Richelieu en disgrâce,
après la chute de Concini. — Ses rapports avec Marie de Médicis. — La reine
mère s'évade du château de Blois. — Intrigues des mécontents ; guerre civile.
— Prise d'armes des protestants ; siège de Montauban. — Mort de Luynes. — Entrée
de Richelieu au conseil. — Richelieu premier ministre. — Conspiration de
Chalais ; son supplice. — Siège de la Rochelle. — Guerre d'Italie ; le pas de
Suze. — Nouveaux complots déjoués par Richelieu ; la journée des Dupes. —
Exécution de Montmorency. — Pouvoir de Richelieu. — Conspiration de
Cinq-Mars. Mort de Richelieu. — Mort de Louis XIII.
A peine
Richelieu est-il nommé par les historiens contemporains de la régence de
Marie de Médicis, bien qu'il ait occupé, pendant les dernières années de
cette régence, une position prépondérante et tout intime auprès la reine mère
et qu'il fût encore, au moment de la mort du maréchal d'Ancre, secrétaire
d'État de la guerre et des affaires étrangères. Le comte de Pontchartrain, un
de ses collègues au conseil d'État, a écrit des mémoires politiques sur cette
époque et n'a pas daigné l'y nommer : il le désigne seulement entre deux ou trois qui n'ont autre mérite et expérience aux
affaires, sinon d'être ministres des passions du maréchal et de sa femme. Et
pourtant Richelieu, qu'on n'appelait alors que l'évêque de Luçon, ou Monsieur de Luçon, était non seulement le
confident et l'inspirateur de la reine mère, mais encore, sans se prévaloir de
sa supériorité, le plus actif et le plus influent des membres du conseil.
Mais il ne se montrait pas à la cour et se contentait d'avoir ses entrées
libres chez la régente et chez le marquis d'Ancre, qui le tenait en estime
particulière. Quant au roi, il connaissait bien M. de Luçon, et il ne se
sentait pas éloigné de lui accorder certaine confiance, d'autant plus qu'il
s'était servi de son intermédiaire en plusieurs occasions, pour agir auprès
de la reine mère et obtenir d'elle au moins une apparence de bon vouloir et
de condescendance. Il savait aussi que l'évêque de Luçon avisait toujours,
dans le conseil, à ce qu'on ne le laissât pas manquer d'argent. Ainsi, le 23
avril 1617, la veille même de l'assassinat du malheureux Concini, Armand de
Richelieu écrivait à l'intendant du Poitou : Je
vous asseure que les finances de Sa Majesté sont si courtes, que par le désir
que j'ay que son service ne retarde point, manque d'argent, j'ay mieux aimé
avancer quinze cens livres du mien. Louis
XIII sut peut-être qu'il était débiteur de l'évêque de Luçon, et il n'avait
pas trouvé mauvais qu'on le retint dans le conseil ; mais le nouveau chef du
gouvernement, Luynes, jugea dangereux pour sa fortune la présence de M. de
Luçon auprès de Marie à Blois. En vain, dit Bazin, l'évêque écrivait-il que la reine vivait sans ressouvenir
fâcheux des choses passées ; en vain rendait-il un compte exact et minutieux
de ses actions. Il devint lui-même suspect, ou peut-être feignit de croire
qu'il l'était devenu, et quitta la reine (juin 1617) pour se retirer dans un prieuré qui lui appartenait près
de Mirebeau, voulant se renfermer avec ses livres, annonçait-il, et
s'occuper, suivant sa profession, de combattre l'hérésie. Il n'était resté que quarante
jours à Blois, et il eut l'adresse de présenter sa retraite, à la cour comme
un acte d'obéissance empressée, à la reine comme une nouvelle persécution de
ses ennemis. Il
prétendait cependant ne pas être oublié ; aussi, peu de temps après (octobre), vit-on paraître un livre de sa
façon, intitulé : les Principaux points de la Foy de l'Église catholique
deffendus contre rescrit adressé au Roy par les quatre ministres de Charenton.
C'était une manière adroite de se rappeler à la bienveillance de Louis XIII,
auquel il dédia son livre. Ce livre n'arriva peut-être pas à son adresse, et
le prélat, qui continuait à entretenir des relations secrètes avec la reine
mère, exilée à Blois, se vit exiler lui-même à Avignon (7 avril 1618), avec ordre de n'en pas sortir.
Il s'empressa d'obéir à ce nouveau commandement du roi : Je n'aurois point le courage de me recommander aux bonnes
grâces de Votre Majesté,
lui écrivait-il, si ma conscience accusoit
tant soit peu mes actions, mais sçachant asseurément qu'elles n'ont pas mesme
peu donner lieu au moindre soupçon, j'attribue à mon malheur ordinaire la
cause de mes esloignemens, et m'asseure que le temps et mes déportemens, en quelque
lieu qu'iL vous plaise que j'aille, feront toujours paroistre à mes ennemys
qu'il n'y a rien au monde capable de corrompre ma fidélité n'y d'altérer ma
preud'hommie ; car, oultre que je suis obligé à Vostre Majesté, par nature,
par les honneurs que j'en ay autrefois receuz et les tesmoignages qu'il luy a
pieu souvent rendre de mon affection à son service, je le suis encore envers
moy-mesme. Si
cette lettre n'eut pas un effet immédiat, elle remit l'évêque de Luçon en
rapport indirect avec le sieur de Luynes, qui était devenu premier
gentilhomme de la chambre, capitaine de la Bastille et lieutenant général de
Normandie. Luynes avait jugé que l'exilé d'Avignon devait être toujours
instruit 'des intentions et des projets de la reine mère, et il ne se refusa
pas à bien accueillir le marquis de Richelieu, frère de l'évêque, et les deux
fidèles agents de ce dernier, l'abbé Bouthillier et le capucin Joseph du
Tremblay. Il apprit par ces intermédiaires que M. de Luçon usait de tout son
crédit auprès de Marie de Médicis, pour la dissuader d'entreprendre aucune
cabale contre le roi son fils et pour l'engager à attendre du temps et des
événements la fin de sa disgrâce. L'évêque
de Luçon donnait, au reste, à la reine mère l'exemple de la patience et de la
résignation ; il subissait, sans se plaindre, son exil à Avignon, et
employait ses loisirs à composer, pour les fidèles de son diocèse, une
Instruction du chrétien, qu'il faisait imprimer à Paris. Il avait confiance
dans l'avenir, et il se promettait bien de reprendre, un jour ou l'autre,
tout son crédit et tout son pouvoir auprès de la reine mère, si elle
redevenait elle-même accréditée et puissante auprès du roi. Il ne voulut donc
pas se mêler des intrigues et des complots que les ducs de Bouillon et
d'Épernon dirigeaient à Sedan et à Metz, pour délivrer Marie, en butte à
toutes sortes d'outrages et de calomnies. Luynes,
dans ses conférences avec le marquis de Richelieu et les deux secrétaires de
l'évêque de Luçon, avait fait entendre qu'il ne s'opposerait pas à une
réconciliation du roi avec sa mère. Quant au roi, cette idée de
réconciliation l'alarmait, et il éprouvait une extrême répugnance à s'y
prêter. Une anecdote racontée par Bassompierre peut montrer dans quelles
dispositions on entretenait l'esprit du roi. Un jour que ce jeune prince
s'amusait à sonner du cor, Bassompierre lui ayant remontré que cet exercice,
fatigant pour la poitrine, avait coûté la vie à Charles IX : Vous vous trompez, répondit-il ; ce
n'est pas cela qui le fit mourir. C'est qu'il se mit mal avec la reine
Catherine, sa mère, et que, l'avant quittée, il consentit à se rapprocher
d'elle ; s'il ne l'eût pas fait, il ne serait pas mort sitôt. D'un autre côté, Marie de
Médicis fut détournée d'employer l'entremise de Luynes qui n'était
probablement pas sincère pour se réconcilier avec le roi ; elle se jeta de
préférence dans les bras des ducs de Bouillon et d'Épernon, qui avaient
préparé une guerre civile avec l'argent qu'elle leur avait fait passer. Dans la
soirée du 22 février 1619, la fenêtre de la chambre qu'elle occupait dans le
château de Blois s'ouvre tout à coup : les sentinelles ont été éloignées, des
échelles de corde sont fixées solidement aux murailles. L'auguste
prisonnière, soutenue par un des gentilshommes du duc d'Épernon, descend par
ces échelles sur la plate-forme, d'où il fallut la glisser dans un manteau le
long du rempart. Arrivée dans le faubourg, elle traverse rapidement le pont,
et trouve, caché dans une ruelle obscure, un carrosse pour la recevoir avec
son épargne et ses pierreries. Ce carrosse la mena jusqu'à Montrichard, où le
duc d'Épemon l'attendait pour la conduire à Angoulême. L'évêque de Luçon
n'essaya pas de l'y rejoindre, mais il lui adressa de sages conseils, qui
témoignaient à la fois de sa prudence et son dévouement : Sa Majesté, disait-il dans cette note secrète, qu'un envoyé était chargé de
remettre en mains propres à la reine mère, s'acquerra
de tous grandes louanges de n'avoir ni au passé ni au présent autre intention
que d'aymer le roy, sa grandeur et l'augmentation de son règne. Pendant que le duc d'Épernon
rassemblait des troupes, et mettait en état de défense la ville d'Angoulême,
Richelieu intervenait activement auprès de Luynes, toujours par
l'intermédiaire de l’abbé Bouthillier et du capucin Joseph du Tremblay, pour décider
le roi à conclure un accommodement avec sa mère, avant que la guerre civile
eût éclaté. Le roi y répugnait visiblement ; Marie de Médicis ne s’y prêta pas
davantage, mais l'évêque de Luçon fut invité à y donner des mains
personnellement : il vint alors à Angoulême et n'eut pas de peine à faire
partir la reine pour Poitiers, ou Louis XIII venait à sa rencontre avec toute
la cour. L’entrevue
de la mère et du fils eut lieu dans une maison du duc de Montbazon appelée
Cousières, à trois lieues de Tours (4 septembre). Leur embrassement ne se fit
pas sans beaucoup de larmes. Dieu ! mon fils,
que vous êtes grandi !
