Dans les premiers jours de décembre 692 (62 avant Jésus-Christ), la nouvelle d’un
scandale inouï se répandit à Rome. Il s’agissait d’une histoire d’adultère,
qui empruntait aux noms des personnages en cause, aux circonstances de temps
et de lieu un caractère exceptionnel de gravité. Les deux coupables
appartenaient aux plus illustres familles du patriciat romain : Pompeia,
petite-fille de Sylla et femme de César, P. Clodius Pulcher, de la grande
famille des Claude ; ils avaient été surpris dans la maison même de César, où
Clodius s’était introduit la nuit à la faveur d’un déguisement féminin, comme
pour prendre part à une fête religieuse. Voici, en quelques mots, le récit de
cette curieuse équipée ; elle aurait mérité d’être contée par la plume d’un
Boccace ou d’un Un jeune patricien, P. Clodius, déjà connu à l’âge de
trente ans par plusieurs aventures qui n’étaient pas à son honneur, avait
conçu une violente passion pour Pompeia, femme du grand pontife Jules César,
toute prête elle-même à le payer de retour ; mais la mère de César, Aurelia,
faisait bonne garde auprès de la jeune femme : aussi les deux amants ne
pouvaient se rencontrer ni dans la maison de César ni au dehors. Clodius,
homme de ressources et d’audace, s’il en fut jamais, résolut d’attendre la
fête de C’est le héros de cette histoire scandaleuse que le grand pontife devait couvrir officiellement de sa protection, devant les tribunaux d’abord, quand il fut accusé de sacrilège, devant le collège pontifical ensuite, quand il voulut devenir plébéien. Comment César a-t-il pu pardonner une injure aussi grave et aussi manifeste ? Il avait deviné dans ce descendant des Appius Claudius l’homme qui pourrait un jour servir le mieux sa politique. Les actes, en effet, par lesquels Clodius s’était fait connaître jusqu’alors révélaient en lui un intrigant et un perturbateur d’une audace singulière. — I —P. Clodius Pulcher, dont le nom de famille a été défiguré par une bizarrerie de prononciation et d’écriture[5], est né, selon toute probabilité, en l’an de Rome 661[6]. Il portait un des noms les plus connus du patriciat ; parmi ses ancêtres, il pouvait citer Ap. Claudius, le fameux décemvir, Ap. Claudius Cæcus, qui, malade, s’était fait transporter au sénat pour parler contre les propositions de paix de Pyrrhus, et une foule de personnages, hommes ou femmes, célèbres à divers titres. Orphelin d’assez bonne heure et abandonné à lui-même, il n’eut d’autres leçons que les exemples domestiques de ses frères et de ses sœurs ou que les révolutions de Rome ; il faut reconnaître que cette double influence n’était pas de nature à développer, même dans des âmes plus heureusement douées ; les qualités de l’honnête homme et du citoyen soumis aux lois. P. Clodius était le cinquième enfant d’une famille qui
comprenait trois garçons et trois filles. L’aîné des fils, Appius, a laissé
un nom dans l’histoire de cette époque ; après avoir embrassé la haine de son
frère contre Cicéron, il devint un ami du grand consulaire. Quant aux trois
sœurs de Clodius, leurs aventures ont alimenté longtemps la chronique scandaleuse
de Rome. Une surtout, Clodia major,
s’est fait un nom hors de pair dans l’histoire galante du dernier siècle de L’éducation politique de Clodius n’avait pas été meilleure. Enfant, il avait assisté aux proscriptions, aux spoliations, aux massacres de la dictature de Sylla ; jeune homme, il avait vu le consul Lepidus lever une armée et entrer en lutte ouverte avec le sénat. Ces exemples parlaient assez haut : l’audace, la violence, le crime, voila les moyens de gouvernement qu’on lui avait montrés. Il pensa que le mieux était de commencer tout de suite par où Sylla et Lepidus avaient fini. Les débuts de sa carrière se firent en Asie dans l’armée
de son beau-frère Lucullus, lors de la seconde guerre contre Mithridate.
Légat de Lucullus, il ne profita de son rang et de sa parenté avec le général
en chef que pour faire révolter l’armée. Les mutins, excités par lui,
déclarent qu’ils n’iront pas plus loin (l’armée était alors à Nisibis, au cœur de Après ce bel exploit, Clodius s’était prudemment retiré auprès de son autre beau-frère Q. Marcius Rex, alors proconsul de Cilicie ; il en avait obtenu le commandement d’une petite flottille pour faire la chasse aux pirates. L’expédition fut peu heureuse : Clodius se fit battre et prendre. Il ne put recouvrer la liberté qu’à l’époque de la grande expédition de Pompée. Il passe alors en Syrie, à Antioche, encore indépendante et en ce moment en guerre avec les Arabes. On l’accueille très volontiers ; mais quelle n’est pas l’indignation des habitants, quand ils apprennent que leur hôte a voulu provoquer une sédition dans leur armée ! Ils parlent de mettre à mort le traître ; Clodius leur échappe et va rejoindre Pompée qui avait succédé à Lucullus en Asie[11]. Bientôt après, ayant assez des aventures militaires, il revient à Rome. A vingt-huit ans, il avait acquis cette réputation originale d’avoir mis le désordre dans toutes les affaires où il avait été mêlé. De retour à Rome, Clodius accepte la mission de se porter accusateur du préteur Catilina au nom de la province d’Afrique, pour une affaire de concussion. Ces procès fournissaient souvent à de jeunes orateurs l’occasion de se produire ; les Romains aimaient, dit Plutarque, à retrouver dans l’hostilité des jeunes gens pour les coupables quelque chose de l’ardeur des chiens de chasse en face du gibier[12]. Clodius se fit donc l’accusateur de Catilina. Singulier procès, dira-t-on ; mais n’est-il pas plus singulier encore de voir que Cicéron eut un moment l’idée de défendre l’accusé, comme il en fait l’aveu à Atticus[13], que l’un des consuls en exercice le défendit et le fit acquitter ? Autant valait juger, dit Cicéron, qu’il ne fait pas jour en plein midi[14]. L’argent de Catilina avait fait merveille ; l’accusateur et les juges avaient été grassement payés[15]. L’entente frauduleuse de l’avocat des Africains avec la partie adverse avait abouti à un acquittement scandaleux. Cette conduite semblait désigner Clodius à Catilina comme
un de ses futurs complices ; cependant l’homme qui avait semé la révolte à
Nisibis et à Antioche, prévariqué à Rome, assista à la terrible conjuration
de l’année 63 sans y prendre part. Il venait alors de rentrer à Rome pour la
seconde fois ; car, au lendemain du procès des Africains, il s’était fait inscrire
dans la maison militaire du propréteur L. Licinius Murena, beau-père de sa
femme, et il l’avait accompagné dans son gouvernement de — II —Clodius avait obtenu la questure pour l’année 61. Il
portait le titre de questeur désigné[19], avant de
remplir effectivement ses fonctions, quand il fut le héros de la scandaleuse
aventure qu’on a racontée. La maison du grand pontife avait été souillée par
un adultère et un sacrilège ; César s’était empressé de divorcer avec Pompeia[20]. Si cette
vengeance suffisait à César, qui avait dès lors des desseins arrêtés sur
Clodius, la morale publique réclamait un. châtiment exemplaire pour l’homme
qui s’était fait connaître jusque-là par la défection des légions d’Asie, par
ses incestes avec ses sœurs, par la profanation des mystères de Le jour de l’audience, le jury fut constitué au milieu de scènes de désordre, l’accusateur L. Lentulus et l’accusé ayant profité de leur droit de récusation, l’un à l’égard des fripons avérés, l’autre à l’égard des plus honnêtes gens. Jamais tripot, dit Cicéron, ne réunit pareil monde : des sénateurs infimes, des chevaliers en guenilles, des tribuns qui n’étaient pas aussi dorés qu’argentés, comme on les appelle, tribuni non tam œrati quant, ut appellantur, œrarii. Il y avait bien aussi quelques braves gens...