CLOVIS

APPENDICES.

I. — LES SOURCES DE L’HISTOIRE DE CLOVIS.

 

 

Dans les pages qui vont suivre, je me propose de donner au lecteur un aperçu complet des sources de l’histoire de Clovis. Il n’y sera pas question de tous les écrivains dans lesquels on peut trouver des renseignements généraux sur l’histoire du cinquième et du sixième siècle ; mais je signalerai tous les écrits où il est question de Clovis, j’en ferai connaître la valeur, et je dirai ce que la critique moderne a fait pour en élucider la connaissance. Celui qui voudra contrôler ou refaire mon livre trouvera ici tous les moyens d’information triés et classés selon leur valeur respective.

 

§ I. — CHRONIQUES.

GRÉGOIRE DE TOURS.

(Éd. Dom Ruinart, Paris, 1699 ; Arndt et Krusch, M. G. H., Scriptores Rerum Merovingicarum, t. I, Hanovre, 1881 ; Omont et Collon, Paris, 1886-1893.)

L’Histoire des Francs de Grégoire de Tours est de loin le plus important de tous les documents historiques relatifs à Clovis. A elle seule, elle dépasse en importance et en intérêt tous les autres réunis. Si nous ne la possédions pas, c’est à peine si nous saurions de ce roi autre chose que son existence, et çà et là un trait curieux. Sans elle, ce livre n’aurait pu être écrit. Il est donc indispensable de connaître la valeur d’un témoignage si précieux.

Grégoire de Tours, né à Clermont en Auvergne, vers 538, d’une famille patricienne apparentée aux plus illustres maisons de la Gaule, grandit dans un milieu foncièrement romain ; mais l’éducation qu’il reçut dans sa ville natale, chez les évêques Gallus et Avitus, était plus ecclésiastique que mondaine, et le tourna beaucoup plus vers les lettres sacrées que vers les poètes profanes. Sans ignorer l’antiquité classique, il n’en fut pas nourri comme les écrivains l’avaient été avant lui, et, sous ce rapport, l’on peut dire qu’il représente dans la littérature en langue latine le premier des écrivains modernes. Devenu évêque de Tours en 573, il a été mêlé activement aux principaux événements de son temps ; il a parcouru une bonne partie de la Gaule, il s’est fait raconter l’histoire par ceux qui étaient à même de la connaître, il a vu de près les rois et a vécu dans la familiarité de plusieurs, il a dû à ses relations, à son esprit de recherche, une connaissance approfondie de la Gaule du sixième siècle, et son Histoire des Francs a profité de tout cela.

Mais l’histoire de Clovis échappait à son regard. Clovis était mort deux générations avant le moment où Grégoire prit la plume, et c’était un laps de temps considérable à une pareille époque, où les légendes défiguraient si rapidement la physionomie des événements. Grégoire ne trouva nulle part une biographie de Clovis conservée par écrit ; il lui fallut rassembler péniblement les rares notices qu’il lui fut donné de trouver dans les chroniqueurs du cinquième et du sixième siècle, dans les vies de saints, et dans un petit nombre de documents officiels. Avec ces débris incohérents, venus de toutes parts, il fit ce qu’il put, et le récit qu’il a élaboré n’a cessé de dominer l’historiographie.

Grégoire est d’ailleurs bien loin de connaître toute l’histoire de Clovis. Il ne sait rien de la guerre de Provence, il ignore le siège de Verdun, ainsi que le concile d’Orléans. Les événements qu’il raconte ne sont généralement pour lui qu’un point dans l’histoire. De la guerre de la Gaule, il ne mentionne que la bataille de Soissons et la mort de Syagrius, plus une anecdote, celle du vase de Soissons. De la guerre de Thuringe il ne sait que le nom, de la guerre contre les Alamans il ne connaît qu’un épisode. Il est d’autres événements sur lesquels il ne possède que des légendes fabuleuses, comme la mort des rois de Tongres, de Cambrai et de Cologne.

Voici les sources dont Grégoire de Tours s’est servi pour écrire sa vie de Clovis :

I. ANNALES D’ANGERS, continuées à Tours. — Grégoire paraît avoir eu à sa disposition un recueil d’annales fort sèches et gardant- surtout le souvenir de faits locaux ; c’est manifestement à ce recueil qu’il a emprunté ce qu’il dit, aux chapitres 18 et 19 de son livre II, des combats de Childéric. C’est là aussi qu’il doit avoir trouvé la rapide mention de la bataille de Soissons (486), de la guerre contre les Thuringiens (491), de la bataille contre les Alamans (496), de la guerre d’Aquitaine (506) et de la mort de Clovis (511). Ces mentions ont dû être sommaires, et telles qu’on les trouve dans les recueils de ce genre. Les détails que Grégoire y ajoute paraissent puisés ailleurs.

La grande raison qui me fait regarder Angers comme la patrie de ces annales, c’est que l’existence d’annales d’Angers est rendue presque manifeste par Hist. Franc., II, 18 et 19 ; c’est aussi parce que plusieurs faits qui ont dû se passer simultanément un peu partout sont signalés seulement pour Angers. Ainsi VI, 21 et VII, 11, il est parlé de tremblements de terre à Angers, alors qu’il est bien certain que la terre a encore tremblé ailleurs que là, et que même la chute des murs de Soissons, mentionnée dans le premier de ces deux passages, paraît due au même accident. Si je suppose que les annales d’Angers auront été continuées à Tours, c’est à cause du grand nombre de dates relatives à l’histoire de Tours ; on ne s’en expliquerait pas l’existence si l’on n’admettait des annotations chronologiques. Ces annotations peuvent avoir constitué un recueil indépendant ; mais en général, au moyen âge, on aimait à continuer ceux qu’on possédait, et l’hypothèse que nous avons admise avec Junghans rend compte, nous semble-t-il, d’une manière assez naturelle de, la familiarité de Grégoire avec les Annales d’Angers. Elle ne plaît pas à M. Lair, qui m’appelle de ce chef l’Œdipe du sphinx mérovingien, (Annuaire-bulletin de la Société de l’Histoire de France, t. XXXV, 1898, p. 4 du tiré à part), et qui, pour son compte, s’est vainement attaqué à l’énigme.

II. ANNALES BURGONDES. — Grégoire de Tours et son contemporain Marius d’Avenches offrent un récit parallèle des événements qui ont eu la Burgondie pour théâtre, et les nombreuses ressemblances de ces récits ne peuvent s’expliquer que par des rapports entre les deux auteurs. Après avoir tour à tour supposé que Marius avait copié Grégoire, et que Grégoire avait copié Marius, on a finalement conclu, avec raison, que l’un et l’autre avaient consulté une source commune, à savoir, un recueil d’Annales burgondes contenant des notices sèches et sommaires. Tout ce que Grégoire nous dit de la guerre de Clovis en Burgondie semble emprunté à cette source, à l’exception toutefois du récit du siège d’Avignon, qu’on ne retrouve pas dans Marius d’Avenches, et qui est, selon toute probabilité, puisé dans la tradition populaire. V. Monod, Études critiques sur les sources de l’histoire mérovingienne, 1re partie, p. 161, rectifié par Arndt, Historische Zeitschrift de Sybel, t. XXVIII, p. 421.

III. VIE DE SAINT REMI. — Il existait, du temps de Grégoire de Tours, une précieuse vie de saint Remi, écrite, à ce qu’il parait, par un clerc de l’église de Reims peu de temps après la mort du saint, et qui, ayant disparu d’assez bonne heure, a été remplacée par une biographie sans valeur historique, mise, on ne sait pourquoi, sous le nom de l’évêque Fortunat. Grégoire de Tours a connu la vieille vie, au sujet de laquelle il écrit : Est enim nunc liber vitæ ejus, qui eum narrat mortuum suscitasse. (Hist. Franc., II, 31.) Il n’est pas douteux qu’il ait lu ce document, et qu’il lui ait emprunté l’histoire de la conversion et du baptême de Clovis. Peut-être même y a-t-il trouvé aussi l’épisode du vase de Soissons. La supposition de M. Monod, o. c. p. 99, qui, pour des raisons d’ailleurs fallacieuses, suppose que sa source aurait pu être un poème latin sur la conversion de Clovis, et celle de Schubert, Die Unterwerfung der Alamannen unter die Franken, pp. 134-140, qui serait disposé à admettre aussi une vie en vers de sainte Clotilde, n’ont guère de vraisemblance.

IV. VIE DE SAINT MAIXENT. — Grégoire de Tours a connu aussi la biographie de saint Maixent, abbé d’un monastère dans le Poitou. Il dit au sujet de ce saint : Multasque et alias virtutes operatus est, quas si quis diligenter inquiret, librum vitæ illius legens cuncta repperiet. (Hist. Franc., II, 37.) Le texte primitif de cette vie a disparu, mais il en reste deux recensions, dont la première, qui paraît la plus ancienne, a été publiée par Mabillon (Acta Sanctorum O. S. B., t. I), et la seconde par les Bollandistes (Acta Sanctorum 26 juin, t. V). Toutes les deux ont amplifié dans un sens légendaire l’épisode emprunté à cette vie par Grégoire de Tours lui-même, et mettent en scène Clovis d’une manière moins vraisemblable que dramatique.

V. TRADITIONS ORALES. — Les souvenirs conservés par la bouche des contemporains ont été transmis de différentes manières à Grégoire de Tours. Quelques-uns ont été trouvés par lui dans sa famille ou dans son entourage clermontois ; de ce nombre est, sans contredit, la mention de la part prise par les Clermontois à la bataille de Vouillé, et du nom de leur chef Apollinaire — Maximus ibi tunc Arvernorum populos, qui cum Apollinare venerat, et privat qui erant ex senatoribus corruerunt (Hist. Franc., II, 37). Il en a emprunté d’autres aux souvenirs du clergé de Tours, comme les preuves de respect données par Clovis à saint Martin dans la guerre d’Aquitaine (Hist. Franc., II, 37), ou les détails de l’inauguration consulaire de Clovis à Tours (Ibid., II, 38) ; à ceux du clergé de Poitiers, comme l’épisode du signe de feu donné par saint Hilaire à Clovis, raconté aussi par son ami Fortunat, évêque de cette ville (Liber de Virtutibus sancti Hilarii, VII, 20, dans M. G. H. Auct. antiquiss., IV) ; à ceux du clergé d’Angoulême (Hist. Franc., II, 37 : chute des murs de cette ville).

Parmi ces traditions orales, il en est plusieurs qui portent les traces de l’élaboration considérable que leur a fait subir l’imagination populaire. L’histoire du siège d’Avignon est de ce nombre : c’est de la légende et non de l’histoire. Plus d’une fois, la légende a été l’objet de chants populaires, et est devenue l’occasion d’un petit poème épique : de ce nombre semble avoir été l’histoire du mariage de Clovis (Hist. Franc., II, 28), y compris celle des malheurs de Clotilde et de la vengeance qu’elle en tira par la suite (Ibid., III, 6), et celle de la manière dont Clovis se débarrassa des autres rois francs (Ibid., II, 40-42.)

Pour les preuves de ce travail de dépouillement des sources de Grégoire de Tours, je renvoie à mon étude intitulée : les Sources de l’histoire de Clovis dans Grégoire de Tours, parue à la fois dans la Revue des questions historiques, t. XLIV (1888), et dans le tome II du Congrès scientifique international des catholiques, tenu à Paris du 8 au 13 avril 1888 (Paris, 1889), ainsi qu’à mon Histoire poétique des Mérovingiens (Paris Bruxelles, 1893).

