HENRI IV ET LOUIS XIII

 

CHAPITRE V. — LA FRONDE.

 

 

Mort de Louis XIII. — Bataille de Rocroy. — Anne d'Autriche déclarée régente. — Mazarin ; son caractère, son impopularité. — Émotion populaire. — L'arrêt d'union. — Le Te Deum de Lens. — Arrestation de Broussel. — Sédition. — La Fronde. — La cour quitte deux fois Paris. — Combat de Charenton. — Traité entre la cour et le parlement. — Rentrée solennelle du roi à Paris. — Nouvelles intrigues. — Arrestation des princes. — Guerre civile générale. — Exil de Mazarin. -- Majorité du roi. — Combat du faubourg Saint-Antoine. — Les princes à l'hôtel de ville ; massacre des notables. — Nouvelle rentrée du roi. — Fin de la Fronde.

 

De son lit de mort, Richelieu avait recommandé au roi le cardinal Mazarin. Suivant la remarque d'un historien, il n'y avait dans l'entrée de Mazarin au conseil rien d'extraordinaire, et qu'il fallut expliquer par une recommandation du mourant.

L’ami, le confident de Richelieu, dit Sismondi, le négociateur habile qu'il avait chargé de ses missions les plus difficiles, le prélat pour lequel il avait demandé deux ans la pourpre romaine et qu'il en avait enfin revêtu, Mazarin, était naturellement appelé à continuer son système et à présider le conseil ; mais il y était associer avec deux secrétaires d'État, Bouthillier de Chavigny et Sublet des Noyers, tous deux créatures de Richelieu. Le nouveau ministre, était seulement âgé de quarante ans ; aussi, quoiqu'il désirât le pouvoir, c'était vers un autre règne qu'il dirigeait son ambition.

Fils d'un artisan sicilien qui était venu chercher fortune à Rome, Jules Mazarini étudia d'abord le droit aux universités de Salamanque et d'Alcala, puis servit en qualité de capitaine dans l'armée papale de la Valteline, et se donna enfin tout entier à la diplomatie, la seule carrière qui convînt à son caractère adroit et souple, à son esprit essentiellement temporisateur. Quelques négociations heureuses le mirent en faveur auprès de Richelieu ; sa patience et les circonstances firent le reste.

Louis XIII avait promis, en effet, à son premier ministre mourant d'accepter de sa main le successeur qu'il s'était choisi lui-même ; il eut d'autant moins de répugnance à remettre à Mazarin tous les soins du gouvernement, que lui-même, malade, s'affaiblissant de jour en jour, dégoûté de tout et presque las de la vie, car la force lui manquait pour se livrer comme autrefois au plaisir de la chasse, il reconnaissait la nécessité de continuer l'œuvre politique de Richelieu ; d'ailleurs, depuis la trahison de son cher ami (Cinq-Mars), il ne sentait plus de goût à reprendre un favori, et il ne subissait pas d'autre influence que de celle la reine Anne d'Autriche, qui avait conquis sur lui, bien tardivement, une sorte d'empire, par suite des bons conseils du cardinal Mazarin. Rien n'empêchait donc ce dernier d'entrer immédiatement en possession du crédit et de l'autorité que son illustre prédécesseur venait de lui léguer auprès du roi.

Deux jours après la mort de Richelieu (6 décembre 164e, Louis XIII écrivait, sous la dictée de Mazarin, aux ambassadeurs de France dans les cours étrangères : Ma principale pensée sera tousjours d'user de la mesme vigueur et fermeté dans mes affaires que j'y ay gardées, autant que la justice et la raison me le pourront permettre, et de continuer la guerre avec la mesme application et les mesmes efforts que j'ay fait depuis que mes ennemis m'ont contraint de m'y porter, jusqu'à ce que, Dieu leur ayant touché le cœur, je puisse contribuer avec tous mes alliés à l'establissement du repos général de la chrestienté. C'était bien la pensée de Richelieu, qui regrettait, à son dernier soupir, de laisser la France sans l'avoir affermie par une paix générale.

Dans la prévision d'une régence prochaine, plus longue que celle qui suivit la mort d'Henri IV, Mazarin avait eu déjà l'adresse et l'habileté de gagner la confiance d'Anne d'Autriche, en s'assurant l'affection personnelle de cette princesse fière et hautaine ; elle avait trop longtemps souffert de se voir dédaignée et souvent opprimée par les favoris du roi pour n'être pas sensible à la soumission respectueuse d'un ministre qui la replaçait à son rang, en quelque sorte. D'abord, elle avait conçu de l'éloignement pour celui qu'elle considérait comme une créature de Richelieu ; mais elle comprit le besoin qu'elle allait avoir d'un homme au courant de la politique, et elle lui accorda toute confiance. D'ailleurs, ainsi que le dit La Rochefoucauld dans ses Mémoires, il avait eu le temps de se justifier auprès d'elle, par ses amis qui le servaient utilement et par des conversations secrètes, dont elle ne donnait de part à personne.

Le roi ne pouvait plus se faire illusion sur son état de santé, qui lui annonçait la fin de son règne, et il en vint bientôt (20 avril 1643) à régler, en présence d'une nombreuse assemblée de princes, de seigneurs et de hauts dignitaires, l'administration du royaume pendant la minorité de son fils. Le lendemain, il désigna Mazarin pour présenter le dauphin au baptême avec la princesse de Condé. La cérémonie eut lieu dans la chapelle du vieux château de Saint-Germain, et l'enfant, alors âgé de cinq ans, fut nommé Louis. Son père lui ayant demandé en le revoyant comment il s'appelait, le dauphin répondit naïvement : Louis XIV. — Pas encore, fit observer le roi avec douceur. Il ne survécut à Richelieu que cinq mois, et mourut le 13 mai 1643, à l'âge de quarante-deux ans, en se préoccupant beaucoup plus des détails minutieux de ses obsèques que des grands intérêts de la monarchie. Peu de jours après, pendant les funérailles de Louis XIII, on apprit que la bataille de Rocroy avait été gagnée par le duc d'Enghien sur les Espagnols.

Les commencements de la régence furent pleins de promesses et d'espérances. Les armées de la France étaient victorieuses sous le commandement du duc d'Enghien et du vicomte de Turenne ; les princes, naguère coalisés contre la royauté, semblaient maintenant d'accord pour la soutenir et la défendre ; la reine, conseillée et dirigée par Mazarin, se montrait bienveillante, gracieuse, libérale, pour tout le monde. Quant au peuple, qui prêtait l'oreille aux échos de la cour, il se réjouissait déjà d'une nouvelle ère de paix et de prospérité.

Dans un lit de justice tenu le 18 mai au Palais, Anne d'Autriche, vêtue de deuil, accompagnée des princes et des ducs et pairs, était allée, avec l'héritier de la couronne, prendre possession de la régence et se mettre, en quelque sorte, sous la tutelle du parlement qui, flatté, enorgueilli du rôle suprême qu'on semblait lui offrir, ne songea point à réclamer l'exécution rigoureuse du testament de Louis XIII. C'était pourtant la régence absolue qu'on voulait attribuer à la reine, car Condé et le duc d'Orléans se levèrent, l'un après l'autre, pour lui remettre tout le pouvoir et rendre ses volontés sans bornes. Gaston se contentait du titre éphémère de lieutenant général du royaume, et chacun des princes croyait, à part soi, avoir des droits acquis à une action personnelle dans le gouvernement. Mais on ne tarda point à s'apercevoir qu'il n'y avait et qu'il n'y aurait qu'une volonté, celle d'Anne d'Autriche, et qu'une direction, celle du cardinal Mazarin.

Mazarin, pendant les dernières années du règne de Louis XIII, avait toujours dissimulé sa réelle influence sous les discrètes allures d'une politesse sérieuse et muette. On s'accordait à faire l'éloge de son caractère affable et bienveillant, comme de son esprit fin et délié ; mais personne ne pouvait se vanter de le bien connaître, excepté la reine, qui lui portait la plus sincère amitié et qui comptait en toute chose sur son dévouement absolu. Il avait sur elle, dit Voltaire avec un sens et un tact exquis, cet empire qu'un homme adroit devait avoir sur une femme née avec assez de faiblesse pour être dominée, et avec assez de fermeté pour persister dans son choix.

La reine avait le même âge que lui ; elle était encore fort belle ; romanesque et passionnée comme une Espagnole, elle ne pouvait être indifférente aux sentiments de respectueux attachement qu'elle avait inspirés au cardinal. Son orgueil l'avait faite irascible et opiniâtre, quoiqu'elle sût, au besoin, dissimuler ses impressions et se soumettre, en apparence, à une nécessité de situation dominante ; elle ne changeait pas pour cela d'idée, ni d'intention, ni de but : ce qui explique sa persévérance invariable dans ses affections comme dans ses haines. Elle devait depuis longtemps se préparer à la régence, que Mazarin avait su lui faire pressentir, car elle se sentait incapable de gouverner par elle-même et elle avait besoin de compter sur un autre Richelieu, qui la déchargerait du fardeau et des embarras du gouvernement.

Une minorité devait, d'ailleurs, donner un nouvel aliment aux cabales de cour, que l'affaiblissement de la puissance royale, depuis la mort de Richelieu, avait laissé renaître, en ouvrant les portes des prisons d'État à plus d'un dangereux détenu ; mais ces cabales avaient changé de caractère, de tactique et d'objet. Ce n'était plus la guerre civile qui devait inévitablement résulter de la conspiration des mécontents ; c'était seulement un travail incessant d'intrigues qui se succédaient l'une à l'autre, où se mêlaient ensemble pour donner satisfaction à des ambitions aussi mesquines qu'insatiables. Pour les mécontents, que le ridicule avait déjà frappés en leur donnant la qualification d'Importants (fig. 109), il s'agissait moins de s'emparer du pouvoir que de tous les avantages qu'il serait possible d'en tirer à leur profit.