[22] Quand on parlait à Philippe de Macédoine d’une forteresse inexpugnable, il demandait s’il y avait moyen d’y faire pénétrer un mulet chargé d’or ; si oui, elle était bientôt prise. C’était aussi, parait-il, le sentiment de Clodius. Aidé de Crassus, qui lui permit de puiser dans sa fortune colossale, il se mit à prodiguer à ses juges les sesterces à pleines mains ; il fit plus encore en leur assurant quelques débauches de choix[23]. L’entremetteur du tribunal, suivant le mot énergique de Sénèque[24], pouvait à présent assister bien tranquille à son procès comme à une partie de plaisir. Sur le point fondamental de l’accusation, c’est-à-dire sur la violation des mystères, Clodius avait un système de défense bien simple : le même jour, à la même heure, il était à Interamna, soit à 90 milles de Rome, environ 34 lieues. En effet, des témoins qui habitaient Interamna vinrent déposer qu’il avait passé dans cette ville la nuit où l’on prétendait l’avoir surpris dans la maison de Pompeia[25]. De son côté, César témoigna qu’il ne savait rien de ce qu’on reprochait à l’accusé et qu’il n’avait jamais tenu sa femme pour adultère. Mais pourquoi donc, s’écria Lentulus irrité de tant d’impudence, l’as-tu congédiée sur l’heure ? — Pourquoi ? Parce que la réputation de la femme de César ne doit pas être effleurée par le plus léger soupçon[26]. A ces témoignages de complaisance, Aurelia, Julia et les femmes qui avaient pris part au sacrifice opposèrent des dépositions précises, accablantes, irréfutables[27]. On attendait avec impatience le tour de Cicéron ; le bruit avait couru que son témoignage serait décisif ; mais on se demandait s’il n’allait pas, lui aussi, carguer les voiles[28]. On ignorait qu’il devait être l’instrument d’une vengeance conjugale. Terentia, sa femme, avait conçu une haine violente contre la fameuse Clodia qui avait eu un moment l’idée de faire rompre à Cicéron son mariage pour se marier à lui[29] ; l’occasion était bonne pour perdre tous ces Clodius, il suffisait d’avoir le courage de dire la vérité. Cicéron vint donc déposer ce qui était si bien connu et si bien établi qu’il était impossible de n’en pas parler[30], à savoir que Clodius était venu le voir chez lui et l’avait entretenu de diverses choses au jour et à l’heure où il prétendait s’être trouvé à Interamna[31]. Jusqu’alors les débats avaient été conduits avec la plus grande sévérité ; mais les paroles de Cicéron sont le signal d’un épouvantable tumulte : les patrons de Clodius font retentir le Forum de leurs menaces contre un témoin impudent ; les juges, debout sur leurs sièges, présentent la gorge à Clodius pour montrer qu’ils sont prêts à défendre Cicéron au péril de leur vie. Devant cette explosion de menaces, le jury demande au sénat une escorte militaire ; le sénat acquiesce aussitôt à cette demande en félicitant les juges de leur énergie. Enfin le jour du vote arrive. Sur cinquante-six votants, il s’en trouve vingt-cinq pour déclarer Clodius coupable, et trente et un, plus sensibles à la faim qu’à l’infamie, pour l’acquitter. Clodius était acquitté à six voix de majorité[32]. Telle est cette cause célèbre, dont le dénouement
scandaleux fit époque au milieu des scandales judiciaires qui se
reproduisaient si souvent à Rome. Les accusateurs de Clodius se consolèrent
de leur défaite par des bons mots. Pourquoi donc
demandiez-vous des gardes ? disait Lentulus à l’un des juges. Aviez-vous peur qu’on ne vous volât votre argent ?[33] Cicéron disait
encore plaisamment : Les juges ont voulu dire que
là où cet individu s’était trouvé il ne leur avait pas paru qu’il fût venu un
homme[34]. Les railleries
n’empêchaient pas cette honteuse comédie d’être du plus détestable effet et
pour la morale publique et pour les intérêts de l’État. Comment ! Voilà un
accusé qui, non content d’avoir joint le sacrilège à l’adultère, trafique
encore ouvertement avec ses juges et se fait le pourvoyeur de leurs débauches
; voilà le grand pontife, le gardien et le vengeur de la religion, qui ment
effrontément devant les lois ; voilà un jury qui a pu descendre à ce point de
honte de nier l’évidence la plus manifeste ! Sénèque aura bien raison de dire
: L’accusation était bien moins criminelle que
l’acquittement. Les débats ont donné lieu à plus d’infamies que l’affaire
elle-même[35]. Cicéron s’est
surtout préoccupé des conséquences politiques du procès, et il les a prévues
avec la plus grande netteté. Il sentit tout de suite et avec raison qu’un
résultat inévitable était la scission du parti conservateur. L’union de tous
les gens de bien, optimates (le parti conservateur de
Rome se qualifiait de parti des honnêtes gens), avait été une des
chimères les plus chères à son ambition généreuse dans son consulat de 63. Il
avait mis toute son énergie à réunir dans une alliance commune sénateurs,
chevaliers et tous ceux, quels qu’ils fussent, qui voulaient le maintien de J’ai peur que cette affaire,
négligée par les gens de bien, soutenue par les méchants, n’attire à Clodius était sorti du procès avec une haine farouche contre le parti qui le lui avait intenté et surtout contre Cicéron qui avait fait une déposition accablante. Cicéron fut à partir de cette heure comme une victime réservée à sa fureur et à ses coups. Quelques jours après l’acquittement, aux ides de mai, ils eurent en plein sénat une violente altercation. La voici telle que Cicéron la rapporte[38] ; elle est à citer comme exemple des mœurs parlementaires du temps. Le beau mignon se lève et me reproche d’avoir été à Baies. — C’est faux ! Et quand ce serait ? Ne dirait-on pas que j’ai pénétré dans un sanctuaire ? — Voyez-vous, reprit-il, cet homme d’Arpinum à des eaux thermales ! — Va donc en parler à ta grande protectrice ; elle aurait bien voulu goûter aux eaux d’Arpinum (allusion à Clodia qui avait voulu épouser Cicéron). Et à propos, que dis-tu des eaux de la mer (allusion à certaines aventures de Clodius chez les pirates de Cilicie) ? — Jusques à quand le laisserons-nous trancher ici du roi ? — Comment ? Tu parles de Roi ! Mais Roi n’a pas fait la moindre mention de toi ; — il avait déjà dévoré en espérance la succession de Roi (Q. Martius Rex, son beau-frère). — Tu as acheté une maison. — Acheté ? Veux-tu parler des juges ? — Oh ! tu as eu beau prêter serment, ils ne t’ont pas cru. — Au contraire, il y en a vingt-cinq qui ont cru à ma parole, et trente et un qui n’ont pas cru à la tienne, car ils se sont fait payer d’avance. Accablé de huées à ces mots, il se tut et se rassit. Que fera Clodius ? S’il reste patricien et qu’il suive la
carrière régulière des honneurs, il lui faudra attendre jusqu’à
quarante-trois ans, c’est-à-dire dix ans encore, pour arriver au consulat, la
première magistrature de Pour passer du patriciat à la plèbe, il y avait une procédure régulière qui consistait à se faire adopter par un plébéien à la suite d’une enquête faite parles pontifes et avec la ratification de l’assemblée des curies. Clodius ne pouvait songer sérieusement à suivre cette voie. Il était peu probable que le collège pontifical, chargé de l’enquête préalable, voulût approuver et présenter aux curies un projet d’adoption qui n’avait pas de motif sérieux. César, seul, aurait pu, en sa qualité de grand pontife, forcer la main à ses collègues pour servir sa propre ambition et la haine de Clodius ; mais il était alors en Espagne. Clodius attendrait-il son retour ? C’était perdre le bénéfice de son audace, c’était donner à ses ennemis le temps de se reconnaître ; puis qui lui garantissait que le grand pontife voudrait prendre le patronage de cette singulière adoption ? Il fallait donc se hâter et recourir à d’autres expédients. Dès le mois de janvier 60, un tribun, C. Herennius, publie
une proposition de loi pour faire régler par l’assemblée des centuries la
question du passage à la plèbe du patricien Clodius ; l’un des consuls,
Metellus, l’époux de Clodia, appuie ce projet ; mais, toutes les fois qu’il
doit venir en délibération, les adversaires le font écarter par la voie de l’intercession[40]. Les tribuns
amis de Clodius songent alors à un projet de loi plus révolutionnaire encore
: les patriciens seront déclarés admissibles au tribunat[41], magistrature,
comme on le sait, exclusivement réservée à la plèbe ; ce moyen n’a pas plus
de succès. A ce moment, Clodius jette le masque ; il déclare qu’il renonce de
lui-même à sa qualité de patricien, qu’il se considère comme plébéien et qu’à
ce titre il est candidat au tribunat pour l’année qui suit[42]. Tant d’audace,
un tel mépris des lois finirent par irriter le sénat. Cicéron disait que
Clodius, une fois plébéien, ne serait pas plus dangereux pour Sur ces entrefaites, au commencement de juin[45], César revient
d’Espagne et forme avec Pompée et Crassus le pacte du premier triumvirat. Le
consulat de César en 59, l’ensemble des mesures démocratiques qu’il fit
adopter dans cette magistrature furent le prix de cette association. A
l’expiration de son consulat, il devait partir pour les Gaules. Que
deviendraient pendant cette absence les lois de 59 ? Pompée et Crassus
pourraient-ils, à eux seuls, tenir tête à l’opposition furieuse du sénat et
du parti conservateur ? Une alliance précieuse pour César eût été celle d’un
homme qui rappelât Catilina par son audace criminelle, par la violence de ses
actes et de ses discours, par son ascendant sur la populace ; de plus, si
cette alliance était le prix d’un grand service rendu par César à ce
révolutionnaire, elle n’en deviendrait que plus étroite et plus sûre. César
n’eut pas à chercher longtemps pour trouver quelqu’un qui répondit à ces
conditions : Clodius satisfaisait à toutes. Ses premiers actes politiques, sa
haine farouche contre les chefs du parti conservateur, accrue par les
obstacles qui s’opposaient à son passage à la plèbe, répondaient de ses
qualités révolutionnaires. César avait déjà eu son sort à sa merci lors du
