Si
François Foucquet avait fait partie de la sanglante commission de Nantes, ce
n'était que par hasard et parce qu'il se trouvait sous la main. En réalité,
le Cardinal l'avait emmené en Bretagne pour y mettre sur pied ses projets
maritimes et commerciaux. Cinq
jours après le massacre de Chalais, Louis XIII tenait à Rennes un lit de
justice. Il présentait à l'enregistrement un édit que toute la France recherche, que les étrangers craignent, dont l'exécution est seule capable de remettre le royaume dans son ancienne splendeur, l'édit de la Compagnie des
Cent Associés. Le
siège social de la future société devait être établi à Morbihan, un des plus beaux ports du monde[1]. L'Anglais, l'Espagnol, le
Hollandais tremblaient de peur à la seule menace de cette concurrence. On
allait sans retard bâtir une ville, avec chantiers de construction, arsenaux,
entrepôts. Les Associés en seraient les seigneurs ; ils y établiraient eux-mêmes
leurs juges, avec appel, non au Parlement, par
crainte des longueurs de la chicane, mais au conseil du Roi, où la justice
étoit plus promptement administrée[2]. Ce dernier mot était de trop.
Malgré les grandes considérations, malgré l'avis favorable des États de
Bretagne[3] et les efforts des Foucquet, le
Parlement refusa d'enregistrer un édit restrictif de sa juridiction. Puis,
comme la peste sévissait, la Cour partit en toute hâte, et le grand projet
des Cent Associés tomba dans l'eau. On ne
termina pas plus une négociation relative au rachat de Belle-Isle, qu'on eût
facilement réuni au domaine royal. Les États offraient de payer le prix de
l'acquisition, pourvu qu'on leur en laissât les revenus pendant trois ans. Le
propriétaire, M. de Retz, avait même déjà reçu, un acompte de cent mille
livres. On ne finit rien, et ainsi resta à l'état de simple fief cette île
dont la possession devait être un jour si fatale au second fils de François
Foucquet[4]. Cependant,
notre maître des requêtes revenait à Paris par le grand chemin de la faveur.
Richelieu l'avait noté, lui et les siens, pour leur concours dans l'affaire
de Chalais. De plus, Foucquet s'était créé, comme on dirait aujourd'hui, une
sorte de spécialité dans les affaires de la marine et du commerce ; il
devenait ainsi un homme précieux, car, malgré son échec au Parlement de
Rennes, le Cardinal s'était nommé grand maître de la navigation et
surintendant du commerce[5]. Jusqu'alors
la mer était considérée comme un fief dont l'amiral était le seigneur. Il
possédait l'Océan comme un marquisat, comme un duché. A cette tenure féodale,
Richelieu substituait l'autorité directe du Roi et le régime (le
l'intendance. Juste
an moment où la grande affaire des Cent Associés se perdait comme un bruit de
paroles, un Normand nommé Belain d'Esnamhuc, parti de Dieppe en 1025, pour
faire la course, rentrait en France. II avait pris l'île Saint-Christophe, de
concert avec les Anglais, et il en rapportait un plein chargement de tabac. Sa
pacotille bien vendue, il se rendit à Paris en bel équipage, accompagné par
son commanditaire. Il parla avec tant de conviction de l'excellence des îles
d'Amérique, de la beauté de leur climat, des richesses faciles à gagner en
peu de temps, de la gloire et de l'honneur à acquérir, qu'il entraîna
beaucoup de gens. Mais déjà on ne pouvait rien sans le gouvernement. D'Esnambuc
parvint jusqu'à Richelieu, et le 31 octobre 1626 on signait au
Palais-Cardinal l'acte d'association des seigneurs de la Compagnie des Isles[6]. Ce fut François Foucquet qui
représenta les intérêts particuliers du Cardinal dans cette entreprise
entièrement nouvelle. Les
seigneurs s'associaient pour coloniser les îles de Saint-Christophe, de la
Barbade, et autres situées à l'entrée du Pérou[7], pour convertir les habitants,
trafiquer et négocier. Le Havre de Grince, dont Richelieu était gouverneur,
devait servir de port d'attache, exclusivement à tous autres, pendant vingt
ans. Du premier coup, on avait trouvé la forme des sociétés à responsabilité
limitée. Nous souscrivons, stipulaient les
intéressés, jusqu'à concurrence de quarante-cinq mille livres, sans que nous
puissions estre tenus ny engagez d'y mettre plus grand fond et capital, si ce
n'est de notre volonté et consentement. On pratiqua aussi l'apport en nature. Le Cardinal
souscrivit dix parts, savoir deux mille
livres en argent et huict mille livres en un vaisseau nommé la Victoire.