s'écria la reine. Ma mère, répondit le roi en
s'inclinant, si j'ai grandi, c'est pour votre
service. On se
rendit ensuite à Tours au milieu des acclamations pub :igues et dans les
épanchements d'une vive tendresse, qui inquiéta bientôt le favori. Cette réunion dura quinze jours, fait remarquer Bazin ; après quoi, le roi retourna vers Paris, et la reine mère
se rendit dans son gouvernement d'Anjou pour en prendre possession, avec
intention, disait-on, de rejoindre promptement son fils. A cette occasion, du
Plessis-Mornay, bon juge des événements, écrivait à quelqu'un de la cour : Si
vous ne menez la reine avec vous, vous n'aurez rien fait. Les défiances
croîtront par l'absence ; les malcontents multiplieront, et les bons
serviteurs du roi n'auront pas peu de peine à vivre entre deux. Angers
devint aussitôt le foyer de nouvelles intrigues. Marie, prêtant l'oreille aux
sollicitations des princes et des seigneurs mécontents qui méditaient une
nouvelle guerre civile, n'avait pas voulu rentrer à Paris sans garantie ;
elle avait refusé ce retour aux instances de Luynes, dont la faveur auprès de
Louis XIII ne faisait que s'accroître, et aux conseils que lui suggérait en
secret la prudence de l'évêque de Luçon : les mécontents l'avaient donc
emporté sur les avis d'un grand politique. Tout était en armes dans le
Poitou, la Vendée, la Guyenne et la Normandie. Le roi dut enfin', malgré sa
répugnance pour la guerre, se mettre en personne à la tête de ses armées, en
déclarant qu'on avoit emprunté le nom de sa
mère pour couvrir d'ambitieux desseins. Il prit tout à coup un plaisir, qu'il ne
connaissait pas, à passer en revue ses troupes, à tenir son conseil de
guerre, et il était bien résolu, suivant ses propres expressions, à jeter le fourreau de l'épée en deçà de la Loire, dans le cas où sa mère sortirait
d'Anjou pour se réfugier en Poitou. L'armée
royale s'était arrêtée en vue des Ponts-de-Cé, dans l'attente d'une réponse
définitive de la reine mère, à laquelle on avait fait offrir des conditions
honorables. Louis XIII, plutôt par
divertissement qu'autrement, eut l'idée de pousser une reconnaissance jusqu'aux remparts de
cette ville. Les partisans de la reine mère, qui s'y trouvaient en grandes
forces, essayèrent de battre en retraite, et leur retraite, provoquée par le
duc de Retz qui, au premier coup de canon, abandonna la partie, se changea en
déroute (7
août). Une escarmouche de moins de deux heures, dit du Plessis-Mornay, avoit dissipé le plus grand parti qui eût esté en France
depuis plusieurs siècles, et avec peu d'apparence de le pouvoir rallier. C'est qu'il manquait un réel
intérêt à ce mouvement capricieux des ambitions. L'évêque de Luçon conseilla,
dit-on, à Marie de Médicis de chercher un passage sur la Loire, pour gagner
Angoulême, où elle obtiendrait une paix avantageuse sous la protection du duc
d'Épernon. Ce conseil ne fut pas suivi, et il eut des échos fâcheux, puisque
le roi et son favori Luynes, qui jusque-là s'étaient montrés disposés à
reconnaître les bons offices de Richelieu en appuyant sa promotion au
cardinalat, renoncèrent momentanément à ce projet. La reine mère s'était
cependant réconciliée avec son fils, dans une entrevue où ils avaient à
l'envi redoublé de caresses et de protestations réciproques. L'évêque
de Luçon, après de vaines tentatives pour se rapprocher du roi et pour se
rendre nécessaire, fut éconduit et tenu à distance. Luynes et Louis XIII
avaient sur son compte la même opinion : ils le regardaient comme un
politique habile et astucieux, mais ils le voyaient de longue date attaché de
telle sorte à la reine mère, qu'il la servirait toujours aux dépens et au
détriment de tout le monde. C'est en cela qu'ils s'exagéraient un dévouement
qui, dans aucun cas, n'eût dépassé les bornes que lui imposait une invincible
ambition personnelle. Au reste, M. de Luçon avait foi dans son étoile, et
comme ses espérances de grandeur à venir étaient fondées sur le retour de
Marie auprès de son fils, il attendait en silence auprès d'elle un instant
plus favorable à leurs intérêts communs. Contrairement
à l'édit de pacification, un édit avait été rendu qui prescrivait aux États
de Béarn de restituer les biens ecclésiastiques. Sur le refus des
protestants, le roi déclara qu'il irait le
faire enregistrer lui-même, et que ni la saison avancée, ni la pauvreté des
Landes, ni l'âpreté des montagnes ne l'arrêteraient. En effet, il fit son entrée à
Pau, le 15 octobre 1620. Il rétablit dans cette province, par un édit
solennel, le culte catholique ; aboli par Jeanne d'Albret, et fit rendre au
clergé tous ses biens. Les réformés
s'inquiétaient, de plus,
dit M. de Bonnechose, de la tendance
catholique du gouvernement. Dans une assemblée tenue par eux à Loudun, ils
avaient pris fait et cause pour leurs frères menacés en Béarn. Leurs
remontrances furent vaines, et, en 1621, dans l'assemblée générale de la
Rochelle, ils partagèrent leurs 700 églises en 8 cercles, et rédigèrent une
espèce de constitution, où furent réglées, sous l'autorité du roi, la levée
des deniers et la discipline des troupes : c'était créer un gouvernement
particulier dans l'État. Louis
marcha contre eux, soumit la Saintonge et le Poitou, et, au lieu de porter
d'abord tout l'effort de la guerre contre la ville de la Rochelle, principal
centre de la rébellion, alla assiéger Montauban, en compagnie de Luynes, pour
lequel il venait de rétablir la charge de connétable. Les dispositions du
siège avaient été si mal prises, qu'il fallut le lever en toute hâte après
des assauts infructueux,' et l'armée royale, décimée par des maladies
épidémiques, fut obligée de se tenir sur la défensive. La retraite eut lieu
le 2 novembre ; en deux mois et demi, l'on avait perdu 8,000 hommes. Louis
XIII, dont le caractère, à la fois timide et mutin, subissait en grondant le
joug qu'il s'était donné, eût été bien aise de pouvoir alors se soustraire à
la domination de son ancien favori, mais il ne l'osa pas, et ne fit que lui
susciter des obstacles et des contrariétés. Luynes en éprouva tant de
chagrin, qu'il tomba malade devant la petite ville de Monheurt, qui refusait
d'ouvrir ses portes au roi, mais qui fut bientôt forcée de se rendre à merci.
