L'IMPÉRATRICE EUGÉNIE

 

V. — LA PERSONNE DE L'IMPÉRATRICE.

 

 

L'historien de Mérimée et ses amis a dit du mariage de l'Impératrice : Ce trône décerné comme un prix de beauté, cette couronne offerte à genoux par un souverain amoureux, avait à la fois le charme d'une très ancienne chose et le prestige d'une chose très nouvelle. C'était bien un prix de beauté qui venait d'être décerné à la nouvelle impératrice des Français, car cette femme était belle, très belle. Ses nombreuses images sur la toile ou sur le marbre, en particulier ses portraits par Winterhalter, en témoignent suffisamment. Images de la complaisance officielle, pourra-t-on dire ; mais les témoignages écrits des contemporains offrent à cet égard une unanimité qui est rare, quand il s'agit de la personne physique d'une femme.

Le Dr Barthez, qui fut attaché à la famille impériale, parlait ainsi de l'Impératrice, en 1856, dans une lettre privée qu'il adressait à sa femme :

Aucun portrait ne donne une idée exacte de ce qu'elle est. Elle est plus jolie, plus belle, plus gracieuse, plus vivante qu'aucun de ceux que j'ai vus. Dans toutes les parties de son corps, elle est d'une remarquable pureté et délicatesse de construction. Ses épaules, larges et bien faites, tombent avec grâce ; sa poitrine, qu'elle montre un peu trop et trop souvent, est délicieusement placée et modelée. Son teint est, en général, un peu pâle ; mais, lorsque, sous l'influence d'une émotion, sa peau douce, fine et blanche se colore, les teintes dont se couvrent sa poitrine, son cou et sa figure sont si délicates, si délicieuses, si bien placées qu'il est impossible de n'en être pas ému... C'est en tout une femme de race, dont le type est à la fois charmant et distingué... Le soir, elle est éblouissante de jeunesse et de beauté.

L'auteur des Souvenirs intimes de la cour des Tuileries, Mme Carette, ne cessa d'avoir pour l'Impératrice des sentiments d'admiration et d'attachement ; mais il n'était pas besoin d'être une amie très dévouée pour signer une description, dont chaque trait pourrait se justifier par d'autres plumes que la sienne.

L'Impératrice, dit-elle, était d'une taille au-dessus de la moyenne, plutôt grande. Ses traits étaient réguliers, et la ligne, extrêmement délicate, du profil avait la perfection d'une médaille antique, avec quelque chose d'intraduisible, un charme tout personnel, un peu étrange même, qui faisait qu'on ne pouvait la comparer à aucune autre femme. Le front, élevé et droit, était resserré aux tempes. Les sourcils, longs et déliés, avaient un peu d'obliquité. Les paupières, souvent abaissées, suivaient la ligne des sourcils voilant les yeux assez rapprochés, ce qui était un trait particulier de la physionomie de l'Impératrice : deux beaux yeux, d'un bleu vif et profond, enveloppés d'ombre, pleins d'âme, d'énergie et de douceur ; ces yeux seuls auraient rendu un visage remarquable. Le nez, mince à la racine, de proportion parfaite, aux narines finement découpées, était de race aristocratique. La bouche, fort petite, avait des contours pleins de grâce, et cette bouche charmante s'animait d'un irrésistible sourire. Les dents étaient éclatantes, le menton délicatement arrondi, l'ovale allongé avec un peu de rondeur dans le bas des joues, le teint brillant et d'une blancheur transparente. La peau très fine laissait percevoir le réseau des veines et faisait penser au sang bleu de l'antique noblesse espagnole. L'attache du cou long et délicat était parfaite. Les épaules, la poitrine et les bras rappelaient les plus belles statues. La taille était étroite et très ronde, les mains fluettes, les pieds plus petits que les pieds d'une enfant de douze ans. De la noblesse avec beaucoup de grâce dans le maintien, une distinction native, une démarche aisée et souple ; par-dessus tout, une harmonie complète entre la personne physique et la personne morale : c'était là, je crois, le secret d'un charme incomparable.

La grâce, plus belle encore que la beauté, était, en effet, un don naturel de l'Impératrice. Rien n'était comparable à elle dans la manière de marcher, de saluer, de faire une révérence ; de la révérence, a-t-on dit, elle avait fait une chose d'art. L'un des moments, a écrit un témoin, où l'Impératrice est le plus à son avantage et où elle enlève forcément les cœurs, est celui où elle entre dans le salon garni de monde. Elle a alors un air de douceur, de modestie et même de timidité, qui est ravissant.

