CLOVIS

LIVRE QUATRIÈME.

VIII. — DERNIERS JOURS ET MORT DE CLOVIS.

 

 

Les dernières années de Clovis s’écoulèrent à Paris, où, selon l’expression de son historien, il avait fixé le siège de son royaume[1]. C’est là que nous le trouvons au retour de la guerre d’Aquitaine, et que son fils, Thierry, vint le rejoindre après son infructueuse campagne de Provence[2].

Séduit, comme l’avait été avant lui Julien l’Apostat, par les charmes de ce séjour, Clovis légua à ses enfants sa prédilection pour Lutèce.

Avec son beau fleuve, son air salubre, son ciel d’une rare douceur, son sol fécond, ses collines aux flancs couverts de vignobles et au sommet ombragé de forêts, sa population industrieuse et dès lors enrichie par le trafic, son île qui s’épanouissait au milieu de la Seine comme un superbe joyau, Paris était le séjour le plus délicieux de la Gaule[3]. Ses environs, où la Seine se déroule avec des courbes harmonieuses au milieu d’un paysage riche et pittoresque, n’avaient pas une moindre attraction pour un barbare passionné, comme tous les Mérovingiens, pour la vie des champs. Plus d’une des nombreuses résidences royales que les rois Francs possédèrent dans cette région, telles que Clichy, Épineuil, Chelles, Rueuil, Bonneuil et d’autres encore furent peut-être inaugurées par le vainqueur d’Alaric lui-même[4].

Selon toute probabilité, Clovis demeurait à Paris dans le palais de Constance Chlore, situé sur la rive gauche de la Seine, en face de l’île de la Cité, et le long de la chaussée romaine de Paris à Orléans[5]. Ce grandiose édifice, dont les ruines massives et sombres évoquent si puissamment les austères souvenirs du passé au milieu du jeune et bruyant quartier Saint-Michel, avait échappé aux destructions des Huns, et le roi barbare s’y trouvait de plein droit le successeur des empereurs. Les jardins du palais, bornés des deux côtés longs par l’emplacement des rues Bonaparte et Saint-Jacques, s’étendaient vers le nord jusqu’au fleuve, pleins de vieux arbres contemporains de Camulogène. C’est sur leur immense superficie que Childebert put découper plus tard, à l’ouest, le domaine qu’il assigna à sa nouvelle église Saint-Vincent, mieux connue de la postérité sous le nom de Saint-Germain-des-Prés. Installé au large dans la superbe résidence impériale, toujours somptueuse bien qu’un peu délabrée, le roi des Francs y coulait, pendant les rares intervalles de ses guerres, des  heures d’un rapide repos au milieu de la jeune famille qui croissait à ses côtés.

Des fenêtres du palais royal, qui regardait le soleil levant, un calme et doux spectacle s’offrait aux yeux. L’opulente vallée s’y étalait avec délices dans la fraîcheur de sa verdure et sous la sérénité de son ciel, qui permettait, au dire d’un de ses plus fervents admirateurs, d’y élever des figuiers en plein air. Coupant à angle presque droit la route d’Orléans vis-à-vis du palais, mais tournant ensuite brusquement au sud-est, la chaussée de Sens gravissait à travers des vignobles et des jardins les pentes adoucies des riantes collines qui ferment au midi le bassin de la Seine, et venait atteindre au sommet un large plateau qui dominait toute la vallée. Ce plateau portait le même nom que la ville, peut-être parce qu’il lui avait donné le sien : c’était le mons Lucotecius, ou, comme nous dirions, le mont Lutèce. Là se trouvait le plus grand et le plus ancien cimetière de Paris. Comme si la cité avait dû revêtir, dès cette époque, le caractère cosmopolite qui la distingue aujourd’hui, on y voyait, alignés le long de la chaussée ou espacés des deux côtés dans les champs, des tombeaux qui emmenaient la pensée aux extrémités les plus opposées du monde ancien. Les inscriptions y parlaient les deux langues de la civilisation, et le voyageur s’acheminait à travers des avenues funéraires qui faisaient passer tour à tour sous ses yeux les monuments du paganisme romain, les édicules étranges de Mithra, et les chastes et sobres emblèmes de la foi chrétienne. Là dormait, au milieu de plusieurs de ses successeurs, l’évêque de Paris, saint Prudence, et l’on veut que les chrétiens des premiers âges y aient possédé une catacombe où ils célébraient les sacrés mystères, et qui s’élevait sur les ruines d’un ancien sanctuaire de Diane, la déesse des forêts[6].

Plus d’une fois, le regard de Clovis et de Clotilde s’était arrêté sur ce tranquille horizon, des hauteurs duquel semblait descendre jusqu’à eux, à travers le murmure des verdoyants ombrages, la solennelle invitation de la mort. L’idée leur sourit d’y répondre en préparant là-haut la place de leur dernière demeure, à l’abri d’un sanctuaire qui serait le monument durable de leur foi commune, et qui dresserait au-dessus de toute la vallée le signe glorieux de la résurrection. Toujours le souvenir de Clotilde a été associé à celui de Clovis dans l’histoire de cet édifice sacré[7] ; il n’est guère douteux qu’elle en ait suggéré la première idée au roi. Un chroniqueur parisien du huitième siècle, dont les souvenirs locaux ont souvent une grande valeur historique, attribue formellement cette initiative à Clotilde. Il est vrai que, d’après lui, c’était dans la pensée du couple royal une église votive, qui devait être bâtie si le roi revenait victorieux de la guerre d’Aquitaine[8]. Ce qui est certain, c’est que la construction n’en fut commencée que dans les dernières années, puisqu’elle n’était pas achevée lorsque Clovis mourut.

Le roi voulut inaugurer les travaux avec toute la solennité du rite germanique, si nouveau et si curieux, dans son formalisme barbare, pour la population romaine de Paris. Aussi en a-t-elle gardé le souvenir comme d’une chose qui se voit rarement, et son chroniqueur a-t-il cru devoir transmettre à la postérité le récit de l’étrange cérémonie. Debout et en armes sur le terrain qu’il se proposait d’attribuer à la nouvelle église, Clovis, de toute la force de son bras, lança droit devant lui sa hache d’armes, cette francisque dont le tranchant avait fendu plus d’un crâne ennemi[9]. Par cet acte symbolique, il indiquait qu’il entendait prendre possession du sol à la façon du guerrier victorieux, ou encore du dieu Thor lui-même quand, lançant le redoutable marteau de sa foudre sur la terre, il s’emparait à jamais du domaine qu’avaient touché ses traits enflammés.

