NICOLAS FOUCQUET

PREMIÈRE PARTIE

 

CHAPITRE PREMIER. — ORIGINES DE LA FAMILLE FOUCQUET (1424-1620).

 

 

Les fortunes politiques du dix-septième siècle se présentent rarement avec ce caractère de générations spontanées trop commun de nos jours. Foucquet dut sa grande situation partie à son mérite, partie aux efforts persévérants de ses ancêtres. Au temps de sa puissance, il se réclama surtout de son père, que, dans sa piété filiale, il qualifiait de grand homme, et de ses parents maternels, les Maupeou, de beaucoup plus illustres ; mais il ne négligea pas de rechercher les racines de son arbre généalogique, et sans doute il eût voulu le trouver, suivant le goût du jour, au plus profond de l'empire des morts[1].

On sait qu'un peu plus tard Colbert trouva, dans une église obscure, l'épitaphe du chevalier Kolbert et des titres de deux cents ans plus moisis qu'il ne fallait. Nicolas Foucquet possédait aussi à Saint-Mandé une pierre à inscriptions de famille, et des amis trop zélés lui apportèrent de soi-disant vieux parchemins. L'habile et consciencieux généalogiste d'Hozier sut prémunir son patron contre ce ridicule. On a voulu, lui dit-il, intéresser ceux de rostre maison, qui n'a pas besoin de ce faux esclat, et que vous condamneriez vous-mesme pour peu que vous y fissiez de réflexions. Enfin, Monseigneur, je ne vous conseille pas d'en faire nv mise ny recepte, et de ne considérer tout ce fatras, qui est destruit et démenty par l'Histoire, que comme une denrée de contrebande et une monoye de faux aloy... Il vaut bien mieux s'en tenir à la vérité et avoir une livre de pur or que d'en avoir deux de métal corrompu ; vous en avez assez d'ailleurs sans emprunter celuy-là, qui est estranger, et je ne voudrois pour rien du monde l'avoir seulement mis en avant[2].

Doué d'un goût délicat, le surintendant se rangea à l'avis de d'Hozier et se contenta d'ancêtres authentiques.

A l'origine paraît Jean Foucquet, chevalier angevin selon les uns, normand selon les autres, brave homme de l'aveu de tous, ayant vigoureusement combattu les Anglais, entre les années 14'24 et 1431. Moins riche que brave, il habitait, au levant d'Angers, sur les bords verdoyants du Loir, un petit domaine, moitié manoir, moitié moulin, et qui par le fait s'appelait : les Moulins-Neufs[3]. Il y vécut fort honoré, souvent appelé soit au conseil, soit à la guerre par le maréchal de Boussac, commandant les armées du Roi[4].

Les temps devinrent plus paisibles. Jousselin Foucquet, fils de Jean, épousa une fille de Mallet, sieur de Pincé, écuyer. Soixante ans plus tard (7 mars 1490), Guyon, fils de Jousselin, entrait dans la famille de Charnacé. Belle alliance, modeste contrat. Ellye de Charnacé, écuyer, donnait en dot à sa fille Jeanne huit cents livres tournois, dont deux cents livres seulement étaient payées comptant. A la garantie du surplus, il engageait ses moulins de Bous-hart. Par contre, Guyon Foucquet, la somme une fois reçue, devait transporter à son beau-père, à titre de gage, une rente de vingt-cinq livres. En effet, au cas on l'épousée Jeanne iroit de vie à trespas sans laisser hoirs de sa chair, le mari s'obligeait à rendre la dot[5]. On lui accordait d'ailleurs neuf ans pour se libérer. Prudence et bonté !

On nous dit que Guyon Foucquet porta très haut l'honneur du nom. Son fils, Mathurin, épousa (le 4 septembre 1513) Marguerite, fille de Pierre Cuissart, ancien exempt des gardes écossaises, nièce de Cupif, autre exempt aux mêmes gardes. Ces étrangers, venus en France vers 1458, pour servir Charles VII, préférant la doulceur angevine aux frimats de l'Escosse, avaient adopté la France comme patrie. La France est bonne. Les deux Écossais épousèrent deux sœurs de la maison de l'Espervière et constituèrent en Anjou deux puissantes familles.

