LE MOYEN-ÂGE ET LA RENAISSANCE

DEUXIÈME PARTIE. — SCIENCES ET ARTS. - BELLES-LETTRES

 

SCIENCE HÉRALDIQUE.

 

 

LA science du Blason est la connaissance des divers emblèmes que les familles nobles ont adoptés héréditairement comme signes distinctifs. On en a fait remonter l'origine à la création du monde, et André Favyn, dans son Théâtre d'honneur et de chevalerie, affirme que la postérité de Seth emprunta des armoiries au règne animal ou végétal, tandis que les enfants de Caïn peignaient sur leurs boucliers des instruments aratoires. Charles Segoing attribue l'invention du Blason à Noé sortant de l'arche. Le Féron, Fursten et Bara partagent cet avis, et en fouillant les archives des siècles les plus reculés, ils prétendent avoir retrouvé les armes d'Adam, des patriarches, des prophètes, des rois de Jérusalem, de la sainte Vierge et de Jésus-Christ.

Des rêveries aussi étranges n'ont besoin d'aucune réfutation. Loin d'être contemporain des premiers âges, le Blason n'était pas même connu des anciens. Ils avaient des symboles nationaux héréditaires, tels que le lion de Juda, l'aigle d'or des Mèdes, la chouette d'Athènes, le crocodile d'Égypte, la colombe d'Assyrie, etc. ; mais les figures dont leurs boucliers étaient ornés n'étaient pas transmissibles. La fantaisie la plus complète présidait au choix de ces signes, que les soldats romains, selon Végèce, peignaient sur leurs écus. Diversis coloribus diversa in sculis signa pingebant (De re militari, liv. I, ch. XVIII). On cite toutefois, comme exemple d'un emblème patrimonial, le corbeau que portaient pour cimier les descendants de Valerius Corvinus.

Lorsque la féodalité se constitua, elle adopta l'usage d'enjoliver par des décorations variées les écus et les enseignes, afin d'offrir des points de ralliement aux troupes pendant la mêlée. Ces figures, premiers éléments du Blason, furent d'abord désignées sous le nom de connoissances ou entre-sains, en latin cognitiones picturatœ (MATHIEU PARIS, ann. 1250) ; elles étaient d'autant plus nécessaires que les vantailles ou œillères cachaient entièrement le visage des guerriers. La coutume en devint générale, comme l'atteste ce passage du Roman de Rou :

Ni a riche homme ne baron

Qui n'ait ès lui son gonfanon,

Ou gonfanon ou autre enseigne

Ou sa mesnie se restraigne :

Connoissances ou entresains,

De plusieurs guises escus pains.

Il nous reste de très-anciennes traces de connoissances. Sept sceaux étaient suspendus au contrat de mariage de Sanche, infant de Castille, avec Guillelmina, fille de Centulle Gaston, vicomte de Béarn : sur l'un de ceux qui sont intacts, est un écu traversé de deux barres ; sur l'autre, un écu chargé d'un bouclier. Cet acte date de l'an 1000. Deux autres chartes des années 1030 et 1037, souscrites par Adelbert, duc de Lorraine, portent sur le scel un écu chargé d'une aigle au vol abaissé. Le père Ménestrier, dans son Origine des armoiries, mentionne un contre-scel de l'an 1072, sur lequel Robert, comte de Flandre, est représenté à cheval, l'épée à la main, avec un lion sur son écu. Mabillon a contesté l'authenticité de cette pièce (Diplomatique, p. 146) ; mais, fût-elle de l'époque qu'on lui assigne, elle ne prouverait point l'existence synchronique du Blason. Les hiéroglyphes qu'on a qualifiés plus tard de signes héraldiques n'avaient pas encore servi à former de ces combinaisons spéciales, qui devinrent l'apanage exclusif de telle ou telle famille. Ils étaient dans le domaine public. Maître Jean de Garlande (Joannes de Garlandia), qui écrivait en 1080 une curieuse description de Paris, rapporte : Que les marchands de boucliers, défrayant toutes les villes de France, vendaient aux chevaliers des écus couverts de toile, de cuir et de chrysocale, où étaient peints des lions et des fleurs de lis : scularii prosunt civitatibus totius Galliœ, qui vendunt militibus scuta texta tela, corio et oricalco, leonibus et foliis liliorum depicta. (Bibl. Nat., Ms. suppl. latin, n° 194.)

A la fin du onzième siècle, les rois de France n'avaient donc pas encore d'armoiries, et les écus chargés de lions s'achetaient au marché. Aussi, les voit-on figurer mainte fois dans les vieux poèmes :

Si véist maint baron

Armer et tervestir, devant son pavillon,

Tant vert elme luisir, tant escu à lion.

Isnelement s'arma Godefroi de Bouillon :

En l'escu de son col et un vermeil lion.

(Chanson d'Antioche, t. I, p. 252.)

Girbert se sist sur le cheval de pris,

L'escu au col qui fut fet à Paris,

El milieu et un grand lioncel bis,

Tel escu et li loherans Garin.

(Roman de Garin.)

Cependant quelques blasons commencèrent à devenir héréditaires. Le sceau de Raymond de Saint-Gille, apposé sur un acte de l'an 1088, porte une croix vidée, cléchée et pannetée, que les comtes de Toulouse conservèrent. En 1093, l'écu dessiné sur le sceau de Thierry II, comte de Montbelliard et de Bar-le-Duc, portait deux bars adossés, emblème qu'il transmit à ses successeurs. Dès 1127, il est question des lionceaux que la famille Plantagenet avait dans ses armes, et qui se retrouvent sous le nom de léopards dans le blason de la Grande-Bretagne. Geoffroi Plantagenet, comte d'Anjou, dit la chronique de Marmoutier, se rend à Rouen le jour de la Pentecôte de l'an 1127. Il devait épouser la princesse Mathilde, fille de Henri Ier, roi d'Angleterre ; mais il se fait préalablement admettre dans l'ordre de chevalerie. Au jour fixé, dès l'aurore, un bain lui est préparé par les camériers. Il en sort ; on le revêt d'une chemise de soie, d'une cyclade tissue d'or, d'une chlamyde teinte de pourpre et de chausses de soie brodée ; ses pieds sont munis de souliers qui portent sur la surface des lionceaux d'or. C'est ainsi que, brillant comme une fleur de lis, le gendre royal, quittant la chambre à coucher, se présente en public, à la tête d'un nombreux cortège. On lui amène un cheval d'Espagne d'une rare beauté ; on lui passe un haubert incomparable, dont les doubles mailles sont à l'épreuve de la lance ou du trait. A ses souliers sont substituées des chausses de fer à doubles mailles ; on attache à ses talons des éperons d'or ; on suspend à son cou un bouclier décoré de lionceaux d'or imaginaires. Son casque est enrichi de pierreries, et de trempe à n'être ni entamé, ni faussé par la plus solide épée. Enfin, on lui apporte une lance de frêne, surmontée d'un fer poitevin, et une épée, tirée du trésor royal.

Les lionceaux imaginaires reparaissent dans un émail sur cuivre, exécuté dix ans après et représentant le même prince. II est vêtu d'une longue robe et d'une chlamyde fourrée d'hermine ; un lionceau d'or décore la partie antérieure de son bonnet phrygien ; il tient de la main droite une épée nue, et de l'autre une targe qui descend jusqu'à ses pieds en peintes aiguës. Cette targe est chargée d'azur à quatre lionceaux d'or rampants, lampassés de gueules (Musée du Mans).

