NICOLAS FOUCQUET

PREMIÈRE PARTIE

 

CHAPITRE IV. — SUITE DE LA VIE DE FR. FOUCQUET, PÈRE DE NICOLAS.

IL DEVIENT L'HOMME DE CONFIANCE DE RICHELIEU, POUR LES AFFAIRES DE COMMERCE ET DE MARINE. - LA COMPAGNIE DES CENT ASSOCIÉS. - FRANÇOIS FOUCQUET, MEMBRE DES CHAMBRES DE JUSTICE RENDUES PERMANENTES. - CONTRASTE ENTRE SA VIE PUBLIQUE ET SA VIE PRIVÉE. - SES GOÛTS ARTISTIQUES ET LITTÉRAIRES (1626-1635)

 

 

Si François Foucquet avait fait partie de la sanglante commission de Nantes, ce n'était que par hasard et parce qu'il se trouvait sous la main. En réalité, le Cardinal l'avait emmené en Bretagne pour y mettre sur pied ses projets maritimes et commerciaux.

Cinq jours après le massacre de Chalais, Louis XIII tenait à Rennes un lit de justice. Il présentait à l'enregistrement un édit que toute la France recherche, que les étrangers craignent, dont l'exécution est seule capable de remettre le royaume dans son ancienne splendeur, l'édit de la Compagnie des Cent Associés.

Le siège social de la future société devait être établi à Morbihan, un des plus beaux ports du monde[1]. L'Anglais, l'Espagnol, le Hollandais tremblaient de peur à la seule menace de cette concurrence. On allait sans retard bâtir une ville, avec chantiers de construction, arsenaux, entrepôts. Les Associés en seraient les seigneurs ; ils y établiraient eux-mêmes leurs juges, avec appel, non au Parlement, par crainte des longueurs de la chicane, mais au conseil du Roi, où la justice étoit plus promptement administrée[2]. Ce dernier mot était de trop. Malgré les grandes considérations, malgré l'avis favorable des États de Bretagne[3] et les efforts des Foucquet, le Parlement refusa d'enregistrer un édit restrictif de sa juridiction. Puis, comme la peste sévissait, la Cour partit en toute hâte, et le grand projet des Cent Associés tomba dans l'eau.

On ne termina pas plus une négociation relative au rachat de Belle-Isle, qu'on eût facilement réuni au domaine royal. Les États offraient de payer le prix de l'acquisition, pourvu qu'on leur en laissât les revenus pendant trois ans. Le propriétaire, M. de Retz, avait même déjà reçu, un acompte de cent mille livres. On ne finit rien, et ainsi resta à l'état de simple fief cette île dont la possession devait être un jour si fatale au second fils de François Foucquet[4].

Cependant, notre maître des requêtes revenait à Paris par le grand chemin de la faveur. Richelieu l'avait noté, lui et les siens, pour leur concours dans l'affaire de Chalais. De plus, Foucquet s'était créé, comme on dirait aujourd'hui, une sorte de spécialité dans les affaires de la marine et du commerce ; il devenait ainsi un homme précieux, car, malgré son échec au Parlement de Rennes, le Cardinal s'était nommé grand maître de la navigation et surintendant du commerce[5].

Jusqu'alors la mer était considérée comme un fief dont l'amiral était le seigneur. Il possédait l'Océan comme un marquisat, comme un duché. A cette tenure féodale, Richelieu substituait l'autorité directe du Roi et le régime (le l'intendance.

Juste an moment où la grande affaire des Cent Associés se perdait comme un bruit de paroles, un Normand nommé Belain d'Esnamhuc, parti de Dieppe en 1025, pour faire la course, rentrait en France. II avait pris l'île Saint-Christophe, de concert avec les Anglais, et il en rapportait un plein chargement de tabac. Sa pacotille bien vendue, il se rendit à Paris en bel équipage, accompagné par son commanditaire. Il parla avec tant de conviction de l'excellence des îles d'Amérique, de la beauté de leur climat, des richesses faciles à gagner en peu de temps, de la gloire et de l'honneur à acquérir, qu'il entraîna beaucoup de gens. Mais déjà on ne pouvait rien sans le gouvernement. D'Esnambuc parvint jusqu'à Richelieu, et le 31 octobre 1626 on signait au Palais-Cardinal l'acte d'association des seigneurs de la Compagnie des Isles[6]. Ce fut François Foucquet qui représenta les intérêts particuliers du Cardinal dans cette entreprise entièrement nouvelle.

