Procès et supplice de
Ravaillac. — Caractère du jeune roi ; son éducation. — Marie de Médicis
proclamée régente par le parlement. — Disgrâce de Sully ; influence des
favoris italiens. — Rébellion des grands. — États généraux de 1614. — Mariage
de Louis XIII. — Arrestation du prince de Condé. — Les Concini. — Faveur de
Luynes. — Meurtre du maréchal d'Ancre ; supplice de Léonora Galigaï. —
Disgrâce de la reine mère.
L'assassin
d'Henri IV se nommait François Ravaillac. C'était
un homme grand et robuste, ayant la barbe rouge, les cheveux noirs et crépus,
les yeux gros et caves, les narines largement ouvertes, en un mot, la
physionomie sinistre. Jeune encore (il n'avait que trente-deux ans), il avait
fait différents métiers sans s'attacher à aucun : d'abord clerc et valet de
chambre chez un conseiller du parlement, il était devenu ensuite solliciteur
de procès, maître d'école, et enfin frère convers chez les Feuillants.
Longtemps détenu pour dettes, il fut tourmenté dans sa prison, disait-il, par
des visions diaboliques, qui laissaient après elles des puanteurs de feu, de soufre et d'encens. Les jésuites, qui l'écartèrent
d'une de leurs maisons où il demandait à être admis, avaient constaté les
égarements de son esprit. Ce désordre mental, qui l'agita durant des années,
tourna peu à peu vers cette idée fixe : sauver Dieu et l'Église des
entreprises ténébreuses d'un prince hérétique. Sans rien dire de ses projets
à personne, pas même à son confesseur, le sombre fanatique partit
d'Angoulême, sa ville natale, le jour de Pâques, après avoir communié, fit la
route à pied jusqu'à Paris, vola un couteau dans une auberge, faute d'argent
pour en acheter un, et tua le roi. Son
forfait accompli, il n'avait pas bougé de place, comme pour faire voir que
c'était lui qui l'avait exécuté. Appréhendé par un archer des gardes du
corps, qui le fouilla, on ne trouva sur lui que trois demi-quarts d'écu et quelques instruments de sorcellerie. Conduit à l'hôtel de Retz,
puis à la conciergerie du Palais, il subit quatre interrogatoires, devant une
commission de la cour du parlement, mais on ne réussit pas à obtenir de lui
d'autres aveux que ceux qu'il avait déjà faits spontanément : il protesta que
jamais il n'aurait conçu la pensée de frapper le roi, si le roi n'avait
entrepris de détrôner le pape ; qu'il ressentait un grand
déplaisir de n'avoir pu résister à la tentation de le tuer et qu'il espérait
le pardon de Dieu, priant toute la cour
céleste de s'interposer entre le jugement de son âme et l'enfer. La torture provisoire qu'on
lui infligea, contrairement à l'usage de ne l'appliquer qu'aux accusés qui
niaient leur crime, ne le fit pas varier dans ses réponses, et l'on se vit
obligé de ne pas le soumettre aux tourments de la question extraordinaire,
dans la crainte qu'il ne fût point en état de
satisfaire au supplice. Le
parlement, toutes les chambres assemblées, rendit son arrêt le 27 mai 1610.
Atteint et convaincu du crime de lèse-majesté divine et humaine, Ravaillac
fut condamné à être tenaillé aux mamelles, bras, cuisses et jambes, et à
avoir la main droite brûlée et le corps tiré à quatre chevaux. En outre, son
père et sa mère devaient être bannis du royaume et tous ses parents
contraints de changer de nom. Le même jour, l'exécution eut lieu, en place de
Grève : elle durait depuis une heure, sans que le patient eût fait entendre
un cri ou une plainte lorsque la foule se rua sur l'échafaud, acheva de
mettre en pièces le moribond et traîna par les rues ses débris ensanglantés,
en le maudissant. Tous les princes, seigneurs, officiers de la couronne et du
conseil assistèrent, des fenêtres de l'hôtel de ville, à cet affreux
spectacle. La mort
du roi laissait la couronne à son fils aîné, un enfant de neuf ans. Le
petit Louis XIII, né le 27 septembre 1601, était sans doute, à certains
points de vue, très avancé pour son âge, et, par suite de l'éducation
désordonnée qu'il avait reçue de toutes mains, pour ainsi dire, au milieu de
ses nourrices, de ses gentilshommes, de ses précepteurs et de ses favoris subalternes,
son esprit se trouvait tout grand ouvert sur les mauvais côtés de la vie et
particulièrement de la vie de cour. On avait développé ses défauts
instinctifs au détriment de ses qualités naturelles, et ce qui pouvait lui
rester de bon dans le cœur, malgré de dangereux conseils et de plus dangereux
exemples, c'était à lui seul qu'il en devait l'initiative. Ainsi, le jour même
de l'assassinat d'Henri IV, quand on le lui eut appris, il pleura et s'écria :
Ah ! si j'y eusse été avec mon épée, je
l'eusse tué (l'assassin) ! Cependant,
comme dit Tallemant des Réaux dans ses Historiettes, il estoit un peu cruel, comme sont la plupart des sournois
qui n'ont guère de cœur...
Il s'est longtemps diverty à contrefaire les
grimaces des mourans.