Le chef de ces Importants était le duc de Beaufort, fils du duc de Vendôme, jeune prince de haute mine, mais de pauvre intelligence, inconséquent et vantard, capable de toutes les folies et de quelques bonnes intentions. Il se croyait tout permis parce qu'il avait l'audace de tout entreprendre ; il voulait marcher l'égal du roi, parce qu'il se disait aussi petit-fils d'Henri IV, et il tenait à la cour le premier rang de prince du sang, parce qu'il s'appuyait sur le crédit de Mm° de Montbazon, qui partageait exclusivement, avec sa fille la duchesse de Chevreuse, la faveur de la reine. Il s'était entouré de brouillons et de factieux qui lui conseillaient de se débarrasser de la dangereuse rivalité de Mazarin auprès d'Anne d'Autriche. Mazarin fut averti des complots qu'on tramait contre lui, et il dut les prévenir en faisant arrêter et conduire au donjon de Vincennes le duc de Beaufort, qui avait juré de le tuer de sa propre main.

Il y eut, en outre, plusieurs des partisans de ce prince, entre autres le vieux Châteauneuf, qu'on éloigna de la reine et qui furent invités à se retirer dans leurs terres. La duchesse de Montbazon avait été sacrifiée la première, sans que la reine essayât de la protéger contre la duchesse de Longueville, qui exigeait son renvoi et sa disgrâce. Min° de Longueville avait pour elle, outre l'adhésion de Mazarin, l'influence considérable 'de sa mère, la princesse de Condé, et de son frère, le duc d'Enghien, le vainqueur de Rocroy. Anne d'Autriche ne songea même pas à intervenir en faveur de la duchesse de Chevreuse, autrefois sa confidente. La souveraine, dit Mme de Motteville, était devenue sérieuse et dévote ; la favorite était demeurée dans les mêmes sentiments de galanterie et de vanité.

L'évêque de Beauvais, que Louis XIII en mourant, avait mis à la tête du conseil, fut remercié et renvoyé dans son diocèse. Le surintendant des finances Bouthillier et son fils, le comte de Chavigny, sortirent en même temps du ministère, qui fut reconstitué par le cardinal avec des hommes d'État qu'il savait être à sa dévotion. Les principaux Importants, que le cardinal de Retz représente comme quatre ou cinq mélancoliques qui avoient la mine de penser creux, essayèrent encore de donner suite à la cabale du duc de Beaufort, mais ils perdirent le dernier appui qu'ils avaient dans l'intimité de la reine, quand Mme de Hautefort, qui persistait à les soutenir, se vit obligée, à son tour, de quitter la place et de disparaître de la cour, sur un ordre de Mazarin, qui la craignait plus que toutes les autres conseillères d'Anne d'Autriche. La querelle des duchesses de Montbazon et de Longueville eut un triste dénouement, dans un duel célèbre, où le duc de Guise et le comte de Coligny combattirent l'un contre l'autre, en plein jour, au milieu de la place Royale, sous les yeux des dames qui étaient les témoins de la lutte sanglante de ces deux vaillants champions. Ce duel, dans lequel Coligny fut blessé mortellement pour les beaux yeux de Mme de Longueville, semblait le prologue de la Fronde, où les femmes de la régence d'Anne d'Autriche allaient jouer un rôle si actif, en faisant de la galanterie française le mobile romanesque de la politique.

On ne pouvait plus douter que Mazarin fût désormais le seul guide, le seul inspirateur de tous les actes de la régence. Il pouvait achever, par la paix autant que par les armes, l'œuvre de Richelieu, et tandis que d'Enghien et Turenne (fig. i 1o), les grands capitaines de leur temps, se mesuraient sur les champs de bataille de Fribourg et de Nordlingue, avec les meilleurs généraux de l'Espagne et de l'Allemagne, les négociations se poursuivaient à la fois à Munster et à Osnabruck pour la conclusion d'un traité qui donnait de nouvelles frontières à la France agrandie, en assurant une paix durable à l'Europe. Les négociations, que le comte d'Avaux et Abel Servien étaient chargés de suivre au nom de la France, c'était Mazarin qui les conduisait seul, avec beaucoup d'habileté, du fond du Palais-Royal, où il avait jugé utile de s'établir près de la reine, qui s'y trouvait plus en sûreté qu'au Louvre. Quant à lui, il habitait un petit corps de logis, dans une cour intérieure du palais, laquelle s'ouvrait sur la rue des Bons-Enfants et était gardée jour et nuit par de nombreuses sentinelles ; le complot de Beaufort contre sa vie l'avait averti' de prendre des précautions de prudence, qui devinrent de plus en plus nécessaires, à mesure que s'envenimait le ressentiment de ses ennemis et que la voix publique le désignait plus spécialement à l'aversion de tous les Français.

On attribuait, en effet, à la reine, tout le bien qui se faisait, dans les choses du gouvernement, et l'on n'attribuait tout le mal qu'à lui seul. Un courtisan avait déclaré que la langue française pouvait se réduire à cinq petits mots : La reine est si bonne, et le peuple, parodiant cette flatterie, disait qu'il en fallait à peu près autant pour résumer la puissance du diable : Le cardinal n'est pas bon.

Mazarin avait, sans doute, à se reprocher de n'avoir pas pris à cœur la cause du peuple et de ne tenir aucun compte de ses misères, quand il avait autorisé et même provoqué les prodigalités des premiers temps de la régence. On donnoit tout, on ne refusoit rien, dit, à ce sujet, le cardinal de Retz. Les revenus de l'État étaient dévorés, par anticipation, pour plus de trois années, et cependant les dépenses s'élevèrent, dans le cours de cette première année, à 25 millions au-dessus du chiffre des dépenses de l'année précédente. Les abus et les désordres qui existaient dans l'administration financière, depuis qu'elle avait cessé d'être dans les mains de Sully, n'avaient fait que s'augmenter à l'excès, surtout après que l'Italien Particelli, qui déguisait sa nationalité sous le nom d'Émery, fut devenu contrôleur général ou surintendant des finances.

Particelli d'Émery surpassa tous ses prédécesseurs : il avait une prodigieuse imaginative pour créer de nouvelles taxes ; il retranchait arbitrairement une portion des rentes à payer par l'État, il empruntait à 15 et 20 pour cent, rendait les contribuables solidaires les uns des autres, faisait saisir et vendre les bestiaux et les instruments aratoires des laboureurs, et retenait en chartre privée les gens qui n'avaient pas le moyen de payer. On assure que, durant l'année 1646, 23.000 personnes avaient été ainsi emprisonnées, et que 5.000 moururent de faim et de maladie dans les prisons ! D'un bout de la France à l'autre, des cris de douleur et des malédictions s'élevaient contre le premier ministre, qui autorisait ces horreurs ou qui du moins n'y portait pas remède. L'indignation populaire eût été plus grande encore, si l'on avait soupçonné qu'il se faisait une large part dans le produit de ces impôts injustes et vexatoires, et que sa fortune particulière grossissait aux dépens de la fortune publique.

Bien que Mazarin n'eût rien changé à ses habitudes discrètes et mystérieuses et se fût fait, en quelque sorte, une existence close de toutes parts, le secret n'en était pas si bien gardé qu'il ne transpirât dans le public quelque bruit de ce rapide accroissement de fortune. On savait qu'une grande bibliothèque avait été formée, pour lui, par le savant Naudé, son secrétaire ; que de riches collections de tableaux de maîtres, de statues antiques, d'anciennes tapisseries, de camées et de pierres précieuses, étaient réunies par ses ordres. On apprit bientôt que le cardinal avait acheté, au prix d'un million, l'hôtel que le président Duret de Chevry avait fait construire à Paris, sur la rue des Petits-Champs, et qu'un autre président de la chambre des comptes, Jacques Tubeuf, venait d'agrandir en y ajoutant son propre hôtel. Une armée d'ouvriers et d'artistes, arrivés d'Italie, s'étaient emparés déjà de ces deux lit tels. et les badauds de Paris étaient aux aguets pour suivre les travaux de construction et d'embellissement, en se disant l'un à l'autre, que le palais Mazarin serait plus beau que le Palais-Cardinal, devenu Palais-Royal depuis qu'il était habité par le jeune roi, la reine et le premier ministre.

Mazarin ne prenait pas garde à ces haines populaires qui s'amassaient contre lui : il avait trop de mépris pour le peuple, d'où il était sorti, et qu'il confondait avec la canaille, suivant l'habitude des grands seigneurs. Il ne savait pas que le levain de la Ligue fermentait toujours au fond du cœur des bourgeois de Paris, et il osa imprudemment se mettre en lutte avec l'esprit de corps parlementaire, qui faisait mouvoir à son gré toute la bourgeoisie. Il aurait pu voir, cependant, au mois de juillet 1644, un faible essai d'émeute parisienne, lorsque le peuple, irrité d'une taxe arbitraire et onéreuse qui frappait toutes les maisons bâties dans les faubourgs depuis un demi-siècle, se porta en masse sur le Palais, envahit la grand'salle en poussant des cris de mort contre d'Émery, et se montra dans les rues, armé de bâtons et vociférant. Ce fut ce jour-là même que la reine, effrayée de ces menaces et de ces excès, transporta du Louvre au Palais-Royal sa résidence ordinaire.