Pour la connaissance plus approfondie de Grégoire de Tours, lire : G. Monod, Études critiques sur les sources de l’histoire mérovingienne, 1re partie, Paris 1872 (8e fascicule de la Bibliothèque de l’école des hautes études, et Arndt-Krusch, M. G. H., Scriptores Rerum Merovingicarum, t. I, Hanovre, 1884, préface de la 1re et de la 2e partie de ce tome).

CHRONIQUE DITE DE FRÉDÉGAIRE.

(Éd. Ruinart, à la suite de son Grégoire de Tours, Paris, 1699 ; Monod, dans la Bibliothèque de l’école des hautes études, fascicule 63, Paris. 1885 ; Krusch, M. G. H., Scriptores Rerum Merovingicarum, t. II, Hanovre, 1888 )

La compilation historique que depuis Scaliger (1598) il est convenu, on ne sait pourquoi, de mettre sous le nom de Frédégaire, est l’œuvre de trois auteurs différents. La magistrale démonstration de cette vérité est due à Krusch, dans Die Chronicæ des sogenannten Fredegar (Neues Archiv der Gesellschaft für æltere deutsche Geschichtskuntle, t. VII, 1882), dont la substance a passé dans la préface de l’édition de Frédégaire par le même savant. Selon Krusch, le premier de ces trois auteurs est un Burgonde qui, vers 613, a fait un résumé du Liber generationis de saint Hippolyte, de la chronique de saint Jérôme et de celle d’Idacius ; il y a ajouté la légende sur l’origine troyenne des Francs, et quelques menus faits empruntés à des Annales burgondes.

Le deuxième est un Burgonde d’outre-Jura qui, vers 642, a ajouté à cette compilation un résumé des six premiers livres de l’Historia Francorum de Grégoire de Tours, sous le nom d’Épitomé, et l’a fait suivre d’une continuation originale allant jusqu’à 642. C’est lui qui nous intéresse, tant à cause du résumé en question que des additions qu’il y a faites.

Le troisième enfin est un Austrasien dévoué à la famille carolingienne, qui, vers 638, a ajouté quelques chapitres, en particulier 84-88, destinés à glorifier ses héros.

Ces résultats viennent d’être en partie confirmés, en partie complétés ou rectifiés par M. G. Schnürer dans son ingénieuse dissertation intitulée : Die Verfasser der sogenannten Fredegar-Chronik, Fribourg en Suisse 1900, (fascicule 9 des Collectanea Friburgensia).

L’Épitomé de Frédégaire qui forme le livre m de la chronique dans l’édition de Krusch, est un résumé consciencieux, mais non toujours exact, des six premiers livres de Grégoire de Tours. Il s’y est glissé plus d’une bévue, et l’auteur a inséré des légendes puisées à la source populaire, qui amplifient le côté épique de certains récits. Dans l’ensemble, Frédégaire ajoute très peu de chose à l’histoire authentique de Clovis ; mais il ne manque pas d’intérêt par rapport à son histoire poétique, pour laquelle il nous a conservé de précieux éléments.

Ranke a essayé de prouver, dans l’appendice du tome IV de sa Wellgeschichte, que l’Épitomé n’est pas un résumé de Grégoire, mais un texte original reposant sur la base d’un récit historique antérieur à la rédaction de l’Historia Francorum de ce dernier. Dans cette hypothèse, Frédégaire, là où il s’écarte de Grégoire, mériterait plus de confiance que ce dernier. Je crois avoir réfuté d’une manière péremptoire cette bizarre et insoutenable opinion, dans mon étude intitulée : l’Histoire de Clovis d’après Frédégaire (Revue des questions historiques, t. XLVII, 1890).

LIBER HISTORIÆ.

(Éd. Dom Bouquet, Recueil des historiens de Gaule et de France, t. III ; Krusch, M. G. H., Scriptores Rerum Merovingicarum, t. II, Hanovre, 1888).

Cet ouvrage, connu jusque dans ces derniers temps sous le titre de Gesta regum Francorum, que M. Krusch eût peut-être bien fait de lui laisser dans l’intérêt de la clarté, est l’œuvre d’un moine de Saint-Denis qui paraît originaire du pays de Laon ou de Soissons, et qui l’acheva en l’année 737. Un Austrasien, chaud partisan de la maison carolingienne, l’a remanié quelques années plus tard, et l’a en partie abrégé, en partie complété. L’ouvrage est, comme l’Épitomé de Frédégaire, un résumé des six premiers livres de Grégoire de Tours, continué par le récit des événements qui s’écoulèrent de 584 à 727. Le résumé, qui seul nous intéresse, n’est pas toujours exact, car l’auteur n’a pas toujours compris Grégoire ; lui aussi est retourné puiser à la source populaire indiquée par l’évêque de Tours, et a ajouté à sa narration divers ornements légendaires. Il a visé encore à augmenter la précision géographique d’un bon nombre de renseignements donnés par ce dernier, et il les a complétés le plus souvent par conjecture. Comme Frédégaire, il n’ajoute rien à l’histoire réelle de Clovis ; mais il nous sert à constater une nouvelle phase de son histoire poétique. Voir sur l’auteur et sur son ouvrage Krusch, dans la préface de son édition, et mon mémoire intitulé : Étude critique sur le Gesta regum Francorum (Bulletin de l’Académie royale de Belgique, 3e série, t. XIII, 1889).

Le Liber Historiæ Francorum, confondu de bonne heure avec la chronique de Grégoire de Tours, est devenu, au moyen âge, et déjà chez Hincmar, la source de presque tous les auteurs qui se sont occupés des origines franques.

Les écrivains que nous avons à citer encore ne peuvent plus être regardés comme des sources de l’histoire de Clovis ; tout au plus méritent-ils de nous intéresser en ce qu’ils nous montrent la manière dont cette histoire a été conçue au cours des temps, et les efforts consciencieux d’une érudition dépourvue de critique pour arriver à la reconstituer au moyen des matériaux dont on disposait. Sous ce rapport, la tentative la plus remarquable est celle d’Aimoin, moine de l’abbaye de Fleury-sur-Loire, qui vivait encore en l’an 1008, et duquel nous possédons plusieurs ouvrages, tels que les livres II et III (en partie) des Miracles de Saint Benoît (éd. de Certain, Paris, 1857), ouvrage écrit en 1005, et la Vie d’Abbon de Fleury, fragment d’une histoire inachevée de l’abbaye de ce nom (Mabillon, Acta Sanctorum O. S. B., t. VI). Avant ces deux ouvrages, Aimoin avait écrit son De Gestis regum Feancorum libri IV, à la demande de son abbé Abbon (1004), auquel il l’a dédié. L’ouvrage, qui devait aller jusqu’à Pépin le Bref, est interrompu à la seizième année du règne de Clovis II (653). C’est un travail de compilation, dans lequel il a fondu tout ce qu’il a pris dans les meilleures sources, à savoir, Grégoire de Tours, Frédégaire, le Liber Historiæ et autres. On n’y trouve naturellement rien de nouveau, mais on devra y constater une mise en œuvre qui ne manque pas d’intérêt, et le premier essai sérieux d’une histoire de France. L’ouvrage d’Aimoin nous est conservé en deux versions : l’une, qui représente son travail original, se trouve éditée par A. Duchesne, t. III, et par Dom Bouquet, t. III. L’autre, interpolée et continuée jusqu’en 1165, contient, au livre I, l’épitaphe de Clovis attribuée à saint Remi. La meilleure notice que nous possédions sur cet intéressant écrivain est toujours celle de l’histoire littéraire, au tome VII.

Roricon est beaucoup moins connu qu’Aimoin, et mérite moins de l’être. Il -paraît avoir été prieur de Saint-Denis, à Amiens, vers l’an 1100, et il est auteur d’un Gesta Francorum en quatre livres allant depuis les origines de la nation jusqu’à la mort de Clovis, en 511. Il ne fait guère qu’amplifier le Liber Historiæ et certains épisodes légendaires de Frédégaire. Il ne faut pas prendre ses préfaces idylliques pour autre chose que des fictions littéraires. La seule chose qui lui appartient en propre ; c’est d’avoir placé à Amiens la capitale de Clodion et de Childéric ; mais cette hypothèse, que nous avons rencontrée ci-dessus, t. I, p. 183, note, et p. 220, ne sert qu’à nous faire connaître le séjour de Roricon lui-même. Son œuvre a été publiée par A. Duchesne, t. I, et par dom Bouquet, t. III. La meilleure notice sur cet auteur est toujours celle de l’abbé Lebeuf dans les Mémoires de l’Académie des Inscriptions, t. XVII (1751).

Il est inutile de continuer cette énumération. L’histoire des Mérovingiens gardera à travers tout le moyen âge la forme que lui ont donnée le Liber historiæ ? et Aimoin, et tous les auteurs qui l’étudieront la raconteront d’après eux. Les Chroniques de Saint-Denis ne sont, pour la période qui nous occupe, que la traduction d’Aimoin. Sigebert de Gembloux, Hermannus Contractus, Otton de Frisingue et tous les autres chroniqueurs ayant quelques vues générales se bornent à copier ces sources de seconde main, fidèlement mais servilement. Le premier progrès de la science historique, ce fut de percer la couche sous laquelle a été enterrée la vraie source, qui est Grégoire de Tours, et de faire de nouveau jaillir ses informations originales dans l’historiographie. Le second, auquel je crois avoir contribué, consiste en ce qu’au lieu de reproduire simplement Grégoire de Tours, on s’est informé de ses sources à lui, et qu’on a tâché de se rendre un compte exact de la valeur respective de ses divers renseignements. Une histoire scientifique de Clovis ne pouvait pas être écrite avant que ce travail fût terminé.

 

§ II. — VIES DE SAINTS.

Nous sommes obligés de faire une classification à part pour les nombreuses vies de saints dont les héros ont été en rapports réels ou fictifs avec Clovis. L’intérêt et la valeur de ces documents sont fort variables, selon le degré de leur authenticité, et aussi selon la nature des relations qui y sont consignées. On trouvera ci-dessous, rangées par ordre alphabétique de sujets, les notices que je leur ai consacrées. L’ordre adopté n’est certes Pas le plus scientifique : j’eusse de beaucoup préféré les ranger d’après la date des documents, si celle-ci était connue pour tous, ou encore d’après la place que les divers saints prennent dans l’histoire de Clovis, si cette place était vraiment attestée par l’histoire. Je crois n’avoir omis aucun document. Ma liste est plus complète que celle de dom Bouquet, III, 369-403. Je ne me suis d’ailleurs pas contenté des extraits de dom Bouquet, mais mon étude critique a porté sur les textes entiers. Le travail ci-dessous, sans être original, est toujours personnel, et les indications sont tenues au courant de la science.

SAINT ARNOUL DE TOURS (18 juillet)[1]. — Le texte le plus ancien de la vie de saint Arnoul de Tours est celui que les Bollandistes ont publié dans le Catalogus codicum hagiographicorum... bibliothecæ Parisiensis, t. I, pp. 415-428, et dont celui des Acta Sanctorum n’est qu’un résumé. Cette histoire de saint Arnoul n’est qu’un roman pieux, qui semble dépourvu de tout fondement historique ; elle contient un tissu d’invraisemblances et de fictions manifestes. Le Translatio sancti Arnulfi (Analecta bollandiana, t. VIII, p. 97) augmente encore le caractère légendaire de la vie, en identifiant l’évêque Patrice, oncle de sainte Scariberge, qui est la femme d’Arnoul, avec saint Patrick, apôtre de l’Irlande. Il est d’ailleurs inutile d’ajouter que les diptyques de l’Église de Tours ignorent absolument le nom d’Arnoul. (Voir Mgr Duchesne, les Anciens catalogues épiscopaux de la province de Tours, Paris, 1890.)