C'est pendant le douzième siècle que les armoiries se multiplient : le choix même des émaux indique suffisamment l'époque des croisades. Le bleu d'azur ou lapis-lazuli venait d'être importé d'Orient, et son nom actuel d'outremer est encore une réminiscence de nos lointaines expéditions. Le rouge devait sa qualification de gueules à des parements d'hermine, dont les chevaliers se garnissaient alors le cou et les poignets, et qui étaient teints avec du minium, marium rubricatas pelliculas quas gulas vocant (SAINT BERNARD, édit. de 1690, t. I, p. 664). Ce qui justifie cette étymologie, c'est qu'on écrit gueules au singulier avec le signe du pluriel.

L'émail vert du Blason, le sinople, était une matière tinctoriale très-anciennement connue que les croisés rapportèrent de Sinople, ville de l'Asie-Mineure. On pourrait objecter que le sinople était vermeil et invoquer ces vers gracieux d'un poète du treizième siècle :

La florette qui naist et pré,

Rose de mai, ne flor de lis,

N'est tant bele, ce m'est avis ;

Et mielx avenoit sor son vis,

Le vermeil sor le blanc assis,

Que le synople sor l'argent.

Il y avait, en effet, un sinople rouge qu'on nommait parfois hamatite paphlagonien ; mais il est distingué du sinople vert, dans un manuscrit de l'an 1400 cité par le P. Ménestrier.

Synoplum utrumque venit de urbe Synopli et est bonum ; aliud viride, aliud rubicundum. Viride synoplum seu synopum dicitur paphlagonicus Tonos, et rubicundum vocatur Hamatites paphlagonicus.

Plusieurs pièces ou meubles de l'écu rappellent encore les temps où la chevalerie guerroyait en Palestine : les merlettes, oiseaux voyageurs, reportent la pensée vers Jérusalem ; les coquilles appartiennent aux pèlerins ; les besants d'or sont le prix d'une forte rançon payée aux infidèles. La guerre sainte est également indiquée par la multiplicité des croix : croix pallées, croix tréflées, croix potencées, croix pommelées, croix alésées, croix échiquetées, croix recroisetées, croix aux pieds fichés, etc.

Au treizième siècle, les connoissances étaient d'un usage universel ; dans les combats, elles signalaient les chevaliers aux coups de l'ennemi, et, en prenant les armes et le bouclier d'un autre, on s'exposait à être tué à sa place : ainsi, à la bataille de Tagliacozzo., livrée, le 23 août 1268, au jeune Conradin par Charles d'Anjou, Henri de Cosances portait les couleurs du frère de saint Louis, ce qui l'exposa à des attaques dont l'issue lui fut fatale :

El premerain pour le conduire

Est li preus Henris de Cosances,

Cel jour porta les connoissances

Du roi, par quoi plus tost péri.

(GUILLAUME GUIART.)

Il suffisait, au contraire, qu'un chef connu changeât de blason pour combattre sous un pseudonyme et envelopper de mystère sa victoire ou sa défaite. En 1266, Manfred, roi de Naples, périt dans la mêlée en disputant ses droits à Charles d'Anjou ; mais personne ne put s'enorgueillir de lui avoir donné la mort, parce qu'il n'avait pas ses armoiries accoutumées :

En la chace est Mainfroi tué,

Més onc nus homs ne pot à dire

Pour certain qui le pot ocire :

Car le jour de celes nuisances

Porta estranges connoissances.

(GUILLAUME GUIART.)

Non-seulement les nobles prirent des armes, mais les villes elles-mêmes voulurent en avoir : celles de Beaujeu, capitale du Beaujolais, d'or à un lion de sable armé et lampassé de gueules sont décrites dans ce vieux quatrain en patois du pays :

Un lion nai en champs d'ora

Les ongles roges et la quoua,

Un lambey roge sur la joua,

Sont les armes de Bejoua.

Les connoissances reçurent alors le nom de Blason, dont l'étymologie a été, nous le croyons, mal déterminée par les érudits. Il vient, ont-ils dit, de l'allemand blazen (sonner du cor), parce qu'on annonçait par une fanfare l'arrivée des chevaliers qui se présentaient dans la lice. Cette opinion se rattache au système qui attribue à Henri l'Oiseleur l'initiative des tournois, behours et apertises d'armes ; mais ce système a contre lui d'imposants témoignages. Les tournois sont d'origine française, et leur véritable inventeur fut Geoffroy de Preuilly, mort à Angers en 1063 : Hoc anno obiit Gaufredus de Pruliaco, qui torneamenta invenit (Chronicon Andegavense). Mathieu Paris qualifie les tournois de conflits français (conflictus gallici), en ajoutant que le roi Richard nous les emprunta en 1194, pour les introduire en Angleterre.

Blason, dont la racine pourrait être le celtique blaze (briller, flamboyer), est un vieux mot français synonyme d'écu ou de bouclier ; on le rencontre souvent en ce sens dans les poèmes du Moyen Age. Le trouvère Adenès, qui refit une troisième version d'Ogier le Danois, s'écrie, en dénigrant ses prédécesseurs : Quand ils débitèrent leur chanson, ils avaient pour violon une targe ou blason, et une épée d'acier pour archet :

Ils viélèrent tous deux d'une chanson,

Dont les vièles est targe et blazon,

Et branc d'acier estoient li arçon.

(Ms. de l'Arsenal, n° 175, f° 74.)

L'auteur du roman de Guillaume au cori nez, décrivant une bataille, dit que les assaillants froissaient les casques et mettaient les blasons en pièces :

Froisent li heaumes, dépiècent li blason.

Dans le roman de Garin, le héros est ébranlé par un coup terrible que porte sur son blason le chevalier Yvait ; et le roi Amadus, voulant frapper un Gascon, atteint la boucle ou partie centrale du blason de son adversaire.

Yvait féri Garin sur le blason.

Rois Amadus vet férir un Gascon ;

De sor la bocle li perça le blaçon.

La Chronique rimée de Bertrand Du Guesclin dépeint des chevaliers la lance au poing, le blason suspendu au cou.

Les lances en leur poins, et aus col le blazon.

Blason signifie donc tout simplement un bouclier, un écu. La science du Blason, c'est l'étude des métaux, des émaux et des pièces qui figurent sur les écus armoriés. On lui donna aussi la dénomination de science héraldique j parce qu'elle était spécialement pratiquée par les hérauts d'armes, dont les fonctions acquirent une importance considérable. Pour les obtenir, il fallait faire un apprentissage préalable en qualité de chevaucheur d'armes ; puis, au bout de quelque temps, le récipiendaire était présenté à son seigneur, qui lui imposait un nom. Un héraut l'appelait par ce nom, lui versait sur la tête une coupe remplie d'eau et de vin, et lui passait la tunique du seigneur ; mais, par une singularité inexplicable, il la mettait de travers, de sorte que l'une des manches tombait sur la poitrine et l'autre le long de la colonne vertébrale. Il était alors poursuivant, mais il servait encore sept années entières avant de devenir héraut d'armes. En recevant ce dernier titre, il était en même temps gratifié d'un fief. Les devoirs de sa charge étaient de représenter le seigneur dans diverses négociations, d'assister aux fêtes et principalement aux joutes, et de décrire les armoiries des chevaliers qui se présentaient pour combattre.

Les hérauts d'armes avaient au-dessus d'eux les rois d'armes, institués par le roi pour dresser état des seigneurs et gentilshommes de chaque province, et pour en composer un nobiliaire général qui était remis au premier roi d'armes de France.

Tous les officiers d'armes se consacraient, comme on le voit, à la vérification des preuves de noblesse. Le rôle qu'ils remplissaient dans les tournois a été indiqué par Jacques Bretex dans la relation rimée du tournoi de Chauvency en l'an 1285 :

Ribaus huient, et garçon brayent ;

Li joustcour plus ne delayent,

Cheval saillent, et lambel volent.

Hiraut parmi les rens parolent,

Le fils au prodomme vaillant,

Au cheval grand, ruste et saillant,

D'armes vermeilles fu parez,

En l'ecu si com vous orrez,

Ot une croix d'argent assize ;

Hiraut brayent d'etrange guise,

Au fils dou prodomme gentil,

Aspremont, çorets que c'est il.