Quant aux désordres et aux émeutes qui avaient lieu dans les provinces à l'occasion de la levée des tailles, le cardinal n'en voyait rien et ne s'en inquiétait pas. Il n'ignorait point que la colère du peuple et des bourgeois s'exhalait contre lui en épigrammes et en vaudevilles satiriques ; c'est à ce sujet qu'il aurait dit ce mot fameux, qui eut des échos sinistres dans le ressentiment des Parisiens : Ils chantent, ils payeront !

Tout était tranquille du côté de la cour, où les Importants, avaient été remplacés par les Petits-maîtres, qui s'étaient donné pour chef et pour modèle le duc d'Enghien : ils critiquaient tout d'un ton tranchant et d'un air bravache, mais ils ne songeaient pas à faire des menées politiques, se plaignant seulement de ce que la reine donnait trop de temps à ses dévotions, et pas assez d'éclat aux divertissements de la jeune noblesse.

Nous emprunterons à Mme de Motteville quelques détails sur la vie journalière de la reine depuis qu'elle était en paisible possession du pouvoir. Elle s'éveillait pour l'ordinaire à dix ou onze heures ; ses principaux officiers lui venaient faire leur cour, ainsi que certaines dames qui lui parlaient de charités, car ses aumônes étaient grandes. Puis elle se levait, prenait une robe de chambre, et, après avoir fait une seconde prière, elle déjeunait de grand appétit. Après avoir mis son corps de jupe avec un peignoir, elle entendait la messe fort dévotement et, cette action finie, elle venait à sa toilette. De temps en temps, elle gardait la chambre un ou deux jours pour se reposer. Elle ne dînait pas souvent en public, servie par ses officiers. Après son dîner, elle allait tenir le cercle, ou bien elle sortait et allait voir des religieuses. La reine se retirait ensuite en son particulier, et le cardinal venait s'entretenir, les portes ouvertes. Quand elle avait donné le bonsoir, elle restait en prière pendant plus d'une heure ; puis elle soupait à onze heures.

Au dehors, les armées de France poursuivaient le cours de leurs succès, et le congrès de Munster marchait lentement dans la voie que Mazarin avait ouverte pour arriver à une paix définitive. Mais il fallait de l'argent, beaucoup d'argent, car les caisses de l'État étaient vides, et, pour les remplir, le contrôleur générai d'Émery faisait appel aux ressources de son génie inventif, en créant de nouveaux impôts. En vain, touché de la misère du peuple, le parlement s'était réuni, malgré la défense de la reine, pour protester contre cet accroissement des impôts ; Paris était resté calme, bien que les corps de métiers eussent été taxés à plus de 700.000 livres, et le contrôleur général continuait le cours de ses entreprises financières.

Mazarin se croyait alors assez sûr de l'avenir pour faire élever auprès de lui trois de ses nièces et son neveu, que la reine avait accueillis avec empressement et qu'elle traitait comme ses propres enfants. Tandis qu'il faisait connaître à la cour ce que c'était que l'opéra italien et la musique italienne, ce qui coûta des sommes considérables, il laissait à son compère d'Émery liberté entière de battre monnaie, tantôt par des mesures vexatoires, tantôt par des édits bursaux presque insignifiants et même ridicules, tels que la création des charges de contrôleurs de fagots, de jurés vendeurs de foin, de conseillers du roi crieurs de vin, et ces charges se vendaient cher, ainsi que l'octroi des lettres de noblesse.

Toutefois, ce calme ne devait pas être de longue durée, et déjà les artisans de troubles et de guerres civiles jugeaient le moment favorable pour exciter le peuple à l'insubordination, sinon à la révolte, en attaquant hautement la reine et son ami le cardinal, qu'elle soutenait contre le parlement. Les dispositions séditieuses du peuple et de la bourgeoisie parisiennes se traduisirent par une espèce d'émeute, aussitôt réprimée que commencée, le 12 janvier 1648, quand le jeune roi, à peine rétabli d'une maladie qui avait mis ses jours en danger, fut conduit, par sa mère, à Notre-Dame, pour assister à une messe d'actions de grâces. La veille même, la reine avait vu son carrosse entouré d'un groupe de femmes de la lie du peuple, qui l'outragèrent, en l'invitant à chasser soi/ Mazarin.

D'autres indices de sédition témoignaient de la sourde irritation qui régnait dans Paris. Ainsi, toutes les nuits, on entendait, dans les rues, des coups de feu, et le jour, les abords du Palais étaient encombrés d'une foule remuante et grondante. La création de douze nouvelles charges de maîtres des requêtes avait exaspéré le parlement, qui refusa d'enregistrer cet édit.

Le parlement fit plus : il s'entendit, pour la résistance, avec les cours souveraines, la chambre des comptes, la cour des aides et le grand conseil, qui s'unirent par la considération de la confraternité. L'arrêt d'union, rendu, le 13 mai 1648, par toutes les chambres assemblées, fut cassé par le conseil des ministres, qui voulait mettre ordre à la coalition séditieuse de la haute magistrature. Mazarin avait protesté, dans le conseil, contre cet arrêt d'union, qu'il déclarait attentatoire aux droits de la royauté ; mais, comme il prononçait le français à l'italienne, il répétait toujours l'arrêt d'ognon, ce qui- eut des échos moqueurs à la cour. Le parlement ne persista pas moins à maintenir sa décision pour servir le public et le particulier, et réformer les abus de l'Estat.

On apprit tout à Coup que le duc de Beaufort s'était échappé du donjon de Vincennes, et qu'il recommençait, plus audacieux que jamais, ses brigues et ses complots, avec les anciens chefs des Importants. Le parlement avait l'air de les soutenir, lorsqu'il osait adresser des remontrances à la reine, par une députation qui fut reçue au Palais-Royal, mais qui n'y trouva que des reproches et des menaces de la part de la reine elle-même. Anne d'Autriche alla jusqu'à dire aux envoyés du parlement, que si les séditieux persistoient, elle en feroit un chastiment si exemplaire, qu'il en seroist mention à la postérité.

En dépit de ces menaces, Mazarin poussait doucement à la conciliation, et il pria le duc d'Orléans, le grand agitateur du règne précédent, d'intervenir auprès des magistrats réfractaires. Après deux jours de délibérations parlementaires et de conciliabules secrets, la reine déclara qu'elle consentait à l'exécution de l'arrêt d'union, pourvu que les assemblées des quatre cours souveraines terminassent promptement la besogne qu'elles avaient à faire. Les magistrats coalisés, fiers de leur triomphe, prononcèrent souverainement la suppression des intendants créés par Richelieu, et demandèrent la diminution des impôts, en établissant une chambre de justice, pour faire rendre gorge aux financiers. La reine s'inclina devant la volonté du parlement de Paris, appuyé par les cours souveraines et par tous les parlements de France. Mazarin n'osa même pas faire entendre sa voix en faveur de Particelli, qui fut destitué le 10 juillet et remplacé, à la surintendance des finances, par le duc de la Meilleraye, auquel il ne laissait que des caisses vides, avec 130 millions de dettes.

Le parlement était désormais le maitre de la situation.

Le duc d'Orléans avait repris beaucoup d'autorité auprès de la reine, qui s'indignait des attentats de ces robins contre le pouvoir royal et qui voulait que ce pouvoir fût respecté. M. le cardinal est trop bon, disait-elle ; il gastera tout, pour toujours ménager ses ennemis. Mazarin prêchait tout haut la modération et la prudence, en reprochant à la reine d'être brave comme un soldat qui ne connaît pas le danger. Mais ce n'était qu'une manière de cacher son jeu et de prendre, au nom de la reine, des mesures coercitives contre les téméraires empiètements de la bourgeoisie de robe.

La nouvelle de la glorieuse victoire de Lens, remportée le 20 août par le prince de Condé contre les Espagnols, vint encourager la reine et son premier ministre à recourir aux moyens violents pour réduire à merci le parlement. Rien ne prouve mieux la coïncidence de ce succès avec un projet de répression vigoureuse des entreprises parlementaires, que ce mot du jeune roi Louis XIV, à propos de la victoire de Lens : Le parlement en sera bien fâché. Il était question, en effet, d'appeler Condé à Paris, avec quelques régiments de sa vaillante armée, pour mâter la bourgeoisie séditieuse et tenir en bride le populaire. On savait que le parlement préparait des remontrances au roi et semblait aspirer à mettre la main dans le gouvernement de la régence.

Mazarin jugea que la mesure était comble, et qu'on ne pouvait plus sans péril tolérer l'attitude factieuse des parlementaires.

Un Te Deum solennel devait être célébré, le 26 août, à Notre-Dame, pour la réception des drapeaux pris sur l'ennemi ; le parlement fut invité, selon l'usage. Cette cérémonie avait motivé un grand déploiement de troupes, qui remplissaient toutes les rues de la Cité. Dès que les membres du parlement furent rentrés à leur domicile, on procéda aussitôt à l'arrestation du conseiller Broussel et des présidents Charton et Potier de Blancmesnil, qui étaient considérés comme les chefs les plus dangereux de la faction parlementaire, et soupçonnés d'être les instruments des grands conspirateurs qui travaillaient sourdement à soulever le peuple. Le président Charton avait eu le temps de s'esquiver, mais Broussel et Potier de Blancmesnil furent mis dans deux carrosses, pour être conduits, sous bonne escorte, l'un à Vincennes, et l'autre à Saint-Germain-en-Laye.

La vieille servante de Broussel courut après le carrosse qui emmenait son maitre, et ses cris ameutèrent le peuple, qui tenta de délivre le prisonnier. Ce Broussel, qui n'avait de recommandable que les cheveux blancs et sa haine contre le ministère ou plutôt contre Mazarin, s'était rendu populaire en attaquant avec animosité tous les actes de la cour et en élevant ses attaques jusqu'à la personne de la reine. L'enlèvement de Broussel souleva donc tout le quartier de la Cité ; les portefaix et les gens de rivière accoururent, aux cris de liberté et de Broussel ; on ferma les boutiques, on tendit les chaînes des rues, on jeta des pierres aux soldats, les fenêtres se garnirent d'hommes armés.