SAINT CÉSAIRE D’ARLES (27 août). — Sa vie se trouve dans Mabillon, Acta Sanctorum O. S. B., t. I, dans les Bollandistes, Acta Sanctorum, t. VI d’août (1743), et dans S. R. M., t. III Écrite par ses disciples quelques années après sa mort (pas après 549) et dédiée à sa sœur l’abbesse Césarie, elle est divisée en deux livres, dont le premier, de beaucoup le plus important, est le seul qui intéresse l’histoire de Clovis. Ce livre premier a pour auteurs les évêques Cyprien de Toulon et Firmin d’Uzès, sans compter un inconnu du nom de Viventius. Il y a peu d’écrits hagiographiques de cette valeur ; il mérite une entière confiance, et il nous a raconté, dans un tableau plein de vie, l’épisode le plus intéressant de la guerre de Provence, faite par le fils de Clovis aux lieutenants de Théodoric. Saint Césaire a trouvé de nos jours deux biographes de valeur : ce sont C. F. Arnold, Cæsarius von Arelate und die gallische Kirche seiner Zeit, Leipzig, 1894, et l’abbé Malnory, Saint Césaire, évêque d’Arles, Paris, 1894, (103e fascicule de la Bibliothèque de l’École des Hautes Études.)

SAINTE CLOTILDE (3 juin). — La vie de sainte Clotilde (Mabillon, Acta Sanctorum O. S. B., t. I ; Acta Sanctorum des Bollandistes, t. I de juin ; S. R. M., t. II) n’a guère été écrite que vers le dixième siècle, à preuve la légende de la sainte Ampoule, qu’elle emprunte, en l’amplifiant encore, à la vie de saint Remi par Hincmar, et une allusion à la filiation mérovingienne de Charlemagne et de ses descendants. La partie purement biographique de ce texte n’est qu’une reproduction du Liber Historia ; mais, ce qui lui donne de l’intérêt, c’est qu’il a conservé un certain nombre de traditions relatives à des fondations d’églises par sainte Clotilde. Bien qu’on ne puisse revendiquer pour toutes ces traditions un caractère de rigoureuse authenticité, leur âge et leur accent de sincérité les rend hautement respectables, et je n’admets pas le jugement sommaire de M. Krusch écrivant au sujet de l’auteur : Omnes quas novit sancti Petri ecclesias gallicanas a Chrotilde vel constructas vel ampliatas esse finxit. M. Krusch oublie que l’immense majorité des églises du haut moyen âge était dédiée à saint Pierre, tantôt seul, tantôt associé aux autres apôtres, et qu’il n’est pas étonnant que quatre ou cinq fondations connues de Clotilde soient sous son patronage. Il y a quantité de vies modernes de sainte Clotilde, mais, reposant toutes sur des données légendaires, elles n’ont plus aujourd’hui aucune valeur. Celle que j’ai écrite moi-même pour la collection Les Saints (Sainte Clotilde, Paris, 1897), a rencontré deux espèces de contradicteurs : ceux qui, comme M. l’abbé Poulain, étrangers à la méthode critique et à la bibliographie du sujet, ont ignoré que les légendes racontées par Grégoire de Tours sont définitivement rayées de l’histoire, et ont cru pouvoir les raconter une fois de plus d’après lui, (Sainte Clotilde, Paris, 1899), et ceux qui refusent à l’historien le droit de reconstituer une physionomie d’après les quelques traits qui en restent, en s’aidant des indications fournies par ceux-ci et des lois psychologiques.

SAINT DIÉ, solitaire à Blois (24 avril). — La vie de saint Dié, en deux rédactions dont la plus développée est, comme d’ordinaire, la plus récente, veut que Clovis ait recherché ce saint lors de son expédition contre les Visigoths, se soit recommandé à ses prières, et, à son retour victorieux, lui ait fait des libéralités en terres et en argent, sigillo suo largitate communita, dit-elle au sujet de la donation en terres. Le saint aurait fondé un monastère, et sur son tombeau aurait surgi une église qui, détruite par les flammes, aurait été rebâtie sous Charles le Chauve. On avait oublié la date de sa mort ; selon l’hagiographe, elle fut révélée en songe à l’abbé Blodesindus. Ce document, en ce qui concerne la partie relative à Clovis, semble s’inspirer de la vie de saint Solein, dont on gardait le corps à Blois ; il mentionne même ce saint et rappelle qu’au moment où Clovis fit la connaissance de Dié, il n’était encore que le catéchumène de l’évêque de Chartres.

SAINT ÉLEUTHÈRE DE TOURNAI (20 février). — Les documents relatifs à ce saint ont été publiés par les Bollandistes dans les Acta Sanctorum au tome III de février, et reproduits d’après eux par Ghesquière, Acta Sanctorum Belgii, t. I. La plus ancienne rédaction de sa vie serait, d’après Henschenius, antérieure aux invasions des Normands. La seconde, qui contient et qui continue la première, est d’un auteur qui se dit contemporain de Hédilon, évêque de Noyon-Tournai (880-902). C’est dans cette dernière que se trouve le récit de la confession faite par Clovis à saint Éleuthère, avec quantité d’autres épisodes invraisemblables. La valeur historique de cet ouvrage est très faible, quoi qu’en dise Ghesquière, o. c., p. 453. On en jugera par ce seul fait que, dans les deux rédactions, le saint est donné comme contemporain à la fois de Dioclétien et de Clovis !

SAINT EPTADE (24 août). — Sa vie est dans les Acta Sanctorum des Bollandistes, au t. IV d’août (lire le commentaire de Cuperus) et dans les S. R. M., t. III. Ce document, bien que le texte en soit fort corrompu, présente divers caractères de bonne ancienneté, et le récit paraît bien reposer sur une base historique. C’est l’opinion de Pétigny, Études sur l’histoire, les lois et les institutions à l’époque mérovingienne, t. II, p. 647, de Binding, Das Burgundisch-Romanische Kœnigreich, pp. 188 et 196, de Lœning, Geschichte des deutschen Kirchenrechts, t. II, p. 176, de Kaufmann, Forschungen zur deutschen Geschichte, t. X, pp. 391-395, d’Arnold, Cæsarius von Arelate, p. 242, et de Mgr. Duchesne, Bulletin critique, 1897, pp. 451-455. Binding, o. c., est le premier qui en ait constaté la valeur historique. A. Jahn, Die Geschichte der Burgundionen und Burgundiens, t. II, pp. 106-112, a essayé vainement de contester l’authenticité de ce document. M. Krusch, qui fait sienne la démonstration de Jahn en y ajoutant de nouvelles considérations, n’est pas plus heureux dans la préface qu’il a mise en tête de la Vie (S. R. M., t. III) et dans une dissertation du Neues Archiv. (t. XXV, pp. 131-257) en réponse à l’article ci-dessus mentionné de Mgr Duchesne. Ses deux raisons sont : 1° que le Vita fait du saint un évêque-abbé, dans l’intention d’arracher son monastère à la juridiction de l’évêque, alors que c’est seulement à la fin du septième siècle que la Gaule a connu ce genre de dignitaires ; 2° que le passage du Vita, c. 6 : Erat beatissimus vir totius prudentiæ, in sermone verax , in judicio justus, in consiliis providus, in commissu fidelis, in interrentu strennus, in veritate conspicuus et in universa morum honestate præcipuus est emprunté à Grégoire de Tours, Historia Francorum, II, 32, où il est dit d’Aredius : Erat enim jocundus in fabulis, strenuus in consiliis, justus in judiciis et in conimisso fidelis. A quoi l’on peut répondre : 1° que nulle part le Vita ne parle de saint Eptade comme d’un abbé, et que l’accusation d’avoir voulu étayer l’immunité du monastère de Cervon sur la double qualité revendiquée pour le fondateur s’évanouit devant cette simple constatation ; qu’au surplus, même dans l’hypothèse que le biographe aurait considéré le saint comme le premier abbé de Cervon, l’intention qui lui est prêtée est absolument chimérique, attendu que c’est en qualité d’évêque d’Auxerre, élu canoniquement, et non d’évêque-abbé qu’il figure ici. Quant au second point, l’identité d’une formule probablement très répandue dès le sixième siècle ne prouve rien, d’autant plus que le texte du Vita est fort défiguré et que M. Krusch lui-même l’appelle einen ausnehmend verzweifelten Fall von Textcorruption (o. c., p. 157). Il faudrait d’autres arguments pour démentir l’auteur, qui dit formellement au c. 14 qu’il fut un contemporain du saint et qui insinue au c. 22 qu’il fut son familier (qui erat illi familiaris, quem nominare necesse non est).

Il y a quelques années, M. A. Thomas, dans un article intitulé : Sur un passage de la Vita sancti Eptadii (Mélanges Julien Navet, Paris, 1895, pp. 593 et suivantes), a discuté l’interprétation du passage du Vita Eptadii qui est relatif à l’histoire de Clovis. Il ne veut pas y lire le nom de la Cure (Quoranda) mais celui du Cousin (Quossa), son affluent.

Je lui emprunte le texte de ce passage d’après les deux manuscrits conservés à la Bibliothèque nationale de Paris, parce qu’il a été défiguré d’une manière fort arbitraire par les conjectures de M. Krusch dans l’édition des S. R. M.

Ms. 17002, fonds latin.

 

Ms. 3809, fonds latin.

Eodem tempore quosse ad fluvium quorundam pacis mediante concordia duorum regum supersticiosa complexa potentia id est Burgondionum genus et Francorum hec rege Gundobado precellentissimus rex Francorum Clodoveus suppliciter exoravit ut hune beatissimum virum Dei Eptadium civitatis sue autisiodorense prestaret antestitem ordinandum.

 

Eodem vero tempore ad fluvium quendam pacis mediante concordia duorum regum potencia, id est Burgundionum et Francorum, convenit ac regem Gondebadum precellèntissimus rex Francorum Clodoveus suppliciter exoravit ut beatissimum virum Dei Eptadium civitati sue Autissiodorensi concederet antistitem ordinandum.

On trouve de bons renseignements sur le culte local de ce saint dans Henry, Vie de saint Eptade, Avallon, 1863.

