Quand
Nicolas Foucquet vint au monde, en 1615, il était le troisième enfant, le
second fils de la famille. Lorsqu'il atteignit l'âge de sept ans, deux sœurs
et un frère le suivaient. De deux années l'une, le cercle autour de la table
de François Foucquet et de Marie de Maupeou s'agrandissait. Sur seize en tout
qui vinrent au monde, on en vit douze bien vivants, six garçons, six filles. Cette
bénédiction du ciel ne laissait pas d'imposer aux parents une lourde tâche, à
laquelle ils ne faillirent pas. Rien ne fut négligé de ce qui pouvait assurer
l'avenir de la génération nouvelle. De
bonne heure, Nicolas montra une intelligence vive, servie par une grande
facilité de travail. Fils d'un père très instruit, d'une mère très
méthodique, il n'eut pas à subir ces incertitudes de direction où se perdent
trop souvent les plus fécondes années de la jeunesse. Conformément
aux idées de sa famille, sou éducation fut confiée aux Jésuites. Le succès de
ces religieux comme instructeurs de l'enfance grandissait chaque jour. Les
élèves eux-mêmes, subissant le charme, aimaient ces maîtres qui les aimaient.
Sous cette merveilleuse influence, ils contractaient entre eux des amitiés
efficaces et durables. Nicolas Foucquet trouva au collège de Clermont des camarades
comme Gossart, qui ne l'abandonnèrent jamais, des maîtres comme René Rapin,
qui firent son éloge et celui des siens aux heures obscurcies par l'infortune.
Il est juste de dire que, devenu puissant et riche, il n'oublia ni ses
maîtres ni ses amis, et qu'il leur donna des preuves magnifiques de sa
reconnaissance. Le
jeune Nicolas occupait une chambre dépendant du collège ; un précepteur y
habitait avec lui. On obtenait ainsi tous les avantages de l'éducation en
commun, sans courir les chances d'une promiscuité dangereuse[1]. L'adolescent, rentrant dans sa
famille, y trouvait un heureux complément d'éducation. C'était son père, mêlé
à toutes les grandes affaires de son temps, revenant tantôt de Nantes avec le
tragique récit de la condamnation de Chalais, tantôt de Suisse avec la
narration de son ambassade. A certains jours, d'Esnambuc décrivait les
merveilles des Antilles, ses capitaines apportaient des objets précieux et
rares. La bibliothèque paternelle, pleine de livres sérieux, était embellie
par de nombreuses curiosités. On y voyait deux beaux globes, l'un céleste,
l'autre terrestre, des médailles antiques, une barque des sauvages du Canada[2], et tout à côté le logis était
la fidèle image de son propriétaire, à certaines heures magistrat sévère, à
certaines autres, amateur d'art, passant de l'audience du conseil à la
commission chargée d'établir à Paris la première fabrique de tapisseries de
haute lice. Quelque autre jour, le grand-père maternel, le vieux Maupeou,
n'était pas sans raconter ses luttes contre les ligueurs, luttes où le
grand-père paternel de Nicolas avait perdu la vie ; ses travaux financiers
sous les ordres de Sully et du président Jeannin ; comment on peut remplir
les coffres de l'Épargne ; comment aussi ces coffres sont vidés par les
dépenses de la guerre ou par les prodigalités de la paix. Entre
le père et l'aïeul, la mère, Marie Foucquet, apparaît, bonne, active,
intelligente, résolue, vraie femme forte de l'Écriture. Au milieu des soins
prodigués à ses seize enfants, elle trouvait le temps de visiter les pauvres
et de pratiquer, sans ostentation, toutes les bonnes œuvres. Ces
puissantes impressions, à l'âge tendre où les reçut Nicolas Foucquet, ne
s'effacent jamais. Ces leçons, ces exemples étaient bien faits pour ouvrir au
jeune homme d'abord de grandes perspectives, puis les carrières les plus
diverses, administration, justice, finances, commerce ; et, de fait, on le
vit réussir dans toutes ces directions. Par bonheur pour lui, la famille
était si nombreuse et l'établissement de tant d'enfants constituait un si
gros problème à résoudre, qu'on n'avait pas de temps à perdre en projets
chimériques. L'aîné des garçons, celui qui portait le nom des ancêtres,
François, sujet également bien doué, fut de bonne heure destiné aux fonctions