La sournoiserie et la timidité, l'opiniâtreté et l'insouciance faisaient le
fond de son caractère. Tallemant énumère, en ces termes, ceux qui furent tour
à tour ses premiers favoris : Il commença par
son cocher Saint-Amand à tesmoigner de l'affection à quelqu'un ; ensuite, il
eut de la bonne volonté pour Haran, valet de chiens. Le grand prieur de
Vendosme (fils
naturel d'Henri IV), le commandeur de Souvray
(gouverneur
du dauphin) et Montpouillan la Forest, garçon
d'esprit et de cœur, mais laid et rousseau, furent esloignez l'un après
l'autre par la reyne mère. Enfin, M. de Luynes vint. Le
jeune prince eut de l'attachement pour son père, qui l'aimait tendrement,
mais qui l'avait élevé d'une manière déplorable, en ne faisant que rire de
ses grossièretés et de ses intempérances de langage. Quant à sa mère, qui le
traitait souvent avec une rigueur inflexible, il la craignait beaucoup et ne
l'aimait pas. Il ne manquait ni de finesse ni de malice, mais il était d'une
ignorance que ses précepteurs avaient pris à tâche d'entretenir ; il ne se
plaisait qu'aux exercices de corps et aux travaux manuels. On ne sçauroit quasi conter, dit Tallemant, tous
les beaux mestiers qu'il avoit faits, outre ceux qui concernent la chasse,
comme sonner du cor, faire voler l'oiseau, lancer les chiens, etc. ; car il
sçavoit faire des canons de cuir, des lacets, des filets, des arquebuses, de
la monnoie... Il estoit bon confiturier, bon jardinier. Il dansait bien, et montait à
cheval avec grâce. On eût dit que Marie ne s'était pas souciée d'en faire un
roi. Le
lendemain de la mort de son père, on lui apprenait par cœur le discours qu'il
aurait à prononcer devant le parlement, en séance solennelle, et on lui
présentait Messieurs de la ville, qui vinrent le saluer, genou en terre ; peu de jours après, il était fouetté, par ordre de la
reine régente, et il le fut encore plus d'une fois jusqu'à sa majorité. Henri
IV, ne prévoyant pas sa mort subite, n'avait pris aucune des mesures de
prudence que lui commandait pourtant son prochain départ pour la guerre
longue et pénible qu'il allait entreprendre contre l'Autriche. En un tel
désarroi, le pouvoir semblait s'offrir à qui oserait le saisir, et les
ambitieux ne faisaient pas défaut à la cour. Marie de Médicis, qui se sentait
isolée au milieu de cette cour, où ses sentiments antifrançais lui avaient
aliéné les plus fidèles serviteurs de son époux, perdit d'abord toute
assurance. Hélas ! hélas ! répétait-elle en gémissant, le roi est mort ! ce qui lui attira cette vive réplique de la part
du chancelier de Sillery : Vous vous trompez,
Madame ; en France, le roi ne meurt pas ! La
résolution énergique du duc d'Épernon raffermit le courage de la reine et
conjura les périls du moment : c'était, comme on sait, l'un des anciens
favoris d'Henri III, qui, par un long exercice des plus grandes charges, par
ses biens et ses alliances, s'était fort éloigné de cette origine au moins
frivole. A peine eut-il ramené au Louvre le corps inanimé du roi, qu'il agit
en maitre avec autant d'audace que de prévoyance. En sa qualité de colonel
général de l'infanterie française, il fit mettre en bataille le régiment des
gardes, fermer les portes de la ville et occuper militairement la place de
Grève, le Pont-Neuf et les abords du château du Louvre. Après s'être assuré
de la tranquillité publique en parcourant les rues, où la douleur profonde de
la population n'avait produit aucun symptôme de trouble ni de révolte, il
apparut dans le parlement, qui venait de s'assembler, pour une audience de
relevée, au couvent des Augustins, près du Pont-Neuf. Sur la
nouvelle de la mort du roi, le président Achille de Harlay, l'avocat général
Servin et tous les autres conseillers s'étaient empressés de s'y rendre.
Servin demanda, sans préambule, que le parlement pourvût, ainsi qu'il avoit accoustumé, à la régence ; et, ajouta-t-il, il n'y avoit pas d'incertitude sur la personne qui devoit
estre revestue de cette autorité. On commençait à délibérer, lorsque le duc d'Épernon entra dans
la salle, par une porte intérieure. Refusant de prendre sa place de pair, il
invita brièvement la compagnie à se hâter, et frappant avec la main son épée :
Elle est encore au fourreau, dit-il (s'il faut en
croire le récit de son secrétaire), mais si la reine n'est déclarée
régence à l'heure même, il y aura carnage ce soir ! L'arrêt de régence fut rédigé
et enregistré sur-le-champ. Le
lendemain, 15 mai, un lit de justice consacra d'une manière plus solennelle
le titre de régente, que Marie de Médicis devait à l'audacieuse intervention
du duc d'Épernon, et le petit roi, qui avait accompagné sa mère au parlement,
prononça d'un air délibéré ces paroles apprises le matin : Messieurs, il plu à Dieu appeler à soi notre bon roi, mon
seigneur et père. Je suis demeuré votre roi, comme son fils, par les lois du
royaume. J'espère que Dieu me fera la grâce d'imiter ses vertus et suivre les
bons conseils de mes bons serviteurs. Pour un si grand changement, écrivait Malherbe, il n'y en eut jamais si peu. La soumission fut, en effet, générale et complète
les protestations de fidélité arrivèrent de toutes parts au jeune roi et à la
régente. Princes et seigneurs se turent et s'inclinèrent devant le fait
accompli. Et pourtant ce qui venait de se passer dans l'établissement de la
régence était justement le contraire de ce que le feu roi aurait voulu. L'autorité
royale entre les mains de Marie de Médicis, c'était le règne de la faction espagnole,
représentée par les vieux ligueurs, le duc d'Épernon, les Guise, et les
Italiens qui entouraient la reine. D'un autre côte, les immenses préparatifs
de guerre faits par Henri IV et par Sully inquiétaient le peuple, et cette
expédition imminente, dont les grandes vues lui échappaient totalement, il
l'interprétait de la manière la plus fâcheuse, et se figurait que, sous
prétexte de combattre l'Autriche, cette vieille ennemie de Ta France, l'armée
formidable qu'on avait rassemblée si mystérieusement était destinée à
renverser la papauté et à -relever en Europe la religion protestante. Le
peuple, à cet égard, partageait l'erreur qui avait poussé Ravaillac au
régicide. Il accepta donc avec joie un nouveau règne, qui le délivrait de ses
appréhensions, en mettant à néant une guerre impie et insensée, que la mort
seule d'Henri IV avait pu empêcher. C'est ainsi que, suivant l'expression
énergique de Michelet, la France fut
retournée comme un gant. La
reine mère avait l'esprit fin et rusé, mais étroit et capricieux ; son
éducation avait été très négligée., et rien ne la distinguait, à cet égard,
des femmes les plus ordinaires. Elle était belle, mais sans grâce et sans
charme. Elle était, disait-on, altière, crédule, superstitieuse, défiante et
vindicative ; elle aimait le faste et la pompe, sans avoir le sentiment de la
vraie grandeur. On la louait seulement pour sa discrétion et sa fermeté, qui
n'était que de l'obstination. Quoique exclusivement attachée à ses propres
volontés, elle se laissait toujours diriger par d'obscurs confidents qui la
flattaient pour se rendre maîtres d'elle : au nombre de ces domestiques
tout-puissants, on remarquait malignement trois Italiens, les deux Orsini et
Concino Concini ; ce dernier était un jeune Florentin, bien fait, aimable et spirituel, que le génie de l'astuce et
une audace éhontée avaient poussé à la fortune. Marie
devint bientôt le jouet et la victime des intrigants qui la dominaient. La
régente ne congédia d'abord aucun des ministres d'Henri IV, bien qu'elle ne
les aimât point et qu'elle n'en fût guère aimée. Elle fit bonne mine et bon
accueil, même à Sully, qu'elle déclara tout haut un utile serviteur. Sully, cependant, avait tardé vingt-quatre heures
à faire acte d'obéissance, en sa qualité de premier ministre, et à paraître
au Louvre avec les autres membres du conseil. Il comprenait, avec sa
clairvoyance accoutumée, que la mort de son maître amènerait un changement
qui lui serait fatal, ainsi qu'à ses coreligionnaires. Aussi s'était-il
enfermé dans la Bastille, dont il était gouverneur, avec l'intention d'y
soutenir un siège, au besoin, jusqu'à l'arrivée de son gendre, Henri de
Rohan, et des 6.000 Suisses que ce seigneur huguenot commandait. Dans
les premiers jours de sa régence, la reine donna beaucoup de temps aux
affaires de l'État, travaillant avec ses ministres et recevant en audience
particulière tous les grands officiers de la couronne, avant et après le
conseil. Elle suivait de point en point les avis des Orsini, de Concini
surtout, et ne songeait qu'à s'affermir dans le pouvoir, qu'elle croyait ne
partager avec personne : elle diminua d'un quart le prix du sel ; elle
confirma le fameux édit de Nantes, en tous ses points et articles ; elle
consentit au mariage du duc de Guise avec la duchesse de Joyeuse, veuve du
duc de Montpensier, gagnant ainsi à la fois l'affection du peuple, la confiance
des protestants et l'appui de la famille de Lorraine. Quant à la guerre que
le feu roi allait entreprendre au moment où il fut assassiné, on n'y donna
pas suite, malgré les énormes préparatifs qui étaient faits, et on la
réduisit à une simple campagne de trois mois dans le pays de Juliers, pour
aider les princes allemands à terminer le siège de la capitale de ce duché.
