Mort de Louis XIII. —
Bataille de Rocroy. — Anne d'Autriche déclarée régente. — Mazarin ; son
caractère, son impopularité. — Émotion populaire. — L'arrêt d'union. — Le Te
Deum de Lens. — Arrestation de Broussel. — Sédition. — La Fronde. — La cour
quitte deux fois Paris. — Combat de Charenton. — Traité entre la cour et le
parlement. — Rentrée solennelle du roi à Paris. — Nouvelles intrigues. —
Arrestation des princes. — Guerre civile générale. — Exil de Mazarin. --
Majorité du roi. — Combat du faubourg Saint-Antoine. — Les princes à l'hôtel
de ville ; massacre des notables. — Nouvelle rentrée du roi. — Fin de la
Fronde.
De son
lit de mort, Richelieu avait recommandé au roi le cardinal Mazarin. Suivant
la remarque d'un historien, il n'y avait dans l'entrée de Mazarin au conseil
rien d'extraordinaire, et qu'il fallut expliquer par une recommandation du
mourant. L’ami, le confident de Richelieu, dit Sismondi, le négociateur habile qu'il avait chargé de ses missions
les plus difficiles, le prélat pour lequel il avait demandé deux ans la
pourpre romaine et qu'il en avait enfin revêtu, Mazarin, était naturellement
appelé à continuer son système et à présider le conseil ; mais il y était associer
avec deux secrétaires d'État, Bouthillier de Chavigny et Sublet des Noyers,
tous deux créatures de Richelieu. Le nouveau ministre, était seulement âgé de
quarante ans ; aussi, quoiqu'il désirât le pouvoir, c'était vers un autre règne qu'il dirigeait son
ambition. Fils
d'un artisan sicilien qui était venu chercher fortune à Rome, Jules Mazarini
étudia d'abord le droit aux universités de Salamanque et d'Alcala, puis
servit en qualité de capitaine dans l'armée papale de la Valteline, et se
donna enfin tout entier à la diplomatie, la seule carrière qui convînt à son
caractère adroit et souple, à son esprit essentiellement temporisateur.
Quelques négociations heureuses le mirent en faveur auprès de Richelieu ; sa
patience et les circonstances firent le reste. Louis
XIII avait promis, en effet, à son premier ministre mourant d'accepter de sa
main le successeur qu'il s'était choisi lui-même ; il eut d'autant moins de
répugnance à remettre à Mazarin tous les soins du gouvernement, que lui-même,
malade, s'affaiblissant de jour en jour, dégoûté de tout et presque las de la
vie, car la force lui manquait pour se livrer comme autrefois au plaisir de
la chasse, il reconnaissait la nécessité de continuer l'œuvre politique de
Richelieu ; d'ailleurs, depuis la trahison de son cher ami (Cinq-Mars), il ne sentait plus de goût à
reprendre un favori, et il ne subissait pas d'autre influence que de celle la
reine Anne d'Autriche, qui avait conquis sur lui, bien tardivement, une sorte
d'empire, par suite des bons conseils du cardinal Mazarin. Rien n'empêchait
donc ce dernier d'entrer immédiatement en possession du crédit et de
l'autorité que son illustre prédécesseur venait de lui léguer auprès du roi. Deux
jours après la mort de Richelieu (6 décembre 164e, Louis XIII écrivait, sous
la dictée de Mazarin, aux ambassadeurs de France dans les cours étrangères : Ma principale pensée sera tousjours d'user de la mesme
vigueur et fermeté dans mes affaires que j'y ay gardées, autant que la
justice et la raison me le pourront permettre, et de continuer la guerre avec
la mesme application et les mesmes efforts que j'ay fait depuis que mes
ennemis m'ont contraint de m'y porter, jusqu'à ce que, Dieu leur ayant touché
le cœur, je puisse contribuer avec tous mes alliés à l'establissement du
repos général de la chrestienté. C'était bien la pensée de Richelieu, qui regrettait, à son
dernier soupir, de laisser la France sans
l'avoir affermie par une paix générale. Dans la
prévision d'une régence prochaine, plus longue que celle qui suivit la mort
d'Henri IV, Mazarin avait eu déjà l'adresse et l'habileté de gagner la
confiance d'Anne d'Autriche, en s'assurant l'affection personnelle de cette
princesse fière et hautaine ; elle avait trop longtemps souffert de se voir
dédaignée et souvent opprimée par les favoris du roi pour n'être pas sensible
à la soumission respectueuse d'un ministre qui la replaçait à son rang, en
quelque sorte. D'abord, elle avait conçu de l'éloignement pour celui qu'elle
considérait comme une créature de Richelieu ; mais elle comprit le besoin
qu'elle allait avoir d'un homme au courant de la politique, et elle lui
accorda toute confiance. D'ailleurs, ainsi que le dit La Rochefoucauld dans
ses Mémoires, il avait eu le temps de se
justifier auprès d'elle, par ses amis qui le servaient utilement et par des
conversations secrètes, dont elle ne donnait de part à personne. Le roi
ne pouvait plus se faire illusion sur son état de santé, qui lui annonçait la
fin de son règne, et il en vint bientôt (20 avril 1643) à régler, en présence
d'une nombreuse assemblée de princes, de seigneurs et de hauts dignitaires,
l'administration du royaume pendant la minorité de son fils. Le lendemain, il
désigna Mazarin pour présenter le dauphin au baptême avec la princesse de
Condé. La cérémonie eut lieu dans la chapelle du vieux château de
Saint-Germain, et l'enfant, alors âgé de cinq ans, fut nommé Louis. Son père
lui ayant demandé en le revoyant comment il s'appelait, le dauphin répondit
naïvement : Louis XIV. — Pas encore, fit observer le roi avec douceur. Il ne survécut à Richelieu
que cinq mois, et mourut le 13 mai 1643, à l'âge de quarante-deux ans, en se
préoccupant beaucoup plus des détails minutieux de ses obsèques que des
grands intérêts de la monarchie. Peu de jours après, pendant les funérailles
de Louis XIII, on apprit que la bataille de Rocroy avait été gagnée par le
duc d'Enghien sur les Espagnols. Les
commencements de la régence furent pleins de promesses et d'espérances. Les
armées de la France étaient victorieuses sous le commandement du duc
d'Enghien et du vicomte de Turenne ; les princes, naguère coalisés contre la
royauté, semblaient maintenant d'accord pour la soutenir et la défendre ; la
reine, conseillée et dirigée par Mazarin, se montrait bienveillante,
gracieuse, libérale, pour tout le monde. Quant au peuple, qui prêtait
l'oreille aux échos de la cour, il se réjouissait déjà d'une nouvelle ère de
paix et de prospérité. Dans un
lit de justice tenu le 18 mai au Palais, Anne d'Autriche, vêtue de deuil,
accompagnée des princes et des ducs et pairs, était allée, avec l'héritier de
la couronne, prendre possession de la régence et se mettre, en quelque sorte,
sous la tutelle du parlement qui, flatté, enorgueilli du rôle suprême qu'on
semblait lui offrir, ne songea point à réclamer l'exécution rigoureuse du
testament de Louis XIII. C'était pourtant la régence absolue qu'on voulait
attribuer à la reine, car Condé et le duc d'Orléans se levèrent, l'un après
l'autre, pour lui remettre tout le pouvoir et
rendre ses volontés sans bornes. Gaston se contentait du titre éphémère de lieutenant général du
royaume, et chacun des princes croyait, à part soi, avoir des droits acquis à
une action personnelle dans le gouvernement. Mais on ne tarda point à
s'apercevoir qu'il n'y avait et qu'il n'y aurait qu'une volonté, celle d'Anne
d'Autriche, et qu'une direction, celle du cardinal Mazarin. Mazarin,
pendant les dernières années du règne de Louis XIII, avait toujours dissimulé
sa réelle influence sous les discrètes allures d'une politesse sérieuse et
muette. On s'accordait à faire l'éloge de son caractère affable et
bienveillant, comme de son esprit fin et délié ; mais personne ne pouvait se
vanter de le bien connaître, excepté la reine, qui lui portait la plus
sincère amitié et qui comptait en toute chose sur son dévouement absolu. Il avait sur elle, dit Voltaire avec un sens et un tact exquis, cet empire qu'un homme adroit devait avoir sur une femme
née avec assez de faiblesse pour être dominée, et avec assez de fermeté pour
persister dans son choix. La
reine avait le même âge que lui ; elle était encore fort belle ; romanesque
et passionnée comme une Espagnole, elle ne pouvait être indifférente aux
sentiments de respectueux attachement qu'elle avait inspirés au cardinal. Son
orgueil l'avait faite irascible et opiniâtre, quoiqu'elle sût, au besoin,
dissimuler ses impressions et se soumettre, en apparence, à une nécessité de
situation dominante ; elle ne changeait pas pour cela d'idée, ni d'intention,
ni de but : ce qui explique sa persévérance invariable dans ses affections
comme dans ses haines. Elle devait depuis longtemps se préparer à la régence,
que Mazarin avait su lui faire pressentir, car elle se sentait incapable de
gouverner par elle-même et elle avait besoin de compter sur un autre
Richelieu, qui la déchargerait du fardeau et des embarras du gouvernement. Une
minorité devait, d'ailleurs, donner un nouvel aliment aux cabales de cour,
que l'affaiblissement de la puissance royale, depuis la mort de Richelieu,
avait laissé renaître, en ouvrant les portes des prisons d'État à plus d'un
dangereux détenu ; mais ces cabales avaient changé de caractère, de tactique
et d'objet. Ce n'était plus la guerre civile qui devait inévitablement
résulter de la conspiration des mécontents ; c'était seulement un travail
incessant d'intrigues qui se succédaient l'une à l'autre, où se mêlaient
ensemble pour donner satisfaction à des ambitions aussi mesquines
qu'insatiables. Pour les mécontents, que le ridicule avait déjà frappés en
leur donnant la qualification d'Importants (fig. 109), il s'agissait moins de
