CLOVIS

LIVRE TROISIÈME.

V. — LA CONVERSION DE CLOVIS.

 

 

L’extension prodigieuse qu’avait prise en quelques années le petit royaume des Saliens l’avait mis en contact avec tous les peuples qui se partageaient la Gaule. Grâce à la conquête de Verdun et d’une partie de la Belgique première, il était devenu le voisin des Alamans, et une lutte avec cette nation belliqueuse était imminente. Elle éclata en 496.

Les Alamans[1] avaient été depuis le troisième siècle, avec les Francs, les plus redoutables adversaires de l’Empire, et c’étaient leurs assauts combinés qui avaient brisé sa force de résistance. C’était à qui de ces deux peuples porterait les plus rudes coups à l’ennemi commun. Les Alamans y mettaient une fougue et un acharnement incomparables. Comme des essaims furieux, ils passaient le Rhin tous les ans, et venaient désoler les provinces de la Gaule. Pendant tout le quatrième siècle, les empereurs eurent sur les bras la lutte contre leurs tribus toujours renaissantes, et la guerre alémanique se déroula parallèlement à la guerre franque, avec les mêmes péripéties et les mêmes épuisements. Plus à portée du regard des historiens romains, les envahisseurs alamans ont même pris, dans les annales de l’Empire, une place particulièrement en vue. Les écrits du temps sont pleins des noms de leurs chefs, qui portaient l’épouvante jusqu’au fond des provinces. L’histoire doit une mention spéciale à ce vaillant Chnodomar, le monarque aux bras musculeux et à la taille gigantesque, qui apparaissait à la tête des siens, monté sur un cheval écumant, et agitant sur sa tète un panache couleur de flamme, pendant que deux cents guerriers de choix, qui composaient sa garde du corps, combattaient autour de lui, prêts à le suivre dans la victoire, dans la prison ou dans la mort[2]. Des flots de sang alémanique inondèrent les provinces envahies ; des milliers d’Alamans succombèrent tous les ans sur le sol gaulois dans des batailles meurtrières. Dans celle de Strasbourg, en 354, ils combattirent au nombre de trente-cinq mille, sous la conduite de sept rois et de dix princes royaux, et ils laissèrent cinq mille des leurs sur le carreau[3]. A Châlons-sur-Marne, en 367, le brave Jovin leur infligea un désastre non moins cuisant[4]. Enfin, à Colmar, en 374, leur armée, qui comptait quarante mille hommes selon les uns, soixante-dix mille selon les autres, fut entièrement exterminée, et tout au plus cinq mille trouvèrent leur salut dans la fuite[5]. Mais, chaque fois, la nation, qui semblait anéantie, revenait à la charge, nombreuse comme si elle était restée intacte pendant des siècles, ardente comme si elle n’avait jamais connu la défaite[6]. Devenus les maîtres, après une lutte acharnée, de la trouée de l’Entre-Rhin-et-Danube, que ne protégeait plus le Limes tombé en ruines, les Alamans se répandirent dans la belle et riante contrée que les Romains appelaient les Champs Décumates, ils entrèrent victorieux dans la grande ville d’Augsbourg, et occupèrent toute la région comprise entre le Lech et le coude que fait le Rhin à partir de Bâle. De là ils pouvaient à leur gré descendre dans la haute Italie ; dès 392, on les vit apparaître sous les murs de Milan[7], et plus d’une fois depuis lors, séduits par un charme toujours nouveau, ils reprirent le chemin de la terre ensoleillée. D’autre part, franchissant la ligne du Rhin abandonné, ils se déversèrent en masses torrentueuses sur les provinces orientales de la Gaule, si longtemps l’objet de leurs ardentes convoitises. L’Alsace tombait en leur pouvoir avec ses plaines fécondes ; ils foulaient en vainqueurs ces champs qu’au siècle précèdent ils avaient engraissés des flots de leur sang, et la vieille Argentoratum, témoin de leur premier désastre, empruntait maintenant à leur langue son nom nouveau de Strasbourg. Après la mort d’Aétius, le dernier défenseur de la Gaule, la première Belgique fut également à leur merci. Toul et Metz leur ouvrirent leurs portes, Langres et Besançon devinrent des villes alémaniques, Reims trembla plus d’une fois devant eux.

