LE MOYEN-ÂGE ET LA RENAISSANCE

DEUXIÈME PARTIE. — SCIENCES ET ARTS. – BELLES-LETTRES

 

INSTRUMENTS DE MUSIQUE.

 

 

À PEINE est-il question des instruments de musique dans les annales de la musique, ils n'y sont guère représentés que par leurs noms ; et leurs noms, qui restent les mêmes ou se modifient légèrement quand leurs formes, leurs sons et leur usage changent tout à fait, ne nous donnent qu'une idée fausse, ou vague, ou imparfaite, de ce que ces instruments ont été à différentes époques et en différents pays. Voilà pourquoi les auteurs du Moyen Age, qui ont écrit sur l'art musical, n'ont servi qu'à égarer davantage les archéologues qui se sont occupés des anciens instruments de musique : on a pris tantôt un instrument à vent pour un instrument à percussion ; tantôt un instrument à cordes pincées pour un instrument à plectre ou à archet. Ce sujet, encore neuf et obscur après les recherches de Gerbert, de Mersenne et d'autres savants, a été curieusement exploré et ingénieusement éclairci par MM. Bottée de Toulmon et Eugène de Coussemaker ; mais néanmoins on n'est pas d'accord sur bien des points, et l'on se voit réduit à des conjectures hasardées, sinon à un aveu d'ignorance absolue. La musique est le seul art dont les instruments professionnels méritent d'être étudiés, décrits, expliqués ; la facture de ces instruments compose à elle seule un art à part, qui doit avoir son histoire distincte de celle de la musique.

Dans l'antiquité, le nombre des instruments de musique fut considérable ; mais leurs noms étaient plus nombreux encore, parce que ces noms dérivaient de la forme, de la matière, de la nature et du caractère des instruments qui variaient à l'infini, suivant le caprice du fabricant ou du musicien. Chaque peuple aussi avait ses instruments nationaux, et, comme il les désignait dans sa propre langue par des dénominations qualificatives, le même instrument reparaissait ailleurs sous dix noms ; le même nom s'appliquait à dix instruments. De là, en présence des monuments figurés et en l'absence des instruments eux-mêmes, une confusion à peu près inextricable. Les Romains, à la suite de leurs conquêtes, avaient rapporté chez eux la plupart des instruments de musique qu'ils trouvèrent chez les peuples vaincus. Ainsi, la Grèce fournit à Rome presque tous les instruments doux, de la famille des lyres et des flûtes ; la Germanie et les provinces du Nord, habitées par des races belliqueuses, donnèrent à leurs conquérants le goût des instruments terribles, de la famille des tambours et des trompettes ; l'Asie et la Judée surtout, qui avait multiplié les espèces d'instruments de métal pour l'usage de ses cérémonies religieuses, naturalisèrent dans la musique romaine les instruments éclatants, de la famille des cloches et des tam-tam ; l'Egypte introduisit en Italie les sistres avec le culte d'Isis ; Byzance n'eut pas plutôt inventé les premières orgues pneumatiques, que la nouvelle religion du Christ s'en empara pour les consacrer exclusivement à ses solennités, en Orient comme en Occident.

Tous les instruments de musique du monde connu s'étaient donc en quelque sorte réfugiés dans la capitale de l'empire, à Rome d'abord, ensuite à Byzance, lorsque la décadence romaine marqua la dernière heure de ce vaste concert ; alors cessèrent à la fois les ovations des empereurs au Capitole et les fêtes des dieux païens dans les temples ; alors se turent et se dispersèrent les instruments de musique qui avaient eu part à ces pompes triomphales et religieuses ; alors disparut et tomba dans l'oubli une partie de ces instruments que la civilisation païenne avait mis en usage et qui devenaient inutiles au milieu des ruines de la société antique. Une lettre de saint Jérôme à Dardanus (De diversis generibus musicorum instrumentis) nous apprend ceux que le cinquième siècle laissait survivre pour les besoins de la religion, de la guerre, du cérémonial et de l'art. Saint Jérôme nomme, en premier lieu, l'orgue, composée de quinze tuyaux d'airain, de deux réservoirs d'air en peau d'éléphant, et de douze soufflets de forge pour imiter la voix du tonnerre ; il désigne après, sous le nom générique de tuba, plusieurs sortes de trompettes, celle qui convoquait le peuple, celle qui dirigeait la marche des troupes, celle qui proclamait la victoire, celle qui sonnait la charge contre l'ennemi, celle qui annonçait la fermeture des portes, etc. Une de ces trompettes, dont la description nous représente assez mal la figure, avait trois anches d'airain et mugissait (mugilum proferi) par quatre pavillons (per quatuor vociductus œreos). Saint Jérôme décrit encore, d'une manière aussi peu intelligible, le bombulum, qui faisait un effroyable bruit : c'était une espèce de carillon, attaché à une colonne creuse en métal qui répercutait, à l'aide de douze tuyaux, les sons de vingt-quatre clochettes mises en branle à la fois l'une par l'autre. Cet étrange instrument, que nous retrouverons au neuvième siècle sous le même nom, mais très-simplifié, réunissait à cette époque les qualités des instruments à vent et celles des instruments à percussion. Dans la lettre de saint Jérôme, on voit successivement la cithare des Hébreux, en forme de delta grec, garnie de vingt-quatre cordes ; la sambuque (sambuca), d'origine chaldéenne, trompette formée de plusieurs tuyaux de bois mobiles qui s'emboîtaient les uns dans les autres ; le psalterium en hébreu nablon, petite harpe carrée, montée de dix cordes ; et enfin le lympanum, appelé aussi chorus, tambour à main, animé par deux tuyaux de flûte en métal (simplex pellis cum duobus ciculis œreis).

Tels étaient les seuls instruments de musique usités, sinon connus, au commencement du cinquième siècle. Une nomenclature du même genre que la précédente existe, pour le neuvième siècle, dans une vie manuscrite de Charlemagne par Aymeric de Peyrac (Bibl. Nation., Mss. n° 5944 et 5945, ancien fonds latin). Elle nous prouve que le nombre des instruments avait presque doublé depuis quatre siècles, et que l'influence musicale du règne de Charlemagne s'était fait sentir par cette résurrection et ce perfectionnement de plusieurs instruments naguère abandonnés. Voici les noms que nous pouvons extraire de celte curieuse pièce de vers, ou plutôt de lignes rimées, dans laquelle se déploie sur deux monorimes le concert de tous les instruments a cordes, à vent et à percussion, qui célèbrent les louanges du grand empereur, protecteur et restaurateur de la musique : tuba, campana, organa, cithara, sambucus, nacaria, tympanum, symphonia, flabuta, dulciana, tibia, sambuca, calamus, psallerium, tira, sistrum, blandosa, cornu, chorus, laborellus, cabreta, harpa, rebeca, fistula. Quelques autres instruments, représentés par des périphrases, s'offrent à nous sous des formes si vagues, que nous n'osons pas leur attribuer de noms. On jugera cependant que les vingt-quatre noms latins tirés de ce document du neuvième siècle suffisent presque pour correspondre aux trente-quatre noms français que nous trouvons, au quatorzième siècle, dans deux poèmes différents de Guillaume de Machault, poète et musicien de la cour de Bourgogne, qui semble avoir voulu faire un inventaire rimé de tous les instruments de musique employés ou connus de son temps. On comprendra mieux les analogies et les similitudes de ces deux nomenclatures, quand on les verra placées en regard, quoiqu'elles appartiennent à deux ouvrages qui n'ont pas le moindre rapport entre eux, la Prise d'Alexandrie et li Temps pastour.

Là avoit de tous instrumens ;

Et s'aucuns me disoit : Tu mens !

Je vous dirai les propres noms

Qu'ils avoient et les seurnoms,

Là je vis, tout en un cerne,

Au moins ceux dont j'ai connoissance,

Viole, rubebe, guiterne,

Si faire le puis sans ventance.