s'emparer du pouvoir que de tous les avantages qu'il serait possible d'en
tirer à leur profit. Le chef
de ces Importants était le duc de Beaufort, fils du duc de Vendôme, jeune
prince de haute mine, mais de pauvre intelligence, inconséquent et vantard,
capable de toutes les folies et de quelques bonnes intentions. Il se croyait
tout permis parce qu'il avait l'audace de tout entreprendre ; il voulait
marcher l'égal du roi, parce qu'il se disait aussi petit-fils d'Henri IV, et
il tenait à la cour le premier rang de prince du sang, parce qu'il s'appuyait
sur le crédit de Mm° de Montbazon, qui partageait exclusivement, avec sa
fille la duchesse de Chevreuse, la faveur de la reine. Il s'était entouré de
brouillons et de factieux qui lui conseillaient de se débarrasser de la
dangereuse rivalité de Mazarin auprès d'Anne d'Autriche. Mazarin fut averti
des complots qu'on tramait contre lui, et il dut les prévenir en faisant
arrêter et conduire au donjon de Vincennes le duc de Beaufort, qui avait juré
de le tuer de sa propre main. Il y
eut, en outre, plusieurs des partisans de ce prince, entre autres le vieux
Châteauneuf, qu'on éloigna de la reine et qui furent invités à se retirer
dans leurs terres. La duchesse de Montbazon avait été sacrifiée la première,
sans que la reine essayât de la protéger contre la duchesse de Longueville,
qui exigeait son renvoi et sa disgrâce. Min° de Longueville avait pour elle,
outre l'adhésion de Mazarin, l'influence considérable 'de sa mère, la princesse
de Condé, et de son frère, le duc d'Enghien, le vainqueur de Rocroy. Anne
d'Autriche ne songea même pas à intervenir en faveur de la duchesse de
Chevreuse, autrefois sa confidente. La
souveraine, dit Mme
de Motteville, était devenue sérieuse et
dévote ; la favorite était demeurée dans les mêmes sentiments de galanterie
et de vanité. L'évêque
de Beauvais, que Louis XIII en mourant, avait mis à la tête du conseil, fut
remercié et renvoyé dans son diocèse. Le surintendant des finances
Bouthillier et son fils, le comte de Chavigny, sortirent en même temps du
ministère, qui fut reconstitué par le cardinal avec des hommes d'État qu'il
savait être à sa dévotion. Les principaux Importants, que le cardinal de Retz
représente comme quatre ou cinq mélancoliques
qui avoient la mine de penser creux, essayèrent encore de donner suite à la cabale du duc
de Beaufort, mais ils perdirent le dernier appui qu'ils avaient dans
l'intimité de la reine, quand Mme de Hautefort, qui persistait à les
soutenir, se vit obligée, à son tour, de quitter la place et de disparaître
de la cour, sur un ordre de Mazarin, qui la craignait plus que toutes les
autres conseillères d'Anne d'Autriche. La querelle des duchesses de Montbazon
et de Longueville eut un triste dénouement, dans un duel célèbre, où le duc
de Guise et le comte de Coligny combattirent l'un contre l'autre, en plein
jour, au milieu de la place Royale, sous les yeux des dames qui étaient les
témoins de la lutte sanglante de ces deux vaillants champions. Ce duel, dans
lequel Coligny fut blessé mortellement pour les beaux yeux de Mme de
Longueville, semblait le prologue de la Fronde, où les femmes de la régence
d'Anne d'Autriche allaient jouer un rôle si actif, en faisant de la
galanterie française le mobile romanesque de la politique. On ne
pouvait plus douter que Mazarin fût désormais le seul guide, le seul
inspirateur de tous les actes de la régence. Il pouvait achever, par la paix
autant que par les armes, l'œuvre de Richelieu, et tandis que d'Enghien et
Turenne (fig. i 1o), les grands capitaines de leur temps, se mesuraient sur
les champs de bataille de Fribourg et de Nordlingue, avec les meilleurs
généraux de l'Espagne et de l'Allemagne, les négociations se poursuivaient à
la fois à Munster et à Osnabruck pour la conclusion d'un traité qui donnait
de nouvelles frontières à la France agrandie, en assurant une paix durable à
l'Europe. Les négociations, que le comte d'Avaux et Abel Servien étaient
chargés de suivre au nom de la France, c'était Mazarin qui les conduisait
seul, avec beaucoup d'habileté, du fond du Palais-Royal, où il avait jugé
utile de s'établir près de la reine, qui s'y trouvait plus en sûreté qu'au
Louvre. Quant à lui, il habitait un petit corps de logis, dans une cour
intérieure du palais, laquelle s'ouvrait sur la rue des Bons-Enfants et était
gardée jour et nuit par de nombreuses sentinelles ; le complot de Beaufort
contre sa vie l'avait averti' de prendre des précautions de prudence, qui
devinrent de plus en plus nécessaires, à mesure que s'envenimait le ressentiment
de ses ennemis et que la voix publique le désignait plus spécialement à l'aversion
de tous les Français. On
attribuait, en effet, à la reine, tout le bien qui se faisait, dans les
choses du gouvernement, et l'on n'attribuait tout le mal qu'à lui seul. Un
courtisan avait déclaré que la langue française pouvait se réduire à cinq
petits mots : La reine est si bonne, et le peuple, parodiant cette
flatterie, disait qu'il en fallait à peu près autant pour résumer la
puissance du diable : Le cardinal n'est pas
bon. Mazarin
avait, sans doute, à se reprocher de n'avoir pas pris à cœur la cause du
peuple et de ne tenir aucun compte de ses misères, quand il avait autorisé et
même provoqué les prodigalités des premiers temps de la régence. On donnoit tout, on ne refusoit rien, dit, à ce sujet, le cardinal
de Retz. Les revenus de l'État étaient dévorés, par anticipation, pour plus
de trois années, et cependant les dépenses s'élevèrent, dans le cours de
cette première année, à 25 millions au-dessus du chiffre des dépenses de
l'année précédente. Les abus et les désordres qui existaient dans
l'administration financière, depuis qu'elle avait cessé d'être dans les mains
de Sully, n'avaient fait que s'augmenter à l'excès, surtout après que
l'Italien Particelli, qui déguisait sa nationalité sous le nom d'Émery, fut devenu contrôleur général ou surintendant des finances. Particelli
d'Émery surpassa tous ses prédécesseurs : il avait une prodigieuse
imaginative pour créer de nouvelles taxes ; il retranchait arbitrairement une
portion des rentes à payer par l'État, il empruntait à 15 et 20 pour cent,
rendait les contribuables solidaires les uns des autres, faisait saisir et
vendre les bestiaux et les instruments aratoires des laboureurs, et retenait
en chartre privée les gens qui n'avaient pas le moyen de payer. On assure
que, durant l'année 1646, 23.000 personnes avaient été ainsi emprisonnées, et
que 5.000 moururent de faim et de maladie dans les prisons ! D'un bout de la
France à l'autre, des cris de douleur et des malédictions s'élevaient contre
le premier ministre, qui autorisait ces horreurs ou qui du moins n'y portait
pas remède. L'indignation populaire eût été plus grande encore, si l'on avait
soupçonné qu'il se faisait une large part dans le produit de ces impôts
injustes et vexatoires, et que sa fortune particulière grossissait aux dépens
de la fortune publique. Bien
que Mazarin n'eût rien changé à ses habitudes discrètes et mystérieuses et se
fût fait, en quelque sorte, une existence close de toutes parts, le secret
n'en était pas si bien gardé qu'il ne transpirât dans le public quelque bruit
de ce rapide accroissement de fortune. On savait qu'une grande bibliothèque
avait été formée, pour lui, par le savant Naudé, son secrétaire ; que de
riches collections de tableaux de maîtres, de statues antiques, d'anciennes
tapisseries, de camées et de pierres précieuses, étaient réunies par ses
ordres. On apprit bientôt que le cardinal avait acheté, au prix d'un million,
l'hôtel que le président Duret de Chevry avait fait construire à Paris, sur
la rue des Petits-Champs, et qu'un autre président de la chambre des comptes,
Jacques Tubeuf, venait d'agrandir en y ajoutant son propre hôtel. Une armée
d'ouvriers et d'artistes, arrivés d'Italie, s'étaient emparés déjà de ces
deux lit tels. et les badauds de Paris étaient aux aguets pour suivre les
travaux de construction et d'embellissement, en se disant l'un à l'autre, que
le palais Mazarin serait plus beau que le Palais-Cardinal, devenu
Palais-Royal depuis qu'il était habité par le jeune roi, la reine et le
premier ministre. Mazarin
ne prenait pas garde à ces haines populaires qui s'amassaient contre lui : il
avait trop de mépris pour le peuple, d'où il était sorti, et qu'il confondait
avec la canaille, suivant l'habitude des grands seigneurs. Il ne savait pas
que le levain de la Ligue fermentait toujours au fond du cœur des bourgeois
de Paris, et il osa imprudemment se mettre en lutte avec l'esprit de corps
parlementaire, qui faisait mouvoir à son gré toute la bourgeoisie. Il aurait
pu voir, cependant, au mois de juillet 1644, un faible essai d'émeute
parisienne, lorsque le peuple, irrité d'une taxe arbitraire et onéreuse qui
frappait toutes les maisons bâties dans les faubourgs depuis un demi-siècle,
se porta en masse sur le Palais, envahit la grand'salle en poussant des cris
de mort contre d'Émery, et se montra dans les rues, armé de bâtons et
vociférant. Ce fut ce jour-là même que la reine, effrayée de ces menaces et
de ces excès, transporta du Louvre au Palais-Royal sa résidence ordinaire. Quant
aux désordres et aux émeutes qui avaient lieu dans les provinces à l'occasion
de la levée des tailles, le cardinal n'en voyait rien et ne s'en inquiétait
pas. Il n'ignorait point que la colère du peuple et des bourgeois s'exhalait