Les seigneurs s'associaient pour coloniser les îles de Saint-Christophe, de la Barbade, et autres situées à l'entrée du Pérou[7], pour convertir les habitants, trafiquer et négocier. Le Havre de Grince, dont Richelieu était gouverneur, devait servir de port d'attache, exclusivement à tous autres, pendant vingt ans. Du premier coup, on avait trouvé la forme des sociétés à responsabilité limitée. Nous souscrivons, stipulaient les intéressés, jusqu'à concurrence de quarante-cinq mille livres, sans que nous puissions estre tenus ny engagez d'y mettre plus grand fond et capital, si ce n'est de notre volonté et consentement. On pratiqua aussi l'apport en nature. Le Cardinal souscrivit dix parts, savoir deux mille livres en argent et huict mille livres en un vaisseau nommé la Victoire. Pendant un certain temps, il ne fut plus question en France que de commerce, de marine, de colonies[8].

Sur la fin de février 1627, d'Esnambuc partit du Morbihan avec une petite flotte de trois vaisseaux, la Victoire, armée au Havre, emportant les Normands ; la Catholique et la Cardinale[9], armés à Nantes, montés par des Bretons.

François Foucquet, administrateur des choses de la mer, était aussi en grande créance, en trop grande créance pour les affaires politiques. La flotte partie, le Cardinal appliqua son conseiller d'État à de moins agréables besognes.

Méditant son entreprise contre la Rochelle, Richelieu tenait à réduire toute opposition au silence. Un sieur Fancan, abbé de Beaulieu, naguère agent du ministre, s'étant avisé d'avoir des idées personnelles[10], fut aussitôt noté comme un homme que rien ne contentait, si ce n'est l'espérance d'une république formée selon le dérèglement de son imagination, comme auteur de libelles, espion au service des étrangers, fomentateur d'aversions dans la maison royale, où il voulait diviser ce que la nature et le sacrement avoient étroitement uni. Le pauvre diable se vit arrêté, emprisonné à la Bastille. On chargea François Foucquet de l'examen de ses papiers. Le Roi, selon Richelieu, exigeait une condamnation sévère. Le Cardinal, plus clément, à ce qu'il dit, se fût contenté de l'emprisonnement. Fancan, comme Ornano, mourut en prison[11].

Foucquet suivit une autre instruction contre un libelliste nommé La Milletière, également prisonnier à la Bastille[12]. Ces accusés n'étaient relativement que de petites gens. Bientôt surgit une affaire plus compromettante.

La duchesse de Chevreuse, réfugiée à Nancy, tenait de son mieux Sa promesse de nuire à la France et surtout à ses gouvernants. Un sieur de Montaigu, agent de l'Angleterre, la secondait dans ses intrigues. Richelieu envoya le duc chercher sa femme, puis fit enlever le Montaigu, malgré le droit des gens, malgré ses protestations et celles du prince lorrain. C'est encore François Foucquet qui fut chargé d'examiner les papiers du prisonnier, où l'on trouva, prétendit le Mercure, les preuves d'une horrible conspiration. Mais comme l'Angleterre pouvait mettre la main sur beaucoup d'otages, le soi-disant conspirateur fut reconduit à la frontière[13]. Plus tard, de diplomate devenu abbé, Montaigu rentrera en France, et comme rien ne se perd, le fils de François Foucquet éprouvera les effets de sa rancune.