L'enmorache, le micamon,

Et de tous instrumens le roy

Citole et psalterion,

Diray le premier si comm' croy :

Harpes, tabours, trompes, nacaires,

Orgues, vielles, micamon,

Orgues, cornes plus de dix paires,

Rubebes et psalterion,

Cornemuse, flaios et chevrettes,

Leus, moraches et guiternes,

Douceines, simbales, clochettes,

Dont on joue par les tavernes ;

Tymbre, la flauste brehaingne,

Cimbales, cuitolles, nacquaires,

Et le grand cornet d'Allemaingne,

Et de flaios plus de X paires,

Flaios de saus, fistule, pipe,

C'est-à-dire de XX manières,

Muse d'Aussay, trompe petite,

Tant des fortes que des legieres ;

Buisines, eles, monocorde,

Cors sarrazinois et doussaines,

Où il n'est qu'une seule corde ;

Tabours, flaustes traversaines,

Et muse de blet tout ensemble ;

Demi-doussaines et flaustes,

Et certainement il me semble

Dont droit joues quand tu flaustes :

Qu'oncques-mais tele melodie

Trompes, buisines et trompettes,

Ne feust oncques veue ne oye ;

Gingues, rotes, harpes, chevrettes,

Car chacuns d'eux, selon l'accort,

Cornemuses et chalemelles,

De son instrument sans discort,

Muse d'Aussay riches et belles,

Viole, guiterne, citole,

Eles, fretiaux et monocorde

Harpe, trompe, corne, flajole,

Qui à tous instruments s'accorde :

Pipe, souffle, muse, naquaire,

Muse de blet qu'on prend en terre,

Tabour, et quanque on puet faire

Trepis, l'ecbaqueil d'Angleterre,

De doigt, de penne et de l'archet,

Chiphonie, flaios de saus.

Ois et vis en ce porchet.

(La Prise d'Alexandrie, Mss. de La Vallière, n° 25, Bibl. Nation, de Paris.)

(Li Temps pastour, Mss. français, n° 7221, Bibl. Nation, de Paris.)

Les noms des instruments de musique, comme on voit, avaient traversé six ou sept siècles sans subir d'altération ; mais les instruments eux-mêmes, dans ce long intervalle de temps, s'étaient transformés plusieurs fois, à ce point que le nom primitif ne présentait souvent pas de sens et démentait le caractère musical de l'instrument auquel il demeurait attaché. Ainsi, le chorus, qui avait été une espèce de harpe à quatre cordes, était devenu un instrument à vent ; ainsi, le psallerium, qu'on touchait originairement avec un plectre ou avec les doigts, ne résonnait plus que sous un archet ; tel instrument qui avait eu vingt cordes n'en gardait plus que huit ; tel autre, qui s'était contenté longtemps de trois ou quatre cordes, en élevait le nombre jusqu'à vingt-quatre ; celui qui devait son nom à sa forme carrée s'arrondissait ou affectait la forme triangulaire ; celui qui avait pris naissance dans un corps de bois passait dans un corps de cuivre. Rarement ces métamorphoses avaient pour objet d'augmenter les ressources musicales de la symphonie, elles étaient faites plutôt pour amuser les yeux et pour exciter la curiosité ; elles se prêtaient aussi complaisamment aux habitudes bonnes ou mauvaises de l'instrumentiste. On peut croire avec raison qu'il n'y eut pas de règles fixes dans la facture des instruments jusqu'au seizième siècle, où de savants musiciens soumirent la théorie de cette fabrication à des principes mathématiques. Ce ne fut qu'à la fin du seizième siècle (1589) que les facteurs d'instruments de musique furent organisés en corps de métier et obtinrent de la bienveillance de Henri III des privilèges et statuts particuliers. Auparavant, les instruments étaient fabriqués à Paris par des ouvriers organistes, luthiers ou chaudronniers, sous l'inspection et la garantie de la communauté des ménétriers.

Comme de tout temps les instruments de musique ont été divisés en trois classes spéciales, instruments à vent, à percussion et à cordes, on ne peut mieux faire que d'adopter cette division si naturelle pour passer en revue et décrire historiquement les différentes espèces d'instruments qui furent en usage pendant le Moyen Age et la Renaissance. Quant à préciser exactement la valeur musicale de chacun de ces instruments, que nous ne connaissons souvent que par des figures plus ou moins fidèles, c'est un travail de divination devant lequel les plus habiles harmonistes ont reculé. Il est certain cependant que cette bizarre variété de formes et de grandeurs dans chaque famille d'instruments devait produire de singuliers effets de mélodie, et ajouter quelquefois des nuances agréables à l'exécution d'un morceau d'ensemble.

 

INSTRUMENTS À VENT.

C'étaient les flûtes, les trompettes et les orgues. Chacun de ces instruments formait une famille assez nombreuse d'instruments qui différaient de nom, de forme, de grandeur et d'usage. Ainsi, dans la famille des flûtes, on distinguait la flûte droite, la flûte double, la flûte traversière, le syrinx, le chorus, le calamus ou chalemelle, la muse ou musette, la chevrette ou cornemuse, la pipe ou sifflet, le frestel ou fretiau, la douzaine ou doucine, ou hautbois, le flaios ou flageolet, le pandorium, et bien d'autres qui n'ont pas laissé de traces dans l'histoire de la musique.

Le Moyen Age faisait tant de cas de la flûte, le plus ancien de tous les instruments de musique, qu'il avait pris plaisir à la diversifier et à en multiplier les variétés ; cette prédilection pour la flûte était encore si marquée au seizième siècle, qu'un orchestre alors eût semblé incomplet sans un système entier de flûtes comprenant la taille et la haute-contre, la basse et le dessus. Dans l'origine, la flûte simple, qu'on appelait également flûte à bec, consistait en un tuyau droit, de bois dur et sonore, d'une seule pièce, et n'était percée que de quatre ou six trous ; on augmenta successivement le nombre des trous, qui fut porté à neuf, puis à onze, et la longueur du tuyau, qui eut jusqu'à sept à huit pieds de long. Comme les doigts ne suffisaient plus pour agir sur onze trous à la fois, on ferma les deux trous les plus éloignés du bec par des clefs mobiles que le flûteur ouvrait avec son pied. On rencontre des flûtes simples de toutes grandeurs, sur les monuments figurés de toutes les époques. La flûte double, non moins usitée que la flûte simple, avait deux tiges : l'une nommée gauche (sinistra) ou féminine, tenue par la main gauche, pour les sons aigus ; l'autre, nommée droite (dextra) ou masculine, tenue par la main droite, pour les sons graves. Cette seconde tige était ordinairement plus longue que l'autre. Les tuyaux étaient tantôt liés ensemble, tantôt isolés. Quelquefois la flûte double, ayant une seule tige formée de deux pièces distinctes, n'avait aussi qu'une seule ouverture, mais recevait le son par deux becs que le joueur de flûte embouchait alternativement ; c'était l'accompagnement ordinaire des faiseurs de tours ou jongleurs, au onzième siècle. La flûte traversière ou traversine, appelée flûte allemande au seizième siècle, ne fut guère usitée, avant que l'Allemagne lui eût donné de la vogue en la perfectionnant.

Le syrinx, qui n'était pas autre chose que la flûte de Pan, se composait généralement de sept tuyaux, d'inégale grandeur, réunis ensemble, bouchés en bas, ouverts en haut sur le plan horizontal que parcourait la lèvre du musicien. Il y avait des syrinx de différents modèles, les uns en bois, les autres en métal. Ces derniers, en usage aux onzième et douzième siècles, représentaient la moitié d'un cercle et renfermaient neuf tuyaux dans une boîte de métal percée de neuf ouvertures. Un pareil instrument devait produire des sons très-aigus qui s'accordaient difficilement entre eux.

Le chorus, d'après les termes de la lettre de saint Jérôme, se composait d'une peau et de deux tuyaux d'airain, dont l'un était l'embouchure et l'autre le pavillon. M. Bottée de Toulmon veut que ce fût une musette ; M. Coussemaker, une espèce de flûte qui prenait les formes les plus bizarres. Au neuvième siècle, c'était un double tuyau de métal affectant à peu près la figure d'une croix, au milieu de laquelle s'élargissait en cercle une peau tendue, destinée sans doute à servir de réservoir d'air. A la même époque, le tuyau du chorus avait aussi l'aspect d'un carré long : une double peau en remplissait le centre et formait une poche d'air ; l'embouchure était placée au milieu d'un des côtés du tuyau, et deux pavillons s'ouvraient du côté opposé. Cet instrument, dont le nom indique la prétention de renfermer plusieurs instruments en un seul, n'était parfois qu'une longue flûte à tuyau simple terminé par un pavillon à tête d'animal et percé de plusieurs trous, que précédait un tambour ou boîte sonore en métal, en bois ou en peau. Le chorus devint plus tard une espèce de tympanon.