Lord Malmesbury, dans les Mémoires d'un ancien ministre, note ceci, à la date du 20 mars 1853 : J'ai dîné aux Tuileries. J'étais placé à côté de l'Impératrice. Elle est toujours fort belle ; elle a un buste et des épaules magnifiques, des pieds très petits, des mains charmantes et des cheveux châtain clair. Elle parle l'anglais couramment et s'adresse à l'Empereur dans cette langue quand elle ne veut pas être entendue. Ils ont fait cela deux ou trois fois, oubliant ma présence et ont ri de bon cœur de leur méprise. A un autre dîner aux Tuileries, le 19 mai 1870, l'Empereur, dit-il, me fit placer à côté de l'Impératrice, dont je pus admirer les épaules toujours magnifiques.

Dans Mon séjour aux Tuileries, la comtesse de Tascher de la Pagerie parle ainsi de l'Impératrice : L'harmonie délicate et distinguée de ses proportions est incontestable. Elles auraient pu servir de modèle à un sculpteur pour une Hébé ou une Psyché, tant les lignes sont correctes et fines. Svelte, souple dans ses mouvements, je trouvais que la grâce et la distinction la plus exquise étaient réunies dans sa personne.

C'était pour sa beauté, pour toute la séduction qui se dégageait de sa personne, que la comtesse de Teba était devenue l'impératrice des Français. Cette beauté et ce charme ne lui firent jamais défaut. Même dans les dernières années de sa vie, dans sa retraite de Farnborough-Hill, c'était toujours la même séduction dans les manières, la même souplesse dans la taille, la même dignité de grande dame dans la façon de se présenter. Rien de factice dans les traits de cette figure, même quand les cheveux eurent perdu leur ton châtain clair et furent devenus tout blancs. Le seul artifice qu'ait jamais employé l'Impératrice, ce fut de souligner les cils de la paupière inférieure d'un coup de crayon noir, très appuyé ; même, dans la vieillesse, quand le visage était très pâle, le contraste de ce trait noir au voisinage des yeux donnait à l'ensemble de la physionomie quelque chose de très caractéristique.

 

Si la beauté de l'Impératrice lui avait valu un trône, elle ne fut pas capable de lui assurer la fidélité de son époux. L'Empereur reconnaissait les mérites de sa femme ; quelques mois après son mariage, il disait avec sincérité : Aucune femme ne pouvait mieux me convenir ; elle est dévouée, elle est enjouée, elle est bonne et elle est spirituelle. C'était encore le temps où l'amour parait la jeune épouse de toutes les qualités. Mais la nature assez volage de l'Empereur se laissa aller, au cours de son règne, à maintes distractions. La chronique galante citait bien des noms de femme, de l'entourage même de l'Impératrice ou n'appartenant pas à la cour des Tuileries. Pendant quelque temps, on parla volontiers de la comtesse de Castiglione, célèbre par sa beauté sculpturale, Narcisse femelle, a dit un contemporain, en admiration devant sa propre beauté. L'Impératrice souffrit beaucoup, dans sa dignité d'épouse et de souveraine, des infidélités de son mari ; elle ne lui ménagea pas les reproches ; des scènes pénibles se produisirent ; des voyages qu'elle décida parfois à l'improviste furent, pour son âme blessée, des diversions passagères. Pour lui, en mari volage, sa conscience accommodante ne manquait pas de raisons pour expliquer sa conduite, et il était surpris que sa femme en éprouvât de la peine.

Un jour, dans les années de veuvage de Farnborough, la conversation entre elle et Augustin Filon tomba sur ce sujet délicat, à propos d'un livre qui allait paraître sur la vie privée de Napoléon III. L'Impératrice croyait moins à l'action impérieuse des sens qu'à une sorte de lassitude et à la curiosité qui souvent l'accompagne. C'est la sameness, dit-elle, la fatale sameness, en un mot la monotonie. On est si bien habitué à agir, à parler de même, à penser et à sentir ensemble, qu'on n'offre plus d'intérêt à son compagnon Alors l'homme s'éloigne. — Pour un temps, reprit Filon, mais il revient. Il est ramené par la douleur, par l'épreuve, à la seule qui l'ait compris, qui l'ait aimé. Et l'Impératrice de répondre tristement : Je le crois.

Les soupirants n'avaient pas manqué à la souveraine des Tuileries ; peut-être ne lui déplaisait-il pas de voir autour d'elle un cercle d'adorateurs et de dévots, qui étaient loin d'être les premiers venus. Le comte de Goltz, ministre de Prusse, le comte de Beust, chancelier d'Autriche-Hongrie, un professeur de philosophie à la Sorbonne dont l'éloquence mondaine était en grand renom, bien d'autres encore, faillirent perdre un peu de leur raison à approcher cette femme qui était comme la statue vivante de Psyché. Le cousin de l'Empereur, le prince Napoléon, avait ressenti pour elle un très vif attrait ; il dut se convaincre bientôt que ses assiduités étaient vaines. L'Impératrice fut très courtisée pendant toute la durée de son règne, et comment ne l'aurait-elle pas été, avec sa beauté et surtout avec sa grâce ? Mais sa conduite ne donna jamais prise au plus léger soupçon.