En même temps qu’ils se dilataient ainsi, menaçant à la fois l’Italie, la Gaule centrale et la Pannonie, les Alamans resserraient de plus en plus le lien politique qui unissait leurs diverses peuplades entre elles. De simple confédération de barbares qu’ils avaient été dans l’origine, ils devenaient une grande nation. Vers le milieu du cinquième siècle, nous voyons un de leurs rois, du nom de Gibuldus ou Gebavultus, mettre en liberté des prisonniers gaulois à la prière de saint Loup de Troyes, et des captifs du Norique à la demande de saint Séverin[8]. Voilà, régnant à la fois sur les Alamans du Danube et sur ceux de l’Alsace, le successeur unique des neuf rois vaincus par Probus, des sept rois qui ont combattu contre Julien à Strasbourg.

Mais le jour vint où les Alamans eurent à compter avec d’autres peuples de leur race, qui leur disputèrent avec succès les terres impériales vacantes. L’Empire agonisant avait imaginé, conformément aux traditions artificieuses de la diplomatie romaine, de les mettre aux prises avec leurs voisins les Burgondes, les plus romains des barbares. Ceux-ci étaient d’abord venus s’établir entre les Alamans et les Francs, sur la rive gauche du Rhin. Plus tard, l’Empire les avait rapprochés de lui en les établissant dans la Sapaudie, le long du Rhône et au pied des Alpes. Là, ils servirent de boulevard à l’Italie menacée, et ils ne laissèrent pas de gêner singulièrement leurs remuants voisins, à qui ils parvinrent même à enlever plusieurs cités[9].

Du côté du sud, ce fut la monarchie ostrogothique de Théodoric le Grand qui devint la barrière. Lorsque le vainqueur d’Odoacre eut pris pied dans les belles plaines de la haute Italie, les Alamans comprirent que leur rôle était fini de ce côté. Adieu les descentes foudroyantes dans ces grasses contrées, et les tournées triomphales d’où l’on revenait, couronné de gloire et chargé de butin !

Il fallut refluer vers le nord. Mais, là aussi, la place était prise. Les Francs s’étaient répandus le long du Rhin et de la Moselle : ils n’entendaient pas se laisser déposséder de foyers qu’ils avaient achetés au prix de leur sang. La lutte fut vive et acharnée, et si l’histoire en a oublié le souvenir, on peut dire que le sol en a gardé les traces. Partout, sur les hauteurs de l’Eifel, dans la vallée de la Moselle et jusqu’à l’entrée de la Ripuarie, les villages à nom alémanique s’insèrent comme des envahisseurs au milieu de ceux qui trahissent une origine franque, et ce pêle-mêle des vocables donne l’idée du terrible fouillis qui dut se produire dans ces jours où les colons venus du sud se heurtaient aux premiers occupants[10].

Devant les anciens frères d’armes devenus des ennemis, les Francs allaient-ils maintenir leurs positions ? On pouvait craindre le contraire. Ils étaient divisés en deux peuples : les Alamans formaient une vaste et puissante nation militaire. Saliens et Ripuaires, il est vrai, n’étaient pas étrangers les uns aux autres ; à leur tête étaient des rois rattachés entre eux par les liens du sang, et les deux groupes avaient le même intérêt à ne pas laisser grandir à côté d’eux une puissance qui pût devenir menaçante pour l’un et pour l’autre. Néanmoins, la facilité qu’avaient les Alamans de se jeter tour à tour sur l’un des deux, et de le surprendre avant qu’il eût pu recevoir des secours de l’autre, jointe à l’éloignement considérable des deux villes de Soissons et de Cologne, qui étaient les centres de gravité de la nation franque, mettaient les Francs dans une situation stratégique fort inférieure à celle de leurs voisins, aussi longtemps du moins qu’ils se bornaient à rester sur la défensive.

Selon toutes les apparences, le plus fort de la lutte contre les Alamans a pesé sur les Francs Ripuaires. Leurs agresseurs n’avaient qu’à descendre le cours du beau fleuve dont ils gardaient la vallée supérieure : les flots les portaient sans obstacle au milieu des vastes campagnes ouvertes de la Ripuaire. Ce royaume était loin d’avoir l’élan irrésistible et la fougue conquérante de celui de Soissons. Resté comme à l’arrière-garde de l’invasion, et n’ayant plus devant lui aucune terre romaine qui ne fût déjà occupée, il se voyait réduit à un rôle de conservation pacifique qui n’était pas fait pour inspirer beaucoup de respect à ses turbulents voisins. Ceux-ci avaient manifestement le dessus : les traces de leur colonisation en Hesse et dans le paye rhénan nous montrent qu’ils s’étendaient graduellement dans ces régions au détriment des Ripuaires. Déjà ils s’étaient avancés jusqu’à une journée de marche de leur capitale : encore une bataille, et elle tombait dans leurs mains avec tout le royaume.