contre lui en épigrammes et en vaudevilles satiriques ; c'est à ce sujet
qu'il aurait dit ce mot fameux, qui eut des échos sinistres dans le
ressentiment des Parisiens : Ils chantent,
ils payeront ! Tout
était tranquille du côté de la cour, où les Importants, avaient été remplacés
par les Petits-maîtres, qui s'étaient donné pour chef et pour modèle le duc
d'Enghien : ils critiquaient tout d'un ton tranchant et d'un air bravache,
mais ils ne songeaient pas à faire des menées politiques, se plaignant
seulement de ce que la reine donnait trop de temps à ses dévotions, et pas
assez d'éclat aux divertissements de la jeune noblesse. Nous
emprunterons à Mme de Motteville quelques détails sur la vie journalière de
la reine depuis qu'elle était en paisible possession du pouvoir. Elle s'éveillait pour l'ordinaire à dix ou onze heures ;
ses principaux officiers lui venaient faire leur cour, ainsi que certaines
dames qui lui parlaient de charités, car ses aumônes étaient grandes. Puis
elle se levait, prenait une robe de chambre, et, après avoir fait une seconde
prière, elle déjeunait de grand appétit. Après avoir mis son corps de jupe
avec un peignoir, elle entendait la messe fort dévotement et, cette action
finie, elle venait à sa toilette. De temps en temps, elle gardait la chambre
un ou deux jours pour se reposer. Elle ne dînait pas souvent en public,
servie par ses officiers. Après son dîner, elle allait tenir le cercle, ou
bien elle sortait et allait voir des religieuses. La reine se retirait
ensuite en son particulier, et le cardinal venait s'entretenir, les portes
ouvertes. Quand elle avait donné le bonsoir, elle restait en prière pendant
plus d'une heure ; puis elle soupait à onze heures. Au
dehors, les armées de France poursuivaient le cours de leurs succès, et le
congrès de Munster marchait lentement dans la voie que Mazarin avait ouverte
pour arriver à une paix définitive. Mais il fallait de l'argent, beaucoup
d'argent, car les caisses de l'État étaient vides, et, pour les remplir, le
contrôleur générai d'Émery faisait appel aux ressources de son génie
inventif, en créant de nouveaux impôts. En vain, touché de la misère du
peuple, le parlement s'était réuni, malgré la défense de la reine, pour
protester contre cet accroissement des impôts ; Paris était resté calme, bien
que les corps de métiers eussent été taxés à plus de 700.000 livres, et le
contrôleur général continuait le cours de ses entreprises financières. Mazarin
se croyait alors assez sûr de l'avenir pour faire élever auprès de lui trois
de ses nièces et son neveu, que la reine avait accueillis avec empressement
et qu'elle traitait comme ses propres enfants. Tandis qu'il faisait connaître
à la cour ce que c'était que l'opéra italien et la musique italienne, ce qui
coûta des sommes considérables, il laissait à son compère d'Émery liberté
entière de battre monnaie, tantôt par des mesures vexatoires, tantôt par des
édits bursaux presque insignifiants et même ridicules, tels que la création
des charges de contrôleurs de fagots, de jurés vendeurs de foin, de
conseillers du roi crieurs de vin, et ces charges se vendaient cher, ainsi
que l'octroi des lettres de noblesse. Toutefois,
ce calme ne devait pas être de longue durée, et déjà les artisans de troubles
et de guerres civiles jugeaient le moment favorable pour exciter le peuple à
l'insubordination, sinon à la révolte, en attaquant hautement la reine et son
ami le cardinal, qu'elle soutenait contre le parlement. Les dispositions
séditieuses du peuple et de la bourgeoisie parisiennes se traduisirent par
une espèce d'émeute, aussitôt réprimée que commencée, le 12 janvier 1648,
quand le jeune roi, à peine rétabli d'une maladie qui avait mis ses jours en
danger, fut conduit, par sa mère, à Notre-Dame, pour assister à une messe
d'actions de grâces. La veille même, la reine avait vu son carrosse entouré
d'un groupe de femmes de la lie du peuple, qui l'outragèrent, en l'invitant à
chasser soi/ Mazarin. D'autres
indices de sédition témoignaient de la sourde irritation qui régnait dans
Paris. Ainsi, toutes les nuits, on entendait, dans les rues, des coups de
feu, et le jour, les abords du Palais étaient encombrés d'une foule remuante
et grondante. La création de douze nouvelles charges de maîtres des requêtes
avait exaspéré le parlement, qui refusa d'enregistrer cet édit. Le
parlement fit plus : il s'entendit, pour la résistance, avec les cours
souveraines, la chambre des comptes, la cour des aides et le grand conseil,
qui s'unirent par la considération de la
confraternité.
L'arrêt d'union, rendu, le 13 mai 1648, par toutes les chambres assemblées,
fut cassé par le conseil des ministres, qui voulait mettre ordre à la
coalition séditieuse de la haute magistrature. Mazarin avait protesté, dans
le conseil, contre cet arrêt d'union, qu'il déclarait attentatoire aux droits
de la royauté ; mais, comme il prononçait le français à l'italienne, il
répétait toujours l'arrêt d'ognon, ce qui- eut des échos moqueurs à la cour.
Le parlement ne persista pas moins à maintenir sa décision pour servir le public et le particulier, et réformer les
abus de l'Estat. On
apprit tout à Coup que le duc de Beaufort s'était échappé du donjon de
Vincennes, et qu'il recommençait, plus audacieux que jamais, ses brigues et
ses complots, avec les anciens chefs des Importants. Le parlement avait l'air
de les soutenir, lorsqu'il osait adresser des remontrances à la reine, par
une députation qui fut reçue au Palais-Royal, mais qui n'y trouva que des
reproches et des menaces de la part de la reine elle-même. Anne d'Autriche
alla jusqu'à dire aux envoyés du parlement, que si les séditieux persistoient, elle en feroit un
chastiment si exemplaire, qu'il en seroist mention à la postérité. En
dépit de ces menaces, Mazarin poussait doucement à la conciliation, et il
pria le duc d'Orléans, le grand agitateur du règne précédent, d'intervenir
auprès des magistrats réfractaires. Après deux jours de délibérations
parlementaires et de conciliabules secrets, la reine déclara qu'elle
consentait à l'exécution de l'arrêt d'union, pourvu que les assemblées des
quatre cours souveraines terminassent promptement la besogne qu'elles avaient
à faire. Les magistrats coalisés, fiers de leur triomphe, prononcèrent
souverainement la suppression des intendants créés par Richelieu, et
demandèrent la diminution des impôts, en établissant une chambre de justice,
pour faire rendre gorge aux financiers. La reine s'inclina devant la volonté
du parlement de Paris, appuyé par les cours souveraines et par tous les
parlements de France. Mazarin n'osa même pas faire entendre sa voix en faveur
de Particelli, qui fut destitué le 10 juillet et remplacé, à la surintendance
des finances, par le duc de la Meilleraye, auquel il ne laissait que des
caisses vides, avec 130 millions de dettes. Le
parlement était désormais le maitre de la situation. Le duc
d'Orléans avait repris beaucoup d'autorité auprès de la reine, qui
s'indignait des attentats de ces robins contre le pouvoir royal et qui
voulait que ce pouvoir fût respecté. M. le
cardinal est trop bon,
disait-elle ; il gastera tout, pour toujours
ménager ses ennemis.
Mazarin prêchait tout haut la modération et la prudence, en reprochant à la
reine d'être brave comme un soldat qui ne
connaît pas le danger.
Mais ce n'était qu'une manière de cacher son jeu et de prendre, au nom de la
reine, des mesures coercitives contre les téméraires empiètements de la
bourgeoisie de robe. La
nouvelle de la glorieuse victoire de Lens, remportée le 20 août par le prince
de Condé contre les Espagnols, vint encourager la reine et son premier
ministre à recourir aux moyens violents pour réduire à merci le parlement.
Rien ne prouve mieux la coïncidence de ce succès avec un projet de répression
vigoureuse des entreprises parlementaires, que ce mot du jeune roi Louis XIV,
à propos de la victoire de Lens : Le
parlement en sera bien fâché. Il était question, en effet, d'appeler Condé à Paris, avec quelques
régiments de sa vaillante armée, pour mâter la bourgeoisie séditieuse et
tenir en bride le populaire. On savait que le parlement préparait des
remontrances au roi et semblait aspirer à mettre la main dans le gouvernement
de la régence. Mazarin
jugea que la mesure était comble, et qu'on ne pouvait plus sans péril tolérer
l'attitude factieuse des parlementaires. Un Te
Deum solennel devait être célébré, le 26 août, à Notre-Dame, pour la
réception des drapeaux pris sur l'ennemi ; le parlement fut invité, selon
l'usage. Cette cérémonie avait motivé un grand déploiement de troupes, qui
remplissaient toutes les rues de la Cité. Dès que les membres du parlement
furent rentrés à leur domicile, on procéda aussitôt à l'arrestation du conseiller
Broussel et des présidents Charton et Potier de Blancmesnil, qui étaient
considérés comme les chefs les plus dangereux de la faction parlementaire, et
soupçonnés d'être les instruments des grands conspirateurs qui travaillaient
sourdement à soulever le peuple. Le président Charton avait eu le temps de
s'esquiver, mais Broussel et Potier de Blancmesnil furent mis dans deux
carrosses, pour être conduits, sous bonne escorte, l'un à Vincennes, et
l'autre à Saint-Germain-en-Laye. La
vieille servante de Broussel courut après le carrosse qui emmenait son
maitre, et ses cris ameutèrent le peuple, qui tenta de délivre le prisonnier.
