Lorsqu'en
1596, après les guerres civiles, Sully entreprit de réorganiser les finances,
il constata que la province de Bretagne ne rapportait rien. Les impôts en
régie produisaient peu, et ce peu se perdait par les chemins entre Rennes et
Paris. Pour remédier au mal, Sully fit choix d'un maître des comptes, Gilles
de Maupeou, homme imbu de ses idées, fait en quelque sorte à son image.
Gilles se rendit en Bretagne, séjourna plusieurs années à Bennes, trouva dans
le Parlement un utile concours, qui fut continué à son beau-frère, Morely,
maître des requêtes, intendant en cette même province. On
s'explique maintenant comment le jeune conseiller François Foucquet,
troisième du nom, épousa, en février 1610, Marie de Maupeou, fille de Gilles
et de Marie de Morely. Le nouveau marié avait déjà repris au Parlement de
Paris le siège de conseiller, occupé jadis par son père. Il demeurait rue de
Jouy[1]. La famille
Maupeou tenait dans la société un rang au moins égal à celui de la famille
Foucquet. Elle était même plus fortement établie. Une branche aînée, anoblie
en 1580, comptait parmi ses membres plusieurs conseillers au Parlement. Un
René de Maupeou était président à la Cour des aides. La branche cadette avait
pour chef notre Gilles de Maupeou. Le
mariage des jeunes gens s'accomplissait dans un temps fortuné. La France
était prospère et fière d'elle-même sous un roi aimé de ses sujets, craint de
ses ennemis, fidèlement servi par un ministre dévoué. Le grand ministre,
Sully, était l'ami intime du père de la fiancée. Que les temps changèrent
vite ! quelques mois de là, Henri IV mourait assassiné, et Sully devait
abandonner sa charge, livrant la Bastille et ses trésors aux prodigalités
d'une Régence. Si
prodigues qu'ils fussent, la Régente, Marie de Médicis, et ses conseillers ne
purent satisfaire h toutes les avidités. François Foucquet fut le témoin des
premières tentatives de révolte contre l'autorité royale[2]. C'était heureusement un homme
bien équilibré, marié à une femme douée d'un solide caractère. Tous deux,
résignés à leur temps, s'en remettaient à la Providence du soin de leur
avenir. Dès la première année de leur mariage, un garçon leur vint qu'on
nomma François, comme tous les aînés de la famille. François, quatrième du
nom, fut suivi de deux sœurs, puis, en 1615, d'un frère, celui-là même dont
nous écrivons l'histoire. Nicolas, né rue de la Verrerie, dans une maison on
son père demeura assez longtemps, fut baptisé le 27 janvier 1615, en l'église
de Saint-Jean en Grève. Il eut pour parrain Nicolas Morely, sieur de
Chennevières, son grand-père, et pour marraine Magdeleine Foucquet, dame de
Bugnon, sa tante[3]. La
naissance de cet enfant coïncida avec un grand changement dans la situation
de ses parents. François Foucquet, alors âgé de vingt-sept ans, vendit 69.000
livres sa charge de conseiller au Parlement de Paris, pour en acheter une de
maître des requêtes de l'hôtel, qui lui coûta 90.000 livres. En entrant dans
cette carrière nouvelle, d'un caractère plus administratif que judiciaire[4], il obéissait aux indications
de Maupeou, alors chef de la famille et qui, l'année suivante, atteignait au
sommet de sa Fortune. La Régence avait bien écarté Sully ; mais elle vivait
en somme à l'aide du personnel formé par lui. C'est ainsi que Gilles de
Maupeou fut nommé contrôleur général des finances par un ancien ami, le
président Jeannin[5], qui revenait au pouvoir à la
suite d'une sanglante révolution de palais, dont il suffira de rappeler le
souvenir. Concini,
maréchal d'Ancre, Italien d'origine, accusé d'acheter de tous côtés des places
fortes, d'en augmenter les défenses', de correspondre avec l'ennemi, de
conspirer contre l'autorité royale dont il était le ministre, venait de périr
assassiné par ordre du jeune roi Louis XIII. Renchérissant sur la colère du
souverain et moins excusable que lui, le Parlement avait condamné à mort la