Louis ne pardonna pas aux habitants leur résistance : il ordonna que la ville
fût pillée et brûlée, sous ses yeux, à l'heure même où Luynes mourait à
quelques pas de lui, d'une fièvre pernicieuse. Luynes ne fut regretté de
personne, et, comme dit Bassompierre, il ne
fut guère plaint du roi
(14
décembre 1621). Le
connétable mort, l'évêque de Luçon jugea que la reine mère pouvait reprendre
toute son influence dans les conseils du roi, et il se chargea de la diriger
vers ce but, qu'elle atteignit promptement sous l'habile conduite de son
ancien ministre. C'est en vain que cette princesse, qui avait regagné l'amour
du peuple français depuis qu'on la croyait persécutée par son fils, fut
desservie, repoussée, entravée par les nouveaux élus du conseil, le prince de
Condé, le chancelier de Sillery, le surintendant des finances, Henri de
Schomberg, le cardinal de Retz, évêque de Paris, et par toutes leurs
créatures. Ces nouveaux venus craignaient l'évêque de Luçon, et cherchaient à
l'écarter de ce conseil où la reine mère avait repris sa place ; mais il y
était toujours invisible et agissant, puisque Marie ne se conduisait que
d'après ses avis : elle écoutait tout, parlait peu, épiait le moindre désir
du roi, s'empressait de s'y conformer et ne se départait en aucun cas de la
réserve la plus prudente, s'apercevant bien
qu'on ne lui faisait voir que la montre de la boutique et qu'elle n'entrait
point au magasin. Elle
avait dès lors plus d'empire sur son fils qu'elle n'en eut jamais malgré les
ruses et les perfidies qu'on inventait journellement pour détacher d'elle le
roi, qui lui accordait autant de confiance que d'affection. On dut s'en
apercevoir en diverses circonstances, et notamment quand la mort eut changé
tout à coup la politique du conseil, en lui enlevant le cardinal de Retz,
Henri de Gondi, et le garde des sceaux, de Vic, qui furent remplacés par le
doyen des conseillers d'État, Lefevre de Caumartin, et par Bassompierre, créé
bientôt maréchal de France, à la recommandation de la reine mère. Peu de
jours auparavant, on apprenait que le pape avait donné le chapeau de cardinal
à l'évêque de Luçon, afin de complaire à la
reine (Marie
de Médicis), avec laquelle le roi vivoit si
bien, qu'en toutes choses il avoit à plaisir de lui donner contentement. Richelieu,
qu'on n'appela plus dès lors que le cardinal, s'était flatté de succéder
directement, dans le conseil, au cardinal de Retz, mais le prince de Condé
eut assez de crédit pour l'en éloigner encore une fois. Il fallut un nouveau
remaniement pour l'y faire entrer, après le renvoi du comte de Schomberg, qui
dut céder sa charge de grand maître de l'artillerie au fils du duc de Sully,
et la surintendance des finances au marquis de la Vieuville, en dépit de
l'appui que Condé s'efforçait de lui prêter contre les sourdes manœuvres de
son redoutable adversaire. Richelieu se refusa d'abord à faire effectivement
partie du conseil, où il se trouvait assez représenté par la reine mère qu'il
inspirait, et par le marquis de la Vieuville, qu'il avait fait premier ministre.
Sa santé fragile et chancelante, disait-il, l'empêchait d'accepter un pareil
fardeau. Marie
de Médicis n'insistait pas moins auprès de son fils pour qu'il l'aidât à
vaincre la résistance du cardinal : Je le
connois mieux que vous,
lui disait le roi ; c'est un homme d'une
ambition, démesurée ; il sera le maistre de nous tous, si nous le laissons
faire. Puis, à peu
de jours de là, voyant le cardinal passer dans la cour du Louvre, il dit au
maréchal de Praslin : Voilà un homme qui
voudroit bien être de mon conseil, mais je ne m'y puis résoudre, après tout
ce qu'il a fait contre moi.
C'était un reste des préventions que Luynes lui avait fait partager à l'égard
de l'évêque de Luçon. Le
lendemain même, Louis XIII manda le cardinal et lui annonça que M. de la
Vieuville réclamait absolument son entrée dans le conseil. Richelieu, dit Bazin, sembla vouloir se
défendre de cet honneur pénible. Il parla de sa santé, qui ne pouvait se
prêter à la fatigue des visites, qui ne lui permettait pas de se tenir
longtemps debout dans la chambre du roi, qui lui faisait un besoin de la
campagne. Tout cela fut inutile : le marquis de la Vieuville, qui était
violent en ses passions, comme dit Richelieu, força le pauvre cardinal à
se sacrifier pour le bien de l'État (19 avril 1624). Jamais homme simple et candide, ami du repos et de la
retraite, ne parut accepter le fardeau des affaires avec plus de répugnance
et d'humilité. Il avait alors trente-neuf ans passés : il s'était essayé, en
1617, pendant cinq mois, dans le ministère, et depuis sept ans il attendait
le moment d'y rentrer. Une
fois ministre en nom, le cardinal reconnut qu'il ne pouvait rien pour le
service du roi, en laissant les affaires dans les mains d'un premier ministre
tracassier, brouillon et indiscret. La Vieuville était donc jugé et condamné
: il fut arrêté, le 12 août, au sortir de la chambre du roi, et conduit
prisonnier d'État au château d'Amboise. On ne put douter, après ce coup
d'éclat, que le cardinal allait exercer une grande influence dans le
gouvernement. Les affaires de l'État, dit-il dans la première séance
du conseil qu'il présida sous les yeux du roi et de la reine mère, doivent se faire par conseil et non par un seul à
l'oreille. Il faut que les ministres vivent en société et amitié, non pas en
partialités et divisions. Toutes les fois qu'un seul voudra tout faire, il
voudra se Perdre, mais en se perdant il perdra l'État ; et toutes les fois
qu'un seul voudra posséder l'oreille du roi, il faut nécessairement que ce
soit pour lui cacher son ignorance ou sa malice. Louis XIII, qui avait un esprit juste mais
borné, un caractère faible et ombrageux, un cœur sec et froid, se trouvait
déjà sous le joug de son premier ministre, qui, par la grandeur de ses idées,
par la force de sa volonté, par la puissance de son génie, l'avait conquis et
subjugué. C'est
Richelieu lui-même qui, dans la Succincte narration des grandes actions du
Roi, cet admirable résumé de sa vie politique, nous a révélé avec autant
de modestie que de sincérité le véritable but de sa conduite de ministre : Lorsque Votre Majesté, dit-il, se
résolut de me donner en mesme temps et l'entrée de ses conseils et grande
part à sa confiance pour la direction de ses affaires, je puis dire, avec
vérité, que les huguenots partageoient l'Estat avec elle, et que les grands
se conduisoient comme s'ils n'eussent pas esté ses sujets, et les plus
puissans gouverneurs des provinces, comme s'ils eussent esté souverains en
leurs charges. Je puis dire que le mauvais exemple des uns et des autres
estoit si préjudiciable à ce royaume, que les compagnies les plus réglées se
sentoient de leur dérèglement et diminuoient en certains cas vostre légitime
autorité. Je puis dire que chacun mesuroit son mérite par son audace... Je puis dire encore que les alliances étrangères estoient
méprisées ; les intérêts particuliers préférés aux publics ; en un mot, la
dignité de Votre Majesté royale tellement ravalée et si différente de ce
qu'elle devoit estre, par le défaut de ceux qui avoient lors la principale
conduite de vos affaires, qu'il estoit presque impossible de la reconnoistre.
Nonobstant toutes les difficultés que je representay à Votre Majesté,
connoissant ce que peuvent les rois quand ils usent bien de leur puissance,
j'osai, vous promettre, sans témérité, à mon avis, que vous trouveriez remède
au désordre de votre Estat, et que dans peu de temps vostre prudence, vostre
force et la bénédiction de Dieu donneroient une nouvelle force à ce royaume.
