisième, l'abbé, procureur général à Metz et confident du premier ministre
; deux autres frères conseillers ou dans les emplois ; deux ou trois cousins Maupeou
au Parlement et à la Chambre des comptes ; enfin toute une tribu de
Jeannin-Castille dans les finances. Ce sont ces derniers qu'on a vus, lors de
la banqueroute de 1648, subvenir avec leurs propres ressources aux besoins de
la maison royale. Comme on
l'a dit dans le chapitre précédent, le surintendant était un ordonnateur, non
un manieur de fonds. Le
commandant de troupes, l'officier de la maison du Roi, l'ingénieur chargé de
travaux, le premier président du Parlement, les chefs des corps judiciaires,
les rentiers, les prêteurs d'argent, en un mot, ceux dont la solde, la
dépense, le traitement, l'arrérage étaient fournis par le Roi, devaient
s'adresser au surintendant et en obtenir une ordonnance de payement. Cette
ordonnance enjoignait au trésorier de l'Épargne, au nom du Roi, ou du
conseil, ou du surintendant seul, suivant les cas, de payer certaine somme[2]. Si le
pavement s'était fait en espèces à bureau ouvert, l'ordre aurait suffi ;
mais, ainsi qu'on l'a déjà exposé, les créanciers de l'État étaient loin de
cet âge d'or. Sous
prétexte d'ordre, on assignait les payements sur certaines recettes.
L'assignation consistait dans un ordre particulier mis au bas de
l'ordonnance, qui était alors dite ordonnance assignée. Le plus
souvent, les fonds n'étaient pas venus aux mains du trésorier, qui, pour ne
pas laisser le créancier sans consolation ou sans moyens de crédit, lui
donnait contre son ordonnance un billet de l'Épargne, portant qu'il tiendrait
compte à tel receveur, ou fermier d'impôts, ou traitant de droits, de la
somme mentionnée au billet[3], qu'on négociait ensuite comme
on pouvait. Le
surintendant n'était pas un comptable. A proprement parler, il n'avait pas
plus de bureaux qu'il n'existait alors d'hôtels ministériels. Cependant une
fonction si importante exigeait un service d'écritures, et le Trésor payait
un certain nombre d'employés[4] ; mais c'était le titulaire de
la commission de l'Épargne qui ouvrait un registre portant d'un côté les fonds, objet des assignations, et de l'autre, les ordonnances qui, une
fois délivrées et assignées, entrainaient la consommation de ces fonds[5]. Dans cet agenda, servant entre
le ministre et le Roi, on énonçait souvent plus au long la cause de certaines
dépenses libellées sommairement dans les ordonnances, afin d'assurer le
secret de l'État. Jusqu'alors,
les surintendants avaient été maitres du choix de ce premier commis[6]. Bien que Servien et Foucquet
eussent été nommés conjointement et sans distinction de pouvoir ni d'exercice[7], Servien, par l'âge, par
l'ancienneté dans le ministère comme par la confiance du Cardinal, avait le
pas, la parole et la plume[8]. Ce fut donc lui qui nomma
commis M. de Marandé, personne de son intimité[9]. Mais Mazarin laissa entendre
qu'il voulait mettre en cet emploi M. de Bordeaux, intendant des finances,
très avant dans la confiance du Cardinal. C'est à lui qu'à la mort de La
Vieuville la Reine régente voulait confier l'intérim, pour assurer le secret
des grandes affaires que le surintendant défunt
avait pu brasser avec Mazarin[10]. Le
vieux Servien, aussi défiant que le Cardinal, ne s'accommoda pas longtemps de
ce commis imposé. Il avait conçu quelques soupçons, et demanda la permission
de mettre un autre en sa place. Mazarin consentit au renvoi de Bordeaux, mais
désigna pour son successeur un sieur Herwarth. Barthélemy
Herwarth, né en France, de parents allemands qui exerçaient à Lyon le
commerce d'argent, après avoir passé son adolescence à Francfort, était venu
à Paris à la suite du duc Bernard de Saxe-Weimar, général des troupes
suédoises à la solde de Louis XIII (1639). Herwarth et son frère avancèrent d'abord les
subsides promis à ces alliés[11]. En février 1640, il rendit un
service plus considérable. Le duc se trouvait alors en Bourgogne et, mécontent
de Richelieu, était prêt à changer de parti ; toutefois, avant de se décider,
il envoya à Lyon chercher Herwarth, qui réussit à le détourner de son projet[12]. Le coup de maitre du financier
fut une avance de fonds qui, en 1649, enleva mieux qu'un coup de force, et
assura au Roi les troupes que Turenne allait mener au secours des frondeurs.
