HENRI IV ET LOUIS XIII

 

CHAPITRE IV. — LOUIS XIII ET RICHELIEU.

 

 

Richelieu en disgrâce, après la chute de Concini. — Ses rapports avec Marie de Médicis. — La reine mère s'évade du château de Blois. — Intrigues des mécontents ; guerre civile. — Prise d'armes des protestants ; siège de Montauban. — Mort de Luynes. — Entrée de Richelieu au conseil. — Richelieu premier ministre. — Conspiration de Chalais ; son supplice. — Siège de la Rochelle. — Guerre d'Italie ; le pas de Suze. — Nouveaux complots déjoués par Richelieu ; la journée des Dupes. — Exécution de Montmorency. — Pouvoir de Richelieu. — Conspiration de Cinq-Mars. Mort de Richelieu. — Mort de Louis XIII.

 

A peine Richelieu est-il nommé par les historiens contemporains de la régence de Marie de Médicis, bien qu'il ait occupé, pendant les dernières années de cette régence, une position prépondérante et tout intime auprès la reine mère et qu'il fût encore, au moment de la mort du maréchal d'Ancre, secrétaire d'État de la guerre et des affaires étrangères. Le comte de Pontchartrain, un de ses collègues au conseil d'État, a écrit des mémoires politiques sur cette époque et n'a pas daigné l'y nommer : il le désigne seulement entre deux ou trois qui n'ont autre mérite et expérience aux affaires, sinon d'être ministres des passions du maréchal et de sa femme.

Et pourtant Richelieu, qu'on n'appelait alors que l'évêque de Luçon, ou Monsieur de Luçon, était non seulement le confident et l'inspirateur de la reine mère, mais encore, sans se prévaloir de sa supériorité, le plus actif et le plus influent des membres du conseil. Mais il ne se montrait pas à la cour et se contentait d'avoir ses entrées libres chez la régente et chez le marquis d'Ancre, qui le tenait en estime particulière. Quant au roi, il connaissait bien M. de Luçon, et il ne se sentait pas éloigné de lui accorder certaine confiance, d'autant plus qu'il s'était servi de son intermédiaire en plusieurs occasions, pour agir auprès de la reine mère et obtenir d'elle au moins une apparence de bon vouloir et de condescendance. Il savait aussi que l'évêque de Luçon avisait toujours, dans le conseil, à ce qu'on ne le laissât pas manquer d'argent. Ainsi, le 23 avril 1617, la veille même de l'assassinat du malheureux Concini, Armand de Richelieu écrivait à l'intendant du Poitou : Je vous asseure que les finances de Sa Majesté sont si courtes, que par le désir que j'ay que son service ne retarde point, manque d'argent, j'ay mieux aimé avancer quinze cens livres du mien.

Louis XIII sut peut-être qu'il était débiteur de l'évêque de Luçon, et il n'avait pas trouvé mauvais qu'on le retint dans le conseil ; mais le nouveau chef du gouvernement, Luynes, jugea dangereux pour sa fortune la présence de M. de Luçon auprès de Marie à Blois. En vain, dit Bazin, l'évêque écrivait-il que la reine vivait sans ressouvenir fâcheux des choses passées ; en vain rendait-il un compte exact et minutieux de ses actions. Il devint lui-même suspect, ou peut-être feignit de croire qu'il l'était devenu, et quitta la reine (juin 1617) pour se retirer dans un prieuré qui lui appartenait près de Mirebeau, voulant se renfermer avec ses livres, annonçait-il, et s'occuper, suivant sa profession, de combattre l'hérésie. Il n'était resté que quarante jours à Blois, et il eut l'adresse de présenter sa retraite, à la cour comme un acte d'obéissance empressée, à la reine comme une nouvelle persécution de ses ennemis.

Il prétendait cependant ne pas être oublié ; aussi, peu de temps après (octobre), vit-on paraître un livre de sa façon, intitulé : les Principaux points de la Foy de l'Église catholique deffendus contre rescrit adressé au Roy par les quatre ministres de Charenton. C'était une manière adroite de se rappeler à la bienveillance de Louis XIII, auquel il dédia son livre. Ce livre n'arriva peut-être pas à son adresse, et le prélat, qui continuait à entretenir des relations secrètes avec la reine mère, exilée à Blois, se vit exiler lui-même à Avignon (7 avril 1618), avec ordre de n'en pas sortir. Il s'empressa d'obéir à ce nouveau commandement du roi : Je n'aurois point le courage de me recommander aux bonnes grâces de Votre Majesté, lui écrivait-il, si ma conscience accusoit tant soit peu mes actions, mais sçachant asseurément qu'elles n'ont pas mesme peu donner lieu au moindre soupçon, j'attribue à mon malheur ordinaire la cause de mes esloignemens, et m'asseure que le temps et mes déportemens, en quelque lieu qu'iL vous plaise que j'aille, feront toujours paroistre à mes ennemys qu'il n'y a rien au monde capable de corrompre ma fidélité n'y d'altérer ma preud'hommie ; car, oultre que je suis obligé à Vostre Majesté, par nature, par les honneurs que j'en ay autrefois receuz et les tesmoignages qu'il luy a pieu souvent rendre de mon affection à son service, je le suis encore envers moy-mesme.

Si cette lettre n'eut pas un effet immédiat, elle remit l'évêque de Luçon en rapport indirect avec le sieur de Luynes, qui était devenu premier gentilhomme de la chambre, capitaine de la Bastille et lieutenant général de Normandie. Luynes avait jugé que l'exilé d'Avignon devait être toujours instruit 'des intentions et des projets de la reine mère, et il ne se refusa pas à bien accueillir le marquis de Richelieu, frère de l'évêque, et les deux fidèles agents de ce dernier, l'abbé Bouthillier et le capucin Joseph du Tremblay. Il apprit par ces intermédiaires que M. de Luçon usait de tout son crédit auprès de Marie de Médicis, pour la dissuader d'entreprendre aucune cabale contre le roi son fils et pour l'engager à attendre du temps et des événements la fin de sa disgrâce.

L'évêque de Luçon donnait, au reste, à la reine mère l'exemple de la patience et de la résignation ; il subissait, sans se plaindre, son exil à Avignon, et employait ses loisirs à composer, pour les fidèles de son diocèse, une Instruction du chrétien, qu'il faisait imprimer à Paris. Il avait confiance dans l'avenir, et il se promettait bien de reprendre, un jour ou l'autre, tout son crédit et tout son pouvoir auprès de la reine mère, si elle redevenait elle-même accréditée et puissante auprès du roi. Il ne voulut donc pas se mêler des intrigues et des complots que les ducs de Bouillon et d'Épernon dirigeaient à Sedan et à Metz, pour délivrer Marie, en butte à toutes sortes d'outrages et de calomnies.

Luynes, dans ses conférences avec le marquis de Richelieu et les deux secrétaires de l'évêque de Luçon, avait fait entendre qu'il ne s'opposerait pas à une réconciliation du roi avec sa mère. Quant au roi, cette idée de réconciliation l'alarmait, et il éprouvait une extrême répugnance à s'y prêter. Une anecdote racontée par Bassompierre peut montrer dans quelles dispositions on entretenait l'esprit du roi. Un jour que ce jeune prince s'amusait à sonner du cor, Bassompierre lui ayant remontré que cet exercice, fatigant pour la poitrine, avait coûté la vie à Charles IX : Vous vous trompez, répondit-il ; ce n'est pas cela qui le fit mourir. C'est qu'il se mit mal avec la reine Catherine, sa mère, et que, l'avant quittée, il consentit à se rapprocher d'elle ; s'il ne l'eût pas fait, il ne serait pas mort sitôt. D'un autre côté, Marie de Médicis fut détournée d'employer l'entremise de Luynes qui n'était probablement pas sincère pour se réconcilier avec le roi ; elle se jeta de préférence dans les bras des ducs de Bouillon et d'Épernon, qui avaient préparé une guerre civile avec l'argent qu'elle leur avait fait passer.