Au bruit de cette émeute, le maréchal de la Meilleraye s'était avancé, à la tête des gardes de la maison du roi, jusqu'au Pont-Neuf, lorsque la foule ouvrit ses rangs pressés pour livrer passage au coadjuteur de l'archevêque de Paris, à Paul de Gondi, sire de Retz, qui était sorti de l'archevêché pour aller supplier la reine de faire mettre en liberté Broussel et Blancmesnil. On comprend que le coadjuteur, se rendant au Palais-Royal, à pied, en rochet et en camail, au milieu d'une bande de peuple fut assez mal reçu par la reine et par le cardinal : en ayant esté refusé, dit le Journal du parlement, comme il n'avoit pas de bonnes paroles à donner au peuple, il retourna chez lui par un autre chemin qu'il n'estoit venu.

La foule continuait à vociférer, à casser les vitres : on la laissa occuper la Cité, le quartier des Halles et la rue Saint-Honoré. La Meilleraye avait fait replier les troupes aux alentours du Palais-Royal, et pendant la nuit on fit venir 2.000 hommes d'infanterie, qui étaient cantonnés à quelques lieues de Paris. Cette nuit-là se passa dans le plus grand calme ; mais le coadjuteur tenait conseil, à l'archevêché, avec les principaux meneurs, pour aviser à ce qu'il faudrait faire, le lendemain, pour tirer parti de l'agitation du peuple.

Paul de Gondi, qui venait de faire son apparition sur la scène politique, était né conspirateur. Son orgueil et son ambition le poussaient aux entreprises audacieuses ; il enviait la fortune du cardinal Mazarin et il aspirait à prendre sa place auprès de la reine, qu'il croyait facile de subjuguer par la puissance de la fascination. Il n'en était pas, d'ailleurs, à son coup d'essai, puisqu'à l'âge de vingt-trois ans il avait été l'âme d'une conspiration contre la vie de Richelieu. Ses espérances n'avaient pas de bornes ; car, ne comptant que des marchands enrichis parmi ses ancêtres, il ne se lassait pas de répéter : Je suis d'une famille de Florence aussi ancienne que celle des plus grands princes. Ce fut lui qui attira le parlement dans les cabales et le peuple dans les séditions, sans autre but que de renverser Mazarin et de devenir, à sa place, maître absolu du gouvernement.

Il est impossible de ne pas voir la main du coadjuteur dans les événements qui eurent lieu à Paris, le lendemain de la réception froide et dédaigneuse qu'on lui avait faite au Palais-Royal. De grand matin (27 août), le parlement était rassemblé, et deux membres de la compagnie, neveux du conseiller Broussel, lui avaient porté plainte au sujet de l'enlèvement de ce magistrat. Les bourgeois, la plupart en armes, sortaient de leurs maisons et venaient se mettre sous les ordres des colonels et capitaines de quartiers ; le peuple, très ému et très exalté, affluait de toutes parts et se portait aux abords du palais de justice.

On signala un carrosse, lequel, escorté de gens à cheval, essayait de traverser le Pont-Neuf : c'était le chancelier Seguier, qui allait enjoindre au parlement de cesser ses assemblées. Il fut obligé de mettre pied à terre, et la foule le poursuivit de grandes huées. Son escorte fut assaillie et maltraitée ; lui-même eut beaucoup de peine à se soustraire à ces violences, en cherchant un asile dans l'hôtel de Luynes, près du pont Saint-Michel. Le peuple assaillit l'hôtel, et le chancelier n'aurait pas échappé à ces furieux, si le maréchal de la Meilleraye, à la tête d'une compagnie des gardes, ne fût venu le délivrer et le ramener au Palais-Royal à travers une grêle de pierres.

Le bruit se répandit aussitôt qu'il avait été tué ; ce fut le signal du soulèvement des Parisiens : partout on s'arme, partout on élève, à chaque rue, des barricades, avec des tonneaux remplis de sable et de terre ; on monte des pavés à tous les étages des maisons : la ville entière offre l'aspect d'un camp retranché, dans lequel plus de cent mille hommes se distribuent les postes et se disposent à soutenir un siège. Suivant tous les témoignages, deux ou trois heures avaient suffi pour faire passer Paris, du calme profond où l'aurore l'avait trouvé, à cet état qui avait déjà tout le caractère d'une victoire. Les troupes reculent devant ces démonstrations menaçantes, et ne répondent pas même à des décharges de mousqueterie qui font tomber quelques soldats. Tout est morne et anxieux dans l'intérieur du Palais-Royal, où la reine et le cardinal ne savent que résoudre.

Alors le parlement, après ample délibération, sort majestueusement, en corps de cour, avec robes et bonnets, les huissiers en tête, pour se rendre chez le roi. On lui fait place, on le salue de mille acclamations. La reine, à l'arrivée des magistrats, ordonne de les introduire en sa présence : elle les reçoit dans une attitude noble et fière. Le premier président Molé prend la parole, et conjure la reine de faire mettre en liberté Broussel et Blancmesnil comme l'unique moyen de sortir d'affaire. Anne d'Autriche répond que c'est au parlement seul de calmer l'agitation publique et que, s'il ne le bisait pas, tous ceux qui se trouvaient devant elle en répondraient sur leurs têtes. Le premier président insiste ; la reine s'irrite, refuse toute concession et passe dans une autre chambre. Mais Mazarin, qu'elle va rejoindre, la décide à entrer en pourparlers avec le parlement, qui peut seul s'interposer entre elle et le peuple révolté. Après de longs débats pour en venir à une entente réciproque, la reine consent à tout, si le parlement s'engage à ne pas siéger jusqu'aux premiers jours de novembre. Il s'agit d'en délibérer, et le parlement se met en marche pour retourner au lieu de ses séances.

Quand le peuple, qui attendait sa sortie, le voit revenir sans ramener le conseiller Broussel avec lui, on lui barre le passage, on le repousse, on lui crie qu'il ne sortira du Palais-Royal qu'avec Broussel libre ou le cardinal et le chancelier pour otages. Une partie des magistrats seulement rentre dans le Palais-Royal ; les autres jettent à terre leurs insignes et leurs robes pour s'esquiver dans la foule. On tient séance dans la grande galerie du Palais-Royal, sous la présidence du chancelier, et l'on rend un arrêt par lequel le parlement déclare qu'il ne s'occupera plus que des affaires courantes, ajournant tacitement toute autre discussion à la rentrée des vacances. Cet arrêt rendu, la reine fait délivrer des lettres de cachet pour le retour des prisonniers. Les parlementaires sont forcés de montrer ces lettres, pour que la foule leur ouvre passage.

On était arrivé ainsi jusqu'à sept heures du soir, et le peuple, qui ne se fiait pas trop aux promesses de la reine, passa la nuit sur ses barricades, en faisant bonne garde pour ne pas être surpris.

Le jour suivant (28 août), dès l'aube, le parlement était déjà réuni quand le président de Blancmesnil vint reprendre sa place dans la grand'chambre ; mais Broussel n'avait pas encore reparu, et le peuple le redemandait à grands cris. On le trouva dans l'église de Notre-Dame, qui priait à genoux devant un autel ; les bourgeois armés l'escortèrent jusque dans les salles du Palais, en criant : Vive Broussel ! Aussitôt le parlement ordonne : Que chacun rouvre ses boutiques, et retourne à ses exercices ordinaires ; que les chaînes soient abaissées et les barricades défaites, avec défenses à tous vagabonds et gens sans aveu de piller aucunes armes et de s'assembler, sous peine de punition. A midi, il ne restait plus aucune trace du désordre.

Les trois journées des barricades étaient sans doute, fait observer Bazin, un événement fâcheux pour l'autorité royale ; elle avait voulu agir violemment, par surprise, et une résistance ouverte, forte, unanime, devenue en quelques instants menaçante et agressive, avait arraché publiquement de ses mains sa chétive capture. Au milieu de l'agitation causée par cet attentat impuissant, le mécontentement populaire avait certainement fait de grands pas. Il était parvenu jusqu'à des manifestations offensantes contre la personne de la reine, contre son ministre ; il avait proclamé dans la rue des principes tout à fait séditieux, des désirs complètement hostiles. Cependant, il était certain aussi que si la volonté du souverain avait été empêchée, si sa puissance avait été vaincue, personne du moins n'avait pu profiter de cette défaite pour établir son commandement sur la force immense qui venait de se révéler. Aucun chef n'avait paru, aucun nom n'avait rallié :es masses ; le parlement lui-même s'était compromis. Les gens de guerre s'étaient montrés fidèles, les gens de cour zélés jusqu'à la fanfaronnade. La position n'était donc pas désespérée, et beaucoup d'adresse, avec un peu de fermeté, pouvait en réparer le dommage.

Le parlement tint sa promesse et s'abstint de toute délibération relative aux derniers événements, mais le peuple et les bourgeois étaient trop fiers d'avoir fait trembler la cour pour ne pas s'attribuer toute la gloire de leurs barricades. C'était, pensaient-ils, un moyen infaillible qu'ils pourraient toujours employer avec succès pour obtenir du gouvernement pleine satisfaction à l'égard de tous leurs griefs. Les conspirateurs savaient aussi comment le peuple et les bourgeois leur serviraient d'instruments dociles et aveugles contre la cour.