A partir de ce moment, il devint l'homme de confiance de Mazarin. Un peu plus
tard, la banqueroute de Cenami et de Cantarini, où l'Allemand et l'Italien se
trouvèrent engagés, réunit les intérêts particuliers de ces deux habiles
personnages[13]. Le
choix d'Herwarth n'était pas fait pour contenter Servien ; mais comme tous
les ministres de finances, il devait aller au plus pressé, c'est-à-dire
trouver de l'argent. Les caisses étaient vides, les besoins urgents. On ne
sait au juste qui eut, l'idée d'une opération sur les monnaies. Elle
fut, en tout cas, aussi productive qu'ingénieuse. Jadis,
dans les temps de pénurie, les gouvernements s'étaient avisés d'abaisser le
titre des monnaies et de 100 livres en faire 110 ou 120. En 1653, on s'y prit
tout autrement. Un édit fut publié qui décria les pistoles d'or, les
réduisant de 12 livres à 10, et la monnaie blanche à proportion. C'était
une perte du sixième pour les détenteurs d'espèces[14]. L'or et l'argent sortirent des
cachettes où on les renfermait depuis la banqueroute de 1648. Le
gazetier Loret a exposé la situation avec une verve plaisante : Chacun
épuize ses cassettes, Pour
aquiter ses vieilles debtes ; On
n'aperçoit de tous cotez Que
des sacs d'argent transportez ; Tel
en prend, tel autre en refuze, Aléguant
quelque fine excuse... Qui
vit jamais une merveille A
celle de ce temps pareille ? Jadis,
pour avoir de l'argent, Un
homme de bien, un sergent, Alloit
dire aux gens : Je vous somme De payer à Tel telle somme ; Il ne veut plus faire crédit. Et
maintenant, le sergent dit A
monsieur, à mademoizelle : .
Je vous somme et vous interpelle D'accepter
en argent comptant La
somme de tant et de tant, Dont
monsieur Tel, homme solvable, Maintient
vous être redevable[15]. Qui
n'avait pas de créanciers s'efforçait de trouver des emprunteurs. On se rapprocha
des traitants, qui, prêtant à gros intérêts au Roi, pouvaient perdre un peu
sur la valeur des espèces reçues. Colbert, alors intendant de Mazarin, ne
manqua pas l'occasion. Il se hâta de proposer à son patron, pour nous sauver de la perte du rabais des monnoies, de faire un prêt au Roi à 15
pour 100, avec assignation sur un bon fonds[16]. Le
gouvernement mena fort habilement l'entreprise. La réduction ne se fit qu'à
diverses périodes, de trois mois en trois mois, de juillet 1653 à septembre
1654[17]. C'était d'ailleurs un simple
expédient ; car, dès 1655, un autre édit porta qu'à partir du 1er février
1657, les monnaies seraient ramenées à l'ancien type. Grâce à
ce tour de finances, on encaissa le produit de 600.000 francs de rentes
aliénées, plus d'assez grosses sommes empruntées au taux de 6 pour 100 en
apparence, de 15 pour 100 en réalité. Qui prenait 6 livres de rente sur le
Roi devait bien verser 100 livres à l'Épargne ; mais le Roi lui faisait un
don, une remise ou escompte de 9 livres. On ne versait que 91 livres, partie
en vieux billets, et l'on en touchait toujours 6 d'intérêt. Ce sont ces
escomptes qui grossissent tant le chapitre si discuté des ordonnances de
comptant[18]. Donc,
tout était pour le mieux ; aussi les états de comptant des années 1653 et
1654 portent d'assez larges gratifications pour les principaux fonctionnaires
; le chancelier et le garde des sceaux touchèrent chacun 40.000 livres.