femme du favori[6]. C'est cette effrayante
catastrophe qui ramenait Jeannin aux affaires. Bien qu'habitué
à toutes les vicissitudes humaines, le vieux diplomate n'eût certainement pas
admis comme possible que de semblables malheurs pussent frapper sa famille ;
que François Foucquet, le gendre de son ami Maupeou, condamnerait à mort son
gendre à lui Jeannin ; que, vingt-cinq ans plus tard, le fils de François,
Nicolas Foucquet, enfant encore au berceau, devenu par alliance chef de la
famille Jeannin, tomberait comme Concini et presque sous les mêmes
accusations, avec cette différence qu'il serait tué lentement, par une longue
détention. L'homme, heureusement pour lui, ne voit pas l'avenir, et le
présent suffit à le tourmenter. Les
finances étaient dans un si pitoyable état, que les nouveaux ministres
recoururent à un expédient déjà employé, souvent renouvelé depuis et qui se
renouvellera encore, celui de demander les
conseils de la nation[7]. Autant vaut dire : aveu de
déficit, création d'impôts. Les notables furent donc réunis à Rouen (décembre 1617), et M. le président Jeannin,
superintendant des finances, assisté de MM. de Maupeou, Cherry, Castille,
Déagen, se présenta devant l'assemblée[8]. En moins de sept ans, les
trésors amassés par Sully avaient disparu ; mais, disaient nos gens, il est des temps on l'Estat d'un prince se conserve par sa
libéralité, et si on vouloit user de mesnage, on tomberoit en des
inconvénients et dépenses qui consumeroient six fois autant que ce qui se
trouveroit d'espargne[9]. On
excusait les profusions de la régente Marie de Médicis comme on fera plus
tard pour celles d'Anne d'Autriche ; on condamnait d'ailleurs l'avarice
insatiable du Concini, on approuvait la sage
et généreuse résolution de Sa Majesté, de consulter son peuple. Venant au fait, on avouait que
les ressources de 1618, 1619, 1620 étaient épuisées d'avance ; il fallait
recourir à des moyens extraordinaires. Au demeurant, grandes promesses
d'économie, d'ordre, d'intégrité. Ce que disaient alors le surintendant et
l'intendant de 1617, nous entendrons leur petit-fils ou petit-neveu, Nicolas
Foucquet, le répéter trente ans plus tard. A la différence de la fortune
publique, ces lieux communs ministériels sont inépuisables. Cependant
François Foucquet avait pris possession de sa charge de maître des requêtes.
Ne pouvant entrer dans le détail de son histoire, nous mentionnerons
seulement les actes dont l'influence marqua sur la vie de son fils Nicolas. A cette
époque, la Compagnie de Jésus, déjà persécutée, regagnait, avec l'indomptable
persévérance dont son fondateur lui a laissé le modèle, le terrain perdu lors
d'une précédente proscription. Le roi Henri le Grand, homme de gouvernement,
avait reconnu, malgré les préventions de son entourage, les qualités de ces
serviteurs volontaires de l'autorité. Par son ordre, on leur avait rouvert
les portes de la France, mais non celles de leurs collèges. Or, ce que
désiraient par-dessus tout les Pères Jésuites, c'était instruire la jeunesse
; tel était aussi, la vérité commande de l'avouer, le vœu populaire. Les
familles, soucieuses de ne s'adresser qu'à des maîtres d'une orthodoxie indiscutable,
n'hésitaient pas à se séparer de leurs enfants pour les envoyer à l'étranger
auprès des Pères en exil[10]. Revenus eu France, ces jeunes
gens se déclaraient partisans de leurs professeurs. Ce solide lien d'amitié
par lequel les Jésuites se sont toujours attaché leurs élèves est un des
traits caractéristiques de leur Institut. Depuis
1609, l'Université s'opposait à l'enregistrement des lettres patentes rendant
aux Pères le droit d'enseigner. Cette corporation, vénérable et antique,
entendait conserver par monopole les élèves déserteurs de ses bancs. Que
l'Alma mater eût besoin d'une réforme, elle l'avouait ; mais réformer n'est
pas ruiner, et c'est à la ruine que la condamnerait la rentrée des Jésuites.