Ce Broussel, qui n'avait de recommandable que les cheveux blancs et sa haine
contre le ministère ou plutôt contre Mazarin, s'était rendu populaire en
attaquant avec animosité tous les actes de la cour et en élevant ses attaques
jusqu'à la personne de la reine. L'enlèvement de Broussel souleva donc tout
le quartier de la Cité ; les portefaix et les gens de rivière accoururent,
aux cris de liberté et de Broussel ; on ferma les boutiques, on tendit les
chaînes des rues, on jeta des pierres aux soldats, les fenêtres se garnirent
d'hommes armés. Au
bruit de cette émeute, le maréchal de la Meilleraye s'était avancé, à la tête
des gardes de la maison du roi, jusqu'au Pont-Neuf, lorsque la foule ouvrit
ses rangs pressés pour livrer passage au coadjuteur de l'archevêque de Paris,
à Paul de Gondi, sire de Retz, qui était sorti de l'archevêché pour aller
supplier la reine de faire mettre en liberté Broussel et Blancmesnil. On
comprend que le coadjuteur, se rendant au Palais-Royal, à pied, en rochet et
en camail, au milieu d'une bande de peuple fut assez mal reçu par la reine et
par le cardinal : en ayant esté refusé, dit le Journal du parlement,
comme il n'avoit pas de bonnes paroles à
donner au peuple, il retourna chez lui par un autre chemin qu'il n'estoit
venu. La
foule continuait à vociférer, à casser les vitres : on la laissa occuper la
Cité, le quartier des Halles et la rue Saint-Honoré. La Meilleraye avait fait
replier les troupes aux alentours du Palais-Royal, et pendant la nuit on fit
venir 2.000 hommes d'infanterie, qui étaient cantonnés à quelques lieues de
Paris. Cette nuit-là se passa dans le plus grand calme ; mais le coadjuteur
tenait conseil, à l'archevêché, avec les principaux meneurs, pour aviser à ce
qu'il faudrait faire, le lendemain, pour tirer parti de l'agitation du
peuple. Paul de
Gondi, qui venait de faire son apparition sur la scène politique, était né
conspirateur. Son orgueil et son ambition le poussaient aux entreprises
audacieuses ; il enviait la fortune du cardinal Mazarin et il aspirait à
prendre sa place auprès de la reine, qu'il croyait facile de subjuguer par la
puissance de la fascination. Il n'en était pas, d'ailleurs, à son coup
d'essai, puisqu'à l'âge de vingt-trois ans il avait été l'âme d'une
conspiration contre la vie de Richelieu. Ses espérances n'avaient pas de
bornes ; car, ne comptant que des marchands enrichis parmi ses ancêtres, il
ne se lassait pas de répéter : Je suis d'une
famille de Florence aussi ancienne que celle des plus grands princes. Ce fut lui qui attira le
parlement dans les cabales et le peuple dans les séditions, sans autre but
que de renverser Mazarin et de devenir, à sa place, maître absolu du
gouvernement. Il est
impossible de ne pas voir la main du coadjuteur dans les événements qui
eurent lieu à Paris, le lendemain de la réception froide et dédaigneuse qu'on
lui avait faite au Palais-Royal. De grand matin (27 août), le parlement était rassemblé,
et deux membres de la compagnie, neveux du conseiller Broussel, lui avaient
porté plainte au sujet de l'enlèvement de ce magistrat. Les bourgeois, la
plupart en armes, sortaient de leurs maisons et venaient se mettre sous les
ordres des colonels et capitaines de quartiers ; le peuple, très ému et très
exalté, affluait de toutes parts et se portait aux abords du palais de
justice. On
signala un carrosse, lequel, escorté de gens à cheval, essayait de traverser
le Pont-Neuf : c'était le chancelier Seguier, qui allait enjoindre au
parlement de cesser ses assemblées. Il fut obligé de mettre pied à terre, et
la foule le poursuivit de grandes huées. Son escorte fut assaillie et
maltraitée ; lui-même eut beaucoup de peine à se soustraire à ces violences,
en cherchant un asile dans l'hôtel de Luynes, près du pont Saint-Michel. Le
peuple assaillit l'hôtel, et le chancelier n'aurait pas échappé à ces
furieux, si le maréchal de la Meilleraye, à la tête d'une compagnie des gardes,
ne fût venu le délivrer et le ramener au Palais-Royal à travers une grêle de
pierres. Le
bruit se répandit aussitôt qu'il avait été tué ; ce fut le signal du
soulèvement des Parisiens : partout on s'arme, partout on élève, à chaque
rue, des barricades, avec des tonneaux remplis de sable et de terre ; on
monte des pavés à tous les étages des maisons : la ville entière offre
l'aspect d'un camp retranché, dans lequel plus de cent mille hommes se
distribuent les postes et se disposent à soutenir un siège. Suivant tous les témoignages, deux ou trois heures avaient
suffi pour faire passer Paris, du calme profond où l'aurore l'avait trouvé, à
cet état qui avait déjà tout le caractère d'une victoire. Les troupes reculent devant
ces démonstrations menaçantes, et ne répondent pas même à des décharges de
mousqueterie qui font tomber quelques soldats. Tout est morne et anxieux dans
l'intérieur du Palais-Royal, où la reine et le cardinal ne savent que résoudre. Alors
le parlement, après ample délibération, sort majestueusement, en corps de cour, avec robes et bonnets, les huissiers en tête, pour se rendre chez le roi. On
lui fait place, on le salue de mille acclamations. La reine, à l'arrivée des
magistrats, ordonne de les introduire en sa présence : elle les reçoit dans
une attitude noble et fière. Le premier président Molé prend la parole, et conjure
la reine de faire mettre en liberté Broussel et Blancmesnil comme l'unique
moyen de sortir d'affaire. Anne d'Autriche répond que c'est au parlement seul
de calmer l'agitation publique et que, s'il ne le bisait pas, tous ceux qui
se trouvaient devant elle en répondraient sur leurs têtes. Le premier
président insiste ; la reine s'irrite, refuse toute concession et passe dans
une autre chambre. Mais Mazarin, qu'elle va rejoindre, la décide à entrer en
pourparlers avec le parlement, qui peut seul s'interposer entre elle et le
peuple révolté. Après de longs débats pour en venir à une entente réciproque,
la reine consent à tout, si le parlement s'engage à ne pas siéger jusqu'aux
premiers jours de novembre. Il s'agit d'en délibérer, et le parlement se met
en marche pour retourner au lieu de ses séances. Quand
le peuple, qui attendait sa sortie, le voit revenir sans ramener le
conseiller Broussel avec lui, on lui barre le passage, on le repousse, on lui
crie qu'il ne sortira du Palais-Royal qu'avec Broussel libre ou le cardinal
et le chancelier pour otages. Une partie des magistrats seulement rentre dans
le Palais-Royal ; les autres jettent à terre leurs insignes et leurs robes
pour s'esquiver dans la foule. On tient séance dans la grande galerie du
Palais-Royal, sous la présidence du chancelier, et l'on rend un arrêt par
lequel le parlement déclare qu'il ne s'occupera plus que des affaires
courantes, ajournant tacitement toute autre discussion à la rentrée des
vacances. Cet arrêt rendu, la reine fait délivrer des lettres de cachet pour
le retour des prisonniers. Les parlementaires sont forcés de montrer ces
lettres, pour que la foule leur ouvre passage. On
était arrivé ainsi jusqu'à sept heures du soir, et le peuple, qui ne se fiait
pas trop aux promesses de la reine, passa la nuit sur ses barricades, en
faisant bonne garde pour ne pas être surpris. Le jour
suivant (28 août), dès l'aube, le parlement était déjà réuni quand le
président de Blancmesnil vint reprendre sa place dans la grand'chambre ; mais
Broussel n'avait pas encore reparu, et le peuple le redemandait à grands
cris. On le trouva dans l'église de Notre-Dame, qui priait à genoux devant un
autel ; les bourgeois armés l'escortèrent jusque dans les salles du Palais,
en criant : Vive Broussel ! Aussitôt le parlement ordonne : Que chacun rouvre ses boutiques, et retourne à ses
exercices ordinaires ; que les chaînes soient abaissées et les barricades
défaites, avec défenses à tous vagabonds et gens sans aveu de piller aucunes
armes et de s'assembler, sous peine de punition. A midi, il ne restait plus aucune trace du
désordre. Les trois journées des barricades
étaient sans doute,
fait observer Bazin, un événement fâcheux
pour l'autorité royale ; elle avait voulu agir violemment, par surprise, et
une résistance ouverte, forte, unanime, devenue en quelques instants
menaçante et agressive, avait arraché publiquement de ses mains sa chétive
capture. Au milieu de l'agitation causée par cet attentat impuissant, le
mécontentement populaire avait certainement fait de grands pas. Il était
parvenu jusqu'à des manifestations offensantes contre la personne de la
reine, contre son ministre ; il avait proclamé dans la rue des principes tout
à fait séditieux, des désirs complètement hostiles. Cependant, il était
certain aussi que si la volonté du souverain avait été empêchée, si sa
puissance avait été vaincue, personne du moins n'avait pu profiter de cette
défaite pour établir son commandement sur la force immense qui venait de se
révéler. Aucun chef n'avait paru, aucun nom n'avait rallié :es masses ; le
parlement lui-même s'était compromis. Les gens de guerre s'étaient montrés
fidèles, les gens de cour zélés jusqu'à la fanfaronnade. La position n'était
donc pas désespérée, et beaucoup d'adresse, avec un peu de fermeté, pouvait
en réparer le dommage. Le
parlement tint sa promesse et s'abstint de toute délibération relative aux
derniers événements, mais le peuple et les bourgeois étaient trop fiers
d'avoir fait trembler la cour pour ne pas s'attribuer toute la gloire de
leurs barricades. C'était, pensaient-ils, un moyen infaillible qu'ils
pourraient toujours employer avec succès pour obtenir du gouvernement pleine
satisfaction à l'égard de tous leurs griefs. Les conspirateurs savaient aussi
comment le peuple et les bourgeois leur serviraient d'instruments dociles et
aveugles contre la cour. Ces
conspirateurs avaient déjà leur nom de parti : ils s'étaient qualifiés de
Frondeurs, pour rappeler qu'il n'avait fallu qu'un coup de fronde du petit
berger David pour mettre à bas le géant Goliath. Le roi avait à peine été
nommé pendant l'émeute des barricades ; la reine seule était désignée au
ressentiment des Parisiens ; on n'imputait qu'à elle l'audace d'un attentat
contre Broussel, qui avait toujours été le défenseur de la cause du peuple.