Compromettantes pour l'avenir, les besognes policières constituaient dans le présent de grands titres à la faveur ministérielle. Foucquet fut nommé conseiller d'État en service ordinaire. C'était une charge, possédée par commission, qui rapportait beaucoup et ne coûtait rien. Par la même occasion, l'heureux favori de Richelieu revendit cent quarante-quatre mille livres et deux cents pistoles son office de maitre (les requêtes, acheté seulement soixante-neuf mille livres et cent pistoles (25 septembre 1627)[14]. En 1628, il figura parmi les bons conseillers laissés par Louis XIII à son frère Gaston, chargé en apparence de la lieutenance du royaume[15]. Ces conseillers étaient des surveillants.

Les ministres comme Richelieu, et même ceux qui n'ont pas sa valeur, vendent ce qu'ils donnent. La même année, le Cardinal, en hostilité déclarée avec le Parlement, établit à l'Arsenal une Chambre de justice composée de commissaires arbitrairement nommés par le Roi. On alléguait certains crimes de fausse monnaie, commis par des personnes de qualité que les juges ordinaires n'osaient punir. En réalité, le ministre livrait ses ennemis à cette juridiction exceptionnelle.

François Foucquet fut nommé membre de cette Chambre, avec l'obligation de siéger à côté de Laffemas. Le précédent de Nantes faisait sentir sa déplorable influence. Au nom du Parlement, un avocat général, Orner Talon, protesta contre cette violation des lois du royaume. Vaines protestations. On condamna les soi-disant faux monnayeurs, on les exécuta, Richelieu en convint lui-même, un peu dans les ténèbres. En même temps, à la faveur de cette obscurité, on frappait des ennemis politiques, on envoyait aux galères perpétuelles un médecin nommé Duval, pour pronostics sur la vie du Roi et pour apport de lettres de Lorraine. C'est toujours le procédé appliqué au jugement de Chalais ; un fait médiocre, mais précis, joint à un fait douteux ou qu'on n'ose préciser. Le sort de ce malheureux Duval est digne de mention. Longtemps après la mort du Cardinal, après la mort du Roi, après celle de François Foucquet et de son fils Nicolas, Duval restait encore au bagne, en quelque sorte oublié, exerçant ses petits talents et tirant l'horoscope des visiteurs[16].

Dès ce temps-lit, tout finissait par des chansons. On dansa à la cour le Ballet du Chasteau de Bicestre. Trois faux monnayeurs, les habits chamarrés de pièces fausses, les mains garnies de cisailles, tenailles, marteaux, etc., étaient arrêtés par trois archers danseurs, jugés et condamnés par un juge et son greffier, personnages comiques, selon le livret[17].

Ou n'avait pas traduit que de pauvres diables devant la Chambre nullement comique qui siégeait à l'Arsenal. La liste est longue des gens de distinction atteints dans leurs biens et dans leur liberté. Une des poursuites fut grave entre toutes. Elle visait Mine du Fargis[18], dame d'honneur de la Reine, accusée par le Cardinal d'avoir, pendant une récente maladie du Roi, repris les projets de mariage entre Gaston et la Reine, qui n'aurait pas fermé l'oreille à ces propos. C'était, à huit années de distance, l'affaire Chalais recommencée sous une l'urine plus insultante encore. On ne décapita Mme du Fargis qu'en effigie ; mais cette condamnation n'en fut pas moins ressentie comme une injure odieuse par la reine Anne d'Autriche[19].

Pour être juste, il faut reconnaitre que, laissé à lui-même, François Foucquet employait tout son crédit à l'atténuation des rigueurs décrétées par son redoutable maître.

Au cours de l'année 1631, deux gentilshommes, La Rivière et Goulus, émigrés en Lorraine à la suite de Gaston, furent exilés de cet exil par un caprice de leur étrange seigneur. A leur rentrée en France, un prévôt les appréhenda, homme au goût du jour, ne parlant que de bastilles, de géhennes, de supplices. Coulas se souvint alors d'une alliance entre un de ses parents et François Foucquet. A ce nom de l'un des premiers du conseil, le prévôt mit une sourdine à ses menaces. Goulas ne s'était pas trompé. A Nancy, il recevait une lettre de Foucquet, lui recommandant de gagner du temps, de faire le malade, surtout de ne pas arriver trop près de la Bastille. A Villeneuve-Saint-Georges, le conseiller d'État, ayant arrangé les choses, se rendit de sa personne au-devant des prisonniers, les interrogea sévèrement et, en fin de compte, prononça un solennel : Nullam in eis invenio causam[20]. Le féroce prévôt dut reconduire ses victimes on il les avait prises. Ce bonhomme de M. Foucquet, dit un cousin de Goulas, tout chrétien et tout vertueux, se souvint de l'espèce d'alliance que nous avions avec lui. Faisant profession de suivre l'Évangile, il ne goustoit pas sans doute que l'on emprisonnât les innocents[21].

