LE MOYEN-ÂGE ET LA RENAISSANCE

TROISIÈME PARTIE. — BEAUX-ARTS

 

PEINTURE SUR VERRE, MOSAÏQUE, ÉMAUX.

 

 

L'ART de fabriquer le verre et de le colorer fut en usage chez tous les peuples civilisés de l'antiquité. Si on étudie les divers fragments de cette matière si fragile qui ont pu arriver jusqu'à nous, si on tient compte des ornements si variés dont ils sont chargés, même des figures humaines que quelques-uns d'entre eux représentent, il paraîtra, ce nous semble, difficile de ne pas admettre que les anciens ont également connu les moyens de marier le verre avec la peinture. N'oublions pas surtout que, s'ils n'ont pas produit ce qu'on appelle de nos jours des vitraux, c'est par la très-bonne raison que les anciens n'avaient pas toujours eu l'usage de clore les fenêtres de leurs habitations, avec le verre. On en a cependant retrouvé, aux fenêtres des maisons exhumées à Pompéi. Nous nous contenterons de rappeler encore que, parmi les verreries anciennes qui ont eu le plus de réputation, il faut compter celles d'Égypte ; nos musées en conservent de nombreux et beaux fragments. L'Egypte, qui fit de très-beaux émaux et des mosaïques, imita les pierres précieuses avec un grand succès, notamment dans la fabrication des célèbres vases murrhins. La ville d'Alexandrie a conservé sa réputation pour les produits de ce genre, durant la domination des Arabes jusqu'à une époque presque moderne. Probablement, elle transmit cet art à l'Europe ; car on voit, par les ouvrages de l'encyclopédiste Pline, que la Gaule et l'Espagne pratiquaient déjà de son temps la verrerie et avaient même acquis une certaine renommée pour la fabrication du verre. On l'employait surtout alors à faire de la Mosaïque ; car il ne paraît pas que l'usage de clore les fenêtres des habitations, des temples ou des églises, avec cette matière transparente, soit antérieur au milieu du troisième siècle. Les textes des ouvrages du Juif Philon et du poète Lactance ne parlent point encore de verre ainsi employé ; il faut arriver aux temps de saint Jean Chrysostome et de saint Jérôme (quatrième siècle), pour constater d'une manière bien positive l'usage des vitres dans les édifices.

Mais, au sixième siècle, Grégoire de Tours raconte, avec toute la naïveté du chroniqueur, l'histoire d'un soldat qui brisa la fenêtre vitrée de l'église Saint-Julien de Brioude, pour s'y introduire clandestinement et y commettre divers sacrilèges. Lorsque ce saint évêque entreprit la reconstruction de l'église Saint Martin de Tours, il eut soin d'enclore les fenêtres avec du verre de couleurs variées. Vers le même temps, Fortunat, évêque de Poitiers, célébrait en termes pompeux l'éclat de la verrière de l'église de Paris. D'après une note de Lacurne de Sainte Palaye, insérée dans son Glossaire manuscrit des antiquités françaises, au mot VITRES, et d'après les savantes recherches de Foncemagne sur les rois de France de la première race, on voit que l'église bâtie par Childebert en l'honneur de la sainte Croix et de saint Vincent, à Paris, était fermée avec des vitres, et qu'il en était de même des églises de Lyon et de Saint-Sulpice de Bourges. Enfin, la basilique de Sainte-Sophie, reconstruite par l'empereur Justinien, avait aussi des fenêtres fermées par des verres de couleur ; c'est Ducange qui nous l'apprend dans son ouvrage De Constantinopoli christiana ; et Paul le Silentiaire ne trouve pas d'assez belles expressions pour rendre l'effet merveilleux des premiers rayons du soleil sur cet assemblage de verres si diversement colorés.

Nous serions assez disposé à croire aussi que l'Orient donna toujours au verre des teintes plus brillantes, plus pures et plus vives que celles que l'on pouvait produire, aux mêmes époques, en Europe. Cela résulterait pour nous de l'examen des fragments de verres teints, provenant de celle dernière origine, comparés avec la belle coupe assanide en or, incrustée de petits disques de verres colorés sertis d'or et de cristaux taillés, dont on fixe l'antiquité au sixième siècle et qui est conservée au Cabinet des antiques de la Bibliothèque Nationale de Paris, après avoir autrefois fait partie du trésor de l'abbaye Saint-Denis.

En l'année 655, le cloître de Jumièges fut vitré, par ordre de saint Philibert. Le vénérable Bède nous apprend aussi qu'en 680 l'abbé de Wearmouth vint chercher des ouvriers verriers en France, parce que la verrerie était encore inconnue en Angleterre, et Foncemagne nous donne de savants détails sur l'introduction de cet art, par des Français, sur le sol britannique ; mais le verre était encore peu répandu chez nos voisins à la fin du septième siècle, puisque Wilfrid, évêque d'York, parle de fenêtres d'église, les unes garnies avec des lames de pierres transparentes, les autres avec du verre.

Au huitième siècle, la basilique de Saint-Jean de Latran et l'église de Saint-Pierre à Rome, au dire d'Anastase le Bibliothécaire, avaient des verrières de couleur dignes de remarque. Charlemagne ne négligea pas ce genre d'ornements dans le temple chrétien qu'il fit ériger à Aix la-Chapelle. Dès ce temps-là, le verre, comme clôture de fenêtres, devint d'un usage presque général.

Nous l'avons vu passer de l'Orient en Europe, pénétrer en Auvergne, en Touraine, à Paris, en Normandie, s'introduire en Angleterre et en Italie. Ce fut aussi vers le milieu du neuvième siècle, que les apôtres chrétiens de la Suède et du Danemark (saint Anchaire et saint Rembert) le portèrent dans le nord de l'Europe. On ne savait cependant encore fabriquer que de petites pièces, habituellement rondes et désignées sous le nom de cives, dont l'assemblage, au moyen de réseaux de plâtre, de châssis en bois, ou de lames de plomb, servait à fermer les fenêtres des édifices. Cette matière étant alors fort chère, les riches constructions pouvaient seules être closes ainsi.

Aucun des écrivains chrétiens cités précédemment, aucun historien n'ayant parlé de vitraux, représentant, soit des ornements, soit des personnages, soit des objets quelconques pris dans la nature, on a voulu établir deux catégories de vitraux, savoir : ceux qui ne sont que teints d'une manière uniforme, et ceux sur lesquels, à une époque plus récente, on aurait peint des sujets variés à l'aide de couleurs métalliques qui s'incorporaient au verre par l'action du feu. Il nous paraît, toutefois, que, si l'on a pour argument en faveur des verres teints l'absence des ornements ou des sujets, à une époque si reculée, un tel argument ne peut être invoqué pour une époque postérieure.

Dans le chapitre MINIATURES DES MANUSCRITS, nous avons indiqué, en effet, qu'avant le règne de Charlemagne, la peinture avait tellement dégénéré, que l'on ne pouvait retrouver que quelques ornements employés dans les lettres majuscules, et encore devait-on plutôt les attribuer à des calligraphes qu'à des artistes peintres, car il est impossible de voir un dessin plus incorrect, plus lourd et plus disgracieux. A la fin du huitième siècle, le progrès de la peinture n'était pas encore très-sensible.

Qu'avait produit jusqu'alors la peinture murale du Moyen Age ? Paul Diacre nous dit bien que, dès le sixième siècle, la reine Teudebinde avait fait peindre les prouesses des premiers rois lombards sur les murs de la basilique qu'elle avait élevée à Monza ; mais nous ignorons quel était le degré de décadence où se trouvait cet art et si ces peintures ressemblaient tant soit peu à celles du Virgile manuscrit du Vatican, exécutées un siècle auparavant. On doit reconnaître que les artistes peintres devaient être alors aussi inhabiles que peu nombreux. Ajoutez à cet état de choses les ravages que causèrent, dans les contrées où restaient encore quelques traditions de la civilisation ancienne, les Goths, les Vandales, et l'apparition de la secte des iconoclastes, si fatale aux beaux-arts, et il sera difficile de ne pas croire que, dans ces temps de barbarie, les artistes peintres devaient être en petit nombre, peu encouragés et peu habiles. Si la peinture murale continua de se produire par quelques monuments qui existent encore aujourd'hui dans l'église Sainte-Cécile à Rome et à Santa-Maria della Scala à Milan, par exemple, c'est que l'on eut recours, en ces temps-là (817), à des architectes étrangers et que l'on appela ceux que la Grèce possédait encore : aussi, composèrent-ils des figures longues, roides comme des colonnes, isolées ou placées symétriquement ; on n'y voit ni groupes, ni composition, ni perspective ; c'est la grandeur matérielle qui rend l'idée de la supériorité d'un personnage ; ce sont tous les caractères qui annoncent enfin un état d'enfance ou de décadence complète. (Voyez le chapitre PEINTURE MURALE.) Si la peinture murale, si les miniatures des manuscrits ne contiennent que des ornements et des peintures grossières, œuvres d'artistes grecs, il n'est pas étonnant que le verre, dont on se servait très-peu dans les usages habituels de la vie, ne fût pas encore décoré de figures ou d'ornements peints.