C'est alors que commença contre elle un effroyable débordement de chansons et
de vaudevilles satiriques, qui passaient de bouche en bouche et allaient
retentir jusqu'aux portes du Palais-Royal. Dans ces chansons, que les
frondeurs s'acharnaient à multiplier et à répandre avec une atroce malignité,
le nom de Mazarin était odieusement mêlé au nom de la reine, qui ne pouvait
plus paraître en public sans être outragée. Anne
d'Autriche avait demandé, avec instance, que Condé fût averti de venir en
toute hâte à Paris avec son armée. Mazarin s'y opposa, en disant que l'armée
du prince était plus utile contre les ennemis que contre les Parisiens ; mais
la reine, ne pouvant plus supporter le séjour de la capitale, où tout le
monde semblait s'être tourné contre elle, résolut d'aller passer l'automne au
château de Ruel, avec le roi et la cour (13 septembre). Le cardinal,
prévoyant l'effet fâcheux de ce départ, prit les précautions nécessaires pour
qu'il n'eût pas l'air d'une fuite, et une fois arrivé à Ruel, où il suivit la
reine, il manda au parlement que le jeune roi étant malade, ses médecins lui
avaient recommandé, dans l'intérêt de sa santé, de faire un séjour de deux
mois à la campagne. Les
Parisiens furent très inquiets et très irrités quand on sut que la cour
n'était plus au Palais-Royal. Ils apprenaient, peu de jours après, que Condé
avait quitté son armée pour se rendre aussi à Ruel, et qu'on rassemblait des
troupes destinées à faire le siège ou le blocus de Paris. Le parlement oublia
sa promesse de s'abstenir de toute discussion politique jusqu'à la fin de ses
vacances. Dans une séance (22 septembre), où le président Viole avait exposé les dangers
que pourrait courir la capitale si le parti de la cour se préparait à
l'attaquer de vive force ou par la famine, Blancmesnil s'écria que tout le
mal venait d'un seul homme, et que le remède serait de remettre en vigueur
l'arrêt de 1617, qui, après la mort du maréchal d'Ancre, avait interdit
expressément de confier à un étranger l'administration du royaume. Le
cardinal Mazarin avait été nommé par tous les assistants, et dès lors son nom
revint dans les délibérations où le parlement ne visait qu'à humilier
l'autorité royale. En même
temps, on publiait à Paris une des premières mazarinades qui aient
paru, et dont M. de Retz était certainement l'auteur ou l'inspirateur ; elle
était intitulée : Requête des trois États du gouvernement de l’Ile-de-France
au Parlement ; ce pamphlet anonyme, où les griefs contre Mazarin
s'étalaient en huit pages pleines des plus violentes invectives, s'adressait
au parlement, pour le supplier de faire des remontrances à la reine sur les grands malheurs et désordres déjà causés par le
cardinal Mazarin, et sur ceux qu'il causeroit à l'avenir s'il demeuroit plus
longtemps dans cette domination illégale et violente où il s'estoit establi. Mazarin
comprit qu'il ne devait pas laisser le champ libre à ses ennemis : dans les
conférences qui se tenaient à Saint-Germain pour dresser un compromis entre
le roi et le parlement, il écouta, il signa tout ce qu'on voulut, pourvu que
son nom ne fût pas prononcé dans cet arrangement amiable qui donnait
satisfaction aux exigences impérieuses du parlement ; et, le 31 octobre, il
ramenait la cour à Paris, sept jours après la signature, à Munster, d'un
glorieux traité de paix — on l'appela plus communément traité de Westphalie —,
d'après lequel, selon les expressions emphatiques de la Gazette, les François pourroient dorénavant abreuver paisiblement
leurs chevaux dans le Rhin, et le roi faire, de là vers l'autre bout de son
royaume, plus de cinq cents bonnes lieues françoises sur ses terres. Les habitants de Paris ne
s'émurent même pas à la nouvelle de ce traité, qui rehaussait la grandeur de
la France aux yeux de l'Europe : on n'était occupé que du retour du roi au
Palais-Royal, ce qu'on regardait comme une soumission aux volontés du peuple
et aux ordres du parlement. Le
cardinal ne tarda pas à s'apercevoir qu'il s'était trop pressé de revenir à
Paris. L'attitude
de la population était plus insolente et plus menaçante que jamais, et les
projets des chefs de la Fronde s'annonçaient par des bruits sinistres et par
des placards incendiaires. Les libelles imprimés en cachette commençaient à
pleuvoir et tombaient dans toutes les mains. Aussi Mazarin fut-il le premier
à reconnaître que le roi et sa mère n'étaient plus en sûreté au Palais-Royal.
On décida donc que la cour quitterait Paris, pour se rendre à Saint-Germain.
Le secret fut bien gardé, et, le 6 janvier 1649, jour des Rois, à quatre
heures du matin, le carrosse d'Anne d'Autriche, où se trouvaient Louis XIV et
son frère, arriva au Cours la Reine : les carrosses des princes et
princesses, des ministres et des grands officiers de la maison royale, en un
mot, de toutes les personnes de la cour, ne se firent pas attendre au
rendez-vous, et deux heures plus tard tous les fugitifs étaient en sûreté dans
le château de Saint-Germain. Là, rien n'avait été préparé pour recevoir un
seul de ces hôtes nombreux, l'habitude étant toujours de démeubler les
châteaux que l'on n'habitait pas. Durant plusieurs jours, la reine et ses
deux fils couchèrent sur des lits de camp, tandis que les princesses et les
dames de la cour n'eurent d'autre lit que des bottes de paille, et encore la paille devint bientôt si chère qu'on n'en pouvait
trouver pour son argent. A leur
réveil, les Parisiens apprirent qu'ils n'avaient plus dans leurs murs ni roi,
ni ministres, ni princes, ni princesses, à l'exception de la duchesse de
Longueville, qui était restée presque seule dans l'hôtel de Condé ; on l'y
avait laissée, sans se douter qu'il y eût des motifs cachés dans sa
résolution, et qu'elle allait devenir un chef de parti. Il y
eut dans la ville un moment de stupeur et d'effroi. Les milices bourgeoises
s'armèrent et sortirent dans les rues ; on courut d'abord aux portes de Paris
pour les fermer et les garder, car le - bruit se répandait déjà que Condé,
accompagné des maréchaux de la Meilleraye, de Gramont, du Plessis-Praslin et
de Villeroy, s'était mis en campagne, afin de tenter un coup de main sur
Paris avant que la ville fût en état de défense. On avait beau regarder dans
la plaine, on ne voyait paraître aucun corps d'armée, on n'entendait pas au
loin le son des tambours et des trompettes : on se rassura. Le
parlement prit des mesures, à l'effet de maintenir la tranquillité de Paris
et de pourvoir à sa sûreté. Le coadjuteur avait reçu l'ordre de suivre la
cour à Saint-Germain : il fit grand éclat de son obéissance apparente aux
volontés du roi ; mais, au moment où il montait en carrosse, le peuple
intervint à point pour le faire rentrer à l'archevêché, en le saluant de
mille acclamations. Le lendemain, un lieutenant des gardes du corps apporta
au parlement, qui refusa d'en prendre connaissance, un message de la reine.