Devant les dames droitement

Vint chevauchant moult cointement

Parez d'unes armes vermeilles,

Qui estoient belles à merveilles.

Li deux Saumons d'argent battu

En son ecu sont enbastu

Hiraux tyois, hiraux romans

Tuit sement de l'or estament,

Et escrient Blammont, Blammont

Et Falquembert, ainsi s'en vont.

Un chevalier de bel atour,

Ieune et léger, fort et puissant,

Au chief des rans vint chevauchant,

Dont chastel étant repairié,

D'or et gueulles fut vairié.

Les hérauts, après avoir introduit successivement les jouteurs, suspendaient les blasons à des fenêtres ou à des poteaux, ce qui leur valait une redevance assez fructueuse :

La coustume ès tournois est que, pour le clouer de chaque blason, il est deu aux officiers d'armes pour attacher lesdits blasons 8 sols parisis.

Les chevaliers qui s'exerçaient pour la première fois abandonnaient leurs heaumes aux officiers d'armes. Quand ils avaient payé le heaume pour le combat à l'épée, ils étaient obligés de payer de nouveau pour le combat de la lance ; mais s'ils débutaient par la lance, ils étaient dispensés de tout autre droit, suivant cet adage : La lance affranchit l'épée, l'épée n'affranchit pas la lance.

Les hérauts étaient à la fois des personnages publics appelés à parader dans certaines cérémonies, et des hommes de cabinet occupés à dresser des généalogies, à discuter des blasons, à coordonner les éléments de la science. Ce furent eux qui soumirent à des règles fixes cette multitude de décorations distinctives, au choix desquelles le caprice avait présidé. Ils s'occupèrent d'abord de la forme de l'écu. Celui des barons français avait été triangulaire d'abord et légèrement incliné ; mais il fut remplacé par un écu quadrilatéral, arrondi aux deux angles inférieurs, et finissant en pointe au centre de la base. Les chevaliers bannerets du Poitou et de la Guyenne avaient un écu carré, identiquement semblable à leur bannière. L'écu germanique était remarquable par sa base arrondie et par une échancrure latérale, qui servait à supporter la lance.

Ce n'est que dans les traités spéciaux qu'on peut décrire les différentes partitions de l'écu, dont le champ est divisé en sections par des lignes horizontales, diagonales et perpendiculaires ; mais nous devons expliquer, au moins sommairement, les figures aujourd'hui énigmatiques qui constituent le Blason.

Les couleurs que nous avons déjà mentionnées semblent avoir été choisies uniquement pour s'harmoniser avec le costume du Moyen Age. Il faut y ajouter l'hermine et le vair, fourrures usitées en France dès le neuvième siècle ; car on lit, dans la Vie de saint Géraud, que les grands de la cour carlovingienne garnissaient leurs pelisses de peaux d'hermine ou rat d'Arménie, et qu'ils découpaient en losange, pour en former du vair, des morceaux d'hermine et de belette. Lémail qu'on nomme sable en langage héraldique, n'est autre chose que la fourrure de la martre zibeline, désignée sous cette qualification par plusieurs poètes du Moyen Age :

Sables, ermins, et vairs et gris

As jouvenciaux, et as vious gris.

(Chron. de PHILIPPE MOUSKES.)

Argent et sables de Roussie.

(Chanson d'Antioche.)

Or te donrai mon peliçon hermin,

Et de mon col le mantel zebelin.

(Roman de Garin, t. II, p. 22.)

On remarque, parmi les pièces des armoiries, beaucoup d'autres figures, qui sont empruntées aux ajustements ordinaires du Moyen Age. Tels sont les lambels, franges d'or qui ornaient les ceintures, ornamentum quod lingud rustica labellos dicitur (HELGAUDI, Epitome, p. 100) ; les orles ou bordures des tuniques ; les fermaux, agrafes des manteaux ; les bandes ou barres, qui représentaient les écharpes ; les lambrequins, panaches d'étoffe qu'on attachait à l'extrémité des casques ; les macles ou mailles de la cuirasse ; les fasces, bandelettes qui entouraient les jambes ; les houseaux ou bottes ; les molettes des éperons. Le pairle, qui avait la forme d'un Y, rappelait le pallium des évêques : c'était, suivant les héraldistes du seizième siècle, l'emblème des trois grandes dévotions du chevalier, son Dieu, sa dame et son roi.

Aux hiéroglyphes tirés du costume, les gentilshommes annexèrent des symboles plus héroïques, qui faisaient allusion à leurs exploits. Nous voyons sur un grand nombre d'armoiries les pals, qui étaient une marque de juridiction ; les frettes, frettiaux et chevrons, dont les champs-clos étaient environnés ; les pièces bretessées, forteresses de planches, munies d'une ceinture de fossés ; les herses, les chaînes, les tours, les béliers, les chausse-trapes, les flèches, les boutteroles ou bouts de fourreau ; les badelaires ou épées recourbées ; les clefs, apposées sur le champ d'un écu, en souvenir de la capitulation d'un château, etc.

Le feu et l'eau, les nuées, le soleil, la lune, l'arc-en-ciel, les étoiles, les comètes entrent dans les meubles de l'écu. La famille de Cornon porte d'azur à six estoilles d'or, trois en chef et trois en pointe au croissant de mesme en abisme, c'est-à-dire au milieu de l'écu. La famille de Chalus porte d'azur à trois croissants d'argent, la famille Morelli : d'azur à une nuée d'argent en bande, traversée de trois foudres d'or posées en barres.

L'image de l'homme entière est moins fréquente dans le Blason que les parties du corps séparées, les têtes, les mains, les yeux, les jambes, etc.

Les animaux sont très-communs, et l'on y attachait des idées allégoriques. Le lion signifiait la générosité ; le bœuf, le travail ; l'éléphant, la courtoisie ; l'écureuil, la prévoyance, à cause de l'attention qu'il apporte à boucher les ouvertures de son nid ; l'agneau, la douceur, etc. Voici quelques exemples que nous prenons parmi les plus singuliers plutôt que dans les plus illustres.

Maffei : d'azur à trois bandes abaissées d'or, celle du milieu supportant un cerf naissant de même.

Montalembert : d'or à trois têtes de loup arrachées de sable.

Bard : d'azur au mouton sautant de sable accolé d'argent.

Seguier : d'azur au chevron d'or, accompagné en chef de deux étoiles du même, et en pointe d'un mouton passant d'argent.

Wembding, en Bavière : de gueules à la tête et au col de dogue d'argent, accolé et bouclé, le collier garni de pointes de même.

Portal : d'azur au bœuf d'or, accompagné de six fleurs de lis de même, armoiries concédées par le roi Charles IX.

Lanet Champost : d'argent à une vache de gueules, accornée et onglée du champ, c'est-à-dire ayant les cornes et les ongles de la même couleur que l'écu.

Ashley, en Angleterre : d'argent à trois taureaux de sable accornés d'or.

Lescot de Lissy, en Brie : de sable à une tête et cou de chevreuil d'argent accorné d'or.

Mandat : d'azur au lion d'or, au chef d'argent, chargé d'une hure de sanglier de sable, accosté de deux roses de gueules.

Loppin : d'argent à deux louves ravissantes et affrontées de sable.

Humbschman, de Riberbach, en Alsace : de gueules à un castor d'argent mis en bande.

Maupeou : d'argent au porc-épic passant de sable.

Le Coigneux : d'azur à trois porcs-épics d'or.

Boucallar : d'azur au bouc d'argent.

Krocher : d'azur au chameau d'argent.

Rotembourg, en Bavière : d'azur au chevron abaissé d'or, soutenu de gueules, supportant une tête de léopard d'or.