Les grands, jaloux les uns des autres et tous esclaves de leur ambition
personnelle, furent attirés et conquis par des honneurs, des offices, des
sommes d'argent, et chacun dès lors, n'obéissant qu'à ses intérêts
particuliers, se trouva plus ou moins satisfait d'un gouvernement qui commençait
sous des auspices si favorables pour tout le monde. Tout
alla bien jusqu'au sacre de Louis XIII, à Reims (17 octobre 1610), cérémonie où l'enfant royal
joua son rôle fort vertueusement, mais qui fut l'occasion
d'aigres disputes : celle qui s'éleva entre Concini, devenu marquis d'Ancre,
et le vieux duc de Bellegarde divisa la cour en deux factions hostiles ; et,
pour éviter un plus grand éclat, la reine mère se vit obligée de mettre aux
arrêts les deux adversaires. La cour, qui était déjà incertaine et troublée
quand elle avait quitté Paris, y revint très émue et toute brouillée. Les
partis opposés se rapprochèrent cependant pour abattre l'ennemi commun, le
duc de Sully, qui entendait mener les choses en premier ministre, comme par
le passé. Les prodigalités du nouveau règne n'avaient fait qu'aiguiser des
appétits qui se montraient insatiables ; la reine mère, assaillie de demandes
d'argent excessives et incessantes, s'en était remise ad surintendant des
finances pour ce qu'il y avait à faire contre ces avides convoitises, et
celui-ci, fort économe de sa nature, ne se faisait pas faute de ménager
l'épargne qu'il avait eu tant de peine à former pour son bon maître. 11 porta
même, dans ses refus, une dureté, une violence exceptionnelles, jusqu'à venir
accuser en plein conseil les ministres, ses anciens collègues, de s'être
entendus pour ruiner l'État ; il alla jusqu'à les menacer de recourir à
l'intervention du parlement. Sa perte une fois résolue entre tous ceux qu'il
gênait ou qu'il avait offensés, on n'eut pas de peine à persuader à la
régente qu'un gardien du trésor, si jaloux et si despote, était un embarras
continuel pour l'expédition des affaires, en même temps qu'une cause
persistante de haine et de défiance. Le
renvoi du surintendant fut résolu. Sully
lui-même en fournit les moyens, dit Bazin, l'historien du règne de Louis XIII. Depuis quelque temps, il affectait un profond dégoût pour
sa charge des finances, et publiait partout le désir d'en être soulagé. La reine le prit au mot si
soudainement, qu'il fit valoir plus tard cette
précipitation pour
s'excuser de n'avoir pas demandé conseil à ceux de sa religion. Une lettre de
la régente vint le surprendre tout d'un coup (24 janvier 1611) par l'injonction positive de bien penser à ce qu'il vouloit faire, de se résoudre et
d'en donner advis pour qu'on pust y adviser. Le duc n'avait plus rien à faire qu'à se démettre
de ses emplois. Il le fit aussitôt, sans mot dire, par obéissance plus que par élection, suivant son propre aveu, et il
se retira sur les bords de la Loire, dans son château de Sully. Il tomba
seul, du reste, sans entraîner personne dans sa chute, ce qui arrive, fait remarquer Richelieu dans ses Mémoires, à ceux qui, au lieu de posséder les cœurs des hommes par
un procédé obligeant, les contraignent par leur autorité. Marie
retint pour elle, dans la succession de son premier ministre, le gouvernement
de la Bastille, où Sully avait amassé une réserve de 5 millions en or, qui
représentaient plus de 4o millions au taux de la monnaie actuelle.