Bientôt l’église surgit du sol, appuyée sur une crypte qui devait recevoir les sépultures royales, et offrant aux regards l’aspect des primitives basiliques. Elle pouvait avoir, nous dit un historien, deux cents pieds de long sur cinquante à soixante de large[10]. L’intérieur en était non voûté, mais lambrissé à la manière antique ; de riches mosaïques ainsi que des peintures murales en animaient les parois. On y avait accès, du côté occidental, par un triple portique orné, comme l’intérieur, de mosaïques et de peintures représentant des scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament[11]. A côté de l’église s’élevèrent de spacieux bâtiments conventuels pour la demeure des chanoines réguliers qui devaient la desservir. Un vaste territoire, longeant les jardins du palais et allant d’un côté jusqu’à la Seine et de l’autre jusqu’à la Bièvre, forma la seconde enceinte de cette fondation vraiment royale. La plus grande partie en était occupée par des closeries et des vignobles à travers lesquels circulaient d’ombreux sentiers de noyers et d’amandiers chantés au douzième siècle, en vers agréables, par le poète Jean de Haute-feuille. Le douaire assigné au monastère était considérable : il comprenait Nanterre, Rosny, Vanves, Fossigny, Choisy, et la terre connue sous le nom de fief de Sainte-Clotilde[12].

Clovis ne vécut pas assez longtemps pour voir l’achèvement de cette fondation grandiose ; c’est Clotilde qui la mit sous toit et qui en termina les dépendances[13]. Il paraîtrait toutefois, si l’on en croit le chroniqueur parisien auquel nous avons déjà fait des emprunts, que le roi put encore assister à la consécration de l’église. Cet écrivain ajoute que Clovis pria le pape de lui envoyer des reliques des saints Pierre et Paul, parce qu’il voulait en faire les patrons du nouveau sanctuaire, et qu’à cette occasion il fit tenir au souverain pontife de riches cadeaux[14]. C’est probablement alors aussi qu’il lui envoya une superbe couronne d’or, garnie de pierres précieuses, qu’on appelait le Règne[15]. Plusieurs historiens du moyen âge ont parlé de cette couronne qui mérite une mention ici, puisqu’elle fut le premier hommage de la royauté très chrétienne à l’Église universelle.

Pendant que l’on poussait activement les travaux, le roi était emporté par une mort précoce à l’âge de quarante-cinq ans, le 27 novembre 511[16]. Succomba-t-il aux fatigues de ses campagnes ou aux vices d’une constitution minée par quelque mal héréditaire ? On ne saurait le dire, mais les courtes destinées de la plupart de ses successeurs confirment une supposition que nous avons déjà faite au sujet de ses ancêtres, et rendent plus vraisemblable la dernière alternative. Son corps, enfermé dans un sarcophage de pierre de forme trapézoïde, et dont des croix étaient tout l’ornement, fut déposé dans la crypte vierge encore de la colline de Lutèce. Il disparaissait de la scène du monde au moment où il semblait qu’il allât goûter en paix les fruits de ses grands travaux, et consolider, comme chef d’État, ce qu’il avait fondé comme guerrier. La Providence, après l’avoir employé pendant trente ans à la création d’une œuvre prédestinée, ne lui avait laissé que le temps de préparer son tombeau.

Le moment est venu de porter un jugement d’ensemble sur cette puissante personnalité.

Le fondateur de la monarchie franque n’est pas un de ces génies transcendants comme Charlemagne, qui créent les événements par la seule force de leur volonté souveraine, et qui laissent leur empreinte indélébile sur toutes les choses auxquelles ils touchent. C’est une nature hardie et énergique de conquérant, qui regarde les destinées en face, et qui, sans trembler devant elles, va à leur rencontre l’épée à la main. Il ne se préoccupe pas d’étudier la signification prophétique des choses que l’histoire déroule devant lui ; il lui suffit de voir, d’un coup d’œil ferme et juste, la place qu’il y peut prendre, et il se la fait large et belle. Son ambition n’est pas insatiable ; il a une idée bien nette de la limite de ce qui lui est possible, et il ne la franchit point, quoi qu’il lui en puisse coûter. A deux reprises, il évite prudemment d’en venir aux mains avec le seul rival qui fût digne de lui ; Théodoric put le gourmander après sa victoire sur les Alamans, il put même arrêter dans le sud-est le cours de ses victoires sans le décider à prendre les armes. Il faut savoir gré au conquérant franc de cette modération, n’eût-elle même sa source que dans un calcul. En politique, c’est une vertu encore pour l’homme d’État d’obéir à la voix de son intérêt plutôt qu’aux chimères de l’imagination. A la force et à la prudence, nous le voyons joindre l’adresse. Il ne fait pas une entreprise sans se procurer des alliés, et ceux-ci il les trouve, non seulement parmi les princes de sa famille, mais encore parmi ses ennemis d’hier, à preuve l’arien Gondebaud, dont il obtient l’alliance dans sa campagne contre les Visigoths ariens. Il n’est pas moins avisé dans ses relations avec Byzance : il accepte les honneurs qui lui sont offerts par l’empereur, il sait en faire état aux yeux des populations gallo-romaines, mais il ne donne rien en échange, et toute la finesse de la diplomatie impériale est tenue en échec par sa tranquille réserve. Eut-il un idéal de gouvernement, et cet idéal, quel fut-il ? L’histoire n’a point pris la peine de nous le dire, et nous ne le saurons peut-être jamais. C’est pour cette raison sans doute qu’on a cru pouvoir lui préférer Théodoric, dont la correspondance officielle parle souvent un si magnifique langage. Mais cette supériorité n’est qu’apparente. Si c’était le roi franc qui eût eu à sa disposition la plume de Cassiodore, nul doute qu’on n’admirât le civilisateur dans Clovis, et que dans Théodoric on ne vit que l’assassin d’Odoacre, le meurtrier de Boèce et de Symmaque. De tout temps l’histoire s’est laissé faire illusion par les lettres. Et le plus grand malheur, aux yeux de la postérité, pour des créateurs d’État comme Clovis, c’est de n’avoir pas eu à leur service une plume éloquente : carent quia vate sacro.

S’il s’agit d’apprécier l’homme après le souverain, nous connaissons trop mal Clovis pour porter sur sa personne un jugement complet et motivé. L’histoire ne nous a conservé de lui que le souvenir de quelques faits d’armes ; elle ignore tout le reste, elle ne sait rien de sa vie privée. Cette lacune a été comblée par l’épopée, qui a enlaidi sa physionomie en la dessinant d’après un idéal barbare, et qui a mis un type de convention à la place du héros historique. Enfin, les mœurs atroces des rois mérovingiens qui sont venus par la suite ont jeté leur ombre sinistre en arrière sur la grande mémoire du fondateur du royaume. Si bien que, l’histoire se taisant et l’imagination ayant seule la parole, le Clovis qu’on nous a montré est toujours le barbare d’avant le baptême. On ne voit pas en quoi il est converti, on ne sait pas à quoi lui sert d’avoir été baptisé.

Pour retrouver la figure véritable du fondateur de la France, il faut donc effacer de sa physionomie tous les traits dont là poésie populaire l’a chargée à son insu. Ce travail, nous l’avons fait, et nous avons lieu de croire qu’il est définitif. Il faut ensuite se prémunir contre les suggestions fallacieuses de l’analogie. Invoquer la barbarie des petits-fils pour faire croire à celle de l’aïeul, sous prétexte que toutes les barbaries se ressemblent, c’est une erreur. Le barbare converti, qui, touché de la grâce, est venu à Jésus-Christ par le libre mouvement de sa volonté, ne doit pas être comparé à celui qui a reçu le baptême dès l’enfance, mais qui ne réagit pas contre les influences d’un milieu encore saturé de mœurs païennes. Comme les convertis anglo-saxons, Ethelbert et Edwin, Clovis occupe un niveau religieux fort supérieur à celui de ses descendants. Les contemporains ne s’y sont pas trompés, à preuve le parallèle établi entre eux et lui par Grégoire de Tours, et que nous avons reproduit plus haut.