civiles. Par suite, on songea à faire de son cadet, Nicolas, un homme
d'Église, d'autant plus qu'un arrière-grand-oncle, Isaac Foucquet, était
trésorier de Saint-Martin de Tours. Le 22 février 1631, Nicolas reçut la
tonsure ecclésiastique et fut pourvu du bénéfice de ce grand-oncle[3]. Il
était alors âgé de seize ans seulement. En droit, rien à dire. Nombre de
princes et de grands seigneurs bien plus jeunes possédaient des abbayes et
des évêchés. Au fond, l'abus était criant. Quoi qu'il en soit, Nicolas
n'entra pas plus avant dans la carrière ecclésiastique. Le 4 décembre de
cette même année 1631, son frère aîné François fut, comme on l'a dit, nommé
conseiller au Grand Conseil avec dispense d'âge, en considération des services du sieur Foucquet, son père. L'héritage du grand-oncle
permettait de faire quelques sacrifices en faveur du puîné, et, le 29
novembre, Nicolas était reçu avocat au Parlement die Paris. Par une
combinaison fréquente alors de nécessités financières et de vues politiques,
Richelieu avait résolu d'établir à Metz un Parlement chargé de rendre la
justice dans les Trois-Évêchés réunis à la patrie française. Le ministre
limitait ainsi la juridiction du Parlement de Paris, déjà trop importante à
son gré, et en même temps portait sur la frontière lorraine un corps
d'habiles procéduriers. La
force a souvent primé le droit ; mais en ce temps-là, les puissants tenaient
à se couvrir de l'apparence du droit. 11 plaisait à Richelieu d'employer à
Metz ces esprits discuteurs qui l'agaçaient à Paris. En outre, comme toutes
les charges nouvelles se vendaient, plus grand leur nombre, plus grosse la
recette. On multiplia donc le nombre des places. Un premier président à six
mille livres, six présidents à trois mille livres, quarante-six conseillers à
quinze cents livres, le reste à l'avenant, en tout cent six offices à vendre[4]. Toutefois,
vu la nouveauté du titre, l'éloignement du lieu, l'incertitude de l'avenir,
les amateurs étaient rares et réservés. C'étaient des offices dans les petits
prix, à la portée d'un père de douze enfants. L'édit
de création du nouveau Parlement est daté de janvier 1633. Le 14 mars de la
même année, Nicolas Foucquet, inscrit depuis plus d'un an sur le tableau des
avocats au Parlement de Paris, était nommé conseiller à Metz. Comme il devait
prendre des dispenses d'âge[5], il n'arriva qu'après
l'installation de la Cour, dont les débuts furent pénibles. Richelieu la
soumit au baptême du sang. Un sieur Alpheston, accusé de tentative ou plutôt
d'intention d'assassinat contre le Cardinal, fut condamné à mort et exécuté.
C'est au lendemain de cette tragédie que le second fils de François Foucquet
se présentait pour être installé dans sa charge. Le jeune Nicolas, soumis à
l'examen professionnel, se tira avec honneur de ces épreuves, et Antoine
Barillon de Morangis, dans un rapport au Roi, rendit hommage au talent dont
il avait fait preuve (24 septembre 1633). Ce magistrat, l'un de ceux qui avaient refusé de
condamner le maréchal de Marillac, était le parent de cet autre Barillon qui
devait, quelques années plus tard, mourir prisonnier dans la citadelle de
Pignerol. Cet
éloge adressé à un jeune homme à peine âgé de dix-huit ans, admis grâce à des
dispenses, pourrait faire croire à quelque complaisance d'un ami de la
famille si des preuves irrécusables ne nous étaient restées de la capacité
réelle de Foucquet. Il reçut mission, avec son collègue Marescot,
d'inventorier les papiers du Trésor de la chancellerie de Vic[6], où se conservaient tous les
titres du temporel de l'évêché de Metz. Richelieu chargeait ses jeunes
feudistes de voir si le duc de Lorraine n'avait pas empiété sur le domaine du
Roi[7]. Le
travail ne laissait pas de présenter des difficultés. Certaines lavettes,
notamment la layette A, renfermaient des pièces remontant à l'année 1254,
dont la lecture exigeait des connaissances paléographiques assez étendues. Il
n'existait pas alors d'École des chartes, et les jeunes gens avaient dû
apprendre spontanément à lire les anciens actes. D'après l'inventaire qu'il
