Comme on l’a vu dans les chapitres précédents, l’histoire ne nous a conservé de Clovis que le souvenir de ses principaux faits d’armes, souvent fort défigurés par la tradition populaire, et quelques épisodes de sa vie privée, qui n’ont pas moins souffert. Et c’est tout. Son action politique, son rôle de législateur, de diplomate et d’homme d’Etat nous échappent entièrement. L’attention des contemporains ne se portait pas sur ces’ sujets austères et abstrus ; ce qui lei passionnait, c’était le héros seul, et non les destinées collectives dont il avait la responsabilité. A leurs yeux, l’histoire de la fondation du royaume franc se résumait dans la biographie du roi. Nous devrions donc terminer ici l’histoire de Clovis, si nous en demandions les éléments à ceux-là seuls qui se sont attribué la mission de nous la raconter. Heureusement il y a eu, à côté des annalistes, un témoin qui avait au plus haut degré, avec le souci des intérêts généraux, celui d’en léguer le souvenir à la postérité. L’Eglise, dès son origine, avait pris l’habitude de consigner par écrit tout ce qui se passait de mémorable dans son sein, et elle conservait avec soin les documents qui rendaient témoignage de ses œuvres. Quelques pages des archives qu’elle tenait au sixième siècle en Gaule nous permettent d’envisager, une fois au moins, le fondateur de la monarchie franque sous un autre aspect que celui du guerrier armé de la francisque et combattant à la tête de son armée. Nous apprenons d’abord, par une circulaire royale adressée à tous les évêques du royaume, qu’après la guerre d’Aquitaine, le roi, obéissant à des préoccupations toutes chrétiennes, s’efforça de soulager autant qu’il était en son pouvoir les souffrances des populations qui avaient été le plus éprouvées. L’édit par lequel, on s’en souvient, il avait pris sous sa protection spéciale les personnes et les biens de l’Église avait été violé en plus d’une rencontre ; d’autre part, le droit de la guerre avait sévi avec toute sa rigueur, et quantité de prisonniers avaient été entraînés hors de leur pays dans toutes les provinces du royaume. Il y avait donc, maintenant que la lutte était terminée, un double devoir à remplir : assurer force de loi aux généreuses dispositions du monarque, et faciliter le libre exercice des droits de la charité. En conséquence, une nouvelle circulaire fut adressée aux évêques, dans laquelle le roi leur rappelait la protection qu’il avait accordée aux églises, en déclarant qu’il leur appartenait de s’en prévaloir. Toute personne ecclésiastique, religieuse, veuve, clerc ou fils de clerc, ou serf d’église, si elle avait été faite captive contrairement à la paix du roi, c’est-à-dire aux dispositions indiquées ci-dessus, devait être rendue sans retard à la liberté : il suffisait pour cela que son évêque la réclamât dans une lettre scellée de son sceau, et sous la foi du serment. Cette dernière condition, disait Clovis, était imposée par son peuple, à raison des fraudes nombreuses auxquelles donnait lieu la faveur royale. Quant aux laïques faits prisonniers en dehors de la paix du roi, c’est-à-dire qui n’avaient pas été mis sous sa protection spéciale, l’évêque pouvait, s’il le trouvait bon, donner à qui il voulait mission de les racheter[1]. Cette lettre, on n’en peut pas douter, provoqua un grandiose mouvement de rachat. Tout le pays franc fut sillonné de mandataires épiscopaux allant jusque dans les cantons les plus reculés, soit réclamer des prisonniers injustement détenus, soit offrir l’or de l’Église pour rendre la liberté aux captifs. Il y eut sans doute des prélats qui voulurent faire eux-mêmes leur tournée de rédemption, comme saint Epiphane de Pavie, et l’on peut croire que plus d’un, se conformant aux recommandations des conciles, suivit l’exemple de Césaire d’Arles et vendit les vases sacrés de son église pour racheter des chrétiens prisonniers. Nous savons de même, par la Vie de saint Eptade, que ce simple prêtre déploya une admirable activité dans ce rôle de libérateur, et qu’il fit tomber les fers d’une multitude de captifs disséminés dans toutes les provinces[2]. Ainsi l’Église marchait sur les pas de l’État pour fermer les blessures qu’il avait faites, et pour atténuer par sa charité des maux qu’elle n’avait pu empêcher. L’édit que nous venons d’analyser est le seul qui nous reste de Clovis : il est digne d’ouvrir la série des actes officiels de la monarchie très chrétienne. N’est-il pas instructif, tout au moins, de constater qu’au moment où la légende le montre fendant la tête de ses proches et ourdissant contre eux les plus viles intrigues, l’histoire authentique nous initie aux nobles préoccupations qui dictent sa circulaire aux évêques ? Si des documents de ce genre nous avaient été conservés en plus grand nombre pour le règne de Clovis, dans quelle autre lumière nous apparaîtrait ce personnage, et avec quelle netteté supérieure se dessinerait son histoire pleine d’ombres et de lacunes ! Hâtons-nous d’ajouter, toutefois, que nous possédons encore un autre acte, plus important et plus solennel, utile roi civilisateur s’affirme dans la plénitude de son activité royale, je veux dire les canons du concile d’Orléans, réuni par son ordre en l’an 511. L’importance de cette assemblée est considérable. Les conciles, c’était pour l’Église l’instrument par excellence de gouvernement et de législation. Après les guerres, les invasions, les conquêtes, l’établissement définitif des Visigoths au sud et des Francs au nord, après tant de troubles et de désordres qui avaient ébranlé les assises de la vie publique, il était temps que l’Église des Gaules