Ce n'était pas un petit éloge par le temps qui courait, quand la volonté de Richelieu faisait tomber les plus hautes têtes. Un peu plus tard, Coulas et son compagnon furent condamnés à mort, comme complices de ce Gaston qu'ils n'avaient pas été libres de quitter ; mais, réfugiés en Lorraine, ils ne souffrirent qu'eu peinture.

Le maréchal de Marillac ne fut pas aussi heureux. Richelieu voulait sa mort, à titre d'exemple, pour effrayer les partisans de la Peine mère. Il le fit arrêter, juger, condamner sous prétexte de concussions, dont il ne se souciait nullement. Papiers saisis sans forme, triés, détournés, juges choisis parmi les adversaires du maréchal, tous les abus de pouvoir se rencontrent dans ce procès monstrueux. Les commissaires siégèrent à Ruel, dans le château du Cardinal. Parmi eux se trouvait Hay du Chatelet, auteur d'une prose rimée contre l'accusé. C'était un parent de François Foucquet, qui, lui, fut assez heureux pour n'être pas compromis dans cette abominable procédure. Marillac essaya en vain de gagner du temps par de nombreuses récusations. Son vrai juge n'était pas d'humeur à attendre longtemps sa proie. Cependant la condamnation à mort ne fut prononcée qu'à la majorité d'une voix. Les éloquentes invectives de l'accusé comme le cri de la conscience publique avaient forcé le satirique Hay du Châtelet à se retirer[22].

Après Marillac, Montmorency. Ce dernier avait combattu non pas le Roi, il protestait de son amour et de sa fidélité, mais le ministre. Vaine distinction. Louis XIII était aussi dur que Richelieu. S'il n'a pas dit : L'État, c'est moi, il répétait sans cesse : Non pas moi, mais mon État l'exige. Les formes de justice opposées à ses ordres de condamnation l'exaspéraient. Ce despote de bonne foi prêtait un redoutable appui au despotisme politique de son ministre.

François Foucquet fut, au moins à partir de juillet 1633, nommé aux gages de quatre mille huit cents livres par an président de la Chambre de justice de l'Arsenal, cette juridiction exceptionnelle qui prenait un caractère permanent[23]. Il fut encore chargé, en 1633, de liquider la succession de Montmorency[24]. Deux ans plus tard, autre commission pour inventorier les papiers saisis sur un favori de Gaston, Puy-Laurens, emprisonné à Vincennes. Foucquet et son collègue, procédant avec un scrupule qui n'eut pas toujours des imitateurs, appelèrent le secrétaire de l'accusé à la levée des scellés, l'autorisèrent à parafer les pièces[25]. Ils faisaient de leur mieux, dans ces temps difficiles où le principe d'autorité dominait et écrasait celui du droit[26].

On vient de voir la vie de François Foucquet dans sa partie la plus dramatique comme la plus fâcheuse. Elle eut une autre face, moins pénible, remplie par des occupations plus honorables, où l'on retrouve cet homme vraiment remarquable appliqué tantôt aux missions diplomatiques, tantôt aux entreprises commerciales.

En 1627 (30 mars), il contresigna les lettres patentes établissant une fabrique de tapisserie à la Savonnerie[27]. En 1630, à Roanne, il présenta à Richelieu revenant de Pignerol des observations sur le traité de Ratisbonne[28]. On le trouve ambassadeur auprès des cantons suisses[29]. Mais la grande occupation, l'œuvre de sa vie, ce fut l'organisation de la marine marchande et la colonisation des Antilles.