Et le poète inconnu qui a dépeint les visions prophétiques de la reine Basine ne porte pas un autre jugement. Pour lui, Clovis est le lion ; ses fils sont comparés à des rhinocéros et à des léopards ; ses petits-fils ne sont plus que des ours et des loups. Cette impression eût été celle de tous les historiens, s’ils n’avaient eu l’esprit prévenu par les légendes apocryphes. Non, il n’est pas permis d’attribuer uniformément le même degré de barbarie à tous les Francs. Les mœurs frénétiques des descendants de Clovis ne suffisent pas pour accuser celui-ci, non plus que les crimes d’une Frédégonde ne sont un argument contre la sainteté de Clotilde, de Radegonde et de Bathilde. Ces nobles et chastes figures qui passent, voilées et en prière, à travers un monde secoué par la fièvre de toutes les passions, sont la preuve de la fécondité du christianisme parmi les Francs, et protestent contre l’hypothèse d’une barbarie qui n’aurait pas connu d’exception.

Si nous nous en tenons, pour juger Clovis, au petit nombre des faits avérés qui composent l’histoire de son règne, il ne nous apparaîtra pas sous un jour défavorable. Sans doute, nous le voyons, avant sa conversion, frapper avec une vigueur cruelle un de ses guerriers qui l’a offensé, de même qu’après son baptême il tue de sa main le soldat qui a violé le ban du roi en pillant un homme de Saint-Martin ; mais il ne faut pas oublier qu’il usait d’un droit du pouvoir royal, et que si, dans le premier cas, il satisfait sa soif de vengeance, dans le second, en tuant un pillard, il préservait des milliers d’innocents. Toutes les guerres de cette époque étaient atroces ; mais les siennes furent relativement humaines, car ses édits protégèrent des contrées entières contre les déprédations de ses soldats, et, la lutte terminée, il aidait l’Église à fermer les plaies en lui fournissant des ressources pour racheter les prisonniers. Loin que nous trouvions chez lui des actes de véritable cruauté, nous le voyons au contraire user de clémence envers les Alamans vaincus, et renoncer à poursuivre son avantage sur Gondebaud. Converti à la foi catholique, il se montre tolérant envers ceux de sa nation qui sont restés païens ; il les reçoit souvent à sa table, et rien ne laisse croire qu’ils soient exclus de sa faveur. Dans ses relations domestiques, il est accessible aux sentiments affectueux : il pleure sa sœur Alboflède, il s’attache de tout cœur à sa femme Clotilde, et lui laisse prendre un grand et légitime ascendant sur sa vie. Malgré ses répugnances personnelles, il lui permet de faire baptiser ses deux enfants, et c’est en grande partie sous l’influence de Clotilde qu’il se convertit. Fidèle à ses devoirs, Clovis est, ce semble, un des rares princes de sa famille qui aient su respecter le lit conjugal. Ses mœurs sont pures ; on ne voit pas qu’il ait donné une rivale à Clotilde. Et le palais, transformé en harem après lui, a été de son vivant le sanctuaire d’une famille chrétienne.

Ajoutons, pour ne rien omettre du peu qu’il nous est donné de discerner, que le premier roi des Francs est resté un vrai Germain. Le baptême qui l’a enlevé à ses dieux n’a pas effacé en lui les traits de son origine. Chaque fois que sa personnalité se dégage assez des nuages de l’histoire pour frapper nos yeux, on reconnaît le fils des races épiques d’Outre-Rhin. Comme ses ancêtres, comme son père Childéric, dans le tombeau duquel on retrouva sa francisque, il reste fidèle à la vieille hache de guerre des Istévons ; c’est elle qu’il abat sur la tête des soldats indisciplinés et des rois ennemis ; c’est elle encore qui, lancée d’un bras puissant, vole de ses mains pour aller frapper le sol dont il prend possession, par un rôle marqué au coin de la plus pure liturgie barbare. Il conserve pieusement, pour les transmettre à ses fils et à ses descendants, les traditions de la dynastie. Même alors qu’il est devenu le collègue honoraire des empereurs, et qu’il a revêtu la chlamyde de pourpre et le diadème d’or, il garde intacte la royale crinière qui ondule sur ses épaules, et qui restera jusqu’au dernier jour le signe distinctif de tous les princes de sa famille. Et n’est-ce pas à lui encore qu’il faut faire remonter cette autre tradition domestique des Mérovingiens, qui ne permet pas à un seul prénom romain d’altérer l’aspect fièrement barbare de leur arbre généalogique ?

Voilà les seuls traits que les brouillards de l’histoire nous permettent d’entrevoir dans la physionomie du premier roi chrétien des Francs. Ils sont bien loin de s’accorder avec l’image que nous ont tracée de lui les chants populaires des barbares. Aussi la nation française n’a-t-elle jamais connu ce Clovis païen et sanguinaire. Son Clovis à elle, e’a été, dès le temps de Grégoire de Tours, le roi catholique, protecteur-né de tous les chrétiens opprimés, épée victorieuse au service de l’Église et de la civilisation. Dieu prosternait devant lui tous ses ennemis, dit le chroniqueur, et ne cessait d’augmenter son royaume, parce qu’il marchait le cœur droit devant lui et qu’il faisait ce qui lui était agréable[17].

Il était pour le peuple le type anticipé de Charlemagne, dans lequel sa physionomie poétique est souvent allée se fondre, et la nation ne se l’est jamais représenté autrement que comme celui qui a réalisé le programme de saint Remi et de saint Avitus, en étendant le royaume de Dieu. Quoi d’étonnant si l’on a voulu parfois le faire participer au culte rendu à la mémoire de Charlemagne, et s’il a été l’objet, à son tour, d’une espèce de canonisation populaire ? On nous dit qu’au moyen âge plusieurs églises lui étaient dédiées comme à un saint, et le chroniqueur Aymeri de Peyrac ne craint pas de l’invoquer sous ce titre[18]. Au dix-septième siècle, plusieurs écrivains allèrent jusqu’à soutenir la thèse de sa sainteté avec des arguments empruntés à l’histoire, et l’un d’eux, soit par enthousiasme sincère, soit par esprit d’adulation, proposa même formellement à Louis XIII de faire célébrer dans tout son royaume le culte et la fête de saint Louys I, de même que Philippe le Bel y avait fait célébrer le culte et la fête de Louys IX[19].