se ressaisît. Le concile d’Orléans marque le retour d’une vitalité régulière et tranquille dans ce grand corps, dont l’organe principal recommence à fonctionner librement. En renouant la chaîne de la tradition conciliaire, l’épiscopat franc faisait œuvre de régénération sociale et politique à la fois. Le concile d’Orléans n’eut pas le caractère des conciles ordinaires qui se réunissaient périodiquement, en conformité des canons, autour d’un même métropolitain. En d’autres termes, ce ne fut pas un concile provincial, mais un concile national, auquel furent convoqués tous les évêques sujets de Clovis, et qui délibéra sur les intérêts religieux de tout le royaume franc. On ne s’étonnera pas de voir, dans une assemblée purement religieuse, les groupements se faire selon les cadres de l’administration civile. La hiérarchie ecclésiastique n’y répugnait pas, trouvant un surcroît d’autorité dans le caractère national que prenaient par là ses délibérations. Le concile d’Agde, réuni en 506 autour de saint Césaire d’Arles, avait été, lui aussi, un concile national du royaume visigoth, et de même celui qui, en 517, devait se tenir à Épaone, rassembla autour de saint Avitus tout l’épiscopat du royaume burgonde. Seulement, le concile d’Orléans fut convoqué par le roi des Francs, et non par un des métropolitains de son royaume[3]. Roi catholique d’un peuple catholique, Clovis ne pouvait ni se désintéresser des délibérations du concile, ni rester étranger aux préparatifs d’une si grande entreprise. Les relations entre l’Église et lui étaient empreintes d’une confiance et d’une cordialité qui faisaient de son intervention une nouvelle preuve de son dévouement. C’est lui qui convoqua les prélats, et qui même, à ce qu’il paraît, fixa leur ordre du jour dans une série de questions qui leur furent soumises[4]. Les canons qu’ils arrêtèrent ne sont, en définitive, que leur réponse au questionnaire royal. Incontestablement, une participation si active aux travaux de l’épiscopat franc suppose que le roi est intervenu à l’instance des évêques eux-mêmes, pour prêter à leurs délibérations une plus grande solennité, et, le cas échéant, pour leur garantir une sanction efficace. D’ailleurs, il était l’héritier des empereurs, et l’on était habitué, dans les provinces, à la collaboration des deux pouvoirs dans les travaux de ce genre. Tout porte à croire que l’idée du concile partit des rangs de l’épiscopat du royaume d’Aquitaine. C’est immédiatement après la conquête de ce royaume qu’il se réunit, et cela dans une ville qui servait de frontière entre ce pays et la France proprement dite. Les seuls intérêts d’ordre local qui firent l’objet de quelques dispositions conciliaires sont relatifs aux rapports entre les deux confessions religieuses, qui n’étaient en opposition que dans la Gaule méridionale. Enfin, la présidence du concile fut déférée, non pas à saint Remi, qui n’y assista même pas, ni non plus à saint Mélaine de Rennes, comme le soutient à tort un biographe de ce saint[5], mais à Cyprien, archevêque de Bordeaux et métropolitain de la première Aquitaine. Ce choix est significatif, si l’on se rappelle que Clovis passa à Bordeaux tout l’hiver de 506-507, et qu’il dut par conséquent avoir les rapports les plus fréquents avec le métropolitain d’un pays qu’il avait tant d’intérêt à s’attacher. Comment pourrait-on se dérober à l’idée que la question du concile a dû être agitée dès lors dans les conférences du roi et du prélat ? Et s’il en est ainsi, il sera bien permis de faire un pas de plus. Rappelons-nous que peu de temps auparavant l’évêque de Bordeaux avait donné l’hospitalité à une autre illustration, amenée dans les murs de sa ville épiscopale par l’exil, il est vrai, et non pas la victoire. Nous voulons parler de saint Césaire d’Arles, qui a su conquérir, pendant son séjour dans la capitale du royaume visigoth, non seulement le respect du roi barbare, mais sans doute aussi le respect, l’affection et l’admiration de tous ceux qui l’approchèrent. Certes, Cyprien de Bordeaux n’a pas été le dernier à subir le charme de ce saint personnage, il est peu douteux qu’il n’ait été au courant du grand projet que Césaire portait alors dans sa tête et qu’il réalisa, avec l’autorisation du roi, dès qu’il fut rentré dans sa ville épiscopal : le concile national d’Arles en 506. Cyprien assista à cette auguste assemblée, et son nom est le premier qui figure, après celui de Césaire lui-même, parmi’ ceux des évêques qui en ont signé les actes. Il n’est donc pas téméraire de considérer Cyprien comme un véritable collaborateur de Césaire dans l’entreprise, alors délicate et difficile, de réunir, au lendemain de la persécution, tous les évêques catholiques du royaume visigoth[6]. Et, dès lors, il semble bien que nous soyons sur la voie de l’inspiration première d’où est sortie la réunion du concile d’Orléans. Cyprien de Bordeaux n’a été que l’instrument d’un plus grand que lui, qui est saint Césaire lui-même. On sait que cet illustre confesseur n’était pas seulement par ses vertus, par l’ardeur de son zèle pour le salut des âmes et par la force de sa parole partout écoutée, quelque chose comme le prophète des Gaules : il était encore investi, par la confiance des souverains pontifes, de la mission de les représenter en Gaule avec la qualité de vicaire du Saint-Siège. Le décret du pape Symmaque qui lui avait conféré cette dignité, déjà possédée avant lui par plusieurs de ses prédécesseurs depuis le commencement du cinquième siècle, marquait expressément parmi ses charges les plus importantes, la convocation des conciles. C’est donc en acquit d’un