dressa et d'après les cotes des pièces inventoriées, Nicolas s'acquitta
parfaitement de sa tâche. Toute personne qui, relevant jadis de l'évêché,
n'en reconnaissait plus la suzeraineté, fut soigneusement notée et signalée à
Richelieu[8]. On aime
à voir ces magistrats, à peine sortis de l'école, rechercher les moyens
d'étendre la puissance de leur patrie ; mais dès lors apparaît un défaut de
notre race française, l'ignorance des langues étrangères. Nicolas Foucquet et
son collègue Marescot, très versés dans la connaissance du grec et du latin,
ne savaient pas l'allemand, et tous les actes écrits en cette langue
restaient fermés à leurs investigations. Il fallut que, par lettres patentes de
mai 1634, on leur adjoignît Jean
Frenschemins, natif de Worms, interprète en langue germaine[9], celui-là même qui composa plus
tard les Suppléments à Tite-Live. Richelieu
n'attendit pas l'achèvement des travaux de ses légistes. Alléguant l'attitude
défiante du duc de Lorraine, il envahit le duché, en occupa la capitale, se
réservant de prouver son droit plus tard. Par suite, on détacha du Parlement
de Metz un nombre suffisant de magistrats pour composer à Nancy un conseil
souverain, dont Nicolas Foucquet fit partie[10] (16 septembre 1634). Il
convient de ne rien exagérer. Cependant, il faut remarquer la puissance
d'activité, de travail, d'intelligence déployée par ce conseiller de vingt
ans, envoyé loin des siens 'dans un pays reconquis. Ceux qui plus tard
scrutèrent le passé de Nicolas Foucquet prétendirent qu'il avait dès ce
temps-là révélé son tempérament magnifique et, selon eux, prodigue. Il avait un
train de maison, tenait une table ouverte, où s'étalaient de nombreux plats
d'argent ; il donnait aux dames le régal des violons. Son parent, le Jésuite
de Champ-neufs, dut venir en aide à ce Lucullus précoce[11]. Si l'anecdote est véritable,
et, encore une fois, elle est rapportée par un ennemi, on y trouve bien des
compensations. On voit Nicolas, profitant de l'heureuse liberté de la
jeunesse, voyager pour s'instruire et pousser jusqu'à Francfort, où se
trouvait alors M. de t'enquières. Il avait cet avantage inappréciable de
débuter dans la vie publique sous les yeux d'un ministre qui observait tout,
le détail comme l'ensemble. Richelieu, en effet, conduisit le Roi eu Lorraine
et le fit entrer dans Nancy par une brèche ouverte d'abord à coups de canon,
élargie ensuite jusqu'au démantèlement de la place par les habiles procédures
du conseil souverain. C'était
un premier pas vers la conquête ; mais le Cardinal n'ignorait pas qu'il en
avait à faire de plus grands et sur un terrain plus difficile. En 1635, il
déclarait à la Maison d'Autriche une guerre par lui préparée depuis près de
vingt ans. Il avait mis sur pied plus de deux cent mille fantassins, plus de
trente mille cavaliers[12], réunion de forces inouïe pour
le temps ; mais, grand politique, médiocre financier, il était dès le premier
jour réduit aux expédients pour assurer l'entretien de ses troupes. Le 20
décembre 1635, le Roi tint au Parlement de Paris un lit de justice. Le
chancelier Séguier, tout fraichement installé, exposa, après les longs
compliments d'usage, la nécessité de l'État et les besoins d'argent. Suivait
un édit de création de charges dans toutes les juridictions du royaume. Leur
vente donnerait au Roi les ressources nécessaires, sans incommodité pour le
peuple. Le Parlement non plus n'avait rien à craindre de ces créations
nouvelles. Si on augmentait le nombre des magistrats capables en une telle
Compagnie, c'était pour les disperser après
et y choisir les chefs des autres Cours souveraines de ce royaume. Le président répondit par des
paroles évasives. Ce fut, chose remarquable, un des gens du Roi, l'avocat
général Bignou, un Angevin, qui critiqua l'édit et ces multiplications
d'offices, où il voyait une cause certaine d'affaiblissement pour la
magistrature[13]. Il n'en conclut pas moins à
l'entérinement des lettres de création. Richelieu n'en demandait pas
davantage. Le Roi
et son ministre retirés, les parlementaires essayèrent un retour offensif.