Quant à la Mosaïque, soit en marbre, soit en verre de couleur, Martial, Lucrèce et d'autres écrivains célèbres la mentionnent dans leurs ouvrages, et il serait facile de remonter, même par les monuments encore existants dans les musées, à une plus haute antiquité. On attribue, en effet, à la Grèce ancienne, le premier usage d'orner de Mosaïque en verre de couleur les pavés des temples ; mais on a trouvé des débris semblables plus anciens, en Egypte. Les Romains, à diverses époques, se servirent du verre pour décorer les voûtes et les pavés de leurs édifices ; ils en revêtirent aussi les colonnes et les murs. On cite, entre autres, un verre noir de jais, du plus bel effet pour ce dernier genre de décoration. Enfin, la peinture en Mosaïque atteignit dans l'antiquité tout le perfectionnement que l'on pouvait espérer de cet art. Millin, dans ses savantes dissertations et notamment dans la Description de la Mosaïque scénique du musée Pio-Clémentin, à Rome, nous donne de curieux détails sur les anciens monuments de ce genre. M. le comte de Laborde, dans la description d'un pavé mosaïque trouvé près de Séville, et après lui, Artaud, conservateur du musée de Lyon, Fougerou de Bondaron et Leviel ont aussi décrit des monuments analogues ; mais il n'en est pas moins établi que les mosaïques anciennes, représentant des sujets empruntés au culte chrétien, sont peu nombreuses et appartiennent, en général, à des époques relativement peu anciennes. Pline nous dit cependant que les Goths connurent et pratiquèrent la Mosaïque en verre, nécessairement à l'imitation des Romains.

On a attribué l'usage d'employer le verre teint dans les mosaïques, à la rareté des marbres de couleur ; car on réduisait alors ce verre à de petites pièces de rapport, taillées en cube, que l'on incrustait sur un fond de ciment, après avoir combiné un dessin de fantaisie et avoir ménagé les jours, les ombres et les demi-teintes, qui devaient lui faire produire tout son effet. Ne pourrait-on pas croire aussi que la double agrégation du marbre et du verre fut le résultat d'un perfectionnement dans l'art de faire les mosaïques ; car enfin le verre, que l'on pouvait soumettre par des mélanges métalliques à une grande variété de couleurs diversement nuancées, se prêtait bien plus facilement à des combinaisons artistiques, que le marbre, dont les teintes, étant le résultat des caprices de la nature, ne produisaient pas toutes les nuances dont on pouvait avoir besoin. Aussi, en décrivant la mosaïque découverte il y a quelques années dans le département du Bas-Rhin, M. Hugo, archiviste de ce département et antiquaire aussi habile que zélé, remarque-t-il que le verre de couleur y est employé pour terminer certaines portions du dessin qui demandent des gradations successives ou des nuances que le marbre ne pouvait pas donner, les yeux, par exemple, etc. On croit pouvoir faire remonter ce monument jusqu'au troisième siècle de notre ère. On connaît, en fait de mosaïques de l'art chrétien, des croix, des reliquaires, des tables d'autel et même des mitres d'évêque ; mais il est difficile, sinon impossible, de fixer l'époque de l'exécution de ces monuments, et cela tient surtout au procédé de fabrication ; leur travail est, du reste, assez barbare : il a l'apparence d'une incrustation de pierres, assemblées pour former des ornements plutôt que dans l'intention de composer un sujet figuré. La décadence de cet art avait donc fait de rapides progrès depuis le temps où Sénèque se plaignait que de son temps l'on ne pouvait marcher que sur des pierres précieuses. Mais, si certains sujets du culte chrétien sont représentés par des peintures en mosaïque, on les trouve habituellement mélangés avec des emblèmes du paganisme. Tel est le pavé découvert à Reims et décrit par Spon (Recherches d'antiquités), où l'on trouve figurés les douze signes du zodiaque, les saisons de l'année et le sacrifice d'Abraham. Une autre mosaïque représente le labyrinthe, Thésée, David et Goliath, avec leurs noms. Enfin, il existe un Neptune, avec monogramme chrétien, découvert en Angleterre. Quand des vers accompagnent ces peintures, il faut en regarder le travail comme appartenant aux premiers siècles de l'ère chrétienne.

Il existait des portraits en mosaïque, au cinquième siècle, entre autres celui du roi Théodoric, dans le Forum de Naples, et ce portrait fut l'objet de la vénération des Goths, sujets de Théodoric. Ce roi avait fait représenter, par le même procédé, le baptême de Jésus-Christ, dans une chapelle de l'église de Ravenne. Sidoine Apollinaire, décrivant le luxe excessif de Consentius à Narbonne, parle de portes dorées, de voûtes et de pavements garnis en mosaïque.

Les planches de notre ouvrage donnent une exacte idée des mosaïques qu'on voit encore, à Rome, dans les églises Saint-Laurent, Saint-Clément, Saint-Jean de Latran, San-Georgio-in-Velabro et Ara-Cœli. On sait que le pape Sixte III fit exécuter dans l'église Saint-André une mosaïque représentant le Christ assis sur un trône d'or, couvert de pierreries et entouré d'anges, de prophètes, d'apôtres et des quatre évangélistes. Paul Diacre nous a conservé les vers latins figurés sur une mosaïque qui était au portail du palais de Liutprand. Enfin, Charlemagne employa aussi ce genre d'ornement dans divers temples chrétiens construits par ses ordres et sous son règne.

Si, à cette époque, la peinture des manuscrits, quoique facile, commode et habituelle, représente rarement des personnages et des ornements variés, à plus forte raison la peinture murale et la Mosaïque devaient-elles offrir peu d'exemples de ces représentations figurées. Il n'est donc pas étonnant qu'avant le neuvième siècle le verre, qui n'était pas encore très-commun, n'ait point été employé pour représenter des sujets à personnages. L'idée de se servir des vitres d'un édifice pour éblouir les yeux et frapper l'imagination, en y peignant des sujets qui rappelaient la consécration spéciale d'un monument, n'a pu venir qu'après un usage prolongé du verre pour les fenêtres : or, nous avons vu que cet usage ne commença réellement que vers le quatrième siècle ; et encore, les pierres translucides, le talc et la corne, étaient-ils simultanément employés avec le verre. De l'absence d'un monument du huitième siècle, sur lequel le verre se trouverait orné de véritables peintures exécutées avec des couleurs vitrifiables, il ne faudrait pourtant pas conclure que ce procédé était inconnu, mais plutôt qu'on n'avait pas encore senti l'utilité de l'employer. On se servait seulement de verre teint, divisé en petites plaques de couleurs variées, dont la réunion composait la clôture des fenêtres basses, étroites, et qui représentaient ainsi des dessins plus ou moins harmonieux. N'oublions pas non plus que, jusqu'au douzième siècle, on est obligé d'étudier la Peinture sur verre, non pas d'après des fragments existants, mais simplement dans des textes quelquefois fort obscurs, et plus souvent encore d'après des descriptions accidentelles de l'emploi du verre pendant les premiers siècles du Moyen Age.

Toutefois, l'examen de tous ces textes a été fait il y a quelques années, et avec une remarquable critique, par M. Eugène Bareste, dans une rapide histoire de la Peinture sur verre. (Voyez L’Artiste, année 1837, tom. XIII.) M. Bareste ne s'est pas contenté de se servir des passages des anciens auteurs, cités, soit dans l'ouvrage de P. Leviel, l'Art de peindre sur verre, soit dans les Essais de Langlois ou dans la Dissertation de Béneton de Morange de Peyrins, sur le même sujet ; il a recouru, soit au texte original, soit aux meilleures versions de ces citations et à leurs plus habiles interprètes ; il en a tiré des données plus exactes et plus précises, dont nous nous sommes servi dans notre travail.

On est plus heureux pour l'étude des Émaux, que pour la Mosaïque et pour la Peinture sur verre. Nos musées possèdent des produits de cet art que l'on peut faire remonter aux époques gallo-romaines, et qui sont absolument semblables aux descriptions que les auteurs latins nous en ont données. Les Émaux ayant été d'un usage commun dans l'antiquité, laissons de côté leur histoire originelle, pour ne nous occuper que de ses produits au Moyen Age. On les trouve tantôt sous forme de pâte de verre enchâssée, qu'on nomme ordinairement émail cloisonné, tantôt sous celui de terre enduite d'une couverte tenant plus ou moins de l'émail (voyez le chap. CÉRAMIQUE) ; d'autres fois, ce sont des plaques en métal, dont la surface, creusée à une certaine profondeur, a reçu, par l'action du feu, une couche de matière vitreuse et opaque ; alors ils prennent le nom d'émaux à champlevé. Il y a eu aussi des émaux translucides et des émaux peints ; nous indiquerons successivement les plus importants monuments en ces divers genres et les caractères qui les distinguent. Remarquons seulement que les collections d'Émaux, formées de nos jours, n'ont pas offert un ensemble assez satisfaisant pour produire une classification bien méthodique de ces œuvres d'art ; aussi, considérerons-nous les Émaux plutôt selon leur ordre chronologique, que suivant un mode absolu de classification, auquel on pourrait à chaque instant trouver de nombreuses exceptions.

Les plus anciens Émaux que l'on puisse citer, sans trop sortir du cadre de notre ouvrage, ont une origine gallo-romaine. Ce sont : 1° des fibules ou boutons de vêtement, en bronze émaillé de rouge, de blanc et de bleu, disposés en échiquier ; ils furent trouvés dans des tombeaux ; 2° une plaque, conservée au musée de Poitiers, est en cuivre doré, incrustée d'émaux : ils sont tous absolument semblables, pour le travail, à la description de ceux que l'on fabriquait dans la Gaule septentrionale, au dire de Philostrate, écrivain de la fin du règne de Septime-Sévère (deuxième siècle). Le tombeau de Childéric, à Tournay, nous a conservé une monture d'épée, des abeilles et une plaque de manteau, objets qui présentent des émaux ; mais ils ont aussi tous les caractères de la barbarie des arts au cinquième siècle, et l'émail rouge s'y fait surtout remarquer. Ces premiers monuments de l'art gallo-romain sont conservés au Cabinet des antiques de la Bibliothèque Nationale, ainsi qu'un plateau en or enrichi d'une bordure et d'une croix en émail, que l'on estime de la même antiquité : elle est semblable pour le travail aux émaux de Childéric.