Pendant un certain temps, il ne fut plus question en France que de commerce,
de marine, de colonies[8]. Sur la
fin de février 1627, d'Esnambuc partit du Morbihan avec une petite flotte de
trois vaisseaux, la Victoire, armée au Havre, emportant les Normands ; la
Catholique et la Cardinale[9], armés à Nantes, montés par des
Bretons. François
Foucquet, administrateur des choses de la mer, était aussi en grande créance, en trop grande créance pour les affaires
politiques. La flotte partie, le Cardinal appliqua son conseiller d'État à de
moins agréables besognes. Méditant
son entreprise contre la Rochelle, Richelieu tenait à réduire toute
opposition au silence. Un sieur Fancan, abbé de Beaulieu, naguère agent du
ministre, s'étant avisé d'avoir des idées personnelles[10], fut aussitôt noté comme un
homme que rien ne contentait, si ce n'est l'espérance d'une république formée
selon le dérèglement de son imagination, comme auteur de libelles, espion au
service des étrangers, fomentateur d'aversions dans la maison royale, où il
voulait diviser ce que la nature et le
sacrement avoient étroitement uni. Le pauvre diable se vit arrêté, emprisonné à la Bastille. On
chargea François Foucquet de l'examen de ses papiers. Le Roi, selon
Richelieu, exigeait une condamnation sévère. Le Cardinal, plus clément, à ce
qu'il dit, se fût contenté de l'emprisonnement. Fancan, comme Ornano, mourut
en prison[11]. Foucquet
suivit une autre instruction contre un libelliste nommé La Milletière,
également prisonnier à la Bastille[12]. Ces accusés n'étaient
relativement que de petites gens. Bientôt surgit une affaire plus
compromettante. La
duchesse de Chevreuse, réfugiée à Nancy, tenait de son mieux Sa promesse de
nuire à la France et surtout à ses gouvernants. Un sieur de Montaigu, agent
de l'Angleterre, la secondait dans ses intrigues. Richelieu envoya le duc
chercher sa femme, puis fit enlever le Montaigu, malgré le droit des gens,
malgré ses protestations et celles du prince lorrain. C'est encore François
Foucquet qui fut chargé d'examiner les papiers du prisonnier, où l'on trouva,
prétendit le Mercure, les preuves d'une horrible conspiration. Mais comme l'Angleterre
pouvait mettre la main sur beaucoup d'otages, le soi-disant conspirateur fut
reconduit à la frontière[13]. Plus tard, de diplomate devenu
abbé, Montaigu rentrera en France, et comme rien ne se perd, le fils de
François Foucquet éprouvera les effets de sa rancune. Compromettantes
pour l'avenir, les besognes policières constituaient dans le présent de
grands titres à la faveur ministérielle. Foucquet fut nommé conseiller d'État
en service ordinaire. C'était une charge, possédée par commission, qui rapportait
beaucoup et ne coûtait rien. Par la même occasion, l'heureux favori de
Richelieu revendit cent quarante-quatre mille livres et deux cents pistoles
son office de maitre (les requêtes, acheté seulement soixante-neuf mille
livres et cent pistoles (25 septembre 1627)[14]. En 1628, il figura parmi les bons conseillers laissés par Louis XIII à son frère Gaston, chargé
en apparence de la lieutenance du royaume[15]. Ces conseillers étaient des