L’histoire ne fait de Clovis ni un barbare sanguinaire avec les Francs du sixième siècle, ni un saint avec les Français du quatorzième et du dix-septième. Écartant l’image stylisée que lui présentent les uns et les autres, et constatant qu’elle ne dispose pas d’assez de renseignements pour tracer de lui un véritable portrait, elle doit s’abstenir de porter sur lui un jugement formel et absolu. Elle peut cependant reconnaître, dans le peu qu’elle sait de sa carrière, de sérieux indices d’une vie morale épurée par l’Évangile, et elle doit protester contre ceux qui le flétrissent comme un barbare brutal, pour qui le baptême aurait été une formalité inefficace. Si l’on veut absolument qu’il ait été un barbare, il ne faudra pas omettre de dire que ce fut un barbare converti. C’est précisément la rencontre, dans le même homme, du naturel indompté et de la grâce civilisatrice qui semble avoir été le trait caractéristique de sa physionomie. Sachons la respecter dans la pénombre où elle disparaît à nos regards, et, jugeant ce grand ouvrier de Dieu d’après son œuvre, reconnaissons que ni l’Église ni la France n’ont à rougir de lui.

Clovis laissait une famille jeune encore, mais en état de lui succéder d’emblée, tous ses enfants masculins ayant atteint l’âge de la majorité salique. Son fils aîné, Théodoric ou Thierry, né d’une première union, avait déjà fait une campagne, et était arrivé au moins à la vingtième année. Des trois fils de Clotilde, Clodomir, l’aîné, pouvait avoir seize ans ; les deux autres, Childebert et Clotaire, les suivaient de près. A côté de ces princes grandissait une fille qui portait, comme sa mère, le nom de Clotilde, et qui était encore enfant lorsque son père mourut[20]. L’héritage paternel fut morcelé en quatre parts, dont la plus considérable sans contredit fut celle de Thierry Ier. Outre l’Austrasie, on lui attribua encore les provinces dont il avait lui-même fait la conquête pendant la guerre de 507, c’est-à-dire l’Auvergne avec le Velay, le Gévaudan, le Rouergue et le Quercy. Les héritiers du glorieux fondateur de la France eurent son énergie et ses qualités guerrières : ils continuèrent son œuvre, conquirent la Bourgogne, achevèrent la soumission de l’Aquitaine, domptèrent la Thuringe et humilièrent la Saxe. Ils comprirent aussi l’influence sociale du christianisme, et, les premiers, ils firent passer dans les lois civiles quelques-unes des principales prescriptions de la loi canonique. Si l’on ne connaissait leur vie privée, ils auraient des titres au respect de la postérité. Mais leurs tempéraments étaient d’une frénésie et d’une brutalité qui les ramenaient bien au delà de Clovis, dans les âges les plus sombres de la barbarie primitive.

Clotilde cependant vieillissait dans l’espèce d’isolement moral qui lui faisait sa supériorité sur son milieu. Sa vie, à partir de son veuvage, fut plus que jamais une suite de bonnes œuvres. Elle se faisait vénérer de tous, écrit un contemporain. L’aumône remplissait ses journées, et elle passait la nuit à veiller et à prier. Ses largesses ne cessèrent de se répandre sur les monastères et sur les lieux saints. La chasteté, la dignité la plus parfaite furent la marque de toute sa vie. Insensible aux vaines préoccupations du siècle, cette femme qui avait pour fils des rois était un modèle d’humilité. Ce n’était pas une reine, c’était, à la lettre, une fidèle et consciencieuse servante de Dieu[21].

Nombreuses sont les églises qui se vantent de l’avoir eue pour fondatrice. On cite parmi les plus célèbres Saint-Georges de Chelles, où elle mit une petite congrégation de religieuses qui fut plus tard augmentée par la reine Bathilde, et qui devint une des perles monastiques de la France, A Laon et à Tours, elle éleva des monastères qu’elle consacra, comme celui de Paris, au prince des apôtres. A Reims et à Rouen, elle répara et agrandit des églises qui avaient le même saint pour patron. A Andély, elle bâtit un couvent qu’elle plaça sous l’invocation de la sainte Vierge[22]. A Auxerre, elle éleva une superbe basilique sur le tombeau de saint Germain[23]. La dévotion particulière qu’elle avait toujours eue pour saint Martin de Tours l’attira de bonne heure près du tombeau de ce saint : elle finit même par s’y établir définitivement[24], et les Tourangeaux virent avec édification la veuve du plus grand roi du siècle mener, à l’ombre de leur basilique, la vie humble et retirée d’une religieuse. Il ne lui fut pas donné d’y vivre entièrement absorbée en Dieu, et de se dérober, comme Radegonde et Bathilde, à un monde qui n’était pas digne d’elle : il lui fallut traîner jusqu’au dernier jour le fardeau de sa grandeur royale et les soucis d’une maternité cruellement éprouvée. Cette barbarie à laquelle elle avait arraché son époux, elle la voyait, indomptée et farouche, envahir sa famille et s’épanouir dans le naturel des siens. Pendant qu’elle prenait son essor vers le ciel, ses enfants la ramenaient malgré elle dans l’enfer de leurs passions. Plus d’une fois, son cœur de mère et de chrétienne saigna cruellement à la vue des excès auxquels se livraient ces natures violentes et implacables. Elle vit son cousin, le roi Sigismond de Bourgogne, ramené en captivité par son fils Clodomir ; elle le vit massacrer avec ses enfants, et leurs cadavres jetés au fond d’un puits[25]. Ses larmes coulèrent plus amères encore lorsque la seconde expédition que ses fils conduisirent en Burgondie revint de ce pays sans Clodomir. Frappé par la main vengeresse de Dieu, le cruel était tombé sans gloire au milieu des ennemis, et sa tête, reconnaissable à sa longue chevelure royale, avait été promenée sur une pique à la vue de l’armée franque désespérée[26]. Il laissait trois fils en bas âge : Théodebald, Gunther et Clodoald. Leur grand’mère les recueillit, pendant que leurs oncles fondaient sur l’héritage du père et le dépeçaient entre eux.

De nouvelles épreuves étaient réservées à la noble femme par la triste destinée de sa fille Clotilde. Cette princesse avait été donnée en mariage par ses frères au roi des Visigoths Amalaric, qui, se souvenant peut-être du système d’alliances politiques pratiqué par son grand-père, le roi d’Italie, avait jugé utile de devenir le parent de ses puissants voisins[27]. Mais son mariage avec Clotilde était une de ces unions contre nature, que la nature elle-même se charge de défaire. La princesse catholique devint bientôt un objet d’aversion pour son époux arien ; la fille de Clovis ne pouvait inspirer que des sentiments de haine au fils d’Alaric. Les passions du sectaire et les ressentiments du fils se liguèrent contre la jeune reine, que le roi son mari accablait des plus indignes traitements, lui faisant même jeter de la boue et des immondices lorsqu’elle allait à l’église catholique. En 531, Childebert, étant en Auvergne, reçut un messager qui lui remit de la part de sa sœur un mouchoir trempé du sang qu’elle avait versé sous les coups de son mari. Saisi de douleur et d’indignation, Childebert se mit à la tête de son armée et alla fondre sur la Septimanie. Amalaric fut vaincu dans une grande bataille livrée près de Narbonne, et, peu de temps après, il périt sous les coups des Francs à Barcelone, en essayant de gagner sa flotte. Le roi de Paris rentra victorieux en France avec sa sœur délivrée. Mais l’infortunée avait été brisée par tant de cruelles émotions ; elle expira en route, âgée de trente ans à peine, et son frère ne rapporta que son cadavre à Paris. La crypte de Clovis devint la dernière demeure de cette triste victime des mariages politiques[28]. Mais la France devait plus tard venger cruellement sur Brunehaut les griefs de Clotilde.

