Les
fortunes politiques du dix-septième siècle se présentent rarement avec ce
caractère de générations spontanées trop commun de nos jours. Foucquet dut sa
grande situation partie à son mérite, partie aux efforts persévérants de ses
ancêtres. Au temps de sa puissance, il se réclama surtout de son père, que,
dans sa piété filiale, il qualifiait de grand homme, et de ses parents
maternels, les Maupeou, de beaucoup plus illustres ; mais il ne négligea pas
de rechercher les racines de son arbre généalogique, et sans doute il eût
voulu le trouver, suivant le goût du jour, au plus profond de l'empire des
morts[1]. On sait
qu'un peu plus tard Colbert trouva, dans une église obscure, l'épitaphe du
chevalier Kolbert et des titres de deux cents ans plus moisis qu'il ne
fallait. Nicolas Foucquet possédait aussi à Saint-Mandé une pierre à inscriptions de famille, et des amis trop zélés lui apportèrent
de soi-disant vieux parchemins. L'habile et consciencieux généalogiste
d'Hozier sut prémunir son patron contre ce ridicule. On a voulu, lui dit-il, intéresser ceux de
rostre maison, qui n'a pas besoin de ce faux esclat, et que vous condamneriez
vous-mesme pour peu que vous y fissiez de réflexions. Enfin, Monseigneur, je
ne vous conseille pas d'en faire nv mise ny recepte, et de ne considérer tout
ce fatras, qui est destruit et démenty par l'Histoire, que comme une denrée
de contrebande et une monoye de faux aloy... Il vaut bien
mieux s'en tenir à la vérité et avoir une livre de pur or que d'en avoir deux
de métal corrompu ; vous en avez assez d'ailleurs sans emprunter celuy-là,
qui est estranger, et je ne voudrois pour rien du monde l'avoir seulement mis
en avant[2]. Doué
d'un goût délicat, le surintendant se rangea à l'avis de d'Hozier et se
contenta d'ancêtres authentiques. A
l'origine paraît Jean Foucquet, chevalier angevin selon les uns, normand
selon les autres, brave homme de l'aveu de tous, ayant vigoureusement
combattu les Anglais, entre les années 14'24 et 1431. Moins riche que brave,
il habitait, au levant d'Angers, sur les bords verdoyants du Loir, un petit
domaine, moitié manoir, moitié moulin, et qui par le fait s'appelait : les
Moulins-Neufs[3]. Il y vécut fort honoré, souvent
appelé soit au conseil, soit à la guerre par le maréchal de Boussac,
commandant les armées du Roi[4]. Les
temps devinrent plus paisibles. Jousselin Foucquet, fils de Jean, épousa une
fille de Mallet, sieur de Pincé, écuyer. Soixante ans plus tard (7 mars 1490), Guyon, fils de Jousselin,
entrait dans la famille de Charnacé. Belle alliance, modeste contrat. Ellye
de Charnacé, écuyer, donnait en dot à sa fille Jeanne huit cents livres
tournois, dont deux cents livres seulement étaient payées comptant. A la garantie
du surplus, il engageait ses moulins de Bous-hart. Par contre, Guyon
Foucquet, la somme une fois reçue, devait transporter à son beau-père, à
titre de gage, une rente de vingt-cinq livres. En effet, au cas on l'épousée Jeanne
iroit de vie à trespas sans laisser hoirs de
sa chair, le mari
s'obligeait à rendre la dot[5]. On lui accordait d'ailleurs
neuf ans pour se libérer. Prudence et bonté ! On nous
dit que Guyon Foucquet porta très haut l'honneur du nom. Son fils, Mathurin,
épousa (le
4 septembre 1513)
Marguerite, fille de Pierre Cuissart, ancien exempt des gardes écossaises,
nièce de Cupif, autre exempt aux mêmes gardes. Ces étrangers, venus en France
vers 1458, pour servir Charles VII, préférant la
doulceur angevine aux
frimats de l'Escosse, avaient adopté la France comme
patrie. La France est bonne. Les deux Écossais épousèrent deux sœurs de la
maison de l'Espervière et constituèrent en Anjou deux puissantes familles. Les
Cupif surtout parvinrent vite à une grande situation, avec maison aux champs,
hôtel à la ville. Par reconnaissance pour leurs services, on donna leur nom à
une porte et à une place d'Angers[6]. Un d'entre eux fut nommé
échevin. Les
Foucquet, au contraire, à la cinquième génération, période souvent fatale,
traversèrent une série d'épreuves et reçurent divers
coups de la fortune.