L'administration des finances fut confiée à un conseil, composé des
présidents Jeannin et de Thou et du marquis de Châteauneuf. Quant à Concini,
qui avait été l'âme du complot contre le ministre favori d'Henri IV, il
demanda et prit tout ce qu'il voulut dans le trésor de la Bastille, et il
continua, avec plus d'effronterie que jamais, le train ordinaire de ses
rapines. La
régence de Marie de Médicis ne dura, en principe, que quatre ans, quoiqu'elle
se soit prolongée, en réalité, plus de deux ans et demi après la majorité du
roi. Cette période fut sans doute une des plus fertiles en intrigues de toute
espèce que présente le dix-septième siècle, et pourtant on ne saurait y
signaler que bien peu de faits importants. Une reine incapable, d'un
caractère passionné et fantasque, des favoris obscurs et insolents, des ministres
sans initiative et sans influence, une cour tumultueuse, affamée de luxe et
de plaisir, le peuple écrasé d'impôts, les protestants inquiets et toujours
en armes, tels sont les principaux traits du triste tableau que nous offre
cette époque, troublée par tant de cabales, de rivalités, d'intrigues et de
mauvaises passions. En
cherchant à maintenir la paix au prix des plus durs sacrifices, la reine mère
avait laissé s'affaiblir le pouvoir entre ses mains et ouvrait le champ à
toutes les prétentions des grands, qui se regardaient comme souverains
absolus dans leurs châteaux et leurs gouvernements. La régente avait beau
ordonner, elle était si mal obéie, que le duc de Rohan garda, malgré elle, la
ville de Saint-Jean d'Angely, occupée par des troupes protestantes, et que le
duc de Nevers s'empara de Mézières à main armée. On semblait revenu au temps
de la féodalité : la Provence appartenait au duc de Guise ; les Montmorency
dominaient dans le Languedoc, les Joyeuse dans le Lyonnais ; la Bourgogne, où
les Gontaut et les Biron avaient essayé de se rendre indépendants, était sous
la main du duc de Mayenne ; la Picardie se trouvait inféodée, en quelque
sorte, aux maisons d'Humières et de Créqui ; dans la Bretagne, les ducs de
Rohan et de Vendôme tenaient en échec le pouvoir royal ; enfin, le prince de
Condé régnait en Guyenne. La monarchie, pour résister à tant d'adversaires,
n'avait à sa disposition que l'alliance de l'Espagne, l'esprit machiavélique
de l'Italien Concini, et le trésor de la Bastille, qui s'épuisait rapidement. Le parti
des princes, se voyant joué par le marquis d'Ancre, quitta la cour, et son
chef, le prince de Condé, publia un manifeste, dans lequel il réclamait,
après des récriminations assez vagues, la convocation des États généraux et
la suspension des mariages royaux projetés et même conclus avec l'Espagne. La
régente eut quelques velléités de résistance belliqueuse ; puis, cédant aux
avis du chancelier de Sillery, elle répondit, par une apologie de sa
conduite, au manifeste de Condé, et consentit à entamer, avec les princes,
des pourparlers qui aboutirent au déplorable traité de Sainte-Ménehould (25 mai 1614). Non seulement elle fit droit
aux demandes de Condé, touchant les États généraux et les mariages projetés,
mais elle donna la ville de Mézières au duc de Nevers et la Bretagne au duc
de Vendôme, avec une pension de 100.000 livres au duc de Longueville ; elle
accorda, en outre 150.000 écus au prince de Condé. Tel fut l'emploi de l'argent qu'on avait
obtenu de la chambre des comptes pour combattre les mécontents. Ceux-ci, avec la plus mauvaise
foi, n'en persistèrent pas moins dans leur rébellion armée. Marie de Médicis eut alors l'inspiration d'agir en reine
: malgré les lâches supplications de Concini et de sa femme, elle
se mit à la tête de quelques milliers de soldats et marcha à la rencontre des
princes, avec son fils : elle ne trouvait partout, sur son passage, que soumission
et dévouement ; la présence du jeune roi éveillait l'enthousiasme des
provinces, qui l'avaient supposé débile et maladif, Cette simple
démonstration de volonté et de force suffit à dissiper les rebelles. A son
retour avec sa mère, Louis XIII fut reçu par les Parisiens comme en triomphe,
et salué prématurément des noms de Pacifique et de Juste ; il ne conserva que
le dernier, avec d'autant plus de satisfaction qu'il avait craint d'être
surnommé le Bègue, à cause de son bégayement incurable. La vieille reine
Marguerite, première femme d'Henri IV, écrivait, à l'occasion de l'entrée
solennelle du jeune roi à Paris : Il est
incroyable combien le roi a crû de corps et d'esprit dans ce voyage ; il
entend, à cette heure, toutes ses affaires et promet de se bien faire obéir.
Il ne fera pas bon de se jouer à lui dorénavant. Le
dernier jour de sa treizième année (27 septembre 1614) le fit sortir de
tutelle ; mais, déclaré majeur (fig. 72), il laissa l'administration à sa
mère, avec sévères défenses à tous sujets
d'entrer en ligues et associations tant au dedans qu'au dehors. Dès les
premiers moments de sa royauté, il allait avoir affaire aux représentants de
la nation, aux États généraux. Ces États devaient être les deniers de
l'ancienne monarchie, avant ceux de 1789 qui la renversèrent. Réunis
à Paris, au couvent des Augustins, le 27 octobre 1614, les États généraux ne
donnèrent pas les résultats qu'on attendait de cette mesure extraordinaire ;
après avoir perdu beaucoup de temps en contestations sur des points de
préséance et d'étiquette, en querelles scandaleuses qui dégénérèrent parfois
en violences, les trois ordres se trouvèrent divisés sur la plupart des
questions. Tandis que la noblesse demandait que les charges ayant titre
d'office, au lieu d'être librement transmissibles, fissent retour au domaine
du roi, qui les distribuerait gratuitement aux plus dignes, le tiers
répondait en demandant la révocation de quatre-vingts commissions qui
grevaient le peuple, la diminution d'un quart de la taille et la suppression
totale des pensions de la noblesse, qui avaient presque doublé en moins de
quatre années. Le clergé formula aussi son vœu de prédilection, en demandant
que les canons du concile de Trente fussent publiés en France, ce qu'il avait
inutilement réclamé depuis soixante ans : les nobles adhérèrent à ce vœu,
mais les gens du tiers état s'y opposèrent, au nom des libertés de l'Église
gallicane. Enfin, après quatre mois de pénibles et inutiles discussions, les
États achevèrent la rédaction de leurs cahiers, au nombre de vingt-quatre, et
les présentèrent au roi (23 février 1615). Ce fut un jeune prélat, Armand de Richelieu,
évêque de Luçon, qui parla le premier, au nom du clergé ; il parla en homme
d'État, et son langage clair, précis et nerveux, produisit une vive
sensation. Robert Miron, prévôt des marchands de Paris, parla pour le tiers
état, à genoux suivant la coutume. La
reine mère avait accordé aux députés la permission de rester à Paris jusqu'à
l'examen complet de leurs cahiers ; mais, le 24 mars, le chancelier leur
déclara que cet examen n'était pas achevé et que le roi, en leur faisant
savoir qu'il consentait à supprimer la vénalité des charges, à établir une
chambre de justice pour la recherche de financiers et à diminuer les
pensions, les invitait à retourner chez eux. Ainsi
les États se terminèrent comme il avoient commencé, dit Richelieu dans ses Mémoires.
La proposition en avoit été faite sous de
spécieux prétextes, sans aucune intention d'en tirer avantage pour le service
du roi et du public, et la conclusion en fut sans fruit, toute cette
assemblée n'ayant eu d'autre effet que de faire voir que ce n'est pas assez
de connoistre les maux, si l'on n'a la volonté d'y remédier. Humiliés
de n'avoir rien fait de vraiment utile et leurrés de promesses qu'on
s'empressa d'oublier, les députés se séparèrent, emportant avec eux,
silencieusement, le droit de libre et
générale discussion,
qu'on leur avait reconnu et qui, deux siècles plus tard, devait être
l'expression de la volonté nationale. Aussitôt brigues et cabales
recommencèrent. Ceux qu'on appelait les princes, Condé, Bouillon, Mayenne,
Longueville, etc., se retirèrent dans leurs gouvernements, à l'exception du
duc de Nevers, l'agent de ce parti à la cour. Ils s'étaient assuré l'appui du
parlement, qui avait fort à cœur de reprendre dans l'État un rôle politique.