Foucquet et Servien reçurent à eux deux 28.000 livres de Sa Majesté, pour certaines considérations dont elle ne veult estre
faict mention, plus
20.000 livres, pour leur ameublement[19]. Il faut
dire, pour être juste, que les surintendants ne se cantonnèrent pas dans la
besogne de ministre aux abois. Servien et Foucquet étaient des hommes de
gouvernement et dignes à beaucoup de titres de la haute situation qu'ils
occupaient. On n'avait pas apuré de comptes depuis 1649. Ils ne se dérobèrent
pas à l'accomplissement de cette tâche ingrate[20]. Parmi les dépenses qu'ils
durent enregistrer, plus d'une leur rappela de pénibles souvenirs, comme tous
ces remboursements faits à Condé, leur allié en 1648, leur ennemi à cette heure
et la cause, par ses entreprises militaires, de leurs ennuis. Des frondeurs
même présentaient leurs notes de frais. Dans tous les siècles, en France — est-ce
un bien ? est-ce un mal ? — on a oublié vite les dissentiments politiques. En
août 1654, mourut le vieux Broussel, le héros des barricades. Personne n'y
prit garde. Son fils, ex-gouverneur de la Bastille, fut reçu conseiller au
Parlement en survivance de son père, sans difficulté[21]. Il avait même obtenu une
récompense. Servien
et Foucquet essayèrent de mettre un terme aux réclamations en arrêtant les
comptes. Ils travaillèrent également pour l'avenir. En 1654, deux édits
parurent, apportant des améliorations importantes au régime de perception de
la taille. Le nombre des percepteurs ou collecteurs fut réduit, et un
contrôle de leurs actes institué. L'édit de décembre 1654 est
particulièrement digne de remarque. Depuis bientôt deux siècles, on
connaissait l'imprimerie ; l'administration se décida enfin à s'en servir
pour la confection des quittances. La forme en fut arrêtée, et pour le cas où
ni le receveur ni l'imposé n'eussent su écrire, on s'en remit au curé de la
paroisse. De là au livre à souche, dernier terme des moyens de contrôle, il
n'y avait qu'un pas[22]. Pendant
quelque temps, Mazarin, tout à ses entreprises militaires, trouva que les
affaires de finances marchaient assez bien. Herwarth était son homme, l'intime
de Colbert[23], très utile à la bonne
liquidation de Cantarini. Ce failli, bon gré, mal gré, avait dû remettre 1.312.770
livres en billets de l'Épargne ou ordonnances et 508.333 livres en
assignations, pour l'affaire de Mantoue. Cenami avait dû également lâcher
650.000 livres de billets en nantissement. Ces effets, de peu de valeur pour
bien des gens, prenaient un tout autre prix entre certaines mains. Le
Cardinal était aussi très content de Servien, qui donnait audience pendant
des heures entières à Colbert[24]. Quant à Foucquet, Mazarin le
comblait d'éloges, directs et indirects[25]. Les temps faciles étaient
revenus ; la bonne humeur avec eux. Rien ne
dure. Servien
était vieux, attaché à son sens. Il prétendit avoir seul qualité pour
assigner les fonds ; son jeune collègue soutenait au contraire que ce n'était
pas là une prérogative de son ancien ; que l'assignation pouvait être faite
indifféremment par l'un ou par l'autre, ou mieux par Herwarth. Mazarin, pris
pour arbitre, décida que ni Servien ni Foucquet n'écriraient les fonds, mais
bien le seul Herwarth, homme de son secret
domestique. Foucquet
ne dit mot. Servien, plus directement touché, supporta ce règlement avec
beaucoup d'impatience. Il alléguait au Cardinal, qui le savait du reste, que
Herwarth, créancier de grandes sommes pour d'anciennes assignations, ne
pouvait être ainsi laissé maitre de toutes les finances. Sa raison principale
était bien curieuse : Herwarth, disait-il, écrivoit fort mal. Après avoir assigné devant M. Foucquet
et devant moi pour une ordonnance, un fonds qui ne valoit rien, et pris nos