SAINTE GENEVIÈVE DE PARIS (3 janvier). — Cette vie a été diverses fois rééditée depuis 1643, qu’elle a paru dans le 1er volume des Acta Sanctorum des Bollandistes. Trois éditions critiques en ont paru coup sur coup dans les vingt dernières années : celle de M. Ch. Kohler (Etude critique sur le texte de la vie latine de sainte Geneviève de Paris, dans le 48e fascicule de la Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Paris, 1881), celle de M. l’abbé Narbey (Quel est le texte de la vie authentique de sainte Geneviève ? Étude critique suivie de sa vie authentique et de la traduction, dans le Bulletin d’histoire et d’archéologie du diocèse de Paris, 1884), et enfin celle de M. Krusch dans S. R. M., (t. III, 1896). Ces savants sont totalement en désaccord sur le point de savoir comment il faut établir le texte de la vie. M. Kohler, qui en a étudié vingt-neuf manuscrits, les classe en quatre familles dont la première représente, selon lui, le texte le plus ancien, diversement interpolé ou altéré dans les trois autres familles. Selon M. Narbey, au contraire, suivi par M. Krusch, le plus ancien se retrouverait dans les manuscrits de la seconde famille de M. Kohler, et c’est d’après ceux-ci, dont le nombre est porté à treize par les recherches de M. Krusch, que ce dernier, comme M. Narbey lui-même, a établi son texte. Cette discussion n’est pas close d’une manière définitive, car, comme le fait remarquer Mgr. Duchesne, rien n’empêche que les manuscrits de la deuxième famille Kohler, tout en présentant un texte moins altéré au point de vue de la langue et de l’orthographe, ne fût-ce que parce qu’ils sont en général plus anciens, aient été d’autre part l’objet des interpolations dont les manuscrits de la première famille Kohler sont exempts d’après ce dernier éditeur. On ne peut donc pas dire que malgré tous les travaux sur ce document hagiographique, nous soyons aujourd’hui en possession d’une édition définitive. MM. Kohler et Krusch ont d’ailleurs mis parfaitement en lumière, chacun dans un sens opposé, les indices qui plaident en faveur de l’antériorité de l’une et de l’autre des deux familles.

La question de la date à laquelle fut composée la vie de sainte Geneviève présente une importance capitale. L’auteur, qui avoue n’avoir pas connu la sainte, nous dit qu’il écrit dix-huit ans après la mort de celle-ci, c’est-à-dire, par conséquent, en 519 ou 520. C’est sur la foi de cette affirmation qu’on a été à peu près unanime à considérer son travail comme ayant la valeur d’une œuvre presque contemporaine. Toutefois, certaines assertions de l’auteur, qui semblaient difficiles à concilier avec ce que nous savons de l’histoire des Mérovingiens, et en particulier les épisodes où il est parlé de Childéric et du siège de dix ou cinq ans soutenu par la ville de Paris contre les Francs, avaient déjà inspiré de la défiance à Adrien de Valois (Rerum Francicarum, libri VIII, Paris, 1646, t. I, pp. 317-319), sans que cependant il s’avisât de contester l’authenticité du document. Bollandus, lui, n’avait pu se persuader totalement que la Vie qu’il publiait était le texte primitif (Eademne tamen sit qua ; est in manibus ingenue fateor inihi non liquere, p. 137), mais ces doutes, exprimés en passant, avaient été peu remarqués. Vers la fin du dix-septième siècle, le génovéfain Claude du Molinet, dans son Histoire de sainte Geneviève et de son abbaye royale et apostolique, conservée en manuscrit à la bibliothèque de Sainte-Geneviève à Paris, et, quelque temps après lui, Claude du Moulinet, abbé des Tuileries, dans une Lettre critique sur les différentes Vies de sainte Geneviève, également en manuscrit à la même bibliothèque, émirent l’opinion que l’ouvrage était tout au plus du neuvième siècle. Mais ces deux livres, n’ayant jamais vu le jour, restèrent sans influence sur la conviction générale ; au surplus, tous les deux partaient d’un faux point de vue en prenant le texte de la quatrième famille Kohler, rempli d’interpolations et d’anachronismes, pour le texte original. Enfin, un protestant suédois du nom de Wallin porta la question devant le public dans une véhémente dissertation intitulée : De sancta Genovefa... disquisitio historico-critico theologica, Wittenberg, 1723, in 4°. Pour Wallin, qui travaillait selon l’esprit des centuriateurs de Magdebourg et avec une rare absence de sérénité scientifique, l’auteur de la Vie était un faussaire du neuvième siècle qui l’avait inventée de toutes pièces, et il n’était pas même certain que sainte Geneviève eût jamais existé (si qua unquam fuit, p. 55). Wallin alléguait contre l’authenticité divers arguments dont quelques-uns ne laissent pas d’être spécieux, mais il était beaucoup plus faible dans la réfutation de ceux qu’on alléguait en sa faveur ; c’est ainsi que, d’après lui, si l’auteur parle une langue manifestement mérovingienne, c’est une ruse de plus pour se donner un vernis d’antiquité. L’opinion de Wallin était d’ailleurs restée sans écho jusqu’à nos jours, et un seul érudit à ma connaissance, M. L. Lœning, dans sa Geschichte des deutschen Kirchenrechts, Strasbourg, 1878 (t. II, p. 6, note) avait cru devoir, mais sans insister, lui contester le caractère de source historique pour l’époque mérovingienne. Le vrai débat ne commença en réalité que lorsqu’en 1893 M. B. Krusch se jeta dans l’arène avec sa retentissante dissertation intitulée hardiment : Die Faelschung der Vita Genovefæ, Neues Archiv., t. XVIII.

Reprenant la thèse de Wallin, que d’ailleurs il ne mentionnait pas[2], mais en s’appuyant sur une connaissance approfondie des manuscrits, il concluait, comme le Suédois, que l’auteur est un audacieux faussaire, moine de sainte Geneviève. Ce moine aurait écrit vers 767, et aurait tiré toute l’histoire de sainte Geneviève de sa cervelle, en vue de créer à son abbaye des titres de possession sur certaines terres disputées par elle à l’église de Reims. Cette thèse si aventureuse, et dont la démonstration laisse tant à désirer, a rallié tout de suite M. Wattenbach, qui s’est empressé de qualifier le Vita Genovefœ d’impudente fiction, freche Fælschung (Voir Deutschlands Geschichtsquellen im alter, 6e édition, t. II, p. 498.) M. Krusch a trouvé un redoutable contradicteur dans Mgr Duchesne, qui réfute point par point l’argumentation du savant archiviste de Bresslau ; et qui maintient avec énergie la date traditionnelle donnée par l’hagiographe lui-même (La vie de sainte Geneviève est-elle authentique ? dans la Bibliothèque de l’École des Chartes, t. 54, 1893). M. Krusch lui a répondu assez faiblement dans une dissertation intitulée, plus modestement, cette fois : Das Alter der Vita Genovefæ (Neues Archiv, t. XIX, 1894), où il maintient, d’ailleurs, toute ses positions. Deux années plus tard, dans la préface qu’il a mise en tête de son édition du Vita (Scriptores Rerum Merovingicarum, t. III), il rompait une nouvelle lance en faveur de sa thèse et ajoutait quelques arguments à ceux qu’il avait présentés en 1893, ce qui provoqua une courte réplique de Mgr Duchesne dans le Bulletin critique de 1897. Enfin, en 1898, M. Ch. Kohler à son tour entrait en lice avec une solide dissertation intitulée : La vie de sainte Geneviève est-elle apocryphe ? (Revue historique, t. 67, 1898), où il battait en brèche la classification des manuscrits faite par M. Krusch et soutenait que le passage relatif à Saint-Denis, qui se trouve dans la recension considérée par M. Krusch comme l’original, était une interpolation. A la suite de cette longue discussion, le critique bollandien qui s’est constitué juge des coups, et dont les articles très judicieux ont reflété avec la plus grande sincérité l’impression mêlée que produisait l’argumentation des divers contradicteurs (Analecta Bolandiana, t. XII, p. 470 ; XIV, pp. 334-333 ; t. XVI, p. 87) a finalement abandonné M. Krusch (t. XVI, p. 368), malgré la sympathie visible que lui inspirait la vigoureuse polémique du savant allemand[3]. Moi-même, s’il m’est permis de me citer, après un nouvel et consciencieux examen de la question, j’ai abandonné l’opinion mitoyenne que j’avais formulée dans l’Histoire poétique des Mérovingiens, p. 503, et dans l’appendice de la première édition du présent livre, p. 601. Loin de faire un pas de plus du côté de la thèse de M. Krusch, comme celui-ci l’espérait (S. R. M., III, p. 685), je me suis convaincu que mes raisons pour admettre un certain remaniement du Vita au neuvième siècle étaient, en grande partie, écartées par la démonstration de Mgr Duchesne et de M. Kohler, et je vois contre la thèse de M. Krusch d’autres raisons que je me propose d’exposer prochainement.

Mais, de ce qu’il reste établi que la Vie a bien été écrite au sixième siècle, il ne s’ensuit nullement qu’elle mérite d’être crue sur parole dans toutes ses parties. Il est certain qu’écrivant, comme il le dit, dix-huit ans après la mort d’une sain te qui en a vécu plus de quatre-vingts, et, de plus, ne la connaissant que par une tradition qui avait due sur plus d’un point, subir l’influence de l’enthousiasme populaire pour elle, il a pu introduire dans son récit des amplifications et des légendes ; tout spécialement dans l’histoire de l’enfance et de la jeunesse de son héroïne. Faire le départ de cet élément légendaire et du fond historique de la vie sera toujours un travail difficile, sinon impossible, en l’absence de presque tout moyen de contrôle, et on devra continuer de se servir des données du Vita avec une certaine réserve. C’est avec les mêmes restrictions qu’il faut signaler les principales vies modernes de la sainte, à savoir celle de Saintyves : Vie de sainte Geneviève, patronne de Paris et du royaume de France, Paris, 1846, qui reste la meilleure ; celle de l’abbé Vidien, Sainte Geneviève, patronne de Paris et son influence sur les destinées de la France, Paris, 1889 ; et celle de M. l’abbé Lesètre, Sainte Geneviève, Paris, 1900 (Collection Les Saints), qui, toutes les deux, pèchent par l’insuffisance de la critique.

SAINT FRIDOLIN, abbé de Sæckingen (6 mars). — La vie de ce saint, écrite au dixième siècle par un moine de Sæckingen nommé Balther, et dédiée à Notger de Saint-Gall, se trouve au tome I de mars des Bollandistes, au tome I de Mone, Quellensammlung der badischen Landesgeschichte, Karlsruhe, 1818, et au tome III des Scriptores Rerum Merovingicarum. D’après ceux-là, il s’agirait de Notger le Bègue ; d’après M. Krusch, de Notger à la Lèvre.

L’auteur raconte, à peu près à la manière de Hincmar dans sa vie de saint Remi, qu’en rentrant d’un voyage de quatre ans à travers la France jusqu’aux confins de l’Espagne, il a trouvé cet écrit dans le monastère de Helera, fondé autrefois par le saint sur la Moselle ; l’exemplaire qui existait à Sæckingen même avait été, dit-il, détruit par les Normands, mais il était encore dans le souvenir de plus d’un moine de ce lieu : Adhuc etiam supersunt multi, qui eumdem librum antequam ita, ceu dixi, perderetur, non solum viderunt sed sæpius legerunt : sicque verum esse profitentur, veluti jam per me narratur. o. c. p. 434 A. Il ajoute que, comme on ne voulut pas lui laisser emporter le volume, il l’apprit par cœur, en partie textuellement, et, rentré chez lui, le mit par écrit en se servant de sa seule mémoire. Ni ces détails, qui sentent le roman, ni la vie elle-même, ne peuvent nous empêcher de constater que nous sommes en présence d’une fiction.