surveillants. Les
ministres comme Richelieu, et même ceux qui n'ont pas sa valeur, vendent ce
qu'ils donnent. La même année, le Cardinal, en hostilité déclarée avec le
Parlement, établit à l'Arsenal une Chambre de justice composée de
commissaires arbitrairement nommés par le Roi. On alléguait certains crimes
de fausse monnaie, commis par des personnes de qualité que les juges
ordinaires n'osaient punir. En réalité, le ministre livrait ses ennemis à
cette juridiction exceptionnelle. François
Foucquet fut nommé membre de cette Chambre, avec l'obligation de siéger à
côté de Laffemas. Le précédent de Nantes faisait sentir sa déplorable
influence. Au nom du Parlement, un avocat général, Orner Talon, protesta
contre cette violation des lois du royaume. Vaines protestations. On condamna
les soi-disant faux monnayeurs, on les exécuta, Richelieu en convint
lui-même, un peu dans les ténèbres. En même temps, à la faveur de cette
obscurité, on frappait des ennemis politiques, on envoyait aux galères
perpétuelles un médecin nommé Duval, pour pronostics sur la vie du Roi et
pour apport de lettres de Lorraine. C'est toujours le procédé
appliqué au jugement de Chalais ; un fait médiocre, mais précis, joint à un
fait douteux ou qu'on n'ose préciser. Le sort de ce malheureux Duval est digne
de mention. Longtemps après la mort du Cardinal, après la mort du Roi, après
celle de François Foucquet et de son fils Nicolas, Duval restait encore au
bagne, en quelque sorte oublié, exerçant ses petits talents et tirant
l'horoscope des visiteurs[16]. Dès ce
temps-lit, tout finissait par des chansons. On dansa à la cour le Ballet
du Chasteau de Bicestre. Trois faux monnayeurs, les habits chamarrés de
pièces fausses, les mains garnies de cisailles, tenailles, marteaux, etc.,
étaient arrêtés par trois archers danseurs, jugés et condamnés par un juge et
son greffier, personnages comiques, selon le livret[17]. Ou
n'avait pas traduit que de pauvres diables devant la Chambre nullement comique
qui siégeait à l'Arsenal. La liste est longue des gens de distinction
atteints dans leurs biens et dans leur liberté. Une des poursuites fut grave
entre toutes. Elle visait Mine du Fargis[18], dame d'honneur de la Reine, accusée
par le Cardinal d'avoir, pendant une récente maladie du Roi, repris les
projets de mariage entre Gaston et la Reine, qui n'aurait pas fermé l'oreille
à ces propos. C'était, à huit années de distance, l'affaire Chalais
recommencée sous une l'urine plus insultante encore. On ne décapita Mme du Fargis
qu'en effigie ; mais cette condamnation n'en fut pas moins ressentie comme
une injure odieuse par la reine Anne d'Autriche[19]. Pour
être juste, il faut reconnaitre que, laissé à lui-même, François Foucquet
employait tout son crédit à l'atténuation des rigueurs décrétées par son
redoutable maître. Au
cours de l'année 1631, deux gentilshommes, La Rivière et Goulus, émigrés en
Lorraine à la suite de Gaston, furent exilés de cet exil par un caprice de
leur étrange seigneur. A leur rentrée en France, un prévôt les appréhenda,
homme au goût du jour, ne parlant que de bastilles, de géhennes, de supplices.