Dans la soirée du 22 février 1619, la fenêtre de la chambre qu'elle occupait dans le château de Blois s'ouvre tout à coup : les sentinelles ont été éloignées, des échelles de corde sont fixées solidement aux murailles. L'auguste prisonnière, soutenue par un des gentilshommes du duc d'Épernon, descend par ces échelles sur la plate-forme, d'où il fallut la glisser dans un manteau le long du rempart. Arrivée dans le faubourg, elle traverse rapidement le pont, et trouve, caché dans une ruelle obscure, un carrosse pour la recevoir avec son épargne et ses pierreries. Ce carrosse la mena jusqu'à Montrichard, où le duc d'Épemon l'attendait pour la conduire à Angoulême. L'évêque de Luçon n'essaya pas de l'y rejoindre, mais il lui adressa de sages conseils, qui témoignaient à la fois de sa prudence et son dévouement : Sa Majesté, disait-il dans cette note secrète, qu'un envoyé était chargé de remettre en mains propres à la reine mère, s'acquerra de tous grandes louanges de n'avoir ni au passé ni au présent autre intention que d'aymer le roy, sa grandeur et l'augmentation de son règne. Pendant que le duc d'Épernon rassemblait des troupes, et mettait en état de défense la ville d'Angoulême, Richelieu intervenait activement auprès de Luynes, toujours par l'intermédiaire de l’abbé Bouthillier et du capucin Joseph du Tremblay, pour décider le roi à conclure un accommodement avec sa mère, avant que la guerre civile eût éclaté. Le roi y répugnait visiblement ; Marie de Médicis ne s’y prêta pas davantage, mais l'évêque de Luçon fut invité à y donner des mains personnellement : il vint alors à Angoulême et n'eut pas de peine à faire partir la reine pour Poitiers, ou Louis XIII venait à sa rencontre avec toute la cour.

L’entrevue de la mère et du fils eut lieu dans une maison du duc de Montbazon appelée Cousières, à trois lieues de Tours (4 septembre). Leur embrassement ne se fit pas sans beaucoup de larmes. Dieu ! mon fils, que vous êtes grandi ! s'écria la reine. Ma mère, répondit le roi en s'inclinant, si j'ai grandi, c'est pour votre service. On se rendit ensuite à Tours au milieu des acclamations pub :igues et dans les épanchements d'une vive tendresse, qui inquiéta bientôt le favori. Cette réunion dura quinze jours, fait remarquer Bazin ; après quoi, le roi retourna vers Paris, et la reine mère se rendit dans son gouvernement d'Anjou pour en prendre possession, avec intention, disait-on, de rejoindre promptement son fils. A cette occasion, du Plessis-Mornay, bon juge des événements, écrivait à quelqu'un de la cour : Si vous ne menez la reine avec vous, vous n'aurez rien fait. Les défiances croîtront par l'absence ; les malcontents multiplieront, et les bons serviteurs du roi n'auront pas peu de peine à vivre entre deux.

Angers devint aussitôt le foyer de nouvelles intrigues. Marie, prêtant l'oreille aux sollicitations des princes et des seigneurs mécontents qui méditaient une nouvelle guerre civile, n'avait pas voulu rentrer à Paris sans garantie ; elle avait refusé ce retour aux instances de Luynes, dont la faveur auprès de Louis XIII ne faisait que s'accroître, et aux conseils que lui suggérait en secret la prudence de l'évêque de Luçon : les mécontents l'avaient donc emporté sur les avis d'un grand politique. Tout était en armes dans le Poitou, la Vendée, la Guyenne et la Normandie. Le roi dut enfin', malgré sa répugnance pour la guerre, se mettre en personne à la tête de ses armées, en déclarant qu'on avoit emprunté le nom de sa mère pour couvrir d'ambitieux desseins. Il prit tout à coup un plaisir, qu'il ne connaissait pas, à passer en revue ses troupes, à tenir son conseil de guerre, et il était bien résolu, suivant ses propres expressions, à jeter le fourreau de l'épée en deçà de la Loire, dans le cas où sa mère sortirait d'Anjou pour se réfugier en Poitou.

L'armée royale s'était arrêtée en vue des Ponts-de-Cé, dans l'attente d'une réponse définitive de la reine mère, à laquelle on avait fait offrir des conditions honorables. Louis XIII, plutôt par divertissement qu'autrement, eut l'idée de pousser une reconnaissance jusqu'aux remparts de cette ville. Les partisans de la reine mère, qui s'y trouvaient en grandes forces, essayèrent de battre en retraite, et leur retraite, provoquée par le duc de Retz qui, au premier coup de canon, abandonna la partie, se changea en déroute (7 août). Une escarmouche de moins de deux heures, dit du Plessis-Mornay, avoit dissipé le plus grand parti qui eût esté en France depuis plusieurs siècles, et avec peu d'apparence de le pouvoir rallier. C'est qu'il manquait un réel intérêt à ce mouvement capricieux des ambitions. L'évêque de Luçon conseilla, dit-on, à Marie de Médicis de chercher un passage sur la Loire, pour gagner Angoulême, où elle obtiendrait une paix avantageuse sous la protection du duc d'Épernon. Ce conseil ne fut pas suivi, et il eut des échos fâcheux, puisque le roi et son favori Luynes, qui jusque-là s'étaient montrés disposés à reconnaître les bons offices de Richelieu en appuyant sa promotion au cardinalat, renoncèrent momentanément à ce projet. La reine mère s'était cependant réconciliée avec son fils, dans une entrevue où ils avaient à l'envi redoublé de caresses et de protestations réciproques.

L'évêque de Luçon, après de vaines tentatives pour se rapprocher du roi et pour se rendre nécessaire, fut éconduit et tenu à distance. Luynes et Louis XIII avaient sur son compte la même opinion : ils le regardaient comme un politique habile et astucieux, mais ils le voyaient de longue date attaché de telle sorte à la reine mère, qu'il la servirait toujours aux dépens et au détriment de tout le monde. C'est en cela qu'ils s'exagéraient un dévouement qui, dans aucun cas, n'eût dépassé les bornes que lui imposait une invincible ambition personnelle. Au reste, M. de Luçon avait foi dans son étoile, et comme ses espérances de grandeur à venir étaient fondées sur le retour de Marie auprès de son fils, il attendait en silence auprès d'elle un instant plus favorable à leurs intérêts communs.

Contrairement à l'édit de pacification, un édit avait été rendu qui prescrivait aux États de Béarn de restituer les biens ecclésiastiques. Sur le refus des protestants, le roi déclara qu'il irait le faire enregistrer lui-même, et que ni la saison avancée, ni la pauvreté des Landes, ni l'âpreté des montagnes ne l'arrêteraient. En effet, il fit son entrée à Pau, le 15 octobre 1620. Il rétablit dans cette province, par un édit solennel, le culte catholique ; aboli par Jeanne d'Albret, et fit rendre au clergé tous ses biens. Les réformés s'inquiétaient, de plus, dit M. de Bonnechose, de la tendance catholique du gouvernement. Dans une assemblée tenue par eux à Loudun, ils avaient pris fait et cause pour leurs frères menacés en Béarn. Leurs remontrances furent vaines, et, en 1621, dans l'assemblée générale de la Rochelle, ils partagèrent leurs 700 églises en 8 cercles, et rédigèrent une espèce de constitution, où furent réglées, sous l'autorité du roi, la levée des deniers et la discipline des troupes : c'était créer un gouvernement particulier dans l'État.

Louis marcha contre eux, soumit la Saintonge et le Poitou, et, au lieu de porter d'abord tout l'effort de la guerre contre la ville de la Rochelle, principal centre de la rébellion, alla assiéger Montauban, en compagnie de Luynes, pour lequel il venait de rétablir la charge de connétable. Les dispositions du siège avaient été si mal prises, qu'il fallut le lever en toute hâte après des assauts infructueux,' et l'armée royale, décimée par des maladies épidémiques, fut obligée de se tenir sur la défensive. La retraite eut lieu le 2 novembre ; en deux mois et demi, l'on avait perdu 8,000 hommes. Louis XIII, dont le caractère, à la fois timide et mutin, subissait en grondant le joug qu'il s'était donné, eût été bien aise de pouvoir alors se soustraire à la domination de son ancien favori, mais il ne l'osa pas, et ne fit que lui susciter des obstacles et des contrariétés. Luynes en éprouva tant de chagrin, qu'il tomba malade devant la petite ville de Monheurt, qui refusait d'ouvrir ses portes au roi, mais qui fut bientôt forcée de se rendre à merci. Louis ne pardonna pas aux habitants leur résistance : il ordonna que la ville fût pillée et brûlée, sous ses yeux, à l'heure même où Luynes mourait à quelques pas de lui, d'une fièvre pernicieuse. Luynes ne fut regretté de personne, et, comme dit Bassompierre, il ne fut guère plaint du roi (14 décembre 1621).