Pourquoi d'ailleurs tant de collèges en province ? Le gouvernement en
voyait-il la conséquence ? Bientôt on n'enverrait plus les enfants à Paris, où ils apprenoient à connoître le Roi. Malgré cette opposition désespérée,
le 15 février 1618, un arrêt du Conseil d'État autorisa les Jésuites à
professer publiquement dans le collège de Clermont. En outre, et pour donner
plus de solennité à la réouverture des cours, deux maitres des requêtes,
François Foucquet et Amelot, se rendirent officiellement à ce collège le 18
février suivant[11]. L'affluence des escoliers fut grande et l'inauguration solennelle, et il semble, dit un journal
du temps, que les antres collèges n'ont pas augmenté[12]. C'était bien ce que
craignaient leurs régents. Si
François Foucquet fut choisi pour cette mission, c'est qu'on le savait
favorable à la Compagnie. Son aïeul, le conseiller, avait soutenu les
Jésuites de toute sa force[13]. François était sans doute leur
élève. En tout cas, il leur confia l'éducation de ses fils, François et
Nicolas. L'année
suivante, 1619, se produisit un autre événement domestique, un de ceux qui
décident du sort d'une famille. Le
vieux Jeannin, malgré les beaux discours à l'assemblée des notables, trouvant
tous les fonds du Trésor dissipés d'avance jusqu'en 16'20 et au-delà,
succombait à la tâche. Lui et Maupeou représentaient tout un ancien régime,
des traditions d'ordre, incompatibles avec les exigences des temps nouveaux.
Jeannin, pour différer quelque mauvaise mesure, crut devoir alléguer son
grand âge ; il fut pris au mot et congédié avec une pension égale à ses appointements[14]. A titre de supplément, il
exigea pour son gendre Castille une charge de contrôleur général. Il fallut
demander à Maupeou de céder la sienne, ce qu'il fit, moyennant récompense[15], mais de bonne grâce. Ce fut un
nouveau lien entre les familles Jeannin de Castille et Maupeou-Foucquet (1619). A
partir de cette date, si Jeannin conserva quelque crédit comme conseiller,
Maupeou rentra complètement clans la vie privée, et François Foucquet, son
gendre, devint le chef actif de la famille. Ce
dernier, bien qu'il se qualifiât, dans des actes publics, de conseiller du Roy en son Conseil d'Estat 1[16], n'était en réalité que maître
des requêtes de l'Hôtel. Les titres variés de conseiller du Roi, purement
honorifiques, n'avaient rien de commun avec celui de conseiller d'État
ordinaire, le seul appointé. La charge de maitre des requêtes était vénale et
s'achetait comme toutes celles de judicature et de finances. Les émoluments
consistaient dans le produit de certains droits à raison d'affaires
rapportées et surtout dans le partage d'une sorte de bourse commune[17]. En somme, peu de chose. Mais,
par d'autres côtés, les maîtres des requêtes prenaient part à l'administration
royale. C'est dans leurs corps qu'on recrutait exclusivement les intendants
royaux pour des missions, soit spéciales à la suite des armées, soit d'ordre
plus général auprès des autorités provinciales et municipales. A
l'origine, le Roi, suzerain suprême, accomplissait par leur entremise la
chevauchée féodale et la reconnaissance de ses droits. C'étaient, suivant une
rude expression du temps, des magistrats ni assis ni debout, mais e le cul
sur la selle. Leur puissance avait pendant deux siècles suivi les progrès de
l'autorité centrale[18]. Elle aussi éprouvait à cette
heure le contre-coup des défaillances de la royauté. A la suite d'une longue
minorité, au milieu des revendications de la noblesse d'une part, des
huguenots de l'autre, la corporation des maîtres des requêtes traversait une