procès de Les détails sur le passage de Clodius du patriciat à la plèbe nous sont bien connus, grâce à Cicéron qui a pris plaisir à en énumérer toutes les irrégularités. Un jour du mois de mars, Cicéron laissa échapper, dans un plaidoyer pour son ancien collègue du consulat, C. Antonius, quelques paroles mordantes sur César qui était alors consul ; le même jour, trois heures seulement, parait-il, après le discours de Cicéron, le collège des pontifes prononçait l’adoption de P. Clodius Pulcher[46]. Qu’était donc devenue l’enquête préalable exigée par le droit pontifical ? Ce n’est pas tout. Le consul Bibulus, l’adversaire de César, avait prononcé, au moment où l’adoption allait être proclamée devant le peuple, la formule sacramentelle, qu’il observait le ciel[47], et ces mots empêchaient la validité des assemblées populaires. Ce n’est pas tout encore. Il aurait dû y avoir entre Clodius et son père adoptif, le plébéien Fonteius, les rapports d’âge réclamés par l’usage et par la raison ; bien loin de là : le fils adoptif avait trente-quatre ans, le père adoptif en avait dix-huit à vingt[48]. Clodius avait été proclamé fils d’un plébéien dont il pouvait presque être le père ! On devine le parti qu’un orateur comme Cicéron a pu tirer
de cet ensemble d’irrégularités et de contradictions. Tout son plaidoyer sur
sa maison (de domo sua) a pour but de
démontrer la nullité de cette adoption ; car, à ses yeux, prouver la non
validité de cet acte, c’est prouver la non validité de tous les actes de son
ennemi. Si l’adoption de Clodius est nulle, sa qualité de plébéien est nulle
; si sa qualité de plébéien est nulle, tous ses actes comme tribun de la
plèbe sont nuls aussi, de sorte que la consécration de la maison de Cicéron
faite par Clodius lors de son tribunat (Clodius y avait fait bâtir un temple) est
nulle comme tout le reste. Ces propositions paraissent s’enchaîner
régulièrement ; si l’adoption de Clodius est frappée de nullité, comment ne
le seraient pas aussi tous les actes dont cette adoption était la condition
indispensable ? Cependant les déductions de Cicéron n’étaient pas admises par
tout le monde à Rome ; il le reconnaît lui-même : Je
vois que de très illustres personnages, les premiers de Quant aux irrégularités mêmes de cette adoption, elles sautent aux yeux ; la plus scandaleuse, et pour nous la plus plaisante, est le rapport absurde entre l’âge du père et du fils adoptifs. Une théorie très ingénieuse fait rentrer l’adoption de Clodius dans la catégorie des actes que les juristes appellent apparents, c’est-à-dire qui ne sont pas en harmonie avec l’intention véritable des parties[52]. Dans le cas de Clodius il ne s’agissait pas, et tout le collège pontifical le savait, d’une adoption au sens juridique du mot, dont le but et l’effet auraient été de donner un fils à Fonteius ; il s’agissait simplement de fournir à Clodius les moyens de passer à la plèbe ; aussi le collège des pontifes n’a-t-il pas reculé devant un mensonge juridique[53], qui ne changeait rien d’ailleurs à la théorie et à la pratique de la véritable adoption. Cette conception de l’acte apparent, appliquée à l’adoption de Clodius, peut renfermer une part de vérité ; car, s’il n’est pas permis de nier la complicité de César dans cette affaire, comment admettre la complicité volontaire des quatorze autres membres du collège pontifical ? Cependant je doute fort que l’immense majorité des Romains ait pensé autrement que Cicéron sur cette prétendue adoption. L’acquittement de Clodius avait déjà été une insulte a la conscience publique ; son adoption en était une autre encore, et d’autant plus éclatante, malgré tous les sophismes juridiques, qu’elle n’avait été possible que par la volonté de César, grand pontife et consul. — III —On savait dés le mois d’avril que Clodius était candidat au
tribunat pour 58 ; mais des bruits étranges circulaient sur cette candidature
: Clodius est le plus grand ennemi de César, il demande le tribunat pour
faire casser tous les actes de son consulat ; quant à César, il déclare qu’il
n’est pour rien dans l’adoption de Clodius[54]. Des difficultés
s’étaient élevées entre les deux alliés de la veille. Quand César avait fait
passer sa loi agraire sur Les triumvirs ont donné carte blanche à Clodius. Celui-ci
veut avant tout tirer une éclatante vengeance de son ennemi personnel,
Cicéron. Or, sa haine pour Cicéron sert très bien les ambitions secrètes de
César : Cicéron est le chef autorisé du parti conservateur ; le souvenir de
ses services, son éloquence peuvent le rendre redoutable. Cicéron ira en
exil. On se débarrassera aussi de Caton ; il n’a pas la même influence, mais
les hommes à principes peuvent gêner les ambitieux qui rêvent de monter à
l’assaut de Pour frapper les deux illustres victimes, abandonnées par
les triumvirs à ses coups, Clodius s’y prit très habilement, avec un esprit
politique qu’on ne trouve pas souvent chez les démagogues. Au lieu de les
attaquer directement, il feignit de les ignorer ; il se contenta de déposer
en décembre, quand César était encore consul, quatre projets de loi qui
devaient faire de leur auteur le novateur le plus hardi et le plus populaire
de Voulait-on conquérir la faveur de la populace du Forum, cette sangsue du trésor, toujours demandant et toujours
affamée ?[61] On déposait un
projet de loi agraire. Cependant Clodius n’en fit rien. Il savait qu’il y
avait une mesure encore plus populaire. Le véritable ami du peuple n’était
pas celui qui l’exilait loin de Rome sur quelques misérables arpents de terre
; c’était celui qui le gardait dans la capitale, qui le laissait prendre part
au trafic des élections, aux fêtes publiques, et qui entretenait son oisiveté
par des distributions de blé faites au nom de l’État. Clodius déposa donc une
loi sur les distributions de blé. En Ce premier projet fondait sur des bases inébranlables la popularité du nouveau tribun ; celui qui le suivit la porta jusqu’aux nues. Six ans auparavant, le sénat avait ordonné la dissolution de toutes les associations, de tous les collèges, comme on disait à Rome, à l’exception de quelques corps de métier[64]. Le projet de Clodius rendait l’existence légale à toutes les sociétés, en particulier aux collèges des carrefours, où les esclaves pouvaient se faire inscrire[65]. Avec cette loi l’émeute sera légalement organisée ; Clodius trouvera dans les collèges des bandes disciplinées, prêtes à toutes les violences. Un autre tribun se serait contenté de ces deux propositions leur auteur était assuré de voir toute la populace se lever au premier appel. Cependant Clodius pensa qu’il serait plus habile de désorganiser à l’avance les forces des cicéroniens, en déposant deux projets de lois qui auraient deux avantages immenses : recruter à sa propre cause des partisans jusque parmi les chevaliers et les sénateurs, saper à leur base les principes fondamentaux du droit public. Tel fut l’objet de deux nouvelles propositions ; l’une visait le dépôt même des projets de loi, l’autre les attributions des censeurs. La première faisait défense à tout magistrat d’observer le ciel aux jours où il était légal de convoquer le peuple ; elle autorisait en outre le dépôt des projets de loi à tous les jours, quels qu’ils fussent, que le calendrier romain qualifiait de fastes[66]. La seconde interdisait aux censeurs de faire aucune radiation dans les listes du sénat, si les intéressés n’avaient été auparavant accusés et condamnés par les deux censeurs[67]. En défendant d’observer le ciel, le projet de Clodius visait la célèbre loi Ælia et Fufia ; Cicéron a raison de l’appeler le rempart et le soutien de la paix publique[68], car elle frappait de nullité tout comice, du moment qu’un magistrat avait déclaré qu’il observait le ciel. L’arme avait été longtemps excellente contre les ambitieux et les révolutionnaires ; mais les conservateurs eux-mêmes avaient fini par l’émousser à force de s’en servir, Bibulus venait de l’employer contre César presque chaque jour de cette année. Clodius la brisait tout à fait : on ne pourra plus empêcher les volontés populaires par l’observation des signes célestes. Le projet de loi sur la censure n’avait pas un caractère moins subversif ; cependant plus d’un sénateur dut se féliciter d’une mesure qui enlevait aux censeurs une partie de leur pouvoir discrétionnaire et sans appel. Cicéron vit aussitôt que tout s’écroulait autour de lui :
le sénat sans défense, lui-même à la merci de Clodius, tel serait l’effet de
ces propositions désastreuses. Il ne lui restait qu’une ressource, les faire
frapper d’opposition par le veto d’un tribun. Clodius prévint cette attaque
par une véritable scène de comédie : il n’a pas de plus grand désir que de
renouer de bonnes relations avec Cicéron ; il n’a pas l’ombre de haine contre
lui ; Terentia, sa femme, est seule coupable de ce malentendu ; que Ninnius (le tribun gagné à Cicéron)
laisse passer les propositions de loi, et Cicéron n’aura rien à craindre.