Le connétable mort, l'évêque de Luçon jugea que la reine mère pouvait reprendre toute son influence dans les conseils du roi, et il se chargea de la diriger vers ce but, qu'elle atteignit promptement sous l'habile conduite de son ancien ministre. C'est en vain que cette princesse, qui avait regagné l'amour du peuple français depuis qu'on la croyait persécutée par son fils, fut desservie, repoussée, entravée par les nouveaux élus du conseil, le prince de Condé, le chancelier de Sillery, le surintendant des finances, Henri de Schomberg, le cardinal de Retz, évêque de Paris, et par toutes leurs créatures. Ces nouveaux venus craignaient l'évêque de Luçon, et cherchaient à l'écarter de ce conseil où la reine mère avait repris sa place ; mais il y était toujours invisible et agissant, puisque Marie ne se conduisait que d'après ses avis : elle écoutait tout, parlait peu, épiait le moindre désir du roi, s'empressait de s'y conformer et ne se départait en aucun cas de la réserve la plus prudente, s'apercevant bien qu'on ne lui faisait voir que la montre de la boutique et qu'elle n'entrait point au magasin.

Elle avait dès lors plus d'empire sur son fils qu'elle n'en eut jamais malgré les ruses et les perfidies qu'on inventait journellement pour détacher d'elle le roi, qui lui accordait autant de confiance que d'affection. On dut s'en apercevoir en diverses circonstances, et notamment quand la mort eut changé tout à coup la politique du conseil, en lui enlevant le cardinal de Retz, Henri de Gondi, et le garde des sceaux, de Vic, qui furent remplacés par le doyen des conseillers d'État, Lefevre de Caumartin, et par Bassompierre, créé bientôt maréchal de France, à la recommandation de la reine mère. Peu de jours auparavant, on apprenait que le pape avait donné le chapeau de cardinal à l'évêque de Luçon, afin de complaire à la reine (Marie de Médicis), avec laquelle le roi vivoit si bien, qu'en toutes choses il avoit à plaisir de lui donner contentement.

Richelieu, qu'on n'appela plus dès lors que le cardinal, s'était flatté de succéder directement, dans le conseil, au cardinal de Retz, mais le prince de Condé eut assez de crédit pour l'en éloigner encore une fois. Il fallut un nouveau remaniement pour l'y faire entrer, après le renvoi du comte de Schomberg, qui dut céder sa charge de grand maître de l'artillerie au fils du duc de Sully, et la surintendance des finances au marquis de la Vieuville, en dépit de l'appui que Condé s'efforçait de lui prêter contre les sourdes manœuvres de son redoutable adversaire. Richelieu se refusa d'abord à faire effectivement partie du conseil, où il se trouvait assez représenté par la reine mère qu'il inspirait, et par le marquis de la Vieuville, qu'il avait fait premier ministre. Sa santé fragile et chancelante, disait-il, l'empêchait d'accepter un pareil fardeau.

Marie de Médicis n'insistait pas moins auprès de son fils pour qu'il l'aidât à vaincre la résistance du cardinal : Je le connois mieux que vous, lui disait le roi ; c'est un homme d'une ambition, démesurée ; il sera le maistre de nous tous, si nous le laissons faire. Puis, à peu de jours de là, voyant le cardinal passer dans la cour du Louvre, il dit au maréchal de Praslin : Voilà un homme qui voudroit bien être de mon conseil, mais je ne m'y puis résoudre, après tout ce qu'il a fait contre moi. C'était un reste des préventions que Luynes lui avait fait partager à l'égard de l'évêque de Luçon.

Le lendemain même, Louis XIII manda le cardinal et lui annonça que M. de la Vieuville réclamait absolument son entrée dans le conseil. Richelieu, dit Bazin, sembla vouloir se défendre de cet honneur pénible. Il parla de sa santé, qui ne pouvait se prêter à la fatigue des visites, qui ne lui permettait pas de se tenir longtemps debout dans la chambre du roi, qui lui faisait un besoin de la campagne. Tout cela fut inutile : le marquis de la Vieuville, qui était violent en ses passions, comme dit Richelieu, força le pauvre cardinal à se sacrifier pour le bien de l'État (19 avril 1624). Jamais homme simple et candide, ami du repos et de la retraite, ne parut accepter le fardeau des affaires avec plus de répugnance et d'humilité. Il avait alors trente-neuf ans passés : il s'était essayé, en 1617, pendant cinq mois, dans le ministère, et depuis sept ans il attendait le moment d'y rentrer.

Une fois ministre en nom, le cardinal reconnut qu'il ne pouvait rien pour le service du roi, en laissant les affaires dans les mains d'un premier ministre tracassier, brouillon et indiscret. La Vieuville était donc jugé et condamné : il fut arrêté, le 12 août, au sortir de la chambre du roi, et conduit prisonnier d'État au château d'Amboise. On ne put douter, après ce coup d'éclat, que le cardinal allait exercer une grande influence dans le gouvernement. Les affaires de l'État, dit-il dans la première séance du conseil qu'il présida sous les yeux du roi et de la reine mère, doivent se faire par conseil et non par un seul à l'oreille. Il faut que les ministres vivent en société et amitié, non pas en partialités et divisions. Toutes les fois qu'un seul voudra tout faire, il voudra se Perdre, mais en se perdant il perdra l'État ; et toutes les fois qu'un seul voudra posséder l'oreille du roi, il faut nécessairement que ce soit pour lui cacher son ignorance ou sa malice. Louis XIII, qui avait un esprit juste mais borné, un caractère faible et ombrageux, un cœur sec et froid, se trouvait déjà sous le joug de son premier ministre, qui, par la grandeur de ses idées, par la force de sa volonté, par la puissance de son génie, l'avait conquis et subjugué.

C'est Richelieu lui-même qui, dans la Succincte narration des grandes actions du Roi, cet admirable résumé de sa vie politique, nous a révélé avec autant de modestie que de sincérité le véritable but de sa conduite de ministre : Lorsque Votre Majesté, dit-il, se résolut de me donner en mesme temps et l'entrée de ses conseils et grande part à sa confiance pour la direction de ses affaires, je puis dire, avec vérité, que les huguenots partageoient l'Estat avec elle, et que les grands se conduisoient comme s'ils n'eussent pas esté ses sujets, et les plus puissans gouverneurs des provinces, comme s'ils eussent esté souverains en leurs charges. Je puis dire que le mauvais exemple des uns et des autres estoit si préjudiciable à ce royaume, que les compagnies les plus réglées se sentoient de leur dérèglement et diminuoient en certains cas vostre légitime autorité. Je puis dire que chacun mesuroit son mérite par son audace... Je puis dire encore que les alliances étrangères estoient méprisées ; les intérêts particuliers préférés aux publics ; en un mot, la dignité de Votre Majesté royale tellement ravalée et si différente de ce qu'elle devoit estre, par le défaut de ceux qui avoient lors la principale conduite de vos affaires, qu'il estoit presque impossible de la reconnoistre. Nonobstant toutes les difficultés que je representay à Votre Majesté, connoissant ce que peuvent les rois quand ils usent bien de leur puissance, j'osai, vous promettre, sans témérité, à mon avis, que vous trouveriez remède au désordre de votre Estat, et que dans peu de temps vostre prudence, vostre force et la bénédiction de Dieu donneroient une nouvelle force à ce royaume. Je luy promis d'employer toute mon industrie et toute l'autorité qu'il luy plaisoit me donner, pour ruiner le parti huguenot, rabaisser l'orgueil des grands, réduire tous ses sujets en leur devoir, et relever son nom dans les nations étrangères au point où il devoit estre.