Les conseillers des enquêtes réclamèrent la réunion des Chambres, afin
d'examiner ces édits, que la Compagnie avait
vérifiés sans les entendre.
Le Roi, rappelant une ordonnance de Henri IV, qui réservait à la seule
grand'chambre la connaissance des affaires publiques, interdit la réunion.
Puis, comme les jeunes conseillers s'obstinaient dans leurs projets de
résistance, le Cardinal fit arrêter ou exiler six d'entre eux. Le frère de ce
Barillon[14], conseiller à Metz, qui avait
si bien reçu Nicolas Foucquet, fut d'abord emprisonné dans le château
d'Angers et de là transféré à Pignerol, où il mourut. Il marquait la route
pour un jeune collègue qui ne se doutait pas alors du sort semblable qui
l'attendait. Le père
de Nicolas, homme entièrement gouvernemental, n'avait jamais douté de l'issue
de la lutte engagée ; il y vit une bonne occasion de pousser un de ses fils
en avant. En effet, entre les offices nouvellement créés, il s'en trouvait
huit de maîtres des requêtes. Comme on achetait toujours à meilleur marché du
Roi que des particuliers, dès le 12 janvier 1636, François faisait pourvoir
son fils Nicolas d'une de ces charges, et le 1er février, l'ex-conseiller au
Parlement de Metz était nommé maître des requêtes[15]. Nicolas prêta serment entre
les mains du chancelier Séguier, qui, vingt-neuf ans plus tard, devait voter
sa condamnation à mort. Foucquet
entrait dès lors, comme son père, dans la vie politique ; car les fonctions
de maître des requêtes n'étaient pas seulement judiciaires. Par sa famille,
par son éducation, par nécessité de fortune, il était pour ainsi dire voué au
principe d'autorité. Il devait sa charge même à un coup d'autorité. C'est
sous ces auspices qu'il se présenta, c'est ainsi qu'il reçut cette marque
originelle qui ne s'efface jamais. Richelieu
n'aimait pas à se mettre en même temps trop d'affaires sur les bras. Après
avoir proclamé que le Parlement ne possédait d'autre pouvoir que celui de
rendre la justice, le Cardinal ménagea une paix boiteuse où tous les
principes furent réservés. Nicolas
Foucquet avait dû obtenir une seconde fois des dispenses d'âge. 11 entrait à
peine dans sa vingt et unième année, et, aux termes de lettres patentes de
Henri IV, en date du 5 février 1598, les maîtres des requêtes devaient avoir
au moins trente-deux ans. Ce roi soldat considérait ces fonctionnaires comme
des magistrats à cheval, prêts à passer des charges sédentaires dans un
service actif. Cependant, la juridiction qui leur était attribuée comportait
un assez grand travail à Paris. Aux
requêtes de l'Hôtel, ils jugeaient de toutes contestations d'offices, par
exemple, entre un conseiller ayant vendu sa charge et tel autre qui l'avait
achetée. En vertu d'un droit ancien, quatre d'entre eux siégeaient au
Parlement et faisaient partie de ce corps privilégié. Juges
civils pendant trois mois, ils étaient pendant trois autres mois juges
administratifs. Les conseils du Roi ne possédaient pas encore une
organisation très précise, et les dénominations étaient aussi confuses que
les attributions. Membres du conseil privé et d'État, les conseillers
ordinaires du 'loi tenaient certaines assemblées plus spécialement connues
sous le nom de conseil des parties ou de conseil des finances, qu'on peut
comparer aux sections du contentieux et des finances dans notre Conseil
d'État actuel. Les particuliers demandant décharge d'impôts, ou plaidant avec
des traitants et des partisans, s'adressaient au conseil des parties. Là, les
maîtres des requêtes, saisis de l'affaire, en délibéraient entre eux et en
présentaient le rapport, à titre purement consultatif. Ils agissaient de même
en matière de cassation d'arrêts de Parlements, de procès évoqués au Grand
Conseil. On leur reconnaissait également les attributions consultatives en
matière de finances[16]. En somme, ces jeunes gens
étaient placés à souhait pour apprendre le droit et se former au maniement
des affaires publiques. Les
registres d'audience montrent Nicolas Foucquet très assidu aux séances[17]. Des conclusions écrites de sa