Cicéron, le croirait-on ? fut pris à ce piège, il pria Ninnius de ne rien
faire[69]. Alors les
quatre projets de Clodius furent votés sans difficulté et reçurent force de
loi le Clodius prit une dernière précaution : il acheta la
complicité des consuls Gabinius et Pison, d’ailleurs gagnés à l’avance, par
une loi sur l’attribution des provinces consulaires, qui était une nouvelle
violation d’un principe de la constitution. Une loi célèbre de C. Gracchus
avait décidé que le partage des provinces serait fait par le sénat avant
l’élection des consuls à qui elles seraient attribuées ; la loi Clodia
distribuait des provinces aux deux consuls en exercice, en attribuant à Pison
Au mois de février, Rome vit paraître une nouvelle
proposition de loi de ce tribun infatigable : Quiconque
aura fait mettre à mort sans jugement un citoyen romain sera frappé de
l’interdiction de l’eau et du feu[72]. Qui visait
cette proposition inattendue, si elle ne visait pas Cicéron, qui, cinq ans
auparavant, avait fait mettre à mort sans procès les complices de Catilina ?
Mais Cicéron était couvert par un sénatus-consulte. Le sénatus-consulte était
faux, répondra Clodius[73] ;
d’ailleurs, vrai ou faux, il n’y a pas eu procédure régulière. Le triomphe du
tribun fut plus grand qu’il n’avait osé l’espérer. Dés que sa proposition fut
affichée, Cicéron quitta ses ornements de sénateur pour l’habit de chevalier
et parcourait les rues en suppliant ; il avouait donc que la loi de Clodius
était faite contre lui. Le malheureux fut abreuvé d’humiliation ; les bandes
de Clodius le poursuivaient dans la rue de leurs injures, lui jetaient de la
boue et des pierres[74]. En même temps,
les consuls faisaient défense au sénat de prendre des habits de deuil[75], aux chevaliers
d’envoyer des députations[76], et les clodiens
se chargeaient de disperser par la force les sénateurs et les chevaliers
récalcitrants[77].
Enfin, Clodius fait voir que son projet a l’approbation des personnages les
plus considérables ; dans une assemblée tenue au cirque Flaminius, il fait
déclarer, plus ou moins expressément, par les deux consuls, par César, que le
supplice de Lentulus et des autres conjurés a été illégal[78]. Cicéron peut-il
compter sur Crassus ? Mais il ne cache pas ses sympathies pour Clodius. Sur
Pompée ? Mais il refuse de le recevoir. Il n’a plus qu’à prendre le chemin de
l’exil. Hortensius et Caton le lui conseillent comme un acte de patriotisme[79]. Il quitte Rome
au milieu de mars. Aussitôt la loi de Clodius est votée ; mais le tribun veut
davantage. Il veut qu’une loi spéciale et personnelle ordonne la confiscation
des biens de Cicéron, lui interdise le séjour à moins de quatre cents milles
de Rome et défende de proposer son rappel[80]. Il prit soin de
respecter les formalités légales pour que la loi contre l’homme qu’il
détestait le plus ne pût être annulée pour vice de forme[81] ; mais cette loi
odieuse, dirigée contre un individu isolé, n’avait pas moins été, comme le
dit Cicéron, prescrite par des esclaves, gravée
par la violence, imposée par le brigandage, quand le sénat était anéanti, les
gens de bien chassés du Forum, Vis-à-vis de Caton on ne pouvait invoquer ni forger un texte de loi ; mais il était permis d’imaginer quelque mission lointaine, de la lui offrir, au besoin de la lui imposer. Or, Clodius se rappelait un roi de Chypre, Ptolémée, qui avait jadis offert pour le racheter des pirates l’aumône misérable et insuffisante de deux talents[83] ; ce Ptolémée est très riche, ses richesses rempliront à merveille le trésor public en partie vidé par les frais des distributions de blé. Clodius songe encore à faire rentrer dans leur patrie des Byzantins exilés, avec lesquels il est en relations d’argent[84]. En conséquence, un nouveau projet de loi donnait à Caton deux missions, l’une en Chypre pour détrôner Ptolémée, l’autre à Byzance, pour y faire rentrer les exilés[85]. Rien n’était plus facile que de le faire voter ; mais comment faire accepter de Caton, homme rigide et tout d’une pièce, une mission qui était en partie un acte de brigandage ? Clodius y réussit cependant. Le sourire aux lèvres, il va rendre visite à Caton : pour ce citoyen, unique par l’austérité de ses mœurs, unique par son dévouement à l’État, il ne trouve pas de termes dignes de son admiration et de son respect ; heureusement, grâce à son titre de tribun, il peut lui donner une preuve efficace de ses sentiments, il a songé à le charger des affaires de Chypre ; il n’y a pas de mission plus honorable, que de gens ont intrigué pour l’avoir ! Mais lui n’a pas hésité, il la réserve au plus digne, à Caton. Caton s’attendait à tout d’un Clodius ; il trouva pourtant que c’était pousser trop loin l’impudence. Il ne s’agit pas d’une faveur, dit-il, mais d’une machination perverse ; il ne consentira pas à se laisser exiler à Chypre sous le prétexte d’une mission. » Soit, réplique Clodius, tu n’es pas de cet avis ; eh bien ! sache qu’on t’embarquera pour Chypre et pour Byzance, malgré toi. Quand la loi fut votée, les idées de Caton se modifièrent ; qu’il refuse d’obéir : voilà la guerre civile déchaînée à Rome, Clodius trouvera quelques coquins de son espèce pour les affaires de Chypre. Il valait mieux faire ce sacrifice aux intérêts de l’État[86] et se résigner par patriotisme à paraître le complice et l’envoyé de Clodius. Il partit donc pour Chypre et Byzance peu après le départ de Cicéron. Le triomphe de Clodius était complet. Jusqu’ici, l’auteur de tant de lois s’était conduit comme l’agent des triumvirs. Il s’en vantait ouvertement : Pompée, Crassus, César étaient ses inspirateurs ; César lui avait écrit une lettre pour le féliciter d’avoir éloigné Caton, avec cet en-tête éloquent par sa simplicité familière : César à Pulcher[87]. Mais Clodius pouvait-il se résigner à n’être que l’agent d’autrui ? L’homme qui, en quatre mois à peine, a su donner le blé au peuple pour rien, rétablir les sociétés secrètes, faire tomber les barrières religieuses, amoindrir la censure, exiler Cicéron, éloigner Caton, qui, dans Rome, tient la place du sénat et de tous les magistrats, cet homme n’aurait pas l’ambition bien naturelle de travailler pour lui-même ? Tout l’invite à exploiter sa propre puissance à son profit. César est parti pour les Gaules à la fin de mars en lui laissant le champ libre ; Crassus est un personnage sans valeur dans le triumvirat ; Pompée est un général vaniteux et indécis, qui n’est pas de force à se mesurer avec lui et avec ses bandes. Les bandes de Clodius sont restées célèbres. Je ne crois pas que personne, à aucune époque, ait fait preuve d’un talent égal au sien pour enrôler, pour dresser des émeutiers, des pillards, des incendiaires, des assassins ; il résolut ce problème où d’autres démagogues ont échoué, il disciplina l’anarchie. Cicéron parle quelque part de l’armée clodienne[88], le mot n’est pas une exagération d’orateur : c’était bien une armée avec ses décuries, ses centuries, ses officiers, son général. Ce qu’il y avait de plus étonnant et de plus triste, c’est que Clodius pouvait, grâce à sa loi sur les collèges, donner à la formation de ses bandes l’apparence de la légalité. Sous le prétexte de recenser les membres des collèges pour le rétablissement des sociétés secrètes, il procédait à un véritable enrôlement de la populace. Assis au tribunal d’Aurelius, sur le Forum, il recevait les noms des petites gens quartier par quartier ; il dressait avec ces listes des corps de dix hommes, des décuries ou des manipules : c’était comme son unité de bande ; dix décuries formaient une centurie ou une cohorte[89]. Dans ces cadres il versait des esclaves, des affranchis, des gladiateurs, des hommes libres, anciens soldats de Catilina, et jusqu’à de grossiers paysans qu’on était allé chercher dans les solitudes des Apennins[90]. L’état-major répondait à la qualité des troupes ; le principal chef était un affreux coquin, du même nom que le tribun, Sex. Clodius, qui terrorisa Rome pendant six ans. Cette armée avait son arsenal dans le temple de Castor au Forum ; les clodiens l’avaient isolé de la rue en supprimant les escaliers ; tant que dura le tribunat, il fut comme la citadelle du plus épouvantable brigandage[91]. Clodius avait tout, soldats, officiers, forteresse. Les bandes commencèrent à donner dés le mois de mars contre la maison et les villas de Cicéron, qui furent pillées, incendiées, démolies[92] ; on les vit encore, lors d’un procès intenté à Vatinius, le tribun césarien de l’année précédente, se jeter sur le tribunal, disperser les juges, culbuter les sièges, briser les urnes[93]. Clodius sait à présent ce qu’il pourra faire au moment voulu ; il ne tarde pas davantage à attaquer Pompée. Il imagine de faire évader Tigrane, fils du roi d’Arménie, que le vainqueur de Mithridate avait ramené à Rome comme otage et confié à la garde d’un de ses amis, le sénateur Flavius. Ceci encore est une scène de comédie comme on en trouve plusieurs dans cette vie d’anarchiste. Flavius était à dîner chez Clodius ; celui-ci le prie de faire venir un moment le jeune Arménien ; il tient à voir un prince que Pompée a vaincu. Flavius y consent, envoie chercher Tigrane, et Clodius lui donne place à table. Le repas se passe à merveille ; mais à la fin Clodius refuse, sous je ne sais quel prétexte, de rendre son hôte. Colère de Flavius, qui court prévenir Pompée ; Pompée fait redemander Tigrane à Clodius, mais Tigrane avait disparu. On sut qu’il s’était empressé de quitter Rome, de gagner la mer, de s’embarquer, et que le mauvais temps ou la perfidie des matelots complices de Clodius l’avait arrêté à Antium. Sex. Clodius avait été dépêché par Clodius pour lui ramener le prince. En revenant avec sa bande, il rencontra à quatre milles de Rome, sur la voie Appienne, Flavius et les siens qui venaient lui disputer sa proie. Une bataille s’engage, les clodiens sont vainqueurs, Flavius s’échappe à grand’peine après avoir laissé nombre des siens sur le lieu du combat[94]. Cette aventure plaisante, qui dut mettre les rieurs du
côté du tribun, fut bientôt suivie d’attaques plus directes. Clodius fait
annuler quelques-uns des actes de Pompée en Asie ; ainsi il donne par une loi
à un Asiatique, Brogitarus, le titre de roi et la garde du sanctuaire de Pompée était hors de combat. Pourquoi Clodius n’attaquerait-il pas à présent Jules César ? Son attitude pendant les derniers mois de son tribunat fut la plus étonnante de ses nombreuses métamorphoses. Lui, qui avait fait une loi pour défendre d’observer les signes célestes, on le vit tout d’un coup devenir l’ami de Bibulus, qui avait passé son consulat à les observer. Il le fait comparaître dans l’assemblée du peuple, il lui fait déclarer que les lois de César ont les auspices contre elles, et il conclut qu’un sénatus-consulte doit les casser. Que le sénat abolisse ces lois, et lui, Clodius, il promet, à ce prix, de rapporter à Rome sur ses épaules Cicéron lui-même[97] ! Le sénat se garda bien de donner les mains à cette incroyable palinodie, il dut s’amuser beaucoup de voir quel singulier auxiliaire César s’était donné ; mais il ne voulut pas faire lui-même le jeu de Clodius ni lui laisser la gloire de rappeler le grand consulaire. Ce fut le dernier épisode de ce tribunat si bien rempli.