Le calamus, calamellus ou calamella, qui a fait ensuite la chalemelle ou chalemie, ne fut d'abord qu'un chalumeau, et finit par être, au seizième siècle, un dessus de hautbois, lorsque la bombarde en était la basse-contre et la taille, et que la basse s'exécutait sur la cromorne. Au reste, le hautbois formait à lui seul un groupe d'instruments variés. La douçaine ou doucine (dulciana), qu'on appelait souvent flûte douce, n'était pas autre chose qu'un grand hautbois de Poitou qui jouait les parties de taille ou de quinte. On avait imaginé d'obvier à la longueur incommode de ces hautbois, en les divisant par fragments réunis en faisceau mobile sous le nom de fagot : cet instrument, qui n'eut plus alors que quelques pouces de long, se nomma courtaut en France et sourdeline ou sampogne en Italie, où il se jouait, comme la musette, au moyen d'un soufflet gonflant un sac où était le réservoir d'air. La muse de blé était un simple chalumeau ; mais la muse (musa), ou estive (sliva), devait être une vraie musette dès le douzième siècle, comme la muse d'Aussay (d'Ausçois, pays d'Auch) fut certainement un hautbois au quatorzième siècle. Quant à la musette proprement dite, on la nommait plutôt chevrette, chièvre ou çhevrie (cabretta, au onzième siècle), parce que le sac adapté au chalumeau était fait de peau de chèvre ; on employait, en même temps, pour la désigner, les noms de pythaules et de cornemuse.

Les flaios de saus, que la musique de chambre ne dédaignait pas, étaient de véritables sifflets en bois de saule, tels que ceux dont l'enfance a gardé la naïve spécialité ; mais, ainsi que nous l'apprend Guillaume de Machault, il y avait plus de vingt manières de flaios, tant de fortes comme de legières, qui s'accouplaient par pares dans un ensemble musical. Parmi les flaios, ou flageols, il faut comprendre la fistule, le souffle, la pipe et le frestel, ou frétiau, qui a pris plus tard le nom de galoubet. Presque tous les flaios se jouaient de la main gauche, tandis que la droite était occupée à frapper le rythme sur un tambour ou sur des cymbales. Le pandorium, ou pandurium, cité par Cassiodore et Isidore de Séville au nombre des instruments à vent, doit être classé parmi les flûtes, selon M. de Coussemaker, qui avoue ne pas savoir laquelle c'était. Le nom de pandorium nous fait supposer que cette flûte présentait quelque analogie de sons avec l'instrument à cordes nommé pandora.

La famille des trompettes était aussi considérable que celle des flûtes ; elles sont nommées en latin : tuba, liluus, buccina, taurea, cornu3 cornix, salpinx, claro, clarasius, clario hadubba, classica, licinia, siticines, tubesta, etc. ; en français : trompe, corne, cor, cornet, oliphant, buisine, sambute, etc. Saint Jérôme, dans sa lettre à Dardanus, parle de la variété des trompettes qui servaient à la guerre, et dans toutes les circonstances solennelles de la vie publique. La trompette empruntait son nom à sa forme, au son qu'elle rendait, à la matière dont elle était fabriquée, à l'usage qu'elle avait, ou bien à toute autre particularité. Ces instruments différaient tous les uns des autres, et cependant il serait bien difficile de les distinguer entre eux en précisant leurs différences. La trompette militaire (tuba, tibia et liluus), en cuivre ou en airain, avait bien des espèces qui appartenaient soit aux troupes de pied, soit à la cavalerie, soit aux villes de guerre et châteaux fortifiés, soit aux flottes et aux navires armés. Le nom de plusieurs de ces trompettes (clario, claro, clarasius) témoigne de l'éclat de leurs sons. Les noms de quelques autres (cornix, taurea salpinx) indiqueraient plutôt leurs formes ; on sait, en effet, que leurs pavillons représentaient ici une tête de taureau, là une tête d'oiseau, ailleurs une tête de serpent. Ces différentes trompettes étaient employées dans les combats, dans les fêtes publiques, dans les cérémonies civiles et religieuses. Quelques-unes avaient jusqu'à sept pieds de long, et, comme elles étaient grosses à proportion de la longueur, il fallait une sorte de pied pour les supporter pendant que le sonneur embouchait l'instrument et soufflait dedans de toute la force de ses poumons. Au huitième siècle, les bergers saxons, en gardant leurs troupeaux dans les montagnes et les landes de la Cornouaille et du pays de Galles, ne se séparaient pas de leurs trompes, énormes tuyaux recourbés en bois cerclé d'airain, à l'aide desquels la voix humaine se faisait entendre à plusieurs lieues de distance. Il y avait aussi, pour les chasseurs et les pâtres des autres pays, des trompettes recourbées qui servaient également à faire des signaux d'appel et qui étaient d'une dimension plus portative, puisqu'on les tenait d'une seule main en les faisant sonner ; si quelques-unes furent fabriquées en métal, la plupart consistaient en une simple corne de taureau, de buffle ou de bouc. Les barons, et plus tard les chevaliers, qui étaient toujours en guerre ou en chasse, portèrent de pareils cornets pendus à leur ceinture ; mais ces cornets, dont ils faisaient usage au besoin en guise de vase à boire dans leurs expéditions aventureuses, prirent le nom d'oliphant quand on les travailla en ivoire et qu'on les revêtit de délicates sculptures. Les romans de chevalerie sont pleins de scènes de combat dans lesquelles le son de l'oliphant amène une péripétie dramatique : Roland, accablé par le nombre dans les défilés de Roncevaux, sonne du cor pour appeler à son secours l'armée de Charlemagne.

On voit, dans un passage d'un manuscrit de la Bibliothèque de Berne, cité par M. Jubinal, quel était le rôle des trompettes, des cornets et des buisines, au quatorzième siècle : Y a en la legion trompeurs, corneurs et buisineurs. Trompeurs trompent quand les chevaliers doivent aller à la bataille et quand ils s'en doivent retourner aussi. Quand li corneurs cornent, cil qui portent les enseignes leur obéissent et se meuvent, mais non pas li chevaliers. Toutes les fois que li chevaliers doivent issir pour faire aucune besogne, li trompeurs trompent : et quant les bannières se doivent mouvoir, li corneurs cornent. Encore y avoit, ça en arrière, une autre manière d'instrumenz que l'en appeloit clasiques, et, je cuide, l'en les appelle or-endroit buisines. D'après ce passage, les trompettes correspondent aux mouvements des chevaliers ou hommes d'armes ; les cornets, aux mouvements des bannières ou gens de pied ; les buisines ou clairons ne sonnent que si l'ost entier se met en marche. Les hérauts d'armes, qui faisaient les proclamations et les cris sur les places publiques, avaient de longues trompettes à potence, ainsi nommées du bâton fourchu qui en soutenait l'extrémité. Ils se servaient quelquefois, pour le même usage, de trompettes à tortilles, c'est-à-dire de trompes tortillées. Au reste, le son de la trompe ou celui du cor accompagnait la plupart des actes de la vie privée des seigneurs : à leurs repas, on cornait l'eau, le vin, le pain. Dans la vie publique des bourgeois, le cor ou la trompe était comme la voix de l'autorité municipale ou seigneuriale : on cornait l'entrée et l'issue du marché, l'ouverture et la fermeture des portes, l'heure du couvre-feu, jusqu'à ce que la cloche eut remplacé le cornet à bouquin et la trompette de cuivre.

Les Gaulois et les Germains, dès la plus haute antiquité, avaient la passion des grandes trompettes qui rendaient des sons rauques, terribles ou effrayants, comme nous l'apprennent Polybe et Ammien Marcellin ; ils empruntèrent, aux Sarrasins d'Espagne sous Charlemagne, et aux Arabes de Palestine pendant les croisades, le goût et l'usage des trompettes à sons éclatants et stridents : les cors sarrasinois en cuivre remplacèrent les cornets en bois et en corne ; les buisines, qui avaient été, chez les anciens, des trompettes recourbées en cercle, comme nos cors de chasse, se changèrent en grosses trompes d'airain à tige droite et à pavillon évasé ; les trompes, également en métal, se replièrent sur elles-mêmes et développèrent leurs tuyaux mobiles, sous le nom de saquebutes ou sambutes. C'étaient de véritables trombones qui, déjà connus en Italie dès le neuvième siècle, essayèrent diverses formes, et se divisèrent, au seizième siècle, en quatre parties : premier dessus, second dessus, bourdon et basse. L'Allemagne se montra surtout amoureuse des trompes et des cornets, qui prirent aussi leurs quatre divisions harmoniques et furent percés de trous, ainsi que les flûtes.