Des hauteurs volcaniques de l’Eifel, qui entourent en hémicycle, du côté du sud, la vaste et fertile plaine à l’extrémité de laquelle apparaissent les tours de Cologne, les barbares venaient de descendre dans ce jardin des Ripuaires. Un château fort, bâti par les Romains, en gardait l’entrée : c’était Tolbiac, ancienne garnison des légionnaires, encore reconnaissable sous son nom modernisé de Zülpich. La bourgade, aujourd’hui au large dans sa vieille enceinte croulante vêtue par intervalles de larges pans de lierre, surgit comme une vision d’autrefois au milieu de la solitude immense. L’église, dont la crypte se souvient d’avoir vu ondoyer Clovis[11], le vieux château du moyen âge aux massives tours rondes, reposant sur des assises mérovingiennes, le tracé des rues, où l’on retrouve l’intersection des lignes principales du campement romain, les fossés, transformés en jardins largement nourris de soleil, et surveillés par des meurtrières en ruines, les pittoresques portes crénelées s’ouvrant aux quatre points cardinaux, le cimetière silencieux au bord de la route, à la sortie principale de la ville, et qui rappelle les avenues sépulcrales par lesquelles on entrait dans les cités romaines, tout y a gardé, si l’on peut ainsi parler, le moule des événements historiques, tout y évoque un passé lointain et d’émouvants souvenirs. Une paix profonde semble plonger dans le silence de la mort cette petite localité, dont le nom seul est resté vivant. La plaine immuable et monotone, est fendue, en quelque sorte, par la longue ligne droite et blanche de la vieille chaussée, qui, venant de Trèves, semble impatiente d’arriver à Cologne. Au loin s’étend la campagne solennelle et muette, dans le calme de son large horizon, qui s’élève comme les gradins d’un cirque immense autour de quelque grand théâtre historique.

C’est là, sous les tours du château romain, et sans doute en avant de la ville, que les Ripuaires eurent à défendre contre les envahisseurs alémaniques le cœur même de la patrie. Nous ne savons pas si les Saliens étaient venus à leur secours ; mais, grâce aux circonstances que nous avons indiquées, les attaques de l’ennemi pouvaient être assez imprévues pour empêcher les renforts envoyés par Clovis d’arriver à temps. Les Ripuaires résistèrent avec courage : leur roi Sigebert fut blessé au genou dans le combat, et il en garda, pour le reste de sa vie, une claudication qui lui valut le surnom de boiteux[12]. Il parait bien que la journée fut un succès pour les armes franques, car, longtemps après, nous retrouvons le roi Sigebert en paisible possession de son royaume[13]. Ce ne fut pas sans doute la première rencontre à main armée entre Francs et Alamans, mais c’est la première dont nous ayons connaissance. Et ce ne sont pas les annalistes, mais les poètes populaires qui en ont gardé le souvenir, et qui ont porté au loin, dans toutes les régions franques, le nom désormais fameux de Tolbiac.

Mais la fièvre d’expansion qui tourmentait les Alamans ne leur laissait pas de repos, et ils revinrent ‘à la charge. Comme ils tâtaient successivement toute la frontière, et qu’ils n’épargnaient pas plus le domaine des Saliens que celui des Ripuaires, Clovis fut entraîné à descendre à son tour dans l’arène. Nous ne connaissons pas l’occasion de cette prise d’armes. Soit que les Alamans aient menacé les opulentes contrées de la Gaule orientale, dont les séparait la haute muraille des Vosges ; soit que Sigebert de Cologne, craignant une nouvelle invasion, l’ait appelé au secours, il pénétra en Alsace par une marche rapide, et vint tomber sur l’ennemi dans la vallée du Rhin. Il est impossible de marquer d’une manière plus précise le champ clos d’une rencontre qui devait être décisive pour l’avenir de l’Europe. Grégoire de Tours lui-même l’a ignoré, et tout le moyen âge après lui. L’événement mémorable qui ouvre les annales du monde moderne est donc destiné à ne jamais porter de nom dans l’histoire. Le besoin de donner un point de repère à des souvenirs fameux a fait accueillir avec faveur l’ingénieuse conjecture d’un érudit du seizième siècle«, qui a identifié la victoire de Clovis avec la bataille de Tolbiac racontée plus haut[14]. Mais la popularité de l’hypothèse ne la garantit pas contre le contrôle de la critique, et une longue possession ne parvient pas à créer de prescription dans l’histoire, au profit des opinions qui n’ont pas de preuve formelle à invoquer.

C’était en 496, la quinzième année du règne de Clovis[15]. Les annales franques n’ont accordé qu’une sèche mention au drame que nous allons raconter, mais les hagiographes du sixième siècle en ont mieux gardé la mémoire, et c’est à l’un d’eux que nous devons d’en connaître au moins l’acte principal.