C'était un ordre du roi qui transférait l'assemblée à Montargis. On décida
que l'avocat général Talon et les autres gens du roi iraient à Saint-Germain,
pour protester contre les calomnies dont leur corps était l'objet, mais ils
n'allèrent pas au-delà d'un village au-dessous de Saint-Germain. Le
chancelier, qui ne leur donna audience qu'après les avoir fait attendre en
plein air, par le froid de la bise, leur annonça que, si le parlement
n'obéissait pas, Paris serait assiégé par les troupes royales, qui occupaient
déjà Saint-Cloud, Charenton et Saint-Denis. Au
retour de la députation, le parlement rendit à l'unanimité des voix, hors
une, un arrêt, qui disait que de très humbles remontrances seraient faites au
roi et à la reine régente, et qui signalait comme auteur de tous les
désordres de l'État le cardinal Mazarin, le
déclarant perturbateur du repos public, ennemi du roi et de son Estat, lui
enjoignant de se retirer de la cour en ce jour, et dans huitaine du royaume ;
et ledit temps passé, ordonnant à tous les sujets du roi de lui courir sus,
avec défense à toutes personnes de le recevoir. Cet arrêt fut crié à son de trompe dans tous les
carrefours de Paris (8 janvier). La
guerre civile était déclarée. Pour
soutenir cette guerre, il fallait de l'argent. Le parlement commença par
s'imposer lui-même et fournit une contribution de 750.000 livres ; les autres
cours souveraines se taxèrent à proportion. On avait des armes, puisque
l'Arsenal était au pouvoir du peuple. Il fut
ordonné de faire des retranchements aux faubourgs de la ville, en prenant les
terres et héritages qui seraient nécessaires. Chaque maison ayant porte
cochère fut obligée de fournir un cavalier monté et équipé ou 150 livres ;
chaque maison à petite porte, un fantassin ou 30 livres. Les soldats à enrôler ne
faisaient pas faute dans les classes populaires, et l'on eut bientôt formé un
régiment destiné à être employé au dehors de la ville, où les milices
bourgeoises devaient rester cantonnées. Les
chefs arrivaient de tous côtés : le duc d'Elbeuf vint le premier se mettre au
service du parlement : le prince de Conti et le duc de Longueville, qui
n'avaient fait que s'arrêter quelques heures à Saint-Germain, prirent le
commandement des recrues et des bourgeois, qu'on nommait déjà l'armée de
Paris. Puis, la foule accueillit avec enthousiasme son héros, le duc de
Beaufort, qui, depuis son évasion du donjon de Vincennes, s'était tenu caché
dans le Vendômois. Le duc de Bouillon, le maréchal de la Mothe, le prince de
Conti, et beaucoup d'autres grands seigneurs, accouraient pour servir la
cause du peuple. La
belle duchesse de Longueville était l'âme de cette noblesse frondeuse. Rien,
dit un écrivain, ne semblait moins convenir à
un pareil rôle, outre la condition de cette princesse, que son caractère
indolent, paresseux, engourdi dans une molle admiration de soi-même, et
n'ayant fait paraître encore que l'oisive activité du bel esprit. Celui qui l'avait portée à une
pareille résolution était La Rochefoucauld, alors plus connu sous le nom de
prince de Marsillac. Le
premier fait d'armes, dont les Parisiens furent très fiers, avait été la
prise de la Bastille défendue par vingt-deux soldats, qui fut battue en
brèche par six petits canons ; le gouverneur capitula, et sortit de la place
avec les honneurs de la guerre ; on le remplaça par le fils de Broussel (12 janvier). Le parlement n'avait pas perdu
de temps pour l'exécution de son arrêt contre Mazarin : il ordonnait que tous
ses biens meubles et immeubles fussent saisis ; après quoi, il invita tous
les parlements de France à sanctionner son arrêt contre le perturbateur du repos public. Le coadjuteur avait fait
appel, par l'intermédiaire de ses agents, à toutes les plumes vénales qui
voudraient participer à cet effroyable déchaînement de libelles outrageants
et calomnieux, qu'on allait voir naître et se succéder sans interruption
pendant quatre ans, pour vouer au mépris et à la haine des Français le
ministre étranger que la reine régente s'obstinait à conserver. Il y
eut, dans ces quatre années, plus de 4.000 mazarinades, la plupart
rédigées et imprimées à Paris, puis colportées par toute la France, les unes
sérieuses, emphatiques, éloquentes, les autres burlesques, plaisantes et
grossières, soit en vers, soit en prose, et dont l'effet fut immense au
moment où elles parurent, parce qu'elles répondaient aux passions du plus
grand nombre. Plus tard, le coadjuteur en faisait justice, en disant de ces
instruments de guerre civile : Je crois
pouvoir dire, avec vérité, qu'il n'y a pas cent feuilles qui méritent qu'on
les lise. On
prétend que Mazarin n'avait que du dégoût et de l'indifférence pour ces
pamphlets, dont l'exagération ridicule atténuait l'effet ; on sait pourtant
qu'il fut sensible au poème burlesque de la Milliade, composé par Scarron,
qu'il avait pensionné généreusement, et le soin qu'il prit de faire publier
par son bibliothécaire Naudé une réfutation vive et précise des principales
attaques dirigées contre sa politique prouve combien il avait à cœur de détruire
la fâcheuse .impression produite par tant de libelles. Cependant,
la cour ne voulait pas prendre au sérieux la guerre de Paris. On racontait
les anecdotes les plus plaisantes sur les étranges soldats qu'on avait levés
à la hâte, pour les opposer aux troupes de Condé et du duc d'Orléans ;
c'était la cavalerie des portes cochères. Cette armée improvisée commençait à
sortir de la ville, sans s'éloigner beaucoup des murailles ; ses exploits se
bornaient à l'enlèvement de quelques convois de vivres et au pillage de
quelques maisons des champs. Elle portait sur ses enseignes cette devise
bizarre : Nous cherchons notre roi. Une partie du régiment levé par le
coadjuteur, qui était aussi archevêque de Corinthe, fut battue près de
Longjumeau ; ce qui fit appeler cette défaite la
première aux Corinthiens.
Toutes les forces de Paris allèrent se mettre en bataille dans la plaine de
Picpus quand on apprit que Condé se portait sur Charenton, qui fut emporté à
la pointe de l'épée et presque aussitôt abandonné par les vainqueurs, après
un combat assez sanglant ; mais l'armée de la Fronde n'osa pas se mesurer
avec l'armée royale et se retira sans coup férir (8 février). Cette
affaire, peu glorieuse pour les rebelles, disposa le parlement à la
conciliation, et, malgré les intrigues du coadjuteur, qui cherchait à
l'entraîner ainsi que les princes dans une sorte de ligue avec l'Espagne,
mécontente du traité de Munster, en faisant luire à leurs yeux l'espoir d'une
intervention de l'armée de Turenne, les conférences ouvertes à Ruel
aboutirent à un accommodement entre la cour et les parlementaires (11 mars). Le premier président Molé ne
craignit pas d'outrepasser ses pouvoirs, en signant cette transaction : il ne
savait pas que Turenne, abandonné de son armée, avait dû se réfugier chez le
landgrave, pour n'être pas retenu prisonnier par ses propres soldats, mais il
savait que la cour était instruite de l'alliance projetée des frondeurs avec
l'Espagne, par l'arrestation d'un écuyer du prince de Conti et par la saisie
des lettres de l'archiduc Léopold. Quand
Molé vint rendre compte de sa mission au parlement, les princes s'indignèrent
de ce que leurs intérêts particuliers n'eussent pas été mieux sauvegardés. La
grand'salle du Palais était envahie par le peuple, qui faisait rage ; et le
premier président, dont la fermeté ne faiblit pas un moment dans cette
journée, aurait été mis en pièces s'il s'était montré. On lui proposa de se
retirer par une issue dérobée, mais il s'y refusa fièrement, et comme le
coadjuteur se disait incapable d'apaiser la foule qu'il avait ameutée : Eh ! mon bon seigneur, repartit Molé en raillant, dites le bon mot seulement, et vous en viendrez à bout. Le coadjuteur harangua cette
foule furieuse, lui dit tout ce qui devait la toucher et tout ce qui pouvait
la tromper, fit en un quart d'heure trente personnages différents, menaça, commanda, supplia, et ouvrit enfin un passage au premier président,
qui, précédé des huissiers et suivi des membres du parlement, sortit sain et
sauf du Palais. Parmi les clameurs qui l'accompagnaient, on entendit pour la
première fois retentir le cri de Vive la
République ! Ll y
eut encore de nouveaux débats au parlement, et de nouveaux attroupements
autour du Palais ; la paix n'en était pas moins signée, et les princes, pour
y adhérer, imposèrent au cardinal des conditions plus ou moins exorbitantes.
On n'épargna ni l'argent ni les promesses avec eux. Enfin, cette paix fut
criée à son de trompe, dans les rues de Paris, le 2 avril : le peuple en
avait pris son parti ; les feux de joie, les salves d'artillerie et le Te
Deum le mirent en liesse. L'armée de la Fronde fut licenciée le lendemain, et
le parlement se remit à juger des procès. Les
princes, généraux de la Fronde, avaient tous fait assez pauvre figure pendant
la guerre civile, à l'exception du duc de Beaufort, qui se signala par une
grande bravoure et dont la popularité s'en accrut. On ne parlait de lui, à la
cour, que sous le nom de roi des halles ; mais le peuple l'admirait et
l'adorait à tel point, que la paix n'eût pas eu lieu si ce brave prince eût
voulu s'y opposer. Il ne fut même pas nommé, non plus que le coadjuteur, dans
les articles accessoires du traité. La
tranquillité fut prompte à se rétablir dans toutes les villes et les
provinces qui avaient obéi au mouvement insurrectionnel de la Fronde ;