Coulas se souvint alors d'une alliance entre un de ses parents et François
Foucquet. A ce nom de l'un des premiers du
conseil, le prévôt
mit une sourdine à ses menaces. Goulas ne s'était pas trompé. A Nancy, il
recevait une lettre de Foucquet, lui recommandant de gagner du temps, de
faire le malade, surtout de ne pas arriver trop près de la Bastille. A
Villeneuve-Saint-Georges, le conseiller d'État, ayant arrangé les choses, se
rendit de sa personne au-devant des prisonniers, les interrogea sévèrement
et, en fin de compte, prononça un solennel : Nullam in eis invenio causam[20]. Le féroce prévôt dut
reconduire ses victimes on il les avait prises. Ce bonhomme de M. Foucquet, dit un cousin de Goulas, tout chrétien et tout vertueux, se souvint de l'espèce d'alliance
que nous avions avec lui. Faisant profession de suivre l'Évangile, il ne
goustoit pas sans doute que l'on emprisonnât les innocents[21]. Ce
n'était pas un petit éloge par le temps qui courait, quand la volonté de
Richelieu faisait tomber les plus hautes têtes. Un peu plus tard, Coulas et
son compagnon furent condamnés à mort, comme complices de ce Gaston qu'ils
n'avaient pas été libres de quitter ; mais, réfugiés en Lorraine, ils ne
souffrirent qu'eu peinture. Le
maréchal de Marillac ne fut pas aussi heureux. Richelieu voulait sa mort, à
titre d'exemple, pour effrayer les partisans de la Peine mère. Il le fit
arrêter, juger, condamner sous prétexte de concussions, dont il ne se
souciait nullement. Papiers saisis sans forme, triés, détournés, juges choisis
parmi les adversaires du maréchal, tous les abus de pouvoir se rencontrent
dans ce procès monstrueux. Les commissaires siégèrent à Ruel, dans le château
du Cardinal. Parmi eux se trouvait Hay du Chatelet, auteur d'une prose rimée
contre l'accusé. C'était un parent de François Foucquet, qui, lui, fut assez
heureux pour n'être pas compromis dans cette abominable procédure. Marillac
essaya en vain de gagner du temps par de nombreuses récusations. Son vrai
juge n'était pas d'humeur à attendre longtemps sa proie. Cependant la
condamnation à mort ne fut prononcée qu'à la majorité d'une voix. Les
éloquentes invectives de l'accusé comme le cri de la conscience publique
avaient forcé le satirique Hay du Châtelet à se retirer[22]. Après
Marillac, Montmorency. Ce dernier avait combattu non pas le Roi, il
protestait de son amour et de sa fidélité, mais le ministre. Vaine
distinction. Louis XIII était aussi dur que Richelieu. S'il n'a pas dit : L'État, c'est moi, il répétait sans cesse : Non pas moi, mais mon État l'exige. Les formes de justice opposées
à ses ordres de condamnation l'exaspéraient. Ce despote de bonne foi prêtait
un redoutable appui au despotisme politique de son ministre. François
Foucquet fut, au moins à partir de juillet 1633, nommé aux gages de quatre
mille huit cents livres par an président de la Chambre de justice de
l'Arsenal, cette juridiction exceptionnelle qui prenait un caractère
permanent[23]. Il fut encore chargé, en 1633,
de liquider la succession de Montmorency[24]. Deux ans plus tard, autre
commission pour inventorier les papiers saisis sur un favori de Gaston,
Puy-Laurens, emprisonné à Vincennes. Foucquet et son collègue, procédant avec
un scrupule qui n'eut pas toujours des imitateurs, appelèrent le secrétaire
de l'accusé à la levée des scellés, l'autorisèrent à parafer les pièces[25]. Ils faisaient de leur mieux,
dans ces temps difficiles où le principe d'autorité dominait et écrasait
celui du droit[26]. On
vient de voir la vie de François Foucquet dans sa partie la plus dramatique
comme la plus fâcheuse. Elle eut une autre face, moins pénible, remplie par
des occupations plus honorables, où l'on retrouve cet homme vraiment
remarquable appliqué tantôt aux missions diplomatiques, tantôt aux
entreprises commerciales. En 1627
(30
mars), il
contresigna les lettres patentes établissant une fabrique de tapisserie à la
Savonnerie[27]. En 1630, à Roanne, il présenta
à Richelieu revenant de Pignerol des observations sur le traité de Ratisbonne[28]. On le trouve ambassadeur
auprès des cantons suisses[29]. Mais la grande occupation,