Toute la tendresse de la mère éplorée se reporta sur ses petits-fils, lès orphelins de Clodomir. Ils étaient le lien qui rattachait à la vie cette âme sur laquelle l’infortune semblait s’acharner ; ils furent, sans le savoir, la cause de ses suprêmes douleurs. Son fils Childebert s’émut de l’affection dont elle les entourait. Prévoyant que, quand ils auraient grandi, elle voudrait les faire couronner, et qu’alors leurs oncles seraient mis en demeure de leur restituer leur royaume, il s’aboucha avec Clotaire, qu’il manda à Paris. Là, il y eut entre les deux frères un colloque sinistre dans lequel fut décidée la mort des malheureux enfants.

Pendant ce temps, ils faisaient courir la rumeur que leur entrevue avait pour but d’élever leurs neveux sur le trône. Puis, ne craignant pas de se jouer de leur mère, ils lui mandèrent de leur remettre ses petits-fils, parce qu’ils avaient l’intention de les faire proclamer rois. Clotilde, remplie d’allégresse, fit venir les enfants, leur donna à boire et à manger, puis se sépara d’eux en leur disant :

Il me semblera que je n’ai pas perdu mon fils, lorsque je vous verrai prendre sa place.

Les enfants partirent joyeux : ils allaient à la mort. A peine arrivés au palais de Childebert, qui se trouvait dans la Cité, ils furent brutalement séquestrés et séparés de leur suite. Peu de temps après, Clotilde voyait arriver chez elle un grand seigneur clermontois attaché à la personne du roi de Paris ; c’était Arcadius, petit-fils de Sidoine Apollinaire et arrière-petit-fils de l’empereur Avitus. Ce fier patricien, transformé en valet de bourreau, portait d’une main des ciseaux et de l’autre une épée nue.

Je suis chargé par les rois, dit-il à Clotilde, de vous demander ce qu’il faut faire de vos petits-enfants : les tondre ou les mettre à mort ?

Folle de douleur et d’épouvante, et ne sachant ce qu’elle disait, la malheureuse femme laissa échapper dans son délire ces paroles irréfléchies :

J’aime mieux les voir morts que tondus.

Arcadius ne lui laissa pas le temps de reprendre ce propos ; il courut dire aux deux rois que Clotilde consentait à la mort de ses petits-fils. Alors se passa dans le palais de Childebert une des scènes les plus déchirantes dont l’histoire ait gardé le souvenir. Les malheureux enfants de Clodomir, à l’expression de physionomie de leurs oncles, aux armes qu’ils brandissaient, devinent le sort dont ils sont menacés ; ils courent à travers la chambre pour échapper aux royaux assassins, mais Clotaire, empoignant l’aîné par le bras, lui plonge le couteau dans le flanc. Pendant que l’enfant agonise, son cadet se jette aux genoux de Childebert, qui, épouvanté du drame monstrueux qu’il a mis en scène, s’attendrit sur l’innocente victime et supplie son frère de l’épargner. Mais Clotaire a respiré l’odeur du sang, il a maintenant l’ivresse du meurtre ; il s’emporte, reproche à l’autre sa lâcheté, menace de le frapper lui-même s’il prétend mettre obstacle à l’exécution du projet commun. Alors Childebert mollit ; il repousse l’enfant qui s’était jeté dans ses bras et l’abandonne aux mains homicides de Clotaire, qui lui fait subir le même sort qu’à son aîné. Après quoi, par un inutile raffinement de cruauté, le gouverneur et toute la suite des enfants royaux furent également massacrés. L’une des victimes était âgée de dix ans, l’autre de sept. Quant à leur frère Clodoald, qui avait cinq ans tout au plus, il fut sauvé par quelques hommes de cœur, qui parvinrent à le dérober aux fureurs de leurs oncles[29], et la tradition veut qu’il soit mort sous l’habit monastique dans l’abbaye de Saint-Cloud, à laquelle il aurait laissé son nom[30]. Ainsi la justice divine frappait encore Clodomir dans ses enfants, et réalisait la prophétie de saint Avitus de Mici :

Si vous vous souvenez de la loi de Dieu, et que, revenant à une meilleure inspiration, vous épargniez Sigismond et sa famille, Dieu sera avec vous, et vous remporterez la victoire. Si, au contraire, vous les faites mourir, vous tomberez vous-même aux mains de vos ennemis, vous périrez sous leurs coups, et il sera fait à vous et aux vôtres comme vous aurez fait à Sigismond et aux siens[31].

Clotilde surmonta sa douleur pour rendre elle-même les derniers devoirs à ses infortunés petits-enfants. Elle les fit mettre dans des cercueils, et, au son de lugubres psalmodies, fit porter leurs petits corps dans l’église du mont Lutèce, où on les déposa auprès de leur grand-père Clovis[32]. Puis, le cœur brisé, elle se hâta de regagner sa retraite de Tours. Rarement, dit l’historien, on la revit à Paris[33]. Le séjour où elle avait passé des années si heureuses à côté de l’époux aimé lui était devenu insupportable ; il n’évoquait plus pour elle que la sanglante vision d’un forfait dont la seule pensée bouleversait toute son âme, puisqu’elle devait pleurer sur les assassins autant que sur les victimes.

Mais on eût dit que ses fils avaient juré de lui briser le cœur. Repus de carnage, ils finirent par tourner leurs armes contre eux-mêmes. Childebert avait décidé la mort de Clotaire ; il s’unit à son neveu Théodebert, et les deux rois donnèrent la chasse au malheureux roi de Neustrie. Réfugié dans la forêt de la Brotonne[34], aux environs de Caudebec, avec des forces bien inférieures à celles des deux alliés, Clotaire n’attendait plus que la défaite et la mort. Mais il avait une mère, et, devant la suprême détresse qui menaçait le fils dénaturé, Clotilde oublia tout pour ne penser qu’à le sauver. Sans pouvoir sur des âmes féroces qui semblaient se rire de ses larmes, elle courut se jeter aux pieds du céleste ami qui recevait depuis tant d’années la confidence de ses douleurs. Prosternée en prières devant le tombeau de saint Martin, pendant toute la nuit qui précéda la bataille, elle pleura et pria, suppliant le Ciel, par l’intercession du grand confesseur, de ne pas permettre cette lutte fratricide entre ses enfants. Et le Ciel exauça ses prières, car un ouragan épouvantable, qui jeta le désordre dans l’armée des alliés pendant que pas une goutte de pluie ne tombait sur celle de Clotaire, parut le signe surnaturel de la volonté d’en haut ; il désarma sur-le-champ des barbares qui ne cédaient qu’à un Dieu irrité. La paix fut faite, et Clotaire fut sauvé. Nul ne peut douter, écrit l’historien, que ce ne fût un miracle de saint Martin, accordé aux prières de la reine Clotilde[35].

Cette grâce, obtenue au prix de tant de larmes, fut une des dernières consolations de la mère cruellement éprouvée. Plusieurs années s’écoulèrent encore pour elle, vides de joies humaines et remplies seulement, comme toute sa vie, par l’humble et assidue pratique de toutes les vertus.