Les seigneurs de la Jaille, leurs alliés, dont ils tenaient plusieurs fiefs,
se trouvèrent engagés dans de mauvaises affaires à la suite de grands excès
commis dans le prieuré d'Huille-sur-Loir, voisin de leur domaine. Les
Moulins-Neufs furent saisis sur Mathurin Foucquet et vendus (1545). Voilà,
après cent vingt ans d'un heureux développement, une famille jetée dans la
misère et à la veille de disparaitre[7] ! Le
second fils de Guyon, Nicolas, se retira en
Angleterre, dit la
généalogie. En bon français, il y alla refaire sa fortune. De retour à Angers,
il s'y maria avec une parente, Lézine Cupif, sixième fille de Jean Cupif,
marchand à Behuard[8]. François lui-même s'était
établi marchand à Angers, paroisse Saint-Pierre[9]. Sur la façade en bois de la
boutique, les écureuils montaient, ombragés de leur panache de gueules,
onglés de sable. L'envie, la jalousie retrouvèrent plus tard ce souvenir
roturier pour le jeter à la face des Foucquet, marquis de Belle-Isle[10]. François Foucquet fit sans
doute ce qu'il put et fit bien. Ces marchands n'étaient pas d'ailleurs de si
petits personnages. Jean Cupif était seigneur de la Robinaye et suppôt de
l'Université. François, son gendre, ne s'endormait pas dans sa nouvelle
fortune. Mettant à profit les ressources de la ville, il envoya ses enfants
aux écoles, et c'est en somme à ce drapier-chaussetier que la famille dut un
très long retour de prospérité. Son fils aîné, François, prit à son tour le
chemin de l'Angleterre, non plus par nécessité, mais pour apprendre à mieux
connaître les hommes et les choses. Le puîné, Christophe, fut entretenu aux estudes en Allemagne et en Italie[11]. Ces garçons étudièrent même si
bien en droit civil et canon qu'ils parvinrent vite aux charges et aux dignités
de la magistrature. On trouve François conseiller au Parlement de Paris, Christophe
conseiller au Parlement de Bretagne. Un cadet, Isaac, se fit moine et fut élu
trésorier de la grande abbaye de Saint-Martin de Tours. Suivant une tradition
très vraisemblable, le maréchal de Gié, le prince de Guéménée, Henri, duc
d'Anjou, s'intéressèrent aux deux premiers de ces jeunes gens. A coup sûr, un
vent propice secondait leurs efforts. Tout leur réussit. Christophe épousa la
fille d'un président au Parlement de Rennes, où il devint lui-même président,
père et grand-père de présidents et de procureurs généraux[12]. François,
deuxième du nom[13], ne fut pas moins heureux.