Quand Clodius quitta ses fonctions, le — IV —Clodius était redevenu simple citoyen, il ne pouvait exercer une nouvelle magistrature, l’édilité, que dans un an ; niais ni lui ni ses bandes n’avaient rien perdu de leur puissance. On le vit bien au mois de janvier quand le tribun Fabricius voulut soumettre au peuple un projet de loi pour le rappel de Cicéron. Le Forum, occupé dés la nuit par les clodiens, ressemblait à une place d’armes. Dés que Fabricius commence la lecture de sa proposition, un tapage infernal éclate dans tous les coins ; les clodiens s’élancent, se jettent sur Fabricius et ses partisans, blessent et tuent au hasard. Clodius vole de droite et de gauche pour enflammer les siens. A ce moment, Quintus, le frère de Cicéron, arrive pour implorer le peuple en faveur de l’exilé ; il est entouré, insulté, frappé, foulé aux pieds, laissé pour mort[98]. Le surlendemain, autres scènes d’anarchie ; la fureur des bandes se porte sur le tribun Sestius, qui, au crime d’être allé trouver César pour Cicéron[99], joignait celui d’avoir interdit la parole au consul Metellus, cousin de Clodius et ennemi en ce moment de l’exilé ; Sestius put se sauver, mais non sans de graves blessures[100]. Rome est le théâtre de batailles continuelles. Le sénat s’était décidé à son tour à dresser des bandes, à opposer esclaves à esclaves, gladiateurs à gladiateurs. Le Clodius des bandes sénatoriales fut le célèbre Milon, dont l’éloquence intéressée de Cicéron a fait un héros et une victime, mais qui ne le cédait guère à son ennemi en audace et en violence. A un moment, les miloniens furent maîtres des rues et par suite des suffrages ; ils en profitèrent pour faire passer, au commencement d’août, la loi sur le rappel de Cicéron[101]. Clodius assista, la rage dans le cœur, à l’entrée triomphale de son ennemi ; mais son esprit lui offrait mille ressources pour perpétuer l’anarchie. Son premier prétexte fut une famine qui sévissait sur Rome depuis quelques semaines et qui s’accrut au retour de Cicéron. On n’en pouvait douter, c’était une manœuvre du parti sénatorial ; Cicéron et ses pareils voulaient affamer le peuple, supprimer la gratuité des distributions. Des bandes de gamins parcouraient les rues la nuit en criant mille injures contre Cicéron, ou bien encore les clodiens attaquaient en plein jour les consuls à coups de pierre[102]. Cependant les aristocrates restèrent unis ; le sénat, sur la proposition de Cicéron, confia pour cinq ans à Pompée le service des subsistances avec des pouvoirs extraordinaires[103]. Vint ensuite la question de la maison de Cicéron. Celui-ci
réclamait l’usage de sa maison, sur l’emplacement de laquelle Clodius avait
fait élever un temple de Les batailles de ce genre ne cessaient plus ; Clodius avait posé dés le mois de juillet sa candidature à la place d’édile curule[106], et Milon voulait empêcher à tout prix la tenue des comices électoraux. Clodius, résolu à en finir, vint attaquer Milon chez lui ; ce fut un siège en règle. Toute l’armée de Clodius était là, les uns l’épée à la main, les autres avec des torches ; Clodius avait établi son quartier général dans une maison voisine ; mais les assiégés font à l’improviste une sortie vigoureuse, culbutent les clodiens, poursuivent Clodius, qui se tapit dans une cachette[107]. Souvent les sénateurs craignent pour eux-mêmes jusque dans le sénat : un jour, les clodiens, massés dans le Forum et sur les escaliers de la curie, poussèrent de tels hurlements contre Milon que le sénat s’empressa de lever la séance sans passer au vote[108]. On était arrivé en décembre et Milon empêchait toujours la
tenue des comices. Heureusement pour Clodius, il y avait quelques membres du
parti sénatorial qui jadis avaient coupé les
ailes à Cicéron et qui n’étaient pas d’humeur à présent à les laisser
repousser[109]. Crassus en
était ; il pensait que l’édilité de Clodius pourrait servir ses projets
personnels sur le rétablissement à Alexandrie du roi Ptolémée Aulètes. Aussi,
d’accord avec d’autres aristocrates, il fit fixer les comices au Il y avait bien loin d’un édile à un tribun. L’édile était simplement un fonctionnaire de police ; il devait veiller aux approvisionnements, à la célébration des jeux publics, à l’entretien et à la police générale de la ville. Cependant, entre les mains de Clodius, l’édilité devint une arme presque aussi terrible que le tribunat. Dés son entrée en fonctions, il intente un procès à Milon sur le chef des violences commises par lui l’année précédente pour faire passer la loi du rappel de Cicéron[111]. Le motif du procès était plaisant de la part de l’accusateur, lequel n’ignorait pas d’ailleurs que le procès aboutirait, selon toute vraisemblance, à un acquittement, car l’accusé avait pour lui tout le parti aristocratique, Pompée et Cicéron en tête ; mais un procès de ce genre devait être fécond en incidents, et, pour les bandes de Clodius, il y avait encore de belles journées à attendre. Au lieu de se conformer à l’usage et de traduire Milon devant un jury spécial convoqué à titre extraordinaire, Clodius imagina de recourir à la forme surannée de l’assignation devant le peuple et de l’enquête contradictoire. La cause se débattait alors devant les comices en trois séances non consécutives ; dans une quatrième, à un mois environ d’intervalle, le peuple rendait la sentence. On devine si une pareille procédure, avec une publicité si éclatante, avec des retards si longs, était favorable à des scènes scandaleuses. Voici comment Cicéron rendait compte à son frère de la seconde convocation : Le 6 février, Milon a comparu. Pompée a parlé ou plutôt a eu l’intention de parler. A peine s’était-il levé que la bande de Clodius se mit à pousser des clameurs, et, durant tout son discours, les cris, les injures, les gros mots ne cessèrent pas. Il alla cependant jusqu’au bout — car, il faut le dire à sa louange, il a su les regarder en face, il a dit tout ce qu’il avait à dire et, dans les instants de silence, sa voix s’élevait avec autorité —. Après donc qu’il eut conclu, Clodius se lève, mais alors les nôtres, par représailles, font un tel vacarme qu’il en perd les idées, la parole, la couleur. Cette scène a duré de la sixième heure, où Pompée a fini de parler, jusqu’à la huitième, et cela au milieu de toutes les injures possibles, de couplets ignobles sur Clodius et Clodia. Hors de lui et tout pâle, Clodius lançait des apostrophes aux siens au milieu du vacarme : Qui est-ce qui fait mourir le peuple de faim ? Et ses bandes de répondre : C’est Pompée. — Qui est-ce qui veut aller à Alexandrie ? — C’est Pompée. — Qui voulez-vous y envoyer ? — C’est Crassus. Crassus était là, disposé peu favorablement pour Milon. A la neuvième heure, comme à un signal donné, voilà les clodiens qui se mettent à cracher sur les nôtres. Notre fureur éclate. Ils s’avancent pour nous expulser, mais les nôtres s’élancent, les clodiens tournent le dos, Clodius est précipité de la tribune. Moi aussi je m’esquive, de crainte de quelque chose dans la bagarre[112]. Cette année vit plusieurs causes célèbres, qui étaient
surtout des procès politiques : ce procès de Milon, qui semble avoir été