On se souvient de l'expédition partie sous la conduite de Belain d'Esnambuc. Elle emportait cinq cents hommes, pour la plupart pauvres gens ramassés sans choix, peu accoutumés aux fatigues de la mer. Les 38.000 livres d'apport en argent avaient été si mal ménagées qu'à peine à deux cents lieues des côtes, les vivres manquèrent ; on dut rationner le pain et l'eau. Un grand nombre des émigrants périt en chemin. Sur les soixante-dix hommes de la Cardinale, seize seulement débarquèrent à Saint-Christophe[30].

Comme on l'a dit plus haut, cette île, occupée simultanément par les Français et les Anglais, avait été partagée entre les deux nations ; mais là où le colon français arrivait épuisé, sans ressource, sans instruments de travail, l'Angleterre envoyait des hommes soigneusement choisis au départ, solidement nourris pendant la traversée, bien équipés au débarquement. Aussi, an bout de peu de temps, ces derniers commençaient à crier tout haut qu'il n'était pas raisonnable qu'une si chétive colonie que la française les empêchât de s'étendre sur un territoire dont elle ne savait pas tirer parti[31].

L'infatigable d'Esnambuc remit à la voile pour la France, excita l'amour-propre du Cardinal, l'amour du gain des seigneurs de la Compagnie. Six vaisseaux du Roi, aux ordres du commandant Cahuzac, furent chargés de défendre les colonies contre les Anglais et les Espagnols (juin 1629). Le concours de l'État, s'il ne coûte rien, n'est guère efficace. Le chef de l'escadre royale, après une leçon donnée aux Anglais, ne voyant pas venir les Espagnols, abandonna Saint-Christophe pour courir la mer à son profit[32]. Tout aussitôt, les Espagnols arrivèrent, chassèrent les Français, qui, abandonnés par la mère patrie, ne reprirent possession de leur île qu'avec l'aide de négociants hollandais, très entendus au trafic colonial[33].

Ce fut encore François Foucquet que Richelieu chargea, à la sollicitation de d'Esnambuc, de réorganiser la Compagnie des Cent Associés, qui devint la Compagnie des îles de l'Amérique[34].

Dans l'acte passé devant Cousinet, notaire à Paris (mai 1635), on retrouve le caractère national avec ses qualités et ses défauts. Les sauvages convertis seront réputés François, capables de toutes charges, honneurs, successions, donations. Les prélats, ecclésiastiques, gentilshommes, officiers peuvent s'associer sans diminuer en rien leur noblesse, qualités, immunités, etc.[35] Tous les principes de la société anonyme se retrouvent nettement énoncés dans ces statuts. François Foucquet, conséquent avec ses principes, s'employa pour obtenir l'envoi à la Guadeloupe, à la Martinique, de missionnaires soit Dominicains, soit Jésuites[36], Jésuites surtout, et il fit en sorte que les seigneurs de la Compagnie traitassent avec ces derniers. Deux Pères y furent massacrés. Les Dominicains se plaignirent d'autant plus de l'espèce d'exclusion dont ils avaient été l'objet.

En 1635, à côté de la Compagnie des Antilles, on établit celle de Sénégal, Cap Vert et Gambie, où Foucquet possédait un trente-deuxième d'intérêt[37] ; la Société du Miscou, nom donné alors au Canada. En 1638, les vues se portèrent vers le cap Nord et le Maroni, aujourd'hui la Guyane[38], où des marchands rouennais trafiquaient depuis 1633. Trop de fougue à l'entreprise ; pas assez de persévérance à l'exécution. A peine venait-on de lancer l'affaire de Cayenne, que l'on recevait de la Martinique des nouvelles alarmantes. L'honnête président était plein d'illusions, dit un missionnaire contemporain. Le reproche parait fondé. Cependant, c'est aux efforts de François Foucquet que notre pays dut ses premières colonies. Il y expédia plus de dix mille émigrants. Émigrants, disons-nous, et non pas colons. De cet amas de pauvres diables, ce qui n'était pas mort en route traînait à terre une vie de naufragés. Plus encore que les conquêtes belliqueuses, l'occupation pacifique des terres nouvelles demande des vaillants et des forts, phis que des forts et des vaillants, elle exige des laborieux et des obstinés. Il y faut planter, non des branches desséchées, mais les rejetons les plus vivaces des familles. Or, dès ce temps-là, à l'exception de quelques cadets normands, on ne voit pas un seul fils de père aisé traverser la mer. A ces petits messieurs, on gardait en Europe des places lucratives ou honorifiques parmi les seigneurs des Compagnies. Là se borne trop souvent l'effort de notre génie colonisateur.