Saint-Gall (ville suisse) : d'or à l'ours debout de sable accolé du champ.

Gleinchen, en Turingc : d'azur à deux pattes d'ours coupées, renversées et adossées de sable.

Charles Segoing, dans son Trésor héraldique, dit que les ânes et mulets sont rares dans le Blason de France, et qu'il s'en voit plus en Angleterre et en Allemagne. Il en cite deux exemples ; la maison Bietheim, en Autriche, porte d'argent à un âne effrayé et contourné de sable.

La famille Askew, en Angleterre : d'argent à une fasce de sable accompagnée de trois ânes passans de même.

L'ornithologie fou mit au Blason un grand nombre de symboles. Suivant les héraldistes, tous ces symboles, en général, expriment les migrations. La domination est représentée par l'aigle ; la hardiesse, par le vautour ; l'amour conjugal, par la colombe ; l'éloquence, par le perroquet ; la médisance et la dissension, par le corbeau ; la vigilance, par le coq, le héron et la grue. Le faucon rappelle la chasse, exercice favori des anciens preux. Le cygne caractérise une vieillesse longue et glorieuse. Le pélican qui, selon les bestiaires antiques, se déchirait le sein pour nourrir ses petits, symbolise le dévouement. On le peint de profil sur son aire, les ailes étendues, et se perçant la poitrine. Ses petits sont toujours au nombre de trois. En langage héraldique, les gouttes de son sang se nomment piété, lorsqu'elles sont d'un autre émail que l'oiseau.

La maison Lecamus porte de gueules au pélican d'argent, avec sa piété de gueules, dans son aire ; au chef cousu d'azur chargé d'une fleur de lis d'or.

L'antique famille de Vienne, qui avait donné deux amiraux et un maréchal de France, porte de gueules à l'aigle d'or.

Deschamps : d'azur à trois cannelles d'argent, au croissant de même en abîme.

Savoie, en Dauphiné : d'azur à trois colombes d'argent.

Trescar : d'argent à trois têtes d'autruche de sable accolées et bouclées d'or.

Jehan, en Bretagne : d'argent à la fasce d'azur, accompagnée de trois chouettes de sable, deux en chef, une en pointe, becquées et membrées d'or.

Busnel : d'argent à l'épervier au naturel, longé, grillé et becqué d'or, perché sur un écot ou tronc d'arbre de sable.

Le Jay : d'azur à l'aigle cantonné de quatre aiglons d'or, regardant un soleil d'or, placé au canton dextre du chef.

Kergreac : d'argent au chêne de sinople, sur lequel est posé un geai au naturel.

Martin des Ogis : d'argent, à trois martinets d'azur.

Cor : d'azur à une chauve-souris esployée de gueules, la tête et les ailes d'or.

Gédoin : d'argent au corbeau de sable.

Robins Graveson : d'or à trois pigeons d'argent.

Albon : d'azur à une perdrix d'argent.

Le Maruyer : d'azur au pélican d'or.

Saint-Paul de Ricault : d'azur au paon rouant d'or.

La Cave : d'or au perroquet de sinople.

Bevercau : d'azur à un butor d'or.

Culdoe : d'azur à trois oies d'or.

Girard : d'azur à trois hérons au naturel.

Dubois Gamat : de gueules au chef d'argent chargé de trois râles de sable.

Gruel : d'azur à trois grues d'argent becquées et membrées d'or au pied senestre.

L'Hospital : de gueules au coq d'argent cresté, barbelé, becqué et membré d'or.

Montmorency : d'or à la croix de gueules cantonnée de seize alérions d'azur.

Les alérions étaient des aigles sans bec et sans pattes, qui indiquaient une victoire remportée sur l'étranger. La famille du premier baron chrétien n'en portait d'abord que quatre dans ses armes ; mais, après 1214, Mathieu de Montmorency en ajouta douze, chiffre correspondant à celui des bannières qu'il conquit à la bataille de Bouvines.

L'ancienne province de Lorraine portait d'or à la bande de gueules chargée de trois alérions d'argent. Ces oiseaux ainsi posés figuraient un rôti de pluviers embrochés, et rappelaient des souvenirs de gloire nationale.

Pendant une fête que donnait le roi Pépin, une querelle s'engage entre les Francs et les Lorrains. Le duc Begon, qui remplissait l'office de sénéchal, se met à la tête des gens de cuisine, les arme de pestels, de cuillers et de crochets, et saisit lui-même une broche garnie de pluviers avec laquelle il fait un terrible carnage.

Lidus avoit un grand hastier saisi,

Plain de ploviers, qui chaut sunt et rosti,

Fiert Isoré qui tenoit Auberi,

Parmi le cou, li peçoia parmi ;

Si don tronçon fiert le conte Harduin,

Que devant lui sor le marbre l'assit.

Li queu commencent maintenant à férir,

Maint bras i brisent, mainte tête et maint pis.

(Roman de Garin, t. II, p. 19.)

Il n'y a point de branches de l'histoire naturelle auxquelles le Blason n'ait eu recours. Les poissons y représentent les voyages sur mer et les victoires navales. L'un des plus usités est le dauphin, qui, dans les armes de la province du Dauphiné, était d'azur, lampassé, oreillé et barbelé de gueules, sur un champ d'or. Une famille Aubert, en Bourbonnais, porte d'azur au chevron d'or, accompagné de trois têtes de dauphin d'argent allumées de gueules.

Champ-Giraud de Germonville : d'argent à trois harengs de sable.

Troutbeck, en Angleterre : d'azur à trois truites enlacées en triangle d'or.

De Luc Fontenay : d'azur au brochet d'argent mis en fasce, à l'étoile d'argent en chef.

Les crustacés, les annélides, les serpents et les insectes font aussi partie des meubles du Blason ; on sait que celui du grand Colbert portait d'or à la couleuvre ondoyante d'azur posée en pal. Nous trouvons, dans diverses armoiries, des vipères, des guivres ou couleuvres, des lézards, des écrevisses et des limaçons. Ces derniers étaient l'emblème de l'amour du foyer domestique. Quant aux insectes employés sur les armoiries, il serait difficile de dire à quelles circonstances ou à quelles qualités morales font allusion les mouches, les abeilles, les sauterelles, les paons, les papillons. On sait seulement, par l’Indice armorial de Lowan Geliot, que le grillon représente toutes les vertus, parce que cet insecte ne se met qu'au foyer des gens de bien.

D'après cet auteur et autres de la même époque (1635), les plantes et les fleurs du Blason avaient aussi leur signification. Les arbres d'une espèce indéterminée indiquaient la fécondité. Le chêne symbolisait la puissance ; l'olivier, la paix ; la vigne, l'allégresse ; le pommier, l'amour ; le figuier, la douceur des mœurs et la tranquillité de la vie ; le cyprès, la tristesse ; les gerbes et les épis rappelaient la frugalité et l'abondance. On ne peut guère préciser le sens de certains fruits, tels que les glands, les pommes, les noisettes ou coquerelles ; mais l'on peut trouver ingénieuse la signification donnée aux grenades, qui indiquent l'alliance des nations et des hommes réunis sous une même religion.

Toutes les fleurs, les trèfles, les ancolies, les tierce-feuilles, quarte-feuilles et quintefeuilles sont le symbole de l'espérance, parce que leur apparition printanière fait présager les récoltes de l'automne.

La rose caractérise la grâce et la beauté.

La fleur de lis offre un sens complexe, qui motive le choix qu'en firent les rois de France, pour en diaprer le champ d'azur de leur bannière.

Divers savants ont soutenu qu'elle n'appartenait pas réellement au règne végétal. Les pièces que Louis VI classa sur son scel, et dont Philippe de Valois réduisit le nombre à trois, étaient, dit-on, des fers d'angons, javelots recourbés dont se servaient les Francs mérovingiens.