Mais de tous les instruments à vent, celui qui eut le caractère le plus imposant et la destinée la plus glorieuse, au Moyen Age, ce fut l'orgue. L'antiquité ne connaissait que l'orgue hydraulique (hydraula), dont Tertullien attribue l'invention à Archimède. Cet orgue (organon) se composait, en général, de vingt-six tuyaux que faisait vibrer un clavier de vingt-six touches, qui mettaient en jeu les soupapes placées au-dessus d'un réservoir d'eau. Il y eut souvent des perfectionnements ingénieux dans le mécanisme des orgues hydrauliques. Celui qu'on voyait à Rome, du temps de Néron, était si compliqué et si extraordinaire que l'empereur passa tout un jour à l'admirer. Dans ces instruments, l'air rendait, sous la pression de l'eau, les sons les plus variés et surtout les plus aigus. L'orgue hydraulique, que Tertullien nous montre composé de tant de pièces, de tant de parties distinctes, d'un si grand nombre de tuyaux, était toujours remarquable par ses proportions énormes. Eginard parle d'un orgue de cette espèce, fabriqué en 826 par un prêtre de Venise nommé Georges, pour Louis-le-Débonnaire, qui le fit mettre dans son palais à Aix-la-Chapelle. L'orgue hydraulique néanmoins, quoique décrit et recommandé par Vitruve, n'était pas d'un usage très-répandu en Occident. On le voit figurer pour la dernière fois, au douzième siècle, dans l'église du monastère Malmesbury, et encore, cet orgue-là était-il plutôt un orgue à vapeur, car les sons si puissants qu'il rendait (modulatos clamores) sortaient de tuyaux d'airain dans lesquels s'engouffrait la vapeur de l'eau bouillante.

C'était l'orgue pneumatique qui avait fait abandonner l'orgue hydraulique comme étant d'un appareil plus coûteux et plus embarrassant, d'un jeu moins sûr et moins facile, d'une harmonie moins agréable. L'orgue pneumatique était connu dès le quatrième siècle. On appelle organa, dit saint Augustin, tous les instruments de musique ; on appelle organum, non-seulement ce grand instrument dans lequel l'air est introduit par des soufflets, mais encore tout instrument qui est propre à exécuter une mélodie. Ces orgues primitifs devaient être d'un mécanisme fort simple, suivant la description qu'en fait saint Jérôme : il se composait de quinze tuyaux, de douze soufflets et de deux peaux d'éléphant jointes ensemble servant de réservoir d'air. Ce sont deux orgues de ce genre qu'on reconnaît parmi les sculptures de l'obélisque érigé à Constantinople sous Théodose-le-Grand : l'un a sept tuyaux de même hauteur ; l'autre en a huit, dont les ouvertures présentent un plan vertical. Des soufflets que met en mouvement le poids de deux enfants font pénétrer l'air dans le sommier sur lequel repose le jeu d'orgue. La position de ces deux instruments empêche de voir le clavier, dont les langues de bois, pour employer les expressions de Cassiodore, artistement comprimées sous les doigts des musiciens, produisaient une puissante et délicieuse harmonie. Il faut cependant remonter jusqu'au huitième siècle pour constater l'introduction de l'orgue pneumatique en Occident, ou du moins en France. En 757, l'empereur d'Orient, Constantin Copronyme, envoya des présents au roi Pépin, et, parmi ces présents, il y avait un orgue qui fit l'admiration de la cour de Compiègne. Le même empereur, peu d'années après, envoya encore un orgue à Charlemagne, et Charlemagne en fit faire plusieurs autres d'après ce modèle, dont les tuyaux d'airain, animés- par des soufflets en peau de taureau, raconte le moine de Saint-Gall, imitaient le rugissement du tonnerre, les accents de la lyre et le cliquetis des cymbales. Ces premiers orgues, malgré la force et la richesse de leurs sons, étaient, d'une dimension tout à fait portative. Ce fut par suite de son application presque exclusive aux solennités du culte catholique, que l'orgue se développa sur une échelle gigantesque. Dès l'année 954, l'évêque Elfège avait fait construire, pour son église de Winchester, un orgue qui surpassait en grandeur tous les orgues qu'on avait vus jusqu'alors. Cet orgue se divisait en deux parties, ayant chacune sa soufflerie, son clavier et son organiste : douze soufflets en haut, quatorze en bas étaient mis en jeu par soixante-dix hommes robustes, et l'air se distribuait, au moyen de quarante soupapes, dans quatre cents tuyaux rangés par groupes ou chœurs de dix, à chaque groupe desquels correspondait une des vingt-quatre touches de chaque clavier. On a peine à croire cependant que le son d'un pareil or gue s'entendait par toute la ville (undique per urbem), comme le dit un poète contemporain.

Depuis le neuvième siècle, les meilleurs facteurs d'orgues étaient en Allemagne. Le pape Jean VIII écrit à un évêque de Freising pour lui demander à la fois un bon orgue et un bon organiste. Gerbert, devenu pape sous le nom de Sylvestre II, paraît avoir créé dans le monastère de Bobbio un atelier pour la facture des orgues. Cet atelier en fournissait même aux églises de France, et Gerbert en donne un à sa ville natale, Aurillac. Tous les traités de musique rédigés du neuvième au douzième siècle entrent dans les détails les plus circonstanciés sur les proportions des tuyaux d'orgue, ce qui prouve que cet instrument était généralement répandu en Europe. Cependant sa présence dans les églises et son emploi pendant les cérémonies sacrées rencontraient çà et là, de la part du clergé ou des évêques, une opposition fondée sur l'autorité des conciles. Au douzième siècle, Ealred, abbé de Rieval, se plaint du tonnerre des orgues et du grondement de leurs soufflets. Balderic, à la même époque, prend leur défense et les met sous la protection du roi David et du prophète Élisée : Nous permettons, dit-il, l'usage de l'orgue, à l'exemple de ces grands personnages ; mais nous ne faisons pas un crime aux églises qui n'en ont point. Enfin l'orgue triompha de tous ses ennemis, et régna presque sans partage dans la maison de Dieu, à partir du treizième siècle. Ces instruments, en général très-compliqués, occupaient beaucoup de place ; mais leurs différences résultaient moins de leurs proportions que de la sonorité de leurs tuyaux : les uns étaient en bronze, les autres en cuivre, d'autres en bois, quelques-uns en verre. Il y avait à Milan un orgue à tuyaux d'argent ; il y en avait un à Venise, dont les tuyaux étaient en or pur. On adopta de préférence un alliage de plusieurs métaux combinés ensemble. Quant au nombre des tuyaux, il varia sans cesse, selon que le facteur d'orgues voulait ajouter le jeu de tel ou tel instrument à son clavier. Le mécanisme était aussi plus ou moins simple et ingénieux ; les soufflets néanmoins, quel que fût leur procédé, n'étaient jamais faciles à mettre en mouvement, et les claviers, dans les grandes orgues, présentaient des palettes larges de cinq ou six pouces, que l'organiste, les mains garnies de moufles ou gros gants de paume, frappait à coups de poing pour en tirer des sons.

On avait inventé aussi, dès les premiers temps, l'orgue portatif, qui prit successivement les formes les plus commodes. Il se composait, d'ordinaire, d'une caisse renfermant les tuyaux debout sur deux rangs, avec un clavier devant et un soufflet derrière. Tantôt on manœuvrait le soufflet au moyen d'une pédale, tantôt de la main gauche, tandis que la droite seule parcourait le clavier. Cet orgue se posait sur les genoux de l'exécutant ou bien sur une table. Souvent la dimension et la forme de cet instrument ne dispensaient pas l'organiste de recourir à l'aide d'un souffleur. Bientôt la boîte à tuyaux se ferma, et le musicien put se la suspendre au cou.

Au commencement du seizième siècle, Martin Agricola, dans sa Musica inslrumentalis, et Ottomarus Luscinius, dans sa Musurgia, donnent la description et la figure de trois espèces d'orgue de chambre : le portatif, la regale et le positif. Ce dernier est représenté dans le célèbre tableau de Raphaël, qui a peint sainte Cécile jouant du positif. Pour la rectale, Qu'on désignait sous le nom de regales au dix-septième siècle et de ninfali en Italie, il en est question souvent dans les écrivains facétieux du temps de Louis XIII. La Satyre ménippée, qui nous montre le Charlatan espagnol jouant des regales sur son échafaud du Pont-Neuf, avait perpétué le souvenir de ce petit jeu d'orgues, que la Flandre métamorphosa de la façon la plus bizarre, au dix-septième siècle, en composant sous ce nom un instrument à percussion, avec dix-sept bâtons de bois résonnant, de différentes grandeurs, qu'on martelait en cadence.