main prouvent son savoir précoce et sou intelligence. Comme à
raison du trop grand nombre des offices, on n'avait pas assez de travail à
donner à tous les titulaires, et comme les maîtres des requêtes n'étaient en
emploi que six mois de l'année, François Foucquet associa son fils à ses
occupations commerciales et maritimes. Ce digne homme, dit un contemporain,
conservait beaucoup d'illusions[18]. Il voulait coloniser en
évangélisant. Arrivé
à la cinquantaine, il sentit le besoin du repos. Comme tous les hommes que
leurs occupations retiennent à la ville, il voulut avoir sa maison des
champs. Ce goût des Parisiens pour les propriétés rurales, très prononcé vers
le milieu du seizième siècle, arrêté un moment par les guerres de religion,
avait reparu plus vif que jamais avec le retour de la paix et l'avènement des
Bourbons. Les environs de Paris étaient envahis, et les gens modestes
devaient déjà dépasser la banlieue. François Foucquet acheta un petit domaine
appelé Vaux, dépendant de la paroisse de Maincy. Ce qui l'attira fut sans
doute le voisinage de Melun, où il possédait des droits de vicomté. Il parait
avoir gardé Vaux comme il le trouva, sans vouloir planter, pas même bâtir. Il
restait simple, songeant à sa nombreuse famille. Le dernier garçon, Gilles,
né en 1635, âgé de cinq ans à peine, était de vingt-cinq ans plus jeune que
son frère aîné. Il est vrai que des six filles, trois avaient déjà quitté la
maison paternelle pour entrer au couvent de la Visitation[19], et cela sans aucune pression.
Un souffle religieux traversait la maison. L'aîné des garçons, François
Foucquet, devant qui s'ouvraient toutes les carrières mondaines,
successivement conseiller au Grand Conseil (I"' septembre 1632), puis au
Parlement de Paris, était entré dans les Ordres. En 1637, à peine âgé de
vingt-six ans, il fut nommé par le Roi évêque de Bayonne. Si l'expédition de
ses bulles en Cour de Rome se fit attendre longtemps, l'unique cause en doit
être attribuée à la mésintelligence qui existait alors entre le Pape et
Richelieu. Le jeune prêtre lui-même refusait cet honneur, et ne se laissa
vaincre qu'à de vives sollicitations[20]. Enfin, le 25 mars 1639, il fut
sacré dans l'église du Grand-Jésus de la rue Saint-Antoine, par Claude de
Bueil, évêque d'Angers, assisté de J. de Sponde, évêque de Pamiers, et
d'Adhémar de Monteil de Grignan, évêque de Saint-Paul-Trois-Châteaux. Un
grand nombre d'autres prélats se rendirent à cette cérémonie, point culminant
de la fortune de François Foucquet père. L'année
suivante, toutefois, ce bonhomme éprouva encore une satisfaction bien vive.
Son second fils, Nicolas, devenu en quelque sorte l'aîné, se maria. Cette
alliance se fit grâce aux excellentes relations que les Foucquet de Paris
conservaient avec leurs parents de Bretagne. Nicolas avait négocié
l'acquisition pour son cousin Chalain de la charge de procureur général au
Parlement de Metz[21]. En retour, un autre Chalain,
président au Parlement de Rennes, lui fit épouser Louise, fille mineure et unique héritière de feu messire Mathieu
Fourché, sieur de Quéhillac, en son vivant conseiller à la même Cour, et de
dame Bourriau. Très
belle parenté : un conseiller du Roi, maitre des comptes, un grand
archidiacre, chanoine et official de Nantes. Très grande fortune : la future
recevait en dot 160.000 livres. De leur côté, les Foucquet faisaient don au
marié de l'office de maitre des requêtes,
estimé 150.000 livres, et de 4.000 livres de rente au denier dix-huit. Cet ensemble d'apports et de
dons nuptiaux constituait une fortune représentant environ deux millions
d'aujourd'hui. Le
mariage fut célébré à Nantes dans les premiers mois de l'année 1640. Ni le
père ni la mère de Nicolas n'y assistèrent. Presque à l'heure on son fils se
mariait, François Foucquet, malade à Paris, écrivait son testament (20 février 1640). S'il vit sa bru, ce ne fut que
pour peu de temps, puisqu'il mourut le 2 avril suivant[22]. I Plusieurs
passages de ce testament méritent d'être rapportés. XVIII septembre † VIe XL. Au nom du Père et du Fils et du