D'autres héraldistes ont ainsi blasonné les armoiries des anciens rois de France : de sable à trois crapauds d'or, et ils ont vu dans les fleurs de lis une modification de ces batraciens.

On convient assez communément, affirme l'Encyclopédie de Diderot, que nos premiers rois portaient des crapauds dans leurs étendards.

Cette assertion est grotesque à priori mais il serait impossible de lui opposer une preuve matérielle, sans les explications que nous trouvons dans les Annales de Nangis, et que les historiens ont eu le tort de négliger.

Li roys de France accoustumèrent en leurs armes à porter la fleur de lys pinte par trois feuillies, comme ils deissent à tout le monde : foys, sapience et chevalerie, sont, par la provision et par la grâce de Dieu, plus abondamment en nostre royaume qu'en nus autres. Les deux feuilles de la fleur de lys, qui sont veles, signifient sens et chevalerie, qui gardent et défendent la tierce feuille qui est au milieu d'icelles, plus longue et plus haute, par laquelle foys est entendue et signifiée, car elle est et doit estre gouvernée par sapience et deffendue par chevalerie.

Il est donc hors de doute que le pétale central de la fleur de lis représentait la religion, et que les ailes ou feuilles latérales étaient la force morale et la force matérielle, destinées à lui servir d'appui.

Après avoir épuisé les règnes animal et végétal, la science héraldique chercha ses emblèmes dans les ouvrages fabriqués par la main des hommes. Elle les prit tantôt parmi les instruments de musique, tels que les harpes, guitares ou cors de chasse, tantôt parmi les ustensiles plus vulgaires, comme les couteaux, les pignates ou vases de terre, les chandeliers, les anilles ou meules de moulin. Tandis que certaines familles ne dédaignaient pas d'orner leurs armoiries des plus humbles attributs, d'autres, au contraire, se lançant dans le domaine du fantastique, empruntaient aux fables antiques les griffons, les dragons, les harpies, les licornes et autres êtres imaginaires. Ainsi, la maison Bretonvilliers le Ragois porte d'azur au phénix d'argent, tenant dans sa patte droite un rameau de laurier d'or.

Reil : de sinople au centaure sagittaire d'or.

Savalette : d’azur au sphinx d'argent.

Clairaunay au Maine : d'argent à trois licornes de sable.

Bachasson de Montalivet : d'azur au griffon ailé grimpant d'or.

Aubin : d'azur à la salamandre d'or, vomissant des flammes de même.

Boudrac : d'or à une harpie de gueules.

Joyeuse de Bouchage : palé d'or et d'azur de six pièces, au chef de gueules chargé de trois hydres d'or.

Sequières : d'azur à une sirène d'argent, tenant un peigne et un miroir, et nageant sur des ondes au naturel.

Un très-grand nombre d'armes sont parlantes, c'est-à-dire que les familles ont été amenées à choisir tel ou tel signe, à cause de l'identité ou de l'analogie que son nom offrait avec le leur.

C'est ainsi que les Bouesseau portent dans leurs armes trois boisseaux d'azur ; les Chabot, trois chabots, poissons du genre des cottes ; les Vergy, un brin de rosier (virgultum) ; les Chatcaupers : d'azur au château de trois tours d'argent ; les Castelneau : de gueules au château d'argent ; les Rhétel : de gueules à trois râteaux d'or ; les Pellevé : de gueules à une tête humaine d'argent, le poil levé d'or ; les Mailly : d'or à trois maillets de sinople ; les du Palmier : d'azur à trois palmes d'or ; les Colombier : d'azur à trois colombes d'argent ; les de Fougère : d'or à une plante de fougère de sinople.

Les armes parlantes nous paraissent être des particularités, les plus intéressantes, du Blason. Aussi, croyons-nous pouvoir en multiplier les exemples sans fatiguer l'attention de nos lecteurs. Nous avons d'ailleurs à citer plusieurs blasons de ce genre, qui n'avaient point été remarqués par les héraldistes.

Créquy porte d'or au créquier (cerisier) de gueules.

Lelièvre : de gueules à une tête de lièvre d'or, accompagnée en chef de deux molettes de même.

La Caille : d'azur au chef d'argent, chargé de trois cailles au naturel.

Bégassoux : d'azur à trois têtes de bécasse d'or.

Thiersault : d'azur au thiercelet d'autour à vol esployé de même.

De Phenis, en Limousin : d'azur au phénix surmonté d'un soleil, et soutenu d'un bacher allumé, le tout d'or.

Auchat, en Bretagne : de sable au chat effrayé d'argent.

Grillet : d'azur à la fasce d'argent accompagnée d'un grillon en chef et d'une étoile de même en pointe.

Tanques : d'or à la tanche de gueules, mise en pal.

Faverolles : d'azur à une branche de trois cosses de fèves d'or.

Héricé : d'azur à trois hérissons de sable.

Renez : de gueules à trois raines ou grenouilles d'argent.

Sparte, en Suède et France : d'azur au chevron d'or (spar, en suédois, veut dire chevron).

Gourdon : d'azur au chevron d'argent 3 accompagné de trois gourdes ou calebasses d'or.

Tranchemez : de gueules coupé en ondé sur une mer d'argent ondoyée, ombrée d'azur ; à un couteau d'or mi-fiché dans la mer, le manche sur le gueules.

Sardigny : d'azur à trois sardines d'argent en pal.

Montdragon : de gueules au dragon d'or monstrueux, à face humaine, ayant la barbe composée de serpents.

Goujon de Gasville, en Normandie : d'azur à une rivière d'argent, en pointe surmontée de deux goujons d'argent en sautoir.

Limozon, en Dauphiné : d'azur à trois limons ou citrons d'or.

Guiton, en Bourgogne : de gueules à une guitare d'or.

Guyot, en Nivernais : d'argent à trois guyots ou poissons posés en fasce, celui du milieu contourné et une mer ondée d'azur en pointe.

Le Cocq de Goupillières, en Brie : d'azur à trois coqs d'or, crêtés membrés de gueules.

Beaucoup de familles du nom de Latour ont des tours dans leurs armes. La ville de Tours porte : de sable à trois tours couvertes d'argent pavillonnées de gueules, girouettées de même, au chef d'azur à trois fleurs de lys d'or. La ville de Reims avait autrefois dans son blason deux rainseaux ou rameaux entrelacés.

La fin du treizième siècle et le quatorzième furent la plus brillante époque du Blason. On voit des armoiries sur les linteaux des portes, sur les manteaux des cheminées, sur les vitraux ou les pavés des chapelles, et même sur les ajustements. Pendant la cour plénière, tenue à Saumur par saint Louis au mois de février 1241 — il y eut grand planté de sergents vestus des armes au comte de Poitiers, batues sur sandales —, des armoiries en broderies ou en lames d'or décoraient les cottes d'armes dont on recouvrait les hauberts, et se retrouvaient sur le devant des pourpoints. Les femmes avaient souvent, au bas de leurs robes, d'un côté leurs armoiries y de l'autre celles de leurs maris. On brodait aussi des écussons sur les draperies de velours dont les tombeaux étaient ornés.

Les écuyers, les pages, les officiers des seigneurs en avaient la livrée et les seigneurs la portaient eux-mêmes dans la bonne comme dans la mauvaise fortune. Le jeudi dix-septième jour d'octobre 1409, suivant le Journal d'un bourgeois de Paris, Jehan de Montaigu, grand maître d'hôtel du roi, fut mis en une charrette, vestu de sa livrée, d'une houpelande de blanc et de rouge, et chapperon de mesme, une chausse rouge et l'autre blanche, un esperon d'or, les mains liées devant, une croix de bois entre ses mains, haut assis en la charrette, deux trompettes devant lui, et en cet estat mené ès halles. Là, on lui coupa la teste ; et après, fut porte le corps au gibet de Paris et pendu au plus haut, en chemise à toutes ses chausses et esperons dorés.