Je luy promis d'employer toute mon industrie et toute l'autorité qu'il luy
plaisoit me donner, pour ruiner le parti huguenot, rabaisser l'orgueil des
grands, réduire tous ses sujets en leur devoir, et relever son nom dans les
nations étrangères au point où il devoit estre. Ainsi,
suivant cette déclaration solennelle, Richelieu, dès le commencement de son
ministère, avait conçu et projeté tous les actes politiques qu'il exécuta
depuis : il semblait avoir recueilli dans son âme les grandes pensées d'Henri
IV, qui voulait créer l'unité nationale de la France, en lui donnant de
nouvelles frontières, et reconstituer l'Europe sur des bases durables, en
abaissant la maison d'Autriche pour arriver à la pacification universelle. Le
cardinal se mit à l'œuvre aussitôt, et ses premiers actes semblèrent
rattacher son ministère au règne précédent : le mariage du roi d'Angleterre
avec Henriette de France, l'alliance de Louis XIII avec la Suisse et la
Hollande, l'union des princes protestants d'Allemagne avec le fils aîné de
l'Église, la paix signée simultanément avec l'Espagne et les chefs du parti
protestant (1625-26),
paraissaient avoir donné à Richelieu la sécurité et le loisir nécessaires
pour s'occuper du gouvernement intérieur de la France. Mais, dit Richelieu dans ses Mémoires,
tandis que le Roy, croyant avoir apaisé
toutes les tempestes étrangères qui estoient connues contre le repos de la
France, s'appliquoit aux remèdes des maux internes qui la travailloient et
des duels qui esloignoient d'elle la. bénédiction de Dieu, voici qu'un orage
se forme de nouveau, d'autant plus à craindre que c'est dans le cœur mesme de
l'Estat, et qu'il enveloppe la personne qui y est la plus considérable après
celle du roy. Cette
personne n'était pas la reine mère, que Richelieu s'efforçait de maintenir
dans une étroite union avec son fils, union
importante à leur réputation et avantageuse au bien de l'Estat ; c'était Monsieur, frère du
roi, âgé de dix-huit ans, qui devenait le chef de toutes ces cabales, que son
gouverneur, le maréchal d'Ornano, avait l'audace et l'ingratitude de diriger
contre le cardinal, auquel il devait sa récente élévation au rang de maréchal.
Marie de Médicis, rapporte Sismondi dans son Histoire
des Français, avait transmis à ses fils
ce goût de favoritisme et cette faiblesse de caractère qui leur faisaient une
nécessité d'être dominés. Louis ni Gaston n'étaient jamais rien par eux-mêmes
; ils semblaient reconnaître qu'il ne leur appartenait point d'avoir une
volonté à eux. Leur incapacité ne diminuait point à leurs yeux leur
importance ; rapportant tout à eux, et dans les autres n'aimant qu'eux-mêmes,
mais ennuyés, maladifs ou se figurant l'être, ils passaient leur vie à
prendre des remèdes. Après Luynes et Ornano, ils choisirent pour favoris de
fort jeunes gens, qu'ils semblaient se plaire à former comme des élèves ;
mais bien qu'ils ne pussent se priver un moment de leur société, ils
consentaient à leur ruine, même à leur supplice, avec une insouciance qui montrait
assez que leur cœur était incapable de rien aimer. Gaston
ne tarda pas à haïr Richelieu, qui lui refusait l'entrée au conseil. Une
cabale fut ourdie par une demi-douzaine de jeunes écervelés, qui convinrent
d'aller ensemble chez le cardinal et de le tuer dans sa maison. Le complot,
d'abord abandonné, fut repris avec l'adhésion d'un plus grand nombre de
personnes. Il s'agissait de renverser le ministre ; mais on accusa les
coupables des plus noirs desseins. C'estoit, dit le cardinal, la plus effroïable conspiration dont jamais les historiens
aient parlé, non seulement en la multitude des conjurés, mais surtout en
l'horreur de son dessein qui alloit à perdre la personne du Roy. Cette conspiration n'allait à
rien moins, a-t-on dit, qu'à menacer la vie du malheureux Louis XIII, ou tout
au moins sa couronne, car on l'aurait détrôné, pour mettre à sa place son
jeune frère Gaston ; et comme on le croyait assez valétudinaire pour qu'il ne
survécût pas longtemps à sa déchéance, on songeait déjà à faire épouser sa
veuve par son successeur au trône. La
duchesse de Chevreuse avait tout combiné : le comte de Chalais, favori du
roi, comme Mme de Chevreuse était favorite de la reine, s'était engagé à
tout, et Gaston, au profit de qui l'on conspirait, ne reculait pas devant la
pensée du détrônement et même de la mort de son frère. Les princes de la
famille royale, les plus grands seigneurs de la cour, les chefs du parti
protestant, avaient accepté un rôle actif dans cette odieuse conspiration,
dont Richelieu tenait tous les fils et connaissait tous les ressorts (juillet 1626). Richelieu alla révéler au roi
ce qui se tramait contre lui, et le roi, effrayé des dangers qui
l'entouraient, approuva toutes les mesures de précaution que le cardinal
voulait prendre contre les conspirateurs,' en pardonnant au duc d'Anjou ses
coupables intentions, qu'on mettait sur le compte de la légèreté de son
caractère et de l'inexpérience de son âge, abusées par de perfides conseils. Ornano
avait été arrêté, au sortir de la chambre du roi, et mené à Vincennes, où une
mort subite, assez étrange, devait le sauver d'un procès criminel. Le roi
ordonna à Anne d'Autriche de comparaître devant le conseil et lui reprocha
durement d'avoir voulu un nouvel époux en son frère. Je n'aurais pas assez gagné au change, se borna-t-elle à répondre.
Elle demanda grâce pour Mme de Chevreuse, qu'on fit évader en fermant les
yeux sur son évasion, mais on ne lui accorda pas la même indulgence pour le
comte de Chalais, qui fut accusé du crime de lèse-majesté et livré à ses
juges. Les princes de Vendôme, fils naturels d'Henri IV, furent arrêtés aussi
et enfermés dans le château d'Amboise. Gaston, mis en présence du roi et de
la reine mère, interrogé par le cardinal et convaincu de projets détestables qu'on
désavoua pour lui, se vit réduit à dénoncer ses complices et à demander
pardon à son frère, qui reçut de lui une
déclaration écrite, par laquelle il s'obligeoit de soumettre ses volontés et
ses affections, priant la reine sa mère d'estre sa caution, et promettant
encore d'aimer sincèrement ceux que Leurs Majestés aimeroient. C'était faire amende honorable
au cardinal et reconnaître son autorité suprême. En conséquence, un contrat
d'amitié et de confiance fut signé entre le roi, sa mère et son frère, qui
firent serment, sur les Évangiles, de l'observer fidèlement. Trois
mois plus tard, Monsieur, qui changeait son titre de duc d'Anjou contre celui
de duc d'Orléans, épousait à Nantes Mlle de Montpensier, fille de la duchesse
de Guise : le cardinal de Richelieu avait célébré lui-même les fiançailles
des époux. Quand le comte de Chalais entendit, de sa prison, le canon qui
annonçait la cérémonie, il s'écria : Ô
cardinal, que tu as un grand pouvoir ! Quatorze jours après, le malheureux jeune homme
paya pour les grands coupables : il fut décapité, sur la place publique de Nantes
(19
août 1626), par un
bourreau inhabile, qui ne parvint à lui trancher la tête qu'au
trente-quatrième choc d'une mauvaise épée. Les coups répétés que Richelieu
venait de frapper sur ce qu'il y avait de plus grand dans le royaume, dit Sismondi, n'humiliaient pas seulement ceux qui en étaient atteints ;
tous les grands seigneurs tremblaient également, avertis que le moment était
passé où ils pouvaient troubler l'État par des complots ou des guerres
civiles, puis se retirer quand cela leur convenait en sacrifiant leurs
subalternes et en demeurant assurés que les châtiments ne les atteindraient
jamais eux-mêmes. Chacun se sentait désormais responsable de ses œuvres, et
c'était là ce qu'avait voulu Richelieu. En déjouant quelques intrigues de
cour, il avait eu surtout en vue de frapper de terreur tous ceux qui, depuis
la mort d'Henri IV, avaient fait si souvent une opposition armée au
gouvernement. Richelieu voulait n'être plus gêné par cette opposition ; il
voulait tenir en mains toutes les forces de la France, et attaquer ses