devoir que l’archevêque d’Arles s’attachait à stimuler, à raviver une institution qui avait été si florissante au cinquième siècle, et l’on ne sera pas étonné, connaissant son zèle et son abnégation, qu’il ait étendu l’activité de sa propagande, même sur les pays où il n’avait pas à jouer de rôle personnel[7]. Ainsi s’expliquent aussi les nombreuses et frappantes analogies que les historien sont relevées entre le concile d’Orléans et celui d’Agde[8] : tous deux d’ailleurs sont des assemblées nationales destinées à réunir tous les prélats d’un même royaume, tous deux ont pour mission d’organiser la vie religieuse dans des pays où elle vient de traverser de pénibles crises. On peut donc en quelque sorte toucher du doigt le lien qui rattache au vicariat des Gaules, et par lui à la papauté, la grandiose manifestation de vitalité religieuse par laquelle se clôturent les annales du premier roi chrétien des Francs[9]. Du reste, le premier concile national du royaume de Clovis fut bien loin d’être une assemblée plénière de l’épiscopat franc. Sur soixante-quatre sièges épiscopaux que contenait alors le royaume, il vint à Orléans trente-deux évêques, c’est-à-dire tout juste la moitié, et il ne s’y trouva que six des dix métropolitains. La plus forte représentation fut celle des trois Lyonnaises, qui formaient le noyau de la monarchie : elles donnèrent seize présents contre sept absents. Dans les deux Aquitaines, récemment annexées, nous relevons neuf présents et cinq absents. Par contre, les douze diocèses de la Novempopulanie ne comptaient que trois représentants, à savoir, les évêques d’Eauze, d’Auch et de Bazas. Des diocèses de la région pyrénéenne, pas un seul n’avait répondu à la convocation du roi des Francs. Comminges, Bénarn, Oloron, Lectoure et Couserans s’étaient abstenus, et il en était de même de Dax, de Buch[10], d’Aire et de Tarbes. Ce qui est très frappant, c’est l’absence totale des évêques des deux Germanies et de la première Belgique. Mayence, Trèves, Cologne, Metz, Toul, Verdun et Tongres, ces sièges dont plusieurs ont eu un passé si glorieux et des chrétientés si florissantes, se tiennent absolument à l’écart. La seconde Belgique n’a envoyé que les évêques de ses cités méridionales, à savoir, Soissons, Vermand, Amiens et Senlis ; quant aux huit autres sièges, qui sont Reims, Laon, Châlons-sur-Marne, Arras, Cambrai, Tournai, Thérouanne, Beauvais et Boulogne, la place de leurs évêques reste vide sur les bancs du concile et au bas de ses actes. Que quelques-uns de ces prélats, et en particulier celui de Reims, aient été empêchés de se trouver à la réunion, cela est bien probable ; mais il est difficile d’admettre que ce fût le cas pour tous, surtout si l’on réfléchit que les diocèses non représentés constituent, au nord comme au sud, un seul groupe géographique. Tirez une ligne qui passerait au nord d’Amiens, de. Vermand et de Soissons, et qui reviendrait vers le sud à l’ouest de Tongres, et vous aurez délimité la frontière septentrionale et orientale de l’ensemble des diocèses dont les pasteurs légiférèrent à Orléans. En d’autres termes, le vieux royaume des Francs Saliens n’a pas envoyé un seul prélat au concile. C’est là un indice bien significatif de l’extinction de la hiérarchie catholique dans ce pays, depuis sa conquête par les rois mérovingiens[11]. La nature des travaux du concile suggère la même conclusion. Il n’y est question aucunement des besoins spéciaux de l’Église dans les provinces où il restait dei populations païennes, à convertir. Toutes les résolutions supposent des contrées où la religion chrétienne est sans rivale. On se borne à légiférer pour des diocèses existants ; il n’est point parlé de ceux qui ont disparu dans la tourmente du cinquième siècle ; le nom du paganisme et la mention des superstitions païennes ne viennent pas une seule fois sous la plume des greffiers du synode. Pas une seule fois non plus, les sollicitudes des Pères ne vont au delà des régions de langue et de civilisation romaines. La terre des Francs germaniques ne semble pas plus exister pour eux que si elle avait été engloutie par les flots de l’Océan. Après plusieurs jours de délibération, le concile, qui avait siégé probablement dans la cathédrale Sainte-Croix, clôtura ses travaux le dimanche 10 juillet 511. Il avait arrêté trente et un canons que tous les évêques, Cyprien de Bordeaux et les autres métropolitains en tête, signèrent avant de se séparer. Ces canons embrassaient un ensemble varié de résolutions se rapportant à la vie chrétienne, et en particulier au gouvernement ainsi qu’à l’administration de l’Église ; nous les passerons en revue dans un ordre méthodique. Parmi les questions soumises aux délibérations des prélats, il y en avait deux qui présentaient un intérêt particulier pour l’État : celle du droit d’asile et celle du recrutement du clergé. Il s’agissait de délimiter en cette manière les frontières des deux pouvoirs, ou, pour mieux dire, d’élaborer des solutions qui pussent être accueillies par l’autorité politique. En ce qui concerne le droit d’asile, l’assemblée confirma les dispositions inscrites dans le code Théodosien, et reproduites dans la loi des Burgondes et dans celle des Visigoths. Elle proclama le caractère inviolable non seulement du sanctuaire lui-même, mais encore du vestibule ou atrium qui le précédait, et des habitations ecclésiastiques qui entouraient le vestibule. La raison de cette extension de l’immunité est manifeste : pour que le droit d’asile ne devînt pas illusoire, il fallait que le réfugié trouvât un logement dans le pourpris de l’édifice sacré ; sinon, il aurait