Le Blason se compliqua pendant les quatorzième et quinzième siècles. Au-dessus de l'écu, on plaça le heaume, posé de face ou de profil. L'agencement de ce casque indiquait exactement la position et le titre de chaque gentilhomme. Les rois avaient le heaume d'or posé de face, la visière complètement ouverte et sans grille, pour indiquer qu'un souverain doit tout voir et tout savoir. Le casque des comtes et vicomtes était d'argent, posé de trois quarts, la visière baissée et garnie de neuf grilles d'or. Le casque des barons n'en avait que sept. Celui des gentilshommes anciens était en acier poli, placé de profil et garni de cinq grilles d'argent. Trois grilles seulement indiquaient un noble de trois races paternelles et maternelles. Lorsque les rois donnèrent ou vendirent des titres, ils imaginèrent, comme timbre du Blason des nouveaux anoblis, un casque de fer posé de profil, dont la vantaille et le nasal sont entr'ouverts. Les écrivains héraldiques prétendent que cette disposition avait pour but de rappeler aux roturiers transformés en gentilshommes, qu'ils devaient être modestes et-ne pas chercher à examiner les actions d'autrui. Les bâtards timbraient également le heaume d'acier poli, posé de profil, mais tourné à sénestre, en mémoire de leur origine illégitime, et la visière complètement baissée. Les heaumes se compliquèrent des morceaux d'étoffe, appelés lambrequins, que les gentilshommes attachaient généralement à leurs cimiers. Ces cimiers eux-mêmes devinrent un ornement essentiel ; ils avaient les formes les plus singulières, représentant des cornes, des lions, des bras armés de poignards, des chimères et des sirènes, quelquefois des trompes d'éléphant. Peu à peu, l'usage prévalut de substituer à ces décorations de simples couronnes enrichies de fleurons et de perles, dont la forme variait, suivant que le propriétaire des armoiries était duc, marquis, comte ou vicomte. Les barons n'avaient pour couronne qu'un cercle d'or émaillé, autour duquel serpentait un chapelet de perles. Un cercle d'or enrichi de pierreries servait de timbre à l'écu des chevaliers bannerets.

C'est au quinzième siècle seulement, que s'établit l'habitude de superposer à leurs cimiers un listel ou banderole portant leurs cris d'armes. Cette distinction ne pouvait appartenir qu'aux familles dont les ancêtres avaient conduit des troupes sous leurs propres bannières. Les ducs, les vicomtes s'arrogèrent d'abord le privilége d'avoir un drapeau et un cri de guerre ; mais bientôt tout chevalier put l'acquérir, pourvu qu'il fût assez riche pour réunir sous ses couleurs quatre ou cinq gentilshommes, et douze ou seize gendarmes. Il demandait à être banneret pendant une expédition, et les chefs de l'ost, après avoir examiné ses titres, coupaient carrément la pointe anguleuse de son pennon. Les règles de cette transformation sont tracées dans une vieille loi anglo-normande : Banneret est un chivaler fait en le camp avec le ceremony del amputer la point de son standart, et feasant ceo si comme un banner. Et tiels sunt allouvés pur display leur armes en un banner, en le army le roi, comme barons font.

La faculté d'avoir un cri de guerre était la conséquence du droit de porter bannière. L'usage de rallier les soldats par une acclamation convenue, est d'une très-haute antiquité, puisqu'on en voit des traces dans la Bible. Gédéon, marchant contre les Madianites, recommande aux siens de crier tous ensemble : Vive le Seigneur et vive Gédéon ! et les Hébreux crient tous ensemble : L'épée du Seigneur et de Gédéon !

Les cris de guerre au Moyen Age se proféraient, tant dans les batailles que dans les tournois. La plupart étaient simplement nominaux, accompagnés d'une épithète élogieuse ou d'une pieuse invocation. On entendit, dans maint combat, retentir ces cris : Mailly ! Rochechouart ! La Trémoille ! Coucy à la marveille ! La Chronique du duc Louis de Bourbon rapporte que ce prince fut reconnu à son cri de guerre, au siège de Verneuil, que défendait un châtelain nommé le Borgne de Vaus. Les deux chefs, accompagnés de quelques chevaliers d'élite, en étaient venus aux mains dans une mine, et luttaient au milieu des ténèbres : Le duc fit armes le premier contre l'escuyer du chastel, lequel on clamoit Regnaud de Montferrand, tous deux firent, à poussées de leurs épées, cinq coups l'un à l'autre, et entre deux orent aucuns qui ne se purent tenir de dire : Bourbon, Bourbon, Nostre Dame ! Dont celuy escuyer Regnaud de Montferrand fut moult esbahy, et se recula, et dit : Et comment, messeigneurs, c'est monsieur le duc de Bourbon ?Ouy certes, dit le Borgne de Veausse, c'est il en personne. Lors dit Regnaud de Monferrand : Je dois bien loüer Dieu, quand il m'a aujourd'huy fait tant de grâce et d'honneur, d'avoir fait armes avec un si vaillant prince. Et vous Borgne de Veausse, dites luy que je luy requiers qu'il luy plaise qu'en cette honorable place où il est, il me fasse chevalier de sa main, car je ne le puis estre plus honorablement, et pour l'honneur et vaillance de luy, je suis prest à lui rendre la place. Et de cecy parla le Borgne au duc de Bourbon, qui regarda que toutes ces choses estoient à son très grand honneur, disant qu'il estoit bien content, mais que Montferrand lui apportast les clefs au pertuis de sa mine. Si luy accorda Montferrand qui les luy bailla, et le clef rendue, illec mesme le fit chevalier le duc.

Quelques barons criaient le nom d'une ville importante de leurs domaines.

Le comte de Hainaut : Hainaut au noble duc !

Les rois de Navarre et d'Aragon : Bigorre, bigorre !

Le duc de Nivernais : Nevers !

Les Beauvoisiens : Biauvais la jolie !

Les ducs de Brabant : Louvain au riche duc !

Jean-le-Victorieux, s'étant emparé du duché de Limbourg après une longue et pénible campagne, substitua à ce dernier cri : Limbourg à celuy qui l’a conquis !

Plusieurs familles indiquaient par leurs cris les pièces de leur Blason. Les comtes de Flandres disaient : Flandres au lion ! Les comtes de Gavres : Gavres au chapelet !

Les seigneurs de Callant : Au peigne d'or !

Plusieurs cris étaient une exhortation qui aurait pu s'appliquer indifféremment à tous les barons, mais qui avait été monopolisée par quelques-uns ; les comtes de Champagne criaient : Passavant les meillors ! Les seigneurs de Chauvigny : Chevaliers pleuvent ! Les seigneurs de Cramailles : Au guet ! au guet ! Les barons de Tournon : Au plus dru ! Les chevaliers de la maison de Brie : Cans d'oiseaux ! Ceux de Bar : Au feu ! au feu ! Ceux de la Châtre : A l’attrait de bons chevaliers !

D'autres cris avaient pour but d'implorer l'intercession de Dieu, de la Vierge et des saints.

Les ducs de Normandie disaient : Dam diex aie !

Les ducs de Bretagne : Saint Yves ! saint Malo !

Les ducs d'Anjou : Saint Maurice !

Les comtes de Limoges : Saint Léonard ! Les Liégeois : Saint Lambert ! Les barons de Chastel-Montfort : Sainte Marie, aie ! Les Montmorency : Dieu ayde au premier baron chrestien !