ennemis l'un après l'autre. L'année
suivante fut marquée par une exécution plus mémorable, celle du comte de
Boutteville, issu de la maison de Montmorency, et du comte des Chapelles, qui
lui avait servi de second dans un duel. Depuis
son entrée au ministère, Richelieu n'avait pas cessé de pousser le roi à
détruire les protestants comme parti politique ; il répétait sans cesse que les rébellions ne pouvoient venir que des huguenots et des
grands du royaume, mécontents. Il crut le moment arrivé de s'emparer de la Rochelle, qui était
toujours la place d'armes des réformés et qui entretenait dans l'État un
danger permanent de révolte. C'était là un des projets qu'il nourrissait
depuis sa jeunesse, et qu'il avait souvent confiés au père Joseph, dans leurs
longs entretiens à l'évêché de Luçon. Louis XIII avait fini par se laisser
convaincre, d'autant plus que le dernier traité avec les protestants était
sans cesse violé par eux, et que leur principal chef, le duc de Rohan, recommençait
à soulever le Languedoc. Le roi aspirait à unir tous ses sujets dans la
religion catholique ; Richelieu, comme théologien, condamnait aussi
l'hérésie, mais, comme homme d'État, il ne songeait qu'à écraser la
rébellion. Dans ce but, voyant que l'Angleterre armait ses flottes pour
soutenir le protestantisme et défendre la Rochelle, il avait pu, en quelques
mois, créer une marine militaire capable de tenir tête à celle de
l'Angleterre, qui envoya bientôt 90 vaisseaux contre l'île de Ré, pour
décider les habitants de la Rochelle à méconnaître l'autorité royale. Le
siège de la Rochelle fut décidé sur-le-champ, et, suivant un plan que
Richelieu avait préparé lui-même depuis longtemps, on fit le blocus de la
ville par terre et par mer. Pendant que l'armée du roi allait camper sous les
murs de cette ville, qu'on n'espérait pas prendre de vive force, la flotte
française bloquait le port, de concert avec une flotte espagnole, et on
entreprenait, hors de la portée du canon des assiégés, un travail gigantesque,
qui ressemblait à une menace plutôt qu'à une œuvre raisonnable de génie
militaire, car ce n'était rien moins qu'une digue en pierre bâtie dans la mer
sur toute la largeur de la rade et appuyée de chaque côté à un fort, de
manière à empêcher toute espèce de secours ou de ravitaillement. Richelieu,
qui était déjà grand maître et surintendant général de la navigation, du
commerce et de la marine, fut nommé lieutenant général du roi, devant la
Rochelle, quoique Louis XIII vînt plus d'une fois exercer un commandement
effectif dans le camp de l'armée assiégeante. Les assiégés supportèrent les
horreurs de la famine avant de capituler (29 octobre 1628). Le roi déclara à ses sujets,
que le culte catholique était rétabli à la Rochelle, qu'il avait conquise avec le conseil et les laborieux services du cardinal de
Richelieu, après un siège de quinze mois, les hasards de sa propre personne
en plusieurs occasions, et après avoir défait ou rendu inutiles trois armées
des Anglais. Le
cardinal aurait pu dire que le parti protestant n'existait plus en France, si
le duc de Rohan n'eût pas été là pour le faire renaître. Richelieu
se détachait insensiblement de Marie de Médicis, qui s'étonnait de n'avoir
plus autant d'empire sur le premier ministre, qu'elle regardait comme son
ouvrage ; il se montrait vis-à-vis d'elle moins complaisant et peut-être
moins dévoué, en restant aussi respectueux, et pourtant elle travaillait à le
desservir auprès du roi, qui avait l'esprit toujours ouvert aux défiances et
toujours porté à de brusques revirements d'opinion. Bientôt il fut certain
que cette amie d'autrefois n'aspirait qu'à le renverser, et lui opposait
constamment la faveur naissante du cardinal de Bérulle ; il se tint sur la
défensive, et, blessé dans son orgueil, il comprit qu'il devait désormais
séparer de ses intérêts ceux de Marie de Médicis. Il se croyait sûr de son
crédit personnel et de sa puissance dans tout ce qui concernait le
gouvernement ; néanmoins, sachant combien le caractère du roi était faible,
ondoyant et capricieux, il eut l'idée de le soustraire à l'influence
journalière des passions de la reine mère, dirigée par le cardinal de Bérulle,
que le roi redoutait et méprisait. Il emmena donc le roi en Italie, pour
secourir le duc de Nevers, que l'empereur, le roi d'Espagne et le duc de
Savoie voulaient empêcher de prendre possession du duché de Mantoue, lequel
lui appartenait par droit de légitime héritage. Richelieu ne craignait pas la
reine mère quand elle était loin de son fils, et il l'avait fait nommer
régente en l'absence du roi. La
campagne d'Italie fut très brillante et très rapide : le cardinal, qui
l'avait préparée et qui la dirigeait en personne, laissa au roi tout
l'honneur des succès, qu'il pouvait à juste titre s'attribuer à lui-même.
Après le combat du pas de Suze, où le roi conduisit lui-même ses troupes à
l'assaut avec une bravoure digne de sa race, et la capitulation de la ville
de Suze (6
mars 1629), le duc
de Savoie traita de la paix, au nom de l'Espagne, et le nouveau duc de Mantoue
fut réintégré dans son duché. Le cardinal avait pu dire sans flatterie, mais
avec l'emphase ordinaire du grand style de son temps, que le seul bruit de l'arrivée du roi, porté au loin par
le vent, délivroit les villes assiégées, protégeoit les alliés de la France
et humilioit ses ennemis. Mais,
au moment même où le duc de Nevers devenait duc de Mantoue sous la protection
de Louis XIII, le duc d'Orléans, devenu veuf et violemment épris de Marie de
Gonzague, qu'il voulait épouser malgré son frère et sa mère, avait formé le
projet d'enlever cette princesse, au lieu de rejoindre le roi à l'armée.
Marie de Médicis, avertie du projet de Gaston, y mit obstacle en faisant
arrêter et conduire au château de Vincennes la princesse de Nevers, qui
attendait à Coulommiers, chez sa tante, la duchesse douairière de
Longueville, la venue du prince, qu'elle devait épouser en secret. Gaston
d'Orléans, indigné d'un pareil acte de violence, écrivit à son frère, pour
lui déclarer qu'il ne reparaîtrait pas à la cour jusqu'à ce qu'on lui eût
fait justice. Richelieu était resté en Italie pour négocier, mais le roi
allait en Languedoc réduire à merci les protestants, que le duc de Rohan
avait soulevés une dernière fois, en leur promettant l'appui du roi
d'Espagne. La reddition de Montauban, assiégé par Louis XIII, fut la fin des
séditions incessantes du parti protestant en France. Marie
de Médicis avait juré de se venger de Richelieu, en mettant à sa place le
cardinal de Bérulle, dont le roi ne voulait pas. Elle était d'intelligence
avec son fils Gaston, qui refusait de revenir à la cour tant que Richelieu
serait ministre, et qui passa en Lorraine dès que le roi et Richelieu
entrèrent à Paris. Bérulle mourut subitement (2 octobre 1629), peu après le retour de
Richelieu, qu'on accusa de l'avoir fait empoisonner. Délivré de son plus
redoutable adversaire, il ne tint aucun compte de l'accusation que ses
ennemis portaient pour le perdre : il s'entendit avec Puylaurens et le
Coigneux, confidents et âmes damnées de Gaston, pour le ramener auprès du
roi, qui s'inquiétait de sa nouvelle fuite. Il avait d'abord écrit une lettre
respectueuse à la reine mère, pour la supplier de faire agréer au roi sa
retraite, maintenant, disait-il avec dédain, que les affaires estoient remises au point de pouvoir être
conduites par tout le monde. Louis XIII, effrayé de l'idée seule de se voir privé de son
ministre, employa jusqu'à la prière et jusqu'aux larmes pour apaiser la
colère de la reine mère contre Richelieu. Il n'y eut pas de réconciliation
entre eux, mais le roi, sous prétexte de rétablir le bon ordre dans ses
conseils, déclara Richelieu premier ministre
de l'État, pour y tenir le rang qu'il avoit eu jusqu'alors (21 novembre 1629). La
guerre se ravivait en Italie ; les forces combinées de l'Empire et de