pu être tenté de profaner le lieu saint lui-même en y dressant sa table et son lit. Le concile défendit à l’autorité publique de pénétrer dans les cloîtres pour y chercher le coupable, que ce fût un homicide, un adultère, un voleur, un ravisseur ou un esclave fugitif ; il défendit aussi au clergé de le livrer, avant que celui qui le poursuivait eût prêté le serment solennel, sur l’Évangile, qu’il ne. lui infligerait pas de châtiment corporel et qu’il se contenterait, soit de reprendre son esclave, soit de recevoir une compensation. Si l’homme qui avait prêté ce serment le violait, il devait être excommunié et séparé de la société de tous les catholiques. Si, d’autre part, le coupable ne voulait pas convenir d’une composition et s’enfuyait de l’enceinte, on ne pouvait pas en rendre responsable le clergé. Si c’était un esclave, et qu’il refusât de sortir après que son maître avait prêté le serment requis, alors celui-ci avait le droit d’aller s’emparer de sa personne. Telle fut la forme que le concile d’Orléans donna au droit d’asile dans le royaume franc[12]. On conviendra qu’à une époque d’anarchie il constituait une des plus précieuses garanties d’ordre public, et un des meilleurs moyens d’adoucir les mœurs. Il ne supprimait pas le châtiment des coupables, comme on l’a dit souvent ; il en atténuait la rigueur cruelle, il mettait un obstacle à l’exercice illimité de la vengeance privée, et il préparait de loin la substitution du règne du droit aux violences de l’arbitraire. La question du recrutement du clergé n’était pas moins complexe. En principe, l’Église a toujours affirmé son droit de choisir ses ministres et condamné toute entrave à la liberté des vocations ecclésiastiques. En fait, certains intérêts politiques et privés étaient venus mettre des restrictions à l’usage de ce droit. Sous l’Empire romain, beaucoup de gens entraient dans le clergé pour jouir de ses immunités, et pour se dérober à l’écrasant fardeau des charges civiles qui pesaient sur la bourgeoisie. Pour les curiales des municipes, ces éternels souffre-douleur de la fiscalité, la cléricature était devenue une espèce d’asile d’un nouveau genre. On sait l’acharnement avec lequel l’Empire poursuivait, partout où ils cherchaient à lui échapper, ces malheureux qui lui répondaient de la rentrée de ses impôts. Aussi ne sera-t-on pas étonné que Constantin ait défendu, par une loi de 320, l’entrée des curiales dans le clergé[13]. L’interdiction était radicale, et, pendant tout le quatrième siècle, elle fut tour à tour atténuée, supprimée, rétablie et renforcée par les empereurs : encore à la date de 458, Majorien y ajoutait des dispositions nouvelles[14]. En une matière aussi délicate, les intérêts de l’Église et ceux de l’État, également impérieux les uns et les autres, semblaient ne pas pouvoir être conciliés : satisfaire ceux-ci, c’était porter atteinte au recrutement du sacerdoce ; déférer à ceux-là, c’était priver l’État de ses agents les plus indispensables. Mais la liberté des vocations ecclésiastiques rencontrait encore un autre obstacle dans l’institution de l’esclavage. Introduire un esclave dans le clergé, c’était causer à son maître un tort semblable à celui que l’on causait à l’État en ordonnant un curiale. Aussi la loi ecclésiastique avait-elle de tout temps reconnu le droit du maître dont l’esclave avait été ordonné sans son autorisation à le réclamer, en dépit du caractère sacerdotal dont il était revêtu. Elle-même, dans le cas où le maître consentait à l’entrée de son esclave dans le clergé, ne lui accordait les ordres sacrés qu’après qu’il avait été affranchi au préalable. L’esprit de ces dispositions se retrouve, au cinquième siècle, dans les constitutions impériales de Valentinien III en Occident[15], et de Zénon en Orient[16] : l’une et l’autre défendent de conférer les ordres sacrés aux esclaves, même du consentement du maître, attendu, dit la dernière, qu’il peut leur procurer l’accès du sacerdoce en leur donnant la liberté[17]. Tel était, au moment où s’ouvrit le concile d’Orléans, l’état de cette délicate question du recrutement du clergé .Le concile ne s’écarta pas des principes qui avaient inspiré en cette matière la législation canonique et celle de la société civile ; mais il édicta des mesures qui en devaient, sans froisser les droits des pouvoirs publics ou privés, amener une application plus modérée et plus compatible avec la liberté de l’Église. Le quatrième canon stipula qu’à l’avenir aucun homme libre ne serait reçu dans le clergé sans l’ordre du roi ou l’autorisation du comte, excepté toutefois les fils, petits-fils et arrière-petits-fils de prêtres, que l’évêque pourrait ordonner s’il voulait[18]. C’était non seulement soustraire à l’interdiction une bonne partie de ceux à qui elle pouvait s’appliquer ; mais encore, par le privilège accordé au pouvoir royal, mettre celui-ci à même d’élargir les lois en dispensant de leur application. Le huitième canon était conçu dans le même esprit : tout en respectant les droits des maîtres, il trouvait un moyen ingénieux de les combiner avec ceux de l’Église. Il décidait que si l’évêque avait, en connaissance de cause, conféré le diaconat ou la prêtrise à quelque esclave à l’insu de son maître, il était tenu de restituer à celui-ci le double de son prix, mais que l’ordination restait valide. Il en était de même si l’évêque avait ignoré la condition servile de l’ordinand ; dans ce cas, le dommage devait être réparé par ceux qui l’avaient présenté au consécrateur[19]. C’est ainsi qu’avec des ménagements pleins de douceur, mais avec une claire conscience de son but, l’épiscopat