Diverses reliures de manuscrits sont ornées d'émaux dont on peut faire remonter l'âge au septième siècle ; notamment, à la Bibliothèque Nationale de Paris, l'émail du volume latin numéro 1118, dont nous avons publié la description (voyez le chap. MANUSCRITS), et dans lequel on trouve employés le blanc opaque, le bleu clair et le vert semi-translucide.

Le neuvième siècle nous a laissé des monuments plus importants, sur lesquels, du reste, l'artiste émailleur a pu développer toutes les ressources de son art. Ce sont : 1° la couronne de Charlemagne, conservée à Vienne (Autriche), qui, quoique remaniée à plusieurs époques, présente encore des figures émaillées du temps de cet empereur — celle couronne a été souvent décrite et reproduite par la gravure, notamment dans les Monuments français de Willemin — ; 2° l'épée du même monarque, 3° celle de saint Maurice ; 4° en France, la couverture du livre de prières de Charles-le-Chauve, où l'on remarque d'assez élégants émaux ; 5° un boulon de calice, avec des ornements et l'inscription suivante, incrustée : Benedicat nos D S (Deus), en caractères qui ont tout à fait la forme de l'écriture au temps du roi de France Eudes. Ce bouton de calice est une acquisition nouvelle faite par le Cabinet des antiques de la Bibliothèque Nationale. L'Angleterre n'a rien à nous envier en ce genre. L'anneau de l'évêque Ethel Walf, mort en 857, et les bijoux en or avec inscriptions, qui sont conservés dans le musée Ahsmolean, à Oxford, et dont on fixe l'ancienneté à l'année 878, sont de précieux monuments ; on y trouve l'émail cloisonné et l'émail champlevé ; mais ils sont tous opaques, et l'on prétend que les émaux champlevés doivent être regardés comme les plus anciens.

Parmi les émaux du dixième siècle, nous ne pouvons citer que la couverture d'un évangéliaire, manuscrit latin de la Bibliothèque de Munich, numéro 37, à médaillons émaillés assez finement exécutés ; une croix de la collection de Debruge-Duménil, numéro 661, émaillée sur deux faces et portant une inscription grecque ; enfin, le magnifique Saint George, sur cuivre émaillé, appartenant à M. le comte Pourtalès : les détériorations de ce beau monument profitent même à l'étude des moyens employés par les émailleurs, et les inscriptions grecques, dont il est revêtu, en complètent l'importance.

On a voulu contester l'antiquité et l'authenticité d'une crosse de l'évêque de Chartres, Rugenfroi, mort en 960. Les réseaux, d'un très-bon goût, et les scènes de la vie de David, qui y sont représentées, avaient servi de texte aux observations de ceux qui voulaient rajeunir l'époque de sa fabrication ; mais les curieux rapprochements que M. de Longperrier a fait de la forme des costumes guerriers et du travail de la crosse avec la tapisserie de Bayeux, rapprochements qu'il nous a fait connaître dans un bon travail sur les Émaux (Cabinet de l'amateur), laissent peu de doute sur l'âge de cet émail, qu'il faut attribuer à un artiste français, resté tout à fait étranger à l'influence de l'art byzantin, et qui, du reste, a inscrit son nom, ainsi qu'il suit : Frater Willelmus me fecit. Le Musée du Louvre possède également un très-bel émail du dixième siècle ; c'est un travail flamand, au dire de M. Longperrier : il représente saint Levin ; les couleurs verte, blanche et bleue sont les seules qui le composent.

L'art grec, encore assez beau dans les peintures des manuscrits, aurait-il produit les deux médaillons émaillés, d'une très - médiocre exécution, qui sont aussi conservés au Louvre, et sur lesquels M. de Longperrier aurait cru reconnaître deux évangélistes : l'un à épaisse chevelure, à barbe de forme orientale, tenant sofi pallium de la main droite et un livre de la main gauche ; l'autre, jeune, imberbe, la main droite ouverte et portant un volumen dans la gauche ? Nous remarquerons, toutefois, que ce dernier personnage est tout à fait semblable aux représentations du Christ, que l'on retrouve sur plusieurs ivoires ou dans quelques miniatures de la Bibliothèque Nationale, et qu'il nous paraît difficile de reconnaître l'un des quatre évangélistes dans la figure jeune de ce personnage, ainsi que le voudrait M. de Longperrier.

Dès l'année 863, une charte de Charles-le-Chauve nous a conservé deux noms de verriers ; ce sont les plus anciens qui soient arrivés jusqu'à nous : Ragenut et Balderic commencent donc la liste des artistes français en l'art de la verrerie. La charte dont il est ici question contient une donation en faveur de Saint-Amand-en-Pevèle, et elle a été publiée par Dom Martène dans l'Amplissima collectio. Après cette date, l'usage de la Peinture sur verre dut être fréquent, car l'on sait, par le récit de l'historien du Saint Bénigne de Dijon, qu'il existait, de son temps (année 1052), dans cette église, un très-ancien vitrail, représentant sainte Paschasie, que l'on disait provenir de l'ancienne église ; qui avait été restaurée, en effet, par Charles-le-Chauve. L'abbé Didier, moine du Mont-Cassin, nous apprend cependant que, dans la Pouille, on était moins avancé, puisqu'il était obligé d'aller chercher à Constantinople des verriers pour les employer à décorer la salle capitulaire de son abbaye. A-t-il introduit cet art dans la Sicile au Moyen Age, ou contribué seulement à son perfectionnement, en l'envoyant étudier à Constantinople par des hommes qu'il y entretenait à ses frais ? C'est ce qui n'est pas bien établi par les chroniques du temps. L'année 1066, Léon d'Ostie, abbé du Mont-Cassin et un des successeurs de Didier, reconstruisit l'église Saint-Benoît ; or, les fenêtres de cette basilique, qui avaient dix coudées de haut, étaient fermées par des tables de verre, retenues par des plombs et reliées par des traverses en fer.

En France, dès le dixième siècle, les verriers avaient acquis une grande importance ; les ducs souverains de Normandie créèrent déjà des privilèges en leur faveur, et, comme tout privilège se rattachait alors à la caste nobiliaire, ils imaginèrent de les donner à des familles nobles, dont la position de fortune était des plus précaires : de là les gentilshommes verriers. Quatre familles de Normandie obtinrent cette distinction, dès l'origine de sa création, et la conservèrent jusqu'à nos jours ; ce sont les Brossard, les Coqueres, les Vaillant et les Bongard. On les nommait messieurs. Ils ne dérogèrent pas par cette industrie ; leurs privilèges ne conféraient pas la noblesse, et, conformément au proverbe déjà bien ancien, pour faire un gentilhomme verrier, il fallait d'abord prendre un gentilhomme. L'exemple donné par le duc de Normandie fut imité dans d'autres provinces : en Anjou, tout marchand verrier passant près du château du sire de Pocé était obligé de lui offrir la plus belle vitre qu'il possédât, en échange d'un pot de vin, et la confiscation des marchandises menaçait tout homme qui aurait voulu se soustraire à ce droit du seigneur verrier.

Voilà donc la Peinture sur verre en pleine activité, mais s'exerçant aussi d'une autre manière que par l'application au pinceau d'une couleur vitrifiable, procédé réel de la Peinture sur verre. On possède, en effet, d'assez grandes cives coulées sur verre blanc, où l'artiste a peint des empereurs, des impératrices, en grand costume, ou de simples particuliers ; mais, comme la couleur n'était pas destinée à pénétrer dans le verre par l'action du feu et qu'il fallait en assurer la conservation, une seconde cive translucide, mais épaisse, était appliquée sur la peinture ; puis, on les soudait toutes deux par l'action du feu. On voit encore un de ces curieux monuments, dans une montre du Cabinet des antiques (n° 169) de la Bibliothèque Nationale de Paris, et le costume des personnages ne permet pas de lui assigner une plus haute antiquité que le cinquième siècle ; on y lit l'inscription suivante : Jucunde curace zezes. Nous pouvons encore citer un second exemple, d'un travail analogue, appartenant au même Cabinet (n° 171), et qui représente une très-belle tête de pape, avec cette légende : Calistus Pont.

Dès le dixième siècle, en France, la peinture était dans une période de décadence. Elle conservait bien encore quelque habileté dans l'ornementation ; mais l'exécution des personnages, leurs costumes et leurs poses font ressortir l'inhabileté des dessinateurs et des coloristes. Les artistes anglo-saxons, les Visigoths n'étaient pas plus habiles, L'Allemagne faisait seule exception, privilège qu'elle devait à l'asile qu'y avaient trouvé les artistes de Constantinople et de la Grèce, comme le témoigne une très-belle page de l'Évangéliaire de l'empereur Othon III, appartenant aux Bollandistes de Bruxelles : la composition des groupes des lettres IN ne manque pas d'élégance, et la bordure qui les encadre est assez gracieuse ; comme le témoigne encore un autre Évangéliaire du trésor de la cathédrale d'Aix : c'est ce que les artistes allemands ont fait de plus beau dans ce genre.

La Mosaïque avait encore bien plus dégénéré ; l'on s'en servait comme ornement, encore moins que de tout autre objet de luxe. On connaît très-peu de mosaïques exécutées aux dixième et onzième siècles. L'ancienne cathédrale de Lescar en possède une sous le dallage du chœur, exécutée par les ordres de Guido, un de ses évêques, c'est-à-dire au onzième siècle, et sur laquelle on lit encore : Lascurensis episcopus ; mais on a voulu contester l'époque de son exécution. Il en est de même de celle que l'on vient de trouver tout récemment à Pont-d'Oli, dans le département des Basses-Pyrénées. Enfin, les artistes en Mosaïque disparurent presque entièrement de l'Europe ; du moins, en Italie, il n'en existait plus au treizième siècle, puisque la tradition, accréditée par Millin, Alex. de Laborde et autres savants antiquaires, veut qu'André Tafi, vers la fin du treizième siècle, apprit à travailler la Mosaïque, d'un Grec, nommé Apollonius, que l'on avait fait venir pour décorer de mosaïques l'église Saint-Marc de Venise. Encore, les travaux exécutés à cette époque présentaient-ils, sous le rapport du dessin, la plus grande incorrection ; ils manquaient aussi entièrement de goût et de coloris.