Telle fut l'origine de l'arrêt du 28 mars 1615, par lequel les princes, ducs
et pairs et officiers de la couronne étaient convoqués pour délibérer entre
eux sur les affaires publiques. Cet arrêt, attentatoire à la prérogative
royale, ne pouvait servir qu'à provoquer une lutte intestine sans but et sans
issue, comme il ne s'en produisit que trop jusqu'à la majorité de Louis XIV.
Condé saisit l'occasion de lancer un nouveau manifeste, habilement préparé,
dans lequel il déclarait que les États généraux n'avaient pas été libres, et
qu'on ne tenait aucun compte de leurs propositions ni de leurs vœux ; que sa
vie et celle des autres princes n'étaient plus en sûreté ; que Concini, qui
disposait de tout dans l'État, avait gaspillé plus de 6 millions ; que les
protestants se voyaient menacés d'extermination, etc. Il terminait son factum
par une menace, à savoir que si l'on
continuoit à lui refuser les moyens propres à la réformation des désordres,
il seroit contraint d'en venir aux extrémités, par la violence du mal. La
guerre civile se ralluma. Cette
fois, la reine mère, conseillée par les ducs d'Épernon et de Guise, ne recula
pas devant l'emploi de la force. Après avoir déclaré Condé et ses adhérents
criminels de lèse-majesté, elle se rendit à Bordeaux, avec une petite armée,
pour y conclure les deux mariages espagnols. Bien que la révolte se fût
étendue dans les provinces et que le duc de Rohan, voulant marcher sur les
traces de l'amiral de Coligny, eût soulevé les populations protestantes
contre l'autorité royale, on se borna de part et d'autre à de légères
escarmouches. Il y eut cela de singulier dans ce simulacre de guerre civile,
que les deux partis avaient l'air de se chercher sans cesse et ne se
rencontraient pas souvent. Condé, ayant mis en déroute quelques centaines de
recrues de l'armée royale, tira de cette affaire insignifiante la gloire,
qu'on lui contestait, d'être aussi bon aux
traits de plume qu'aux coups d'épée. Bientôt
Marie, à bout de patience, lasse de l'humeur hautaine de d'Épernon, soupirant
après les plaisirs de Paris, manquant d'argent d'ailleurs, prêta l'oreille
aux propositions d'accommodement que lui fit Condé, et les hostilités furent
suspendues. Pendant ce temps-là, le mariage de Louis XIII avec l'infante Anne
d'Autriche, et celui de sa sœur Élisabeth de France avec le prince des
Asturies, qui fut plus tard le roi d'Espagne Philippe IV, avaient été menés à
bonne fin. Ce double mariage eut toutes les péripéties d'un roman. Le roi
était parti de Paris, le 17 août 1615, avec la reine mère, sous la protection
d'un régiment des gardes et d'un corps de vieilles troupes. C'était une
petite armée de 4.000 hommes et de 1.000 chevaux, sans compter le personnel
nombreux des officiers et des domestiques de cour. On n'allait pas vite en
route ; on s'arrêtait, par étapes, pour les repas et pour la couchée ; la
cour vivait au milieu d'un camp mobile. A la moindre alerte, la marquise
d'Ancre, déjà irritée de la mauvaise chère qu'on faisait par les chemins,
suppliait la reine mère de retourner à Paris. Quant au jeune roi, il était
d'une humeur charmante et se plaisait infiniment aux exercices militaires.
Une maladie de la princesse Élisabeth fit perdre un mois à Poitiers ; puis on
parvint à Bordeaux, sans rencontrer l'ennemi. Un autre mois fut passé dans
cette ville, et enfin, le 6 novembre, Madame Élisabeth et l'Infante
partirent, chacune de son côté, l'une de Bordeaux et l'autre d'une ville
d'Espagne, pour arriver simultanément, la première à Saint-Jean de Luz et la
seconde à Fontarabie. Le duc de Guise, accompagné de 1,5oo chevaux et de 4.000
gens de pied, s'était chargé de conduire la princesse française à sa
destination. Philippe III fut beaucoup plus lent à se rendre à Fontarabie,
bien qu'il n'eût à craindre aucune attaque sur sa route. L'échange
des deux princesses eut lieu à la frontière des deux États, sur la Bidassoa. Un
pavillon s'élevait de chaque côté du fleuve, pour mettre les princesses à
l'abri, pendant qu'on ferait les préparatifs nécessaires à leur transport au
milieu de la rivière, où deux autres pavillons avaient été construits,
communiquant l'un à l'autre et destinés à effectuer cet échange de fiancées
entre la France et l'Espagne. On raconte que les Espagnols avaient placé sur
le pavillon de l'Infante une immense couronne royale, surmontée d'un globe
avec une croix ; les Français s'offensèrent de cette orgueilleuse prétention,
et exigèrent l'enlèvement de ce globe et de la croix qu'il portait. L'échange
des princesses devait s'opérer dans la forme prescrite. Par une
belle journée, le 9 novembre, les deux cortèges descendirent, en même temps,
des montagnes opposées dont la Bidassoa baigne le pied : la litière de
l'Infante parut la première, mais ceux qui l'accompagnaient ne voyant pas
vis-à-vis d'eux la litière de Madame Élisabeth, jetèrent de tels cris, dit une relation, que,
si toute l'Espagne eust été perdue, ils n'en eussent pu faire davantage. Les deux escortes, qui
venaient à la rencontre l'une de l'autre, réglèrent de telle sorte leur
marche réciproque, qu'elles arrivèrent ensemble aux pavillons qui attendaient
les deux fiancées sur chaque rive. La même simultanéité de mouvements fut
observée pour l'entrée des princesses dans les deux bacs qui les conduisirent
chacune aux pavillons qui leur étaient destinés au milieu du fleuve, où se
trouvaient déjà deux secrétaires d'État pour la vérification et l'échange des
deux contrats de mariage. Il y eut un court entretien, et les deux fiancées
se séparèrent, l'une entrant en Espagne, l'autre en France, sous l'escorte du
duc de Guise, qui avait amené Madame Élisabeth et qui ramenait l'Infante.