l'Espagne menaçaient le duché de Mantoue. Richelieu dut repartir à la hâte
pour reprendre le commandement de l'armée française : il laissait derrière
lui bien des ennemis et surtout la reine mère, qui ne songeait qu'à s'emparer
du roi. Il croyait pouvoir compter sur le garde des sceaux Marillac, sur le
marquis d'Effiat, surintendant des finances, et sur la plupart des membres du
conseil, mais il comptait davantage sur le roi, qui ne s'accoutumait pas à
son absence et en témoignait des inquiétudes continuelles. Aussi ne
tarda-t-il pas longtemps à rejoindre le cardinal, qui avait dirigé avec
bonheur les opérations militaires, et qui commençait à négocier avec le duc
de Savoie et l'empereur. Louis
XIII n'avait reparu qu'un moment à la tête de son armée : il retourna bientôt
à Lyon, où les deux reines l'avaient suivi, et où l'on travaillait, au milieu
des fêtes de la cour, à la chute du cardinal. Celui-ci était instruit de tout
: le vaste système d'espionnage qu'il avait établi autour du roi ne lui
laissait rien ignorer de ce qui se tramait contre lui. Le roi avait fini par
se rendre aux pressantes sollicitations de sa mère, de sa femme et de son
frère, qui réclamaient l'éloignement du cardinal : il s'était donc engagé par
serment à renvoyer son premier ministre, et peut-être même à le traduire en
justice, pour y répondre à divers chefs d'accusation capitale, aussitôt que
la cour serait rentrée à Paris. Sur ces
entrefaites, le roi tomba si gravement malade, qu'on désespéra. de son
rétablissement. Chacun. se préparait à un nouveau règne qui allait mettre le
duc d'Orléans sur le trône, puisque le roi n'avait pas d'enfant, lorsque
celui-ci entra en convalescence (1er octobre 1630). Quinze jours après, il était
en état de revenir à Paris avec la reine, qui lui avait prodigué les soins
les plus tendres pendant sa maladie. Les hostilités étaient momentanément
suspendues en Italie, à cause des négociations qui se poursuivaient, à
Ratisbonne, à Mantoue et à Casai ; le cardinal avait jugé nécessaire de
quitter l'armée, en laissant ses instructions et ses pleins pouvoirs au père
Joseph, pour traiter avec les Espagnols : il était arrivé à Lyon en toute
hâte, il avait vu le roi à peine convalescent, qui ne l'attendait pas, et le
roi, lié par un serment qu'il n'osait enfreindre, lui avait dit seulement de
se mettre bien avec la reine mère. Richelieu se fit violence pour dissimuler
son ressentiment et pour faire bonne mine à sa plus implacable ennemie, avec
laquelle il descendit la Loire, sur le même bateau, en grande privauté, dit Bassompierre, qui était du voyage. Le
complot qu'on avait ourdi à Lyon contre le cardinal ne pouvait plus tarder à
éclater : Jamais faction ne fut plus forte en
un Estat, dit
Richelieu dans sa Succincte narration ; il seroit plus aisé de rapporter ceux qui n'y trempoient pas que ceux
qui s'y estoient engagés.
Le garde des sceaux Marillac en avait été le principal artisan, et Richelieu,
qui le savait, n'eut pas l'air de s'en douter. Le 10
novembre 1630, la reine mère et son fils, qu'elle avait sommé de tenir sa
parole en faisant arrêter son premier ministre, se trouvaient en conférence
au Luxembourg, quand le cardinal vint frapper à la porte du cabinet cette
porte était fermée, et l'on n'ouvrit pas. Le cardinal connaissait une autre
issue qui le conduisit dans le cabinet par l'oratoire de la reine. Le voici ! s'écria le roi tout ému, en le voyant paraître. Vous parliez de moi ? dit froidement le cardinal. Marie de Médicis
restait frappée de stupeur ; mais, reprenant courage, elle éclata en
reproches et en injures contre Richelieu, qui n'y daigna pas répondre et qui,
se tournant vers le roi éperdu, acheva de le troubler en lui disant : Il est temps que vous soyez instruit de tout ce qui s'est
fait, non pas contre moi, mais contre Votre Majesté qu'on veut détrôner au
profit de monsieur le duc d'Orléans. Richelieu accompagna le roi, au sortir du
Luxembourg, et le ramena au Louvre, où il le tint longtemps enfermé avec lui.
Gaston, qui se faisait malade pour ne pas se montrer, vint, le soir même,
rendre visite à son frère : le cardinal était encore là, et le lui présenta,
en le priant de l'aimer comme un de ses plus fidèles serviteurs. Ce fut le
coup de grâce des adversaires de Richelieu. Le
lendemain de ce jour, qui fut nommé la journée des Dupes, Louis XIII partit
de grand matin pour Versailles, et le cardinal y arriva en même temps que
lui. La reine mère avait été avertie de n'y pas venir. Le jour même, le garde
des sceaux fut arrêté par un exempt, qui le conduisit à Châteaudun, où il
était exilé, tandis qu'on recherchait dans ses papiers les éléments d'un
procès criminel à lui intenter, et que son frère, le maréchal de Marillac,
plus coupable que lui, était ramené prisonnier d'Italie en France pour y être
jugé. ' Le
cardinal avait reconquis plus d'empire qu'il n'en avait jamais eu sur Louis
XIII, et il se sentait assez fort pour tenir tête à tous ses ennemis. Il fit
toutefois un nouveau pacte avec le duc d'Orléans, par l'intermédiaire de
Puylaurens, qu'il trouvait toujours prêt à le remettre en bonne intelligence
avec Monsieur ; mais cette fois encore, après avoir donné parole d'agir de
concert avec le cardinal, le prince retomba dans les mains de sa mère et lui
obéit sur-le-champ, en allant s'établir à Orléans, où il se mit en rapport
avec plusieurs gouverneurs de provinces, les ducs de Bellegarde, d' Elbeuf et
de Guise, qui avaient promis de se déclarer pour lui et pour la reine mère,
si l'on en venait à une prise d'armes contre le cardinal. Celui-ci disposait
entièrement du roi, qui ne pardonnait pas à sa mère d'avoir entraîné la reine
dans une cabale diabolique qui semblait menacer sa couronne, sinon sa vie.
Anne d'Autriche fit amende honorable et obtint son pardon, en avouant qu'elle
avait prêté l'oreille à de perfides insinuations. Entourée
de ses astrologues et de ses flatteurs, Marie de Médicis restait décidée à ne
pas céder et à lutter contre le roi lui-même. Louis XIII comprit qu'il ne
pouvait souffrir plus longtemps une pareille révolte contre son autorité et
qu'il devait, pour son repos, peut-être aussi pour sa sûreté, éloigner sa
mère. Après l'avoir attirée à Compiègne, où il s'était rendu avec le cardinal
(17
février 1631), il
l'y laissa prisonnière, fit éloigner ou arrêter ses principaux partisans, et
lui désigna Moulins comme lieu d'exil. En même temps, il cherchait à se
rapprocher de Gaston, en lui faisant savoir qu'il ne s'opposait plus à son
mariage ; mais Gaston, inspiré, dirigé par sa mère, ne songeait qu'à fomenter
la guerre civile, et ses agents commençaient à l'entreprendre, en son nom,
sous la forme des plus odieux pamphlets. La
reine mère était toujours prisonnière à Compiègne et refusait de se rendre à
Moulins : le 18 juillet, elle sortit du château, déguisée et accompagnée d'un
seul gentilhomme, pour monter dans un carrosse à six chevaux qui l'emmena en
Flandre. C'est là que son fils Gaston ne devait pas tarder à la suivre. Votre Majesté, dit Richelieu dans la Succincte narration des grandes
actions du Roi, éluda alors avec beaucoup
de vigilance, divers desseins et beaucoup d'entreprises, méditées et tentées,
sous le nom de la Reine et de Monsieur, sur diverses places du royaume, et
votre patience fut telle en ces malheureuses rencontres que je puis dire que
vous ne fistes connoistre que ce que vous ne pouviez dissimuler de leur
mauvaise conduite. Cependant, pour en arrêter le cours, vous fistes trancher
la teste au maréchal de Marillac, avec d'autant plus de raison qu'ayant esté
condamné avec justice, la constitution présente de l'Estat requéroit un grand
exemple. Richelieu,
qui attribue au roi tous les actes de fermeté et de justice de son règne,
aurait pu s'en faire honneur, car c'était lui, lui seul, qui les avait
conseillés au roi. Il n'était pas cruel, mais inflexible, et quand il
obéissait à la raison d'État, il n'épargnait pas le sang d'un grand coupable.
