Heureux, a-t-on dit, les peuples qui n'ont pas d'histoire ! Si ceux qui les gouvernent partagent aussi ce genre de bonheur, on ne saurait refuser le nom d'heureux aux Romains du milieu du deuxième siècle de notre ère et à leur maître l'empereur Antonin le Pieux. C'est presque un axiome historique couramment admis et répété, que le monde antique a joui de sa plus grande somme de félicité pendant l'époque antonine ; mais, quand on veut juger de cette prospérité si vantée, comment asseoir un jugement ? Tous les documents historiques de cette période semblent avoir été engloutis dans un commun naufrage, et il ne paraît avoir surnagé dans ce désastre que quelques misérables épaves. Le désir de savoir si une étude de détail permettrait de ratifier les éloges qui se transmettent d'âge en âge, comme une tradition consacrée, nous a attiré vers cette figure d'Antonin, la plus populaire de l'histoire de Rome avec celle de Marc-Aurèle, la plus aimée peut-être, mais dont les traits flottent encore dans une sorte de demi-clarté indécise, on parle souvent d'Antonin, on le loue toujours, et ce qu'on en dit se réduit à peu de chose. Il n'est donc pas inutile de tenter pour l'empereur qui a donné, son nom à toute une série de princes ce qui a été fait pour tous les grands césars du second siècle. Trajan, Hadrien, Marc-Aurèle, Septime-Sévère ont été de nos jours l'objet d'études particulières, qui ont jeté un jour nouveau ou plus intense sur cette partie de l'histoire romaine[1]. L'histoire de notre Antonin a été omise dans cette série de monographies ou n'a été effleurée qu'en passant ; c'est celle lacune que l'on voudrait combler en consacrant une étude de détail à la vie et au règne d'Antonin le Pieux. Le plan qui a été suivi embrasse l'histoire complète des vingt-trois années de l'Empire romain comprises entre l'avènement et la mort d'Antonin, entre 138 et 161. On s'est renfermé avec le plus grand soin dans ces limites chronologiques ; on s'est astreint en outre à n'employer que des documents rigoureusement datés, qui se rapportent exclusivement à l'époque d'Antonin, et non pas d'une façon générale à l'histoire du second siècle. Ces conditions étaient indispensables pour tracer un tableau fidèle de l'histoire impériale à un moment nettement défini. Avons-nous réuni tous les documents sur Antonin et son temps ? Nous avons fait effort pour n'en omettre aucun d'essentiel. Du moins, nous croyons pouvoir affirmer qu'on ne trouvera rien ici qui n'appartienne d'une façon certaine à la période chronologique que nous avons voulu connaître dans son ensemble. Le nom de M. Geffroy, directeur honoraire de l'Ecole française de Rome, a été inscrit en tête de ces études d'histoire romaine commencées à Rome sous ses auspices. Nous ne saurions oublier non plus en publiant ce travail nos maîtres, M. Fustel de Coulanges et M. Lavisse. À tous trois nous offrons cet Essai comme un témoignage de notre profonde reconnaissance. Paris, 15 juin 1887. LISTE DES PRINCIPAUX OUVRAGES CITÉS EN ABRÉGÉ.
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