Ces conspirateurs avaient déjà leur nom de parti : ils s'étaient qualifiés de Frondeurs, pour rappeler qu'il n'avait fallu qu'un coup de fronde du petit berger David pour mettre à bas le géant Goliath. Le roi avait à peine été nommé pendant l'émeute des barricades ; la reine seule était désignée au ressentiment des Parisiens ; on n'imputait qu'à elle l'audace d'un attentat contre Broussel, qui avait toujours été le défenseur de la cause du peuple. C'est alors que commença contre elle un effroyable débordement de chansons et de vaudevilles satiriques, qui passaient de bouche en bouche et allaient retentir jusqu'aux portes du Palais-Royal. Dans ces chansons, que les frondeurs s'acharnaient à multiplier et à répandre avec une atroce malignité, le nom de Mazarin était odieusement mêlé au nom de la reine, qui ne pouvait plus paraître en public sans être outragée.

Anne d'Autriche avait demandé, avec instance, que Condé fût averti de venir en toute hâte à Paris avec son armée. Mazarin s'y opposa, en disant que l'armée du prince était plus utile contre les ennemis que contre les Parisiens ; mais la reine, ne pouvant plus supporter le séjour de la capitale, où tout le monde semblait s'être tourné contre elle, résolut d'aller passer l'automne au château de Ruel, avec le roi et la cour (13 septembre). Le cardinal, prévoyant l'effet fâcheux de ce départ, prit les précautions nécessaires pour qu'il n'eût pas l'air d'une fuite, et une fois arrivé à Ruel, où il suivit la reine, il manda au parlement que le jeune roi étant malade, ses médecins lui avaient recommandé, dans l'intérêt de sa santé, de faire un séjour de deux mois à la campagne.

Les Parisiens furent très inquiets et très irrités quand on sut que la cour n'était plus au Palais-Royal. Ils apprenaient, peu de jours après, que Condé avait quitté son armée pour se rendre aussi à Ruel, et qu'on rassemblait des troupes destinées à faire le siège ou le blocus de Paris. Le parlement oublia sa promesse de s'abstenir de toute discussion politique jusqu'à la fin de ses vacances. Dans une séance (22 septembre), où le président Viole avait exposé les dangers que pourrait courir la capitale si le parti de la cour se préparait à l'attaquer de vive force ou par la famine, Blancmesnil s'écria que tout le mal venait d'un seul homme, et que le remède serait de remettre en vigueur l'arrêt de 1617, qui, après la mort du maréchal d'Ancre, avait interdit expressément de confier à un étranger l'administration du royaume. Le cardinal Mazarin avait été nommé par tous les assistants, et dès lors son nom revint dans les délibérations où le parlement ne visait qu'à humilier l'autorité royale.

En même temps, on publiait à Paris une des premières mazarinades qui aient paru, et dont M. de Retz était certainement l'auteur ou l'inspirateur ; elle était intitulée : Requête des trois États du gouvernement de l’Ile-de-France au Parlement ; ce pamphlet anonyme, où les griefs contre Mazarin s'étalaient en huit pages pleines des plus violentes invectives, s'adressait au parlement, pour le supplier de faire des remontrances à la reine sur les grands malheurs et désordres déjà causés par le cardinal Mazarin, et sur ceux qu'il causeroit à l'avenir s'il demeuroit plus longtemps dans cette domination illégale et violente où il s'estoit establi.

Mazarin comprit qu'il ne devait pas laisser le champ libre à ses ennemis : dans les conférences qui se tenaient à Saint-Germain pour dresser un compromis entre le roi et le parlement, il écouta, il signa tout ce qu'on voulut, pourvu que son nom ne fût pas prononcé dans cet arrangement amiable qui donnait satisfaction aux exigences impérieuses du parlement ; et, le 31 octobre, il ramenait la cour à Paris, sept jours après la signature, à Munster, d'un glorieux traité de paix — on l'appela plus communément traité de Westphalie —, d'après lequel, selon les expressions emphatiques de la Gazette, les François pourroient dorénavant abreuver paisiblement leurs chevaux dans le Rhin, et le roi faire, de là vers l'autre bout de son royaume, plus de cinq cents bonnes lieues françoises sur ses terres. Les habitants de Paris ne s'émurent même pas à la nouvelle de ce traité, qui rehaussait la grandeur de la France aux yeux de l'Europe : on n'était occupé que du retour du roi au Palais-Royal, ce qu'on regardait comme une soumission aux volontés du peuple et aux ordres du parlement.

Le cardinal ne tarda pas à s'apercevoir qu'il s'était trop pressé de revenir à Paris.

L'attitude de la population était plus insolente et plus menaçante que jamais, et les projets des chefs de la Fronde s'annonçaient par des bruits sinistres et par des placards incendiaires. Les libelles imprimés en cachette commençaient à pleuvoir et tombaient dans toutes les mains. Aussi Mazarin fut-il le premier à reconnaître que le roi et sa mère n'étaient plus en sûreté au Palais-Royal. On décida donc que la cour quitterait Paris, pour se rendre à Saint-Germain. Le secret fut bien gardé, et, le 6 janvier 1649, jour des Rois, à quatre heures du matin, le carrosse d'Anne d'Autriche, où se trouvaient Louis XIV et son frère, arriva au Cours la Reine : les carrosses des princes et princesses, des ministres et des grands officiers de la maison royale, en un mot, de toutes les personnes de la cour, ne se firent pas attendre au rendez-vous, et deux heures plus tard tous les fugitifs étaient en sûreté dans le château de Saint-Germain. Là, rien n'avait été préparé pour recevoir un seul de ces hôtes nombreux, l'habitude étant toujours de démeubler les châteaux que l'on n'habitait pas. Durant plusieurs jours, la reine et ses deux fils couchèrent sur des lits de camp, tandis que les princesses et les dames de la cour n'eurent d'autre lit que des bottes de paille, et encore la paille devint bientôt si chère qu'on n'en pouvait trouver pour son argent.

A leur réveil, les Parisiens apprirent qu'ils n'avaient plus dans leurs murs ni roi, ni ministres, ni princes, ni princesses, à l'exception de la duchesse de Longueville, qui était restée presque seule dans l'hôtel de Condé ; on l'y avait laissée, sans se douter qu'il y eût des motifs cachés dans sa résolution, et qu'elle allait devenir un chef de parti.

Il y eut dans la ville un moment de stupeur et d'effroi. Les milices bourgeoises s'armèrent et sortirent dans les rues ; on courut d'abord aux portes de Paris pour les fermer et les garder, car le - bruit se répandait déjà que Condé, accompagné des maréchaux de la Meilleraye, de Gramont, du Plessis-Praslin et de Villeroy, s'était mis en campagne, afin de tenter un coup de main sur Paris avant que la ville fût en état de défense. On avait beau regarder dans la plaine, on ne voyait paraître aucun corps d'armée, on n'entendait pas au loin le son des tambours et des trompettes : on se rassura.

Le parlement prit des mesures, à l'effet de maintenir la tranquillité de Paris et de pourvoir à sa sûreté. Le coadjuteur avait reçu l'ordre de suivre la cour à Saint-Germain : il fit grand éclat de son obéissance apparente aux volontés du roi ; mais, au moment où il montait en carrosse, le peuple intervint à point pour le faire rentrer à l'archevêché, en le saluant de mille acclamations. Le lendemain, un lieutenant des gardes du corps apporta au parlement, qui refusa d'en prendre connaissance, un message de la reine. C'était un ordre du roi qui transférait l'assemblée à Montargis. On décida que l'avocat général Talon et les autres gens du roi iraient à Saint-Germain, pour protester contre les calomnies dont leur corps était l'objet, mais ils n'allèrent pas au-delà d'un village au-dessous de Saint-Germain. Le chancelier, qui ne leur donna audience qu'après les avoir fait attendre en plein air, par le froid de la bise, leur annonça que, si le parlement n'obéissait pas, Paris serait assiégé par les troupes royales, qui occupaient déjà Saint-Cloud, Charenton et Saint-Denis.

Au retour de la députation, le parlement rendit à l'unanimité des voix, hors une, un arrêt, qui disait que de très humbles remontrances seraient faites au roi et à la reine régente, et qui signalait comme auteur de tous les désordres de l'État le cardinal Mazarin, le déclarant perturbateur du repos public, ennemi du roi et de son Estat, lui enjoignant de se retirer de la cour en ce jour, et dans huitaine du royaume ; et ledit temps passé, ordonnant à tous les sujets du roi de lui courir sus, avec défense à toutes personnes de le recevoir. Cet arrêt fut crié à son de trompe dans tous les carrefours de Paris (8 janvier).

La guerre civile était déclarée.

Pour soutenir cette guerre, il fallait de l'argent. Le parlement commença par s'imposer lui-même et fournit une contribution de 750.000 livres ; les autres cours souveraines se taxèrent à proportion. On avait des armes, puisque l'Arsenal était au pouvoir du peuple. Il fut ordonné de faire des retranchements aux faubourgs de la ville, en prenant les terres et héritages qui seraient nécessaires. Chaque maison ayant porte cochère fut obligée de fournir un cavalier monté et équipé ou 150 livres ; chaque maison à petite porte, un fantassin ou 30 livres. Les soldats à enrôler ne faisaient pas faute dans les classes populaires, et l'on eut bientôt formé un régiment destiné à être employé au dehors de la ville, où les milices bourgeoises devaient rester cantonnées.

Les chefs arrivaient de tous côtés : le duc d'Elbeuf vint le premier se mettre au service du parlement : le prince de Conti et le duc de Longueville, qui n'avaient fait que s'arrêter quelques heures à Saint-Germain, prirent le commandement des recrues et des bourgeois, qu'on nommait déjà l'armée de Paris. Puis, la foule accueillit avec enthousiasme son héros, le duc de Beaufort, qui, depuis son évasion du donjon de Vincennes, s'était tenu caché dans le Vendômois. Le duc de Bouillon, le maréchal de la Mothe, le prince de Conti, et beaucoup d'autres grands seigneurs, accouraient pour servir la cause du peuple.