abandonné par Clodius ; le procès de Sestius, tribun sortant, que Clodius
avait fait accuser de brigue et de violence, et dont Cicéron assura
l’acquittement unanime par un de ses plus beaux plaidoyers politiques ; le
procès de Sex. Clodius, l’âme damnée du démagogue, que l’influence de Clodia
parvint à faire acquitter[113] ; le procès de
Cælius, un des amants de Clodia, dans lequel Cicéron s’en est donné à cœur
joie sur le compte de Clodius n’avait pas tardé à se convaincre que ses bandes n’étaient qu’une partie de sa puissance. Ce qui avait fait sa force au début de son tribunat, c’était son union avec les triumvirs ; le jour où, trompé sur ses propres forces, il avait brusquement déchiré le pacte, il avait pu mettre l’anarchie à l’ordre du jour ; mais quel avantage réel en avait-il retiré ? Aussi le vit-on bientôt dessiner une nouvelle évolution vers ses anciens alliés ; dans un discours, il couvrit d’éloges le nom de Pompée, son illustre ami, le seul général de la République[116]. La paix fut bientôt conclue ; la condition était le concours de Clodius et de ses bandes pour assurer le succès de Pompée et de Crassus à la prochaine élection consulaire. Les triumvirs n’avaient pas appelé Clodius à Lucques ; ils ne pouvaient lui faire des avances après tous les affronts qu’il leur avait prodigués ; mais, dès qu’il fit mine de revenir à eux, ils l’accueillirent à bras ouverts : on disait que César, qui, depuis quelque temps, semblait l’avoir oublié, lui avait écrit au sujet des démêlés qu’il avait alors avec Caton pour le règlement des affaires de Chypre[117]. Clodius mena la campagne consulaire avec sa science consommée ; ce furent les mêmes scènes, plus violentes peut-être encore à cause de la complicité des triumvirs. Le résultat fut celui qu’on avait attendu de Clodius : Pompée et Crassus reçurent ou plutôt enlevèrent le consulat pour l’année 55. Cette édilité si agitée fut suivie d’un petit moment d’accalmie. Clodius a dû s’absenter quelques mois pour une mission en Asie ou à Byzance, qui était le prix des services rendus aux nouveaux consuls : l’affaire, dit Cicéron, était pleine d’écus[118]. A son retour en 54, il songea à préparer sa candidature à la préture pour l’année suivante. Que s’est-il passé alors dans cet esprit si mobile ? On le voit s’associer à Cicéron pour défendre avec lui M. Æmilius Scaurus, accusé de concussion[119] ; une fois encore, il est brouillé avec Pompée, et César refuse de répondre à ses lettres[120]. Cependant, il ne se présente plus à la préture ; les élections n’ont pu se faire à la date régulière, il serait préteur six mois à peine, il se réserve pour 52[121]. Alors il recommence ses manœuvres, il répète que César appuie sa candidature, il cherche à rentrer en grâce auprès de Pompée[122] ; en même temps il enrôle des recrues nouvelles[123], il publie à l’avance les projets de lois qu’il déposera. L’un d’eux devait lui assurer une popularité sans égale dans les bas-fonds de la populace : Clodius parlait d’ouvrir aux affranchis les tribus rustiques[124]. Il faut savoir que les affranchis étaient inscrits dans les tribus de Rome, comme les citoyens romains, mais relégués exclusivement dans les quatre tribus dites urbaines ; comme les votes des assemblées des tribus se comptaient non par tête, mais par tribu, il en résultait que les affranchis, malgré leur importance numérique, étaient une quantité négligeable. Qu’un novateur vînt à leur ouvrir les tribus rustiques, leur nombre, leur audace, leur esprit d’intrigue leur permettaient d’espérer faire la loi aux propriétaires fonciers jusqu’alors en majorité dans ces tribus. Des démocrates avaient déjà fait des tentatives dans ce sens ; tout récemment encore, en 58, le tribun Manlius, collègue de Clodius, avait proposé une loi sur le suffrage des affranchis, que le sénat avait fait écarter[125] ; mais, avec Clodius, qu’ils voient à l’œuvre depuis une douzaine d’années, les affranchis peuvent-ils douter un instant du succès de la mesure qui comblera leurs espérances politiques ? Tandis que Clodius remuait ciel et terre pour arriver à la préture, les ambitions n’étaient pas moins ardentes autour du consulat. Milon étant l’un des candidats à la magistrature suprême, Clodius avait à assurer et son succès et l’insuccès de Milon ; il portait sur ses épaules, disait-il, tout le poids des comices[126]. Jamais il ne s’était trouvé à pareille fête : chaque jour amenait son émeute. Une fois, il tombe avec sa bande sur Cicéron et manque de le tuer[127] ; une autre fois, il est poursuivi par son ancien ami Marc-Antoine, le futur triumvir, et il court se barricader dans l’escalier d’une boutique de libraire[128] ; ses bandes dispersent les comices consulaires à coups de pierre[129]. En janvier 52, on n’avait encore pu élire ni les préteurs ni les consuls. Quand l’anarchie était déchaînée avec cette violence, comment s’étonner du combat de la voie Appienne, dont le génie d’un grand orateur a immortalisé le souvenir ? Le 20 janvier, Milon quittait Rome par la voie Appienne pour se rendre à Lanuvium, petite ville des environs, dont il était dictateur et où cette fonction l’appelait ; il était dans une voiture de voyage avec sa femme et un ami ; derrière lui venait toute une troupe d’esclaves et de gladiateurs. Auprès du village de Bovilles, vers la neuvième heure du jour, il rencontre Clodius à cheval qui rentrait d’Aricie à Rome avec une trentaine d’esclaves bien armés. Les deux ennemis passent sans rien se dire. Quelques gladiateurs de Milon, qui formaient comme son arrière-garde, insultent et attaquent des esclaves de Clodius ; en un clin d’œil la mêlée est générale. Clodius reçoit à l’épaule un coup de lance qui le jette à terre ; on le porte dans une cabane. Milon accourt, le fait tirer de son abri et le laisse cribler de blessures ; quand Clodius est tué et les siens dispersés, il se remet en route pour Lanuvium. Un peu plus tard, un sénateur qui rentrait à Rogue fit ramasser le cadavre et le ramena dans la ville à la tombée de la nuit. Le lit funèbre du grand démagogue est dressé dans l’atrium de sa maison, au milieu des cris de sa femme Fulvie, en présence d’une foule d’esclaves et de petites gens. Toute la nuit, le Forum est occupé par la populace. Le lendemain, à la première heure, des tribuns font porter le corps au Forum pour l’exposer devant les Rostres ; mais le peuple, excité par Sex. Clodius, l’installe dans la curie Hostilia. En quelques minutes, un bûcher est improvisé avec le mobilier et les archives du sénat. Le feu ne consume pas seulement le cadavre, il consume encore la curie, la basilique Porcia et plusieurs maisons. Neuf jours plus tard, quand le peuple célébrait au Forum le repas funèbre, les ruines de ce terrible incendie fumaient encore[130]. Ces funérailles révolutionnaires, célébrées par la
populace entière, couronnaient, comme il le fallait, l’existence de Clodius.
Il était juste que le démagogue, qui avait passé sa vie à monter à l’assaut
de — V —Il n’est pas d’infamie que Cicéron n’ait imputée à
Clodius. La part faite à l’exagération d’un ennemi et d’un orateur, il
restera bien difficile de réhabiliter la mémoire du frère de Clodia.