signatures, il lui étoit facile de le changer. En d'autres termes, Servien disait que lui et son
collègue ayant, pour cause ou autre, signé quelque ordre de payement avec
l'arrière-pensée de ne point payer, le commis de l'Épargne pourrait altérer
leurs intentions et rendre effectif cet ordre qui devait rester un leurre[26]. Vers la
fin de septembre, Mazarin convoqua les trois rivaux, Servien, Foucquet,
Herwarth, non pour les mettre d'accord sur leurs différends, mais pour les
inviter de songer à une nécessité plus urgente. Grâce à la facilité
d'emprunter, on avait consommé d'avance les revenus de 1655 et de 1656 et toutes les affaires dont on avoit pu s'aviser. Les capitalistes, faisant réflexion sur la banqueroute de 1648, songeaient à retirer leur
argent. Que faire ? manger 1657, suivant l'expression du temps ? Personne ne
voulait escompter de si lointaines espérances. Se passer des préteurs ? Loger
les troupes dans les provinces, pour y consommer les tailles ? C'était
manquer de parole aux gens d'affaires qui avaient avancé la valeur de la
taille et du taillon. Le Cardinal supplia ses collaborateurs de faire un
effort, de s'engager en leur particulier. Il emprunta lui-même en son nom.
Les trois ministres et leurs commis réunirent quelques sommes, bientôt
consommées, tant les dépenses ordinaires et extraordinaires s'accumulaient
tous les jours. On se
trouva de nouveau à sec et, qui pis est, avec un crédit épuisé. Cependant,
les gardes-françaises criaient, les Suisses, à leur habitude, menaçaient de
se retirer ; on n'obtenait plus rien des pourvoyeurs de la maison du Roi[27]. Nouveaux
conciliabules. Le Cardinal proposa plusieurs fois de toucher aux rentes et de
faire une nouvelle banqueroute. Ul n'aimait pas ces rentiers qui prélevaient
le plus net de l'impôt. Tout récemment, en juin 1654, excité par Colbert, il
avait proféré contre eux et contre le Parlement, leur défenseur, de violentes
paroles[28]. Changeant
de tactique, il supplia les créanciers de prendre patience ; il assembla les
traitants, les menaça de leur ôter leurs assignations. Vaines menaces. Il
leur demande alors d'aviser au moins à quelque expédient. Tout cela ne produisoit rien, sinon que plus on paroissoit
alarmé, plus on publioit le mal et plus les bourses se fermoient. A la fin de novembre, tout
était à la veille d'une confusion plus grande
que jamais. Le
Cardinal ne s'entêtait guère sur une idée préconçue. Au
fond, il préférait Servien à Foucquet[29], mais réglant son affection
pour les hommes sur la mesure des services qu'il pouvait en tirer, il ne se
dissimulait pas combien le jeune procureur général, le parent et l'allié des
riches familles des Maupeou et des Castille, avec son esprit simple et son
imagination féconde, son discours aimable et ses paroles engageantes, était
plus propre au rôle de surintendant emprunteur que Servien, vieux, égoïste,
hésitant, ne montrant qu'un front négatif[30]. En décembre, il prit à part Foucquet
et lui dit en confidence que Servien ne répondait nullement à son attente. Avec
lui, pas d'argent, pas de crédit ; par contre, de grands projets de guerre au
printemps. C'étoit chose cruelle de n'avoir
aucune ressource devant soi. Foucquet
répondit avec à-propos. Il n'estimoit pas que
les choses fussent si désespérées ni la subsistance de l'État impossible :
sans doute, il ne s'étoit pas beaucoup appliqué aux emprunts parce que le
Ministre n'avoit pas semblé le désirer, parce qu'aussi M. Servien n'étoit pas
d'humeur à s'accommoder aux pensées d'autrui. La vérité, c'est que cette
conduite n'étoit pas bonne, qu'on avoit tenue jusqu'alors. Le meilleur moyen
étoit d'en prendre une tout oppoée : ne manquer jamais de parole, pour