Foucquet, chargé de la direction des affaires de commerce et de marine, posséda en fait, sinon en titre, la fonction de président de section dans le conseil d'État[39]. C'est au même titre qu'il fit partie, en avril 1634, de la commission chargée de déterminer la ligne méridionale, hors de laquelle tout estoit de bonne prise sur mer, et d'indiquer comme premier méridien celui qui passe à file de Fer[40].

On trouve parmi les membres de cette commission des noms devenus illustres, ceux de Pascal et de Du Quesne. François Foucquet s'y rencontrait avec un de ses alliés, Daniel Hay[41], abbé de Chambon, doyen de Vitré, académicien et mathématicien.

Cette mission dut être un délassement et une satisfaction d'amour-propre pour notre conseiller d'État, homme d'études et de savoir. Il possédait une collection de cartes, les deux plus beaux globes alors connus, l'un géographique, l'autre astronomique. Il formait une nombreuse bibliothèque. Ses livres, soigneusement choisis, étaient richement reliés et marqués de deux ΦΦ enlacés, lettres initiales de son nom.

François Foucquet était effectivement, comme le disait Goulas, un bon homme tout chrétien et tout vertueux. Quant à sa femme Magdelaine, c'était une sainte. Lorsqu'en 1634 le Père Vincent fonda l'œuvre des Dames de la Charité, elle fut l'une de ses premières assistantes, avec Élisabeth d'Aligre, femme du chancelier Séguier, avec Anne Pitou, sœur du président Machault, avec Mme de Lamoignon. Au point de vue mondain, l'œuvre procurait de belles relations ; mais, en vérité, l'amour du bien dominait clans ces âmes d'élite. Jamais piété ne se montra plus sincère ni charité plus délicate. Le premier soin de ces nobles femmes fut de libérer les malades pauvres de l'obligation de se confesser en entrant à l'Hôtel-Dieu[42].

Le ciel récompensait les Foucquet en augmentant leur famille. En 1635, ils comptaient autour d'eux six fils et six filles, reçus avec joie, élevés avec soin. On ne perdait pas de temps pour établir les enfants. Dès 1631, avant la naissance de ses deux derniers frères, Louis et Gilles[43], l’aîné des garçons, François Foucquet, cinquième du nom, était déjà pourvu d'une charge de conseiller au Grand Conseil[44], en considération des services de son père.

On ne s'occupa pas avec moins de diligence d'ouvrir une carrière à son frère puîné Nicolas.

En fait, c'est ce puîné qui devait, avec ses bénéfices et ses charges, en bien comme en mal, recueillir l'héritage de la famille Foucquet. A chaque page qui va suivre, le lecteur reconnaîtra l'influence du passé sur le présent, tant il est vrai que rien dans la vie des hommes, pères et enfants, familles et individus, n'est produit sans cause et ne reste sans effets.

 

 

 



[1] Le Morbihan, vaste golfe, situé pris de Vannes. V. Lettres, papiers du cardinal de Richelieu, t. II, p. 532.

[2] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 398, édit. Buchon.

[3] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 398, édit. Buchon.

[4] Mercure françois, 1628, p. re1. Dans la session de décembre 1627 à janvier 1628, les États introduisirent beaucoup de restrictions à leur consentement, notamment : Que les Cent Associés ne pourront prétendre à aucun commerce prohibitif.