Ainsi, suivant cette déclaration solennelle, Richelieu, dès le commencement de son ministère, avait conçu et projeté tous les actes politiques qu'il exécuta depuis : il semblait avoir recueilli dans son âme les grandes pensées d'Henri IV, qui voulait créer l'unité nationale de la France, en lui donnant de nouvelles frontières, et reconstituer l'Europe sur des bases durables, en abaissant la maison d'Autriche pour arriver à la pacification universelle. Le cardinal se mit à l'œuvre aussitôt, et ses premiers actes semblèrent rattacher son ministère au règne précédent : le mariage du roi d'Angleterre avec Henriette de France, l'alliance de Louis XIII avec la Suisse et la Hollande, l'union des princes protestants d'Allemagne avec le fils aîné de l'Église, la paix signée simultanément avec l'Espagne et les chefs du parti protestant (1625-26), paraissaient avoir donné à Richelieu la sécurité et le loisir nécessaires pour s'occuper du gouvernement intérieur de la France.

Mais, dit Richelieu dans ses Mémoires, tandis que le Roy, croyant avoir apaisé toutes les tempestes étrangères qui estoient connues contre le repos de la France, s'appliquoit aux remèdes des maux internes qui la travailloient et des duels qui esloignoient d'elle la. bénédiction de Dieu, voici qu'un orage se forme de nouveau, d'autant plus à craindre que c'est dans le cœur mesme de l'Estat, et qu'il enveloppe la personne qui y est la plus considérable après celle du roy. Cette personne n'était pas la reine mère, que Richelieu s'efforçait de maintenir dans une étroite union avec son fils, union importante à leur réputation et avantageuse au bien de l'Estat ; c'était Monsieur, frère du roi, âgé de dix-huit ans, qui devenait le chef de toutes ces cabales, que son gouverneur, le maréchal d'Ornano, avait l'audace et l'ingratitude de diriger contre le cardinal, auquel il devait sa récente élévation au rang de maréchal.

Marie de Médicis, rapporte Sismondi dans son Histoire des Français, avait transmis à ses fils ce goût de favoritisme et cette faiblesse de caractère qui leur faisaient une nécessité d'être dominés. Louis ni Gaston n'étaient jamais rien par eux-mêmes ; ils semblaient reconnaître qu'il ne leur appartenait point d'avoir une volonté à eux. Leur incapacité ne diminuait point à leurs yeux leur importance ; rapportant tout à eux, et dans les autres n'aimant qu'eux-mêmes, mais ennuyés, maladifs ou se figurant l'être, ils passaient leur vie à prendre des remèdes. Après Luynes et Ornano, ils choisirent pour favoris de fort jeunes gens, qu'ils semblaient se plaire à former comme des élèves ; mais bien qu'ils ne pussent se priver un moment de leur société, ils consentaient à leur ruine, même à leur supplice, avec une insouciance qui montrait assez que leur cœur était incapable de rien aimer.

Gaston ne tarda pas à haïr Richelieu, qui lui refusait l'entrée au conseil. Une cabale fut ourdie par une demi-douzaine de jeunes écervelés, qui convinrent d'aller ensemble chez le cardinal et de le tuer dans sa maison. Le complot, d'abord abandonné, fut repris avec l'adhésion d'un plus grand nombre de personnes. Il s'agissait de renverser le ministre ; mais on accusa les coupables des plus noirs desseins.

C'estoit, dit le cardinal, la plus effroïable conspiration dont jamais les historiens aient parlé, non seulement en la multitude des conjurés, mais surtout en l'horreur de son dessein qui alloit à perdre la personne du Roy. Cette conspiration n'allait à rien moins, a-t-on dit, qu'à menacer la vie du malheureux Louis XIII, ou tout au moins sa couronne, car on l'aurait détrôné, pour mettre à sa place son jeune frère Gaston ; et comme on le croyait assez valétudinaire pour qu'il ne survécût pas longtemps à sa déchéance, on songeait déjà à faire épouser sa veuve par son successeur au trône.

La duchesse de Chevreuse avait tout combiné : le comte de Chalais, favori du roi, comme Mme de Chevreuse était favorite de la reine, s'était engagé à tout, et Gaston, au profit de qui l'on conspirait, ne reculait pas devant la pensée du détrônement et même de la mort de son frère. Les princes de la famille royale, les plus grands seigneurs de la cour, les chefs du parti protestant, avaient accepté un rôle actif dans cette odieuse conspiration, dont Richelieu tenait tous les fils et connaissait tous les ressorts (juillet 1626). Richelieu alla révéler au roi ce qui se tramait contre lui, et le roi, effrayé des dangers qui l'entouraient, approuva toutes les mesures de précaution que le cardinal voulait prendre contre les conspirateurs,' en pardonnant au duc d'Anjou ses coupables intentions, qu'on mettait sur le compte de la légèreté de son caractère et de l'inexpérience de son âge, abusées par de perfides conseils.

Ornano avait été arrêté, au sortir de la chambre du roi, et mené à Vincennes, où une mort subite, assez étrange, devait le sauver d'un procès criminel. Le roi ordonna à Anne d'Autriche de comparaître devant le conseil et lui reprocha durement d'avoir voulu un nouvel époux en son frère. Je n'aurais pas assez gagné au change, se borna-t-elle à répondre. Elle demanda grâce pour Mme de Chevreuse, qu'on fit évader en fermant les yeux sur son évasion, mais on ne lui accorda pas la même indulgence pour le comte de Chalais, qui fut accusé du crime de lèse-majesté et livré à ses juges. Les princes de Vendôme, fils naturels d'Henri IV, furent arrêtés aussi et enfermés dans le château d'Amboise. Gaston, mis en présence du roi et de la reine mère, interrogé par le cardinal et convaincu de projets détestables qu'on désavoua pour lui, se vit réduit à dénoncer ses complices et à demander pardon à son frère, qui reçut de lui une déclaration écrite, par laquelle il s'obligeoit de soumettre ses volontés et ses affections, priant la reine sa mère d'estre sa caution, et promettant encore d'aimer sincèrement ceux que Leurs Majestés aimeroient. C'était faire amende honorable au cardinal et reconnaître son autorité suprême. En conséquence, un contrat d'amitié et de confiance fut signé entre le roi, sa mère et son frère, qui firent serment, sur les Évangiles, de l'observer fidèlement.

Trois mois plus tard, Monsieur, qui changeait son titre de duc d'Anjou contre celui de duc d'Orléans, épousait à Nantes Mlle de Montpensier, fille de la duchesse de Guise : le cardinal de Richelieu avait célébré lui-même les fiançailles des époux. Quand le comte de Chalais entendit, de sa prison, le canon qui annonçait la cérémonie, il s'écria : Ô cardinal, que tu as un grand pouvoir ! Quatorze jours après, le malheureux jeune homme paya pour les grands coupables : il fut décapité, sur la place publique de Nantes (19 août 1626), par un bourreau inhabile, qui ne parvint à lui trancher la tête qu'au trente-quatrième choc d'une mauvaise épée.

Les coups répétés que Richelieu venait de frapper sur ce qu'il y avait de plus grand dans le royaume, dit Sismondi, n'humiliaient pas seulement ceux qui en étaient atteints ; tous les grands seigneurs tremblaient également, avertis que le moment était passé où ils pouvaient troubler l'État par des complots ou des guerres civiles, puis se retirer quand cela leur convenait en sacrifiant leurs subalternes et en demeurant assurés que les châtiments ne les atteindraient jamais eux-mêmes. Chacun se sentait désormais responsable de ses œuvres, et c'était là ce qu'avait voulu Richelieu. En déjouant quelques intrigues de cour, il avait eu surtout en vue de frapper de terreur tous ceux qui, depuis la mort d'Henri IV, avaient fait si souvent une opposition armée au gouvernement. Richelieu voulait n'être plus gêné par cette opposition ; il voulait tenir en mains toutes les forces de la France, et attaquer ses ennemis l'un après l'autre.

L'année suivante fut marquée par une exécution plus mémorable, celle du comte de Boutteville, issu de la maison de Montmorency, et du comte des Chapelles, qui lui avait servi de second dans un duel.