Contentons-nous de répéter sur cette question de moralité le mot de Sénèque :
On aura toujours des Clodius, on aura rarement
des Catons[131] ; ajoutons
cependant que, si les Catons n’ont jamais été bien nombreux a aucune époque,
les Clodius semblaient faits à merveille pour la période de corruption
profonde qui a marqué la transition de Peut-on dire du rôle de Clodius qu’il ait été médité et voulu ? Peut-on lui appliquer le mot d’un grand historien sur un grand politique, qu’il a eu l’intention des choses qu’il a faites ? Je ne le pense pas. Vouloir indiquer dans ses actes un plan mûrement préparé, méthodiquement exécuté, ce serait aller contre la nature même de ce Protée de l’anarchie. Il y a des gens qui naissent conservateurs ; lui, il est venu au monde avec un tempérament révolutionnaire. Il y a toujours eu dans les fantaisies de ce brouillon incorrigible quelque chose de l’humeur de l’enfant gâté qui s’amuse à briser les plus beaux jouets pour le simple plaisir de les voir en pièces. Rappelons-nous ses folles équipées dans l’armée de Lucullus et a Antioche ; à vingt-six ans à peine, il provoque, sans l’ombre de raison, une sédition militaire et une émeute civile. Jeté dans la politique par une aventure galante, un adultère doublé d’un sacrilège, traduit en justice et acquitté par un verdict scandaleux, ce grand seigneur se fait plébéien, tribun du peuple, démagogue, multiplie les lois révolutionnaires, déchaîne pendant six ans la guerre dans les rues. A cette passion innée pour l’émeute et l’anarchie, ajoutez un manque de suite incroyable dans les idées. Un jour, César n’a pas de plus chaud soutien ; le lendemain, de plus terrible adversaire. Dans ses rapports avec Pompée, il est impossible de dire combien de fois il a changé d’attitude. Pour une seule chose, sa haine contre Cicéron, cet anarchiste, plein de contradictions, n’a pas varié avec lui-même ; encore, pour lui faire honneur d’une idée fixe, ne faut-il pas prendre au sérieux le projet dont il parla un instant de rappeler d’exil Cicéron, ni se rappeler son rôle dans l’affaire de Scaurus. Clodius nous apparaît donc comme un esprit mal équilibré, comme un détraqué de la politique, qui improvise sa conduite au jour le jour, sans autre idée que de perpétuer l’anarchie et qui en cela cède à une passion irrésistible pour le bruit et le désordre. Qu’est-il resté des nombreuses lois de 58 ? Laissons de côté les lois relatives à Cicéron, à Caton, à Brogitarus, qui n’avaient qu’un caractère privé ; prenons ses lois politiques. Toutes, moins une, ont sombré avec lui. L’observation des signes célestes a continué d’être une arme invincible entre les mains de Milon et de bien d’autres. La loi sur la censure a été abrogée l’année même de sa mort et la censure rétablie avec toutes ses attributions, comme avant 58[132]. Les collèges devaient être dissous par Jules César[133]. Seule, la loi sur la gratuité des distributions de blé a échappé au naufrage de la législation clodienne, car elle était au nombre de ces mesures politiques sur lesquelles les partis adverses eux-mêmes ne peuvent revenir ; mais la mesure était-elle bien nouvelle ? Est-ce que depuis la loi frumentaire de C. Gracchus la gratuité des distributions n’apparaissait pas comme une nécessité, déplorable sans doute, mais inévitable ? L’importance du rôle politique de Clodius n’est donc pas dans ce qu’il a fait, puisque à peu prés rien de son œuvre n’a survécu ; elle est dans ce que son esprit d’anarchie a rendu possible. Clodius a travaillé pour un autre ; cet autre, dont il a été l’agent, parfois volontaire, le plus souvent inconscient, c’est Jules César. Sans rechercher ici comment César avait fait passer Clodius dans les rangs de la plèbe
; il l’avait fait nommer tribun ; et, une fois tribun, il lui avait lâché la
bride. Au milieu de ses plus grandes violences, il avait paru l’approuver
quelquefois ; jamais il ne l’avait ouvertement désavoué. Il aurait pu
intervenir, il s’était abstenu. Il sentait bien que cet anarchiste, sur
lequel il avait jeté les yeux dés le procès de G. LACOUR-GAYET. |
[1] Juvénal, Satires, VI, 339 sq.
[2] Cicéron, in P. Clod. et C. Curion., 5, 1-3 ; de harusp. resp., 21, 44.
[3] Voyez Lud. Schwab, Quæstionum Catullianarum liber I (Gissæ, 1862, in-12), P. 94.
[4] Plutarque raconte en détail cette aventure : Cicéron, 28 ; César, 9-10.
[5] Ce serait une erreur de croire que Clodius s’appelait Claudius avant de devenir plébéien ; car la transitio ad plebem n’altérait pas les noms des nouveaux plébéiens. La forme Clodius vient d’une confusion fréquente à Rome entre la diphtongue au et la voyelle o ; Drumann, Gesch. Roms, II, p. 200, en donne plusieurs exemples. Pour notre tribun, il est à remarquer que, s’il s’est appelé Clodius comme ses sœurs Clodia, le nom de son frère aîné Appius a conservé la forme ordinaire du gentilicium, Claudius.
[6] Voyez la discussion de Schwab, op. laud., p. 57 et suiv., et notre étude, De P. Clodio Pulchro tribuno plebis (Paris, 1888, in-8°), p. 3.
[7] L’identification de Lesbie avec Clodia major a été établie d’une manière incontestable par Schwab, op. laud., § IV-V, De amoribus Catulli.
[8] Catulle, carmen 58.
[9] Catulle, carmen 42 ; carmen 11.
[10] Sur cette sédition, voyez Plutarque, Lucullus, 34-35 ; Dion Cassius, XXXV, 14-16 ; cf. Salluste, Histor. fragm., éd. Kritz (Lipsiæ, 1853), p. 383 ; n. 51.
[11] Dion Cassius, XXXV, 17 ; XXXVIII, 15.
[12] Plutarque, Lucullus, 1, 3 ; cf. Cicéron, pro M. Cælio, 30, 73.
[13] Cicéron, Ep. ad Atticum, I, 2, 1 : ... Catilinam... defendere cogitamus..., etc. Voyez la discussion d’Asconius sur ce procès, in orat. in toga cand., p. 85-87.
[14] Cicéron, Ep. ad Atticum, I, 1, 1.
[15] Cicéron, Ep, ad Atticum, I, 2, 1 ; de harusp. resp., 20, 42 ; Asconius, in orat. in toga cand., p. 87.
[16] Cicéron, de harusp. resp., 20, 42.
[17] Cicéron, pro T. Milone, 21, 55 ; Asconius, in Milonian., p. 50.
[18] Plutarque, Cicéron, 29, 1.
[19] Asconius, in Milon., p. 52.
[20] Cicéron, Ep. ad Atticum, I, 13, 3 ; Plutarque, Cicéron, 28 ; César, 10, 4, etc.
[21] Sur cette mise en accusation, voyez Cicéron, Ep. ad Atticum, I, 13, 3 ; 14 ; 16 (passim).
[22] Cicéron, Ep. ad Atticum, I, 16, 3.
[23] Cicéron, Ep. ad Atticum, I, 16, 5 ; Valère Maxime, IX, 1, 7.
[24] Sénèque, Ep. ad Luciliam, 97.
[25] Cicéron, de domo, 30, 80 ; pro Milone, 17, 46 ; Asconius, in Milonian., p. 49.
[26] Plutarque, Cicéron, 29 ; César, 10, 11 ; Dion Cassius, XXXVII, 45.
[27] Scholiasta Bobiensis, p. 338.
[28] Cicéron, Ep. ad Atticum, I, 16, 2.
[29] Plutarque, Cicéron, 29, 1. Cf. Cicéron, Ep. ad Atticum, I, 16, 10 : Narra patrono tuo, qui Arpinatis aquas concupivit.
[30] Cicéron, Ep. ad Atticum, I, 16, 2.
[31] Valère Maxime, VIII, 5, 5 ; Scholiasta Bobiensis, p. 330.
[32] Cicéron, in P. Clodium et C. Curionem, 7, 1 ; Ep. ad Atticum, I, 16, 5.
[33] Cicéron, Ep. ad Atticum, I, 16, 5 ; Plutarque, Cicéron, 29, 3 ; cf. Schol. Bob., p. 338.
[34] Cicéron, in P. Clodium et C. Curionem, 1, 5.
[35] Sénèque, Ep. ad Lucilium, 97.
[36] Cicéron, Ep. ad Atticum, I, 16, 6.
[37] Cicéron, Ep. ad Atticum, I, 13, 3.
[38] Cicéron, Ep. ad Atticum, I, 16, 10.
[39] Cicéron, in P. Clodium et C. Curionem, 3, 2-3 ; cf. Schol. Bob., p. 333.
[40] Cicéron, Ep. ad Atticum, I, 18, 4-5 ; 19, 5.
[41] Dion Cassius, XXXVII, 51.
[42] Dion Cassius, XXXVII, 51.
[43] Dion Cassius, XXXVII, 51.Cicéron, Ep. ad Atticum, II, 1, 5.
[44] Cicéron, Ep. ad Atticum, II, 1, 4-5 ; de harusp. resp., 21, 45.
[45] D’après Cicéron, Ep. ad Atticum, II, 1, 6.
[46] Cicéron, de domo, 16, 41.
[47] Cicéron, de domo, 15, 39-40.
[48] Cicéron, de domo, 13, 34.
[49] Cicéron, de domo, 16, 42.
[50] Plutarque, Cicéron, 34.
[51] Varron, de lingua Latina, VI, 30 : Magistratus vitio creatus, nihilo secius magistratus.
[52]
Voyez Von Jhering, L’Esprit du droit
romain, trad. franç.,
[53] Von Jhering, eod. loco, p. 272.
[54] Cicéron, Ep. ad Atticum, II, 12, 2.
[55] Cicéron, Ep. ad Atticum, II, 7, 3.
[56] Cicéron, Ep. ad Atticum, II, 7, 3.
[57] Cicéron, Ep. ad Atticum, II, 18, 3 ; 19, 5 ; 22, 2 ; 24, 5.
[58]
Cicéron, Ep. ad Atticum, II, 19, 4-5
; IX,
[59] Cicéron, Ep. ad Atticum, II, 22, 1.