quelque intérest que ce fût, mais ramener les personnes à la raison par
douceur et de leur consentement ; ne menacer jamais de banqueroute, et ne
parler de celle de 1648 qu'avec horreur, pour la détester comme la cause des
désordres de l'État, afin qu'il ne pùt tomber en la pensée qu'on fût capable d'en
faire une seconde ; ne toucher jamais aux rentes ni aux gages, et n'en pas
laisser prendre le soupçon, afin que lu tranquillité et l'affection, qui est
une autre source de crédit, ne fût jamais altérée : ne point tant parler de
taxes sur les gens d'affaires, les flatter, et au lieu de leur disputer des
intérests et profits légitimes, leur faire des gratifications et des
indemnitez de bonne foy, quand ils avoient secouru à propos. Le principal
secret en un mot estoit de leur donner à gagner ; estant la seule raison qui
fait que l'on veut bien courir quelque risque. Mais surtout, s'établir la
réputation d'une seureté de paroles si inviolable, qu'on ne croye pas méme
courre aucun danger[31]. Mazarin
écouta cet exposé, prit plusieurs jours pour réfléchir, tant la théorie était
neuve et en contradiction avec la pratique. Puis, en forme d'acquiescement,
il pria Foucquet de prendre soin de tout et qu'il dirait à Servien de le
laisser agir. Foucquet lui fit entendre qu'il serait importuné tous les jours
de leurs différends, qu'il valait mieux déterminer les attributions de
chacun, ce qui fut fait par le règlement du 24 décembre 1654, qu'on publia
solennellement. Mazarin
avait un très grand souci de l'opinion. Les considérations banales sur la
volonté de Sa Majesté de diminuer les charges du peuple ne manquèrent donc
pas. Le Roi
avait chargé de l'administration de ses finances deux hommes d'une capacité singulière, dont la mission était de
pourvoir tant au recouvrement des fonds de
deniers, dont Sa Majesté auroit besoin en son Épargne, qu'au retranchement de
toutes les dépenses qui ne seroient pas absolument nécessaires. Mais elle avait reconnu que
chacun de ces emplois requérait l'application
entière d'une seule personne. En conséquence, et tant que la
guerre durera,
Servien prendra soin d'ordonner des fonds de toutes les dépenses, donnera les
assignations, et Foucquet signera sans difficulté les ordonnances, même
celles de comptant, après qu'elles seront
signées dudit sieur Servien. Quant à Foucquet, il pourveoira
au recouvrement des fonds, fera compter les fermiers et les traitants, leur
allouant en dépense tout ce qu'ils auront payé en vertu des quittances et
billets de l'Épargne...
il arrestera aussi tous traités, prêts et
avances, examinera les propositions de toutes affaires qui se présenteront,
et le sieur Servien signera sans difficulté les Estats, Comptes, Baux à
ferme, Arrêts et autres expéditions qui seront à faire en conséquence s des
pouvoirs ci-dessus donnés à son collègue[32]. C'est alors, à proprement parler, que commença la surintendance effective de Nicolas Foucquet. |
[1]
Cf. KERVILER, Abel
Servien..., p. 176.
[2]
FOUCQUET, Défenses,
t. V, p. 174 ; PELLISSON,
Second discours au Roy, Œuvres diverses, t. II, p. 144.
[3]
PELLISSON, loc.
cit., p. 145.
[4]
Bibl. nat., ms. V° de Colbert, vol. 106. État des finances payées pour le
quartier de janvier 1653.
[5]
FOUCQUET, Défenses,
t. V, p. 231 ; t. VII, p. 213 ; PELLISON, Œuvres diverses, t. II, p. 122.
[6]
Pellisson dit le contraire, Œuvres diverses, t. II, p. 122 ; mais
Foucquet en savait plus long que Pellisson. Cf. Défenses, t. VII, p.
216. L'assertion de Foucquet est confirmée par Conrart, Mémoires, p.610,
où il raconte comment d'Emery s'y prit pour faire nommer Guérapin à cet emploi.
[7]
FOUCQUET, Défenses,
t. VI, p. 8 (production de M. Talon).