Depuis son entrée au ministère, Richelieu n'avait pas cessé de pousser le roi à détruire les protestants comme parti politique ; il répétait sans cesse que les rébellions ne pouvoient venir que des huguenots et des grands du royaume, mécontents. Il crut le moment arrivé de s'emparer de la Rochelle, qui était toujours la place d'armes des réformés et qui entretenait dans l'État un danger permanent de révolte. C'était là un des projets qu'il nourrissait depuis sa jeunesse, et qu'il avait souvent confiés au père Joseph, dans leurs longs entretiens à l'évêché de Luçon. Louis XIII avait fini par se laisser convaincre, d'autant plus que le dernier traité avec les protestants était sans cesse violé par eux, et que leur principal chef, le duc de Rohan, recommençait à soulever le Languedoc. Le roi aspirait à unir tous ses sujets dans la religion catholique ; Richelieu, comme théologien, condamnait aussi l'hérésie, mais, comme homme d'État, il ne songeait qu'à écraser la rébellion. Dans ce but, voyant que l'Angleterre armait ses flottes pour soutenir le protestantisme et défendre la Rochelle, il avait pu, en quelques mois, créer une marine militaire capable de tenir tête à celle de l'Angleterre, qui envoya bientôt 90 vaisseaux contre l'île de Ré, pour décider les habitants de la Rochelle à méconnaître l'autorité royale.

Le siège de la Rochelle fut décidé sur-le-champ, et, suivant un plan que Richelieu avait préparé lui-même depuis longtemps, on fit le blocus de la ville par terre et par mer. Pendant que l'armée du roi allait camper sous les murs de cette ville, qu'on n'espérait pas prendre de vive force, la flotte française bloquait le port, de concert avec une flotte espagnole, et on entreprenait, hors de la portée du canon des assiégés, un travail gigantesque, qui ressemblait à une menace plutôt qu'à une œuvre raisonnable de génie militaire, car ce n'était rien moins qu'une digue en pierre bâtie dans la mer sur toute la largeur de la rade et appuyée de chaque côté à un fort, de manière à empêcher toute espèce de secours ou de ravitaillement. Richelieu, qui était déjà grand maître et surintendant général de la navigation, du commerce et de la marine, fut nommé lieutenant général du roi, devant la Rochelle, quoique Louis XIII vînt plus d'une fois exercer un commandement effectif dans le camp de l'armée assiégeante. Les assiégés supportèrent les horreurs de la famine avant de capituler (29 octobre 1628). Le roi déclara à ses sujets, que le culte catholique était rétabli à la Rochelle, qu'il avait conquise avec le conseil et les laborieux services du cardinal de Richelieu, après un siège de quinze mois, les hasards de sa propre personne en plusieurs occasions, et après avoir défait ou rendu inutiles trois armées des Anglais. Le cardinal aurait pu dire que le parti protestant n'existait plus en France, si le duc de Rohan n'eût pas été là pour le faire renaître.

Richelieu se détachait insensiblement de Marie de Médicis, qui s'étonnait de n'avoir plus autant d'empire sur le premier ministre, qu'elle regardait comme son ouvrage ; il se montrait vis-à-vis d'elle moins complaisant et peut-être moins dévoué, en restant aussi respectueux, et pourtant elle travaillait à le desservir auprès du roi, qui avait l'esprit toujours ouvert aux défiances et toujours porté à de brusques revirements d'opinion. Bientôt il fut certain que cette amie d'autrefois n'aspirait qu'à le renverser, et lui opposait constamment la faveur naissante du cardinal de Bérulle ; il se tint sur la défensive, et, blessé dans son orgueil, il comprit qu'il devait désormais séparer de ses intérêts ceux de Marie de Médicis. Il se croyait sûr de son crédit personnel et de sa puissance dans tout ce qui concernait le gouvernement ; néanmoins, sachant combien le caractère du roi était faible, ondoyant et capricieux, il eut l'idée de le soustraire à l'influence journalière des passions de la reine mère, dirigée par le cardinal de Bérulle, que le roi redoutait et méprisait. Il emmena donc le roi en Italie, pour secourir le duc de Nevers, que l'empereur, le roi d'Espagne et le duc de Savoie voulaient empêcher de prendre possession du duché de Mantoue, lequel lui appartenait par droit de légitime héritage. Richelieu ne craignait pas la reine mère quand elle était loin de son fils, et il l'avait fait nommer régente en l'absence du roi.

La campagne d'Italie fut très brillante et très rapide : le cardinal, qui l'avait préparée et qui la dirigeait en personne, laissa au roi tout l'honneur des succès, qu'il pouvait à juste titre s'attribuer à lui-même. Après le combat du pas de Suze, où le roi conduisit lui-même ses troupes à l'assaut avec une bravoure digne de sa race, et la capitulation de la ville de Suze (6 mars 1629), le duc de Savoie traita de la paix, au nom de l'Espagne, et le nouveau duc de Mantoue fut réintégré dans son duché. Le cardinal avait pu dire sans flatterie, mais avec l'emphase ordinaire du grand style de son temps, que le seul bruit de l'arrivée du roi, porté au loin par le vent, délivroit les villes assiégées, protégeoit les alliés de la France et humilioit ses ennemis.

Mais, au moment même où le duc de Nevers devenait duc de Mantoue sous la protection de Louis XIII, le duc d'Orléans, devenu veuf et violemment épris de Marie de Gonzague, qu'il voulait épouser malgré son frère et sa mère, avait formé le projet d'enlever cette princesse, au lieu de rejoindre le roi à l'armée. Marie de Médicis, avertie du projet de Gaston, y mit obstacle en faisant arrêter et conduire au château de Vincennes la princesse de Nevers, qui attendait à Coulommiers, chez sa tante, la duchesse douairière de Longueville, la venue du prince, qu'elle devait épouser en secret. Gaston d'Orléans, indigné d'un pareil acte de violence, écrivit à son frère, pour lui déclarer qu'il ne reparaîtrait pas à la cour jusqu'à ce qu'on lui eût fait justice. Richelieu était resté en Italie pour négocier, mais le roi allait en Languedoc réduire à merci les protestants, que le duc de Rohan avait soulevés une dernière fois, en leur promettant l'appui du roi d'Espagne. La reddition de Montauban, assiégé par Louis XIII, fut la fin des séditions incessantes du parti protestant en France.

Marie de Médicis avait juré de se venger de Richelieu, en mettant à sa place le cardinal de Bérulle, dont le roi ne voulait pas. Elle était d'intelligence avec son fils Gaston, qui refusait de revenir à la cour tant que Richelieu serait ministre, et qui passa en Lorraine dès que le roi et Richelieu entrèrent à Paris. Bérulle mourut subitement (2 octobre 1629), peu après le retour de Richelieu, qu'on accusa de l'avoir fait empoisonner. Délivré de son plus redoutable adversaire, il ne tint aucun compte de l'accusation que ses ennemis portaient pour le perdre : il s'entendit avec Puylaurens et le Coigneux, confidents et âmes damnées de Gaston, pour le ramener auprès du roi, qui s'inquiétait de sa nouvelle fuite. Il avait d'abord écrit une lettre respectueuse à la reine mère, pour la supplier de faire agréer au roi sa retraite, maintenant, disait-il avec dédain, que les affaires estoient remises au point de pouvoir être conduites par tout le monde. Louis XIII, effrayé de l'idée seule de se voir privé de son ministre, employa jusqu'à la prière et jusqu'aux larmes pour apaiser la colère de la reine mère contre Richelieu. Il n'y eut pas de réconciliation entre eux, mais le roi, sous prétexte de rétablir le bon ordre dans ses conseils, déclara Richelieu premier ministre de l'État, pour y tenir le rang qu'il avoit eu jusqu'alors (21 novembre 1629).

La guerre se ravivait en Italie ; les forces combinées de l'Empire et de l'Espagne menaçaient le duché de Mantoue. Richelieu dut repartir à la hâte pour reprendre le commandement de l'armée française : il laissait derrière lui bien des ennemis et surtout la reine mère, qui ne songeait qu'à s'emparer du roi. Il croyait pouvoir compter sur le garde des sceaux Marillac, sur le marquis d'Effiat, surintendant des finances, et sur la plupart des membres du conseil, mais il comptait davantage sur le roi, qui ne s'accoutumait pas à son absence et en témoignait des inquiétudes continuelles. Aussi ne tarda-t-il pas longtemps à rejoindre le cardinal, qui avait dirigé avec bonheur les opérations militaires, et qui commençait à négocier avec le duc de Savoie et l'empereur.