période d'amoindrissement. On avait pu voir M. de Luxembourg, mécontent de la
lenteur d'un de ces magistrats, le saisir au collet, dague en main, prêt à
lui faire un mauvais parti, sans l'intervention d'un de ses gentilshommes[19]. En
décembre 1623, on comptait quarante-huit maîtres, servant par quartier ou
trimestre. François Foucquet figure sur cette liste comme siégeant à l'Hôtel
en janvier, février, mars ; au Conseil privé du Roi, en avril, mai et juin[20]. Parmi les noms de ses
collègues, il s'en trouve de connus et de célèbres, de Mesmes, sieur d'Avaux
; de Chaulnes, Brulart, de Bérulle, de Cricqueville, Courtin, Hay, sieur du
Chaste-let, allié aux Foucquet ; Amelot, de Machaut, Séguier, de Sève,
Turgot. On y avait vu les Michel Le Tellier, les Bellièvre, les Camnartin. Vers ce
temps-là, Jeannin, bien qu'à la retraite, donnait encore son avis sur la
politique à suivre. Le vieillard, fatigué de travaux, n'estimait rien de si
précieux aux hommes que le repos. Ancien ligueur, il craignait moins
l'ambition de la maison d'Autriche que le développement des nations
protestantes, trop aidées par la France, selon lui. Par contre, il
recommandait la tolérance à l'intérieur et le maintien de l'édit de Nantes. Tout
différent d'âge et d'opinions, l'homme dissimulé, tenace, implacable, qui
allait arriver aux affaires, le cardinal de Richelieu, élaborait depuis dix
ans les projets d'une politique d'action, dirigée au dehors contre la maison
d'Autriche, au dedans contre le protestantisme et l'aristocratie[21]. Jusqu'à présent, la postérité
a donné raison au Cardinal. Peut-être quelque jour se demandera-t-on si le
vieux Jeannin n'était pas le mieux inspiré. François
Foucquet ne portait pas si haut ses visées. Richelieu, habile à mettre les
hommes à la place où ils pouvaient le mieux servir ses desseins, le désigna
pour étudier les affaires maritimes et commerciales auxquelles il voulait
donner un nouvel essor. Cette
décision du ministre devait avoir la plus grande influence sur l'avenir de
Nicolas Foucquet, qui assista tout enfant à cet essai de réorganisation navale. Depuis
longtemps, les États et les assemblées des notables se plaignaient de l’abandon
et de la décadence du commerce maritime. La mer était loin de la Cour, et les
ministres avaient bien d'autres soucis en tête. Mais, en 1623, parut un
livret intitulé : La Réformation de la France, qui eut les honneurs
d'une analyse dans le Mercure françois[22], journal semi-officiel de
Richelieu. Il commençait par un advis au Roy sur la nécessité de tenir
toujours en état une flotte de trente grands vaisseaux au moins commandée par
des capitaines, de naissance moyenne, qui
n'auroient que l'honneur et le service du Roy en recommandation. Alors, on pourrait agir tant contre les Rochelois qu'autres corsaires. C'était la secrète pensée de
Richelieu que le maistre de la mer est
maistre aussi de la terre[23] ; que pour réunir des forces
navales, le meilleur moyen était d'encourager la marine marchande, dont au
besoin on mettrait les vaisseaux en réquisition. A cet
appel du ministre, la nation française éprouva un de ces accès de fièvre,
trop peu durables, pendant lesquels il semble qu'elle va faire déborder son
empire sur le monde entier. On citait l'exemple des Hollandais, des Anglais,
leurs colonies, leurs compagnies commerciales, sources d'immenses profits. La
Compagnie hollandaise, constituée et privilégiée par les États en 1602, avait
distribué dès 1605 15 pour 100, en 1606 75 pour 100[24]. L'imagination s'exaltait.