[8]
FOUCQUET, Défenses,
t. VI, p. 9 (production de M. Talon) ; Défenses, t. V, p. 56 et suiv.
[9]
Défenses, t. V, p. 58. Marandé était maitre d'hôtel du Roi. Cf. DUBUISSON-AUBENAY, Journal,
t. I, p. 265 ; t. II, p. 330. Appendice. La charge (de
surintendant) fut donnée à M. d'Avaux et à lui (d'Émery) conjointement, et M.
d'Avaux eut le premier lieu, comme le plus ancien conseiller d'État. Par cette
raison, il devoit avoir le choix de l'emploi, c'est-à-dire de l'employé.
CONRART, Mémoires, p. 610.
[10]
COLBERT, Lettres
et Instructions, t. I, p. 199. Colbert répondit s qu'il ne s'était fait
aucune affaire dont il ne pût faire le rapport devant deux mille personnes
Foucquet (Défenses, t. V, p. 57) signale les prétentions de M. de
Bordeaux à la surintendance. Les lettres de Mazarin confirment l'assertion de
Foucquet.
[11]
G. DEPPING, Barthélemy
Herwarth, etc., extrait de la Revue historique (1879), consciencieux
travail, fait avec des matériaux jusque-là inconnus ou très dispersés.
[12]
Négociations de M. d'Herwarth avec le duc de Weimar et les troupes d'Allemagne
commandées par M. de Turenne, depuis 1640 jusqu'en 1650. Mémoire dressé par
Herwarth, Bibl. nat., fr., Joly de Fleury, 2520 ; Papiers de la Reynie, XXIII,
f° 39. Ce document parait avoir échappé aux recherches de M. G. Depping. En
juillet 1640, à la mort du duc Bernard, Herwarth rendit de grands services. En
1644, il prêta une somme considérable pour le siège de Philisbourg.
[13]
FOUCQUET, Défenses,
t. V, p. 58. Le 24 juillet 1654, Colbert annonce qu'il a contraint Cantarini à
partager ses effets entre ses débiteurs. Lettres et Instructions, t. 1,
p. 223.
[14]
CLÉMENT, Lettres
et Instructions de Colbert, t. VII, p. LXXV ; FOUCQUET, Défenses, t V, p. 59, 61.
[15]
LORET, La
Muze historique, du 26 septembre 1653, t. I, p. 413.
[16]
Lettre du 30 octobre 1653. Il avait 150 ou 200.000 livres à placer. Cf. CLÉMENT, Lettres et Instructions, t. II, introd., p. II, note.
[17]
Le Trésor tint compte à ses agents de la diminution décrétée par l'État. On
accorda à M. Guénégaud 42.349 livres, à raison de 932.000 livres qui se sont
trouvées à l'Épargne, fin décembre 1653, laquelle
somme il avoit empruntée par ordre de Sa Majesté sur son crédit pour faire les advances des despences des maisons royalles.
On donnait 10 sols par louis d'or et pistole d'Espagne, 5 sols par écu d'or, 3
sols par louis d'argent. Bibl. nat., ms, Colbert V°, vol. 106. Compte de
janvier 1654.
[18]
D'autres particuliers, même en leur donnant des fonds
à 15 pour 100 d'intérêt, ou avec des remboursements de vieilles dettes, au lieu
d'intérêts, fournissoient des sommes considérables. FOUCQUET, Défenses,
t. V, p. 61.
A l'appui de l'assertion de Foucquet, on peut citer,
entre beaucoup d'autres, un extrait des comptes de 1654, conservés par Colbert
: Au sieur Marigny, qui a faict prest au Roy de VIIc IIIIxx XIIII mille (794.000) livres, la somme de 119,100 livres à luy remise par Sa
Majesté pour les intérêts et advances et frais de recouvrement de ladite
somme,... ci cxix c livres. Bibl. nat., ms. Colbert, Vu, vol. 106. État
de janvier 1653.
[19]
Bibl. nat., ms. Colbert V°, vol. 106. Compte du quartier de janvier 1653,
arrêté le 29 mai 1653.
[20]
Bibl. nit., ms. N° 108, Colbert V°, loc. cit.