Tous les arts prennent un essor nouveau dès le douzième siècle, et sortent enfin de cet état semi-barbare où la crainte de la Fin du monde les avait alors retenus. La foi, ravivée par les prédications d'illustres religieux, réchauffe partout le zèle des chrétiens. Le clergé, déjà enrichi par d'immenses donations faites d'autant plus libéralement que ses donateurs croyaient leur dernier jour plus près d'arriver, trouve encore moyen cependant de faire contribuer les seigneurs à la construction des magnifiques cathédrales, dont les voûtes imposantes s'élèvent à des hauteurs immenses. L'arc -à plein cintre, quoique lourd, sévère et muet, convenait seul à ces masses architecturales, dont les formes, empruntées aux monuments de divers siècles et de divers peuples, furent appropriées aux usages religieux et aux besoins de la grande famille chrétienne, devenue si fervente et si nombreuse au douzième siècle. L'architecture romane appela donc à son secours l'art du verrier, pour compléter l'ensemble de décoration des édifices religieux ; mais l'architecte soumit alors absolument le verrier au plan général de son édifice. Il voulut que la Peinture sur verre contribuât à augmenter l'effet triste el mystérieux de ces constructions sévères ; que la lumière, habilement distribuée, n'arrivât que faible et diaphane aux regards des fidèles qui venaient s'y recueillir ; enfin, que les sujets représentés dans les vitraux rappelassent les glorieuses souffrances des martyrs de la foi.

Dans les vitraux des premières années du douzième siècle, on admire moins les personnages qui y sont figurés, que les effets du dessin et la savante combinaison des couleurs dans les rosaces. Les figures sont ordinairement dessinées par des traits roides et grossiers, sur des verres d'une couleur sombre qui absorbe toute l'expression des têtes. L'ensemble du costume est lourdement drapé ; il écrase par son ampleur le personnage représenté, comme pour l'enfermer dans une longue gaine. C'est là, du reste, le caractère général des monuments de cette époque. En sculpture, voyez la tombe de Clovis, exécutée au douzième siècle, autrefois conservée dans l'abbaye Sainte-Geneviève, et les colonnes de la cathédrale du Mans : exemples frappants du style que l'on retrouve aussi dans la Peinture des manuscrits et des vitraux.

Revenons maintenant aux fragments d'anciens vitraux, qui subsistent encore de nos jours, pour y retrouver l'emploi des mêmes teintes, du même genre d'ornementation, du même caractère de lourdeur, que dans les peintures des manuscrits. Les plus importants monuments de l'art du peintre verrier au douzième siècle sont devenus l'objet des savantes et consciencieuses recherches de M. Ferdinand de Lasteyrie, dans son Histoire de la Peinture sur verre. Aucun ouvrage ne pouvait nous donner des renseignements plus exacts et plus sûrs ; car l'auteur de ces recherches ne s'est pas contenté d'accepter les traditions écrites au sujet des fragments existants, il a voulu les voir et les dessiner lui-même, pour contrôler avec plus de sûreté les traditions écrites en les rapprochant des monuments originaux.

Avant d'indiquer ceux du douzième siècle qu'on voit dans nos églises, nous mentionnerons comme détruits à une époque presque récente : 1° le vitrail de Loroux, en Anjou, représentant les portraits de Foulques V, seigneur de celle province, et de sa femme : ce vitrail était donc antérieur à l'année 1121 ; 20 les douze verrières de l'abbaye de Saint-Denis, représentant l'histoire de Charlemagne et celle de la première croisade, etc., faites du temps de Suger, et reproduites par Montfaucon dans ses Monuments de la monarchie françoise.

En citant dans l'ordre chronologique les monuments de ce genre qui n'ont pas encore disparu, nous recourrons sans cesse à l'excellent travail de M. de Lasteyrie.

1° L'histoire de sainte Catherine et celle de la Vierge sont représentées dans les vitraux de Saint-Maurice d'Angers, aux troisième, quatrième, cinquième et neuvième croisées de la nef de cette église, à gauche et à partir du grand portail ; c'est, en France, le plus ancien monument en verre peint ; la troisième croisée est dans l'état de conservation le plus satisfaisant ; mais les couleurs sont, en général, peu harmonieuses. Les martyres de saint Vincent et de saint Laurent complètent les sujets peints dans ces diverses croisées.

2° L'église Saint-Serge et la chapelle de l'hôpital de la même ville possèdent aussi quelques fragments du douzième siècle, mais ils paraissent indéchiffrables.

3° L'abbaye de Fontevrault garde aussi quelques vitraux du douzième siècle.

4° Ceux de l'église Saint-Pierre de Dreux sont aussi de la même époque : le sujet le plus important est un portrait d'Anne, duchesse de Bretagne.

5° A Saint-Denis, on voit encore, en fait de Peinture sur verre de la même époque, une suite nombreuse et variée de tableaux. On trouve celui de l'abbé Suger, crossé et mitré, représenté aux pieds de la Vierge. L'arbre de Jessé au chevet de l'église et le vitrail de la porte principale appartiennent également au temps de Suger. L'Adoration des mages, l'Annonciation, l'histoire de Moïse et diverses allégories sont les sujets représentés dans la chapelle de la Vierge et dans celles de saint Osmanne et de saint Hilaire. Ce fut l'ouvrage d'un grand nombre d'artistes, que Suger appela de divers pays, pour réunir dans sa basilique ce que l'art pouvait produire de plus beau comme Peinture sur verre. L'habileté de ces artistes se montre partout ; les bordures ne sont pas moins harmonieuses que les tableaux principaux. C'est le monument le plus important et le plus beau de la Peinture sur verre, qui nous soit resté du douzième siècle ; mais ces fenêtres n'existent malheureusement qu'en partie : pendant les temps révolutionnaires, les vitraux qui n'avaient pas été brisés furent portés au Musée des Monuments fi ançais ; on les a rétablis, il y a quelques années, à la place que Suger leur avait assignée, et divers précieux débris furent alors enchâssés dans des restaurations modernes qui n'ont pas été toujours heureuses. Les trois rosaces de l'église de Saint-Denis, qui n'avaient pas été déplacées en 1794, sont les portions les mieux conservées de cet antique vitrail, celles où l'habileté du dessin et l'harmonie des couleurs se montrent dans tout leur éclat.

6° Comme monument de la fin du douzième siècle, nous pouvons indiquer encore divers fragments de la verrière de l'église de la Trinité, à Vendôme ; ceux, entre autres, de la deuxième fenêtre de la galerie supérieure, que l'on dirait copiés sur les verrières de Suger. La Glorification de la Vierge occupe une des croisées du pourtour du chœur : la Vierge y est représentée dans une auréole amendaire. M. de Lasteyrie a cru reconnaître une influence entièrement byzantine dans cette peinture, qui est d'un caractère remarquable. Il pense aussi qu'on y a figuré une Vierge moresque, habillée à la grecque ; qu'il y a dans tous ces vitraux une influence des verriers poitevins ; enfin, que le nimbe amendaire est un symbole mystérieux, exclusivement réservé à la Mère de Dieu. Celte page d'un livre ordinairement si judicieux nous paraît laisser quelque chose à désirer sous le rapport de la critique artistique. Comment pouvoir retrouver, en effet, dans le même fragment de verre, qui, du reste, est dans un état assez fruste, l'art byzantin, l'art moresque, l'art grec et l'art poitevin ? Toutes ces influences réunies sur un morceau de verre, peint au milieu de la France et au douzième siècle !

Nous ne saurions rien trouver de moresque dans cette Vierge brune, maigre, drapée d'un long vêtement blanc. Cette manière de représenter la Mère de Dieu est fort habituelle dans les peintures des manuscrits ; nous citerons, entre autres, le volume n° 819, Missale veyus, fol. 17, et le n° 641 du Supplément latin, tous deux de la Bibliothèque Nationale de Paris, où la Vierge, drapée d'un long vêtement blanc, a des formes maigres, ainsi que saint Joseph et sainte Anne, que l'on voit près d'elle. Si le visage de la Vierge n'est pas aussi brun que dans le vitrail de Vendôme, c'est que, dans les miniatures, l'usage n'était pas, comme dans les vitraux, de dessiner les figures sur un fond bistre ; et n'oublions pas, pour ce qui regarde le costume, que tous les artistes savaient très-bien que la Vierge Marie était de famille juive. Enfin, dans un manuscrit visigothique du dixième siècle, où la Vierge est aussi représentée au folio 12 (Adoration des mages), cette peinture n'a aucun des caractères prétendus sarrasins, signalés par M. de Lasteyrie comme étant sur le vitrail de Vendôme, ni pour la forme du corps, ni pour les draperies du costume. Cependant, si l'influence moresque a dû se montrer dans certains monuments, c'est surtout dans l'œuvre du peintre visigoth du manuscrit n° 1075 du Supplément latin.