Pourquoi laisser aux étrangers ces riches proies ? N'avions-nous pas sur la
mer Océane et sur la Méditerranée les plus beaux ports, des côtes peuplées de
matelots intrépides, normands, bretons, basques, provençaux ? Chacun donna
ses raisons. On enseigna que si certains trafics devaient être réservés au
menu peuple, il était des négoces que ceux-là seuls pouvaient entreprendre
qui étaient déjà riches, comme celui de la mer. Ces expéditions, rudes et
hasardeuses autant que celles de la guerre, devaient participer aux mêmes honneurs.
On pouvait y faire preuve de courage et de noblesse. Il était plus honorable,
ajoutaient les théologiens, de se livrer à ces entreprises que de se mêler de
banque et d'usure, à la façon des Italiens. Prêter son argent à intérêts
homicides sur terre était un péché ; mais à la mer, on pouvait chrétiennement
le faire valoir. Au fond, les politiques avaient d'autres mobiles. Grâce au commerce
maritime, la noblesse entretiendrait une fortune qui s'épuisait chaque jour
en dépenses stériles. Un an de navigation vaudrait plus aux gentilshommes que
dix ans d'importunités et de rebuffades à la Cour[25]. Le
Cardinal fit donc connaître sou désir de voir créer en France, à l'imitation
des hollandais, une compagnie d'où l'on retirerait autant d'utilité que les Espagnols en ont des mines du
Pérou[26]. L'appui du Roi était acquis à
ces entreprises. Pour se concilier les financiers, on arrêta les travaux d'une
Chambre de justice récemment formée dans le but d'exercer de grandes
revendications[27]. C'était même un cousin de
François Foucquet, René de Maupeou, président à la Cour des aides, qui devait
y exercer les fonctions de procureur général. On proclama une sorte
d'amnistie financière. Seulement, Richelieu, dont les abus passés
n'intéressaient pas l'amour-propre, laissait entendre aux intéressés qu'il
aimerait à recevoir quelques marques de reconnaissance. Le
partisan Montmor et ses amis saisirent cette occasion de sceller la paix. Ils
formèrent une compagnie dite des Cent
Associez, pour le
commerce en général, tant par terre que par
mer, au Ponant, Levant et voyages de long cours. Par ces statuts, appelés les articles du
Morbihan, on concédait aux associés le havre de Morbihan, avec droit d'y construire une ville libre, pour la sûreté de leurs
personnes et biens, d'y establir collèges, imprimeries, chantiers, fonderies,
foires et marchés.
La Compagnie aurait pouvoir de former dans toutes les bonnes villes des
magasins avec facteurs et correspondants, pour vendre et acheter, sans
permission ni congé des gouverneurs. Les nobles et même les ecclésiastiques
entraient dans l'association sans déroger. Quant aux procès l'intéressant,
ils seraient jugés non par les tribunaux ordinaires, mais aux Requêtes de
l'Hôtel, avec appel au Conseil d'État[28]. Enfin, les Cent Associés
suppliaient le Roi de nommer Richelieu surintendant général du commerce, à cause de l'autorité et singulière probité qu'ils
reconnaissoient en lui
; mais cette charge devait être éteinte à son décès, et ne pourra Sa Majesté la faire revivre à l'avenir, sous
quelque prétexte que ce soit. Les contrats d'affaires entre gouvernements et particuliers ont
toujours contenu d'étranges contradictions. L'intérêt
secret de cette clause était de soustraire la Compagnie à l'autorité de
l'amiral, de donner le pouvoir à Richelieu seul et à personne après lui. En mai
1626, on sentait comme une approche d'orage. La Cour quittait Fontainebleau à
la suite de graves événements. Le maréchal d'Ornano avait été arrêté. Son
pupille, Monsieur, frère du Roi, se rendait d'assez mauvaise grâce à Limours,
portant des excuses à Richelieu. La Cour, en même temps, faisait des préparatifs
de voyage. François Foucquet et deux de ses collègues, maîtres des requêtes,
avaient reçu l'ordre de la suivre. Où allait-on ? En Picardie ? à Lyon ? On
ne savait. A la dernière heure, le 2 juin, on apprit que Louis XIII partait