[60] Dion Cassius, XXXVIII, 12.
[61] Cicéron, Ep. ad Atticum, I, 16, 11.
[62] Asconius, in Pisonian., p. 9 ; Scholiasta Bobiensis, p. 301 ; Dion Cassius, XXXVIII, 13.
[63] Cicéron, pro P. Sestio, 25, 55 ; Schol. Bob., p. 301.
[64] Asconius, in Pisonian., p. 7 ; in Cornelian., p. 75.
[65] Cicéron, pro P. Sestio, 25, 55 ; in Pisonem, 4, 9 ; Asconius, p. 8-9 ; Dion Cassius, XXXVIII, 13.
[66] Cicéron, de prov. cons., 19, 46 : pro P. Sestio, 15, 33 ; Asconius, in Pisopian., p. 9 ; Dion Cassius, XXXVIII, 13. Cf. Lange, Hist. intér. de Rome (trad. franç.), II, p. 328.
[67] Asconius, in Pisonian., p. 5 ; Schol. Bob., p. 300.
[68] Cicéron, in Pisonem, 4, 9.
[69] Dion Cassius, XXXVIII, 14 ; cf. Plutarque, Cicéron, 30, 3.
[70] Cicéron, in Pisonem, 4, 9.
[71] Cicéron, de domo, 9, 23-24 ; 2t, 55 ; 23, 60 ; in Pisonem, 16, 37 ; pro P. Sestio, 10, 24 ; 25, 55.
[72] Velleius Paterculus, II, 45 ; Dion Cassius, XXXVIII, 14.
[73] Cicéron, de domo, 19, 50.
[74] Plutarque, Cicéron, 30, 4 ; Appien, de bel. civ., II, 15 ; Dion Cassius, XXXVIII, 14.
[75] Cicéron, pro Plancio, 35, 87 ; cum senatui gratias egit, 7, 16 ; Schol. Bob., p. 249 ; Plutarque, Cicéron, 31, 1 ; Dion Cassius, XXXVIII, 16.
[76] Cicéron, cum senatui gratias egit, 5, 12 ; pro P. Sestio, 19, 29 ; in Pisonem, 27, 64.
[77] Cicéron, pro Milone, 14, 37 ; Dion Cassius, XXXVIII, 16.
[78] Cicéron, cum senatui gratias egit, 6, 13 ; in Pisonem, 6, 14 ; Dion Cassius, XXXVIII, 16.
[79] Dion Cassius, XXXVIII, 16-17 ; Plutarque, Cicéron, 30-31.
[80] Cicéron, de domo, 17, 44 ; 18, 49 ; 19, 50 ; cum senatui gratias egit, 4, 8 ; Ep. ad Atticum, III, 4 ; Tite-Live, Epit., CIII ; Plutarque, Cicéron, 32, 1.
[81] Cicéron, de domo, 16, 42 ; cf. de prov. cons., 19, 45.
[82] Cicéron, in Pisonem, 13, 30. — Cette seconde loi sur Cicéron fut votée en avril ; voyez Lange, Hist. intér. de Rome, II, p. 335.
[83] Appien, de bel. civ., II, 23.
[84] Cicéron, de domo, 50, 129.
[85] Cicéron, de domo, 8, 20 ; 20, 52 ; Schol. Bob., p. 301 ; Dion Cassius, XXXVIII, 30 ; Florus, I, 44 ; Velleius, II, 45.
[86] Plutarque, Cato minor, 34, 2-3 : Cicéron, pro P. Sestio, 28-29, 60-63.
[87] Cicéron, de harusp. resp., 22, 47 ; pro P. Sestio, 17, 39-40 ; pro Plancio, 35, 86 ; de domo, 9, 22.
[88] Cicéron, pro P. Sestio, 38, 81 ; 39, 85.
[89] Cicéron, de domo, 21, 54 ; pro P. Sestio, 15, 34 ; cum populo gratias egit, 5, 15. — Sur la constitution de ces bandes, voyez Th. Mommsen, De collegiis et sodaliciis Romanorum. Kiliæ, 1843, p. 57 et suiv.
[90] Cicéron, de domo, 50, 129 ; pro Milone, 91 26.
[91] Cicéron, pro P. Sestio, 15, 34 ; in Pisonem, 5, 11 ; 10, 23.
[92] Voyez pour plus de détails l’étude de Gentile, Clodio e Cicerone, Milan, 1876, in-18.
[93] Cicéron, in Vatinium, 14, 33-34 ; Schol. Bob., p. 310 ; cf. Lange, Hist. intér. de Rome, II, p. 338.
[94] Asconius, in Milonian., p. 47-48 ; Schol. Bob., p. 284 ; Dion Cassius, XXXVIII, 30 ; cf. Cicéron, pro Milone, 7, 16 ; 14, 37.
[95] Cicéron, pro P. Sestio, 26, 56 ; de harusp. resp., 13, 29.
[96] Cicéron, pro Milone, 7, 18 ; Asconius, in Milonian., p. 47 ; Plutarque, Pompeius, 49, 2.
[97] Cicéron, de domo, 15, 40 ; de harusp. resp., 23, 48 ; de prov. consul., 18, 43.
[98] Cicéron, pro P. Sestio, 35, 75-77 ; pro Milone, 14, 38 ; Plutarque, Cicéron, 33, 2.
[99] Cicéron, pro P. Sestio, 33, 71.
[100] Cicéron, pro P. Sestio, 37, 79-80 ; Ep. ad Q. fr., II, 3, 6 ; Schol. Bob., p. 292.
[101] Dion Cassius, XXXIX, 8.
[102] Cicéron, Ep. ad Atticum, IV, 1, 6 ; de domo, 5, 12-13 ; 6, 14 ; cum senatui gratias egit, 3, 7 ; Dion Cassius, XXXIX, 9.
[103] Cicéron, de domo, 5, 12-13 ; 6, 14 ; cum senatui gratias egit, 3, 7.
[104] Cicéron, Ep. ad Atticum, IV, 2, 3-5 ; Dion Cassius, XXXIX, 11.
[105] Cicéron, Ep. ad Atticum, IV, 3, 2-3.
[106] Cicéron, pro P. Sestio, 55, 118.
[107] Cicéron, Ep. ad Atticum, IV, 3, 3 ; pro P. Sestio, 39, 85 ; pro Milone, 14, 38.
[108] Cicéron, Ep. ad Q. fr., II, 1, 1-3.
[109] Cicéron, Ep. ad Atticum, IV, 2, 5.
[110] Cicéron, Ep. ad Q. fr., II, 2, 2.
[111] Cicéron, pro P. Sestio, 44, 95 ; Dion Cassius, XXXIX, 18 ; Schol. Bob., P. 288.
[112] Cicéron, Ep. ad Q. fr., 1I, 3, 2 ; cf. Ep. ad famil., I, 56, 1. — Plutarque raconte à peu près les mêmes scènes (Pompeius, 48), mais en les plaçant par erreur sous le tribunat de Clodius.
[113] Cicéron, pro Cælio, 32, 78 ; Ep. ad Q. fr., II, 6, 6.
[114] Dion Cassius, XXXIX, 20.
[115] Plutarque, Cicéron, 34 ; Dion Cassius, XXXIX, 21 ; Schol. Bob., p. 3115.
[116] Cicéron, de harusp. resp., 24, 51.
[117] Dion Cassius, XXXIX, 23.
[118] Cicéron, Ep. ad Q. fr., II, 9, 2.
[119] Asconius, in Scaurianam, p. 20.
[120] Cicéron, Ep. ad Q. fr., III, 4, 2 ; 1, 11.
[121] Cicéron, pro Milone, 9, 24 ; Schol. Bob., p. 346.
[122] Cicéron, pro Milone, 32, 88 ; Schol. Bob., p. 344.
[123] Cicéron, pro Milone, 9, 25 ; cf. Mommsen, De collegiis, p. 59.
[124] Cicéron, pro Milone, 12, 33 ; 32, 87 ; 33, 89 ; Asconius, p. 52 ; Schol. Bob., p. 346.
[125] Asconius, p. 46.
[126] Cicéron, pro Milone, 9, 25.
[127] Cicéron, pro Milone, 14, 37 ; Asconius, p. 48.
[128] Cicéron, Philip., II, 9, 21 ; 19, 48 20, 49 ; pro Milone, 15, 40.
[129] Cicéron, de ære alieno Milonis, 2, 3 ; Schol. Bob., p. 343.
[130] Cicéron, pro Milone, 10 ; Asconius, in Milonian., p. 32 et suiv. ; Appien, de bel. civ., II, 21 ; Dion Cassius, XL, 48-49.
[131] Sénèque, Ep. ad Lucilium, 97.
[132] Dion Cassius, XL, 57.
[133] Suétone, César, 42.
[134] Amisimus omnem non modo succum ac sanguinem, sed etiam colorera et speciem pristinam civitatis. Ep. ad Atticum, IV, 16, 10.
[135] Cicéron, de harusp. resp., 19, 40 ; 25, 54.
[136] Cicéron, Ep. ad Atticum, IV, 16, 11 : ... est nonnullus odor dictaturæ.
[137] Platon, Πολιτεία, p. 565.