franc défaisait maille par maille l’étroit tissu dans lequel la législation civile enfermait la libre allure de l’Église. Il ne faisait aucune opposition formelle et catégorique aux décisions du pouvoir civil ; mais, avec un art exquis, il plaçait à côté du fait légal un principe qui en impliquait la négation, laissant au temps le soin de supprimer la contradiction en ramenant le fait au principe. Les autres délibérations du concile d’Orléans roulèrent toutes sur des questions exclusivement religieuses ou ecclésiastiques. Un canon proscrivit une superstition que l’antiquité païenne avait léguée au monde chrétien, et qui était pratiquée même dans le clergé catholique : c’était une espèce particulière de divination, qui consistait à ouvrir au hasard les Livres saints, et à attribuer la valeur d’un oracle aux premiers versets qu’on y lisait[20]. Condamné déjà en 465, par les Pères du concile de Vannes[21], l’abus fut de nouveau interdit à Orléans sans qu’on parvînt à l’extirper, puisque, vers la fin du siècle, nous le voyons pratiqué encore par un homme de la sainteté et de l’intelligence de Grégoire de Tours. Il ne faut pas crier à la stérilité des dispositions conciliaires. En général, on peut dire qu’il n’y en a pas eu qui n’ait dû être édictée plusieurs fois avant de triompher ; on doit, au contraire, reconnaître l’excellence d’une institution grâce à laquelle les évêques condamnaient réunis ce qu’ils pratiquaient isolés. Une grande largeur d’esprit présida au règlement des difficultés relatives à l’arianisme. Le concile favorisa de tout son pouvoir la conversion des hérétiques, en permettant à leurs prêtres, s’il n’existait pas d’autre empêchement, de conserver leur rang lorsqu’ils passaient dans l’Église orthodoxe. Pour les sanctuaires ariens, il décida qu’après avoir été consacrés par l’évêque ils pouvaient être affectés au culte catholique[22]. On ne doit pas douter que ces deux mesures, qui ouvraient si larges les portes de la communion des saints à tous les ariens de bonne volonté, n’aient contribué efficacement à l’extirpation de l’hérésie dans la Gaule méridionale. Le culte et la liturgie furent l’objet de plusieurs importants canons. Le concile exigea que les fidèles assistassent à la messe entière, et n’en sortissent pas avant d’avoir reçu la bénédiction du prêtre[23]. Il décida que la durée du carême était de quarante et non de cinquante jours[24]. Il rendit obligatoire la fête des Rogations, récemment instituée à Vienne en Dauphiné par saint Mamert, et qui de là s’était répandue rapidement dans le reste de l’Église. Il voulut que les trois jours qu’elle durait fussent des jours de jeûne et d’abstinence ; il décida que les esclaves des deux sexes seraient dispensés de tout travail afin de pouvoir assister aux processions, et il donna pouvoir à l’évêque de punir le prêtre qui refuserait d’y participer[25]. Ainsi continuait au sein de l’Église la floraison liturgique ; chaque génération en s’écoulant ajoutait un joyau au diadème de ses fêtes, et le cercle enchanté de ses prières se nouait en guirlandes parfumées autour de toute l’année chrétienne. La discipline ecclésiastique était peut-être, de tous les sujets, celui que l’Église soignait avec le plus de sollicitude ; aussi ne s’étonnera-t-on pas d’y voir consacrer un grand nombre de canons. Il faut parler d’abord des attributions réservées aux évêques en leur qualité de chefs de diocèse. Le diocèse était dans l’Église primitive, et avant le mouvement de concentration qui s’est fait autour de la chaire romaine, l’organisme par excellence de la vie religieuse, et l’évêque était le centre et la source de toute autorité et de toute discipline. Le lien qui rattachait les fidèles à leur évêque était le lien le plus fort qui les rattachât à l’Église elle-même : il fallait veiller, s’il y avait lieu de l’élargir, à ce qu’il ne pût jamais être défait ou rompu. Voilà pourquoi l’on faisait aux fidèles dispersés dans les paroisses rurales l’obligation d’affirmer par intervalles l’unité diocésaine, en venant assister aux offices de la cathédrale aux fêtes de Noël, de Pâques et de Pentecôte. Le concile d’Orléans renouvela cette prescription[26]. Il rappela aussi aux fidèles que toutes les églises qui se construisaient dans le diocèse, que ce fût dans le domaine d’un particulier ou ailleurs ; restaient sous la juridiction de l’évêque[27] : mesure d’une importance capitale, qui sauvegardait l’unité religieuse, et constituait la barrière la plus solide que la féodalité envahissante ait rencontrée sur son chemin. Le concile consacra l’autorité de l’évêque sur toutes les personnes comme sur tous les biens de son église ; il lui en subordonna les religieux comme les laïques ; il ne permit ni à ses prêtres ni à ses moines d’aller trouver le roi pour lui demander un bénéfice sans la permission de l’évêque diocésain ; celui qui contreviendrait à cette défense devait être privé de son rang et de la communion jusqu’à ce qu’il eût satisfait[28]. Mais en même temps qu’il veillait à conserver intacte l’autorité épiscopale, le concile voulut que l’évêque se souvint aussi de ses devoirs : il exigea que tous les dimanches, sauf empêchement, il assistât aux offices de l’église la plus voisine[29] ; il ne lui permit pas de manier l’arme de l’excommunication contre un laïque qui revendiquerait les biens d’une église ou d’un évêque[30]. Il est intéressant de constater ces restrictions que les évêques eux-mêmes apportent à leur pouvoir : rien ne montre mieux l’action modératrice des conciles. Plusieurs autres dispositions des conciles antérieurs furent renouvelées en ce qui