[21]
GUY-PATIN, Lettres,
t. I, p. 242.
[22]
Édit de mars 1654, vérifié le 9 mars 1854. Édit de décembre 1654, vérifié le 20
mars 1655. Cf. Code des tailles, t. I, p. 445. Il
sera par nous commis une personne qui fera imprimer les dictes quittances...
qui seront paraphées 'dudit commis et par lui déposées entre les mains du
Greffier de l'Election, qui les remettra aux collecteurs. Ibid.,
p. 453. Sully avait créé des modèles d'états de finances. Ce serait un travail
Lien curieux que celui qui donnerait le formulaire des administrations
financières françaises depuis le quinzième siècle.
[23]
Votre Éminence le doit considérer particulièrement,
puisqu'il contribue au bien de ses affaires autant qu'il est en son pouvoir.
Colbert à Mazarin, 22 août 1654. Lettres et Instructions, t. I, p. 227.
Les comptes Cantarini et Cenami sont donnés dans une lettre
du 28 juillet 1654. Ibid., p. 225. Remarquer les chiffres 770.333 qui indiquent
un compte par tiers, sans doute entre Cantarini, Cenami et Mazarin.
[24]
Colbert à Mazarin, 21 octobre 1653. Lettres et Instructions, t. I, p.
212. M. le procureur général (N. Foucquet) et vous (l'abbé Foucquet) estes fort bien icy ;
M. Servien n'y est pas mal. Lettre du 8 août 1654 d'tri secrétaire de
Mazarin à l'abbé Foucquet. Bibl. nat., me. fr. 23202, p. 130.
[25]
Cf. notamment lettres de Mazarin à l'abbé Foucquet, du 8 août 1654 et du 26
août 1654, de Péronne à N. Foucquet. Bibl. nat., ms. fr. 23202,. p. 316.
[26]
FOUCQUET, Défenses,
t. V, p. 60, 61.
[27]
FOUCQUET, Défenses,
t. V, p. 65. Nous n'admettons ces énonciations de Foucquet que collaborées par
des preuves. Voici une lettre du 20 juin 1654, écrite de Bethel par un
confident de Mazarin à l'abbé Foucquet :
Cette lettre vous sera remise
par le député du Rouergue, qui en a une de Son
Éminence pour les surintendants, pour escompter les propositions qu'il fait
pour l'exemption du quartier d'hiver prochain de sa province. Le député
offrait 100.000 livres contre un arrêt d'imposition de 130.000, dont le surplus sera pour les remises et les frais. — Et j'y
trouverai quelque chose pour moy, ajoute le correspondant de B.
Foucquet. Bibl. nat., ms. fr. 23202, p. 125.
[28]
Je voudrois que l'affaire des rentes s'accommodât en
la manière que le Roy le souhaite. S'ils prennent un prétexte pour ne rien
conclure, je vous asseure qu'ils s'y tromperont. Sa Majesté, quelque advantage
qu'elle puisse espérer pour ses armes sur la frontière, n'hésiteroit pas à retourner
à Paris se faire obéir. Mazarin à l'abbé Foucquet, Reims, 8 juin 1654.
Bibl. nat., ms. fr. 23202, p. 124. Cf. CLÉMENT, Lettres et Instructions, t. I,
p. 228. Au nom de Dieu, écrit Colbert, que (V. E.) demeure ferme dans la résolution qu'elle a prise
de châtier.
[29]
Son Éminence a pour lui (Servien) une estime toute
particulière. Boreel à
de Witt, 14 novembre 1653. Servien ne fait et ne dit
rien par lui-même. Ibid., Lettres de Witt, t. I, p.
60.
[30]
Le député de Rouergue est fort satisfait de vous et de M. le procureur général,
et fort peu de M. Servien. Lettre du 11 juillet 1655, écrite par un confident
de Mazarin à l'abbé Foucquet. Bibl. nat., ms. fr. 23202, p. 128.
[31]
FOUCQLET, Défenses,
t. V, p. 67.
[32]
Règlement du 24 décembre 1654. FOUCQLET, Défenses, t. V, p. 355.