SAINT GERMIER DE TOULOUSE (16 mai). — La vie de saint Germier est signalée comme ayant existé avant 1245 dans un passionnaire de l’abbaye de Lézat ; mais on ne la possède aujourd’hui que dans le manuscrit 477 de la bibliothèque de Toulouse, qui est du commencement du quatorzième siècle. C’est d’après une copie défectueuse de ce texte que Papebroch l’avait publiée dans les Acta Sanctorum, t. III de mai, p. 592. L’abbé Douais vient de la publier d’après le manuscrit 477 lui-même dans le tome L des Mémoires de la Société des Antiquaires de France (1890). Les auteurs de l’Histoire générale du Languedoc placent la composition de cette vie à la fin du onzième siècle, ce qui n’est pas de nature à lui faire accorder beaucoup de valeur. Il est vrai qu’elle semble se référer à un écrit plus ancien ; car on y lit, p. 80, que saint Germier, passant la mer, vint à Toulouse accompagné seulement de deux jeunes clercs : quorum unus Placidius alter Preciosus vocabatur... quorum unus Preciosus sanctissimi confessoris Germerii vitam vel actus longe post scripsisse peribetur. M. Douais croit même retrouver dans le texte qu’il publie des indices d’une rédaction mérovingienne antérieure, qui aurait été fondue dans l’actuelle ; j’avoue que je n’ai pas été aussi heureux que lui.

Selon M. l’abbé Douais, dans l’Examen critique qu’il place en tête de la vie du saint, celui-ci serait devenu évêque de Toulouse en 507 ou au plus tard en 511, et son entrevue avec Clovis aurait eu lieu pendant la guerre d’Aquitaine, soit à l’aller, soit au retour de l’armée franque. M. Douais s’attache aussi à rendre probable la tradition relative à l’amitié de saint Germier et de saint Remi de Reims. En revanche, Mgr Duchesne ne paraît pas sûr que saint Germier ait jamais existé, et, de fait, il ne l’accueille pas sur sa liste des évêques de Toulouse (Duchesne, les Fastes épiscopaux de l’ancienne Gaule, Paris, 1894, p. 296, cf. Analecta Bollandiana, t. X, p. 61.)

SAINT GILDARD ou GODARD DE ROUEN (8 juin). — La vie de ce saint a été publiée dans les Analecta Bollandiana, t. VIII, pp. 393-402. Elle n’est pas antérieure au premier quart du dixième siècle, puisqu’il y est parlé de Rouen comme de la capitale des Normands (metropolis Danorum, p. 397). Saint Gildard y est présenté comme un jumeau de saint Médard, mort le même jour et à la même heure ; bon nombre de faits de la vie de saint Médard par le pseudo-Fortunat sont purement et simplement racontés ici de saint Gildard. Cette substitution de personnages paraît devoir son origine à la coïncidence de la fête des deux saints au même jour du calendrier. La partie originale de la vie de Saint Gildard, c est un curieux passage où la conversion de Clovis est présentée comme le résultat de ses efforts et de ceux de son frère Médard : tous deux, étant du palais, auraient fréquemment exhorté le roi à se faire chrétien, et, unis à saint Remi, ils auraient fini par le décider. Je reproduis ici tout le passage, qui est peu connu :

His crebro cum rege Clodoveo ratiocinantibus et de futura vita vel ex perceptione regni cœlestis philosophantibus vera quoque assertione que sunt supernæ patriæ declarantibus patienter idem princeps aurem prabebat divinis persuasionibus. Tandem tactus Spiritu sancto intrinsecus non solum monitis salutaribus consensit, sed etiam tirocinium christianæ militiæ suscepit, ac non multo post, defuncto Remorum archiepiscopo, clamore populi et providentia Dei Remedius in cathedra pontificali levatur præsul.

Eadem tempestate accidit etiam Veromandensium pontificem obisse et Rotomagensium metropolis Danorum archipræsulem hominem exuisse. In quorum patriarchio et favore vulgi ac auctoritate regis divinique testimonio oraculi, duæ ecclesiæ statuuntur columnæ Medardus Veromandensium, Gildardus vero Rotomagensium sedis consecrantur episcopi. Beatus itaque Remedius qui et Remigius non destitit cum beatissimo Medardo cœptum christiana fidei iter regi propalare, donec quirent sæpe dictum principem sacri fonte baptismatis perfundere. Quod et factum est. Nam in civitatem Remorum venientes in basilica sancti Petri, que nunc dicitur ad palatium, missas celebraverunt et ea que Dei sunt agentes, beatus Remedius regem baptizavit, et de sacro fonte ilium beatus Medardus suscepit. Persuasu denique patris, benevolentia ac devotione regia nobilissimus filius vocabulo Clotharius ejusdem fidei suscepit sacramentum, et suœ acceptionis sanctissimum patrem habere promeruit Medardum. (o. c., p. 397.)

La grosse erreur qui consiste à mentionner dans la dernière phrase Clotaire, fils catholique de Clotilde, et qui peut-être n’était pas encore né à l’époque du baptême de son père, donne la mesure qu’il convient d’attribuer à la Vie de saint Gildard.

SAINT HILAIRE DE POITIERS (14 janvier). — La vie de ce saint, mort en 378, fut écrite au sixième siècle, à la demande de l’évêque Pascentius de Poitiers, par le célèbre Fortunat ; on la trouve dans l’édition des œuvres de cet auteur par Leo et Krusch, M. G. H., Auctor. Antiquiss., t. IV. Elle est composée de deux parties : la biographie proprement dite, dont la paternité a été souvent contestée à Fortunat pour des raisons d’ailleurs insuffisantes, et les miracles du saint, que tout le monde s’accorde à reconnaître comme l’œuvre de cet auteur. C’est dans cette dernière partie que se trouve l’épisode du signal de feu qui, de la tour de Saint-Hilaire, vint briller sur la tente de Clovis. Écrit entre 363 et 575, d’après les traditions poitevines recueillies sur place, il a fort probablement été puisé à la même source que le récit de Grégoire de Tours, et cependant il s’en écarte considérablement. On connaît la version de Grégoire. Il est à remarquer que, d’après Fortunat, le signal de feu fut donné au milieu de la nuit (media nocte meruit de basilica beati viri lumen super se venientent aspicere), et que Clovis fut averti de ne pas aller au combat avant d’avoir été prier sur le tombeau de ce saint (admonitus ut festinanter sed non sine venerabilis loci oratione adversum hostes conflictaturus descenderet), enfin, que le saint fit entendre sa voix au roi franc (parum illi fuit pro solatio regis signum ostendere luminis, nisi, aperte monitus addidisset et vocis). D’après cela, il faudrait admettre que Clovis était déjà maître de Poitiers lorsqu’il reçut le signe lumineux et qu’il entendit la voix du saint : il ne pouvait pas aller prier dans la basilique si Poitiers n’était à lui, et le mot descenderet indique bien qu’il occupait la ville. Il faudrait admettre encore que la bataille ne s’est pas livrée à Vouillé, mais au sud de Poitiers ; car comment supposer que le roi franc eût pu s’emparer de la ville sans coup férir, si Alaric avait été campé dans le voisinage pour la protéger ? Il faudrait donc modifier singulièrement notre récit de la bataille de Vouillé, si l’on pouvait croire que Fortunat est l’écho fidèle de la tradition poitevine. Mais Grégoire de Tours lui-même, par la manière dont il la rapporte, semble n’avoir pas cru aux détails donnés par Fortunat. Et, de fait, ces derniers sont contradictoires : le signe lumineux devient absolument inutile, si la ville de Poitiers et la basilique de Saint-Hilaire sont aux mains de Clovis ; à plus forte raison la voix surnaturelle. Aperçu de loin, et venant d’un poste encore aux mains de l’ennemi, le signe lumineux a toute sa valeur. Nous sommes donc obligé de croire que la version de Grégoire est la seule admissible, et tout ce qui se trouve en plus dans Fortunat est une superfétation oiseuse.

SAINT JEAN DE RÉOMÉ (28 janvier). — La vie de saint Jean de Réomé fut écrite vers 659 par l’abbé Jonas de Bobbio, pendant le court séjour qu’il fit au monastère de Moutier-Saint-Jean, fondé par ce saint dans les environs de Semur (Côte-d’Or). Nous n’en avons possédé longtemps qu’un remaniement du neuvième siècle, publié par Mabillon (Acta Sanctorum O. S. B., t. I), et un second remaniement plus développé qui a été publié d’abord par Roverius (Reomaus seu historia monasterii sancti Joannis Reomænsis, Paris, 1637), et ensuite par les Bollandistes (Acta Sanctorum, t. II de février). Le texte original a été retrouvé de nos jours par Krusch et publié par lui dans Mittheilungen des Instituts für œsterreichische Geschichtsforschung, t. XIV. Les principales questions relatives à cet écrit ont été savamment élucidées par Stoeber dans Sitzungsberichte der phil. hist. Classe der K. Akademie der Wissenschaften, Vienne, 1885, et par Krusch en tête du texte publié par lui.

SAINT LÉONARD, solitaire en Limousin. — La vie de saint Léonard a été publiée pour la première fois par M. le chanoine Arbellot (Vie de saint Léonard, solitaire en Limousin, Paris, 1863, pp. 277-289) ; elle vient d’être rééditée dans S. R. M., t. III. Cet ouvrage, que l’éditeur voudrait faire remonter jusqu’au huitième siècle tout au moins, ne semble pas antérieur au onzième (Histoire littéraire de France, t. VIII). A cette date, l’évêque Jourdain de Limoges ne la connaissait pas encore, puisqu’il demandait à Fulbert de Chartres de lui procurer une biographie de son saint : Jordanus etiam, Lemovicensis episcopus, cui olim suffragium præstiti apud archiepiscopum Bituricensem, plurima te salute impertiens, rogat suppliciter ut mittas ei vitam sancti Leonardi, in episcopatu suo quiescentis ut aiunt ; sicubi reperire poteris, pulchre dicas hoc feneratum esse (Patrol. lat., t. CXLI, col. 275, cité par M. le chanoine Arbellot, o. c., p., 241). Ce passage n’est susceptible que d’une seule interprétation, celle que lui ont donnée les auteurs de l’Histoire littéraire de France, en concluant qu’il n’existait pas de vie de saint Léonard à la connaissance de Jourdain, et qu’il désirait ardemment qu’on en découvrît une. Comment le vénérable éditeur de la vie a-t-il pu traiter d’étrange méprise cette interprétation et écrire : Sans doute, elle (la vie de saint Léonard) ne se trouvait pas dans la bibliothèque de l’évêque de Limoges, mais si elle n’eût existé nulle autre part, Jourdain l’eût-il fait demander à l’évêque de Chartres ? L’erreur est manifeste. Au surplus, l’ouvrage, conservé dans plusieurs manuscrits du onzième et du douzième siècle, est à peu près entièrement fabuleux, et on ne doit rien croire des prétendues relations du saint avec Clovis. M. le chanoine Arbellot montre lui-même (o. c., pp 259 et suivantes) qu’il ne peut pas être question de ce roi, bien qu’il se refuse à reconnaître le caractère légendaire de l’épisode.

SAINT MAIXENT (26 juin). — La rédaction primitive de la vie de ce saint, connue et utilisée par Grégoire de Tours, a été remplacée de bonne heure par deux recensions plus modernes. La première se trouve dans Mabillon (Acta Sanctorum O. S. B., t. I), la seconde dans les Bollandistes (Acta Sanctorum, t. V de juin). Cette dernière contient des indices de postériorité qui ne permettent pas de la faire remonter au delà du commencement du septième siècle. L’autre n’est guère plus ancienne, car elle a en commun avec la précédente l’amplification légendaire qui introduit Clovis lui-même dans l’épisode du soldat pillard, et le fait tomber aux genoux du saint. Sur la modernité de ces recensions, voir mon étude sur les Sources de l’histoire de Clovis dans Grégoire de Tours.