Quanta l'auréole amendaire, il est très-possible que ce soit là le seul exemple de cette forme dans les vitraux, puisqu'on la retrouve fort rarement employée dans la sculpture religieuse de ces époques ; mais, quand M. de Lasteyrie en restreint l'emploi aux églises du Poitou qu'il dit avoir été soumises à l'influence moresque, nous ne pouvons adhérer à son sentiment, ni à l'opinion qui ferait de cette auréole amendaire un symbole exclusivement réservé à la Vierge. Cette auréole est d'un usage fort ancien et fort habituel dans les peintures des manuscrits. Nous en trouvons un très-bel exemple dans un Évangéliaire du neuvième siècle, ayant appartenu à Lothaire (Biblioth. Nationale, n° 266, fol. 2), où une semblable auréole entoure une figure du Christ, du plus beau style. Un second exemple de cette même auréole amendaire, toujours employée pour le Christ, existe aussi dans un autre manuscrit, Ancien Fonds latin, n°261 ; enfin, au dixième siècle encore, dans le volume visigoth n° 1075, Suppl. lat., folio 116, dont nous avons déjà parlé, nous trouvons de nouveau le Christ au milieu d'une auréole amendaire, avec l'inscription suivante : Omnipotens Deus sedens in trono.

De nombreuses hypothèses, quelques-unes même très - impures, ont été employées pour expliquer le mythe symbolique de la forme amendaire. Les Anglais l'ont nommé Viscica piscis, et les Italiens, Mandorla ; M. de Lasteyrie nous en donne la signification la plus probable, et nous croyons que l'explication qu'il a adoptée recevra une nouvelle force, d'une inscription qui se lit dans l'auréole amendaire d'une figure du manuscrit n° 261 ; en voici le texte :

Hæc sedet arce D S (Deus) mundi rex gloria cœli +

Quatuor hic rutilunt uno de fonte fluentes.

Enfin, la plus curieuse représentation de la Vierge dans une auréole amendaire est peut-être celle que l'on trouve dans le manuscrit du Suppl. lat., n° 641, qui est du douzième siècle ; les costumes et les poses des personnages, ainsi que les couleurs des ornements, ne sont pas moins remarquables.

Nous pouvons encore mentionner quelques fragments de vitraux du douzième siècle, soit à Chartres, soit à Sens, soit à Bourges. Robert, fils de Louis-le-Gros, s'était fait représenter avec sa femme, dans les verrières de l'église de Braine-le Comte, qu'il fonda en 1153. On sait qu'il y avait à Braine, près de Soissons, des vitraux peints, qui furent donnés par la reine d'Angleterre ; on sait aussi qu'un nommé Roger avait exécuté ceux de l'abbaye Saint-Hubert, dans les Ardennes ; mais ce genre d'ornements coûtait fort cher, et, vers la fin de ce même siècle, un capitulaire de l'ordre de Cîteaux en défendit l'usage dans les églises soumises à la règle de l'ordre, Il est impossible de ne pas être frappé de l'analogie des ornements en rosace des verrières, avec ceux que l'on retrouve dans les miniatures des manuscrits ; ce sont les mêmes figures et les mêmes bizarreries, les mêmes teintes, le même genre d'ornement pour les bordures, pour les fonds et pour les lisérés de perles.

L'émail, qui était d'un emploi peu facile et d'une application moins générale, nous a laissé cependant quelques beaux monuments du douzième siècle. Nous mentionnerons d'abord le très-précieux calice de Saint-Remi de Reims ; à Munich, une boîte enfermant un Évangéliaire, n° 35 ; à Venise, le fameux Palla d'Oro de l'église Saint-Marc : c'est le plus grand monument de l'art de l'émailleur au Moyen Age, et les teintes y sont nombreuses et variées ; à la Bibliothèque Nationale de Paris, la couverture du manuscrit latin n° 650, ornée d'émaux translucides, sous lesquels on a étendu une feuille d'or pour faire mieux ressortir les diverses couleurs ; au Musée de Cluny, une Adoration des mages ; une crosse épiscopale, décrite et gravée dans l'ouvrage de Villemin ; enfin, au Musée du Louvre, le fameux reliquaire de Frédéric Barberousse, de forme oblongue, recouvert de bas-reliefs en argent doré repoussés, présentant sur chaque face diverses figures, savoir : Conrad II, Frédéric II, empereur, saint Pierre, saint Michel, Jésus-Christ, Marie, saint Paul, l'ange Gabriel, Frédéric de Souabe, Béatrix de Bourgogne, impératrice, Louis-le-Débonnaire et Othon III. Ce reliquaire fut fait pour renfermer le bras de Charlemagne, que Frédéric prit dans le tombeau d'Aix-la-Chapelle, lorsqu'il le fit ouvrir en l'année 1165. M. de Longperrier a cru reconnaître là, non pas un travail allemand, mais bien un des plus beaux produits des artistes émailleurs de Limoges. Le choix que l'empereur aurait fait d'artistes français pour ce monument, s'expliquerait, du reste, par la célébrité des ouvrages de Limoges. Ducange nous apprend, d'après une charte de l'année 1192, qu'on envoyait, comme cadeaux précieux, aux églises de la Pouille, des plaques de bronze travaillées à Limoges. Aussi, même avant cette date, désignait-on les Émaux sous le titre général d'opus de Limoged, opus lemovicense.

Il y a encore à Aix-la-Chapelle une châsse de Notre-Dame, donnée aussi par Frédéric Barberousse. Enfin, une des planches de notre ouvrage reproduit un des plus importants monuments de l'ancienne émaillerie : le tombeau de Geoffroy, dit le Bel, comte d'Anjou et du Maine, surnommé Plantagenêt. Il était placé autrefois dans la cathédrale du Mans ; il est aujourd'hui dans le musée de cette ville. Les ornements, de formes variées, qui encadrent la représentation du personnage, sont élégants et très-harmonieux de couleur.

L'architecture du treizième siècle, par son ogive plus élancée, plus gracieuse que les formes massives de l'art roman, vient ouvrir un champ plus vaste et plus favorable aux artistes verriers. Les colonnes se détachent alors et s'étendent avec une nouvelle élégance, en même temps que les flèches des clochers, frêles et délicates, se perdent dans les nues. Les verrières occupent plus d'espace et semblent aussi s'élancer vers le ciel, gracieuses et légères. Elles se parent d'ornements symboliques, de griffons et d'animaux fantastiques ; les feuilles, les rinceaux se croisent, s'entrelacent, s'épanouissent, et produisent ces rosaces, si riches et si éclatantes, qui font l'admiration et le désespoir des artistes modernes. Les couleurs y sont encore plus savamment combinées, mieux fondues ; les draperies mieux dessinées, mieux éclairées, que dans les vitraux du siècle précédent, et, quoique les figures manquent quelquefois encore d'expression et offrent habituellement des formes maigres et allongées, le progrès est immense. Les monuments qui nous restent de cette époque sont très-nombreux.

A Poitiers, c'est une verrière légendaire, composée de petites rosaces, dont les plus belles sont à l'une des croisées du milieu de l'église et au Calvaire du chevet ; à Sens, dans la cathédrale, c'est la légende de saint Thomas de Canterbury, représentée aussi dans une suite de petites rosaces, superposées les unes aux autres, dites verrières légendaires ; au Mans, c'est la verrière des corporations des métiers, que M. de Lasteyrie dit être de la seconde moitié du treizième siècle. Mais le type le plus beau et le plus complet des verrières de cette époque, c'est, sans contredit, celle de la cathédrale de Chartres ; la lumière y est distribuée avec une rare habileté ; et l'on reconnaît encore que l'artiste verrier avait entièrement soumis son savoir aux prescriptions de l'architecte, de telle sorte que la lumière, arrivant plus ou moins vive dans les diverses parties de cet édifice, produisait un effet magique. Dans cette église on ne compte pas moins de cent quarante-trois fenêtres, contenant plus de mille trois cent cinquante-sept sujets non compris les blasons et les ornements. La partie la plus intéressante dé ces peintures consiste dans trente-deux figures de personnages contemporains, que l'on reconnaît au milieu des légendes de saints, des sujets de la Bible, et des panneaux votifs de corps de métiers.

La verrière de la cathédrale de Reims est moins complète que celle de Chartres, il y a moins d'habileté dans la disposition de la lumière, quoiqu'elle soit cependant d'accord avec l'unité de la composition architecturale, si riche et si légère. Les rosaces se font également remarquer par l'harmonie et l'éclat de leurs couleurs. Il y a aussi des vitraux du treizième siècle, dans les cathédrales de Bourges, de Tours et d'Angers. Ils sont d'un brillant effet et s'harmonisent parfaitement avec l'ensemble des décorations de l'architecture, mais ils n'occupent que le second rang parmi les monuments, encore existants, de l'art du treizième siècle. Dans l'église Notre-Dame de Paris, la grande rosace du portail méridional est d'un éclat extraordinaire : elle contient un grand nombre de petits médaillons ; les couleurs et l'ornementation méritent une attention spéciale. La rosace septentrionale est la plus complète de toutes et la mieux conservée ; elle contient quatre-vingt-un sujets, disposés en cercle, dont tous les détails concourent, avec l'éclat des couleurs, à un admirable ensemble.

Le grand nombre de peintures sur verre du treizième siècle, que l'on a pu étudier dans les églises, a inspiré le désir de classer ces divers monuments, et de les ranger sous des influences d'écoles, que l'on a désignées par les noms de franco-normande, de germanique, etc. On est même allé plus loin, car on a voulu reconnaître, dans le style propre aux artistes de l'ancienne France, un style normand, un style poitevin (ce dernier reconnaissable, disait-on, au manque d'harmonie dans les couleurs des vitraux), un style messin, etc. Nous avons de la peine à admettre ces dernières distinctions, qu'il nous paraît difficile d'établir par des caractères certains ; cependant on peut remarquer, dans les vitraux de Bourges, que les têtes des personnages sont rendues avec beaucoup plus d'expression qu'ailleurs, notamment celles des damnés et des démons. Suivant l'usage assez généralement adopté à cette époque, ils représentent des personnages importants dans la hiérarchie sociale, car toutes les têtes portent des couronnes ou des mitres.