Les Cupif surtout parvinrent vite à une grande situation, avec maison aux champs, hôtel à la ville. Par reconnaissance pour leurs services, on donna leur nom à une porte et à une place d'Angers[6]. Un d'entre eux fut nommé échevin.

Les Foucquet, au contraire, à la cinquième génération, période souvent fatale, traversèrent une série d'épreuves et reçurent divers coups de la fortune. Les seigneurs de la Jaille, leurs alliés, dont ils tenaient plusieurs fiefs, se trouvèrent engagés dans de mauvaises affaires à la suite de grands excès commis dans le prieuré d'Huille-sur-Loir, voisin de leur domaine. Les Moulins-Neufs furent saisis sur Mathurin Foucquet et vendus (1545). Voilà, après cent vingt ans d'un heureux développement, une famille jetée dans la misère et à la veille de disparaitre[7] !

Le second fils de Guyon, Nicolas, se retira en Angleterre, dit la généalogie. En bon français, il y alla refaire sa fortune. De retour à Angers, il s'y maria avec une parente, Lézine Cupif, sixième fille de Jean Cupif, marchand à Behuard[8]. François lui-même s'était établi marchand à Angers, paroisse Saint-Pierre[9]. Sur la façade en bois de la boutique, les écureuils montaient, ombragés de leur panache de gueules, onglés de sable. L'envie, la jalousie retrouvèrent plus tard ce souvenir roturier pour le jeter à la face des Foucquet, marquis de Belle-Isle[10]. François Foucquet fit sans doute ce qu'il put et fit bien. Ces marchands n'étaient pas d'ailleurs de si petits personnages. Jean Cupif était seigneur de la Robinaye et suppôt de l'Université. François, son gendre, ne s'endormait pas dans sa nouvelle fortune. Mettant à profit les ressources de la ville, il envoya ses enfants aux écoles, et c'est en somme à ce drapier-chaussetier que la famille dut un très long retour de prospérité. Son fils aîné, François, prit à son tour le chemin de l'Angleterre, non plus par nécessité, mais pour apprendre à mieux connaître les hommes et les choses. Le puîné, Christophe, fut entretenu aux estudes en Allemagne et en Italie[11]. Ces garçons étudièrent même si bien en droit civil et canon qu'ils parvinrent vite aux charges et aux dignités de la magistrature. On trouve François conseiller au Parlement de Paris, Christophe conseiller au Parlement de Bretagne. Un cadet, Isaac, se fit moine et fut élu trésorier de la grande abbaye de Saint-Martin de Tours. Suivant une tradition très vraisemblable, le maréchal de Gié, le prince de Guéménée, Henri, duc d'Anjou, s'intéressèrent aux deux premiers de ces jeunes gens. A coup sûr, un vent propice secondait leurs efforts. Tout leur réussit. Christophe épousa la fille d'un président au Parlement de Rennes, où il devint lui-même président, père et grand-père de présidents et de procureurs généraux[12].

François, deuxième du nom[13], ne fut pas moins heureux. Marié à Paris, vers 1580, à damoiselle Marie de Bénigne, fille unique de feu noble homme Claude de Bénigne, mort à la bataille de Saint-Denis (nov. 1567), en combattant bravement pour son roi[14], il se montra digne de ce beau-père royaliste. Fidèle à la fortune de Henri III, il quitta sans hésitation sa femme, jeune encore, et son petit garçon François pour se rendre à Tours, où le Parlement fut transféré pendant la Ligue. Là, le 9.5 avril 1589, le Roi, en considération de ses services et de ceux de son père, lui accorda des lettres de gentilhomme ordinaire de sa chambre. Mais quelques jours après, ce prince mourait assassiné. Un an plus tard, François Foucquet lui-même, envoyé par ses collègues vers Henri IV pour le prier d'abjurer, était en route atteint de la peste et succombait, le I 7 août 1590, à peine âgé de trente-neuf ans.