SAINT MELAINE (6 janvier). — Nous possédons actuellement la vie de saint Melaine en trois recensions. L’une se trouve dans les Acta Sanctorum des Bollandistes, t. I de janvier ; une autre a été publiée par les Bollandistes dans le t. I du Catalogus codicum hagiographicorum bililiotheca nationalis Parisiensis, p. 71, et en partie dans les Scriptores Rerum Merovingicarum, t. III, la troisième enfin dans le t. II du Catalogus, p. 531.

C’est cette dernière qui parait aux Bollandistes modernes la plus ancienne, tandis que M. Lippert (Zur Vita Melanii dans Neues Archiv, t. XIV, 1889) et M. Krusch (S. R. M., t. III, p. 370) ont prouvé, d’une manière selon moi irréfutable, que c’est la première qui est la plus ancienne. Contrairement à Bollandus, qui regarde la vie comme contemporaine, et qui est suivi par dom Rivet (Histoire littéraire de la France, t. III) et par dom Plaine (Étude comparative des trois anciennes Vies de saint Melaine dans Revue historique de l’Ouest, t. V et VIII ; cf. Analecta Bollandiana, t. XIII, p. 179) les deux érudits allemands rendent vraisemblable qu’elle est du neuvième siècle, et antérieure à la translation des reliques du saint à Bourges en 853, mais postérieure à l’Adnotatio de Synodis, qui est elle-même du huitième ou du neuvième siècle et qui a servi de source à la Vie.

SAINT MESMIN, abbé de Micy (15 décembre). — Nous possédons deux Vies de saint Mesmin de Micy. La première existe dans des manuscrits du dixième siècle, et a été copiée au onzième par Hugues de Flavigny. Mabillon, qui l’a publiée dans les Acta Sanctorum O. S. B., t. I, la croit du septième siècle. Nous en possédons une rédaction assez différente, dont la partie substantielle a été publiée par les Bollandistes, dans le Catalogus codicum hagiographicorum bibi. nat. Paris., t. I, pp. 300-303, d’après un manuscrit du onzième siècle. Bien que cette Vie ait déjà un caractère assez légendaire, elle paraît cependant reposer sur un fond historique solide ; et avoir connu un diplôme de fondation de l’abbaye, émis par Clovis. La seconde a pour auteur Bertold, moine de Micy, et est dédiée à l’évêque Jonas d’Orléans († 843). Il y aurait lieu d’examiner les rapports qu il y a entre ces deux documents, jusqu’à présent fort peu étudiés, et dont le premier mérite une sérieuse attention.

SAINT PATERNE, évêque de Vannes (15 avril). — Sa vie se trouve dans les Acta Sanctorum des Bollandistes, tome II d’avril. C’est un écrit du quatorzième siècle, dû au moine Jean de Tynemouth, rempli de fables, et qui identifie de la manière la plus bizarre ce saint d’Armorique avec un saint gallois du même nom, vénéré dans le Cardiganshire. Le saint Paterne historique fut ordonné évêque de Vannes vers 463 ; on ne sait pas la date de sa mort, mais au concile d’Orléans, en 511, son successeur était Modestus. Au reste, le premier document qui le mette en rapport avec Clovis est un sermon prêché au douzième siècle à Vannes et contenant une description des reliques de l’église de cette ville ; un fragment de ce document a été publié par M. A. de la Borderie dans Saint Paterne, premier évêque de Vannes, Vannes 1893, et dans l’Histoire de Bretagne, t. I, p. 331. Contre ce rapprochement, voyez Mgr Duchesne, Saint Paterne (Revue Celtique, (1893) et Fastes épiscopaux de l’ancienne Gaule, t. II (1900), p. 371).

SAINT REMI, évêque de Reims (1er octobre). — Nous savons qu’il existait du temps de saint Grégoire de Tours une Vie de saint Remi, dans laquelle, selon toute apparence, le chroniqueur franc avait puisé une bonne partie de ses renseignements sur Clovis. Cette Vie, malheureusement, disparut de bonne heure, et fut remplacée vers le commencement du huitième siècle, si je ne me trompe, par un écrit qui laissait de côté le rôle public du saint pour ne le faire connaître que comme thaumaturge (Acta Sanctorum des Bollandistes, t. IIl d’octobre ; Ghesquière, Acta Sanctorum Belgii, t. I ; M. G. H., Auctores Antiquissimi, t. IV, édition de Krusch dans les œuvres de Fortunat). Cette Vie, que Hincmar attribue par erreur à Fortunat, trahit sa basse époque par sa destination exclusivement liturgique et par son ignorance de la biographie du saint, et elle est presque entièrement dépourvue de valeur historique ; aussi est-on étonné de voir un critique du mérite de M. Krusch ‘obstiner à l’identifier avec le Vita Remigii lu par Grégoire de Tours. Revenant sur la question pour répondre aux objections que je lui ai présentées en 1888, M. Krusch ne trouve à m’opposer que de gros mots au lieu de bonnes raisons, et se voit finalement obligé, par la logique de son erreur et par l’impossibilité où il s’est mis d’expliquer l’origine du récit de Grégoire sur la conversion de Clovis, d’imaginer que le tout est une invention de Grégoire lui-même. (V. Neues Archiv, t. XX, 1895, et mon étude sur Les Sources de l’histoire de Clovis dans Grégoire de Tours, avec les auteurs qui y sont cités). Cette conclusion s’impose, étant donné le point de vue défendu par M. Krusch, mais elle en démontre aussi la foncière défectuosité. Aucun critique au courant des choses mérovingiennes n’admettra que Grégoire ait tiré de sa seule imagination des tableaux comme celui du baptême de Clovis. Et j’imagine que l’identification de l’œuvre du pseudo-Fortunat avec la Vie primitive de saint Remi rencontrera peu de partisans. Hincmar nous dit d’ailleurs qu’elles étaient distinctes, et ce n’est pas écarter son, témoignage que de dire qu’il est un faussaire, et d’alléguer qu’il nous raconte sur ce vieil écrit un vrai roman. Même en accordant ces deux points à M. Krusch, il n’en restera pas moins établi que Hincmar était convaincu de la non-identité des deux textes. Nous le voyons qui cherche à se procurer l’ancienne Vie et qui écrit au roi Louis pour s’en informer (V. Flodoard dans M. G. H. XIII, pp. 511, 512) ; sa sincérité sous ce rapport ne fait donc pas de doute, et, s’il en est ainsi, il devient bien difficile de contester la valeur de son témoignage. Et sur quoi se fonderait-on aujourd’hui pour se croire autorisé à prétendre que Hincmar se trompait et que la Vie qui était l’objet de ses recherches n’avait jamais existé ?

On comprend que, la vie primitive ayant disparu et l’œuvre du pseudo-Fortunat n’ayant aucune valeur, Hincmar se soit préoccupé de fournir au public une biographie plus sérieuse de l’apôtre des Francs. Il composa donc, vers 878, l’écrit que nous possédons sous son nom. (V. Acta Sanctorum des Bollandistes, t. I. d’octobre et S. R. M., t. III [édition de Krusch, qui donne un texte plus complet].)

C’est un ouvrage composé selon les procédés compilatoires de l’érudition d’alors, et prenant pour principe cette parole de Beda que la vraie loi de l’histoire, c’est de mettre simplement par écrit, pour l’instruction de la postérité, ce que l’on a recueilli sous la dictée de la voix publique. (Vita S. Remigii præf., p. 253, d’après Beda le Vénérable, Hist. eccl. Angl., præf.) Les sources principales sont le Vita du pseudo-Fortunat et le Liber Historiæ, qu’il cite sous le nom de Historiæ (c. II) et auquel il renvoie ailleurs par ces mots : Sicut lector in suo loco pluries legere potest. (Vita. S. Remigii dans AA. SS. IV, 53, et dans Krusch S. R. M. III, p. 293.) Il dit également avoir possédé quelques feuillets, en fort mauvais état, de la vie du sixième siècle, et il raconte au sujet de cet ouvrage une historiette qui a tout l’air, à première vue, d’un de ces lieux communs, chers aux romanciers et aux poètes du moyen âge. Par contre, il ne parait pas avoir connu Grégoire de Tours ni Frédégaire, puisqu’il ne leur emprunte rien de ce qu’ils ont en plus que le Liber Historiæ, et qu’il suit pas à pas ce dernier[4]. Outre les renseignements puisés dans ces sources écrites, Hincmar a mis en œuvre bon nombre de traditions orales, les unes ecclésiastiques, les autres populaires, qui présentent un vif intérêt pour la connaissance du milieu où elles se racontaient. Enfin, ne résistant pas à l’envie d’exagérer l’importance de Remi et aussi celle du siège de Reims, Hincmar a introduit son héros dans tous les épisodes de la vie de Clovis et lui a fait honneur de toutes ses œuvres. Il serait très intéressant de faire le départ de ces trois catégories de renseignements, et d’établir, par une étude critique sur les sources du Vita Remigii, comment procédait l’érudition du neuvième siècle pour reconstituer l’histoire d’un passé lointain. Dès maintenant, toutefois, on est fixé sur le degré d’historicité de l’ouvrage, et l’on ne souscrira plus au jugement de Dubos, disant qu’on doit regarder la vie de saint Remi, compilée par Hincmar, plutôt comme un monument du sixième siècle que comme une production du neuvième, puisque son auteur s’est servi pour le composer d’un ouvrage écrit dès le sixième siècle, etc. (Histoire critique de l’établissement de la monarchie française dans la Gaule, livre III, ch. 19). D’autre part, traiter tout bonnement Hincmar de faussaire, et placer la Vie de saint Remi dans les documents apocryphes, comme font M. Krusch et à sa suite Wattenbach (Deutschlands Geschichtsquellen, 6e édition, Berlin 1894, t. II, p. 494), c’est une injustice manifeste, et qui ne peut s’expliquer que par la plus étrange prévention.

Les vies modernes de saint Remi, parmi lesquelles nous ne signalerons que celle de M. l’abbé Haudecœur : Saint Remy évêque de Reims, apôtre des Francs, Reims, 1896, pèchent toutes par la même répugnance que montrent leurs auteurs à débarrasser une bonne fois sa biographie de la végétation légendaire et fabuleuse qui en défigure le caractère. On trouvera l’énumération de tous ces écrits, jusqu’à 1890, dans l’excellent opuscule de M. H. Jadart : Bibliographie des ouvrages concernant la vie et le culte de saint Remi (Travaux de l’Académie nationale de Reims, t. LXXXVII, 1891), et on lira aussi avec fruit, du même auteur, La Vie de saint Remi dans la poésie populaire. (Même recueil, t. XCVII, 1895.)

SAINT RIEUL DE SENLIS (30 mars). — Les Bollandistes publient sa vie dans leur tome III de mars, et en deux textes. Le plus court, qui est aussi le plus ancien, ne contient pas l’épisode où il est question de Clovis. Les Bollandistes les regardent l’un et l’autre comme étant du dixième ou du onzième siècle. Le livre de Jaulnay, le Parfait prélat, contient un troisième texte, qui se retrouve aussi dans le manuscrit 5295 de la Bibliothèque nationale de Paris, du onzième siècle, et qui n’est qu’une paraphrase du deuxième des Bollandistes. On y lit ce passage :

Venerabilis Deoque amabilis Coelestinus ex nobili Hibernorum provincia exortus, divina inspiratione spiritaliter dictare conatus esse [eam vitam dicitur] ob gloriosissimi regis jussionem Chlodovei, qui sanctorum confessorum Christi Remigii et Vedasti exhortatione piaque prædicatione baptizatus et ad Dei fidele servitium est conversus. Ille enim cum desiderio fuisset excitatus, aliquid particulatim de præfati sanctissimi confessoris reliquiis accipere, Deo revelante, super sarcophagum ejus duabus tabulis lapideis vitam ejus inscriptam invenit, et ad agnitionem omnium infamari præcepit.