 

INSTRUMENTS À PERCUSSION.

C'étaient les cloches, les cymbales et les tambours. Chacune de ces espèces d'instruments de musique se composait d'une famille assez nombreuse et très-variée. Il n'est pas douteux que les anciens connaissaient les cloches, les clochettes et les grelots ; mais la cloche proprement dite, en métal fondu — campana ou nola, parce qu'on en attribue l'invention à saint Paulin, évêque de Nole au sixième siècle —, ne fut mise en usage que pour appeler à de grandes distances les fidèles aux cérémonies du culte catholique. Les églises et les monastères étaient en ce temps-là isolés, cachés au milieu des bois : il fallait donc un mode facile d'avertir les habitants du voisinage, que le prêtre allait monter à l'autel. Dans l'origine, un moine ou un clerc tenait à la main une cloche qu'il faisait tinter à la porte de l'église ou du haut d'une plate-forme. Ce n'était encore là que le tintinnabulum qui ne changea de destination qu'après le dixième siècle et qui fut depuis réservé aux crieurs publics, aux clocheteurs des trépassés et aux sonneurs de confréries. Quant à la cloche de paroisse, elle n'avait pas tardé à grossir et à prendre un tel volume, qu'il avait fallu bâtir des tours et des clochers pour la suspendre dans les airs, où le son ne rencontrait pas d'obstacles. Les premières cloches avaient été faites certainement, comme le saufang de Cologne, avec des lames de fer battu superposées et jointes par des clous, en forme conique. De pareilles cloches, armées d'un long battant de fer, ne pouvaient rendre que des sons discordants et sourds. On fondit des cloches en cuivre et en argent, dès le huitième siècle. Une des plus anciennes qui subsistent maintenant, c'est sans doute celle de la tour de' Bisdomini, à Sienne : elle porte la date de 1159 ; elle a la forme d'un tonneau ayant un mètre de hauteur, et elle rend un son très-aigu. On peut juger, d'après des exemples d'un âge postérieur, que les fondeurs de cloches avaient différentes théories sur la forme la plus propice au son : les uns comprimaient les lèvres de la cloche les autres les évasaient ; les uns ne voulaient pas que le battant dépassât les bords du métal, les autres l'allongeaient en dehors.

Presque toutes les grosses cloches, depuis le quatorzième siècle, ont des inscriptions et des dates qui nous racontent leur origine et leur baptême. La réunion de plusieurs cloches de différentes grosseurs avait produit tout naturellement le carillon, qui reçut d'abord le même nom que la cloche isolée, tintinnabulum. Le carillon était alors un cintre en bois ou en fer, auquel pendaient cinq ou six clochettes de divers calibres, que le carillonneur frappait l'une après l'autre en cadence avec un petit marteau. Par la suite, on décupla le nombre des cloches en variant leurs dimensions, et le carillonneur fut remplacé par un mécanisme qui faisait mouvoir les marteaux d'après les lois de l'harmonie. Le Moyen Age eut la passion de ces carillons à musique, qu'il plaçait dans les clochers des églises et dans le beffroi des hôtels de ville, d'où s'élevait un concert aérien semblable aux mille voix d'un orgue invisible pour annoncer à une ville entière la marche des heures sur le cadran de l'horloge publique. Les vieilles cités du Nord, surtout celles de la Belgique, sont encore fières de leurs joyeux carillons, qui accompagnent souvent les ingénieux mouvements d'une horloge mécanique à personnages. Une autre espèce de carillon à main, dit cymbalum au neuvième siècle et flagellum au dixième, selon Suidas, se composait d'une certaine quantité de clochettes, attachées deux par deux ou trois par trois à des baguettes de fer, qui tenaient toutes par une extrémité à un anneau mobile et qui, en se balançant dans l'air comme un large éventail, amusaient les oreilles avec une sonnerie continue. Il y avait, d'ailleurs, de véritables cymbales (cymbala ou acetabula), rondelles sphériques et creuses, en argent, en airain ou en cuivre, qu'on prenait de chaque main ou qu'on s'attachait à chaque pied ou à chaque genou pour les choquer l'une contre l'autre. Ces cymbales-là n'ont changé ni de forme, ni d'usage, ni de nom. Les petites cymbales, qu'on appelait crotales, n'étaient que des grelots que les danseurs faisaient sonner en dansant, comme les castagnettes espagnoles, que nous trouvons en France sous le nom homogène de maromettes au seizième siècle, et qui avaient été, au treizième, les cliquettes des ladres. Les crotales sont décrites ainsi par Jean de Salisbury : Crotala dicuntur spherulœ sonoræ, quœ quibusdam granis interposilis pro quantitate sui et specie metalli varios sonos edunt. Les sons des grelots semblaient si réjouissants à nos pères, qu'ils se plurent à multiplier l'emploi de ces boules sonores que fait tinter le moindre ébranlement. Les chevaux de parade et de voyage avaient des grelots plus ou moins riches qu'ils agitaient en marchant, et, même au quinzième siècle, la mode des grelots avait fait de tels progrès dans les cours d'Allemagne, que les habits des hommes et des femmes en étaient tout chargés. Ces sons clairs, vifs et argentins, qui causent au tympan une sensation presque douloureuse, furent particulièrement goûtés en Europe après les croisades, qui y multiplièrent les instruments de musique, surtout ceux à percussion.

Avant cette époque cependant, le sistre égyptien et le triangle oriental (tripos colybœus) avaient leur emploi dans la musique religieuse et (estivale. Le sistre était toujours un cercle de métal traversé par des baguettes, également en métal, qui tintaient et gémissaient en roulant sur elles-mêmes chaque fois qu'on secouait l'instrument. Le triangle, ou trepie, était ordinairement ce qu'il est encore aujourd'hui ; mais quelquefois il avait la forme d'un trépied en fer creux à jour, dans les ouvertures duquel on promenait une verge de métal qui en tirait des sons aigus et plaintifs. Un autre instrument du même genre, qui tenait aussi du carillon et qui ne paraît pas avoir été très-répandu, c'était le bombulum ou bunibulum, que saint Jérôme essayait de décrire, pour le faire connaître, au cinquième siècle, et que nous voyons grossièrement représenté dans divers manuscrits du neuvième et du dixième siècle. Une sorte de potence en métal creux, formant à l'intérieur un double tuyau enroulé, soutenait à son extrémité, par une chaîne conductrice du son une table sonore revêtue d'écaillés de cuivre, aux branches de laquelle étaient suspendues des clochettes de différentes grosseurs. En agitant ces clochettes, l'instrument répercutait leurs sons avec un éclat extraordinaire.

Le tambour a été de tous temps un corps concave revêtu d'une peau tendue ; mais la forme et la dimension de ce corps concave en ont fait varier le nom aussi bien que l'usage. Il se nomme, au Moyen Age : taborellus, tabornum, tympanum, tympanellum, lympaniolum, et même symphonia, dans Isidore de Séville. Il est employé constamment dans la musique de fête publique, spécialement aux processions ; mais on ne le voit paraître dans la musique militaire, du moins en France, qu'au quatorzième siècle. Les Arabes s'en servaient de toute antiquité. Le taborellus, taburet au treizième siècle, c'est la grosse caisse ou le tambourin, sur lequel on marque la mesure avec une seule baguette ; le tabornum, avec tous ses composés, taburium, taburcinum, taborinum, etc., c'est le tambour à deux baguettes ; tympanum ou timbre, c'est notre tambour de basque : Li timbres est un estrumenz de musique qui est couvert d'un cuir sec de beste, lit-on dans un Psautier manuscrit du quatorzième siècle, et le Roman de la Rose le caractérise mieux encore, en nous montrant des jongleurs

Qui ne finoient de ruer

Le tymbre en haut et recueilloient

Sur un doy, que oncques defailloient.

Les timbanala ou nacquaires, ce sont les tymbales de cuivre en forme cylindrique, telles que les croisés les avaient apportées de Palestine ; le bedon, c'est un énorme tambour à deux faces, qu'on appelait gros tambour de Suisse ou d'Allemand au seizième siècle, et qu'on frappait doucement avec deux petites baguettes ; enfin, le tympanon, au quatorzième siècle, était certainement l'instrument auquel saint Jérôme applique le nom de chorus, et que nous reconnaissons parmi les sculptures de la Maison des Musiciens à Reims. Il consistait en un timbre ou tambour de basque assujetti sur l'épaule droite, de manière que l'exécutant pût le faire sonner à coups de tête, tandis qu'il soufflait dans deux flûtes de métal percées de plusieurs trous, lesquelles communiquaient avec le ventre du tambour.