C'est à l'occasion des déplorables rébellions que l'incorrigible duc
d'Orléans excitait sans cesse dans le royaume, que le cardinal écrivit de sa
main cette note qui révèle tout son caractère d'homme politique : Il falloit alors achepter les momens, non seulement au
prix de l'or, mais du sang des hommes. Si le garde des sceaux Marillac n'était pas mort
dans sa prison, il eût partagé sans doute le sort de son frère. Quand
Boutteville et des Chapelles furent condamnés à la peine de mort pour avoir
bravé l'édit contre les duels, Richelieu n'hésita pas à faire exécuter la
sentence, qui estoit, disait-il, quasi contre le sens de tout le monde et contre mes
sentiments particuliers.
Quand le duc d'Orléans, en révolte contre le roi son frère, fut entré dans le
royaume avec des troupes que le duc de Lorraine et l'Espagne lui avaient
fournies, Richelieu conseilla au roi la clémence à l'égard de Monsieur, mais
il exigea le châtiment impitoyable de tous ceux qui, par la force ou
l'intrigue, avaient pris part à cette tentative de guerre civile. Après
la défaite de Castelnaudary (1er septembre 1632), le duc de Montmorency, qui s'était laissé séduire
par l'héritier présomptif de la couronne, fut donc condamné à la peine
capitale : Richelieu ordonna l'exécution, quoique le duc d'Orléans eût fait
dire au roi que, si Montmorency mouroit, il ne pardonnerait pas aux
auteurs de sa mort, et les feroit mourir un
jour eux-mêmes. Le
cardinal avait pensé que le châtiment du duc
de Montmorency ne se pouvoit obmettre, sans ouvrir la porte à toutes sortes
de rébellions, dangereuses en tout temps. La chambre de justice, qu'il avait fait établir à
Paris, dans le ressort de l'Arsenal, poursuivit sa tâche redoutable, et
prononça des condamnations sévères et justes, dont
quelques-unes ne furent exécutées qu'en effigie : plusieurs des coupables
reçurent leur grâce sur l'échafaud. Il y eut des accusés et des condamnés
dans la magistrature comme dans l'armée, et le marquis de Châteauneuf, qui
avait succédé comme garde des sceaux à Marillac, apprit en prison ce qu'il en coûtait
pour n'avoir pas rempli avec assez de dévouement les ordres du premier
ministre. Richelieu
était enfin délivré des cabales de la reine mère, qui s'était fait justice
elle-même en passant à l'étranger, et qui ne cessait pas, à Bruxelles comme
naguère en France, de tramer des complots contre le roi, tout en essayant de
se rapprocher de lui et d'arriver à une réconciliation, que son fils Gaston
persistait à solliciter pour elle ; mais tous les efforts de l'un et de
l'autre restèrent impuissants devant l'inexorable ressentiment de Richelieu,
qui disposait seul désormais de la volonté du roi. Le duc d'Orléans était
retourné plusieurs fois auprès de sa mère, qui l'animait sans cesse contre le
roi et contre le cardinal. Ce prince inconstant et léger porta malheur à tous
ses partisans, et surtout à son beau-frère le duc de Lorraine, lorsque son
mariage avec la princesse Marguerite motiva l'occupation de la Lorraine par
l'armée du roi, qui ne voulait pas reconnaître ce mariage et le fit déclarer
nul par une assemblée du clergé de France (juillet 1635). Gaston, qui avait fait un
traité secret avec le roi d'Espagne, et n'était pas resté étranger à
plusieurs tentatives d'assassinat contre le cardinal, revint enfin à la cour,
et tout lui fut pardonné de nouveau ; mais son éternel instigateur,
Puylaurens, arrêté dans le cabinet du roi et emprisonné au château de
Vincennes, mourut, au bout de quatre mois, d'une maladie subite, qu'on appela
fièvre pourprée. Le duc
d'Orléans était rentré en grâce auprès du roi, qui lui témoignait plus
d'affection que de confiance : on devait croire que tant d'échecs et de
mésaventures dans ses intrigues l'avaient rendu sage ou du moins prudent,
mais il ne se résignait pas à plier sous la domination de Richelieu : il
continuait à lui tendre des pièges et à le battre en brèche dans la faveur du
roi, qui n'eût pas été fâché de trouver en faute son premier ministre, mais
qui ne l'aurait pas sacrifié à des ennemis incapables de le remplacer. Le
cardinal, de son côté, était bien aise de tenir sous sa main puissante cet
artisan infatigable de révoltes et de brouilleries, pour l'éloigner des
mauvais conseils de Marie de Médicis qui, pensionnée par l'Espagne et
discréditée dans toutes les cours de l'Europe, ne pouvait plus rien contre
lui ni contre la France. Il était voué tout entier aux grandes œuvres de sa
politique, après avoir décidé Louis XIII à déclarer la guerre à l'Espagne. Cette
guerre, qui devait durer vingt-cinq ans, s'était allumée à la fois en
Allemagne, en Italie et en France. Richelieu avait réuni des forces
suffisantes pour résister en même temps aux Espagnols et aux Impériaux. Le
roi se mit à la tête d'une de ses armées et marcha contre les Espagnols, qui
avaient envahi la Picardie. Il avait pris pour son lieutenant général le duc
d'Orléans, et cela sans consulter le cardinal, qui en fut très irrité et qui
s'en plaignit amèrement. Le
cardinal était sur le point de donner sa démission de premier ministre et de
se retirer dans son château de Richelieu, et, comme le dit Vittorio Siri, il en eût fait la folie, sans le père Joseph, qui le
rassura, en lui représentant que Gaston se perdrait lui-même dans l'esprit du
roi. Gaston donna
raison au moine, et comme il attribuait le refroidissement subit du roi à
l'influence de Richelieu, il conçut l'odieux projet de le faire tuer, au
sortir du conseil, par le comte de Montrésor, qui s'était offert pour
exécuter ce lâche assassinat. Le comte de Soissons trempait dans le complot,
qui n'eût pas manqué si les auteurs avaient eu le courage de donner le signal
à l'assassin. Monsieur, en apprenant que le cardinal savait le danger auquel
il venait d'échapper, avait quitté brusquement l'armée, et lorsqu'on lui
annonça le prochain retour de son frère à Paris, il s'écria, terrifié : Combien de gens vont-ils pendre maintenant ? Il n'eut garde d'attendre le
terrible cardinal, et il s'enfuit à Blois, tandis que son complice, le comte
de Soissons, se retirait à Soissons. Gaston fut encore sur le point de sortir
du royaume et de recommencer ses tentatives de guerre civile, mais Richelieu
évita de le pousser à bout, et recommanda la voie de la conciliation pour le
ramener auprès de son frère après une brouille de deux mois. La
reine mère n'était pas à craindre directement, et d'ailleurs son retour au
Louvre n'était plus possible ; jusqu'à sa mort, sa fatale influence continua
à se faire sentir à la cour de France, tantôt sur son fils Gaston, tantôt sur
Anne d'Autriche, tantôt sur les princes et les grands de l'État, sans avoir
désormais aucune action sur le roi, qui la détestait plus qu'il ne la
redoutait. Richelieu ne lui pardonna jamais ; l'humeur vindicative, il est
vrai, était au fond de son caractère, mais, comme il le dit en mourant, il
n'eut jamais d'autres ennemis que ceux de
l'État. Il n'en
avait pas moins à se défendre sans cesse contre ces ennemis, qui
travaillaient à sa chute et la croyaient tous les jours plus imminente ; son
habileté consistait surtout à suggérer au roi les idées qu'il voulait lui
voir adopter, et le roi croyait toujours agir de son plein gré en n'agissant
que par la volonté de son ministre. Le
règne de Louis XIII ne fut donc, à vrai dire, que le règne de Richelieu,
quoique ce grand ministre se fît un devoir scrupuleux d'attribuer au roi seul
tous les actes dont l'initiative et l'exécution n'appartenaient qu'à
lui-même. Ainsi, ce fut en 1641 que Richelieu, non pas aveuglé mais encouragé
et fortifié par le succès des armes du roi dans les guerres qu'il soutenait à
la fois en' Allemagne, en Espagne et en Italie, pensa que le moment était
venu de fonder en France la monarchie absolue, en consolidant le pouvoir
royal par une manifestation solennelle des droits de la royauté. Louis XIII
se rendit au parlement (24 février), avec son frère Gaston, le cardinal, le
prince de Condé et les ducs et pairs qui se trouvaient en cour. La