concernait la vie du clergé. Telle fut en premier lieu celle qui défendait aux clercs de tout rang, tant aux évêques qu’aux prêtres et aux diacres, d’avoir dans leur maison d’autres femmes que leurs parentes les plus proches[31]. Il fut interdit aux veuves de clercs de se remarier ; celles qui avaient contracté mariage furent contraintes de rompre leur union, sous peine d’excommunication tant pour elles que pour leurs complices[32]. Enfin il fut décidé que le prêtre ou diacre coupable d’un crime capital serait privé de son office et exclu de la communion des fidèles[33]. Tout cet ensemble de mesures était relatif au clergé séculier ; il faut y ajouter celles qui concernaient le clergé régulier. Quatre importants canons furent consacrés à la vie monastique, et il faut remarquer qu’ils ont pour caractère général le renforcement de l’autorité épiscopale sur le clergé régulier. Les abbés des monastères, se souvenant, dit le concile, de l’humilité dont leur profession leur faisait un devoir, eurent à reconnaître l’autorité de l’évêque, et celui-ci garda sur eux un droit de correction. Tous les ans ils devaient se réunir à l’endroit où il leur avait donné rendez-vous. Eux-mêmes, de leur côté, voyaient confirmer leur autorité sur leurs moines. Le religieux qui, contrevenant à sa règle, possédait quelque chose en propre, devait en être dépouillé par l’abbé ; celui qui s’évadait de son monastère devait y être ramené et mis sous bonne garde, avec l’aide de l’évêque. L’abbé lui-même était déclaré coupable s’il n’usait pas de son droit de correction, ou s’il accueillait un moine fugitif[34]. Il fut défendu aux moines de quitter leur monastère pour se bâtir des cellules à part, à moins qu’ils n’eussent l’aveu de leur évêque et de leur abbé ; les Pères du concile voyaient dans cette tendance à s’isoler une preuve de vanité et d’outrecuidance[35]. Ils fermèrent l’accès de tout grade dans l’ordre ecclésiastique à quiconque, après avoir professé la vie religieuse en prenant le manteau de moine, l’avait ensuite quittée pour contracter les liens du mariage[36]. Enfin, descendant jusque dans le détail, ils réglèrent de menues questions de costume monastique[37]. Les simples fidèles s’entendirent rappeler une des défenses les plus impérieuses de cette époque : celle du mariage entre beaux-frères et belles-sœurs, et il faut remarquer que par belle-sœur on devait entendre, au sens du concile, aussi bien la femme du frère que la sœur de la femme[38]. Deux canons, le onzième et le douzième, furent consacrés aux pénitents, classe de fidèles toujours nombreuse, et qui comprenait plusieurs catégories. Il y avait ceux que l’Église avait condamnés à la pénitence pour expier leurs fautes ; il y avait aussi ceux qui se l’étaient imposée spontanément et par ferveur de contrition. Ceux-ci étaient tenus de respecter leur vœu et ne pouvaient retourner à la vie du siècle, sinon ils étaient exclus de la communion, et nul fidèle ne pouvait les admettre à sa table sans s’exposer à partager leur sort. Toutefois, si un prêtre ou un diacre avaient, par pénitence, abandonné le service de l’autel, il leur fut permis, par égard pour le salut des âmes, d’administrer le sacrement de baptême en cas de nécessité[39]. Dans les mesures qu’il prit par rapport aux biens ecclésiastiques, le concile, comme dans tout l’ensemble de ses dispositions, ne fit qu’étendre, confirmer ou interpréter des canons antérieurs. Tous les biens immeubles de l’église, ainsi que les esclaves et le bétail, devaient être à la disposition de l’évêque, qui en faisait l’usage prescrit par les canons. Si, dans une vue d’humanité, il abandonnait pour un temps déterminé à des prêtres ou à des moines l’exploitation de champs ou de vignes, aucune prescription ne pouvait jamais éteindre son droit de propriété, et les dispositions de la loi civile ne pouvaient pas être invoquées contre lui[40]. Quant aux offrandes en nature que les fidèles faisaient sur l’autel, si c’était, dans la cathédrale, elles devaient se partager par moitié entre l’évêque et le clergé de cette église[41]. Dans les églises rurales, l’évêque avait droit à un tiers seulement, les deux autres tiers appartenaient au clergé local[42]. Une question toute neuve, c’était celle de la répartition des biens que l’Église devait à la libéralité de Clovis, ou qu’elle en attendait encore. Fallait-il les soumettre aux règles ordinaires, ou l’évêque pouvait-il en disposer à son gré ? Le concile répondit en rappelant les principes canoniques sur l’emploi des revenus de l’Église : un tiers revenait au clergé pour sa subsistance, un tiers aux pauvres et au rachat des captifs, un dernier tiers à l’entretien des églises et du culte. Cette clause semblait dure à certains prélats, qui, parait-il, auraient voulu regarder les libéralités royales comme des faveurs personnelles. Mais le concile s’éleva avec force contre cette prétention ; il menaça l’évêque récalcitrant d’une réprimande publique de la part de ses comprovinciaux ; s’il ne se soumettait, il devait être exclu de la communion de ses frères dans l’épiscopat[43]. Loin de pactiser ainsi avec l’égoïsme et l’avidité de ses propres membres, l’épiscopat franc leur rappela dans un canon spécial toute l’étendue de leur devoir de charité : L’évêque, dit le seizième canon, doit, dans la mesure du possible, fournir les aliments et les vêtements aux pauvres et aux infirmes que leur santé empêche de travailler de leurs mains[44]. On sait quelle riche variété d’œuvres charitables couvre l’ampleur magnifique de cette formule, qui mettait dans la clientèle de l’Église toutes les misères et toutes les