Soumise à la haute volonté qui avait appesanti avec les années le fardeau de ses tribulations, elle l’avait porté sans murmure et en bénissant Dieu, et maintenant, détachée de tout lien terrestre, elle se trouvait devenue mûre pour le ciel. Elle s’éteignit enfin à Tours, le 3 juin 545[36], à l’âge de plus de soixante-dix ans, pleine de jours et de bonnes œuvres. Un cortège imposant transporta sa dépouille mortelle à Paris, où ses fils la déposèrent auprès de Clovis et de ses enfants.

Les fidèles ne cessèrent de vénérer la mémoire de Clotilde, et de porter leurs pieux hommages à son tombeau. Et quels hommages furent plus mérités ? Ils n’allaient pas seulement aux vertus héroïques dont la défunte avait donné le spectacle durant sa vie ; ils s’adressaient aussi à l’épouse qui avait été l’instrument providentiel de la conversion de Clovis. Si la France a quelque droit de se féliciter d’être une nation catholique, elle le doit avant tout à sa première reine chrétienne. Il est vrai, les poètes populaires, qui entonnaient sur les places publiques des chants faits pour des auditeurs grossiers, n’ont pas su comprendre cette suave physionomie rencontrée par eux dans l’histoire de leurs rois. Ils ont transformé l’épouse chrétienne en virago barbare ; ils ont mis dans son cœur tous les sentiments de leur propre barbarie ; à la noble veuve agenouillée sur des tombeaux, à la douce orante qui, semblable aux chastes figures des catacombes, prie les bras ouverts pour des enfants cruels, ils ont substitué la furie germanique altérée de sang, la valkyrie soufflant la haine et la vengeance, et armant ses parents les uns contre les autres pour des guerres d’extermination. Leurs récits sont parvenus à se glisser dans les écrits des premiers historiographes, et à jeter comme une ombre sur l’auréole radieuse de la sainte. Mais l’histoire est enfin rentrée en possession de ses droits, et elle ne permettra plus désormais à la légende de calomnier ses noms les plus beaux.

Avant que la femme et les enfants de Clovis fussent allés le rejoindre dans le repos du tombeau, la crypte royale avait donné l’hospitalité à une gloire qui devait faire pâlir la leur aux yeux de la postérité. Quand Geneviève mourut après avoir été pendant plus d’un demi-siècle le bon génie de Paris, la reconnaissance publique ne trouva pas d’abri plus digne de ses cendres que le souterrain où dormait son roi. La vierge de Nanterre y fut donc déposée dans un sarcophage ; mais dès que cette royauté pacifique eut pénétré dans le caveau, son nom et son souvenir y éclipsèrent tous les autres. L’église Saint-Pierre du mont Lutèce ne fut plus pour les Parisiens que l’église Sainte-Geneviève. Ce nom, le plus populaire de tous ceux du sixième siècle, se communiqua au monastère et à la montagne elle-même. Du haut de sa colline, Geneviève fut la patronne céleste de Paris adolescent ; de là, comme un phare tranquille et lumineux, sa pure et touchante mémoire brilla sur la grande ville qu’elle aimait, et sur la dynastie dont le fondateur reposait à son ombre, comme un client fidèle. Aucune gloire française n’est composée de rayons plus purs ; aucune n’a pénétré à une telle profondeur dans l’âme du peuple, pas même celle de Jeanne d’Arc, cette Geneviève du quinzième siècle ; sœur cadette de la vierge de Paris. Quoi d’étonnant si, dès les premières générations après sa mort, elle était pour la foule la seule habitante de la basilique du mont Lutèce, tandis que le tombeau de Clovis, isolé de la série des sépultures royales qui s’alignaient à Saint-Denis, s’oubliait peu à peu et ne fut bientôt plus connu que des moines qui le gardaient ?

Que devinrent les sarcophages royaux de la crypte de Sainte-Geneviève, et que devint en particulier celui de Clovis ? Abandonné aux heures du danger par les moines, qui fuyaient avec la châsse de la sainte, il resta exposé trois fois en un siècle aux outrages des Normands, qui vinrent piller les environs de Paris en 845, en 857 et en 885. Fut-il violé à l’une de ces occasions, ou les cendres échappèrent-elles à la triple profanation du sanctuaire ? Nous l’ignorons ; mais les multiples tourmentes du neuvième siècle et la sécularisation des chanoines au dixième ne durent pas augmenter à Sainte-Geneviève la sollicitude pour un souvenir qui n’était pas protégé contre l’oubli par l’auréole de la sainteté.

C’est seulement au’ douzième siècle, quand une réforme profonde et salutaire eut rappelé les chanoines réguliers dans le cloître tombé en décadence, qu’on se souvint enfin du trésor national que la France avait confié à la garde des Génovéfains. L’illustre abbé Étienne de Tournai, qui gouverna la communauté de 1176 à 1191, consacra ses quinze années de prélature à la restauration morale et matérielle de la maison. Le sanctuaire portait encore les traces lamentables des profanations d’autrefois ; sur les murs calcinés apparaissaient par espaces les restes des mosaïques primitives. Étienne répara ces ruines, orna l’église d’un nouveau plafond lambrissé, et couvrit le tout d’une toiture de plomb[37]. Par ses soins, le tombeau de Clovis fut transporté dans l’église supérieure à l’entrée du chœur. C’était un monument d’élévation médiocre, sur lequel était couchée la statue de ce roi[38]. La base en était ornée d’une inscription en vers latins, due à la plume d’Étienne lui-même[39]. Ce mausolée subsista pendant plusieurs siècles dans la basilique restaurée, où l’ont encore vu les plus anciens historiens de Sainte-Geneviève. On ne sait s’il contenait en réalité les cendres de Clovis, ou si c’était un simple cénotaphe.

Mais une nouvelle décadence de la maison appela, au commencement du dix-septième siècle, une nouvelle réformation. Le cardinal de la Rochefoucauld, devenu abbé de Sainte-Geneviève, entreprit cette grande tâche avec la même énergie et le même zèle qu’y avait apportés Étienne de Tournai. Lui aussi voulut s’occuper du tombeau de Clovis, qui était alors en assez mauvais état, et dont la statue, rongée par le temps, était devenue presque entièrement fruste[40]. Il en fit faire une autre à l’imitation des modèles du douzième siècle, exhaussa le monument et en renouvela les inscriptions[41]. Aux grandes fêtes, les moines venaient encenser le tombeau[42], et tous les ans ils chantaient, le 27 novembre, pour le repos de l’âme du roi, une messe solennelle qui contenait l’oraison suivante :

O Dieu et Seigneur des miséricordes, accordez à votre serviteur, le roi Clovis, un séjour de rafraîchissement, avec la béatitude du repos et la clarté de la lumière éternelle[43].