C'est à ce genre de cris, qu'appartenait celui des rois de France : Montjoye, saint Denis ! dont l'origine a fourni le sujet d'un grand nombre de dissertations inexactes. Raoul de Presles, dans son traité De la Puissance ecclésiastique et séculière, prétend que Clovis, combattant dans la vallée de Conflans-Sainte-Honorine, repoussa les ennemis jusqu'au pied d'une tour appelée Montjoye, et qu'il en conserva le souvenir. Suivant Robert Scenal, évêque d'Avranches, ce cri date de la bataille de Tolbiac, où Clovis invoqua saint Denis, en l'appelant mon Jupiter, mon Job ! dont on fit ensuite Montjoie. Lachesnaye des Bois, dans son Dictionnaire historique des Mœurs, trouve ces deux opinions probables, mais elles s'écartent toutes deux de la vérité. On appelle Montjoie, dit Suger, le lieu d'où ceux qui arrivent à Rome découvrent pour la première fois les temples des bienheureux apôtres. Hugues de Saint-Cher, dominicain du treizième siècle, ajoute : Dès que les pèlerins aperçoivent le terme de leur voyage, ils élèvent un monceau de pierres sur lequel ils plantent une croix. C'est ce qu'on appelle Montjoie (mons gaudii). Delrio raconte que les pèlerins, pour retrouver la route de Saint-Jacques de Galice, entassaient des amas de pierres, appelés en français montjoie. Moréri atteste que de son temps on nommait encore Monts-Joie les éminences de terre et de cailloux qui bordaient le chemin de Paris à Saint-Denis. Le mot Mont-Joie, signifiant la limite extrême de la perfection, est employé par l'auteur anonyme de la chanson de Blanchefleur :

Bien ai véu

De biauté la Montjoie ;

et par Clément Marot :

D'un seul baiser prens réconfort et joye :

Ma maitresse est de doulceur la Montjoie.

Montjoie saint Denis veut dire simplement : Suivez la bannière de saint Denis ! Les rois la portaient, comme l'on sait, en qualité d'avoués de l'abbaye et de comtes de Vexin. Louis VI le premier, en 1126, était allé prendre l'oriflamme sur l'autel des saints martyrs, et ses successeurs continuèrent à venir la chercher à Saint-Denis toutes les fois qu'ils commençaient une expédition. Philippe-Auguste la prit, en 1190, comme l'atteste son contemporain Guillaume Guiart :

L'écharpe et le bourdon va prendre

A Saint Denys, dedans l'yglise,

Puis a l'oriflambe requise,

Que l'abbé de céanz lui baille :

Devant lui l'aura en bataille,

Quand entre Sarrazins sera ;

Plus séur en assemblera.

Ses descendants conservèrent cette coutume, parce que, selon Suger, le bienheureux saint Denis était le patron et le protecteur particulier du royaume. Et le cri national de Montjoye saint Denis fut usité jusqu'au commencement du quinzième siècle. La même formule se retrouvait dans plusieurs cris d'armes : Montjoie saint Andrieux !Montjoie au noble duc !Montjoie Anjou !Aux barres ! aux barres ! Montjoie !Montjoie Notre-Dame !

Les cris d'armes disparurent définitivement vers l'an 1450, lorsque Charles VII établit les compagnies d'ordonnance, et dispensa les bannerets de conduire eux-mêmes leurs vassaux à l'ost et à la chevauchée. Ce ne fut guère qu'à cette époque que les cris d'armes furent placés au-dessus des cimiers sur un listel ondoyant ; sur un second listel qui se déroulait au-dessous des armoiries, on inscrivait en lettres d'or ou d'argent la devise patrimoniale.

L'emploi des devises, sentences courtes et significatives, est aussi ancien que celui des peintures sur les boucliers. Judas Asmonéen avait inscrit sur ses enseignes les lettre M A C A B I, initiales des mots hébreux dont voici le sens : Qui est semblable à toi, ô Seigneur, parmi les dieux ! Euripide, dans les Phéniciennes, donne à Polynice un bouclier sur lequel est peinte la Justice avec ces mots : Je te rétablirai.

Eschyle, dans la tragédie des Sept chefs devant Thèbes, décrit Capanée comme ayant sur son bouclier l'image de Prométhée., avec une torche à la main, et cette devise : Je réduirai la ville en cendres.

Il ne faut pas conclure de ces trois exemples que les devises fussent très-usitées chez les anciens peuples ; elles étaient inconnues au commencement du Moyen Age, et ne paraissent guère en France qu'au quatorzième siècle. On les brodait sur les cottes d'armes, les meubles, les couvertures de lit, les caparaçons des palefrois, et on y ajoutait quelques figures symboliques. Froissard raconte que Jean de Clermont, maréchal de France, eut une discussion avec Jean Chandos, pource qu'ils portoient chacun d'eux une mesme devise : d'une bleue dame ouvrée d'une bordure ray du soleil.

Les devises n'étaient pas toujours héréditaires, et on les voit parfois changer à chaque génération. Guillaume de Rochefort, d'Ailly, en Auvergne, avait adopté : Nasci, laborare, mori. Son fils Hugues de Rochefort y substitua : Moderata durant, et son petit-fils, Claude de Rochefort : Per ardua virtus.

La devise ordinaire de la maison de Sales, en Savoie, est : N'y plus ni moins. Mais plusieurs gentilshommes de cette maison l'ont quittée, pour en prendre une autre. Celle de François de Sales, seigneur de Roizy, est : En bonne foy. Celle de Jean de Sales : Adieu, biens mondains ! Celle de Galois de Sales, seigneur de Villagerot : Inpaucis quies. Celle de saint François de Sales : Nunquam excidet (sous-entendu charitas).

Lorsque les devises sont héréditaires, elles se confondent souvent avec le cri d'armes, et se placent au-dessus de l'écu. Dans ce cas, elles sont très-fréquemment parlantes, c'est-à-dire qu'elles contiennent le nom de la famille reproduit par une espèce de calembour.

Achay, en Franche-Comté : Jamais las d’âcher.

Vaudray : Jai valu, vaux et vaudray.

Du Chambge, en Flandre : Pour un mieulx du chambge.

Morlaix : S'ils le mordent, mors-les.

Le Chat Kersaint : Mauvais chat, mauvais rat.

Beaujeu : A tout venant beau jeu.

Mypont, en Beaujolais : Mypont difficile à passer.

Grandson : A petite cloche grand son.

Les ducs de Nemours, de la maison de Savoie : Suivant sa voie.

Lauras, en Dauphiné : Un jour l'auras.

Eurre : A toute heure.

Disemieux : Il n'est nul qui dise mieux.

Bout : De bout en bout.

Il y a aussi des devises de ce genre, en latin. Les possesseurs des seigneuries de Vento et de Pennes, en Provence : Super pennas ventorum. La maison Campi de Crémone, qui portait des épis de blé dans ses armoiries, avait choisi ces mots du psaume 64 : Campi lui repiebuntur ubertate. La maison d'Avesnes en Hainaut avait pris ce centon des Bucoliques de Virgile : Tenui modulatur avena.

Plusieurs devises font allusion aux figures des armoiries. La famille Simiane, en Provence, porte d'or semé de fleurs de lis et de tours d'azur, avec cette devise : Sustentant lilia turres. La famille Sabbatier, à Arles, a dans ses armes un croissant avec ces mots : Pleno sidere plenœ. La famille Vogué porte d'azur au coq d'or cresté, barbé et membré de gueules ; elle a pris pour support deux lions à la tête contournée, avec deux devises : 1° Vigilantia, 2° Solâ vel voce leones terreo.

La famille Montchenu, en Dauphiné, porte de gueules à la bande engrêlée d'argent ; elle a pour devise : La droite voie.

D'autres devises sont un souvenir d'amour ou de guerre, une sentence on un proverbe, une idée vague, laconiquement exprimée ; Philippe de Bourgogne, après avoir épousé Isabelle de Portugal, le 10 janvier 1429, écrivit au-dessus de ses armes : Autre n'auray dame Isabeau, tant que vivray ; en abréviation : Autre n'auray.