l'œuvre de sa vie, ce fut l'organisation de la marine marchande et la colonisation
des Antilles. On se
souvient de l'expédition partie sous la conduite de Belain d'Esnambuc. Elle
emportait cinq cents hommes, pour la plupart pauvres gens ramassés sans
choix, peu accoutumés aux fatigues de la mer. Les 38.000 livres d'apport en
argent avaient été si mal ménagées qu'à peine à deux cents lieues des côtes,
les vivres manquèrent ; on dut rationner le pain et l'eau. Un grand nombre
des émigrants périt en chemin. Sur les soixante-dix hommes de la Cardinale,
seize seulement débarquèrent à Saint-Christophe[30]. Comme
on l'a dit plus haut, cette île, occupée simultanément par les Français et
les Anglais, avait été partagée entre les deux nations ; mais là où le colon français
arrivait épuisé, sans ressource, sans instruments de travail, l'Angleterre
envoyait des hommes soigneusement choisis au départ, solidement nourris
pendant la traversée, bien équipés au débarquement. Aussi, an bout de peu de
temps, ces derniers commençaient à crier tout haut qu'il n'était pas
raisonnable qu'une si chétive colonie que la française les empêchât de
s'étendre sur un territoire dont elle ne savait pas tirer parti[31]. L'infatigable
d'Esnambuc remit à la voile pour la France, excita l'amour-propre du
Cardinal, l'amour du gain des seigneurs de la Compagnie. Six vaisseaux du Roi,
aux ordres du commandant Cahuzac, furent chargés de défendre les colonies
contre les Anglais et les Espagnols (juin 1629). Le concours de l'État, s'il ne
coûte rien, n'est guère efficace. Le chef de l'escadre royale, après une
leçon donnée aux Anglais, ne voyant pas venir les Espagnols, abandonna
Saint-Christophe pour courir la mer à son profit[32]. Tout aussitôt, les Espagnols
arrivèrent, chassèrent les Français, qui, abandonnés par la mère patrie, ne
reprirent possession de leur île qu'avec l'aide de négociants hollandais,
très entendus au trafic colonial[33]. Ce fut
encore François Foucquet que Richelieu chargea, à la sollicitation de
d'Esnambuc, de réorganiser la Compagnie des Cent Associés, qui devint la
Compagnie des îles de l'Amérique[34]. Dans
l'acte passé devant Cousinet, notaire à Paris (mai 1635), on retrouve le caractère
national avec ses qualités et ses défauts. Les
sauvages convertis seront réputés François, capables de toutes charges,
honneurs, successions, donations. Les prélats, ecclésiastiques,
gentilshommes, officiers peuvent s'associer sans diminuer en rien leur
noblesse, qualités, immunités, etc.[35] Tous les principes de la
société anonyme se retrouvent nettement énoncés dans ces statuts. François
Foucquet, conséquent avec ses principes, s'employa pour obtenir l'envoi à la
Guadeloupe, à la Martinique, de missionnaires soit Dominicains, soit Jésuites[36], Jésuites surtout, et il fit en sorte que les seigneurs de la Compagnie traitassent
avec ces derniers.
Deux Pères y furent massacrés. Les Dominicains se plaignirent d'autant plus
de l'espèce d'exclusion dont ils avaient été l'objet. En 1635,
à côté de la Compagnie des Antilles, on établit celle de Sénégal, Cap Vert et Gambie, où Foucquet possédait un trente-deuxième
d'intérêt[37] ; la Société du Miscou, nom
donné alors au Canada. En 1638, les vues se portèrent vers le cap Nord et le Maroni, aujourd'hui la Guyane[38], où des marchands rouennais
trafiquaient depuis 1633. Trop de fougue à l'entreprise ; pas assez de
persévérance à l'exécution. A peine venait-on de lancer l'affaire de Cayenne,
que l'on recevait de la Martinique des nouvelles alarmantes. L'honnête
président était plein d'illusions, dit un missionnaire contemporain. Le
reproche parait fondé. Cependant, c'est aux efforts de François Foucquet que
notre pays dut ses premières colonies. Il y expédia plus de dix mille
émigrants. Émigrants, disons-nous, et non pas colons. De cet amas de pauvres
diables, ce qui n'était pas mort en route traînait à terre une vie de
naufragés. Plus encore que les conquêtes belliqueuses, l'occupation pacifique
des terres nouvelles demande des vaillants et des forts, phis que des forts