Celle-ci eut, sous les murs de Casteljoux, le spectacle d'une assez chaude
escarmouche entre les troupes royales et les huguenots. Le jeune roi lui
avait fait déjà présenter une lettre de bienvenue par le sieur de Luynes, un de ses plus confidents serviteurs, et dans l'impatience de la
voir, il vint incognito, mêlé à un groupe de cavaliers, se poser sur son
passage. La
bénédiction leur fut donnée à Bordeaux par l'évêque de Saintes (25 novembre). Après
les fêtes et les réjouissances dont les Bordelais se montrèrent prodigues, la
reine mère ordonna le départ, et l'on se mit en route, malgré la mauvaise
saison, avec une petite armée qui protégeait la marche lente et pénible des
coches où la cour s'était entassée pêle-mêle. Le trajet de Bordeaux à Tours
ne dura pas moins de cinq semaines. Les jeunes époux, qui avaient presque le
même âge, à peine quatorze ans, et dont les relations personnelles étaient
des plus cérémonieuses, se reposèrent à Tours, et ne firent leur entrée
solennelle à Paris que le 16 mai 1616. Le voyage de noces de Louis XIII avait
duré neuf mois. Cependant,
une conférence s'était tenue à Loudun, pour négocier la paix entre les
princes et la cour. Pendant ces négociations qui menaçaient de s'éterniser,
un grand nombre de seigneurs se rangèrent du côté des mécontents, pour partager avec eux les bénéfices de la rébellion, et bien
des accords particuliers se firent en dehors du traité de pacification
générale. La reine mère céda sur tous les points : elle distribua plus de 6
millions aux intéressés, congédia le duc d'Épernon, ainsi que les vieux
ministres Jeannin, Sillery et Villeroy, et plaça le prince de Condé à la tête
du conseil, en gardant auprès d'elle ses familiers et surtout le marquis
d'Ancre, nommé maréchal de France (février 1614), sans qu'il eût jamais tiré
l'épée. C'était lui qui avait choisi les nouveaux ministres, des hommes
obscurs qu'il pouvait faire agir à son gré et qui se mirent d'eux-mêmes au
service de son ambition, en l'absence de Condé, qu'on avait beaucoup de peine
à faire revenir à la cour. L'évêque
de Luçon, Armand de Richelieu, devenu l'aumônier de la jeune reine et le
favori de Marie de Médicis, fut pour Concini un conseiller habile et un
auxiliaire dévoué. Il avait été désigné pour l'ambassade d'Espagne, mais il jugea
que sa présence à Paris serait plus utile au maintien de l'autorité de la
reine mère. Il était déjà entré au conseil d'État, et il voulait faire partie
du ministère, pour y tenir tête à Condé, qui refusait toujours d'y venir
occuper sa place. L'évêque alla donc le chercher et eut l'adresse de le
ramener, trois mois après le traité de Loudun, qui l'avait fait premier
ministre. Condé,
à son retour, fut reçu par le peuple de Paris comme un sauveur ; mais, à la
cour, il n'était qu'un ennemi, qui ne dissimulait pas même l'intention de se
poser en maître. Aussi, son hôtel était-il assiégé de courtisans plus que le
Louvre, où sa tyrannie se faisait sentir constamment et sous les formes les
plus intolérables. Un jour, dans la chambre du roi, il s'assit avant d'y être
invité, et resta couvert. Il se donnait des airs de protection avec Louis
XIII, et tellement, que le bruit courait, dans les provinces, qu'il avait en
mains le pouvoir royal. Dans l'entourage de Marie de Médicis, on croyait ou
l'on feignait de croire qu'il n'attendait plus que l'occasion de monter sur
le trône. Sully en fut alarmé, au fond de son château où on l'oubliait, et il
accourut pour offrir ses services à la reine mère, qui lui demanda ce qu'elle
avait à faire : Plût à Dieu, Madame, s'écria-t-il, que vous fussiez dans la campagne, au milieu de 1.200
chevaux ! Le remède
au mal semblait présenter trop de dangers, surtout au sortir d'une guerre
civile et contre un adversaire qui avait pour lui le peuple et une partie de
la noblesse. On s'en
tint à une résolution plus hardie, que l'évêque de Luçon avait suggérée à la
reine mère et qu'elle fit adopter par Louis XIII, impatient de se soustraire
à l'arrogante domination du prince de Condé : il s'agissait d'arrêter ce
prince et de l'enfermer dans une prison d'État. Le 1er septembre, à l'issue
du conseil, Condé, suivant l'usage, se rendit chez la reine le roi, qui
venait d'armer de sa main les conjurés en leur distribuant des pertuisanes,
vint à sa rencontre, lui proposa de partir avec lui pour la chasse et
s'éloigna tout à coup. Au moment même, M. de Thémines, accompagné de ses deux
fils, parut et arrêta le prince, qui n'essaya pas de résister : on le
conduisit sur-le-champ au château de Vincennes. Cette
arrestation imprévue déconcerta les amis du prince de Condé : ils se hâtèrent
de sortir de Paris, mais aucun d'eux ne tenta de courir aux armes. Seule, la
princesse douairière de Condé essaya de soulever le peuple, en criant par les
rues que son fils avait été tué par le maréchal d'Ancre. Concini était en
horreur aux Parisiens, qui ne lui pardonnaient pas sa fortune insolente et
qui le chargeaient volontiers de toutes les iniquités. Une foule furieuse se
porta sur le superbe hôtel qu'il avait fait bâtir dans la rue de Tournon, à
côté du palais du Luxembourg, où résidait la reine mère : l'hôtel fut livré
au pillage et à moitié détruit. Le soir même, l'ordre était rétabli dans
Paris, et M. de Thémines recevait sa récompense : une gratification de 100.000
écus et le bâton de maréchal de France. Richelieu
ne fut pas oublié : il prit la place du prince de Condé au conseil, en
qualité de secrétaire d'État de la guerre et des affaires étrangères (25 novembre), et l'ambassadeur d'Espagne
écrivait à son gouvernement, en annonçant la nomination de Richelieu, qu'il
n'y avait pas meilleur que lui en France pour
le service de Dieu de la couronne d'Espagne et du bien public. Cet ambassadeur se faisait
illusion sur le caractère et sur les desseins de l'évêque de Luçon, qui, dès
son entrée aux affaires, reprit la pensée et le langage d'Henri IV contre
l'Espagne, nonobstant ses rapports journaliers avec la reine mère et la jeune
reine, avec l'appui déclaré du maréchal d'Ancre ; ses premières instructions,
adressées aux envoyés de France en Allemagne, en Angleterre et en Italie,
prouvaient assez qu'il n'entendait pas se faire le complaisant de la
politique espagnole. Condé
prisonnier, les princes allaient rallumer la guerre civile, mais le maréchal
d'Ancre mettait sur pied trois armées royales, qui devaient opérer à la fois
en Picardie, en Champagne et dans le Nivernais, tandis que Richelieu faisait
publier à Paris quantité de pamphlets mordants et de factums vigoureux, dans
lesquels on n'épargnait pas la turbulence, l'avidité et la mauvaise foi des