souffrances d’ici-bas. Avant de se séparer, les évêques, Cyprien de Bordeaux et les autres métropolitains en tête, signèrent les actes et en adressèrent une copie au roi, avec une lettre ainsi conçue : A leur seigneur, fils de la sainte Église catholique, le très glorieux roi Clovis, tous les évêques à qui vous avez ordonné de venir au concile. Puisque un si grand souci de notre glorieuse foi vous excite au service de la religion, que dans le zèle d’une âme vraiment sacerdotale vous avez réuni les évêques pour délibérer en commun sur les besoins de l’Église, nous, en conformité de cette volonté et en suivant le questionnaire que vous nous avez donné, nous avons répondu par les sentences qui nous ont paru justes. Si ce que nous avons décidé est approuvé par vous, le consentement d’un si grand roi augmentera l’autorité des résolutions prises en commun par une si nombreuse assemblée de prélats[45]. Cette lettre était un acte de déférence de l’épiscopat envers la majesté royale, ou, pour employer l’expression du concile lui-même, c’était sa réponse au questionnaire de Clovis. On se tromperait si, de la formule respectueuse de la fin, on tirait la conclusion que les canons d’Orléans avaient besoin. de la confirmation royale. L’Église, chez les Francs mérovingiens, légiférait avec une souveraineté absolue dans son domaine ; ses canons étaient obligatoires en conscience pour tous les fidèles, y compris le roi lui-même, et nul n’aurait pu, sans se charger d’un péché grave, y contrevenir en quelque matière que ce fût. Elle n’avait donc pas à demander à Clovis- une confirmation dont elle pouvait se passer ; ce qu’elle désirait, c’est qu’en se montrant disposé à y obéir lui-même, il augmentât lé prestige et l’autorité des résolutions conciliaires. D’en faire passer la substance dans le droit civil, cela ne vint à l’esprit de personne : c’est plus tard seulement, et dans une mesure d’abord très restreinte, que les dispositions du droit ecclésiastique commencèrent à y pénétrer. En attendant, les résolutions du concile d’Orléans avaient force de loi pour l’Église franque, même celles qui auraient été en contradiction avec le code[46]. Nous ne quitterons pas la mémorable assemblée de 511 sans faire un rapprochement qui se sera sans doute présenté à l’esprit du lecteur. C’est une œuvre législative qui a ouvert les annales des Francs, et c’est une œuvre législative qui ferme le règne de Clovis. Mais depuis les séances des quatre prud’hommes qui délibèrent sous les chênes de Salaheim jusqu’à celles des trente-deux pontifes qui siègent sous les voûtes du sanctuaire d’Orléans, quel chemin parcouru ! La loi salique est le code d’un petit peuple païen ; les canons de 511 sont la charte d’une grande nation chrétienne. Là, on arrêtait le bilan de la barbarie ; ici, on continue l’œuvre de la civilisation. Là, un certain nombre de dispositions purement pénales, résument l’activité négative du passé ; ici, les prescriptions positives d’une loi morale supérieure font pénétrer dans le droit public les influences fécondantes de l’avenir. L’histoire de la fondation de la monarchie franque est comprise entre ces deux dates, et toute la philosophie de cette histoire tient dans ce simple rapprochement. |
[1] Sirmond, Concilia Galliæ, t. I, p. 176 ; Boretius, Capitularia regum francorum, t. I, p. 1.
[2] Voir ci-dessus.
[3] Voir la lettre des Pères du concile à Clovis, et aussi leur introduction dans Sirmond, Concilia Galliæ, t, I, pp. 177 et 178, et Maassen, Concilia ævi merovingici, p. 2. En 567, le concile de Tours, c. 22, citant un canon du concile d’Orléans 511, dit : In synodo Aurelianense, quam invictissimus rex Chlotveus fieri supplicavit. (Maassen, p. 132.)
[4] Secundum voluntatis vestræ consultationem et titulos quos dedistis ea quæ nohis visum est definitione respondimus. Sirmond, I, p. 177 ; Maassen, p. 2.
[5] Vita sancti Melanii.
[6] C’est l’opinion fort probable de Malnory, Saint Césaire, p. 66.
[7] Je crois devoir citer ici en entier le passage de Malnory, Saint Césaire, p. 114 ; après ce que je viens de dire, l’assertion de cet auteur que je souligne dans ma citation ne paraîtra plus fondée : Stimuler partout la réunion de ces assemblées (des conciles) était la pins importante des charges tracées dans les privilèges de Césaire, et on peut croire qu’il y déploya tout son zèle. C’est à lui que se rattache le mouvement extraordinaire de conciles régionaux et nationaux qui se produit des deux côtés des Pyrénées et surtout en Gaule, à cette époque. Seul d’entre ceux qui ont été tenus de son vivant en Gaule, le concile I d’Orléans, en 511, réuni sur un ordre personnel de Clovis, qui fait ici la figure d’un nouveau Constantin, peut être considéré comme le produit d’une inspiration spéciale probablement ecclésiastique, mais gui paraît bien être indépendante de Césaire. Tous les autres, depuis celui d’Epaone en Burgondie (511) jusqu’au IVème d’Orléans (541), antérieur de deux ans à la mort de Césaire, se rattachent si visiblement par leur dispositif aux conciles de la province d’Arles, et en particulier aux statuts de Césaire et au concile d’Agde, qu’on dirait une conspiration de toute la Gaule pour l’adoption de la discipline antérieure. Le fait que Césaire n’a plus présidé, après Agde, de concile étranger à sa province, n’autorise pas à dire que des assemblées telles que celles d’Epaone, Clermont, Orléans II-IV, se sont tenues tout à tait en dehors de lui. Les grands métropolitains qui ont convoqué et présidé ces assemblées ont certainement subi son influence plus ou moins avouée.
[8] Arnold, Cæsarius non Arelate, p. 231, note 736.