Louis XIII n'avait reparu qu'un moment à la tête de son armée : il retourna bientôt à Lyon, où les deux reines l'avaient suivi, et où l'on travaillait, au milieu des fêtes de la cour, à la chute du cardinal. Celui-ci était instruit de tout : le vaste système d'espionnage qu'il avait établi autour du roi ne lui laissait rien ignorer de ce qui se tramait contre lui. Le roi avait fini par se rendre aux pressantes sollicitations de sa mère, de sa femme et de son frère, qui réclamaient l'éloignement du cardinal : il s'était donc engagé par serment à renvoyer son premier ministre, et peut-être même à le traduire en justice, pour y répondre à divers chefs d'accusation capitale, aussitôt que la cour serait rentrée à Paris.

Sur ces entrefaites, le roi tomba si gravement malade, qu'on désespéra. de son rétablissement. Chacun. se préparait à un nouveau règne qui allait mettre le duc d'Orléans sur le trône, puisque le roi n'avait pas d'enfant, lorsque celui-ci entra en convalescence (1er octobre 1630). Quinze jours après, il était en état de revenir à Paris avec la reine, qui lui avait prodigué les soins les plus tendres pendant sa maladie. Les hostilités étaient momentanément suspendues en Italie, à cause des négociations qui se poursuivaient, à Ratisbonne, à Mantoue et à Casai ; le cardinal avait jugé nécessaire de quitter l'armée, en laissant ses instructions et ses pleins pouvoirs au père Joseph, pour traiter avec les Espagnols : il était arrivé à Lyon en toute hâte, il avait vu le roi à peine convalescent, qui ne l'attendait pas, et le roi, lié par un serment qu'il n'osait enfreindre, lui avait dit seulement de se mettre bien avec la reine mère. Richelieu se fit violence pour dissimuler son ressentiment et pour faire bonne mine à sa plus implacable ennemie, avec laquelle il descendit la Loire, sur le même bateau, en grande privauté, dit Bassompierre, qui était du voyage.

Le complot qu'on avait ourdi à Lyon contre le cardinal ne pouvait plus tarder à éclater : Jamais faction ne fut plus forte en un Estat, dit Richelieu dans sa Succincte narration ; il seroit plus aisé de rapporter ceux qui n'y trempoient pas que ceux qui s'y estoient engagés. Le garde des sceaux Marillac en avait été le principal artisan, et Richelieu, qui le savait, n'eut pas l'air de s'en douter.

Le 10 novembre 1630, la reine mère et son fils, qu'elle avait sommé de tenir sa parole en faisant arrêter son premier ministre, se trouvaient en conférence au Luxembourg, quand le cardinal vint frapper à la porte du cabinet cette porte était fermée, et l'on n'ouvrit pas. Le cardinal connaissait une autre issue qui le conduisit dans le cabinet par l'oratoire de la reine. Le voici ! s'écria le roi tout ému, en le voyant paraître. Vous parliez de moi ? dit froidement le cardinal. Marie de Médicis restait frappée de stupeur ; mais, reprenant courage, elle éclata en reproches et en injures contre Richelieu, qui n'y daigna pas répondre et qui, se tournant vers le roi éperdu, acheva de le troubler en lui disant : Il est temps que vous soyez instruit de tout ce qui s'est fait, non pas contre moi, mais contre Votre Majesté qu'on veut détrôner au profit de monsieur le duc d'Orléans. Richelieu accompagna le roi, au sortir du Luxembourg, et le ramena au Louvre, où il le tint longtemps enfermé avec lui. Gaston, qui se faisait malade pour ne pas se montrer, vint, le soir même, rendre visite à son frère : le cardinal était encore là, et le lui présenta, en le priant de l'aimer comme un de ses plus fidèles serviteurs. Ce fut le coup de grâce des adversaires de Richelieu.

Le lendemain de ce jour, qui fut nommé la journée des Dupes, Louis XIII partit de grand matin pour Versailles, et le cardinal y arriva en même temps que lui. La reine mère avait été avertie de n'y pas venir. Le jour même, le garde des sceaux fut arrêté par un exempt, qui le conduisit à Châteaudun, où il était exilé, tandis qu'on recherchait dans ses papiers les éléments d'un procès criminel à lui intenter, et que son frère, le maréchal de Marillac, plus coupable que lui, était ramené prisonnier d'Italie en France pour y être jugé. '

Le cardinal avait reconquis plus d'empire qu'il n'en avait jamais eu sur Louis XIII, et il se sentait assez fort pour tenir tête à tous ses ennemis. Il fit toutefois un nouveau pacte avec le duc d'Orléans, par l'intermédiaire de Puylaurens, qu'il trouvait toujours prêt à le remettre en bonne intelligence avec Monsieur ; mais cette fois encore, après avoir donné parole d'agir de concert avec le cardinal, le prince retomba dans les mains de sa mère et lui obéit sur-le-champ, en allant s'établir à Orléans, où il se mit en rapport avec plusieurs gouverneurs de provinces, les ducs de Bellegarde, d' Elbeuf et de Guise, qui avaient promis de se déclarer pour lui et pour la reine mère, si l'on en venait à une prise d'armes contre le cardinal. Celui-ci disposait entièrement du roi, qui ne pardonnait pas à sa mère d'avoir entraîné la reine dans une cabale diabolique qui semblait menacer sa couronne, sinon sa vie. Anne d'Autriche fit amende honorable et obtint son pardon, en avouant qu'elle avait prêté l'oreille à de perfides insinuations.

Entourée de ses astrologues et de ses flatteurs, Marie de Médicis restait décidée à ne pas céder et à lutter contre le roi lui-même. Louis XIII comprit qu'il ne pouvait souffrir plus longtemps une pareille révolte contre son autorité et qu'il devait, pour son repos, peut-être aussi pour sa sûreté, éloigner sa mère. Après l'avoir attirée à Compiègne, où il s'était rendu avec le cardinal (17 février 1631), il l'y laissa prisonnière, fit éloigner ou arrêter ses principaux partisans, et lui désigna Moulins comme lieu d'exil. En même temps, il cherchait à se rapprocher de Gaston, en lui faisant savoir qu'il ne s'opposait plus à son mariage ; mais Gaston, inspiré, dirigé par sa mère, ne songeait qu'à fomenter la guerre civile, et ses agents commençaient à l'entreprendre, en son nom, sous la forme des plus odieux pamphlets.

La reine mère était toujours prisonnière à Compiègne et refusait de se rendre à Moulins : le 18 juillet, elle sortit du château, déguisée et accompagnée d'un seul gentilhomme, pour monter dans un carrosse à six chevaux qui l'emmena en Flandre. C'est là que son fils Gaston ne devait pas tarder à la suivre. Votre Majesté, dit Richelieu dans la Succincte narration des grandes actions du Roi, éluda alors avec beaucoup de vigilance, divers desseins et beaucoup d'entreprises, méditées et tentées, sous le nom de la Reine et de Monsieur, sur diverses places du royaume, et votre patience fut telle en ces malheureuses rencontres que je puis dire que vous ne fistes connoistre que ce que vous ne pouviez dissimuler de leur mauvaise conduite. Cependant, pour en arrêter le cours, vous fistes trancher la teste au maréchal de Marillac, avec d'autant plus de raison qu'ayant esté condamné avec justice, la constitution présente de l'Estat requéroit un grand exemple.