pour Blois. Autre étonnement. Le Cardinal ne suivait pas le Roi. Il était malade,
parlait de retraite. Ces maladies des politiques sont souvent dangereuses
pour les autres. Du 6
juin au 2 juillet, la Cour demeura paisible à Blois. Enfin, MM. de Vendôme y
arrivèrent, et, presque au débotté, furent arrêtés tous les deux. Le Roi aussitôt
partit pour Nantes. Les États de Bretagne y étaient réunis, et le chancelier
Marillac préparait sa harangue. Autre coup de théâtre. Le favori de Louis
XIII, le jeune Chalais, est arrêté, gardé à vue dans une chambre haute du
château. Un mois s'écoule sans qu'on sache au juste ce qui se passe. Enfin,
le 5 août[29], des lettres patentes déclarent
que le Roi, ayant advis de plusieurs
conspirations contre sa personne et autorité, de crimes de lèze-majesté au
premier chef, les plus atroces que l'extrême meschanceté puisse excogiter, avait fait arrêter les
coupables. Ce
préambule assez correct était suivi d'un dispositif très discutable, portant
création d'une Chambre de justice criminelle, composée, il est vrai, de deux
présidents, du procureur général, de huit conseillers du Parlement de Rennes,
mais à qui ou ajoutait trois maitres des requêtes. Les uns et les autres
étaient désignés nominativement par le Roi. Il s'agissait donc bien d'un
tribunal extraordinaire, constitué au mépris de l'ordonnance de Blois. François
Foucquet, avec ses deux collègues Machault et Cricqueville, amenés en
Bretagne en vue d'achever l'affaire de la grande Compagnie du Morbihan,
étaient tout portés pour prendre part au jugement de ces crimes encore
inconnus, mais que le Cardinal déclarait atroces[30]. Séparées
depuis un demi-siècle, les deux branches de la Famille Foucquet se trouvèrent
réunies pour former ce tribunal d'exception. En effet, le procureur général
était Christophe Foucquet, qui exerçait les mêmes fonctions au Parlement de Rennes.
Il faut encore citer parmi les juges le conseiller Hal-, cousin du procureur
général, et le conseiller Descartes, père du célèbre philosophe. Une
famille, celle de Chalais, allait descendre en quelque sorte jusqu'à la
ruine, et, par l'éternel jeu de bascule des affaires humaines, une autre
maison allait être édifiée jusqu'au faîte, celle des Foucquet. Par
malheur pour ces derniers, le point de départ de cette fortune sera leur
concours à une juridiction arbitraire. La
justice absolue n'est pas de ce inonde, et cependant le monde ne peut vivre
sans justice. Pour imposer légitimement à un homme la décision que rendront
sur ses biens, sa liberté, sa vie, d'autres hommes, susceptibles comme lui
d'erreur et de passion, on doit lui donner au moins cette garantie qu'on n'a
pas choisi ses juges, qu'institués d'avance, ils ne dépendent plus que de
leur conscience et n'ont à répondre que de la sincérité de leur décision.
Sinon, les tribunaux et les cours, de quelque titre qu'on les relève, ne sont
que des instruments suspects de police gouvernementale, et la postérité les
condamne à son tour. Pendant
trente-cinq ans, les Foucquet apparaîtront mêlés, de leur consentement ou
malgré eux, à ces jugements par commission, jusqu'au jour où le chef de la
famille sera traduit devant une juridiction semblable, subissant ainsi l'inéluctable
loi de la faute originelle. Le roman et le drame se sont emparés de la tragique aventure du comte de Chalais, mais sans pénétrer dans la secrète horreur de cette procédure abominable, dirigée et falsifiée par Richelieu, sanctionnée sans examen, sans preuve, par une soi-disant Chambre de justice dont l'arrêt servile constitue le sanglant prologue de cette histoire. |
[1]
Du rnardy après midy, juillet 160, a esté inventorié
ce qui ensuit. Ensuivent les tiltres. 1° Traicté de mariage entre François Foucquet
et dame Marie de Maupeou, passé par-devant Lenormant et Hank de Sens, notaires
à Paris, le 22 février 1610. (Inventaire après décès des meubles de F.