et des vaillants, elle exige des laborieux et des obstinés. Il y faut
planter, non des branches desséchées, mais les rejetons les plus vivaces des
familles. Or, dès ce temps-là, à l'exception de quelques cadets normands, on
ne voit pas un seul fils de père aisé traverser la mer. A ces petits
messieurs, on gardait en Europe des places lucratives ou honorifiques parmi
les seigneurs des Compagnies. Là se borne trop souvent l'effort de notre
génie colonisateur. Foucquet,
chargé de la direction des affaires de commerce et de marine, posséda en
fait, sinon en titre, la fonction de président de section dans le conseil
d'État[39]. C'est au même titre qu'il fit
partie, en avril 1634, de la commission chargée de déterminer la ligne
méridionale, hors de laquelle tout estoit de
bonne prise sur mer,
et d'indiquer comme premier méridien celui qui passe à file de Fer[40]. On
trouve parmi les membres de cette commission des noms devenus illustres, ceux
de Pascal et de Du Quesne. François Foucquet s'y rencontrait avec un de ses
alliés, Daniel Hay[41], abbé de Chambon, doyen de
Vitré, académicien et mathématicien. Cette mission
dut être un délassement et une satisfaction d'amour-propre pour notre
conseiller d'État, homme d'études et de savoir. Il possédait une collection
de cartes, les deux plus beaux globes alors connus, l'un géographique,
l'autre astronomique. Il formait une nombreuse bibliothèque. Ses livres,
soigneusement choisis, étaient richement reliés et marqués de deux ΦΦ enlacés, lettres initiales de son nom. François
Foucquet était effectivement, comme le disait Goulas, un bon homme tout chrétien et tout vertueux. Quant à sa femme Magdelaine,
c'était une sainte. Lorsqu'en 1634 le Père Vincent fonda l'œuvre des Dames de
la Charité, elle fut l'une de ses premières assistantes, avec Élisabeth
d'Aligre, femme du chancelier Séguier, avec Anne Pitou, sœur du président Machault,
avec Mme de Lamoignon. Au point de vue mondain, l'œuvre procurait de belles
relations ; mais, en vérité, l'amour du bien dominait clans ces âmes d'élite.
Jamais piété ne se montra plus sincère ni charité plus délicate. Le premier
soin de ces nobles femmes fut de libérer les malades pauvres de l'obligation
de se confesser en entrant à l'Hôtel-Dieu[42]. Le ciel
récompensait les Foucquet en augmentant leur famille. En 1635, ils comptaient
autour d'eux six fils et six filles, reçus avec joie, élevés avec soin. On ne
perdait pas de temps pour établir les enfants. Dès 1631, avant la naissance
de ses deux derniers frères, Louis et Gilles[43], l’aîné des garçons, François
Foucquet, cinquième du nom, était déjà pourvu d'une charge de conseiller au
Grand Conseil[44], en considération des services de son père. On ne
s'occupa pas avec moins de diligence d'ouvrir une carrière à son frère puîné
Nicolas. En fait, c'est ce puîné qui devait, avec ses bénéfices et ses charges, en bien comme en mal, recueillir l'héritage de la famille Foucquet. A chaque page qui va suivre, le lecteur reconnaîtra l'influence du passé sur le présent, tant il est vrai que rien dans la vie des hommes, pères et enfants, familles et individus, n'est produit sans cause et ne reste sans effets. |
[1]
Le Morbihan, vaste golfe, situé pris de Vannes. V. Lettres, papiers du
cardinal de Richelieu, t. II, p. 532.
[2]
RICHELIEU, Mémoires,
t. I, p. 398, édit. Buchon.
[3]
RICHELIEU, Mémoires,
t. I, p. 398, édit. Buchon.
[4]
Mercure françois, 1628, p. re1. Dans la session de décembre 1627 à
janvier 1628, les États introduisirent beaucoup de restrictions à leur
consentement, notamment : Que les Cent Associés ne
pourront prétendre à aucun commerce prohibitif.
[5]
Richelieu dit que les charges de connétable et d'amiral dépouillaient le Roi de
toute autorité sur les forces de terre et de mer. Elles
mettoient une confusion sans remède dans les finances du Roi. Le surintendant
ne pouvoit faire aucun règlement parmi les gens de guerre de terre ou de mer.
Les trésoriers le renvoyoient au connétable ou à l'amiral, qui n'avoient souci
de ses réclamations. (Mémoires, t. I, p. 424.) L'édit ne fut
vérifié en Parlement que le 18 mars. (Lettres de Richelieu, t. II, p.