Il est inutile de dire que cet Irlandais Coelestinus ne se trouve nulle part.

SAINT SACERDOS DE LIMOGES (5 mai). — Sa Vie a été publiée par les Bollandistes dans le tome II de mai. Elle fut écrite au douzième siècle par Hugues de Fleury, qui dit s’être servi d’une biographie antérieure du même saint. On voit par l’épisode même où il est mis en relation avec Clovis, comme aussi par le recueil des notes prises par Hugues de Fleury pour la composition de son travail, que le saint, dans la pensée de l’hagiographe, appartient bien au sixième siècle. Sur cette question de la date, il faut lire l’article de M. Couderc, dans Bibliothèque de l’École des Chartes, t. LIV (1893), pp. 468 et suivantes.

SAINT SÉVERIN, abbé de Saint-Maurice-en-Valais (11 février). — Sa vie a été publiée dans les Acta Sanctorum des Bollandistes au tome III de février et dans les S. R. M., t. III. — Le tombeau de saint Séverin était, dès le septième siècle, l’objet d’un culte religieux à Château-Landon, et l’on voit par la Vie de saint Éloi (I, 32) que celui-ci fabriqua la châsse de ce saint. Déjà le martyrologe d’Usuard et une recension de celui de Bède lui attribuent la guérison de Clovis : Eodem die castro nantonensi sancti Severini abbatis monasterii agaunensis : cujus precibus cultor Dei rex Flodovæus a diutind infirmitate sua liberatus est.

La Vie de saint Séverin fut composée, au dire du prologue, sur l’ordre de l’archevêque Magnus de Sens (801-818), d’après un écrit antérieur qu’elle attribue à un prêtre Faustus. Sacram sane libelli seriem, quam Faustus presbiter discipulus sancti Severini abbatis de ejus vita vel actibus post ipsius ediderat obitum transcribentes, jubente etiam venerabili viro Magno merito in nomine urbis senonicle antistite, vitia scriptoris corrigere curantes, commodum duximus secundum ingenioli nostri capacitatem ejusdem historiæ textum aliquanto clariore propagare sermone. (o. c., p. 547 E.) Cette Vie toutefois ne contient pas autre chose que le récit du voyage de saint Séverin pour aller guérir Clovis, et de sa mort à Château-Landon, avec l’épisode de la guérison miraculeuse de l’évêque de Nevers. Il n’entre pas dans ma pensée d’accepter ce document sans contrôle, mais les motifs allégués contre son authenticité par M. Krusch ne suffisent pas pour lui permettre de traiter l’auteur de faussaire. (La falsification des Vies de saints burgondes, dans les Mélanges Julien Havet, p. 41-56, et S. R. M., t. III, p. 166. [Cf. Giry, La Vie de saint Maur du Pseudo-Faustus. — Biblioth. de l’École des Chartes, 57, 1896].)

SAINT SOLEIN DE CHARTRES (25 septembre). — Un résumé substantiel de la légende de saint Solein, contenant l’histoire de ses relations avec Clovis et de la part prépondérante qu’il prit à sa conversion et à son baptême, se trouve déjà, au neuvième siècle, dans le martyrologe de Raban-Maur.

D’autre part nous possédons une vie de ce saint que les Bollandistes tiennent pour fort ancienne, et dont le style rappelle à M. Krusch celui de Fortunat. Cette vie, que dans la première édition de ce livre je prenais à tort pour une amplification du douzième ou du treizième siècle, et que l’on trouve déjà dans un manuscrit du dixième (Bibliothèque royale de Bruxelles, n° 7984), vient d’être l’objet d’une édition critique par M. W. Levison (Zur Geschichte des Frankenkœnigs Chlodowech, dans Bonner Jahrbücher, t. CIII) ; il faudrait en reculer la composition jusqu’au delà du neuvième siècle s’il était prouvé, comme l’admet cet éditeur, que la notice de ce saint qui se trouve dans le martyrologe de Raban-Maur est le résumé de la Vie. Dans tous les cas, l’historicité des renseignements fournis par la Vie est très sujette à caution ; la personnalité du saint, toutefois, est acquise à l’histoire, car Grégoire de Tours a vu sa tombe miraculeuse à Maillé. (Gloria confess., c. 21.) Je ne sais ce qu’il faut penser de la notice donnée par un manuscrit du quatorzième siècle, d’après lequel, en faisant l’élévation de ses reliques, on aurait trouvé urne inscription avec ces mots : Hic requiescit Sollempnius episcopus, Clodovei regis tempore cum eo huc veniens hic sepultus.

SAINT VAAST, évêque d’Arras (6 février). — M. Krusch a rendu un grand service aux études mérovingiennes en fournissant la preuve (Mittheilungen des Instituts für œsterreichische Geschichtsforschung, t. XIV) que la vie de ce saint qu’on trouve dans les Acta Sanctorum des Bollandistes au t. I de février et dans les S. R. M. t. III, a pour auteur l’abbé Jonas de Bobbio, qui la composa pendant son séjour à l’abbaye de Saint-Amand, vers le milieu du septième siècle. Aux nombreux arguments internes invoqués par M. Krusch à l’appui de sa thèse, je crois en devoir ajouter un. L’une des particularités caractéristiques du style de Jonas, c’est l’expression inter incendia suivie d’un déterminatif et prise dans un sens figuré : ainsi inter flagrantis ignis incendia (Vita Columbani, c. 58) ; inter pœnæ incendia (V. Eustasii, c. 48) ; inter pœnas incendii (V. Attalæ, c. 2, 6) ; inter pœnas incendii (V. Bertulfi, c. 13). Or cette expression reparaît aussi dans le Vita Vedastis, c. I : inter incendia bellorum. Je n’ai pas souvenance d’avoir jamais trouvé cette expression ailleurs que dans les passages cités.

M. Krusch a prouvé aussi que la source de Jonas, dans l’histoire de la bataille contre les Mamans, a été soit Grégoire de Tours lui-même, soit sa source. Il aurait dû marquer cependant d’une manière plus nette que l’épisode de la guérison de l’aveugle de Rilly-aux-Oies par saint Vaast repose apparemment sur une antique tradition locale, comme l’a démontré récemment, d’une manière à mon sens concluante, le R. P. Jubaru dans son article intitulé : Clovis a-t-il été baptisé à Reims ? (Études religieuses, etc., t. LXVII, 1996.) Il eût dû aussi convenir qu’il en est de même de la mention de Reims comme lieu du baptême, au lieu de prétendre, sur la foi d’une lettre de saint Nizier de Trèves mal interprétée, qu’il faut absolument renoncer au baptême à Reims, qui serait dans la Vie de saint Vaast et dans Frédégaire, III, 21, le résultat d’une interprétation vicieuse du texte de Grégoire. Tout en accordant à M. Krusch que la Vie de saint Vaast cesse de pouvoir être mise en balance avec Grégoire de Tours pour l’épisode principal qu’elle raconte, nous continuerons de lui attribuer la valeur d’une tradition très ancienne sur un saint dont l’histoire est étroitement unie à celle de Clovis, et nous repoussons avec la plus grande énergie les étranges conclusions par lesquelles M. Krusch compromet la valeur de sa propre découverte.

 

§ III. — LOI SALIQUE.

La plus ancienne rédaction latine de la Loi salique paraît être due à Clovis. Avant lui, cette loi était déjà arrêtée et fixée dans un ensemble de formules non écrites, mais confiées à la mémoire, et conçues dans l’idiome germanique des Francs. Cette rédaction germanique primitive, non mise par écrit, c’est évidemment celle qui fut l’œuvre des quatre prud’hommes, au dire de la tradition franque. Faite en terre germanique et par un peuple qui ne connaissait encore les Romains que comme des ennemis, elle ne pouvait être qu’en langue franque[5]. Il s’en est conservé de curieux vestiges dans les gloses malbergiques ajoutées au texte de la loi par plusieurs manuscrits. Cf. Kern, Notes on the Frankish words in the Lex salica, dans Hessels et Kern, Lex salica, pp. 433-433.

Tout porte à croire que la première rédaction latine de la loi et sa mise par écrit sont du temps de Clovis. Le Grand Prologue de la loi, sans le dire explicitement, marque cependant en termes formels le souvenir de l’activité législative de ce roi ; l’épilogue parle également de Clovis, bien qu’il ne le nomme pas, et tous les deux ajoutent qu’il a fait des additions à la loi. Celle-ci ne peut donc pas être postérieure à Clovis, puisqu’il l’a complétée ; elle ne lui est pas antérieure non plus, puisqu’on ne prononce le nom d’aucun de ses prédécesseurs. Comme elle ne présente pas la moindre trace d’influence chrétienne, il semble bien qu’elle ait été rédigée avant la conversion des Francs au christianisme. Le Grand Prologue dit formellement que la nation franque fit sa loi dum adhuc teneretur barbara. Il est vrai qu’il semble faire ici allusion à la rédaction germanique ; mais le manuscrit de Leyde se réfère à la rédaction de Clovis lorsqu’il écrit : Non est sacramentum in Francos ; quando illi legem composuerunt, non erant christiani.

On croit retrouver la rédaction de Clovis, dans le texte où la Loi salique se compose de soixante-cinq titres, dont le dernier est intitulé : De caballo excorticato. Ce texte est celui du manuscrit 4404 de la Bibliothèque de Paris, qui est donné pour le plus ancien dans les éditions de Pardessus, de Merkel et de Hessels. L’épilogue dit en termes formels que le roi des Francs, qu’il ne nomme pas et qui paraît être Clovis, ajouta trois titres à la loi, et que dès lors il y en eut soixante-huit. Le manuscrit de Leyde contient une notice disant que les quatre prud’hommes auteurs de la Loi salique se sont arrêtés au titre de mitio fristito ; or ce titre est, en effet, le soixante-sixième dans le manuscrit 4404 de Paris, qui contient le texte original de la première rédaction latine.

Il est difficile de marquer avec précision le moment du règne de Clovis où eut lieu la rédaction de la Loi salique ; toutefois, puisque d’une part elle paraît antérieure à sa conversion au christianisme, et que de l’autre le titre 47 indique la Loire et la Charbonnière comme limites des Francs qui se servent du texte latin, il semble bien qu’il faille placer la date de la rédaction entre 491 et 496.

La loi salique a été fréquemment éditée. Les divers textes de cet important monument législatif, y compris la Lex emendata de Charlemagne, ont été réunis par Pardessus, La loi salique, Paris, 1843, qui les a fait suivre de dissertations sur les principales questions qui s’y rapportent. A côté de ce remarquable ouvrage, qui n’a rien perdu de sa valeur, il faut placer l’édition synoptique de Hessels. Lex salica, the ten texts will the glosses and the lex emendata, with notes on the frankish words in the lex salica by H. Kern, Londres, 1880. Quant au texte primitif, il a été édité séparément par Waitz, Das alte Recht der salischen Franken, Kiel, 1846 ; par Merkel, Berlin, 1850 ; par J.-F. Behrend, Berlin, 1874. Une seconde édition du travail de J.-F. Behrend a été publiée en 1897 à Weimar, par son fils, R. Behrend.