princes révoltés. Les hostilités commencèrent avec avantage pour l'armée
royale contre les ducs de Nevers, de Vendôme, de Bouillon et de Mayenne, pour empescher, disait une déclaration du roi, l'établissement
d'une tyrannie particulière dans chaque province. Mais on pouvait prévoir que la
nouvelle révolte des princes et des grands serait longue et difficile à
réprimer, quoique les huguenots n'eussent pas encore pris les armes. Déjà,
le roi prenait ombrage et s'irritait de la suprématie despotique et
impérieuse que le maréchal d'Ancre s'arrogeait- dans les choses du
gouvernement, depuis que cet ancien favori de la reine mère avait pris la
direction de la guerre contre les princes, avec l'assentiment de l'évêque de
Luçon, qui, se bornant à dominer dans le conseil dont il était l'âme, était
resté attaché à la fortune de Concini. Celui-ci avait épousé Léonora Dori,
dite Galigaï, qui avait été sœur de lait de Marie de Médicis et son ancienne
femme de chambre, avant de devenir sa favorite, sa confidente et presque son
amie. Cette petite Florentine, presque laide à force de maigreur, malgré la
beauté de ses traits, passait pour une femme de tête, plus astucieuse
qu'intelligente, capable pourtant d'acquérir une grande influence sur un
esprit faible, capricieux et indécis. Elle eut donc une part considérable
dans l'avancement de son mari, qui, parti de très bas, comme il ne craignait
pas de l'avouer lui-même, était devenu marquis d'Ancre, maréchal de France,
gouverneur de Normandie, riche à plusieurs millions, et maître absolu des
volontés de la reine mère. Au
reste, Concini n'était pas sans mérite, au dire du maréchal d'Estrées : il
avait du jugement, un cœur généreux, de l'esprit et quelque bravoure ;
flatteur, séduisant, d'agréable tournure, de belle humeur et abondant en
saillies, il n'avait 'pas eu de peine à gagner le cœur de la reine mère,
auprès de laquelle il s'était glissé sous le titre équivoque de cavalier
servant. Personne mieux que lui ne savait imaginer un divertissement, ni
organiser les spectacles, les jeux, les carrousels (fig. 78), où il brillait
entre tous par son adresse et par son grand air. Il en était venu à mépriser
les princes et à leur faire sentir son mépris, et, en cela, comme
le dit Tallemant, il n'avoit pas grand tort ; mais son orgueil, son
insolence, son faste et sa cupidité lui firent des ennemis puissants, qui
finirent par le perdre dans l’esprit du roi. Quant à
la haine populaire, elle ne s'était que trop manifestée lors du pillage de
son hôtel, pillage exécuté en manière de représailles, sous l'inspiration
d'un cordonnier nommé Picard, qu'il avait fait rouer de coups. Le sentiment
de cette aversion générale qu'il inspirait le faisait incliner à la retraite,
et il songeait à offrir au pape Paul V un don de 600.000 écus pour obtenir la
cession en usufruit du duché de Ferrare ; mais il dut céder devant la
résistance de sa femme, plus aheurtée que
jamais, et répondant
à toute objection que ce serait lâcheté et ingratitude d'abandonner leur
bienfaitrice. Le
maréchal d'Ancre avait pressenti qu'un rival, plus redoutable que tous ses
ennemis, tramait secrètement sa perte. Ce rival était le nouveau favori de
Louis XIII, comme Concini avait été celui de la reine mère. Charles
d'Albert, sieur de Luynes, parti de plus bas encore que Concini, n'était pas
moins ambitieux que lui. Attaché d'abord, en qualité de valet de fauconnerie,
à la personne du dauphin tout enfant, il se fit une position par son habileté
à dresser des faucons et des pies-grièches pour la chasse au vol. Le petit
prince, dont la chasse fut la première et peut-être l'unique passion, voulut
qu'on créât pour Luynes la charge bizarre de maître de la volerie du cabinet.
Depuis la majorité du roi, Luynes avait demandé et obtenu d'autres emplois
plus honorables et plus lucratifs. En moins de deux ans, il devint capitaine
du Louvre, conseiller d'État, capitaine des gentilshommes ordinaires, grand
fauconnier de France et gouverneur du château d'Amboise. Sa fortune était
déjà grande, moins grande pourtant que son avidité. On lui supposait à tort
trop peu d'esprit pour être jamais dangereux, et quand ce favori du roi
inspira de l'ombrage à Concini, qui avait servi lui-même à le pousser dans le
chemin de la faveur, il était trop tard pour l'éloigner ou le renverser :
Luynes s'était emparé absolument de la confiance de Louis, qui ne pouvait
plus se passer de lui et qui le tenait à toute heure dans l'intimité la plus
familière. C'est
ainsi que Luynes, ayant à sa discrétion l'oreille et le cœur du roi,
travaillait sans cesse à le tourner contre sa mère, et à lui inspirer des
craintes au sujet des intrigues et des complots de Concini. Celui-ci, en
effet, depuis la dernière prise d'armes des princes, n'avait que trop aide, à
son insu, la perfide manœuvre de Luynes, en ne permettant pas au roi de
sortir de Paris pour aller chasser à Saint-Germain ou à Fontainebleau, car il
redoutait une tentative d'enlèvement de la personne royale par les rebelles,
et il avait fait comprendre à la reine mère qu'elle devait veiller sur son
fils et le garder à vue jusqu'à la fin de la guerre civile. Louis s'indignait
donc de se voir, en quelque sorte, captif dans le Louvre et forcé de borner
ses divertissements aux promenades, aux jeux et aux semblants de chasse qu'on
lui laissait faire dans le jardin des Tuileries. Luynes ne cessait de lui
répéter que le Louvre était une prison où sa mère et le maréchal d'Ancre le
retenaient pour prolonger son enfance et leur autorité. Louis
XIII, qui avait conspiré avec sa mère, l'évêque de Luçon et le maréchal
d'Ancre, contre le prince de Condé, n'hésita pas à conspirer contre le
maréchal d'Ancre avec Luynes et les gentilshommes de son entourage. Il fut
convenu qu'on tuerait le maréchal. Le roi, âgé de quinze ans et demi,
n'ignora aucun détail du complot et choisit lui-même le lieu du guet-apens
dans lequel le malheureux Concini devait périr. Le baron de Vitry, capitaine
des gardes, chargé d'exécuter l'assassinat, reçut
agréablement la proposition, et appela son frère du Hallier, son beau-frère et d'autres
aventuriers pour lui prêter main-forte. Le 24
avril 1617, à dix heures du matin, le maréchal d'Ancre se rendit au Louvre,
pour voir la reine mère. Il était accompagné de cinquante à soixante
personnes, qui la plupart le précédaient. Au moment où il mettait le pied sur
le pont dormant attenant au pont-levis, Vitry et ses complices, qui
attendaient son arrivée dans la salle des Suisses, vinrent à sa rencontre ;
Vitry lui posa la main sur le bras, en disant brusquement : Le roi m'a donné l'ordre de me saisir de votre personne. — Moi !