déclaration du roi, dont il fut donné lecture, commençait ainsi : Il n'y a rien qui conserve et maintienne davantage les
empires que la puissance du souverain également reconnue par tous les sujets
; mais, comme cette puissance porte les Estats au plus haut degré de leur
gloire, aussi, lorsqu'elle se trouve affoiblie, on les voit en peu de temps
décheoir de leur dignité... Les factions qui s'étoient formées en France
n'avoient été dissipées que depuis que l'autorité royale avoit repris cette
force et cette majesté qui conviennent à un estat monarchique, où il ne
sauroit être permis de mettre la main au sceptre du souverain. On pouvait croire, en effet,
que l'ère des factions était close, et que la royauté absolue de Louis XIII,
proclamée par le cardinal de Richelieu, en face du duc d'Orléans, n'avait
plus rien à craindre des factieux. Déjà,
trois ans auparavant, la naissance, longtemps attendue, d'un dauphin (i6
septembre 1638), en assurant l'hérédité du trône dans la ligne directe, en la
préservant des ambitions jalouses de Gaston et des princes du sang, semblait
avoir mis l'autorité royale hors de toute atteinte, et le roi, pour
reconnaître cette faveur de la Providence par un grand acte religieux, avait
prononcé ce vœu mémorable qui plaçait le royaume sous la protection de la
Vierge Marie. L'année
1641 s'ouvrit par de nouveaux complots, ourdis à Sedan, et la guerre civile
était près de renaître. Le comte de Soissons avait signé, de concert avec les
ducs de Guise et de Bouillon, un traité secret avec l'Espagne. Richelieu
envoya deux armées contre les Espagnols et contre les rebelles. Le comte de
Soissons gagna le combat de la Marfée, aux portes de Sedan (6 juillet
1641) ; mais il y
fut tué avant que le duc d'Orléans eût le temps de venir prêter son concours
aux rebelles. Le duc de Bouillon fit sa soumission au roi, tout en se
promettant de prendre sa revanche. Une
conspiration se renoua presque aussitôt entre lui et le grand écuyer
Cinq-Mars. Le favori de Louis XIII, dont le caractère impérieux et mutin se
révoltait souvent contre le roi lui-même, avait juré de perdre le cardinal,
qui le traita un jour avec autant d'aigreur
et d'emportement que s'il eust été un de ses valets. Ce fut donc un sentiment de
vengeance, plutôt que d'ambition, qui l'entraîna dans ce complot, dirigé surtout
contre le cardinal. Il avait espéré le faire tomber en disgrâce, et, voyant
qu'il n'y réussirait pas, il était résolu à le faire assassiner, avec la
complicité de Gaston et de l'Espagne. On ne sait pas exactement de quelles
mains le cardinal de Richelieu reçut la copie du traité conclu avec cette
puissance. Il était alors à Narbonne, gravement malade, et le corps à moitié
paralysé. Le roi, non moins malade que lui, s'y trouvait aussi, pendant que
son armée assiégeait Perpignan et occupait le Roussillon. La mort
du cardinal semblait si prochaine qu'on l'annonçait déjà à Paris et celle du
roi paraissait devoir la suivre de près ; cependant Louis XIII s'était
rétabli assez bien pour partir avec son grand écuyer, qui avait repris
faveur, et pour se rendre au camp de siège devant Perpignan : il y resta plus
d'un mois, triste et préoccupé, attendant les preuves de la conspiration, que
Richelieu lui avait promises ; elles ne lui arrivèrent que le 10 juin 1642,
et aussitôt il revint à Narbonne. Le cardinal n'y était plus ; il s'était
fait transporter à Tarascon, après avoir dicté son testament. C'est à
Narbonne que Cinq-Mars fut arrêté, par ordre du roi, qui refusa de le voir ;
on arrêta en même temps son ami, le jeune Auguste de Thou, qui connaissait le
complot sans y avoir pris part. Le cardinal, toujours malade, voulut les
conduire lui-même, en remontant le Rhône, à Lyon, où ils devaient être jugés,
tandis que le roi retournait à Paris. Le duc d'Orléans s'était empressé de
s'accuser lui-même et de révéler tous les faits relatifs au complot qui
venait d'avorter : il était sûr d'avance d'obtenir son pardon, mais le
cardinal ne fit grâce ni à Cinq-Mars, ni au malheureux et imprudent de Thou,
qui furent tous deux condamnés et exécutés (12 septembre). Pendant
ce grand procès criminel (fig. 104), Marie de Médicis mourait à Cologne (3 juillet
1642). En sortant
de France, elle s'était établie à Bruxelles, où, entourée d'intrigants, elle
n'avait cessé de se mêler à toutes les affaires qui pouvaient contrarier et le
cardinal et son propre fils. Louis XIII fermait l'oreille à ses prières comme
à ses menaces, avec d'autant plus d'indifférence qu'il n'avait jamais eu pour
elle ni tendresse ni respect. D'une chose
puis-je vous assurer,
lui avait dit un jour Henri IV, c'est
qu'étant de l'humeur que je vous connais, et prévoyant celle de votre fils,
vous entière, pour ne pas dire têtue, Madame, et lui opiniâtre, vous aurez
assurément maille à partir ensemble. En
1638, Marie quitta en secret Bruxelles, où le roi Philippe IV lui accordait
un traitement magnifique, et alla se mettre sous la protection du prince
d'Orange. Au bout de quelques mois, les Hollandais,
qui n'entendaient pas se brouiller, à cause d'elle, avec la France, et encore
moins la traiter à leurs frais comme une puissante reine, la prièrent
d'abréger son séjour parmi eux. Son gendre, Charles Ier, dont sa présence
venait accroître les embarras, lui attribua aussitôt une pension de 2.500
livres par jour et entreprit même de la réconcilier avec Louis XIII. Celui-ci
s'en rapporta, de l'opportunité de cette mesure, aux membres du conseil, qui
déclarèrent, d'une voix unanime, que le roi ne pouvait prendre aucune
résolution sur ce qui regardait sa mère avant que l'établissement d'une bonne
paix l'eût mis dans le cas de moins soupçonner les intentions de cette
princesse, dont on savait les liaisons avec les ennemis de l'État. Malgré
cette nouvelle sentence d'exil, dont les meilleures raisons, avait dit
l'un des conseillers, ne peuvent être données qu'à l'oreille du maître,
Marie ne se lassa point de faire des offres de soumission à Richelieu et des
vœux pour ceux qui voulaient le renverser. La haine du papisme la chassa de
Londres ; mais, abandonnée par l'Espagne qui lui ferma les Pays-Bas, elle ne
trouva de pays ouvert que l'électorat de Cologne. Elle y résidait depuis neuf
mois environ lorsqu'elle termina sa misérable vie dans l'abandon et le
dénuement. Richelieu
ne devait pas survivre longtemps à ses deux dernières victimes : on le ramena
pourtant à Paris, en bateau, et il se fit conduire, le lendemain même, à sa
maison de Rueil, où il se tint renfermé pendant six semaines, attendant
toujours le roi, qui ne parais, t pas ; presque moribond, il craignait encore
d'être assassiné ou empoisonné. Son dernier acte fut une déclaration au roi,
relatant tous les méfaits et toutes les trahisons du duc d'Orléans, depuis jeunesse,
et concluant néanmoins au pardon du coupable. Le cardinal, dont la faiblesse
augmentait d'heure en heure, s'était mis au lit le 1er décembre, avec un
violent accès de fièvre : il envoya prévenir le roi de se hâter, s'il
désirait le voir encore. Le roi vint le lendemain sans empressement, sans
émotion ; le mourant lui dit adieu, en déclarant d'une voix ferme et
respectueuse, qu'il quittait la vie avec la
satisfaction de n'avoir jamais desservi le roi, et de laisser son Estat en un
haut point, et tous ses ennemis abattus. Puis, il fit appeler le curé de Saint-Eustache,
sa paroisse, qui lui apporta le viatique ; jusqu'au dernier moment il
conserva son courage et sa force d'âme. Le jour suivant, le roi revint le voir, et l'agonisant se ranima pour s'entretenir avec lui pendant une heure. Il ne mourut que le 4 décembre 1642, entouré de sa famille et de quelques serviteurs. Il léguait au roi le Palais-Cardinal, qu'il avait fait bâtir de 1629 à 1634, ainsi qu'une partie de ses meubles et de sa fortune ; il lui avait légué aussi, en quelque sorte, le successeur qu'il s'était choisi lui-même, en désignant à son choix et à sa confiance celui qui fut le cardinal Mazarin. |