[5] Richelieu dit que les charges de connétable et d'amiral dépouillaient le Roi de toute autorité sur les forces de terre et de mer. Elles mettoient une confusion sans remède dans les finances du Roi. Le surintendant ne pouvoit faire aucun règlement parmi les gens de guerre de terre ou de mer. Les trésoriers le renvoyoient au connétable ou à l'amiral, qui n'avoient souci de ses réclamations. (Mémoires, t. I, p. 424.) L'édit ne fut vérifié en Parlement que le 18 mars. (Lettres de Richelieu, t. II, p. 416, publiées par AVENEL, dans les Documents inédits.) L'amiral avoit pris telle autorité sur les négocians, qu'il les incommodoit extrêmement au lieu de les favoriser. (VIALART, Histoire du ministère, t. I, p. 387.) Les amiraux tiraient du commerce 100.000 livres par an. (Ibid.) Richelieu ne voulut pas qu'on attribuât d'appointements à sa charge de surintendant, mais il se fit donner une compagnie de gardes. Le Trésor n'y gagna rien.

[6] MARGRY, Belain d'Esnambue et les Normands aux Antilles. Paris, 1863.

[7] Le P. DU TERTRE, Etablissements des Français aux Antilles, t. I, p. 8.

[8] Le volume XLIX de la collection France, au ministère des affaires étrangères, contient beaucoup de pièces prouvant l'attention que Richelieu donna en 1626, 1627, 1628, au rétablissement du commerce. M. AVENEL (Lettres du cardinal de Richelieu, t. III, p. 171) a cité les principaux mémoires, qui mériteraient presque tous d'être publiés.

[9] DU TERTRE, Etablissement des Français aux Antilles, t. I, p. 15 ; Belain d’Esnambuc, p. 28. M. Margry a rectifié sur plusieurs points les erreurs du Père du Tertre.

[10] Le Journal fait pendant le grand orage, p. 201, dit que Fancan avait cabalé contre le dessein du siège de la Rochelle. Cf. RICHELIEU, Lettres, t. III, p. 611,

[11] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 453 ; Mercure, 1627, t. XIII, p. 374 ; VIALART, Histoire du ministère du cardinal de Richelieu, t. I, p. 454. On cite dans l'histoire de la Flèche un baron de Fancan. DE MONTZEV, Histoire de la Flèche, IIe partie, p. 309.

[12] V. Mercure, année 1628, p. 142. On cite le discours de la Milletière sur le droit qu'ont les sujets de prendre les armes contre leur souverain. Emprisonné de juillet 1627 à janvier 1628, il fut remis au Parlement de Toulouse. V. Bibl. nat., ms. fr. 18431, f° 89.

[13] RICHELIEU, Lettres, t. II, p. 744 ; Mémoires, t. I, p. 487.

[14] F. Foucquet vendit son office an sieur Marigot. Voyez Inventaire, étude de M. Lefebvre, notaire à Paris.

[15] Lettres du cardinal de Richelieu, t. III, p. 660.

[16] LEVASSOR, Histoire de Louis VIII, t. VII, p. 11. Cf. RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 334.

[17] Mercure françois, t. XVIII, p. 33, année 1632.

[18] TALLEMAND, Historiettes, t. II, p. 7. Son plus grand crime fut que le Cardinal crut qu'elle l'avoit mal servy auprès de la Reine dans son amourette.

[19] TALLEMAND, Historiettes, t. II, p. 7.

[20] Évangile selon saint Jean, ch. XVIII, verset 38.

[21] GOULAS, Mémoires, t. I, p. 127, édités par la Société de l'histoire de France.

[22] GRIFFET, Histoire de Louis XIII, t. II, p. 233, 237.

[23] Inventaire des meubles de Fr. Foucquet, étude de M. Lefebvre, notaire à Paris.

[24] Mercure francois, année 1633, t. XVIII, p. 987.

[25] Mercure, année 1635, p. 885.

[26] Dans le Supplément à l'histoire de France du président HESNAULT (Paris, 1756, p. 143), on lit ce qui suit : M. d'Ormesson résista avec fermeté aux ministres qui vouloient le faire périr (N. Foucquet). M. Foucquet, père du surintendant, s'étoit fait le même honneur dans de pareilles circonstances.

[27] LACORDAIRE, Notice historique sus les Gobelins.