Richelieu, qui attribue au roi tous les actes de fermeté et de justice de son règne, aurait pu s'en faire honneur, car c'était lui, lui seul, qui les avait conseillés au roi. Il n'était pas cruel, mais inflexible, et quand il obéissait à la raison d'État, il n'épargnait pas le sang d'un grand coupable. C'est à l'occasion des déplorables rébellions que l'incorrigible duc d'Orléans excitait sans cesse dans le royaume, que le cardinal écrivit de sa main cette note qui révèle tout son caractère d'homme politique : Il falloit alors achepter les momens, non seulement au prix de l'or, mais du sang des hommes. Si le garde des sceaux Marillac n'était pas mort dans sa prison, il eût partagé sans doute le sort de son frère. Quand Boutteville et des Chapelles furent condamnés à la peine de mort pour avoir bravé l'édit contre les duels, Richelieu n'hésita pas à faire exécuter la sentence, qui estoit, disait-il, quasi contre le sens de tout le monde et contre mes sentiments particuliers. Quand le duc d'Orléans, en révolte contre le roi son frère, fut entré dans le royaume avec des troupes que le duc de Lorraine et l'Espagne lui avaient fournies, Richelieu conseilla au roi la clémence à l'égard de Monsieur, mais il exigea le châtiment impitoyable de tous ceux qui, par la force ou l'intrigue, avaient pris part à cette tentative de guerre civile.

Après la défaite de Castelnaudary (1er septembre 1632), le duc de Montmorency, qui s'était laissé séduire par l'héritier présomptif de la couronne, fut donc condamné à la peine capitale : Richelieu ordonna l'exécution, quoique le duc d'Orléans eût fait dire au roi que, si Montmorency mouroit, il ne pardonnerait pas aux auteurs de sa mort, et les feroit mourir un jour eux-mêmes. Le cardinal avait pensé que le châtiment du duc de Montmorency ne se pouvoit obmettre, sans ouvrir la porte à toutes sortes de rébellions, dangereuses en tout temps. La chambre de justice, qu'il avait fait établir à Paris, dans le ressort de l'Arsenal, poursuivit sa tâche redoutable, et prononça des condamnations sévères et justes, dont quelques-unes ne furent exécutées qu'en effigie : plusieurs des coupables reçurent leur grâce sur l'échafaud. Il y eut des accusés et des condamnés dans la magistrature comme dans l'armée, et le marquis de Châteauneuf, qui avait succédé comme garde des sceaux à Marillac, apprit en prison ce qu'il en coûtait pour n'avoir pas rempli avec assez de dévouement les ordres du premier ministre.

Richelieu était enfin délivré des cabales de la reine mère, qui s'était fait justice elle-même en passant à l'étranger, et qui ne cessait pas, à Bruxelles comme naguère en France, de tramer des complots contre le roi, tout en essayant de se rapprocher de lui et d'arriver à une réconciliation, que son fils Gaston persistait à solliciter pour elle ; mais tous les efforts de l'un et de l'autre restèrent impuissants devant l'inexorable ressentiment de Richelieu, qui disposait seul désormais de la volonté du roi. Le duc d'Orléans était retourné plusieurs fois auprès de sa mère, qui l'animait sans cesse contre le roi et contre le cardinal. Ce prince inconstant et léger porta malheur à tous ses partisans, et surtout à son beau-frère le duc de Lorraine, lorsque son mariage avec la princesse Marguerite motiva l'occupation de la Lorraine par l'armée du roi, qui ne voulait pas reconnaître ce mariage et le fit déclarer nul par une assemblée du clergé de France (juillet 1635). Gaston, qui avait fait un traité secret avec le roi d'Espagne, et n'était pas resté étranger à plusieurs tentatives d'assassinat contre le cardinal, revint enfin à la cour, et tout lui fut pardonné de nouveau ; mais son éternel instigateur, Puylaurens, arrêté dans le cabinet du roi et emprisonné au château de Vincennes, mourut, au bout de quatre mois, d'une maladie subite, qu'on appela fièvre pourprée.

Le duc d'Orléans était rentré en grâce auprès du roi, qui lui témoignait plus d'affection que de confiance : on devait croire que tant d'échecs et de mésaventures dans ses intrigues l'avaient rendu sage ou du moins prudent, mais il ne se résignait pas à plier sous la domination de Richelieu : il continuait à lui tendre des pièges et à le battre en brèche dans la faveur du roi, qui n'eût pas été fâché de trouver en faute son premier ministre, mais qui ne l'aurait pas sacrifié à des ennemis incapables de le remplacer. Le cardinal, de son côté, était bien aise de tenir sous sa main puissante cet artisan infatigable de révoltes et de brouilleries, pour l'éloigner des mauvais conseils de Marie de Médicis qui, pensionnée par l'Espagne et discréditée dans toutes les cours de l'Europe, ne pouvait plus rien contre lui ni contre la France. Il était voué tout entier aux grandes œuvres de sa politique, après avoir décidé Louis XIII à déclarer la guerre à l'Espagne.

Cette guerre, qui devait durer vingt-cinq ans, s'était allumée à la fois en Allemagne, en Italie et en France. Richelieu avait réuni des forces suffisantes pour résister en même temps aux Espagnols et aux Impériaux. Le roi se mit à la tête d'une de ses armées et marcha contre les Espagnols, qui avaient envahi la Picardie. Il avait pris pour son lieutenant général le duc d'Orléans, et cela sans consulter le cardinal, qui en fut très irrité et qui s'en plaignit amèrement.

Le cardinal était sur le point de donner sa démission de premier ministre et de se retirer dans son château de Richelieu, et, comme le dit Vittorio Siri, il en eût fait la folie, sans le père Joseph, qui le rassura, en lui représentant que Gaston se perdrait lui-même dans l'esprit du roi. Gaston donna raison au moine, et comme il attribuait le refroidissement subit du roi à l'influence de Richelieu, il conçut l'odieux projet de le faire tuer, au sortir du conseil, par le comte de Montrésor, qui s'était offert pour exécuter ce lâche assassinat. Le comte de Soissons trempait dans le complot, qui n'eût pas manqué si les auteurs avaient eu le courage de donner le signal à l'assassin. Monsieur, en apprenant que le cardinal savait le danger auquel il venait d'échapper, avait quitté brusquement l'armée, et lorsqu'on lui annonça le prochain retour de son frère à Paris, il s'écria, terrifié : Combien de gens vont-ils pendre maintenant ? Il n'eut garde d'attendre le terrible cardinal, et il s'enfuit à Blois, tandis que son complice, le comte de Soissons, se retirait à Soissons. Gaston fut encore sur le point de sortir du royaume et de recommencer ses tentatives de guerre civile, mais Richelieu évita de le pousser à bout, et recommanda la voie de la conciliation pour le ramener auprès de son frère après une brouille de deux mois.

La reine mère n'était pas à craindre directement, et d'ailleurs son retour au Louvre n'était plus possible ; jusqu'à sa mort, sa fatale influence continua à se faire sentir à la cour de France, tantôt sur son fils Gaston, tantôt sur Anne d'Autriche, tantôt sur les princes et les grands de l'État, sans avoir désormais aucune action sur le roi, qui la détestait plus qu'il ne la redoutait. Richelieu ne lui pardonna jamais ; l'humeur vindicative, il est vrai, était au fond de son caractère, mais, comme il le dit en mourant, il n'eut jamais d'autres ennemis que ceux de l'État. Il n'en avait pas moins à se défendre sans cesse contre ces ennemis, qui travaillaient à sa chute et la croyaient tous les jours plus imminente ; son habileté consistait surtout à suggérer au roi les idées qu'il voulait lui voir adopter, et le roi croyait toujours agir de son plein gré en n'agissant que par la volonté de son ministre.

Le règne de Louis XIII ne fut donc, à vrai dire, que le règne de Richelieu, quoique ce grand ministre se fît un devoir scrupuleux d'attribuer au roi seul tous les actes dont l'initiative et l'exécution n'appartenaient qu'à lui-même. Ainsi, ce fut en 1641 que Richelieu, non pas aveuglé mais encouragé et fortifié par le succès des armes du roi dans les guerres qu'il soutenait à la fois en' Allemagne, en Espagne et en Italie, pensa que le moment était venu de fonder en France la monarchie absolue, en consolidant le pouvoir royal par une manifestation solennelle des droits de la royauté. Louis XIII se rendit au parlement (24 février), avec son frère Gaston, le cardinal, le prince de Condé et les ducs et pairs qui se trouvaient en cour. La déclaration du roi, dont il fut donné lecture, commençait ainsi : Il n'y a rien qui conserve et maintienne davantage les empires que la puissance du souverain également reconnue par tous les sujets ; mais, comme cette puissance porte les Estats au plus haut degré de leur gloire, aussi, lorsqu'elle se trouve affoiblie, on les voit en peu de temps décheoir de leur dignité... Les factions qui s'étoient formées en France n'avoient été dissipées que depuis que l'autorité royale avoit repris cette force et cette majesté qui conviennent à un estat monarchique, où il ne sauroit être permis de mettre la main au sceptre du souverain. On pouvait croire, en effet, que l'ère des factions était close, et que la royauté absolue de Louis XIII, proclamée par le cardinal de Richelieu, en face du duc d'Orléans, n'avait plus rien à craindre des factieux.

