NICOLAS FOUCQUET

TOME PREMIER. — FAMILLE - VIE POLITIQUE ET PRIVÉE DE FOUCQUET

 

À MONSIEUR LE BARON HAUSSMANN.

 

 

Monsieur le Baron,

Je n'aurais jamais eu la présomption de vous faire hommage de ce modeste travail, si je n'avais eu la certitude qu'à défaut d'autre mérite il se présente au moins comme une œuvre de vérité et de réparation.

Étudiant une autre histoire, celle de Louise de La Vallière, et trouvant le personnage épisodique de Foucquet, j'ai pris, au sujet du Surintendant, l'opinion toute faite non seulement par de bons esprits de notre temps, mais par des contemporains en crédit. Personne naturellement ne s'est inquiété de mon appréciation. Elle me restait cependant sur l'esprit, comme un remords de conscience. Je revenais à ma victime avec toutes mes préventions et le secret désir de ne m'être pas trompé ; niais, à chaque séance, un trait du visage se modifiait, un autre s'éclaircissait. Au bout d'un an ou deux de ces retours inquiets, n'y tenant plus, j'ai entrepris l'œuvre dont vous voulez bien accepter la dédicace.

Vous avez eu l'indulgence de reconnaître en moi un certain amour de la vérité. Je le porte jusqu'au scrupule. Convaincu que je reverrai un jour ces personnages dont je me fais le juge sans mandat, je veux pouvoir au moins, à l'heure du jugement suprême, présenter l'excuse d'une entière bonne foi.

Nul ne blâmera cette réserve, et vous, Monsieur le Baron, moins que personne.

 

C'est avec réflexion que je me suis décidé à placer ce livre sous votre patronage.

Il n'y a pas qu'au dix-septième siècle qu'on a commis des injustices envers les hommes qui servent leurs pays.

L'histoire citera un de ces grands serviteurs qui, après avoir, au lendemain d'une époque troublée, transformé, assaini, embelli la plus noble ville du monde, malgré les jalousies, les mauvais vouloirs, les hostilités même d'une partie de l'entourage du prince, et l'effort de toutes les oppositions coalisées, s'est vu tout à coup sacrifié à d'injustes préventions et jeté en victime expiatoire au monstre populaire, que rien ne rassasie. Elle dira qu'après s'être fait admirer par la grandeur de ses conceptions, par Une magnificence généreuse dont on n'a pas revu (l'exemple, il est rentré sans plainte dans la vie privée.

Elle dira que tous les donjons ne sont pas faits de pierre et (le fer ; elle montrera cet ancien serviteur de l'État, recevant du budget une pension dix fois inférieure à la somme que Louis XI V dépensait pour Foucquet enfermé à Pignerol ; elle dira que cet homme dut, ù l'âge du repos, travailler pour vivre, alors que des ennemis aveugles ou de mauvaise foi prétendaient qu'il cachait ses trésors. Il n'en gardait d'autres pourtant que celui d'une admirable lucidité d'esprit et d'une intelligence restée inaltérable à son point de maturité.

Je le connais, ce prisonnier du travail — s'il est permis de comparer le travail à une prison —, et il ne vous est pas inconnu.

Plus heureux en ce point que Foucquet, ce grand travailleur aura un historien digne de lui, qui portera sur son temps, sur lui-même, un jugement que la postérité ne modifiera pas.

Je n'ose pas espérer pour le livre que je vous présente un semblable succès.

Toutefois, il n'aura pas laissé d'être de quelque utilité. En l'écrivant, j'ai trouvé souvent une heureuse diversion à plus d'un ennui, et presque un repos. En le publiant, il me permet de vous offrir un témoignage public de ma respectueuse reconnaissance.

J. L.