La possession de plusieurs provinces par le même seigneur, provinces quelquefois assez distantes l'une de l'autre, l'Anjou et la Provence par exemple, motivait le déplacement continuel des artistes, que le seigneur emmenait avec lui dans ses diverses résidences ; c'en était assez pour faire disparaître les influences de province, et pour réduire, en définitive, ce qu'on appelle le style poitevin ou le style normand, ou tout autre style provincial, à une fabrication plus ou moins habile, à un perfectionnement plus ou moins avancé dans l'art de peindre sur verre, car une école ne s'est jamais fondée sur l'inhabileté ou l'ignorance. Suger ne fit-il pas venir, des pays étrangers, les artistes verriers qui ornèrent de vitraux la basilique de Saint-Denis ? Clément de Chartres n'exécuta-t-il pas les peintures des vitraux de Rouen ? Cette même classification, lorsqu'on veut l'appliquer aux manuscrits, n'est pas moins difficile à justifier, car les livres peints et écrits dans les mêmes pays, aux mêmes époques, offrent fréquemment de notables dissemblances. N'a-t-on pas déjà assez de peine à déterminer d'une manière précise l'âge et la nationalité d'un monument, sans songer encore à distribuer cette même nationalité en provinces ou régions ? Est-il bien évident, par exemple, que le vitrail de la cathédrale de Bourges, représentant un Jeu de, table, reproduit par M. de Lasteyrie sur sa planche XIV, soit du treizième siècle ? Les ornements d'architecture qu'on y remarque n'ont pas le caractère de ceux du treizième siècle, et, M. de Lasteyrie nous disant (p. 92 de son livre) que l'on travaillait en 1313 à l'église dont cette verrière fait partie, ne pourrait-on pas la regarder comme une œuvre du quatorzième siècle ? Dans tout édifice, la pose de la verrière était nécessairement un des derniers ouvrages à exécuter. Il en est peut-être de même du Calvaire du chevet de l'église de Poitiers. La légende de saint Martin, à la cathédrale de Tours, a fait naître en nous quelques doutes analogues, surtout quand nous nous sommes rappelé que ces vitraux, commencés au treizième siècle, n'ont été complétés qu'au quatorzième. Enfin, les guerriers représentés sur les vitraux de la cathédrale de Strasbourg n'offrent pas moins d'incertitude sur l'époque à laquelle ils appartiennent et même sur le pays qui les a produits. M. de Lasteyrie, très- bon juge en pareille matière, classe une partie de ces vitraux parmi les produits allemands du treizième siècle.

Un genre nouveau dans la Peinture sur verre, et que l'on fait également remonter à ce même treizième siècle, c'est la grisaille, si usitée surtout dans les bordures et les ornements des vitraux. Elle fut employée en même temps que la mosaïque de verre en couleurs variées, qu'on voit dans l'église Saint-Thomas de Strasbourg, dans la cathédrale de Fribourg en Brisgau et dans plusieurs églises de Bourges. Les grisailles et les mosaïques sont d'un bel effet et très - harmonieuses dans leur ensemble. Rappelons encore ici, sans vouloir toutefois en tirer aucune conséquence applicable aux vitraux, que, dans les peintures des manuscrits, la grisaille ne remonte pas au-delà du commencement du quatorzième siècle. Mais, un point de parfaite analogie entre les verrières et les miniatures, c'est l'usage des peintures légendaires. Nous en avons signalé plusieurs sur les vitraux et dans les manuscrits. (Voyez notre chap. MINIATURES.) Nous ajouterons à ces indications le volume latin, fonds de Saint-Germain, n° 37, qui est un type de ce genre et qui aurait pu fournir d'utiles modèles aux verrières du temps. Son exécution artistique le recommande à l'attention sérieuse des amateurs. On y voit le Christ avec l'auréole amendaire, et l'on y compte seize cent cinquante-six sujets différents. Quelle mine inestimable pour l'étude de la vie domestique au treizième siècle !

Dans le midi de la France, les vitraux peints sont extrêmement rares ; à peine en trouve-t-on quelques fragments à Béziers, à Carcassonne ; mais beaucoup d'autres églises principales du nord et de l'ouest, notamment celles de Toul et de Metz, ne sont pas plus favorisées en ce qui concerne le treizième siècle.

Un fait qui ne saurait être mis en doute, c'est l'impulsion donnée par saint Louis aux travaux de la verrerie peinte. Ce pieux monarque, Blanche de Castille, sa mère, et la reine Marguerite de Provence, sa femme, sont fréquemment représentés dans les vitraux, dont ils ont enrichi diverses églises ; leurs blasons se retrouvent sur d'autres. La plus importante de toutes les verrières qui soient dues aux largesses de Louis IX, est sans contredit celle de la Sainte-Chapelle de Paris. Elle est légendaire et présente le plus admirable type de ce que l'art pouvait produire. On ne doit pas s'en étonner ; tous les efforts avaient concouru à l'édification de la Sainte Chapelle, où devait être déposée la sainte Couronne d'épines, achetée, de l'empereur Baudouin, par saint Louis, pour une grosse somme d'argent. Si quelques incorrections de dessin se remarquent dans les figures des vitraux, elles sont rachetées par la recherche de l'ornementation et par l'harmonie des couleurs, qui en font un des monuments les plus homogènes et les plus parfaits de la Peinture sur verre.

Nous devons encore mentionner, parmi les monuments de la Peinture sur verre du treizième siècle, les églises de Châlons sur-Marne, pour leurs grisailles et certains vitraux ; Beauvais, pour quelques fragments, du même siècle ; Auxerre, Soissons, Noyon, Amiens, Troyes, et enfin la cathédrale de Rouen, qui possède le plus ancien vitrail ayant nom d'auteur : Clément de Chartres, maître vitrier, fut le premier qui inscrivit son nom sur son œuvre, et cette signature n'est pas la partie la moins curieuse de la verrière de Rouen.

On a rattaché le développement extraordinaire que prit l'art gothique en France, pendant le treizième siècle, à l'influence que dut exercer Blanche de Castille, femme de Louis VIII, roi de France, et à celle des artistes qu'elle amena peut-être d'Espagne avec elle. Les beaux monuments qu'on a de cette époque, même en Émaux, décèlent un cachet arabe ; de ce nombre, est le ciboire du Louvre, en reliefs dorés sur des médaillons fond bleu, rechampis délicatement de rouge et représentant des anges et des saints. Il a de plus, pour ornement, des inscriptions arabes tronquées et de larges réseaux d'or parsemés de points rouges ternes. Il a été très-exactement décrit par M. de Longperrier. C'est une œuvre de Limoges, ainsi que le prouve l'inscription suivante : + Magiter (sic) G. Alpais me fecit Lemovicarum. Parmi les monuments les plus importants en Émaux du treizième siècle, nous mentionnerons encore : 1° un écusson, au Musée du Louvre ; 2° un coffre de mariage, de la même collection, orné de figures fantastiques, d'oiseaux bizarres, d'hommes et de femmes, dont les costumes et les armes ne laissent pas de doute sur l'époque à laquelle cette œuvre fut exécutée ; 3° une crosse épiscopale, à la Bibliothèque Nationale ; une coupe, reproduite dans l'ouvrage de Villemin ; 5° la fameuse coupe de Montmajoir ; 6° un médaillon, de travail italien, portant pour inscription, au-dessus du Christ : INRI, qui faisait partie de la collection Debruge-Duménil et qui a été décrit par M. Jules Labarte ; enfin, divers autres monuments conservés dans les collections de MM. les comtes Pourtalès et de Bastard, et qui représentent des baladins, des chasses, des danses, des musiciens. N'oublions pas, comme monument français, la tombe de cuivre émaillé, que saint Louis fit placer sur la sépulture de son frère, mort en 1247.

Parmi les célèbres artistes émailleurs de cette époque, il faut mentionner Johannes Lemovicensis, qui fit, dit-on, le tombeau et l'effigie de Walter Merton, évêque de Rochester, et l'effigie de Guillaume de Valence, dans l'église de Westminster (1267-1296) ; Jean et Nicolas de Pise, les maîtres d'Agostino et d'Agnolo de Sienne, qui eux-mêmes formèrent Pietro et Paolo d'Arezzo et Forzore ; mais surtout Cimabué, le maître de tous.

Les nombreux monuments de la peinture dans les manuscrits, de la Peinture sur verre et de l'émaillerie, qui portent encore les armes de Blanche de Castille (un château sommé de trois tours d'or) réunies à celles du roi saint Louis, ont fait croire à M. de Longperrier que ce même cartel, dégénéré quant à sa forme héraldique, avait produit un genre d'ornement, que l'on trouve fréquemment employé dans les fonds quadrillés des miniatures, sur les émaux et sur les verrières du quatorzième et du quinzième siècle : ainsi, cet ornement ne serait que la forme hiératique (mot dont on a singulièrement usé et abusé depuis quelques années) de ce même castel. On pourrait élever des doutes sur l'origine de l'ornement quadrillé, en examinant celui qui se trouve dans le fond de l'émail de la tombe de Geoffroy, duc d'Anjou, et qui est du douzième siècle ; car ce dernier pourrait parfaitement lui avoir servi de type : il serait alors d'origine plus ancienne que le treizième siècle, et il ne faudrait pas y voir une dégénération du cartel des armes de la mère de saint Louis.

C'est donc au treizième siècle que la Peinture sur verre arriva à l'apogée de sa puissance, comme art s'identifiant parfaitement avec l'architecture, et contribuant, par de savantes combinaisons de lumière, à faire ressortir les beautés d'un ensemble de constructions, aux formes bizarres, mais empreintes d'un esprit religieux, avec lequel elles devaient s'accorder.