 

§ IV. — LETTRES.

1. LETTRE DE CLOVIS AUX ÉVÊQUES DE SON ROYAUME.

(Sirmond, Concilia Galliœ, t. I, Paris, 1629, p. 176. — Dom Bouquet, IV, p. 54. — M. G. H., Boretius, Capitularia Regum francorum, t. I, Hanovre, 1883, p. 1.)

Cette lettre, seul document authentique émané de Clovis qui soit arrivé jusqu’à nous, se trouve déjà dans des manuscrits du sixième et du septième siècle, en tête des canons du concile d’Orléans, en 511, et pour cette raison on s’est persuadé qu’elle était adressée aux Pères de ce concile. Cependant rien dans son texte ne permet de le croire, et tout prouve qu’elle a la valeur d’une circulaire royale adressée à l’épiscopat franc peu après la guerre d’Aquitaine, en vue de favoriser l’œuvre de réparation de l’Église. C’est l’opinion de Sirmond, o. c., et aussi de Maassen, M. G. H., Concilia, qui n’admet pas la lettre dans son recueil. Boretius ne veut pas se prononcer.

2. LETTRES DE SAINT REMI A CLOVIS.

Il y en a deux. (Dom Bouquet, IV, p. 51. — M. G. H., Epistolœ merovingici et karolini ævi, t. II, pp. 112 et 113.) La première fut écrite peu après 481, pour féliciter Clovis de son avènement au trône.

La seconde est une lettre de condoléance au sujet de la mort d’Alboflède, sœur de Clovis, o. c. Elle a été connue de Grégoire de Tours, qui en cite un fragment. (Hist. Franc., II, 31.)

3. LETTRES DE THÉODORIC LE GRAND A CLOVIS.

(M. G. H., Cassiodori senatoris Variæ, éd. Mommsen, Auctores Antiquissimi, t. XII, Berlin, 1894. — Dom Bouquet, IV, p. 2 et 4.)

Elles sont au nombre de deux. La première (Cassiodore, Variar., II, 41) a pour but de détourner Clovis de poursuivre davantage les Alamans vaincus. Comme il est aujourd’hui établi qu’aucune des lettres de Cassiodore n’a été écrite avant 501 (Usener, Anecdoton Holderi, p. 70), celle qui nous occupe est de beaucoup postérieure à la date traditionnelle de la bataille de Clovis contre les Alamans. Comme, d’autre part, cette lettre semble se rapporter à des événements récents, les uns ont imaginé, comme Vogel (Historische Zeitschrift, t. LVI), de contester la chronologie de Grégoire de Tours, qui place la bataille contre les Alamans dans la quinzième année du règne de Clovis (496), et de la faire descendre entre les années 501 et 507, ce qui bouleverserait toute la suite des événements, même les mieux datés. Les autres ont préféré supposer que la guerre des Francs contre les Alamans se partage en plusieurs luttes, dont la première serait marquée par la bataille de 496, et dont les autres auraient eu lieu les années suivantes. (Schubert, Die Unterwerfung der Alamannen unter die Franken, Strasbourg, 1884, Mommsen, préface de son édition des Variarum de Cassiodore, pp. XXXIX et suivantes.) Je me suis rangé à cet avis.

La seconde lettre de Théodoric à Clovis (Cassiodore, Variar., III, 4) est écrite pour l’empêcher de faire la guerre à Marie, roi des Visigoths. On ne peut la séparer des lettres 1, 2 et 3 du même livre IV, adressées dans le même but à Alaric, à Gondebaud et aux autres rois germaniques, et qui ont été analysées dans le texte de ce livre.

4. LETTRE DE SAINT AVITUS DE VIENNE A CLOVIS.

(Sirmond, Sancti Avili Viennensis archiepiscopi opera, Paris, 1643, II° 41. — Dom Bouquet, IV, p. 49. — Peiper, M. G. H., Alcimi Ecdicii Aviti Viennensis episcopi opera quæ supersunt, Berlin, 1883, ne 46. — Chevalier, Œuvres complètes de saint Avit, évêque de Vienne, Lyon, 1890, n° 38.)

Cette lettre fut écrite peu de temps après le baptême de Clovis, dans le commencement de 497. Elle a longtemps prêté à des malentendus, parce que, par suite d’une méprise du copiste, on y avait rattaché la fin d’une lettre écrite au nom de Gondebaud à l’empereur d’Orient. Pétigny (II, 433) est le premier qui se soit aperçu de l’erreur commise et qui ait prouvé qu’il faut séparer les deux documents, et sa conjecture a été admise par Peiper et par M. l’abbé Chevalier, dans leurs éditions respectives des œuvres de saint Avitus, ainsi que par M. Krusch, N. A., XII (1887), p. 296. Les protestations de Jahn (Geschichte der Burgundionen und Burgundiens, t. II, p. 136, note 2), de Vogel (Historische Zeitschrift, t. LVI, p. 392) et d’Arnold (Cæsarius von Arelate, p. 203, note 652) contre une correction si heureuse doivent être tenues pour non avenues.

5. LETTRE DES PÈRES DU CONCILE D’ORLÉANS A CLOVIS (511).

Se trouve en tête des actes de ce concile ; voir les éditions ci-dessus mentionnées de Sirmond et de Maassen.

 

§ V. — DIPLOMES DE CLOVIS.

Nous possédons en tout six diplômes attribués à Clovis, ou huit si l’on tient compte des diverses rédactions. Ce sont :

1. et 2.

Diplômes pour

Saint-Mesmin de Micy.

3.

— —

Saint-Jean de Réomé.

4.

— —

Saint-Pierre-le-Vif de Sens

5.

— —

Sainte Marie de Bethléem en Gâtinais.

6.

— —

Saint-Hilaire de Poitiers.

On trouvera la bibliographie relative à ces documents dans Pardessus, Diplomata, Chartæ, Epistolæ, Leges, etc., Paris, 1843, t. I, et dans K. Pertz, M. G. H., Diplomatum imperii tomus I, Hanovre, 1872. Pour les travaux les plus récents, voir dans le texte du chapitre XII les passages relatifs aux diverses fondations en particulier. Il est à noter qu’aucun diplôme de Clovis n’est authentique, et que tout l’ensemble aurait dû figurer sous la rubrique qui suit, si quelques-uns ne pouvaient être considérés comme étant le remaniement moderne d’un original disparu.

 

§ VI. — DOCUMENTS APOCRYPHES.

Nous ne mentionnerons pas ici les documents apocryphes qui sont depuis longtemps reconnus comme tels, par exemple le faux Hunibald de Tritheim et autres ; il serait oiseux de faire l’énumération de ces pièces, qui ne trompent plus personne. Il y a plus d’utilité à marquer que dans les derniers temps une nouvelle officine de falsifications a été découverte, et que toutes les pièces sorties de cette fabrique doivent être tenues pour apocryphes. Le faussaire n’est autre que le savant Jérôme Vignier, et parmi les documents fabriqués par lui nous avons à noter ici :

1. La rédaction la plus courte du diplôme de Clovis pour Saint Mesmin de Micy. C’était le seul diplôme de ce roi dont l’authenticité fût admise par les critiques, et notamment par les derniers éditeurs, Pardessus et Pertz.

2. Le Collatio episcoporum, c’est-à-dire le document relatif à une conférence d’évêques tenue à. Lyon entre évêques catholiques et ariens, en présence du roi Gondebaud.

3. La lettre du pape Anastase II à Clovis. Bien que ne portant aucun caractère interne de supposition (elle est d’ailleurs trop courte pour offrir beaucoup de prise à la critique), cette lettre doit être tenue pour suspecte à cause de sa provenance.

Le mérite d’avoir dénoncé l’officine de Jérôme Viguier et d’avoir exclu par là de la littérature historique un bon nombre de pièces fausses appartient à Julien Havet, dans ses Questions mérovingiennes. (Bibliothèque de l’École des Chartes, t. XLVI, 1885, et Œuvres de Julien Havet, Paris, 1896, t. I).

 

 

 



[1] Les dates marquées entre parenthèses à la suite des noms des saints sont celles de leur fête ; on les trouve sous ces dates dans le recueil des Bollandistes ; S. R. M. désigne le recueil des Scriptores Rerum Merovingicarum, éd. B. Krusch, qui contient aux tomes II et III un bon nombre de vies de saints du sixième siècle.

[2] Dans la première édition de ce livre, p. 600, j’avais cru pouvoir conclure de ce silence à l’endroit de son prédécesseur que M. Krusch ignorait le travail de Wallin. Depuis lors, M. Krusch a protesté contre cette hypothèse (S. R. M., t. III, p. 686) : il n’a pas ignoré l’écrit en question, dit-il, mais ad rem ea fere nihil facit, cum auctor doctissimus Carpentarii usus editione recensionem falsam esse demonstraverit. Cette raison me parait étrange ; quelle qu’ait été l’opinion de Wallin, trompé comme, du Molinet et du Moulinet sur le texte original de la Vie, il est certain que ce n’est pas à une recension de celle-ci, mais à la vie elle-même qu’il s’est attaqué, et cela avec des arguments que M. Krusch n’a pas dédaigné de lui emprunter tacitement.

[3] Je serais reconnaissant à M. Krusch de ne pas me dénoncer outre-Rhin comme un ennemi de la science allemande parce que je lui donne, comme à d’autres de ses compatriotes, le double qualificatif de savant allemand, ainsi qu’il l’a fait dans le Neues Archiv, t. XX, p, 511. Tous ses amis français lui diront que l’emploi d’une pareille expression n’implique nullement les noires intentions qu’il m’a attribuées.

[4] M. Krusch S. R. M., III, p. 210, croit que Hincmar a connu Grégoire de Tours et Frédégaire, mais reconnaît qu’il les a peu utilisés : Neque vero ex ipsis deprompsit nisi pauca verba. Et il cite Grégoire, H. F., II, 27 et 31, et Frédégaire, II, 58, III, 16, 21 dont on retrouverait trace dans le Vita Remigii, c. 11, 15, 14. Je ne puis me le persuader. En ce qui concerne Grégoire, les deux passages où la coïncidence verbale du Vita Remigii est un peu plus grande avec Grégoire qu’avec sa source ordinaire, qui est le Liber Historiæ, ils prouvent peut-être que Hincmar avait sous les yeux une meilleure recension de ce dernier ouvrage que celle que nous avons conservée. Quant à Frédégaire, que Hincmar suit pour le nom de l’évêque qui est le héros du vase de Soissons, et aussi pour la date du baptême de Clovis, qu’il place à Pâques et non à Noé comme Grégoire, le doute serait plus plausible ; cependant il n’est pas prouvé que Hincmar n’ait pas trouvé ce double renseignement ailleurs, et que le premier, notamment, ne lui avait pu être fourni par des écrits de sa propre église. Par contre, si Hincmar avait connu Grégoire, ne lui aurait-il pas emprunté sa comparaison de saint Remi avec saint Silvestre, si flatteuse pour son héros, et n’aurait-il pas reproduit, d’après lui, la lettre du saint à Clovis, pour le consoler de la mort de sa sœur ?

[5] C’est l’idée qui est à la base des traditions, et lorsque celles-ci disent que les auteurs de la loi la firent outre-Rhin, elles se trompent sans doute au point de vue géographique, mais elles ne font qu’accentuer l’origine toute germanique de la loi.