416, publiées par AVENEL,
dans les Documents inédits.) L'amiral avoit
pris telle autorité sur les négocians, qu'il les incommodoit extrêmement au
lieu de les favoriser. (VIALART, Histoire du ministère, t. I, p. 387.) Les amiraux
tiraient du commerce 100.000 livres par an. (Ibid.) Richelieu ne voulut
pas qu'on attribuât d'appointements à sa charge de surintendant, mais il se fit
donner une compagnie de gardes. Le Trésor n'y gagna rien.
[6]
MARGRY, Belain
d'Esnambue et les Normands aux Antilles. Paris, 1863.
[7]
Le P. DU TERTRE, Etablissements
des Français aux Antilles, t. I, p. 8.
[8]
Le volume XLIX de la collection France, au ministère des affaires étrangères,
contient beaucoup de pièces prouvant l'attention que Richelieu donna en 1626,
1627, 1628, au rétablissement du commerce. M. AVENEL (Lettres du cardinal de
Richelieu, t. III, p. 171) a cité les principaux mémoires, qui mériteraient
presque tous d'être publiés.
[9]
DU TERTRE, Etablissement
des Français aux Antilles, t. I, p. 15 ; Belain d’Esnambuc, p. 28.
M. Margry a rectifié sur plusieurs points les erreurs du Père du Tertre.
[10]
Le Journal fait pendant le grand orage, p. 201, dit que Fancan avait
cabalé contre le dessein du siège de la Rochelle. Cf. RICHELIEU, Lettres, t. III, p.
611,
[11]
RICHELIEU, Mémoires,
t. I, p. 453 ; Mercure, 1627, t. XIII, p. 374 ; VIALART, Histoire du ministère du
cardinal de Richelieu, t. I, p. 454. On cite dans l'histoire de la Flèche
un baron de Fancan. DE
MONTZEV, Histoire
de la Flèche, IIe partie, p. 309.
[12]
V. Mercure, année 1628, p. 142. On cite le discours de la Milletière sur
le droit qu'ont les sujets de prendre les armes contre leur souverain.
Emprisonné de juillet 1627 à janvier 1628, il fut remis au Parlement de
Toulouse. V. Bibl. nat., ms. fr. 18431, f° 89.
[13]
RICHELIEU, Lettres,
t. II, p. 744 ; Mémoires, t. I, p. 487.
[14]
F. Foucquet vendit son office an sieur Marigot. Voyez Inventaire, étude de M.
Lefebvre, notaire à Paris.
[15]
Lettres du cardinal de Richelieu, t. III, p. 660.
[16]
LEVASSOR, Histoire
de Louis VIII, t. VII, p. 11. Cf. RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 334.
[17]
Mercure françois, t. XVIII, p. 33, année 1632.
[18]
TALLEMAND, Historiettes,
t. II, p. 7. Son plus grand crime fut que le Cardinal
crut qu'elle l'avoit mal servy auprès de la Reine dans son amourette.
[19]
TALLEMAND, Historiettes,
t. II, p. 7.
[20]
Évangile selon saint Jean, ch. XVIII, verset 38.
[21]
GOULAS, Mémoires,
t. I, p. 127, édités par la Société de l'histoire de France.
[22]
GRIFFET, Histoire
de Louis XIII, t. II, p. 233, 237.
[23]
Inventaire des meubles de Fr. Foucquet, étude de M. Lefebvre, notaire à Paris.
[24]
Mercure francois, année 1633, t. XVIII, p. 987.
[25]
Mercure, année 1635, p. 885.
[26]
Dans le Supplément à l'histoire de France du président HESNAULT (Paris, 1756,
p. 143), on lit ce qui suit : M. d'Ormesson résista
avec fermeté aux ministres qui vouloient le faire périr (N. Foucquet). M. Foucquet, père du surintendant, s'étoit fait le même
honneur dans de pareilles circonstances.
[27]
LACORDAIRE, Notice
historique sus les Gobelins.
[28]
Lettres de Richelieu, t. III, p. 948.