La belle duchesse de Longueville était l'âme de cette noblesse frondeuse. Rien, dit un écrivain, ne semblait moins convenir à un pareil rôle, outre la condition de cette princesse, que son caractère indolent, paresseux, engourdi dans une molle admiration de soi-même, et n'ayant fait paraître encore que l'oisive activité du bel esprit. Celui qui l'avait portée à une pareille résolution était La Rochefoucauld, alors plus connu sous le nom de prince de Marsillac.

Le premier fait d'armes, dont les Parisiens furent très fiers, avait été la prise de la Bastille défendue par vingt-deux soldats, qui fut battue en brèche par six petits canons ; le gouverneur capitula, et sortit de la place avec les honneurs de la guerre ; on le remplaça par le fils de Broussel (12 janvier). Le parlement n'avait pas perdu de temps pour l'exécution de son arrêt contre Mazarin : il ordonnait que tous ses biens meubles et immeubles fussent saisis ; après quoi, il invita tous les parlements de France à sanctionner son arrêt contre le perturbateur du repos public. Le coadjuteur avait fait appel, par l'intermédiaire de ses agents, à toutes les plumes vénales qui voudraient participer à cet effroyable déchaînement de libelles outrageants et calomnieux, qu'on allait voir naître et se succéder sans interruption pendant quatre ans, pour vouer au mépris et à la haine des Français le ministre étranger que la reine régente s'obstinait à conserver.

Il y eut, dans ces quatre années, plus de 4.000 mazarinades, la plupart rédigées et imprimées à Paris, puis colportées par toute la France, les unes sérieuses, emphatiques, éloquentes, les autres burlesques, plaisantes et grossières, soit en vers, soit en prose, et dont l'effet fut immense au moment où elles parurent, parce qu'elles répondaient aux passions du plus grand nombre. Plus tard, le coadjuteur en faisait justice, en disant de ces instruments de guerre civile : Je crois pouvoir dire, avec vérité, qu'il n'y a pas cent feuilles qui méritent qu'on les lise. On prétend que Mazarin n'avait que du dégoût et de l'indifférence pour ces pamphlets, dont l'exagération ridicule atténuait l'effet ; on sait pourtant qu'il fut sensible au poème burlesque de la Milliade, composé par Scarron, qu'il avait pensionné généreusement, et le soin qu'il prit de faire publier par son bibliothécaire Naudé une réfutation vive et précise des principales attaques dirigées contre sa politique prouve combien il avait à cœur de détruire la fâcheuse .impression produite par tant de libelles.

Cependant, la cour ne voulait pas prendre au sérieux la guerre de Paris. On racontait les anecdotes les plus plaisantes sur les étranges soldats qu'on avait levés à la hâte, pour les opposer aux troupes de Condé et du duc d'Orléans ; c'était la cavalerie des portes cochères. Cette armée improvisée commençait à sortir de la ville, sans s'éloigner beaucoup des murailles ; ses exploits se bornaient à l'enlèvement de quelques convois de vivres et au pillage de quelques maisons des champs. Elle portait sur ses enseignes cette devise bizarre : Nous cherchons notre roi. Une partie du régiment levé par le coadjuteur, qui était aussi archevêque de Corinthe, fut battue près de Longjumeau ; ce qui fit appeler cette défaite la première aux Corinthiens. Toutes les forces de Paris allèrent se mettre en bataille dans la plaine de Picpus quand on apprit que Condé se portait sur Charenton, qui fut emporté à la pointe de l'épée et presque aussitôt abandonné par les vainqueurs, après un combat assez sanglant ; mais l'armée de la Fronde n'osa pas se mesurer avec l'armée royale et se retira sans coup férir (8 février).

Cette affaire, peu glorieuse pour les rebelles, disposa le parlement à la conciliation, et, malgré les intrigues du coadjuteur, qui cherchait à l'entraîner ainsi que les princes dans une sorte de ligue avec l'Espagne, mécontente du traité de Munster, en faisant luire à leurs yeux l'espoir d'une intervention de l'armée de Turenne, les conférences ouvertes à Ruel aboutirent à un accommodement entre la cour et les parlementaires (11 mars). Le premier président Molé ne craignit pas d'outrepasser ses pouvoirs, en signant cette transaction : il ne savait pas que Turenne, abandonné de son armée, avait dû se réfugier chez le landgrave, pour n'être pas retenu prisonnier par ses propres soldats, mais il savait que la cour était instruite de l'alliance projetée des frondeurs avec l'Espagne, par l'arrestation d'un écuyer du prince de Conti et par la saisie des lettres de l'archiduc Léopold.

Quand Molé vint rendre compte de sa mission au parlement, les princes s'indignèrent de ce que leurs intérêts particuliers n'eussent pas été mieux sauvegardés. La grand'salle du Palais était envahie par le peuple, qui faisait rage ; et le premier président, dont la fermeté ne faiblit pas un moment dans cette journée, aurait été mis en pièces s'il s'était montré. On lui proposa de se retirer par une issue dérobée, mais il s'y refusa fièrement, et comme le coadjuteur se disait incapable d'apaiser la foule qu'il avait ameutée : Eh ! mon bon seigneur, repartit Molé en raillant, dites le bon mot seulement, et vous en viendrez à bout. Le coadjuteur harangua cette foule furieuse, lui dit tout ce qui devait la toucher et tout ce qui pouvait la tromper, fit en un quart d'heure trente personnages différents, menaça, commanda, supplia, et ouvrit enfin un passage au premier président, qui, précédé des huissiers et suivi des membres du parlement, sortit sain et sauf du Palais. Parmi les clameurs qui l'accompagnaient, on entendit pour la première fois retentir le cri de Vive la République !

Ll y eut encore de nouveaux débats au parlement, et de nouveaux attroupements autour du Palais ; la paix n'en était pas moins signée, et les princes, pour y adhérer, imposèrent au cardinal des conditions plus ou moins exorbitantes. On n'épargna ni l'argent ni les promesses avec eux. Enfin, cette paix fut criée à son de trompe, dans les rues de Paris, le 2 avril : le peuple en avait pris son parti ; les feux de joie, les salves d'artillerie et le Te Deum le mirent en liesse. L'armée de la Fronde fut licenciée le lendemain, et le parlement se remit à juger des procès.

Les princes, généraux de la Fronde, avaient tous fait assez pauvre figure pendant la guerre civile, à l'exception du duc de Beaufort, qui se signala par une grande bravoure et dont la popularité s'en accrut. On ne parlait de lui, à la cour, que sous le nom de roi des halles ; mais le peuple l'admirait et l'adorait à tel point, que la paix n'eût pas eu lieu si ce brave prince eût voulu s'y opposer. Il ne fut même pas nommé, non plus que le coadjuteur, dans les articles accessoires du traité.

La tranquillité fut prompte à se rétablir dans toutes les villes et les provinces qui avaient obéi au mouvement insurrectionnel de la Fronde ; toutefois, quoique Paris eût repris sa physionomie ordinaire et que chacun ne songeât qu'à ses affaires, il n'était pas question du retour du roi dans sa capitale. La reine régente avait déclaré qu'elle préférait mourir plutôt que, d'y rentrer. Ce fut pour la distraire et la calmer que le cardinal Mazarin la conduisit à Compiègne, avec le roi. Il avait l'intention de se rendre à l'armée d'Allemagne, car si les ratifications du traité de Munster avaient été échangées, la paix n'était pas encore terminée avec l'Espagne, et l'archiduc Léopold, qui avait eu l'espoir de conclure une alliance offensive et défensive avec la Fronde, par l'entremise du coadjuteur et du prince de Conti, allait continuer la guerre en Flandre. Condé n'avait pas consenti à reprendre son commandement, mais il s'était engagé à ramener le cardinal à Paris. Le cardinal attendait le moment de l'inviter à tenir sa promesse, dès qu'il aurait décidé la reine à revenir avec lui au Palais-Royal. Il alla d'abord à Saint-Quentin, visiter l'armée qui se préparait à faire campagne contre les Espagnols, et il fut reçu avec les mêmes honneurs qu'on avait rendus à Richelieu devant la Rochelle.

Dès lors, il jugea que l'heure était venue de retourner à Paris.

Un maître des cérémonies prévint le parlement et le corps de ville que l'entrée solennelle aurait lieu le i 8 août 1649 ; le corps de ville, suivi de cinq cents bourgeois à cheval en housses et habits noirs, alla, sur la route de Saint-Denis, attendre le cortège royal. La reine était sur le devant du carrosse, avec Mlle de Montpensier, fille unique du duc d'Orléans ; à la portière, du côté de la reine, se trouvaient le roi, le duc d'Anjou et le duc d'Orléans ; à l'autre portière, Condé et le cardinal Mazarin. Ce fut, dit Mme de Motteville dans ses Mémoires, un véritable prodige que l'entrée du roi en ce jour, et une grande victoire pour le ministre. Le Mazarin, si haï, fut regardé attentivement de ceux qui suivoient le roi ; ils se disoient les uns aux autres, comme s'ils ne l'eussent jamais vu : Voilà le Mazarin ! Les uns disoient qu'il étoit beau, les autres lui tendoient la main et l'assuroient qu'ils l'aimoient bien ; d'autres disoient qu'ils alloient boire à sa santé.