toutefois, quoique Paris eût repris sa physionomie ordinaire et que chacun ne
songeât qu'à ses affaires, il n'était pas question du retour du roi dans sa
capitale. La reine régente avait déclaré qu'elle préférait mourir plutôt que,
d'y rentrer. Ce fut pour la distraire et la calmer que le cardinal Mazarin la
conduisit à Compiègne, avec le roi. Il avait l'intention de se rendre à
l'armée d'Allemagne, car si les ratifications du traité de Munster avaient
été échangées, la paix n'était pas encore terminée avec l'Espagne, et
l'archiduc Léopold, qui avait eu l'espoir de conclure une alliance offensive
et défensive avec la Fronde, par l'entremise du coadjuteur et du prince de
Conti, allait continuer la guerre en Flandre. Condé n'avait pas consenti à
reprendre son commandement, mais il s'était engagé à ramener le cardinal à
Paris. Le cardinal attendait le moment de l'inviter à tenir sa promesse, dès
qu'il aurait décidé la reine à revenir avec lui au Palais-Royal. Il alla
d'abord à Saint-Quentin, visiter l'armée qui se préparait à faire campagne
contre les Espagnols, et il fut reçu avec les mêmes honneurs qu'on avait
rendus à Richelieu devant la Rochelle. Dès
lors, il jugea que l'heure était venue de retourner à Paris. Un
maître des cérémonies prévint le parlement et le corps de ville que l'entrée
solennelle aurait lieu le i 8 août 1649 ; le corps de ville, suivi de cinq
cents bourgeois à cheval en housses et habits noirs, alla, sur la route de
Saint-Denis, attendre le cortège royal. La reine était sur le devant du carrosse,
avec Mlle de Montpensier, fille unique du duc d'Orléans ; à la portière, du
côté de la reine, se trouvaient le roi, le duc d'Anjou et le duc d'Orléans ;
à l'autre portière, Condé et le cardinal Mazarin. Ce fut,
dit Mme de Motteville dans ses Mémoires, un véritable prodige que l'entrée du roi en ce jour, et
une grande victoire pour le ministre. Le Mazarin, si haï, fut regardé
attentivement de ceux qui suivoient le roi ; ils se disoient les uns aux
autres, comme s'ils ne l'eussent jamais vu : Voilà le Mazarin ! Les uns
disoient qu'il étoit beau, les autres lui tendoient la main et l'assuroient
qu'ils l'aimoient bien ; d'autres disoient qu'ils alloient boire à sa santé. Condé
se croyait quitte désormais de ses engagements avec la reine, et dès lors il
n'appartint plus qu'aux caprices de sa sœur, la duchesse de Longueville, et
aux intérêts de sa maison ; il s'éloigna immédiatement du cardinal, et
donnant carrière à son caractère mutin, malicieux et narquois, il se posa en
adversaire du premier ministre, qu'il se faisait un plaisir de contrecarrer
en toute occasion et qu'il affectait d'accabler d'impertinences. Un jour, en
prenant congé de lui, il le toisa d'un air sardonique et lui dit en ricanant
: Adieu, Mars. Il ne pardonnait pas sans doute à Mazarin d'être
allé au camp de Saint-Quentin jouer le rôle d'un général d'armée. Son
ressentiment s'était aussi tourné contre la reine : il la bravait, il se
moquait d'elle. Les épigrammes et les bons mots ne coûtaient pas à Condé : il
faut supposer qu'il s'en permit quelques-uns qui le brouillèrent avec la
reine et le cardinal, auquel il aurait écrit, dit-on, une lettre provocatrice
portant cette adresse insolente : All'
illustrissimo signor Facchino. Une réconciliation n'était plus possible, et la cour songeait à
se rapprocher des principaux chefs de la Fronde et du duc d'Orléans, pour
lesquels Condé, qui ne ménageait personne, témoignait un dédaigneux mépris. Le
parlement se trouvait un peu en dehors de ces cabales et de ces intrigues,
mais il n'attendait que l'occasion de rentrer en scène. Il ne fallait pour
cela que voir reparaître les armes dans les mains des bourgeois, et agiter le
fantôme des complots de la cour. Des bruits de tentatives d'assassinat contre
le duc de Beaufort, contre le prince de Condé et contre un conseiller au
Châtelet nommé Guy Joly — cette dernière affaire imputée à la cour et
imaginée dit-on, par la prétendue victime elle-même —, mirent en présence
devant le parlement et devant le public les partis qui se rejetaient
mutuellement l'accusation. Bientôt
la mésintelligence fut au comble entre les princes et la cour, qui prit le
parti violent de faire arrêter Condé, son frère Conti et son beau-frère le
duc de Longueville. Cette arrestation arbitraire, que le coadjuteur n'osa
désapprouver tout haut, eut lieu le 18 janvier 1650, au Palais-Royal, où les
trois princes avaient été mandés par la reine pour assister à une séance du
conseil privé ; et pendant qu'on les arrêtait au nom du roi, Anne d'Autriche
était en prières dans sa chambre, avec son fils. Les prisonniers furent conduits
à Vincennes ; le peuple, en apprenant leur emprisonnement, fit des feux de
joie et des réjouissances, parce qu'il regardait ces trois grands seigneurs
comme les plus redoutables ennemis de la Fronde. Mazarin
s'était presque réhabilité par ce coup d'État, et les frondeurs disaient
gaiement, qu'il ne falloit plus haïr le cardinal,
puisqu'il avoit cessé d'être Mazarin. Celui à
qui la postérité a décerné le titre de grand, le vainqueur de Rocroy et de
Lens, le premier capitaine de son temps, n'était pas populaire à Paris, mais
son nom imposait le respect et l'admiration à toute l'Europe. On eût souhaité
le voir à la tête des armées de la France, alors qu'il était enfermé au
donjon de Vincennes. Sa mère, la princesse douairière, quoique frappée d'un
arrêt d'exil, s'était obstinée à rester à Paris, pour porter elle-même au
parlement une requête suppliante, et pour lui demander justice de
l'arrestation illégale des princes ; sa femme, qu'il avait eu le tort grave
d'humilier sous prétexte qu'elle n'était pas de condition assez illustre,
avait traversé la France, en bravant mille périls, pour se réfugier à
Bordeaux, où, avec l'aide des ducs de Bouillon et de la Rochefoucauld, elle
soulevait le peuple en faveur des prisonniers ; sa belle-sœur, la duchesse de
Longueville, sortait de France et y rentrait avec une armée espagnole,
commandée par Turenne. La situation de la cour était difficile et menaçait de
devenir très grave. Mazarin
avait eu l'adresse de s'éclipser, en quelque sorte, du gouvernement, en
laissant l'autorité royale dans les mains du duc d'Orléans, tandis que Mme de
Longueville et Turenne traitaient avec le roi d'Espagne (20 avril), en s'engageant réciproquement
à ne pas mettre bas les armes, que monsieur
le Prince ne fût hors de prison et qu'on n'eût offert une paix juste et
raisonnable à l'Espagne.
Le roi n'avait pas d'armée pour faire face à tant d'adversaires, et l'on dut
mettre en gage les pierreries de la reine, afin de payer la solde arriérée
des régiments suisses. Le parlement de Paris et tous les parlements de France
inclinaient à protester contre la prison des princes. Le
cardinal fait face à tout : il trouve des soldats et des généraux pour
combattre les forces de la sédition, qui commence en Normandie, qui éclate
ensuite en Picardie, qui menace de s'étendre en Bourgogne, et qui s'allume
avec plus de violence en Guyenne. C'est la reine, c'est le roi, qu'il met à
la tête des troupes et qu'il conduit lui-même contre les partisans du prince
de Condé, tandis qu'il oppose le maréchal du Plessis au maréchal de Turenne,
qui avait pris le titre de lieutenant général
de l'armée du roi pour la liberté des princes. Après avoir fait transférer au château de
Marcoussis les prisonniers que Turenne allait tirer de Vincennes, il pacifie
en trois mois la Guyenne et fait rentrer Bordeaux dans l'obéissance du roi (i
er octobre). Il pardonne aux rebelles et traite avec eux, sans les pousser au
désespoir. On le
voit, après le traité de Bordeaux, dans le même carrosse que le duc de
Bouillon, le duc de la Rochefoucauld et Lenet, un des ardents auxiliaires de
la cause des princes. Qui auroit pu croire,
Messieurs, leur dit
en souriant le cardinal, qui auroit pu
croire, il y a seulement huit jours, que nous serions tous quatre aujourd'hui
dans le mesme carrosse ?
— Tout arrive en France ! répond la Rochefoucauld, qui
méditait déjà son livre des Maximes. Ce mot spirituel résumait
d'avance tout ce qui devait se passer jusqu'à la fin de la Fronde. Le
cardinal rentra seul à Paris (31 décembre 1650), où les frondeurs s'étaient réunis contre lui avec
les partisans des princes : tout le prestige de ses succès militaires était
déjà perdu. Le roi et la reine, qu'il croyait ramener en triomphe, n'ont plus
même la puissance de le soutenir contre Retz et Gaston. Il s'indigne, sort
une fois de son caractère doux et placide, et, en présence du duc d'Orléans,
que la reine avait appelé au Palais-Royal, maudit les brouillons de la
France, en leur appliquant les noms de Cromwell et de Fairfax. Le coadjuteur,
qui avait compté sur sa promotion au cardinalat, accuse Mazarin de lui avoir
enlevé le chapeau de cardinal : il excite le parlement à demander hautement
la liberté des princes et l'éloignement du ministre étranger ; le duc
d'Orléans est muni de pleins pouvoirs pour obtenir de la reine régente cette
double concession. Mazarin,
dont le peuple attache les portraits au pilori et à la potence, comprend
qu'il n'est pas en sûreté au Palais-Royal : accompagné de deux gentilshommes,
il se retire à Saint-Germain, où il espère que le roi et la reine ne
tarderont pas à le rejoindre. Mais le parlement rend un arrêt qui l'exile de
France, et dans la nuit du 9 au 10 février 1651, les milices bourgeoises
entourent le Palais-Royal et y retiennent prisonniers le roi et la reine.