Foucquet. Étude de M. Lefebvre, notaire à Paris.) Nous tenons â remercier
publiquement M. Lefebvre de son obligeance et de sa courtoisie.
[2]
Histoire de la mère et du fils, fragment des Mémoires de Richelieu,
publié sous le nom de MÉZERAY,
Amsterdam, 1730, t. I, p. 276.
[3]
JAL, Dictionnaire
de biographie, art. Foucquet.
[4]
En 1615, j'ay vendu mon office de conseiller au
Parlement de Paris, 69.600 livres. — Mémoire de mes propres vendus depuis le.22
febvrier 1610, que fut passé mon contract de mariage. Inventaire des
meubles de F. Foucquet (juillet 1640). Étude de M. Lefebvre, notaire à Paris.
[5]
Ormesson se trompe en disant que Jeannin fit alors son gendre intendant et
contrôleur général. Journal, publié par M. CHÉRUEL, t. II, p. 703. Cf. PONTCHARTRAIN, Mémoires,
année 1617, p. 330.
[6]
Mercure françois, t. V, année 1617. Paris, 1619, p. 194, 244.
[7]
FORBONNAIS, Recherches
sur les finances, t. I, p. 299.
[8]
Mercure françois, t. V, année 1617, p. 261.
[9]
Œuvres meslées de M. Jeannin, à la suite des Négociations du
président Jeannin. Paris, PIERRE LE
PETIT, 1656,
in-f°, p. 716.
[10]
Voyant que plusieurs habitans de nostre ville envoient
leurs enfants estudier aux lieux où sont les Jésuites, avec incommodité...
Lettres patentes du 20 août 1610, Mercure jésuite, t. I, p. 632.
[11]
Mercure françois, 1618, p. 12.
[12]
L'ESTOILE, Journal,
t. IV, p. 131.
[13]
L'ESTOILE, Journal,
t. IV, p. 131.
[14]
Œuvres meslées de M. Jeannin, p. 751.
[15]
And. D'ORMESSON,
Journal, t. II, p. 703 ; PONTCHARTRAIN, Mémoires, p. 478.
[16]
Dans les lettres d'honneur délivrées à un maitre des requêtes, ce dernier est
qualifié : conseiller en nos conseils d'Estat et
privé, maitre des requêtes ordinaire de l'Hostel. Lettres du 17 février
1619, GIRARD, Offices
de France, additions, p. CCCXXXVIII. Paris, 1645.
[17]
D'ORMESSON, Journal,
t. I, p. 24,
[18]
GIRARD, Offices
de France, liv. II, tit. III, t. I, p. 658, édit. de 1645. V. HANOTEAU, Les
premiers intendants de justice ; Revue historique, mai-juin 1882, et
le volume publié par le même auteur sur le même sujet.
[19]
Lettres de Malherbe, 13 janvier 1644, Œuvres, t. III, p. 370, édit. des Grands
Écrivains.
[20]
Liste dressée en décembre 1623, GIRARD, Offices, p. 679.
[21]
Testament politique du cardinal de Richelieu, 1re part., p. 128, 164.
[22]
Mercure françois, 1623, p. 417.
[23]
Mercure françois, 1627, p. 236, 257.
[24]
SAVARY, Pratique
du commerce, t. I, p. 213.
[25]
SILHON, Le
Conseiller d'Estat, p. 122, éd. in-18.
[26]
VIALART, Histoire
du ministère du cardinal de richelieu, t. I, p. 384.
[27]
Mercure françois, 1624, p. 704, 705.
[28]
Mercure françois, 1626, t. XII, p. 45.
[29]
Mercure françois, 1626, p. 587.
[30]
Mercure françois, 1626, p. 387, 391.