Déjà, trois ans auparavant, la naissance, longtemps attendue, d'un dauphin (i6 septembre 1638), en assurant l'hérédité du trône dans la ligne directe, en la préservant des ambitions jalouses de Gaston et des princes du sang, semblait avoir mis l'autorité royale hors de toute atteinte, et le roi, pour reconnaître cette faveur de la Providence par un grand acte religieux, avait prononcé ce vœu mémorable qui plaçait le royaume sous la protection de la Vierge Marie.

L'année 1641 s'ouvrit par de nouveaux complots, ourdis à Sedan, et la guerre civile était près de renaître. Le comte de Soissons avait signé, de concert avec les ducs de Guise et de Bouillon, un traité secret avec l'Espagne. Richelieu envoya deux armées contre les Espagnols et contre les rebelles. Le comte de Soissons gagna le combat de la Marfée, aux portes de Sedan (6 juillet 1641) ; mais il y fut tué avant que le duc d'Orléans eût le temps de venir prêter son concours aux rebelles. Le duc de Bouillon fit sa soumission au roi, tout en se promettant de prendre sa revanche.

Une conspiration se renoua presque aussitôt entre lui et le grand écuyer Cinq-Mars. Le favori de Louis XIII, dont le caractère impérieux et mutin se révoltait souvent contre le roi lui-même, avait juré de perdre le cardinal, qui le traita un jour avec autant d'aigreur et d'emportement que s'il eust été un de ses valets. Ce fut donc un sentiment de vengeance, plutôt que d'ambition, qui l'entraîna dans ce complot, dirigé surtout contre le cardinal. Il avait espéré le faire tomber en disgrâce, et, voyant qu'il n'y réussirait pas, il était résolu à le faire assassiner, avec la complicité de Gaston et de l'Espagne. On ne sait pas exactement de quelles mains le cardinal de Richelieu reçut la copie du traité conclu avec cette puissance. Il était alors à Narbonne, gravement malade, et le corps à moitié paralysé. Le roi, non moins malade que lui, s'y trouvait aussi, pendant que son armée assiégeait Perpignan et occupait le Roussillon.

La mort du cardinal semblait si prochaine qu'on l'annonçait déjà à Paris et celle du roi paraissait devoir la suivre de près ; cependant Louis XIII s'était rétabli assez bien pour partir avec son grand écuyer, qui avait repris faveur, et pour se rendre au camp de siège devant Perpignan : il y resta plus d'un mois, triste et préoccupé, attendant les preuves de la conspiration, que Richelieu lui avait promises ; elles ne lui arrivèrent que le 10 juin 1642, et aussitôt il revint à Narbonne. Le cardinal n'y était plus ; il s'était fait transporter à Tarascon, après avoir dicté son testament. C'est à Narbonne que Cinq-Mars fut arrêté, par ordre du roi, qui refusa de le voir ; on arrêta en même temps son ami, le jeune Auguste de Thou, qui connaissait le complot sans y avoir pris part. Le cardinal, toujours malade, voulut les conduire lui-même, en remontant le Rhône, à Lyon, où ils devaient être jugés, tandis que le roi retournait à Paris. Le duc d'Orléans s'était empressé de s'accuser lui-même et de révéler tous les faits relatifs au complot qui venait d'avorter : il était sûr d'avance d'obtenir son pardon, mais le cardinal ne fit grâce ni à Cinq-Mars, ni au malheureux et imprudent de Thou, qui furent tous deux condamnés et exécutés (12 septembre).

Pendant ce grand procès criminel (fig. 104), Marie de Médicis mourait à Cologne (3 juillet 1642). En sortant de France, elle s'était établie à Bruxelles, où, entourée d'intrigants, elle n'avait cessé de se mêler à toutes les affaires qui pouvaient contrarier et le cardinal et son propre fils. Louis XIII fermait l'oreille à ses prières comme à ses menaces, avec d'autant plus d'indifférence qu'il n'avait jamais eu pour elle ni tendresse ni respect. D'une chose puis-je vous assurer, lui avait dit un jour Henri IV, c'est qu'étant de l'humeur que je vous connais, et prévoyant celle de votre fils, vous entière, pour ne pas dire têtue, Madame, et lui opiniâtre, vous aurez assurément maille à partir ensemble.

En 1638, Marie quitta en secret Bruxelles, où le roi Philippe IV lui accordait un traitement magnifique, et alla se mettre sous la protection du prince d'Orange. Au bout de quelques mois, les Hollandais, qui n'entendaient pas se brouiller, à cause d'elle, avec la France, et encore moins la traiter à leurs frais comme une puissante reine, la prièrent d'abréger son séjour parmi eux. Son gendre, Charles Ier, dont sa présence venait accroître les embarras, lui attribua aussitôt une pension de 2.500 livres par jour et entreprit même de la réconcilier avec Louis XIII. Celui-ci s'en rapporta, de l'opportunité de cette mesure, aux membres du conseil, qui déclarèrent, d'une voix unanime, que le roi ne pouvait prendre aucune résolution sur ce qui regardait sa mère avant que l'établissement d'une bonne paix l'eût mis dans le cas de moins soupçonner les intentions de cette princesse, dont on savait les liaisons avec les ennemis de l'État. Malgré cette nouvelle sentence d'exil, dont les meilleures raisons, avait dit l'un des conseillers, ne peuvent être données qu'à l'oreille du maître, Marie ne se lassa point de faire des offres de soumission à Richelieu et des vœux pour ceux qui voulaient le renverser. La haine du papisme la chassa de Londres ; mais, abandonnée par l'Espagne qui lui ferma les Pays-Bas, elle ne trouva de pays ouvert que l'électorat de Cologne. Elle y résidait depuis neuf mois environ lorsqu'elle termina sa misérable vie dans l'abandon et le dénuement.

Richelieu ne devait pas survivre longtemps à ses deux dernières victimes : on le ramena pourtant à Paris, en bateau, et il se fit conduire, le lendemain même, à sa maison de Rueil, où il se tint renfermé pendant six semaines, attendant toujours le roi, qui ne parais, t pas ; presque moribond, il craignait encore d'être assassiné ou empoisonné. Son dernier acte fut une déclaration au roi, relatant tous les méfaits et toutes les trahisons du duc d'Orléans, depuis jeunesse, et concluant néanmoins au pardon du coupable. Le cardinal, dont la faiblesse augmentait d'heure en heure, s'était mis au lit le 1er décembre, avec un violent accès de fièvre : il envoya prévenir le roi de se hâter, s'il désirait le voir encore. Le roi vint le lendemain sans empressement, sans émotion ; le mourant lui dit adieu, en déclarant d'une voix ferme et respectueuse, qu'il quittait la vie avec la satisfaction de n'avoir jamais desservi le roi, et de laisser son Estat en un haut point, et tous ses ennemis abattus. Puis, il fit appeler le curé de Saint-Eustache, sa paroisse, qui lui apporta le viatique ; jusqu'au dernier moment il conserva son courage et sa force d'âme.

Le jour suivant, le roi revint le voir, et l'agonisant se ranima pour s'entretenir avec lui pendant une heure. Il ne mourut que le 4 décembre 1642, entouré de sa famille et de quelques serviteurs. Il léguait au roi le Palais-Cardinal, qu'il avait fait bâtir de 1629 à 1634, ainsi qu'une partie de ses meubles et de sa fortune ; il lui avait légué aussi, en quelque sorte, le successeur qu'il s'était choisi lui-même, en désignant à son choix et à sa confiance celui qui fut le cardinal Mazarin.