[28] Lettres de Richelieu, t. III, p. 948.

[29] 29 avril 1629, Fr. Foucquet demande de l'argent pour se rendre, comme ambassadeur, à Soleure. Archives du ministère des affaires étrangères, France, 790, f° 139. Pièce communiquée par M. A. Moranvillé.

[30] DU TERTRE, Établissement des Français aux Antilles d'Amérique, t. I, p. 15.

[31] DU TERTRE, Établissement des Français aux Antilles d'Amérique, t. I, p. 22.

[32] MARGRY, Les Normands aux Antilles, p. 33. Les détails de cette période de l'histoire de la colonisation ne sont pas encore très bien précisés, mais l'ensemble est indiscutable.

[33] DU TERTRE, Établissement des Français aux Antilles d'Amérique, t. I, p. 36.

[34] DU TERTRE, Établissement des Français aux Antilles d'Amérique, t. I, p. 71.

[35] Art. III des statuts. M. Margry a consulté les registres de la Compagnie des Isles, qui avaient été conservés chez N. Foucquet jusqu'au temps de sa disgrâce. C'est là que le Père du Tertre les avait vus. L'étude de M. Lefebvre, notaire à Paris, garde dans ses minutes des actes très nombreux relatifs à cette Compagnie. Les plus importants sont indiqués dans l'Inventaire après décès de F. Foucquet, en 1640.

[36] F. Foucquet eut commission de s'adresser au R P. Carré, supérieur du couvent du faubourg Saint-Germain, duquel il avait entrepris l'établissement avdé des libéralités de M. le Cardinal. — M. Foucquet, qui aymoit la Compagnie des RR. PP. Jésuites, fit en sorte que les seigneurs traitassent avec eux. DU TERTRE, t. I, p. 71, 118, 119.

[37] 27 janvier 1635, titre cité dans l'Inventaire après décès de F. Foucquet. Le créateur de l'affaire était un sieur Rozée, de Rouen. On y cite encore un livre in-folio couvert de parchemin, dans lequel sont escriptes les affaires de la mer, dont les pièces ont esté cy-dessus inventoriées, inventorié sur la couverture 75. Étude de M. Lefebvre, à Paris.

[38] Vers la fin de 1638, M. Foucquet, conseiller d'État, assez connu par sa grande capacité dans les affaires, porta Messieurs de la Compagnie d'Amérique à demander à nos Pères pour assister les François et travailler à l'instruction des sauvages, et comme il avait une très grande affection pour la conversion des infidèles, il voulut lui-même en faire la proposition à nos supérieurs. Missions de Cayenne, Paris, 1857, Justin Lasnier, éditeur. Dans cette édition, on a confondu François Foucquet avec Nicolas Foucquet, son fils.

[39] Dans l'État au vrai de la marine pour 1635, Foucquet père est nommé conseiller du Roy en son Conseil d'Estat et de la marine, avec 2.000 livres d'appointements. Correspondance de Sourdis, t. III, p. 366 ; Collection des Documents inédits relatifs à l'histoire de. France. Cf. SAVABY, Pratique du commerce, t. I, p. 204, 2117.

[40] Mercure, t. XX, p. 182. JAL, dans son Abraham Du Quesne, ne mentionne pas ce fait.

[41] OLIVET, Histoire de l'Académie française, p. 337. C'était le frère de Paul Hay académicien.

[42] Vie de Mlle Legras, p. 118, d'après des manuscrits conservés aux archives de la Mission.

[43] Louis, né le 16 septembre 1633 ; Gilles, en 1635.

[44] Bibl. nat., Cabinet des titres, Pièces originales, dossier Foucquet, p. 387 à 396. Extrait des titres servant à la preuve de la noblesse de Louis-Charles-Auguste Foucquet, comte de Belle-Isle, etc. F. Foucquet fut pourvu le 4 décembre 1631 et obtint lettres de dispense d’âge le 2 août 1632. Dans l'Inventaire après décès des biens de F. Foucquet, son fils reconnaît que sa charge appartenait à son père, qui l'a payée. Cote 9 de l'Inventaire. Étude Lefebvre, à Paris.