On put croire un instant que la branche parisienne des Foucquet allait périr dans cette effroyable tourmente des guerres civiles et religieuses. Surcroît de malheur ; le 3 juillet 1600, François, troisième du nom, perdit sa mère et resta confié aux soins de Loys d'Aurs, marchand bourgeois de Paris[15]. Cette modeste tutelle ne laisse pas d'étonner, alors qu'un oncle du mineur, ex-président aux enquêtes du Parlement de Rennes, devenait conseiller d'État en résidence à Paris[16].

Les Foucquet, par bonheur, étaient animés de l'esprit de famille. Christophe, le président aux enquêtes du Parlement de Rennes, se fit substituer dans la charge de son frère au Parlement de Paris. Par contre, il réserva pour son neveu François celle de conseiller au Parlement de Rennes[17] (6 février 1608). C'était beaucoup pour l'orphelin. Ce ne fut pas tout. L'appui de sa famille bretonne lui valut un beau mariage, et ce mariage lui assura la faveur des puissants du jour.

Telle fut la lente préparation des hautes destinées de la famille Foucquet, le résultat des efforts persévérants de six générations. Pendant un demi-siècle, tout va réussir aux petits-fils du chevalier Jean et du marchand François. L'écureuil, le fonquet des Moulins-Neufs et de la boutique d'Angers pourra prendre pour devise : Quo non ascendam ! Où ne monterai-je pas !

 

 

 



[1] Estat de la France, 1658, p. 500 ; Ibid., 1661, t. II, p. 574.

[2] D'Hozier à N. Foucquet, 29 février 1660. Bibl. nat., Cabinet des titres, dossiers bleus, 7252, p. 279. Autogr.

[3] Les Moulins-Neufs, hameau de la commune de Lessigné, canton de Seiches, arrondissement de Beaugé, Maine-et-Loire.

[4] Bibl. nat, Cabinet des titres, dossiers bleus, 7282, p. 13.

[5] Bibl. nat., Cabinet des titres, pièces originales, dossier Foucquet.

[6] Bibl. nat., mss., Cabinet des titres, dossiers bleus, 7282, f° 212. Extraict de la généalogie de la famille Cupif. MÉNAGE, Seconde partie de l'histoire de Sablé, p.147, donne de curieux détails sur la famille Cupif et sur son alliance avec la famille Foucquet, V. enfin PÉAN DE LA TUILERIE, Description de la ville d'Angers, édition donnée et enrichie par M. C. Port, p. 203.

[7] Dossiers bleus, 7282, f° 13. Cf. PORT, Dictionnaire de Maine-et-Loire, art. Les Moulins-Neufs. En 1545, François Leblanc remplace M. Foucquet comme propriétaire.

[8] Behuard, moulins dans deux îles de la Loire, canton de Saint-Georges-sur-Loire. V. PORT, Dictionnaire de Maine-et-Loire, p. 287, art. Behuard.

[9] Dossiers bleus, 7282, p. 147. Contrat de mariage. Ibid., f° 212. Généalogie de la famille Cupif.

[10] V. les généalogies de GUILLARD, dans le Cabinet historique, 1859, p. 96. Guillard place la boutique de drapier-chaussetier à un angle de la rue Saint-Land.

[11] Bibl. nat., Cabinet des titres, dossiers bleus, 7282, p. 13.

[12] V. la Liste de nosseigneurs du Parlement de Bretagne, de 1554 à 1717, imprimée à Bennes, chez G. Vatard, 1718, in-12.

[13] Dans le Catalogue de tous les conseillers du Parlement de Paris, p. 33, il est nommé Jean, par erreur.

[14] LE BEUF, Histoire du diocèse de Paris, édit. Cocheris, t. I, p. 203.

[15] Bibl. nat., Cabinet des titres, dossier Foucquet de Belle-Isle, acte du 3 août 1601, cote 17.

[16] Bibl. nat., Cabinet des titres, dossier Foucquet de Belle-Isle, acte du 31 décembre 1601, cote 18.

[17] Généalogie de la famille Foucquet, par M. JUGE, Revue nobiliaire, t. III, p. 67, 122, 177.