 

INSTRUMENTS À CORDES.

Ces instruments se divisent en trois grandes catégories : ceux à cordes pincées, ceux à cordes frappées, ceux à cordes frottées ; quelques-uns appartiennent à ces trois catégories, parce qu'on a employé successivement ou simultanément trois manières de s'en servir. Les plus anciens sont, sans aucun doute, ceux à cordes pincées. Le premier de tous en ce genre, c'est la lyre, qui a donné naissance à la cithare, à la harpe, au psaltérion, au chorus, au nabulum, au monochordum, au luth, et à beaucoup d'autres instruments de même famille. Au reste, les noms originaires de ces instruments sont sans cesse détournés de leur acception réelle par les écrivains du Moyen Age, et il en résulte souvent d'étranges méprises.

La lyre, qui était l'instrument à cordes par excellence chez les Grecs et les Romains, conserva sa forme primitive jusqu'au dixième siècle. Le nombre des cordes variait depuis trois jusqu'à huit. Elles étaient presque toujours en boyau ; néanmoins, on en faisait aussi avec du laiton et un mélange d'or et d'argent. Quant au corps sonore, qui est invariablement placé en bas de l'instrument, quelle que soit sa forme d'ailleurs, il était plus souvent en bois qu'en métal, en ivoire et en écaille. On pinçait, on grattait les cordes avec les doigts ou avec un plectre. En général, on posait la lyre, debout et de face, sur les genoux, et l'on en jouait d'une seule main ; quelquefois aussi, on la plaçait comme une harpe pour en jouer des deux mains. La lyre du Nord, qui fut incontestablement le premier essai du violon et qui en présente déjà la figure, était fermée dans le haut et avait un cordier à l'extrémité du corps sonore, ainsi qu'un chevalet au milieu de la table. On touchait cette lyre avec une seule main, tandis que l'autre supportait le poids de l'instrument. La lyre ne survécut pas longtemps au psalterium et à la cithare, qu'elle avait fait naître. Le psalterium, qu'il ne faut pas confondre avec le psaltérion du treizième siècle, était une petite harpe portative qu'on touchait des deux mains, ou d'une seule main, ou avec un plectre, à volonté. Ce qui la distinguait essentiellement de la lyre et de la cithare, c'était la place du corps sonore, en bois ou en airain, qui occupait le haut de l'instrument et qui motivait les variations de sa forme. Le psalterium carré, ou rond, ou oblong, en façon de bouclier (in modum clypei), avait parfois un corps sonore dont l'extrémité se prolongeait de manière à pouvoir s'appuyer sur l'épaule gauche du musicien. Il ne portait pas moins de dix cordes (decacordus) ni plus de vingt, toujours perpendiculaires. Le psalterium triangulaire, qu'Isidore de Séville appelle canlicum et qui se confondit bientôt avec la harpe, avait quelque analogie avec la cithare. Ses dix ou vingt cordes étaient posées perpendiculairement à la partie la plus étroite du triangle allongé : cette partie renfermait le corps sonore, et la partie inférieure de l'instrument formait un angle aigu qui lui servait de point d'appui. Il n'est plus question de cet instrument après le dixième siècle ; on lui avait préféré la cithare, dont le nom avait désigné d'abord indistinctement tous les instruments à cordes. Sa forme variait selon les pays, puisqu'on disait cithara barbara, teutonica, anglica, etc. C'était tantôt la lyre, tantôt la harpe ; mais la cithare proprement dite, telle que saint Jérôme la décrit, avait la forme d'un delta grec (V) à l'envers ; le corps sonore était logé dans un des angles du delta, et cet angle-là reposait sur les genoux du musicien, pendant qu'il pinçait les cordes, dont le nombre ne fut jamais déterminé. Ce nombre se bornait à six quelquefois, et s'élevait quelquefois jusqu'à vingt-quatre. La cithare resta comme nom générique d'une famille d'instruments de musique ; mais elle se transforma de plusieurs manières en devenant le nabulum, le chorus et le psaltérion.

Le nabulum ou nablum, nable ou nablon, existait déjà au cinquième siècle ; saint Eucher en parle ainsi : Nablum quod græce appellatur psalterium, quod a psallendo dictum est, ad similitudinem cytharæ barbaricæ in modum deltæ. Ce nable, qui avait la forme d'un triangle à angles tronqués ou d'un demi-cercle, et dont la boîte sonore occupait toute la partie arrondie, ne laissait à ses douze cordes qu'un espace très-resserré. Le chorus ou choron, dont la représentation imparfaite dans les manuscrits des neuvième et dixième siècles rappelle la figure d'une longue fenêtre en plein cintre ou d'un U de l'écriture capitale des premiers âges, offre, comme certains psalterium, le prolongement d'un des montants, sur lequel on l'appuyait sans doute pour le tenir à la manière d'une harpe. Cet instrument était animé par un certain nombre de cordes tendues verticalement : il n'en avait parfois que quatre, assez grosses, qu'on touchait avec de petits bâtons. Il en a neuf dans un manuscrit de Boulogne, où on lit au-dessus de la figure : Hic forma citharæ, et elles sont tendues dans un sens opposé à celui que présente, en ce même manuscrit, un choron à quatre cordes divisées en deux groupes.

Quant au psaltérion, qui différait entièrement du psalterium et qui avait été engendré plutôt par le nable que saint Eucher appelle psallerium au cinquième siècle, il fut en usage par toute l'Europe, du douzième au seizième siècle. On le croit originaire d'Orient, où il se nommait santir ou pisantir. Il n'a été répandu en Occident qu'à la suite des croisades, sous les noms de salteire, saltère, saltérion, psaltérion. Cet instrument, qui a été totalement abandonné et oublié depuis le seizième siècle, se composait d'abord d'une caisse plate en bois sonore, ayant deux côtés obliques et affectant la forme d'un triangle tronqué à son sommet, avec douze ou seize cordes de métal, or et argent, qu'on égratignait à l'aide d'un petit crochet en bois, en ivoire ou en corne. Plus tard, on amincit les cordes et on en augmenta le nombre, qui fut porté souvent jusqu'à trente-deux, et qu'on rangea quelquefois deux par deux pour avoir sous la main le ton et le demi-ton de chacune ; on tronqua les trois angles du corps sonore et l'on y pratiqua des ouïes, tantôt une seule au milieu, tantôt trois correspondant aux trois angles, tantôt quatre et même cinq. Le musicien posait l'instrument contre sa poitrine, et l'embrassait pour en toucher les cordes avec les doigts ou avec deux plumes ou plectres. Cet instrument, que les poètes et les peintres ne manquaient jamais de placer parmi les concerts célestes., avait des sons exquis d'une douceur incomparable. Les vieux romans de chevalerie épuisent toutes les formules admiratives pour le psaltérion ; mais le plus grand éloge qu'on puisse faire de cet instrument de musique, c'est de dire et de prouver qu'il a été le point de départ du clavecin ou des instruments mécaniques à cordes grattées et frappées.

En effet, il suffit, pour créer une espèce de clavecin, qu'on nommait au quatorzième siècle dulcimer ou dulce-melos, d'adapter un clavier à un grand psaltérion et d'enfermer dans un coffre tout l'appareil sonore. On ne sait pas néanmoins quelle était la configuration de cet instrument, qui avait quatre octaves dès le temps de Gerson, c'est-à-dire vers 1400. Il n'avait quelquefois que trois octaves, et il s'appelait alors clavicorde ou manicordion. Au seizième siècle, ce clavecin primitif avait cinquante notes au plus et quarante-deux au moins, en comptant les tons et les demi-tons ; il se composait de lames de métal qui s'appliquaient sur les cordes et les faisaient vibrer en leur servant de chevalets mobiles, de sorte qu'une même corde représentait plusieurs notes. La forme triangulaire du psaltérion semble s'être conservée dans les pianos à queue de nos jours, qui ont encore certainement le clavier placé comme il l'était dans la clavicorde et le dulce-melos. C'est en Italie que les instruments à cordes de métal et à clavier, de la même famille, tels que l'épinette, paraissent avoir reçu les premiers perfectionnements qui devaient bientôt rendre inutile le psaltérion et le faire oublier tout à fait.