Condé se croyait quitte désormais de ses engagements avec la reine, et dès lors il n'appartint plus qu'aux caprices de sa sœur, la duchesse de Longueville, et aux intérêts de sa maison ; il s'éloigna immédiatement du cardinal, et donnant carrière à son caractère mutin, malicieux et narquois, il se posa en adversaire du premier ministre, qu'il se faisait un plaisir de contrecarrer en toute occasion et qu'il affectait d'accabler d'impertinences. Un jour, en prenant congé de lui, il le toisa d'un air sardonique et lui dit en ricanant : Adieu, Mars. Il ne pardonnait pas sans doute à Mazarin d'être allé au camp de Saint-Quentin jouer le rôle d'un général d'armée. Son ressentiment s'était aussi tourné contre la reine : il la bravait, il se moquait d'elle. Les épigrammes et les bons mots ne coûtaient pas à Condé : il faut supposer qu'il s'en permit quelques-uns qui le brouillèrent avec la reine et le cardinal, auquel il aurait écrit, dit-on, une lettre provocatrice portant cette adresse insolente : All' illustrissimo signor Facchino. Une réconciliation n'était plus possible, et la cour songeait à se rapprocher des principaux chefs de la Fronde et du duc d'Orléans, pour lesquels Condé, qui ne ménageait personne, témoignait un dédaigneux mépris.

Le parlement se trouvait un peu en dehors de ces cabales et de ces intrigues, mais il n'attendait que l'occasion de rentrer en scène. Il ne fallait pour cela que voir reparaître les armes dans les mains des bourgeois, et agiter le fantôme des complots de la cour. Des bruits de tentatives d'assassinat contre le duc de Beaufort, contre le prince de Condé et contre un conseiller au Châtelet nommé Guy Joly — cette dernière affaire imputée à la cour et imaginée dit-on, par la prétendue victime elle-même —, mirent en présence devant le parlement et devant le public les partis qui se rejetaient mutuellement l'accusation.

Bientôt la mésintelligence fut au comble entre les princes et la cour, qui prit le parti violent de faire arrêter Condé, son frère Conti et son beau-frère le duc de Longueville. Cette arrestation arbitraire, que le coadjuteur n'osa désapprouver tout haut, eut lieu le 18 janvier 1650, au Palais-Royal, où les trois princes avaient été mandés par la reine pour assister à une séance du conseil privé ; et pendant qu'on les arrêtait au nom du roi, Anne d'Autriche était en prières dans sa chambre, avec son fils. Les prisonniers furent conduits à Vincennes ; le peuple, en apprenant leur emprisonnement, fit des feux de joie et des réjouissances, parce qu'il regardait ces trois grands seigneurs comme les plus redoutables ennemis de la Fronde.

Mazarin s'était presque réhabilité par ce coup d'État, et les frondeurs disaient gaiement, qu'il ne falloit plus haïr le cardinal, puisqu'il avoit cessé d'être Mazarin.

Celui à qui la postérité a décerné le titre de grand, le vainqueur de Rocroy et de Lens, le premier capitaine de son temps, n'était pas populaire à Paris, mais son nom imposait le respect et l'admiration à toute l'Europe. On eût souhaité le voir à la tête des armées de la France, alors qu'il était enfermé au donjon de Vincennes. Sa mère, la princesse douairière, quoique frappée d'un arrêt d'exil, s'était obstinée à rester à Paris, pour porter elle-même au parlement une requête suppliante, et pour lui demander justice de l'arrestation illégale des princes ; sa femme, qu'il avait eu le tort grave d'humilier sous prétexte qu'elle n'était pas de condition assez illustre, avait traversé la France, en bravant mille périls, pour se réfugier à Bordeaux, où, avec l'aide des ducs de Bouillon et de la Rochefoucauld, elle soulevait le peuple en faveur des prisonniers ; sa belle-sœur, la duchesse de Longueville, sortait de France et y rentrait avec une armée espagnole, commandée par Turenne. La situation de la cour était difficile et menaçait de devenir très grave.

Mazarin avait eu l'adresse de s'éclipser, en quelque sorte, du gouvernement, en laissant l'autorité royale dans les mains du duc d'Orléans, tandis que Mme de Longueville et Turenne traitaient avec le roi d'Espagne (20 avril), en s'engageant réciproquement à ne pas mettre bas les armes, que monsieur le Prince ne fût hors de prison et qu'on n'eût offert une paix juste et raisonnable à l'Espagne. Le roi n'avait pas d'armée pour faire face à tant d'adversaires, et l'on dut mettre en gage les pierreries de la reine, afin de payer la solde arriérée des régiments suisses. Le parlement de Paris et tous les parlements de France inclinaient à protester contre la prison des princes.

Le cardinal fait face à tout : il trouve des soldats et des généraux pour combattre les forces de la sédition, qui commence en Normandie, qui éclate ensuite en Picardie, qui menace de s'étendre en Bourgogne, et qui s'allume avec plus de violence en Guyenne. C'est la reine, c'est le roi, qu'il met à la tête des troupes et qu'il conduit lui-même contre les partisans du prince de Condé, tandis qu'il oppose le maréchal du Plessis au maréchal de Turenne, qui avait pris le titre de lieutenant général de l'armée du roi pour la liberté des princes. Après avoir fait transférer au château de Marcoussis les prisonniers que Turenne allait tirer de Vincennes, il pacifie en trois mois la Guyenne et fait rentrer Bordeaux dans l'obéissance du roi (i er octobre). Il pardonne aux rebelles et traite avec eux, sans les pousser au désespoir.

On le voit, après le traité de Bordeaux, dans le même carrosse que le duc de Bouillon, le duc de la Rochefoucauld et Lenet, un des ardents auxiliaires de la cause des princes. Qui auroit pu croire, Messieurs, leur dit en souriant le cardinal, qui auroit pu croire, il y a seulement huit jours, que nous serions tous quatre aujourd'hui dans le mesme carrosse ?Tout arrive en France ! répond la Rochefoucauld, qui méditait déjà son livre des Maximes. Ce mot spirituel résumait d'avance tout ce qui devait se passer jusqu'à la fin de la Fronde.

Le cardinal rentra seul à Paris (31 décembre 1650), où les frondeurs s'étaient réunis contre lui avec les partisans des princes : tout le prestige de ses succès militaires était déjà perdu. Le roi et la reine, qu'il croyait ramener en triomphe, n'ont plus même la puissance de le soutenir contre Retz et Gaston. Il s'indigne, sort une fois de son caractère doux et placide, et, en présence du duc d'Orléans, que la reine avait appelé au Palais-Royal, maudit les brouillons de la France, en leur appliquant les noms de Cromwell et de Fairfax. Le coadjuteur, qui avait compté sur sa promotion au cardinalat, accuse Mazarin de lui avoir enlevé le chapeau de cardinal : il excite le parlement à demander hautement la liberté des princes et l'éloignement du ministre étranger ; le duc d'Orléans est muni de pleins pouvoirs pour obtenir de la reine régente cette double concession.

Mazarin, dont le peuple attache les portraits au pilori et à la potence, comprend qu'il n'est pas en sûreté au Palais-Royal : accompagné de deux gentilshommes, il se retire à Saint-Germain, où il espère que le roi et la reine ne tarderont pas à le rejoindre. Mais le parlement rend un arrêt qui l'exile de France, et dans la nuit du 9 au 10 février 1651, les milices bourgeoises entourent le Palais-Royal et y retiennent prisonniers le roi et la reine. Mazarin se résigne : lui, timide et tremblant aux approches d'une disgrâce, se retrouve ferme et patient dans la disgrâce même. Porteur d'un ordre de la reine, il se rend au Havre pour annoncer aux princes qu'ils sont libres, et Condé ne tire de lui d'autre vengeance que de le saluer, en adieu, d'un immense éclat de rire.

Ne sachant trop où chercher un asile, et dans l'attente d'une lettre de la reine qui le rappelât, Mazarin fit quelque séjour à Doullens, puis à Clermont-en-Argonne. Les princes étaient rentrés à Paris, et le cardinal n'avait plus que des ennemis intéressés à son éloignement définitif. Sur un avis de la reine, il se hâta de passer la frontière. Le jour même où le parlement le poursuivait d'un nouvel arrêt plus violent que les autres, pour informer plusieurs crimes d'État à lui imputés, et pour se saisir de sa personne, Mazarin avait trouvé une splendide hospitalité dans le château de Bruhl, appartenant à l'électeur de Cologne, et c'était encore lui qui dirigeait les affaires de France, par l'entremise des nombreux agents de sa politique, qu'il avait laissés auprès de la reine régente, notamment le secrétaire d'État le Tellier, Servien et Lionne. En même temps, il entretenait une correspondance secrète avec Anne d'Autriche, qui lui conservait un attachement inaltérable. Le prince de Condé avait dès lors rompu avec la cour, après avoir essayé d'arracher au roi des concessions qui devaient annihiler l'autorité royale : il refusa de paraître au lit de justice dans lequel Louis XIV déclarait à treize ans sa majorité (7 septembre 1651), et partit pour son gouvernement de Guyenne avec le projet d'y préparer la guerre civile.