Saint-Esprit[23]. Un seul Dieu que j'adore. Je
François Foucquet, misérable pécheur, ay escript de ma main ce mémoire de ma
dernière volonté pour servir de testament. Premièrement,
je désire estre mis en terre sans aucune cérémonie ne tentures de drap de dueil,
soit en l'église, soit en la maison, et que mon corps soit accompagné
seulement des prebstres de la paroisse en laquelle je décéderai, lorsqu'il
sera porté en terre. Je
désire estre enterré au monastère de la Visitation Sainte-Marie à Paris, me
promettant de la charité des bonnes religieuses de la maison qu'elles
l'auront agréable, et qu'elles prieront la divine Majesté pour la rémission
de mes péchés Je
prie M. l'Évesque de Bayonne, mon fils aisné, d'avoir soin que ses frères et
sœurs vivent en la crainte de Dieu et en union, et qu'il prie Dieu pour moy
touttes les fois qu'il célébrera la sainte messe, ce que j'espère de sa
piété. Ayant
beaucoup adventagé mon fils Nicolas, maître des requestes, par son contract
de mariage, je me promets qu'il aura un soin très-particulier d'assister sa
mère en la conduitte de ses affaires, et qu'il servira de père à ses frères
et sœurs en la conduitte de leurs personnes et de leur bien. Je luy donne
nies livres et antiquités, qui ne seroient considérables s'ilz estoient
partagés. Je
prie ma femme de prendre soin de l'exécution de ce même testament, et d'envoyer,
aussytost que je seray décédé, aux Chartreux et aux Carmes réformés les
advertir de prier Dieu pour moi, puisqu'ilz m'ont faict la grâce de
m'admettre à la participation de leurs sainctes prières et bonnes œuvres,
dont il les faudra advertir ; je la prie aussy d'envoyer au plus tost aux
Bernardins et aux Bénédictins réformés qui sont aux Blancz-Manteaux, aux
Pères Jesuites et à Sainte-Marie, pour les advertir de prier Dieu pour moy. Suivant
son vœu bien légitime, le défunt fut inhumé dans une des chapelles de
l'église de la Visitation, où plusieurs de ses filles étaient religieuses.
Sur une modeste plaque de plomb, on grava l'inscription suivante : Cy gist le corps de M. François Foucquet, vivant
chevalier, conseiller ordinaire du Roy en son Conseil d'Estat, lequel décéda
le XXIe' jour d'avril 1640, aagé de 53 ans[24]. Les funérailles ne présentèrent pas le caractère de simplicité commandé par le testateur, puisqu'elles coûtèrent plus de 4.000 livres, environ 20.000 francs de nos jours[25]. La famille fit de grandes dépenses pour l'aménagement de la chapelle. Sur une dalle funéraire, une inscription pompeuse fut gravée, avec les armoiries de Foucquet et celles de toutes les familles parentes ou alliées[26]. On y racontait la vie du conseiller, non pas tout entière sans doute. Très laborieuse, très remplie d'œuvres utiles et de bonnes œuvres, elle n'était pas restée exempte de faiblesses. La plus regrettable fut cette soumission aveugle du fonctionnaire aux ordres même injustes de ses supérieurs. Les commissions de justice extraordinaire, véritable négation de la justice, l'avaient pris à ce point qu'il mourut président de la Chambre permanente établie à l'Arsenal. Ses héritiers trouèrent même de ce chef une année ou deux de gages non touchés qu'ils réclamèrent et se partagèrent, funeste avoir qu'il dit mieux valu pour eux ne pas recueillir dans la succession paternelle. |
[1]
On a l'Inventaire des meubles de la chambre occupée par G. Foucquet, l'un des
fils mineurs de F. Foucquet. (Étude de Me Lefebvre, notaire à Paris.)
[2]
En l'allée de la maison, un petit bateau d'escosse de
buis de Canada, prisé 6 livres.
Deux gros globes céleste et
terrestre montés, prisés 100 livres.
(Inventaire des meubles de Fr. Foucquet en 1640. Étude
Lefebvre.)
[3]
Nomination faite par le Roy, le 22 janvier 1631, à Paris, de la personne de
Nicolas Foucquet, clerc tonsuré du diocèse de Paris, à la dignité de trésorier
de Saint-Martin de Tours, sur la résignation de son oncle, Isaac Foucquet, sr
de Lourney, conseiller aumônier de Sa Majesté. Contresigné Louis de Loménie.