Il y avait déjà au neuvième siècle un instrument à cordes dont le mécanisme assez imparfait tendait évidemment à remplacer le clavier qu'on appliquait alors aux orgues. L'organistrum, qu'on ne revoit plus après le dixième siècle, quoiqu’ïl figure encore parmi les sculptures de l'église Saint-Gervais de Boscherville, était une énorme guitare, percée de deux ouïes et montée de trois cordes mises en vibration par une roue à manivelle ; huit filets mobiles, se relevant et s'abaissant à volonté le long du manche, formaient comme autant de touches destinées à varier les sons. Ce gros instrument se plaçait sur les genoux de deux musiciens, dont l'un faisait mouvoir les touches ou filets, et l'autre, la manivelle. L'organistrum, en diminuant sa taille et en modifiant son mécanisme, devint la vielle proprement dite, qu'un seul musicien manœuvrait facilement en tournant d'une main la manivelle et de l'autre remuant les touches. On ne l'appelait pas encore vielle, mais rubebbe, rebel et simphonie. La simphonie, chifonie ou sifoine, n'était autre que la vielle actuelle. Au cinquième siècle, la symphonia avait été l'instrument à percussion que nous nommons aujourd'hui tymbales. Mais la chifonie ne figura jamais dans les concerts, et fut dédaigneusement abandonnée aux aveugles et aux mendiants, qui s'en allaient viellant de porte en porte pour émouvoir par leur musique criarde la charité des bonnes âmes. On les nommait chifonieus, comme on le voit dans le roman rimé de Bertrand du Guesclin, où la vielle est qualifiée un instrument truant :

Ainsi vont li aveugles et li pauvre troont,

De si fais instrumens li bourgeois esbatant :

En l'appella de là un instrument truant,

Car ils vont d'huis en huis leur instrument portant, etc.

Dans ces différents instruments, on avait voulu suppléer par une roue et par un clavier, ou des touches mécaniques, à l'action des doigts sur les cordes ; néanmoins, les instruments à cordes pincées, les luths et les harpes, étaient loin de déchoir dans l'estime des musiciens habiles qui savaient s'en servir.

La harpe, d'origine saxonne, ne fut d'abord qu'une cithare triangulaire dans laquelle le corps sonore occupait tout un côté, de bas en haut, au lieu d'être circonscrit à l'angle inférieur de l'instrument ou bien relégué à sa partie supérieure. Quoique les antiquaires aient prétendu découvrir la harpe dans l'antiquité grecque, romaine et même égyptienne, il est presque incontestable qu'il faut la renvoyer aux peuples du Nord. Fortunat, au sixième siècle, caractérisait ainsi la harpe des barbares :

Romanusque lyrâ, plaudat tibi Barbarus harpa.

Au reste, le nom de la harpe porte dans son étymologie gaélique la preuve de sa véritable patrie. La harpe anglaise du neuvième siècle (cithara anglica) ne diffère pas, pour ainsi dire, de la harpe moderne ; la simplicité et l'élégance de sa forme attestent déjà la perfection de cet instrument, qui avait seulement douze cordes. Le nombre des cordes, il est vrai, a varié depuis autant que leur direction et la forme de l'instrument. On voit, à la même époque, des harpes à six cordes, d'autres à vingt-cinq. La caisse sonore se présente aussi avec des proportions également variables : ici, elle est carrée ; là, elle est arrondie. Les bras de l'instrument sont tantôt droits, tantôt recourbés. Souvent, le montant supérieur qui supporte les cordes se termine par une figure de bête ; souvent, l'angle inférieur repose sur des griffes ou des pieds fantastiques. Les ouïes sont généralement percées de chaque côté, le long de la caisse des sons ; mais, par exception, elles s'ouvrent sur la table même des chevilles. Enfin, du neuvième au seizième siècle, la harpe change peu de dimension, et, dans les miniatures où elle est représentée, elle dépasse rarement la tête de l'instrumentiste, qui en joue assis. Cependant il y avait de petites harpes encore plus légères que le musicien portait suspendues à son cou par une courroie, et dont il pinçait les cordes en restant debout. Dans ces harpes portatives, la barre du haut s'allongeait d'ordinaire en serpent pour faire un point d'appui qui s'adaptait ainsi sur l'épaule de l'exécutant. C'était, en quelque sorte, l'instrument noble et privilégié. Les trouvères et les jongleurs de la langue d'oïl s'accompagnaient sur la harpe, en récitant leurs ballades et fabliaux, en chantant leurs chansons, comme les rapsodes grecs répétaient les vers d'Homère et d'Hésiode aux sons de la lyre. Dans les romans de chevalerie, dans les anciennes poésies des treizième et quatorzième siècles, on entend sans cesse retentir la harpe, sans cesse le harpeur commence un laide guerre et d'amour. Les pays du Nord, l'Angleterre, la Suède, l'Allemagne, n'étaient pas moins passionnés que la France pour la harpe, qui, de l'avis d'un juge très-compétent, Guillaume de Machault, auteur du Dict de la Harpe :

Tous instrumens passe,

Quand sagement bien en joue et compassé.

Que le roi des ménétriers eût seul le droit de jouer de la harpe, nous ne le croyons pas, malgré certains exemples tirés du roman de Perceforet : tout ménétrier pouvait harper, pourvu qu'il sût bien manier la harpe.

Ce bel instrument était en décadence au seizième siècle, ou plutôt on lui préférait le luth et la guitare, que l'Italie et l'Espagne avaient mis à la mode en France. Le luth, en latin laudis, leulus et lutana, avait été d'abord presque confondu avec le cistre ou citre, la citole, cistole ou cuitole, et la pandore, bandore ou mandore. Mais le seizième siècle, qui classa les instruments par familles distinctes, accorda une attention particulière au luth et à la guitare, qui firent les délices des cours et des ruelles. Tout grand seigneur voulut avoir son joueur de luth ou de guiterne à l'instar des rois et des princesses. Bonaventure des Périers, poète-valet de chambre de la reine Marguerite de Navarre, avait composé, pour cette grande princesse, la Manière de bien et justement entoucher les lucs et guiternes, curieux traité, publié après sa mort avec ses Discours non plus mélancoliques que divers. Le luth et la guitare n'ont presque pas changé de forme depuis ce temps-là ; seulement, le luth était monté de quatorze cordes doubles nommées chœurs, et la guitare, de quatre chœurs seulement. Ces deux instruments furent en pleine faveur, deux siècles environ, dans ce qu'on appelait la musique de chambre. Ils se modifièrent à peine durant ce temps-là, et ils introduisirent dans le monde instrumental le léorbe et la mandoline, qui n'eurent jamais qu'une existence isolée et obscure. On les touchait à volonté, avec les doigts ou avec une plume, comme la bandore et la citole du Moyen Age.

Les instruments à cordes frottées ou à archet, qui n'étaient pas connus avant le cinquième siècle, et qui appartiennent incontestablement aux races du Nord, ne se répandirent en Europe qu'à la suite des invasions normandes. Ils furent d'abord grossièrement fabriqués, et ils ne rendirent que de médiocres services à l'art musical ; mais, depuis le douzième siècle jusqu'au seizième, ils changèrent souvent de forme et de nom, en se perfectionnant, à mesure que l'exécution des musiciens se perfectionnait aussi. Le plus ancien de ces instruments est sans doute le cront, qui renferme dans son nom gallois cruth ou crwth la constatation de son origine, et qui devait enfanter la rote, si chère aux ménestrels et aux trouvères du treizième siècle. Le poète-évêque de Poitiers, Venantius Fortunatus, avait donné une date précise à cet instrument breton, en disant : Chrotia brilanica placet. Le crout, que la tradition place dans les mains des bardes de l'Armorique, de la Bretagne et de l'Ecosse, se composait d'une caisse sonore, formant un carré long, plus ou moins échancré de deux côtés, avec un manche adhérant au corps de l'instrument et accompagné de deux ouvertures qui permettaient de le tenir de la main gauche, en agissant à la fois sur les cordes comme sur celles d'une lyre. Ces cordes étaient au nombre de trois ; elles furent portées à quatre, puis à six, dont deux se jouaient à vide ; le musicien les frottait doucement au moyen d'un archet long ou court, droit ou convexe, muni d'un seul fil d'archal ou d'une mèche de crins. Le crout ne subsista pas au-delà du onzième siècle, excepté en Angleterre, où il était national. Mais il fut remplacé ailleurs par la rote, qui n'était pas, ainsi que certains archéologues ont voulu le prouver, une vielle à roue, ou symphonie, non plus qu'une vièle à archet, ou violon. Il n'y a donc pas même à débattre si le nom de rote est dérivé de rota plutôt que de crotta.