Au quatorzième siècle, au contraire, l'artiste verrier se sépare de l'architecte ; il ne veut plus soumettre son art aux prescriptions architecturales. L'ensemble du monument est sacrifié, à l'effet des dessins du peintre verrier, aux belles couleurs et à leur variété, qu'il combine d'une manière plus savante, et surtout à la richesse des tons. Il faut que ses portraits aient des poses naturelles ; qu'ils soient gracieux et achevés ; que la grisaille contribue à ce résultat, si cela est nécessaire ; que la draperie soit parfaitement agencée ; que le personnage soit accompagné du blason de ses armes. Peu importe à l'artiste que telle partie de l'église soit trop éclairée ou pas assez, que la lumière inonde l'abside ou le chœur, au lieu d'arriver graduellement, comme dans les monuments du treizième siècle. Lui aussi, il veut ériger, à sa fantaisie, une œuvre, qui le distingue, qui le recommande, qui même illustre son nom. Les réseaux, les laies, les feuillages s'enchevêtrent avec moins de roideur, et prennent des formes plus gracieuses encore, à la fin du quatorzième siècle. Guillaume de Machaut et Eustache Deschamps célèbrent quelques verrières de leur temps, et donnent même, dans leurs poésies, des détails sur la manière de les fabriquer. En 1347, une ordonnance royale est rendue en faveur des verriers lyonnais ; mais déjà l'usage s'était introduit d'orner de vitraux peints les habitations seigneuriales. Les artistes composaient eux-mêmes leurs dessins, de telle sorte que les sujets qu'ils représentaient se rapportaient à l'usage que l'on faisait, pour la vie privée, de la salle à laquelle leur vitrail était destiné. Le duc Louis d'Orléans nous a laissé, par les comptes des dépenses faites dans ses palais, de précieuses indications sur le prix du verre peint, à cette époque, tel qu'on l'employait dans ses châteaux ; nous les avons publiées dans notre ouvrage sur les arts au quatorzième et au quinzième siècle, ayant pour titre : Louis et Charles, ducs d'Orléans ; c'est donc une erreur de la part de M. Labarte, lorsqu'il dit dans sa curieuse Description des objets d'art, qui composaient la collection Debruge-Duménil, que le verre peint ne fut pas en usage dans les habitations privées, avant le quinzième siècle.

Nous indiquerons à présent les verrières les plus importantes du quatorzième et du quinzième siècle ; celles qui conservent, en général, dans leur exécution, les caractères distinctifs que nous avons ci-dessus signalés. L'ouvrage de M. de Lasteyrie nous servira encore de guide, en y ajoutant toutefois d'autres précieux renseignements recueillis par M. Alexandre Lenoir dans son Musée des monuments français, tom. V, spécialement consacré à la Peinture sur verre. Ce dernier recueil, si curieux sous bien des rapports, ne peut être cependant consulté avec fruit que pour les verriers du seizième siècle et pour l'état des vitraux anciens après la Révolution de 89, et encore, M. Labarte est-il évidemment plus complet et plus curieux que M. Alexandre Lenoir, pour le seizième siècle.

Divers fragments de vitraux des cathédrales du Mans et de Beauvais méritent la première mention. Ensuite, viennent, pour les roses et les ornements, le vitrail de Saint-Thomas de Strasbourg, ceux de Saint-Nazaire à Carcassonne et ceux de la cathédrale de Narbonne. Les peintures sur verre de Toul présentent tout le caractère de la gothicité allemande, et sont même d'un style gothique très-prononcé ; il faut les comparer avec l'admirable vitrail de Saint-Martial de Limoges, que M. de Lasteyrie regarde comme une œuvre du quatorzième siècle. Il y a encore, à la cathédrale de Lyon, à Notre-Dame de Semur, à la chapelle de Saint-Piat de la cathédrale de Chartres, à la cathédrale d'Aix en Provence, à Bourges et à Metz, des vitraux très-remarquables sous tous les rapports : exécution, personnages, arts et métiers, ou sujets variés. D'autres proviennent de donations à l'occasion de joyeux avènements, et de ce nombre est le vitrail d'Évreux, donné par Guillaume de Cantiers, évêque de cette ville.

Les monuments de la Peinture sur verre du quinzième siècle commenceront, pour nous, avec le vitrail de la cathédrale du Mans, qui représente Iolande d'Aragon et Louis II, roi de Naples et de Sicile, aïeux du bon roi René. C'est par erreur, ce me semble, que M. de Lasteyrie les a classés parmi les monuments du quatorzième siècle, puisque Iolande d'Aragon ne fut mariée que le 2 décembre de l'année 1400 avec le roi Louis, et que l'on voit, par l'assemblage des armoiries de Jérusalem, d'Anjou et d'Aragon peintes sur ce vitrail, qu'il n'a pu être exécuté qu'après le mariage de ces deux personnages. Il y a, de plus, une singularité — que l'on remarque également dans les miniatures des manuscrits —, c'est que des inscriptions arabes servent d'ornement au cadre de ce portrait sur verre. Nous mentionnons ensuite les verrières de la Sainte-Chapelle de Riom, de Saint-Vincent de Rouen, de la cathédrale de Tours, données par Renaud de Chartres, et celle de Bourges, représentant le vaisseau de Jacques Cœur. Le style allemand se retrouve surtout dans les verrières de l'église de Walbourg (Bas-Rhin), exécutées en 1461, et dans celles d'une partie de la grande nef et de la rose de la cathédrale messine. Ces derniers vitraux, comme l'a remarqué le premier M. Émile Bégin, dans un discours prononcé au Congrès scientifique de Metz (Metz, 1838, in-8°), sont l’œuvre de maistre Herman ly Vatrier de Munster, en Westphalie, mort à Metz en 1392. On cite encore les vitraux d'Évreux, contemporains de Louis XI. Le Musée des Monuments français, créé par Lenoir, avait recueilli ceux d'un nommé Héron, qui les avait peints, en 1430, pour l'église Saint-Paul à Paris. Il existait, dans les verrières des Célestins de Paris, une suite de portraits des princes de la maison d'Orléans-Valois, qui fut complétée au seizième siècle par les portraits de Louis XII, de François Ier et de Henri II.

Mais déjà depuis longtemps le verre était employé à divers autres ustensiles en usage dans la vie domestique, lesquels n'étaient pas ornés avec moins de luxe ni moins d'art que les vitraux dont nous avons parlé. Les miroirs en verre, qui remplaçaient les miroirs en métal, sont même mentionnés dans le roman de Perceforet, qui fut composé au commencement du quinzième siècle. A cette époque, les ducs de Lorraine renouvelèrent les privilèges des verriers de leur duché : la charte originale, portant la date de 1469, 15 septembre, et celle de 1536, se trouve dans le volume 474 de la Collection de Lorraine, à la Bibliothèque Nationale de Paris. Les émailleurs n'étaient pas restés en arrière dans ce progrès général des arts ; ils avaient abandonné les Émaux opaques, comme moins favorables à l'ornementation ; du moins, dès le quatorzième siècle, ne les trouve-t-on déjà plus employés dans les reliquaires, les boîtes et les coffrets. Il en est ainsi sur le plus important monument en émail du quatorzième siècle, le reliquaire, donné par la reine Jeanne d'Évreux à l'abbaye de Saint-Denis ; ce reliquaire, daté de 1339, se conserve au Musée du Louvre. Il y a aussi une très-belle crosse épiscopale en cuivre doré, portant la date 1351, dans la collection de M. Dugué. Nous ne devons pas passer sous silence la monture d'un camée antique, avec cette inscription : Charles, roy de France, filz du roy Jehan, donna ce jouyau l’an mil CCCLXVII, le quart an de son règne ; c'est un Jupiter, que l'on avait pris, au temps du sage roi Charles, pour un saint Joseph : Citons encore le reliquaire de la cathédrale d'Aix, analogue à l'architecture de la cathédrale elle-même, qui est un beau monument de la même époque. Vers ce temps-là, le Florentin Andrea Arditi s'illustrait par ses travaux émaillés ; mais alors apparurent aussi les Émaux translucides et les Émaux peints, dont les couleurs étendues par le pinceau imitèrent tous les effets de la peinture sur bois ou sur toile. Le traité, De Orificeria, écrit par Benvenuto Cellini, rend compte des procédés et des résultats obtenus dans ce genre nouveau d'émailler l'orfèvrerie ; dès lors aussi, l'émailleur et le ciseleur-orfèvre se mêlent et se confondent complètement.

Avec Cellini, l'art du ciseleur-émailleur, accueilli par les plus puissants monarques, grandit auprès du trône. Cellini travailla longtemps aux palais de Fontainebleau et du Louvre, et au château d'Amboise ; tandis que Bernard Palissy, un des génies les plus vastes, une des imaginations les plus vives et une des raisons les plus profondes, qui se soient jamais produites en France chez un artiste, faisait de la science avec les dents, se ruinait pour les progrès de l'émaillerie : Les Esmaux de quoy je fais ma besogne, dit-il dans ses Discours admirables, sont faits d'estaing, de plomb, de fer, d'acier, d'antimoine, de saphre, de cuivre, d'arène, de salicort, de cendre gravelée, de litharge et de pierre de Périgord. Après trente années, cependant, il atteignit des procédés d'application à l'usage ordinaire de la vie, et composa des poteries émaillées qui ont fait sa gloire et sa fortune. Dans le Limousin, l'art de l'émailleur continuait de prospérer avec la Renaissance, et d'enfanter de célèbres artistes, dont M. l'abbé Texier a retracé l'histoire avec autant d'exactitude que de talent. Un des plus illustres de cette phalange s'appelait Léonard. François 1er l'appela près de lui, le nomma son premier peintre, son valet de chambre, et le surnomma le Limousin, pour qu'on ne le confondît pas avec Léonard de Vinci. M. Desmarets dit de lui qu'il apportait dans son dessin beaucoup de variété, mais de la sécheresse dans sa touche. Alex. Lenoir le met au rang des plus grands maîtres, parce qu'il allia deux choses extrêmement rares, dit-il, une conception sentimentale à un dessin gracieux, correct et soigné. On a de lui beaucoup de portraits de gens de cour et quantité de sujets bibliques, dont les plus remarquables portent différentes dates, depuis 1530 jusqu'en 1562. Il les signe tantôt de son nom, tantôt d'un monogramme, tantôt d'une devise. Dans son Jésus au jardin des Olives, placé entre deux médaillons où il a représenté Henri II et la reine Catherine de Médicis, pièce où il s'est surpassé, il a signé, mis la date de 1553, et ajouté la devise du roi : Donec totum impleat orbem.