(Bibl. nat., Cabinet des titres, Pièces originales, dossier Foucquet, p.
387-396.) Isaac, grand-oncle de Nicolas Foucquet, était fils de François
Foucquet et de Lézine Cupif. Il dut mourir vers le commencement de 1636. 21
mars 1636, inventaire, après le décès, des meubles d'Isaac Foucquet. — 1er
décembre 1636, partage de la succession dudit. (Inventaire déjà cité.)
[4]
Mercure françois, t. XVIII, p. 948 ; Histoire de Metz, par les
Bénédictins, t. III, p. 255.
[5]
Em. MICHEL, Biographie
du Parlement de Metz, t. I, p. 49 et 50. Les provisions de l'office de
conseiller au Parlement de Metz sont datées du 14 mars 1633 ; l'acte de
réception, du 24 septembre 1633. Bibl. nat., Cabinet des titres.
[6]
Bibl. nat., ms. fr. 18910, f° 1.
[7]
LEVASSOR (Histoire
de Louis XIII), avec sa lourdeur d'esprit ordinaire, ne veut voir qu'un
prétexte dans ce motif, énoncé tout au long dans les lettres de création du
Parlement. Richelieu agissait à l'allemande et invoquait le droit historique,
quand il croyait utile de le faire.
[8]
Bibl. nat., ins. fr. 18910, f° 2. Analyse de la layette A, pièce 17. CF. deux
autres exemplaires, même Bibliothèque, fonds français, n° 4467 et 482.
[9]
Bibl. nat., fonds français 18910, f° 2 ; ms. fonds français 4467, f° 557.
[10]
Mercure françois, t. XX, p. 152, 192.
[11]
L'homme de conscience au Roy sur le subject de plusieurs libelles qui ont
esté mis au jour pour la justification de M. Foucquet. Je cite ce factum
d'après une copie manuscrite conservée à la Bibl. nat., ms. f. 10728, f° 94.
[12]
GIRARD, Offices
de France, addition, p. XCII.
[13]
O. TALON, Mémoires,
p. 42, édit. Michaud.
[14]
SIRI, Memorie
recondite, t. VIII, p. 433.
[15]
Les lettres de nomination sont datées du 12 janvier 1636 ; celles de dispense
du 18 du même mois. Elles furent enregistrées le 1er février suivant.
[16]
Offices de France, p. 676 ; Estat de la France, 1648-49 ; Archives
curieuses de l'Histoire de France, 2e série, t. II, p. 439 ; Estat de la
France, 1663, t. p. 499.
[17]
Registres des audiences des requêtes ordinaires du Roi, Arch. nat., V, 1144,
1145, 1146.
[18]
DU TERTRE, t. I, p. 109.
[19]
8 juillet 1635, profession de Madeleine Foucquet, morte le 27 janvier 1676.
Arch. nat., t. I, 1718. — 27 avril 1636, Élisabeth-Augustine Foucquet, morte le
8 avril 1694, à soixante-quinze ans. Ibid.
[20]
Ms. de Veillet, chanoine de la cathédrale de Bayonne au dix-huitième siècle,
Bibl. municipale de Bayonne. Ce renseignement m'a été communiqué par M. l'abbé
Lasserre, secrétaire de Mgr Ducellier, évêque de Bayonne, à qui je suis heureux
d'adresser publiquement mes remerciements.
[21]
Convention entre Nicolas de Paris et Nicolas Foucquet, 23 avril 1638. Bibl.
nat., Cabinet des titres, dossier Foucquet, n° 31.
[22]
Contrat reçu par Haultdesens, notaire à Nantes, le 5 janvier 16V), ratifié à Paris
par le père et la mère de Nicolas Foucquet, le 10 janvier 1640. Minutes de
l'étude de Me Lefebvre, notaire à Paris.
[23]
Ce testament se trouve dans l'étude de Me Lefebvre. Il a été reçu par Cousinet.
Un extrait, provenant sans doute des papiers du convent de la Visitation,
existe aux Archives nationales, section histor., carton L, n° 1176. V. DELORT, Histoire de
la détention des philosophes, t. I, p. 34.
[24]
Cette inscription se voit au musée Carnavalet, ainsi que celle de Louis-Nicolas
Foucquet, fils du surintendant.
[25]
Inventaire dressé après la mort de Fr. Foucquet.
[26]
Estat de la France pour l'année 1657, p. 405.