[29]
29 avril 1629, Fr. Foucquet demande de l'argent pour se rendre, comme
ambassadeur, à Soleure. Archives du ministère des affaires étrangères, France,
790, f° 139. Pièce communiquée par M. A. Moranvillé.
[30]
DU TERTRE, Établissement
des Français aux Antilles d'Amérique, t. I, p. 15.
[31]
DU TERTRE, Établissement
des Français aux Antilles d'Amérique, t. I, p. 22.
[32]
MARGRY, Les
Normands aux Antilles, p. 33. Les détails de cette période de l'histoire de
la colonisation ne sont pas encore très bien précisés, mais l'ensemble est
indiscutable.
[33]
DU TERTRE, Établissement
des Français aux Antilles d'Amérique, t. I, p. 36.
[34]
DU TERTRE, Établissement
des Français aux Antilles d'Amérique, t. I, p. 71.
[35]
Art. III des statuts. M. Margry a consulté les registres de la Compagnie des
Isles, qui avaient été conservés chez N. Foucquet jusqu'au temps de sa
disgrâce. C'est là que le Père du Tertre les avait vus. L'étude de M. Lefebvre,
notaire à Paris, garde dans ses minutes des actes très nombreux relatifs à
cette Compagnie. Les plus importants sont indiqués dans l'Inventaire après
décès de F. Foucquet, en 1640.
[36]
F. Foucquet eut commission de s'adresser au R P. Carré, supérieur du couvent du
faubourg Saint-Germain, duquel il avait entrepris
l'établissement avdé des libéralités de M. le Cardinal. — M. Foucquet, qui aymoit la Compagnie des RR. PP. Jésuites,
fit en sorte que les seigneurs traitassent avec eux. DU TERTRE, t. I, p. 71,
118, 119.
[37]
27 janvier 1635, titre cité dans l'Inventaire après décès de F. Foucquet. Le
créateur de l'affaire était un sieur Rozée, de Rouen. On y cite encore un livre in-folio couvert de parchemin, dans lequel sont
escriptes les affaires de la mer, dont les pièces ont esté cy-dessus
inventoriées, inventorié sur la couverture 75. Étude de M. Lefebvre, à
Paris.
[38]
Vers la fin de 1638, M. Foucquet, conseiller d'État, assez
connu par sa grande capacité dans les affaires, porta Messieurs de la Compagnie
d'Amérique à demander à nos Pères pour assister les François et travailler à
l'instruction des sauvages, et comme il avait une très grande affection pour la
conversion des infidèles, il voulut lui-même en faire la proposition à nos
supérieurs. Missions de Cayenne, Paris, 1857, Justin Lasnier,
éditeur. Dans cette édition, on a confondu François Foucquet avec Nicolas
Foucquet, son fils.
[39]
Dans l'État au vrai de la marine pour 1635, Foucquet père est nommé conseiller du Roy en son Conseil d'Estat et de la marine,
avec 2.000 livres d'appointements. Correspondance de Sourdis, t. III, p.
366 ; Collection des Documents inédits relatifs à l'histoire de. France. Cf. SAVABY, Pratique du
commerce, t. I, p. 204, 2117.
[40]
Mercure, t. XX, p. 182. JAL, dans son Abraham Du Quesne, ne mentionne pas ce fait.
[41]
OLIVET, Histoire
de l'Académie française, p. 337. C'était le frère de Paul Hay académicien.
[42]
Vie de Mlle Legras, p. 118, d'après des manuscrits conservés aux
archives de la Mission.
[43]
Louis, né le 16 septembre 1633 ; Gilles, en 1635.
[44]
Bibl. nat., Cabinet des titres, Pièces originales, dossier Foucquet, p. 387 à
396. Extrait des titres servant à la preuve de la noblesse de Louis-Charles-Auguste
Foucquet, comte de Belle-Isle, etc. F. Foucquet fut pourvu le 4 décembre 1631
et obtint lettres de dispense d’âge le 2 août 1632. Dans l'Inventaire après
décès des biens de F. Foucquet, son fils reconnaît que sa charge appartenait à
son père, qui l'a payée. Cote 9 de l'Inventaire. Étude Lefebvre, à Paris.