[9] S’il fallait en croire la vie de saint Mélaine, évêque de Rennes, c’est ce saint qui aurait joué le rôle principal au concile d’Orléans. Voici comment elle s’exprime dans sa recension A, qui est la plus ancienne (cf. l’Appendice) : Sinodum vero in Aurelianense civitate XXXII episcoporum congregavit (Chlodovechus), qui canones statuerunt, quorum auctor maxime sanctus Melanius prædicator Redonenis episcopus extitit, sicut etiam in præfatione ejusdem concilii hactenus habetur insertum. Mais ce renseignement est emprunté à peu près textuellement à un document du huitième ou neuvième siècle intitulé Adnotatio de synodis, et c’est ce document que la vie appelle præfatio. L’Adnotatio elle-même, bien loin de consigner ici un renseignement authentique, s’est bornée à induire le rôle de saint Mélaine de la place qui lui est donnée parmi les signataires du concile d’Orléans dans une pièce intitulée : De episcopis qui suprascriptos canones consenserunt et subscripserunt, et par conséquent son témoignage s’évanouit en fumée. C’est ce que démontre d’une manière lumineuse M. Lippert dans son beau mémoire intitulé : Die Verfasserschaft der Kanones Gallischer Concilien des V und VI Jahrhunderts (Neues Archiv, t. XIV, 1889), auquel je renvoie le lecteur. Sa démonstration me dispense de réfuter les amplifications d’une recension postérieure du Vita Melanii (C) qui va jusqu’à prétendre que saint Mélaine, fut mis à la tête du concile d’Orléans (eum sibi in primatem præfecerunt p. 534) et celles de Vincent de Beauvais qui, lui (Speculum historiale, XXI, c. 23), croit savoir que c’est le même saint qui a réuni le concile (hanc synodum 32 episcoporum congregavit sanctus Melanius.)
[10] M. Longnon, Atlas historique de la France, texte explicatif, p. 151, doute cependant que la civitas Boiatium ait jamais formé un évêché.
[11] Le canon 10 du troisième concile de Paris, tenu entre 556 et 573, veut que les actes du concile soient signés même par les évêques qui n’ont pu y assister. (Sirmond, I, p 317. Maassen, p. 145.) Si cette disposition n’était pas nouvelle, on pourrait renforcer singulièrement l’argument que je tire de l’absence des noms des évêques septentrionaux. Mais je crois que ce serait une conclusion erronée : on ne voit pas qu’avant le concile de Paris on se soit conformé à la règle qu’il trace ; d’ailleurs, il est certain que tous les évêques francs ne furent pas à Orléans, puisque saint Remi y manqua.
[12] Canons 1, 2 et 3, dans Sirmond, I, p. 178 ; Maassen, pp. 2 et 3.
[13] L’existence de cette loi, non conservée, est attestée au code Théodosien, XVI, II, 3.
[14] Novellæ Majoriani, t. I, au code Théodosien.
[15] Novellæ Valentin., III, tit. XII.
[16] Cod. Justinian, I, III, 36.
[17] Servos sane sociari clericorum consortiis, volentibus quoque et consentientibus dominis, modis omnibus prohibemus, quum liceat eorum dominis, data prius servis libertate, licitum eis ad suscipiendos honores clericorum iter, si hoc voluerint, aperire. Ibid., l. c.
[18] Canon 1, Sirmond, I, p. 119 ; Maassen, p. 1.
[19] Canon 8, Sirmond, p. 180 ; Maassen, p. 5.
[20] Canon 30, dans Sirmond, I, p. 183 ; Maassen, p. 9.
[21] Canon 16, dans Sirmond, I, p. 140.
[22] Canon 10, Sirmond, I, p. 180 ; Maassen, p. 5.
[23] Canon, 26, Sirmond, I, p. 182 ; Maassen, p. 8.
[24] Canon, 24, Sirmond, p. 182 ; Maassen, p. 8.
[25] Canon, 27, Sirmond, I, p. 182 ; Maassen, p. 8.
[26] Canon 25, Sirmond, I, p. 182 ; Maassen, p. 8.
[27] Canon 17, Sirmond, p. 181 ; Maassen, p. 6.
[28] Canon 7, Sirmond, p. 179 ; Maassen, p. 1.
[29] Canon 31, Sirmond, p. 183 ; Maassen, p. 9.
[30] Canon 6, Sirmond, p. 179 ; Maassen, p. 4.
[31] Canon 29, Sirmond, p. 183 ; Maassen, p. 8.
[32] Canon 13, Sirmond, p. 180 ; Maassen, p. 6.
[33] Canon 9, Sirmond, p. 180 ; Maassen, p. 5.
[34] Canon 19, Sirmond, p. 181 ; Maassen, p. 7.
[35] Canon 22, Sirmond, p. 182 ; Maassen, p. 7.
[36] Canon 21, Sirmond, p. 182 ; Maassen, p. 7.
[37] Canon 20, Sirmond, p. 182 ; Maassen, p. 7.
[38] Canon 18, Sirmond, p. 181 ; Maassen, p. 6.
[39] Canon 12, Sirmond, p. 180 ; Maassen. p. 5.
[40] Canon 23, Sirmond, p. 182 ; Maassen, p. 7.
[41] Canon 14, Sirmond, p. 180 ; Maassen, p. 6.
[42] Canon 15, Sirmond, p. 181 ; Maassen, p. 6.
[43] Canon 5, Sirmond, p. 179 ; Maassen, p. 4.
[44] Sirmond, p. 181 ; Maassen, p. 6.
[45] Sirmond, p. 177 ; Maassen, p. 2.
[46] Voir Lœning, Geschichte des deutschen Kirchenrechts, t. II, pp. 450 et suiv.