Mazarin se résigne : lui, timide et tremblant
aux approches d'une disgrâce, se retrouve ferme et patient dans la disgrâce
même. Porteur d'un ordre
de la reine, il se rend au Havre pour annoncer aux princes qu'ils sont
libres, et Condé ne tire de lui d'autre vengeance que de le saluer, en adieu,
d'un immense éclat de rire. Ne
sachant trop où chercher un asile, et dans l'attente d'une lettre de la reine
qui le rappelât, Mazarin fit quelque séjour à Doullens, puis à
Clermont-en-Argonne. Les princes étaient rentrés à Paris, et le cardinal
n'avait plus que des ennemis intéressés à son éloignement définitif. Sur un
avis de la reine, il se hâta de passer la frontière. Le jour même où le
parlement le poursuivait d'un nouvel arrêt plus violent que les autres, pour
informer plusieurs crimes d'État à lui imputés, et pour se saisir de sa
personne, Mazarin avait trouvé une splendide hospitalité dans le château de
Bruhl, appartenant à l'électeur de Cologne, et c'était encore lui qui
dirigeait les affaires de France, par l'entremise des nombreux agents de sa
politique, qu'il avait laissés auprès de la reine régente, notamment le
secrétaire d'État le Tellier, Servien et Lionne. En même temps, il
entretenait une correspondance secrète avec Anne d'Autriche, qui lui
conservait un attachement inaltérable. Le prince de Condé avait dès lors
rompu avec la cour, après avoir essayé d'arracher au roi des concessions qui
devaient annihiler l'autorité royale : il refusa de paraître au lit de
justice dans lequel Louis XIV déclarait à treize ans sa majorité (7 septembre
1651), et partit
pour son gouvernement de Guyenne avec le projet d'y préparer la guerre
civile. Le roi
avait été forcé, en se déclarant majeur, de confirmer l'arrêt du parlement
contre Mazarin. Celui-ci se plaignit d'un tel acte de faiblesse, dans une
lettre restée célèbre, avec plus d'éloquence peut-être que de sincérité. Le roi et la reine, écrivait-il le 26 septembre, m'ont déclaré un traître, un voleur public, un
insuffisant, et l'ennemi du repos de la chrétienté, après les avoir servis si
fidèlement. Si je puis obtenir d'eux ce qui ne se refuse pas au dernier des
hommes, qui est d'être entendu et qu'on me fasse mon procès dans les formes,
afin qu'étant coupable je lave de mon sang les crimes que j'aurais commis,
c'est la seule et la plus grande grâce que je saurais recevoir. Je demande
l'honneur qu'on m'a ôté, et qu'on me laisse en chemise, renonçant de très bon
cœur au cardinalat et à mes bénéfices, desquels j'enverrai la démission avec
joie, consentant volontiers d'avoir donné à la France vingt-trois années du
meilleur de ma vie, toutes mes peines et le peu de bien que j'avais, et de.me
retirer seulement avec l'honneur. Il est difficile de ne pas croire que le roi ne fût
toujours d'accord avec Mazarin pour tous les actes de son gouvernement,
puisqu'il envoyait secrètement à son ancien ministre les pouvoirs nécessaires
à l'effet de traiter avec les Espagnols en son nom, au moment même où, dans
la déclaration publique qui inaugurait sa majorité, il rejetait sur le
cardinal tous les griefs de la Fronde contre la régence d'Anne d'Autriche. Ce fut
certainement Mazarin qui détacha du parti des princes le maréchal de Turenne
(fig. 129), lequel devint le général en chef de l'armée du roi. Condé en
conçut tant de dépit, qu'il ne balança plus à lever l'étendard de la révolte
dans son gouvernement de Guyenne, et il en ressentit plus d'une fois un terrible
remords, comme l'indique son propre aveu, recueilli par Bossuet dans
l'oraison funèbre de ce grand capitaine : J'étais
entré en prison le plus innocent des hommes ; j'en suis sorti le plus
criminel ! La
Fronde se divisait alors en trois partis : celui de la vieille Fronde,
représenté par le duc d'Orléans, le coadjuteur, le parlement et la
bourgeoisie de Paris ; celui de monsieur le Prince ; dans lequel les ducs de
Nemours et de la Rochefoucauld s'étaient jetés comme des héros de roman ; et
celui de la cour, qui avait pour lui le duc de Bouillon et Turenne. La reine,
d'après le conseil de Mazarin, n'hésita pas à opposer le roi en personne, au
prince de Condé, le souverain au sujet rebelle. Le roi, en partant de Paris, avait
enjoint formellement au cardinal de venir le rejoindre à l'armée ; et le
cardinal, qui faisait faire des levées d'hommes dans le pays de Liège et sur
les bords du Rhin, se mit en campagne au mois de décembre, pour obéir au roi,
avec 6.000 soldats portant sa couleur, l'écharpe verte, qui annonçait que ces
troupes étaient à sa solde et sous ses ordres. Il s'avance, sans rencontrer
d'obstacle, de Sedan à Rethel, et pénètre en Champagne, où les maréchaux
d'Hocquincourt et de la Ferté viennent prendre le commandement des renforts
qu'il amène au roi. Le
parlement de Paris, en apprenant que Mazarin est en France, renouvelle contre
lui l'arrêt rendu en 1569 contre l'amiral Coligny, et défend, sous peine de
mort, de lui livrer passage ou de lui donner asile ; mesure qui ne suffit pas
à arrêter la marche du petit corps d'armée du cardinal, qui arrive enfin à
Poitiers, auprès du roi et de la reine (30 janvier 1652). La
guerre civile eut pour théâtre les rives de la Loire, d'Angers à Orléans,
d'Orléans à Bléneau, où Condé faillit enlever le roi lui-même avec toute la
cour, et enfin d'Étampes à Paris, où la vieille Fronde populaire, soutenue
par le parlement et dirigée par le duc de Beaufort et le coadjuteur, semblait
n'avoir plus de liens avec la nouvelle Fronde, qui n'était qu'une lutte entre
Condé et Turenne. Mazarin avait fait du coadjuteur un cardinal (février 1652), sans réussir à le faire rompre
avec le parlement. Les intrigues et les négociations continuaient, tandis que
les deux armées manœuvraient l'une contre l'autre, avec une merveilleuse
stratégie, sans en venir à une bataille décisive. Cette
bataille eut lieu pourtant, sous les murs de Paris, qui voulait se
désintéresser des résultats d'une lutte exclusivement militaire, dans
laquelle la cour seule pouvait former des vœux et des espérances. Le jeune
roi assistait, avec Mazarin, des hauteurs de Charonne, au sanglant combat
livré à l'extrémité du faubourg Saint-Antoine (2 juillet 1652). Condé, forcé de battre en
retraite devant les forces supérieures de Turenne, allait se voir obligé de
mettre bas les armes, si Mlle de Montpensier, la grande Mademoiselle, n'avait
obtenu de son père, le duc d'Orléans, un ordre écrit pour faire tirer le
canon de la Bastille contre Turenne victorieux, et pour ouvrir les portes de
la ville à Condé, qui put s'y réfugier avec ses troupes en déroute. Des deux
côtés, la perte fut énorme et, comme on avait combattu de près, la noblesse y
avait une grande part. L'entrée
des troupes de Condé dans Paris reculait encore une fois le dénouement
pacifique de la guerre civile le parti des princes était maître de la ville,
où le parlement ne pouvait plus traiter avec le roi et signer la paix, au
moyen d'une transaction qui avait été presque convenue avant le combat du
faubourg Saint-Antoine. Tout le monde voulait pourtant la paix, mais on n'avait
jamais été plus exaspéré contre Mazarin ; on accusait même le parlement de mazarinisme, et c'était à qui le maudirait le plus. Les bourgeois et les
marchands surtout se repentaient d'avoir fait la Fronde : Voilà quatre ans, disaient-ils, que
le parlement nous a excités pour ses intérêts particuliers ; il nous a valu
le siège de Paris, l'absence du roi, la ruine de notre trafic ; qu'il fasse
la paix et nous tire de notre misère, ou nous l'assommerons ! Les
princes demandaient à la ville d'embrasser leur cause et de leur fournir
l'argent nécessaire pour continuer la guerre, et la ville faisait la sourde
oreille. Ils soulevèrent la populace, qui se répandit dans les rues, en
forçant tous les passants à arborer à leur chapeau un petit bouquet de
paille, qui était l'emblème de l'union des princes et du peuple. Une
assemblée des notables devait avoir lieu à l'hôtel de ville le 4 juillet,
pour accepter cette union avec les princes, à laquelle la plupart des délégués
étaient hostiles. Condé et Gaston d'Orléans s'efforcèrent de changer les
dispositions de l'assemblée, et, n'y réussissant pas, ils sortirent, en
disant à la foule, du haut du perron : Ces
gens-là ne veulent rien faire pour nous, et sont des mazarins. Faites-en ce
que vous voudrez ! On
en fit un affreux massacre, et les milices bourgeoises n'osèrent pas venir à
leur secours. Le but
poursuivi par les princes était atteint : tout tremblait devant eux ; Paris
leur appartenait, et le parlement obéissait à leurs ordres. Le président
Molé, devenu garde des sceaux, fit savoir au parlement que le roi avait
permis au cardinal de se retirer ; mais cependant le cardinal retardait
toujours son départ. Les princes, de leur côté, annonçaient leur soumission
au roi, pourvu que Mazarin sortît du royaume. La chasse au Mazarin recommença
dans le parlement, qui ordonna de reprendre la vente publique du mobilier et
des objets d'art du cardinal, en mettant sa tête à prix. Le conseiller
Broussel, qui avait été l'infatigable agitateur de la Fronde, en était venu
enfin à diriger l'action du parlement, qui donne à Gaston la lieutenance
générale du royaume et qui nomme Beaufort gouverneur de Paris. Condé,
après avoir entamé avec la cour des négociations que ses caprices et ses
exigences faisaient échouer, persiste dans sa rébellion et joint ses forces à
celles des Espagnols, qu'il appelle en France pour continuer la guerre
civile. Le roi ne s'oppose plus au départ du cardinal, qui va s'établir à
deux pas de la frontière, dans la ville de Bouillon. Le
cardinal de Retz, qui s'était éloigné des princes et qui restait dans
l'inaction depuis plusieurs mois, se rattache tout à coup au parti de la cour
et conduit à Compiègne une députation de son clergé, pour prier le roi de
revenir au milieu de son bon peuple de Paris. Puis il se fait chef d'une
espèce de conspiration, dans le but d'ouvrir les portes de Paris au roi,
malgré les résistances de Gaston et du duc de Beaufort ; il travaille le
peuple et la bourgeoisie au profit de la cour, et fait crier Vive le roi !
dans les rues, pendant que le signe de ralliement des princes, la paille, est
remplacé par un papier blanc, qui devient l'emblème royaliste. L'armée de
Condé s'éloigne de la capitale, et le roi rentre au Louvre dans la soirée du
21 octobre 1652. Le
lendemain, le duc d'Orléans partit pour Blois, et le parlement enregistra un
nouvel édit d'amnistie, en réclamant certaines réserves contre les princes
qui portaient encore les armes contre le roi ; mais il lui fut interdit de prendre dorénavant connaissance des affaires
générales de l'État et de la direction des finances, et de rien ordonner ou
entreprendre contre ceux qui en auraient l'administration, à peine de
désobéissance. Par
arrêt du 13 novembre, Condé fut déclaré criminel de lèse-majesté et un mois
plus tard, le 10 décembre, le cardinal de Retz, qui s'était remis à cabaler,
se vit arrêté au Louvre et conduit à Vincennes. Tout annonçait tellement, dit Bazin, le rétablissement complet de l'autorité dans la capitale
du royaume, qu'on était déjà presque inquiet de n'y pas voir reparaître le
premier ministre. Il eut encore la coquetterie de se faire attendre quelque
temps. Il était
allé rejoindre l'armée de Turenne, qui assiégeait Bar-le-Duc, et il assista à
la reprise de cette ville, ainsi qu'à celle de Sainte-Ménehould et de
Château-Porcien. Le 3 février 1653, le roi vint à sa rencontre jusqu'au
Bourget, et le conduisit au Louvre dans son carrosse. La fin de la guerre civile, qui se prolongea jusqu'à la soumission de Bordeaux (31 juillet), termina les troubles de la Fronde et inaugura glorieusement le règne de Louis XIV, sous les auspices de son premier ministre. |