Jean et Pierre Courteys, ou Courtois, qui décorèrent différentes demeures somptueuses et dont il nous reste les émaux du château de Madrid, conservés au Musée de Cluny, ainsi que des coupes fort élégantes, étaient parents et émules de Léonard. Pierre Reimond, ou Raymond, dont l'œuvre s'exécutait à Limoges entre les années 1554 et 1582, traitait l'ornement et l'arabesque, avec une variété ravissante. Il existe aussi des compositions fort estimées de Suzanne Courtois, parente des précédents, d'un Jehan Limosin, et de quantité d'autres artistes originaires de la même province. Dans l'émaillerie mobilière et monumentale, la France incontestablement a le pas sur les autres nations de l'Europe.

Malgré les iconoclastes du seizième siècle, les vitraux de cette époque sont très-nombreux et très-remarquables. Ne pouvant les citer tous, nous ne sommes qu'embarrassés du choix, et nous les classerons en trois catégories : la catégorie française, la catégorie allemande, et la catégorie messine ou lorraine, genre mixte qui tenait du faire des artistes français et de celui des artistes d'outre-Rhin.

A la tête de l'école française de verrerie peinte, se place en premier ordre le célèbre Jean Cousin, qui a décoré la chapelle de Vincennes, qui a fait pour les Célestins de Paris une représentation du Calvaire, et pour Saint-Gervais, en 1587, les tableaux du martyre de saint Laurent, de la Samaritaine conversant avec le Christ, et du Paralytique. C'est de la grande et belle peinture, où des ajustements de grand style, un dessin correct et vigoureux, un coloris puissant, reflètent l'école de Raphaël. Des vitraux en grisaille, faits sur les cartons de Cousin, décoraient aussi le château d'Anet. Un autre artiste, inférieur à Cousin, mais beaucoup plus fécond, Robert Pinaigrier, a fait quantité de vitraux pour des églises de Paris, qui n'existent plus pour la plupart : Saint-Jacques-la-Boucherie, Saint-Étienne-du-Mont, la Madeleine, Sainte-Croix en la Cité, Saint-Barthélemy, Saint-Merri, Saint-Gervais, Saint-Victor, Saint-Lazare ; et un pour la cathédrale de Chartres. Ces derniers panneaux portent les dates 1527 et 1530. L'œuvre dont Pinaigrier décora les châteaux n'est peut-être pas moins considérable que son œuvre d'église. On conçoit difficilement une telle fécondité. Il est vrai que ses fils, Jean, Nicolas et Louis, ainsi que ses élèves, Desaugives, Périer, Vignon le père, l'ont secondé longtemps, avant de devenir eux-mêmes chefs d'atelier. On a fait aussi quelques verrières sur des dessins de Raphaël, de Léonard de Vinci, du Parmésan ; deux patrons de ce dernier, qui représentaient la nativité du Christ et sa circoncision, ont servi de modèles à notre Bernard de Palissy pour décorer en grisaille la chapelle du château d'Écouen. Le même Palissy a exécuté, pour la même résidence, d'après Raphaël, sur les dessins du Rosso, dit maître Roux, trente tableaux peints sur verre, représentant l'histoire de Psyché ; c'est une des plus riches compositions de l'art à cette époque ; mais on ignore absolument ce que sont devenus ces vitraux, qui avaient été transportés au Musée des Monuments français.

 

La vitrerie française devint cosmopolite. Elle s'implanta en Espagne, ainsi qu'en Belgique, sous la protection de Charles-Quint et du duc d'Albe ; elle ne craignit même point le soleil d'Italie : un peintre verrier, du nom de Claude, décorait, en 1512, de magnifiques images, les grandes vitres du Vatican : Mà la disgrazia del sacco di Roma porro che fussero infracti (Abecedar. pittor., art. CLAUDE, p. 118). D'autres peintres, parmi lesquels on cite Guillaume de Marseille, dont nous parlerons plus bas, étaient appelés à Rome, par Jules II, qui, étant évêque de Carpentras et d'Avignon, avait reconnu leur mérite.

Lorsque l'art français se répandait ainsi au dehors, l'art étranger s'introduisait en France. Albert Dürer consacrait son pinceau à vingt croisées de l'église du vieux Temple à Paris : les couleurs de ces peintures sont chaudes, vigoureuses ; le dessin en est correct ; le verre en est très-épais, et les pièces, d'une grandeur remarquable. Albert Dürer ne travaillait pas seul ; d'autres artistes l'accompagnaient, et, dans une foule d'églises du royaume, dans beaucoup de châteaux, on retrouve encore, malgré les ravages des iconoclastes de la Révolution française, la trace de ces maîtres intelligents, dont les compositions, généralement bien ordonnancées et bien conçues, sont empreintes d'une naïveté germanique, très-conforme à l'esprit des sujets pieux. En 1600, Nicolas Pinaigrier transportait sur les vitraux du château de Briffe sept tableaux grisailles, empruntés à François Floris, maître flamand né en 1520 ; tandis que les Van Haeck, les Herreyns, les Jean Dox, les Pelgrin-Rœsen, appartenant tous à l'école d'Anvers, influençaient, soit directement, soit indirectement, le genre des productions de l'est et du nord de la France. Une autre école, la provençale, copiste de la manière italienne, ou plutôt inspirée par le même soleil, le soleil de Michel-Ange, marchait dans la voie où cheminaient Jean Cousin, Pinaigrier, Palissy. Elle avait pour maîtres principaux Claude et Guillaume, de Marseille, qui furent attirés à Rome par le pape Jules II ; Marcel dit le Provençal, et, dans la ville d'Auch, Arnauld de Mole, peintres verriers fort capables, presque oubliés néanmoins par la biographie. Le frère ou le prieur Guillaume, qui orna de vitraux les églises de Rome, de Florence, de Pérouse, d'Arezzo, etc., mourut en 1537 et laissa une école florissante, dans laquelle se distinguèrent, après lui, ses disciples Benetto Spadari, Battista et Maso Borro, tous trois d'Arezzo ; Michel-Agnolo Urbani, de Cortone, et surtout le fameux Pastorino, de Sienne. Le Prieur, dit Vasari, mérite des louanges infinies ; c'est à lui que la Toscane doit l'avantage d'avoir porté l'art de peindre sur verre au plus haut degré de délicatesse et de perfection où il semble impossible d'atteindre.

Quant à la catégorie scolaire messine ou lorraine, que nous avons désignée comme tenant le milieu pour le genre entre la catégorie des artistes français et celle des artistes allemands, M. Émile Bégin, qui nous l'a fait connaître dans son Histoire de la cathédrale de Metz, désigne comme le maître le plus éminent de cette école l'Alsacien Valentin Bousch, élève de Michel-Ange, mort au mois d'août 1541 dans la ville-de Metz, où il avait exécuté, depuis 1521, d'immenses travaux. Volcyr de Serouville, dans sa Chronique abrégée des empereurs, rois et ducs d'Austrasie, qu'il publia en 1530, fait un grand éloge, quoique malheureusement assez vague, des forges de verre de la Lorraine : L'on besongne audict pays, dit-il, en matière de voirres, si ingénieusement et en tant de sortes avec apposition de couleurs diverses et images, pourtraits, figures et blazons, que bien long seroit à racompter. Les verrières des églises Sainte-Barbe, Saint-Nicolas-du-Port, Autrey, Flavigny-sur-Moselle, etc., sont de la même école, où s'est formé Israël Henriet, qui devint ultérieurement le chef d'une école exclusivement lorraine, quand Charles III eut appelé les arts autour du trône ducal. Thierry Alix, cité par M. Bégin, parle de larges tables en verre de toutes couleurs, qui, de son temps, s'exécutaient dans les montagnes des Vosges, où l'on trouvait à propos, dit-il, dans sa Description de la Lorraine, écrite en 1590 et restée inédite, les herbes et aultres choses nécessaires à cet art. M. Bégin ajoute que les vitraux sortis alors des ateliers vosgiens, et envoyés sur tous les points de l'Europe, constituaient une branche commerciale fort active. L'art déclinait néanmoins, l'art chrétien surtout disparaissait, et déjà c'en était fait de lui, quand arriva le protestantisme, qui lui porta le dernier coup, comme le témoigne cette verrière de l'église cathédrale de Berne, où l'artiste Frédéric Walter ose élever la satire jusqu'au dogme, et ridiculiser la transsubstantiation, en représentant un pape qui verse avec une pelle les quatre Évangélistes dans un moulin, duquel sortent quantité d'hosties qu'un évêque reçoit au fond d'une coupe pour les distribuer au peuple émerveillé. L'édification des masses par la puissance d'images translucides, intermédiaires placés entre le ciel et nous, cessa bientôt d'être possible ; et dès lors la vitrerie peinte, s'éloignant du but de sa création, dut s'endormir avec la ferveur du christianisme.

 

A. CHAMPOLLION-FIGEAC.