Marié à Paris, vers 1580, à damoiselle Marie de Bénigne, fille unique de feu
noble homme Claude de Bénigne, mort à la bataille de Saint-Denis (nov. 1567), en combattant bravement pour
son roi[14], il se montra digne de ce
beau-père royaliste. Fidèle à la fortune de Henri III, il quitta sans
hésitation sa femme, jeune encore, et son petit garçon François pour se
rendre à Tours, où le Parlement fut transféré pendant la Ligue. Là, le 9.5
avril 1589, le Roi, en considération de ses services et de ceux de son père,
lui accorda des lettres de gentilhomme ordinaire de sa chambre. Mais quelques
jours après, ce prince mourait assassiné. Un an plus tard, François Foucquet
lui-même, envoyé par ses collègues vers Henri IV pour le prier d'abjurer,
était en route atteint de la peste et succombait, le I 7 août 1590, à peine
âgé de trente-neuf ans. On put
croire un instant que la branche parisienne des Foucquet allait périr dans
cette effroyable tourmente des guerres civiles et religieuses. Surcroît de
malheur ; le 3 juillet 1600, François, troisième du nom, perdit sa mère et
resta confié aux soins de Loys d'Aurs, marchand bourgeois de Paris[15]. Cette modeste tutelle ne
laisse pas d'étonner, alors qu'un oncle du mineur, ex-président aux enquêtes
du Parlement de Rennes, devenait conseiller d'État en résidence à Paris[16]. Les
Foucquet, par bonheur, étaient animés de l'esprit de famille. Christophe, le
président aux enquêtes du Parlement de Rennes, se fit substituer dans la
charge de son frère au Parlement de Paris. Par contre, il réserva pour son
neveu François celle de conseiller au Parlement de Rennes[17] (6 février 1608). C'était beaucoup pour
l'orphelin. Ce ne fut pas tout. L'appui de sa famille bretonne lui valut un
beau mariage, et ce mariage lui assura la faveur des puissants du jour. Telle fut la lente préparation des hautes destinées de la famille Foucquet, le résultat des efforts persévérants de six générations. Pendant un demi-siècle, tout va réussir aux petits-fils du chevalier Jean et du marchand François. L'écureuil, le fonquet des Moulins-Neufs et de la boutique d'Angers pourra prendre pour devise : Quo non ascendam ! Où ne monterai-je pas ! |
[1]
Estat de la France, 1658, p. 500 ; Ibid., 1661, t. II, p. 574.
[2]
D'Hozier à N. Foucquet, 29 février 1660. Bibl. nat., Cabinet des titres,
dossiers bleus, 7252, p. 279. Autogr.
[3]
Les Moulins-Neufs, hameau de la commune de Lessigné, canton de Seiches,
arrondissement de Beaugé, Maine-et-Loire.
[4]
Bibl. nat, Cabinet des titres, dossiers bleus, 7282, p. 13.
[5]
Bibl. nat., Cabinet des titres, pièces originales, dossier Foucquet.
[6]
Bibl. nat., mss., Cabinet des titres, dossiers bleus, 7282, f° 212. Extraict
de la généalogie de la famille Cupif. MÉNAGE, Seconde partie de l'histoire de
Sablé, p.147, donne de curieux détails sur la famille Cupif et sur son
alliance avec la famille Foucquet, V. enfin PÉAN DE LA TUILERIE,
Description de la ville d'Angers, édition donnée et enrichie par M. C.
Port, p. 203.
[7]
Dossiers bleus, 7282, f° 13. Cf. PORT, Dictionnaire de Maine-et-Loire, art. Les
Moulins-Neufs. En 1545, François Leblanc remplace M. Foucquet comme
propriétaire.
[8]
Behuard, moulins dans deux îles de la Loire, canton de Saint-Georges-sur-Loire.
V. PORT, Dictionnaire
de Maine-et-Loire, p. 287, art. Behuard.
[9]
Dossiers bleus, 7282, p. 147. Contrat de mariage. Ibid., f° 212.
Généalogie de la famille Cupif.
[10]
V. les généalogies de GUILLARD,
dans le Cabinet historique, 1859, p. 96. Guillard place la boutique de
drapier-chaussetier à un angle de la rue Saint-Land.
[11]
Bibl. nat., Cabinet des titres, dossiers bleus, 7282, p. 13.
[12]
V. la Liste de nosseigneurs du Parlement de Bretagne, de 1554 à 1717,
imprimée à Bennes, chez G. Vatard, 1718, in-12.
[13]
Dans le Catalogue de tous les conseillers du Parlement de Paris, p. 33,
il est nommé Jean, par erreur.
[14]
LE BEUF, Histoire du
diocèse de Paris, édit. Cocheris, t. I, p. 203.
[15]
Bibl. nat., Cabinet des titres, dossier Foucquet de Belle-Isle, acte du 3 août
1601, cote 17.
[16]
Bibl. nat., Cabinet des titres, dossier Foucquet de Belle-Isle, acte du 31
décembre 1601, cote 18.
[17]
Généalogie de la famille Foucquet, par M. JUGE, Revue nobiliaire, t. III, p. 67,
122, 177.