Cette grande voix de la prière catholique s’élevait depuis près de treize siècles autour de la tombe la plus française qu’il y eût en France, lorsque la révolution éclata. Les restes de sainte Geneviève furent brûlés en place publique, les sarcophages royaux profanés, la congrégation dissoute et l’église vouée à la destruction. La honte de cette œuvre impie, qui était un outrage au patriotisme plus encore qu’à la religion, ne retombe cependant pas sur les seuls révolutionnaires. C’est en 1807, en plein empire, sous le règne de l’homme qu’on a justement appelé la Révolution couronnée, que l’entreprise sacrilège fut consommée par un acte à jamais irréparable : la destruction de l’édifice sacré ! La crypte fut visitée à cette occasion ; on y trouva une quinzaine de sarcophages jetés pêle-mêle et qui ne contenaient plus d’ossements ; quelques-uns de ces sarcophages, pris pour ceux de Clovis et des siens, furent transportés au Musée des monuments- français, d’où ils ont disparu quelques années après, vers 1817, sans laisser de traces[44]. Seule, la statue couchée qui datait du temps du cardinal de la Rochefoucauld put être sauvée ; elle repose aujourd’hui dans la crypte de Saint-Denis ; Pas une voix ne s’éleva en France pour protester contre un vandalisme qui n’avait plus même à cette date l’excuse des fureurs politiques, et des barbares d’une espèce nouvelle purent tranquillement abattre, sous les yeux d’un peuple muet et indifférent, le plus antique et le plus vénérable monument de son histoire. Aujourd’hui, une rue à laquelle on a donné comme par dérision le nom de Clovis occupe l’emplacement du vieux sanctuaire patriotique, et rien ne rappelle au passant qui la traverse qu’il foule aux pieds une poussière sacrée. Les nations qui détruisent leurs autels et leurs tombeaux ignorent-elles donc qu’elles arrachent leurs propres racines, et qu’espèrent-elles gagner à extirper tous les souvenirs qui rendent la patrie chère à ses enfants ?

 

 

 



[1] Egressus autem a Turonus Parisius venit ibique cathedram regni sui constituit. Grégoire de Tours, II, 38.

[2] Id., Ibid.

[3] C’était l’impression des contemporains. Qu’on lise ce dithyrambe qu’un auteur méridional, un Toulousain selon M. J. Havet (Œuvres, t. I, p. 223-225), écrivant vers 800 la Passio sanctorum niartyrum Dionisii etc., Quia esset salubis ære, jocunda flumine, fecunda terris, arboribus nemorosa et venetis uberrima, constipata populis, refecta commerciis, etc., (M. G. H., Auctores Antiquissimi, t. IV, pp. 101-105.)

[4] A. de Valois, t. I, p. 299.

[5] Dulaure, Histoire de Paris, éd. de 1832, t. I, p. 168. Cf. Paris à travers les âges, t. I, p. 17.

[6] Lebeuf, Histoire de la ville et de tout le diocèse de Paris, nouvelle édition, Paris, 1883, t. I, pp. 228 et suiv. ; Saintyves, Vie de sainte Geneviève, pp. 101, 130, 295 ; Franklin dans Paris à travers les âges, IX, p. 2

[7] Grégoire de Tours, II, 43 : Basilica sanctorum Apostolorum quam cum Chrodechilde regina ipse construxerat. — Le même, IV, 1 : Nam basilicam ilium ipsa construxerat.

[8] Liber historiæ, c. 17.

[9] Liber historiæ, l. c. Je ne sais pas pourquoi M. Krusch, Neues Archiv., XVIII, p. 42, conteste à cette tradition historique toute valeur, comme s’il s’agissait d’une invention légendaire. En réalité, elle se borne à nous apprendre la cérémonie par laquelle fut inaugurée la construction : or cette cérémonie, essentiellement barbare, était usitée dans tous les cas analogues et resta jusqu’en plein moyen âge en vigueur dans les pays germaniques, et dans ceux qui avaient subi l’influence des Germains. Cf. J. Grimm, Deutsche Rechtsalterthürner, 2e édition, (1834) pp. 54-68.

[10] Viallon, Vie de Clovis le Grand, pp. 448 et suiv.

[11] Vita sancta Genovefr, XI, 53 (Kohler) : Miracula sanctæ Genovefæ ; cf. du Molinet, Histoire de sainte Geneviève et de son église royale et apostolique à Paris, manuscrit de la bibliothèque Sainte-Geneviève, livre III, chap. II.

[12] Du Molinet, o. c., livre III, chap. III, suivi par les autres historiens de sainte Geneviève. Le livre de du Molinet, resté inédit, est un travail excellent, qu’il n’y aurait plus intérêt à publier toutefois, parce que la meilleure partie en a passé depuis dans les travaux consacrés au même sujet.

[13] Vita sancti Genovefæ, XI, 53 (Kohler).

[14] C’est ce que dit une note d’un des manuscrits du Liber historiæ, c. 13. Dans tous les cas, elle se trompe tout au moins sur le nom du pape, qu’elle appelle Hormisdas. Hormisdas ne monta sur le trône de saint Pierre qu’en 514, trois ans après la mort de Clovis. Peut-être faut-il garder le nom d’Hormisdas, et, remplacer celui de Clovis par celui de Clotilde ?

[15] Eodem tempore venit regnus cum gemmis preciosis a rege Francorum Cloduveum christianum, donum beato Petro apostolo. Liber Pontificalis, éd. Duchesne, t. I, p. 271 Ce passage, écrit au sixième siècle, a passé en substance dans le Vita sancti Remigii de Hincmar, Acta Sanctorum, p. 156, F, et de là dans Sigebert de Gembloux, Chronicon (dom Bouquet, III, p. 337). M. l’abbé Duchesne écrit à ce sujet, o. c., p. 274 : Clovis mourut trois ans avant l’avènement du pape Hormisdas. Il est possible que l’envoi du regnus ou couronne votive, dont il est ici question, ait souffert quelque retard. Du reste, le nom de Clovis n’est attesté ici que par les manuscrits de la seconde édition ; l’abrégé Félicien coupe la phrase après Francorum. Cf. A. de Valois, I, pp. 270 et 299 ; dans ce dernier passage, il fait dire à ses sources que Clovis envoya la couronne qu’il avait reçue d’Anastase.

[16] Sur l’âge de Clovis et sur l’année de sa mort, Grégoire de Tours, II, 43. Sur le jour, Viallon, Histoire de Clovis le Grand, p. 473, et les missels de sainte Geneviève (manuscrits n° 1259, fol. 8, et manuscr. 90), qui donnent le 27 novembre comme anniversaire de la depositio de Clovis. Dubos, III, p. 403, se demande s’il ne s’agit pas plutôt du jour où les restes de ce roi furent déposés dans la crypte après l’achèvement de l’église. La date du 27 novembre 511 est solidement justifiée par M. Levison, Zur Geschichte des Frankenkönigs Clodowech (Bonner Jahrbücher, t. 103, p. 47 et suivantes.)

[17] Grégoire de Tours, II, 40.

[18] Chronique d’Aymeri de Peyrac, manuscrit 4991 A de la Bibliothèque nationale de Paris, fonds latin, fol. 104, verso.

[19] J. Savaron, De la saincteté du roi Louys, dit Clovis, Paris, 1620. Ce livre a eu trois éditions en deux ans. Voir encore le P. Dominique de Jésus, la Monarchie sainte, historique, chronologique et généalogique de France, etc. etc., traduite et enrichie par le R. P. Modeste de Saint-Aimable, Clermont, 1670. Saussay, disent les Acta Sanctorum, cite deux écrivains du sixième siècle, Jacques Almainus et Paul Émile, qui donnent le nom de saint à Clovis.