Dans les premières rotes qui furent fabriquées au treizième siècle, on ne peut se méprendre sur l'intention de réunir en un seul instrument les cordes pincées de la lyre et les cordes frottées du violon ; la caisse, sans échancrures de chaque côté, et arrondie aux deux extrémités, est beaucoup plus haute dans le bas, à la naissance des cordes, que dans le haut, près des chevilles, où elles doivent résonner à vide, sous l'action du doigt, qui les attaque dans le rayon d'une ouverture circulaire, tandis que l'archet les anime à l'endroit des ouïes pratiquées en forme d's auprès du cordier. Il devait être difficile, en jouant sur une rote de cette espèce, d'atteindre avec l'archet une corde isolée ; mais, à cette époque, la beauté d'un instrument à archet consistait à former des accords par consonnances de quartes, de quintes et d'octaves. Bientôt la rote fut presque un nouvel instrument, en prenant la forme que le violoncelle a conservée ; la caisse sonore se développa, le manche s'allongea hors du corps de l'instrument ; les cordes, réduites au nombre de trois ou de quatre, se tendirent sur un chevalet : les ouïes s'ouvrirent davantage en croissant ou en dé. De ce moment, la rote eut un caractère spécial qu'elle ne quitta même pas au seizième siècle, quand elle devint la basse de viole (viola di gamba). C'était là sa vraie destination. L'exécutant, le roleor, la tenait perpendiculairement par le manche avec la main gauche, et promenait, de la main droite, sur les cordes, un long archet soyeux qui en tirait de graves et lentes consonnances. La grandeur de l'instrument indiquait la manière de le placer, soit sur les genoux, soit, à terre, entre les jambes. C'est donc par erreur ou par ignorance que certains auteurs du quatorzième siècle ont appliqué le nom de rôle h des harpes portatives et à des psaltérions triangulaires ; c'est également par erreur que des archéologues ont voulu découvrir des rotes à cordes pincées, depuis le douzième siècle. Il est certain que les noms de rote, de vièle ou de viole, désignaient indifféremment tous les instruments à cordes, et les joueurs de vièle et de rote en jouaient simultanément avec les doigts et avec l'archet.

La vièle ou la viole, qui n'avait aucun rapport, sinon de forme, avec la vielle de nos jours, fut d'abord une petite rote, que le viéleux, troubadour ou trouvère, tenait en l'air comme le violon actuel, en l'assujettissant sous son menton ou contre la poitrine. La caisse de la vièle, au lieu d'être carrée, aplatie et plus ou moins échancrée de chaque côté, était d'abord conique et bombée ; elle devint insensiblement ovale, et le manche resta très-court et fort large. Nous croyons que ce manche, qui se terminait souvent par une espèce de trèfle orné, semblable à une violette (viola), aura pu motiver le nom générique de l'instrument. La vièle était montée de trois ou quatre cordes ; elle avait deux ouïes, en forme d'oreille, placées en regard du cordier ; l'archet, long et léger, ne portait qu'un fil d'archal. La vièle, de même que la rote, était l'accompagnement obligé de certains chants ; et, parmi les jongleurs qui en jouaient, il n'y avait pas beaucoup de bons viéleux. Guiraud de Cabrera dit dédaigneusement au jongleur Cabra : Tu sais mal jouer de la vièle ; mal t'a enseigné celui qui t'a montré à conduire les doigts et l'archet. Cet instrument, que les poètes du treizième siècle citent sans cesse à côté de la harpe, s'appelle viole ou viola chez ceux du Midi, et viele chez ceux du Nord, sans que l'on puisse dire quel est le premier qui en a fait mention. Il est à présumer cependant que c'est au Midi que l'on doit cette imitation de la rote du Nord. En tout cas, les perfectionnements de la vièle, que Lanfranco nommait violetta di braccio au seizième siècle, vinrent la plupart de l'Italie, où le violon exerça l'industrie d'une foule de luthiers habiles. Avant que le fameux Duiffoprugar, né dans le Tyrol italien à la fin du quinzième siècle, eût donné le modèle de ses admirables violons, la vièle avait allongé son manche, échancré ses flancs et donné aux cordes un champ plus étendu en éloignant le cordier du centre de la table sonore ; dès lors, le jeu de l'archet étant plus libre et plus facile, l'exécutant put toucher chaque corde aisément, et faire succéder aux consonnances certaines mélodies plus compliquées. Le violon fut créé, du jour où le luthier s'aperçut qu'un léger changement dans la forme de la vièle suffirait pour mettre en valeur chaque corde isolément, et pour lui donner une âme, une voix, une vie à part.

Si l'Angleterre avait inventé le crout, la France la rote, l'Italie la viole, l'Allemagne inventa la gigue, qui était une variété de ces instruments à cordes frottées. La gigue se nommait geige ou geigen en allemand. Les meilleurs joueurs de gigue étaient, au dire du trouvère Adenès, les gigueours d'Allemagne. Cet instrument avait beaucoup d'analogie avec la mandoline moderne : le corps sonore était bombé et à côtes ; sa table percée de deux ouïes ; le cordier muni de trois cordes. Ce qui distinguait surtout la gigue de la vielle, c'était le manche, qui, loin d'être dégagé et indépendant du corps de l'instrument, en faisait partie intégrale et n'en était, en quelque sorte, que le prolongement sonore. Cette forme, qui n'était pas sans analogie avec celle d'une cuisse de chevreuil (gigue), pourrait bien avoir donné à l'instrument le nom qu'il portait. L'extrémité du manche fut tantôt quadrangulaire, tantôt arrondie, tantôt contournée ; les ouïes varièrent de figure et de nombre, mais la gigue n'eut jamais plus de trois cordes. Elle perdit faveur au quinzième siècle et disparut totalement, du moins en France, où son nom subsista toutefois pour désigner une danse joyeuse qui se dansait aux sons de cet instrument. Il y eut encore au Moyen Age un instrument de la même famille, plus petit que les précédents et plus grossier, remarquable seulement par la tête d'homme sauvage-ou d'animal, qui en ornait le manche ; c'est le rebec, si souvent cité dans les écrivains du quinzième siècle et pourtant si peu connu, quoiqu'il ait encore figuré dans les concerts de cour, du temps de Rabelais, qui le qualifie d'auliçu6, en opposition avec la rustique cornemuse.

Enfin, un instrument qui n'était, pour ainsi dire, que la plus simple expression de tous les autres, ce fut le monocorde ou monocordion, que les auteurs du Moyen Age mentionnent toujours avec complaisance, malgré sa simplicité. Il se composait d'une petite boîte carrée, oblongue, sur la table de laquelle étaient fixés à chaque extrémité deux chevalets immobiles supportant une corde en métal tendue d'un bout à l'autre, et correspondant à une échelle des tons tracée parallèlement sur l'instrument. Un chevalet mobile, qu'on promenait entre la corde et l'échelle des tons, produisait les sons qu'on voulait obtenir pour apprendre la musique ou pour en composer. On appliquait aussi le nom de monocordion à tous les instruments n'ayant qu'une seule corde de métal qui résonnait à tous les degrés de l'échelle tonique. Dès le huitième siècle, on connaissait une espèce de violon — lyra, selon le manuscrit où l'on en voit la figure — offrant la forme de la mandoline, et monté d'une seule corde métallique qu'on limait avec un archet de métal. Plus tard, on eut des espèces de harpes, formées d'une longue caisse sonore que parcourait une seule corde sur laquelle le musicien raclait avec un petit archet qu'il maniait d'un mouvement brusque et rapide. Le monocordion, sous quelque forme qu'il se présente, peut être considéré comme la première apparition d'un instrument à cordes.

Ce ne sont pas là tous les instruments de musique que le Moyen Age et la Renaissance ont possédés ; il en est d'autres qui ne nous sont plus connus que par leurs noms et dont MM. Bottée de Toulmon et de Coussemaker, malgré leurs ingénieuses et savantes recherches, n ont pas encore découvert la famille. On en est réduit à des conjectures plus ou moins vagues au sujet des êles ou celes, de l’échaqueil d'Angleterre ou de l'échequier, de l’enmorache et du micamon.

 

PAUL LACROIX

Du Comité des Monuments historiques et du Comité des Monuments écrits de l'histoire de France.