Antoine de Croy : Souvenance.

Jacques de Brimeu : Plus que toutes.

Pierre de Bauffremont : Plus deuil que joie.

Jean de la Trimouille, sieur de Jouvelle : Ne m'oubliez.

Philippe de Croy, duc d'Arschot : Y parviendray.

Jean Schenck, en Allemagne : Plustot rompre que fléchir.

Chalant, en Savoie : Tout est et n'est rien.

Solara, en Piémont : Tel fiert qui ne tue pas.

Florentin de Brimeu : Autrefois mieux.

Le Bègue de Lannoy : Bonnes nouvelles.

Gilbert de Lannois : Votre plaisir.

Jean de Villers : Va outre.

La maison Malet de Coupigny : Pâlir pour jouir.

La maison Wollgang, en Allemagne : Plus cogitare quam dare.

Ces fières devises des Rohan et des Coucy ont été souvent citées :

Roi ne puis,

Duc ne daigne,

Rohan suis.

Je ne suis roy, ne duc, ne comte aussi,

Je suis le sire de Coucy.

Quelques devises se composaient d'une simple figure sans explication. Tels étaient la rose blanche de la maison d'York et la rose rouge de la maison de Lancastre, le chardon des ducs de Bourbon, le fusil des ducs de Bourgogne.

La maison de Montmorency avait pour devise une épée, avec le mot grec απλωνως ; le cardinal de Bourbon, un bras tenant un glaive flamboyant, et le mot : N'espoir ny peur ; Frédéric III, un bras étendant une épée nue sur le Code de Justinien, avec la légende : Hic regit, ille tuetur ; Camillo Pallavicini, une fleur dont une tortue rongeait le pied, avec cette inscription italienne : Ogni belleza ha fine ; Marco-Antonio Trevisani, doge de Venise, un cadran et un sablier, avec ce mot : Sumus.

Paolo Sfortita, au seizième siècle, avait fait peindre auprès de son blason une flèche sur son arc, dirigée contre le ciel, avec cette légende : Sic itur ad astra.

Jacques de Médicis, marquis de Marignan, avait adopté pour devise une balle et deux brassards de joueur de paume, avec ces mots : Percussus elevor.

Les devises en rébus furent à la mode au seizième siècle. La maison de Médicis avait dans la sienne un diamant, trois plumes d'autruche et ces mots : Semper adamas in permis ; ce qu'il fallait traduire par : Toujours invincible dans les peines.

Pierre de Morvillers, premier président du parlement de Paris, avait pour devise une herse liée à un Y, et son nom était exprimé en rébus par cette figure (Mort Y liés), parce que la herse est l'emblème de la mort qui rend toutes choses égales.

Plusieurs devises consacrent le souvenir d'un événement historique. Charles VIII, pendant la bataille de Fornoue, le 5 juillet 4495, appela à son aide un seigneur de la maison de Montoison, en Dauphiné, et le secours opportun de ce brave chevalier changea la face du combat. Le roi récompensa son défenseur, en lui donnant pour devise perpétuelle ces mots : A la rescousse, Montoison !

La devise de la maison de Sassenage : J'en ai la garde du pont, rappelait quelque action héroïque dont le récit ne nous est point parvenu.

Catherine de Médicis, après la mort de Henri II, qui avait été blessé d'un coup de lance dans un tournoi, fit représenter sur sa devise une lance brisée, avec cette légende : Hinc dotor hinc lacrymœ !

Christophe Colomb laissa à ses descendants une devise en vers espagnols :

Por Castilla y por Leon

Nuevo mundo hallo Colon.

Vers le temps où se propageaient les devises, on commençait à flanquer les armoiries de supports ou tenants, presque toujours facultatifs. La première qualification s'applique aux animaux réels ou fantastiques ; la seconde, aux êtres de forme humaine, tels que les anges, les religieux, les chevaliers, les hérauts, Mores, sauvages, etc. Les familles investies d'une autorité supérieure avaient d'abord le monopole des supports ; mais, au seizième siècle, chacun en prit à sa fantaisie. Cette époque fut à la fois brillante et fatale pour le Blason. Ses insignes furent plus multipliés que jamais, et les monuments en font foi ; mais un grand nombre de familles profitèrent de la confusion des temps pour usurper des armoiries, et cet abus se perpétua, malgré l'ordonnance rendue à Amboise par Henri Il le 26 mars 1555. Elle condamnait à une amende de 1000 livres quiconque prenait indûment la qualité de noble, et elle défendait de porter le nom ou les armes d'une autre famille. Une ordonnance de 1560, des édits de 1579 et de 1600 réitérèrent ces prohibitions avec peu de succès, puisqu'on voit tous les rois s'occuper de prévenir l'usurpation des armoiries. On toléra néanmoins celles que s'étaient données les villes, les couvents, les chapitres, les corporations d'arts et métiers, dont nous pourrions citer de nombreux exemples.

Le prieuré conventuel des bénédictins de Solesme, fondé en 1010 par Geoffroy de Sablé, portait de sable à une crosse d'argent., accompagnée de deux étoiles de même.

Le chapitre de Saint-Just, à Château-Gontier, portait d'azur à un saint Just, martyr, vêtu d'une tunique sans manches de gueules, portant sa tête entre ses bras : une croisette patée aussi d'argent en chef, et autour ces mots : Sancti Justi martyris.

Les Ursulines de la même ville : d'argent à un lis de gueules tigé et feuille de sinople.

Parmi les armoiries des corporations, nous remarquons celle des merciers de Paris : d'argent à trois navires, dont deux en chef et un en pointe, tous trois construits et mâtés d'or sur une mer de sinople, surmonté d'un soleil d'or aux rayons étincelants, avec cette devise : Te, toto orbe sequemur.

Ce Blason fastueux rentre dans la catégorie de ce qu'on nomme les armes à enquérir, parce qu'elles pèchent contre les principes de l'art, qui défend de mettre métal sur métal, et couleur sur couleur. Les armes des bouchers de Rouen sont plus exactes : ils portaient de gueules à la tête de bœuf d'argent.

Pour tous les autres détails du Blason, nous renvoyons aux ouvrages didactiques. Nous avons voulu indiquer seulement son origine, suivre ses développements et signaler quelques-unes de ses nombreuses singularités. Notre travail se résume ainsi :

De temps immémorial, les guerriers ont tracé des arabesques, des images symboliques sur leurs boucliers. Nous pouvons ajouter que cette coutume existait non-seulement dans l'antiquité civilisée, mais chez les peuples barbares, comme les Germains, les Celtes, les Galls, les Pictes de la Calédonie. Aneurin, barde breton du sixième siècle, parle des Gaels, au corps peint, et de leur chef, Domnal Breck, aux armes peintes de plusieurs couleurs. En Amérique, les tribus indiennes, Mohicans, Tuscaroras, Io-Ways, Onondeigas, ornaient leurs armes, leur visage et leur poitrine, de peintures de guerre, que certaines familles transmettaient même à leurs descendants. C'était le Blason à l'état sauvage.

Lorsque la féodalité se constitua en Europe, le choix des peintures qui couvraient les écus ou blasons fut d'abord abandonné à la fantaisie individuelle ; mais bientôt chaque seigneur monopolisa une combinaison particulière de couleurs et de symboles, qui se perpétua dans la famille.

Au quatorzième siècle, les symboles étaient tellement variés, leurs dispositions tellement compliquées, que l'étude des armoiries devint une science spéciale, ayant sa langue à part et ses règles déterminées ; et, bien qu'elle ait perdu beaucoup de son importance, elle demeurera comme un monument du passé, comme une ramification essentielle de l'histoire.

 

ÉMILE DE LA BÉDOLLIÈRE.

Auteur de l'Histoire des mœurs et de la vie privée des Français.