Le roi avait été forcé, en se déclarant majeur, de confirmer l'arrêt du parlement contre Mazarin. Celui-ci se plaignit d'un tel acte de faiblesse, dans une lettre restée célèbre, avec plus d'éloquence peut-être que de sincérité. Le roi et la reine, écrivait-il le 26 septembre, m'ont déclaré un traître, un voleur public, un insuffisant, et l'ennemi du repos de la chrétienté, après les avoir servis si fidèlement. Si je puis obtenir d'eux ce qui ne se refuse pas au dernier des hommes, qui est d'être entendu et qu'on me fasse mon procès dans les formes, afin qu'étant coupable je lave de mon sang les crimes que j'aurais commis, c'est la seule et la plus grande grâce que je saurais recevoir. Je demande l'honneur qu'on m'a ôté, et qu'on me laisse en chemise, renonçant de très bon cœur au cardinalat et à mes bénéfices, desquels j'enverrai la démission avec joie, consentant volontiers d'avoir donné à la France vingt-trois années du meilleur de ma vie, toutes mes peines et le peu de bien que j'avais, et de.me retirer seulement avec l'honneur. Il est difficile de ne pas croire que le roi ne fût toujours d'accord avec Mazarin pour tous les actes de son gouvernement, puisqu'il envoyait secrètement à son ancien ministre les pouvoirs nécessaires à l'effet de traiter avec les Espagnols en son nom, au moment même où, dans la déclaration publique qui inaugurait sa majorité, il rejetait sur le cardinal tous les griefs de la Fronde contre la régence d'Anne d'Autriche.

Ce fut certainement Mazarin qui détacha du parti des princes le maréchal de Turenne (fig. 129), lequel devint le général en chef de l'armée du roi. Condé en conçut tant de dépit, qu'il ne balança plus à lever l'étendard de la révolte dans son gouvernement de Guyenne, et il en ressentit plus d'une fois un terrible remords, comme l'indique son propre aveu, recueilli par Bossuet dans l'oraison funèbre de ce grand capitaine : J'étais entré en prison le plus innocent des hommes ; j'en suis sorti le plus criminel !

La Fronde se divisait alors en trois partis : celui de la vieille Fronde, représenté par le duc d'Orléans, le coadjuteur, le parlement et la bourgeoisie de Paris ; celui de monsieur le Prince ; dans lequel les ducs de Nemours et de la Rochefoucauld s'étaient jetés comme des héros de roman ; et celui de la cour, qui avait pour lui le duc de Bouillon et Turenne. La reine, d'après le conseil de Mazarin, n'hésita pas à opposer le roi en personne, au prince de Condé, le souverain au sujet rebelle. Le roi, en partant de Paris, avait enjoint formellement au cardinal de venir le rejoindre à l'armée ; et le cardinal, qui faisait faire des levées d'hommes dans le pays de Liège et sur les bords du Rhin, se mit en campagne au mois de décembre, pour obéir au roi, avec 6.000 soldats portant sa couleur, l'écharpe verte, qui annonçait que ces troupes étaient à sa solde et sous ses ordres. Il s'avance, sans rencontrer d'obstacle, de Sedan à Rethel, et pénètre en Champagne, où les maréchaux d'Hocquincourt et de la Ferté viennent prendre le commandement des renforts qu'il amène au roi.

Le parlement de Paris, en apprenant que Mazarin est en France, renouvelle contre lui l'arrêt rendu en 1569 contre l'amiral Coligny, et défend, sous peine de mort, de lui livrer passage ou de lui donner asile ; mesure qui ne suffit pas à arrêter la marche du petit corps d'armée du cardinal, qui arrive enfin à Poitiers, auprès du roi et de la reine (30 janvier 1652).

La guerre civile eut pour théâtre les rives de la Loire, d'Angers à Orléans, d'Orléans à Bléneau, où Condé faillit enlever le roi lui-même avec toute la cour, et enfin d'Étampes à Paris, où la vieille Fronde populaire, soutenue par le parlement et dirigée par le duc de Beaufort et le coadjuteur, semblait n'avoir plus de liens avec la nouvelle Fronde, qui n'était qu'une lutte entre Condé et Turenne. Mazarin avait fait du coadjuteur un cardinal (février 1652), sans réussir à le faire rompre avec le parlement. Les intrigues et les négociations continuaient, tandis que les deux armées manœuvraient l'une contre l'autre, avec une merveilleuse stratégie, sans en venir à une bataille décisive.

Cette bataille eut lieu pourtant, sous les murs de Paris, qui voulait se désintéresser des résultats d'une lutte exclusivement militaire, dans laquelle la cour seule pouvait former des vœux et des espérances. Le jeune roi assistait, avec Mazarin, des hauteurs de Charonne, au sanglant combat livré à l'extrémité du faubourg Saint-Antoine (2 juillet 1652). Condé, forcé de battre en retraite devant les forces supérieures de Turenne, allait se voir obligé de mettre bas les armes, si Mlle de Montpensier, la grande Mademoiselle, n'avait obtenu de son père, le duc d'Orléans, un ordre écrit pour faire tirer le canon de la Bastille contre Turenne victorieux, et pour ouvrir les portes de la ville à Condé, qui put s'y réfugier avec ses troupes en déroute. Des deux côtés, la perte fut énorme et, comme on avait combattu de près, la noblesse y avait une grande part.

L'entrée des troupes de Condé dans Paris reculait encore une fois le dénouement pacifique de la guerre civile le parti des princes était maître de la ville, où le parlement ne pouvait plus traiter avec le roi et signer la paix, au moyen d'une transaction qui avait été presque convenue avant le combat du faubourg Saint-Antoine. Tout le monde voulait pourtant la paix, mais on n'avait jamais été plus exaspéré contre Mazarin ; on accusait même le parlement de mazarinisme, et c'était à qui le maudirait le plus. Les bourgeois et les marchands surtout se repentaient d'avoir fait la Fronde : Voilà quatre ans, disaient-ils, que le parlement nous a excités pour ses intérêts particuliers ; il nous a valu le siège de Paris, l'absence du roi, la ruine de notre trafic ; qu'il fasse la paix et nous tire de notre misère, ou nous l'assommerons !

Les princes demandaient à la ville d'embrasser leur cause et de leur fournir l'argent nécessaire pour continuer la guerre, et la ville faisait la sourde oreille. Ils soulevèrent la populace, qui se répandit dans les rues, en forçant tous les passants à arborer à leur chapeau un petit bouquet de paille, qui était l'emblème de l'union des princes et du peuple. Une assemblée des notables devait avoir lieu à l'hôtel de ville le 4 juillet, pour accepter cette union avec les princes, à laquelle la plupart des délégués étaient hostiles. Condé et Gaston d'Orléans s'efforcèrent de changer les dispositions de l'assemblée, et, n'y réussissant pas, ils sortirent, en disant à la foule, du haut du perron : Ces gens-là ne veulent rien faire pour nous, et sont des mazarins. Faites-en ce que vous voudrez ! On en fit un affreux massacre, et les milices bourgeoises n'osèrent pas venir à leur secours.

Le but poursuivi par les princes était atteint : tout tremblait devant eux ; Paris leur appartenait, et le parlement obéissait à leurs ordres. Le président Molé, devenu garde des sceaux, fit savoir au parlement que le roi avait permis au cardinal de se retirer ; mais cependant le cardinal retardait toujours son départ. Les princes, de leur côté, annonçaient leur soumission au roi, pourvu que Mazarin sortît du royaume. La chasse au Mazarin recommença dans le parlement, qui ordonna de reprendre la vente publique du mobilier et des objets d'art du cardinal, en mettant sa tête à prix. Le conseiller Broussel, qui avait été l'infatigable agitateur de la Fronde, en était venu enfin à diriger l'action du parlement, qui donne à Gaston la lieutenance générale du royaume et qui nomme Beaufort gouverneur de Paris.

Condé, après avoir entamé avec la cour des négociations que ses caprices et ses exigences faisaient échouer, persiste dans sa rébellion et joint ses forces à celles des Espagnols, qu'il appelle en France pour continuer la guerre civile. Le roi ne s'oppose plus au départ du cardinal, qui va s'établir à deux pas de la frontière, dans la ville de Bouillon.

Le cardinal de Retz, qui s'était éloigné des princes et qui restait dans l'inaction depuis plusieurs mois, se rattache tout à coup au parti de la cour et conduit à Compiègne une députation de son clergé, pour prier le roi de revenir au milieu de son bon peuple de Paris. Puis il se fait chef d'une espèce de conspiration, dans le but d'ouvrir les portes de Paris au roi, malgré les résistances de Gaston et du duc de Beaufort ; il travaille le peuple et la bourgeoisie au profit de la cour, et fait crier Vive le roi ! dans les rues, pendant que le signe de ralliement des princes, la paille, est remplacé par un papier blanc, qui devient l'emblème royaliste. L'armée de Condé s'éloigne de la capitale, et le roi rentre au Louvre dans la soirée du 21 octobre 1652.

Le lendemain, le duc d'Orléans partit pour Blois, et le parlement enregistra un nouvel édit d'amnistie, en réclamant certaines réserves contre les princes qui portaient encore les armes contre le roi ; mais il lui fut interdit de prendre dorénavant connaissance des affaires générales de l'État et de la direction des finances, et de rien ordonner ou entreprendre contre ceux qui en auraient l'administration, à peine de désobéissance. Par arrêt du 13 novembre, Condé fut déclaré criminel de lèse-majesté et un mois plus tard, le 10 décembre, le cardinal de Retz, qui s'était remis à cabaler, se vit arrêté au Louvre et conduit à Vincennes.

Tout annonçait tellement, dit Bazin, le rétablissement complet de l'autorité dans la capitale du royaume, qu'on était déjà presque inquiet de n'y pas voir reparaître le premier ministre. Il eut encore la coquetterie de se faire attendre quelque temps. Il était allé rejoindre l'armée de Turenne, qui assiégeait Bar-le-Duc, et il assista à la reprise de cette ville, ainsi qu'à celle de Sainte-Ménehould et de Château-Porcien. Le 3 février 1653, le roi vint à sa rencontre jusqu'au Bourget, et le conduisit au Louvre dans son carrosse.

La fin de la guerre civile, qui se prolongea jusqu'à la soumission de Bordeaux (31 juillet), termina les troubles de la Fronde et inaugura glorieusement le règne de Louis XIV, sous les auspices de son premier ministre.