[20] Sur Théodechilde, voir ci-dessus. Sur une autre prétendue fille du nom d’Emma ou d’Emmia, qui figure dans le martyrologe d’Usard, au 4 novembre, sous cette indication : Sancta Emmia virgo eximiœ sanclitatis filia Chlodovei regis, voir Adrien de Valois, Rerum francicarum libri VIII, t. I, p. 32. Le prétendant Munderic, dont Grégoire de Tours raconte l’aventure (H. F., III, 14) semble avoir voulu se faire passer pour un fils de Clovis, né, comme Théodoric, d’une alliance irrégulière, peut-être de la même mère ; du moins nous voyons qu’il ne veut partager qu’avec Théodoric, et non avec les fils de Clotilde. Mais Grégoire de Tours montre par son récit même qu’il ne croit pas à la parenté.

[21] Grégoire de Tours, III, 18.

[22] Vita sanctæ Chlothildis, c. 11-13, dans M. G. H., Scriptores Rer. Meroving., t. I, pp. 346-347.

[23] Miracula sancti Germani Autissiodorensis, dans les Acta Sanctorum des Bollandistes, 31 juillet, t. VII, p. 263.

[24] Chrodechildis autem regina post mortem viri sui Turonus venit ibique ad basilica beati Martini deserviens, cum summa pudicita atque benignitate in hoc loco commorata est omnibus diebus vitæ suæ, raro Parisius visitans. Grégoire de Tours, II, 43.

[25] Grégoire de Tours, III, 6 ; Passio sancti Sigismundi, c. 10, Script. Rer. Merov., II, p. 338.

[26] Grégoire de Tours, III, 6 ; Marius d’Avenches ; année 524 : Agathias, Histor., I, 3.

[27] Grégoire de Tours, III, 1.

[28] Grégoire de Tours, III, 10.

[29] Grégoire de Tours, III, 18. Le récit du chroniqueur n’est pas sans obscurité. Clotilde parait n’avoir livré que deux enfants, puisque Arcadius lui demande utrum incisis crinibus eos vivere jubeas an utrumgue jugulare. Il est d’ailleurs assez difficile de croire que, si Clodoald avait été livré, il eût pu échapper aux mains de ses oncles. Mais, si Clodoald a été sauvé avant l’extradition, tout le récit devient invraisemblable, et on est amené à se demander si les circonstances n’en ont pas été dramatisées par la poésie populaire.

[30] Grégoire de Tours, III, 18 : His, postpositum regnum terrenum, ad Dominum transiit, et sibi manu propria capillos incidens, clericus factus est, bonisque operibus insistens, presbiter ab hoc mundo migravit. Frédégaire, III, 38, écrit : Clodoaldus ad clerecatum tundetur, dignamque vitam gerens, ad cujus sepulcrum Dominus virtutes dignatur ostendere. Et le Liber historiæ, c. 21 : Qui postea, relictum regnum terrenum, ipse propria manu se totundit. Clericus factus est, bonis operibus præditus, presbiter ordinatus, plenus virtutibus migravit ad Dominum, Noviente villa Parisiace suburbana depositus requiescit. Le Vita sancti Clodoaldi est un écrit du neuvième siècle, fait d’après Grégoire de Tours.

[31] Grégoire de Tours, III, 6.

[32] Id., III, 18.

[33] Id., II, 43 : Raro Parisios visitans.

[34] Le Liber historiæ, c. 25, est seul à mentionner cette forêt, qu’il appelle Arelaunum ; sur l’identification, voyez Longnon, p. 136.

[35] Grégoire de Tours, III, 28.

[36] Id., IV, 1. Le jour est donné par le Vita sancta Chrothildis, c. 14.

[37] Sur les travaux d’Étienne à Sainte-Geneviève, il faut lire sa propre correspondance, lettres 176, 177, 178, 181 et 182, édition Desilve, Paris-Valenciennes, 1893.

[38] Étienne ne parle pas de ce tombeau, mais il est décrit comme un monument de peu d’élévation avec une statue royale couchée dessus, par Lejuge, l’Histoire de sainte Geneviefve, patronne de Paris, 1586, fol. 174, verso, et par Dubreuil, le Théâtre des antiguitez de Paris, 1612, p. 271, qui donne une reproduction de la statue, p. 272.

[39] Cette inscription, faussement attribuée à saint Remi, se trouve dans un manuscrit d’Aimoin du quatorzième siècle (Bibliothèque nationale, manuscrit 5925, ancien fonds latin) : mais les meilleurs manuscrits de cet auteur ne la contiennent pas, et elle n’est manifestement pas de lui, quoi qu’en dise l’Histoire littéraire, t. III, p. 161 (voir dom Bouquet, t. II, p. 538, note, et t. III, p. 44, note). Elle a donc été composée entre le onzième et le quatorzième siècle. De plus, elle s’est réellement trouvée sur le tombeau de Clovis, où l’a vue Robert Gaguin, Compendium super gestis Francorum, fol. 6, verso. Nous savons en outre qu’Étienne était poète ; v. sur ce point ses propres paroles dans ses lettres 43 (au cardinal Pierre de Tusculum), et 277 (à l’abbé de la Sauve). Nous possédons de lui l’épitaphe du roi Louis VII (Desilve, Lettres d’Étienne de Tournai, p. 443) et celle de Maurice de Sully, évêque de Paris. Il a composé aussi un office de saint Giraud (V. lettre 278). Tout donc le désigne comme le véritable auteur de l’épitaphe de Clovis.

[40] Sur le caveau où le corps du roi Clovis, fondateur de cette abbaye, fut inhumé, l’on voioit ci-devant le tombeau de ce roi eslevé à la hauteur de deux pieds ou environ, au-dessus duquel estoit sa statue. Mais l’Ém. cardinal de la Rochefoucauld, abbé de ladite abbaye, fit lever ce tombeau mangé et defformé d’antiquité, et en faisant fouiller quelques fondements du cloistre, s’y trouvèrent deux hautes et grandes statues de marbre blanc, de l’une desquelles il fit tailler la statue de Clovis, qui se voit aujourd’hui couchée sur le mesme tombeau au milieu du chœur. Dubreuil, le Théâtre des antiquitez de Paris, édition de 1639. Millin, Antiquités nationales, Paris, an VII, t. V, article LX, p. 85, démontre par des arguments archéologiques que la statue exécutée par ordre du cardinal de la Rochefoucauld est copiée sur des modèles plus anciens.

[41] L’inscription en vers, par Étienne de Tournai, ne se trouvait plus sur le tombeau au temps de Lejuge, p. 175, qui en a lu une autre en prose. Celle que fit faire le cardinal est donc la troisième.

[42] Le P. Modeste de Saint-Aimable, la Monarchie sainte, t. I, p. 23.

[43] Voir le texte de cette oraison et de deux autres presque semblables dans Dubos, III, p. 403.

[44] A. Lenoir, Rapport sur la démolition de l’église Sainte-Geneviève de Paris (Mémoires de l’Académie celtique, t. I).