s'écria en italien Concini, qui voulut tirer son épée. Aussitôt cinq coups de
pistolet furent tirés à bout portant, et l'atteignirent sans le tuer ; il
tomba sur les genoux, et Vitry le renversant d'un coup de pied, on l'eut
bientôt achevé. Les meurtriers se précipitèrent alors sur son corps criblé de
blessures et le dépouillèrent de ses habits, de ses bijoux et des valeurs
considérables en billets de banque italienne qu'il avait toujours dans ses
poches. Aux
cris de Vire le roi ! qu'ils poussaient en agitant leurs épées et leurs
poignards teints de sang, Louis XIII parut tout joyeux à une fenêtre entre
les bras du comte d'Ornano, colonel des Corses, et leur cria : Grand merci à vous, mes amis ! Maintenant, je suis roi ! Pendant
tout le jour, le Louvre ne désemplit pas de gens qui venaient complimenter le
roi de cette action héroïque. Le soir, dans la chambre de Louis XIII, on
partagea le butin, c'est-à-dire les charges, les gouvernements, les domaines
et l'argent, qui composaient la succession de Concini et de sa femme ; Luynes
en eut la plus grosse part, et Vitry hérita du bâton de maréchal qui lui
avait été promis. Ce même soir, le cadavre de Concini, qu'on avait caché
presque nu dans le coin d'un jeu de, paume, fut porté à Saint-Germain
l'Auxerrois (fig. 8o) et descendu dans une fosse, avec la bière vide qu'on
mit par-dessus lui, sans même le couvrir d'un linceul. Le lendemain matin, la
populace envahit l'église, déterra le corps et le traîna par les ruisseaux
jusqu'au Pont-Neuf, où on le pendit par les pieds à une des potences qu'il
avait fait dresser pour effrayer ceux qui parlaient mal de lui. Ensuite, on
le coupa par morceaux qu'on brûla ou qu'on jeta dans la rivière. La reine mère avait entendu de
son lit les coups de pistolet, dit Bazin, et une de ses femmes
ayant ouvert une fenêtre pour savoir d'où venait ce bruit, avait appris, de
Vitry lui-même, ce qu'il venait de faire. Dès lors, elle se tint en quelque
sorte pour condamnée et se résigna. Elle ne bougea de ses appartements, pendant qu'on arrêtait et
qu'on mettait à la Bastille plusieurs de ses agents et de ses domestiques
: elle gémissait et maudissait son fils, mais elle eut bientôt pris
son parti, quand elle sut que son conseiller favori, l'évêque de Luçon,
n'avait été l'objet d'aucune violence ni d'aucune insulte.
Elle résolut de ne pas se compromettre en essayant de défendre la mémoire du
maréchal d'Ancre, et quand la femme de ce malheureux, abandonnée de tout le
monde, espérait trouver auprès d'elle un appui, on refusa durement de la
recevoir. La
pauvre Galigaï se cacha dans son lit, avec l'or et les pierreries qu'elle
aurait pu emporter, mais les meurtriers de son mari vinrent l'y chercher, et
lui enlevèrent tout ce qu'elle possédait, sans toutefois attenter à sa vie.
On la retint enfermée dix jours, avant de la conduire à la Bastille. Son
fils, un enfant de neuf ans, serait mort de faim et de mauvais traitements,
si un écuyer de la jeune reine n'en avait eu pitié. Anne d'Autriche, sachant
que cet enfant avait été recueilli par un de ses écuyers, désira le voir, lui
donna des friandises et lui fit danser un branle devant elle ; mais l'intérêt
qu'il avait d'abord inspiré ne dura pas longtemps, car, pour se défaire de
lui, on l'envoya en prison, où il mourut de misère. Une
commission extraordinaire étant nommée dans le parlement pour juger la
marquise d'Ancre, on la transféra de la Bastille à la Conciergerie (11 mai). Elle était dans un tel
dénuement qu'elle manquait de linge et d'argent, avant que son procès fût
commencé. Accusée de crime de lèse-majesté et d'intelligence avec l'étranger,
elle eut aussi à se défendre contre une accusation de magie et de sorcellerie,
à laquelle avaient donné prise quelques pratiques de superstition italienne.
Elle répondit, avec beaucoup de raison et de calme, à ses juges, sur les
faits d'impiété qu'on lui attribuait, et elle se défendit d'avoir participé
aux actes politiques qu'on reprochait au maréchal d'Ancre. Il n'y avait pas
matière à condamnation ; un des juges se récusa, cinq autres refusèrent de
délibérer. L'avocat général le Bret conclut à la mort, sur l'assurance, dit Richelieu dans ses Mémoires, que la grâce suivrait le jugement. L'arrêt
condamnait la mémoire de Concini à perpétuité, et ordonnait que sa veuve
aurait la tête tranchée en place de Grève ; leurs biens devaient être
confisqués et réunis à la couronne, leur maison rasée, leur fils déchu de
noblesse et incapable d'exercer aucun office. Après un instant de
défaillance, la maréchale d'Ancre se montra fort
assurée, et ce fut
avec autant de fermeté que de résignation qu'elle marcha au supplice. En
regardant l'immense foule qui accourait sur son passage, elle s'écria : Que de peuple, pour voir une pauvre affligée ! Sur l'échafaud, elle se
recommanda à la miséricorde des assistants et réclama leurs prières (26 juillet
1617). Louis XIII avait à plusieurs reprises refusé de voir sa mère, qui le suppliait de lui donner audience ; il lui fit répondre durement qu'elle trouveroit toujours en lui les sentiments d'un bon fils, mais que Dieu l'ayant fait roi, il voulait gouverner lui-même son royaume. Humiliée et indignée de l'abandon où on la laissait dans le Louvre, elle demanda la permission de se retirer à Blois (3 mai 1618). C'était partir pour l'exil ; mais l'évêque de Luçon, à qui l'on n'avait pas ôté son titre de secrétaire d'État, en changeant tous les ministres, ne tarda pas à la rejoindre pour l'encourager et la soutenir, pendant la faveur de Luynes, qui allait gouverner le roi et la France. |