La lutte fut acharnée. Sentant l’importance de l’enjeu et connaissant la valeur de l’adversaire, Clovis y avait engagé toutes ses troupes, auxquelles probablement s’étaient joints les contingents des Ripuaires. De leur côté, les Alamans doivent avoir mis en ligne des forces au moins aussi considérables, puisqu’ils purent balancer la victoire et même, à un certain moment, faire plier les milices franques. Ils étaient de tout point dignes de se mesurer avec les vétérans de Clovis. La furia alémanique était célèbre sur les champs de bataille : les Alamans se ruaient à la victoire avec un élan qui renversait tout. Mis en présence de rivaux dont les derniers événements avaient grandi le nom et exalté l’orgueil, ils savaient qu’ils jouaient une partie suprême, et la conscience de la gravité de cette journée augmentait en eux la fièvre du combat,

Déjà ils touchaient au terme de leurs ardents efforts. L’armée des Francs commençait à fléchir, et une débandade était imminente. Clovis, qui combattait à la tête des siens, s’aperçut qu’ils mollissaient, et qu’il ne parvenait plus à les ramener à l’assaut. Comme dans un éclair, il vit passer devant ses yeux toutes les horreurs de la défaite et tous les désastres de la fuite. Alors, sur le point de périr, abandonné de ses dieux, qu’il avait invoqués vainement, il lui sembla entendre en lui-même la voix aimée qui y était descendue si souvent pour lui parler d’un Dieu meilleur et plus grand. En même temps, il voyait surgir, du fond de sa mémoire remplie des entretiens de Clotilde, la figure de ce Christ si bon et si doux, qui était, comme elle le lui avait dit, le vainqueur de la mort et le prince du siècle futur. Et, dans son désespoir, il poussa vers lui un cri plein d’angoisse et de larmes : Jésus-Christ, s’écria-t-il au dire de notre vieil historien, toi qui es, selon Clotilde, le Fils du Dieu vivant, secours-moi dans ma détresse, et si tu me donnes la victoire, je croirai en toi et je me ferai baptiser.

Le cri de Clovis a traversé les siècles, et l’histoire en gardera le souvenir à jamais. Sorti, au milieu des horreurs du champ de bataille, des profondeurs d’une âme royale qui parlait au nom d’un peuple, il est autre chose que la voix d’un individu en péril, il représente ce peuple lui-même dans le moment le plus solennel de son existence. Telle est la grandeur historique du vœu tombé des lèvres de Clovis à l’heure du danger : c’est un pacte proposé au Christ par le peuple franc, et que le Christ a ratifié. Car à peine Clovis eut-il prononcé ces paroles, continue le chroniqueur, que la fortune du combat fut brusquement intervertie. Comme s’ils s’apercevaient de l’entrée en scène de quelque allié tout-puissant, les soldats de Clovis reprennent courage. La bataille se rétablit, l’armée franque revient à la charge, les Alamans plient à leur tour, leur roi succombe dans la mêlée, les vainqueurs de tantôt- se voient transformés en vaincus. La mort de leur chef a eu raison de leur ardeur ; ils jettent les armes et, sur le champ de bataille même, ils demandent grâce au roi des Francs[16]. Celui-ci les traita avec douceur et générosité, et, se contentant de leur soumission, il mit aussitôt fin à la guerre[17].

Telle est, racontée par une source contemporaine, l’histoire du triomphe de Clovis sur les Alamans, ou, pour mieux dire, de la foi chrétienne sur le paganisme. Cette grande journée n’a de pendant que celle du pont Milvius : l’une avait clos les annales du monde antique, l’autre ouvre les annales du monde moderne. Son importance est donc absolument hors pair dans les dates historiques. Nous y voyons, du haut de l’observatoire que font à l’historien quatorze siècles superposés, les destinées de l’Europe se décider avec celles du peuple franc, l’avenir du peuple franc se ramener à la victoire de son roi, et tous ces grands intérêts dépendre de la solution donnée, au fond d’une conscience d’homme, au problème capital qui se pose à toute âme venant en te monde. C’est là, à coup sûr, un spectacle d’une rare beauté. Le brusque mouvement d’une âme qui, se décidant avec la rapidité de l’éclair, tend les bras an Dieu sauveur, déplace en un seul moment le centre de gravité de l’histoire, crée la première des nations catholiques, et met dans ses mains le gouvernail de la civilisation. Pour ceux qui dédaigneraient d’accorder quelque attention aux luttes intérieures de la conscience religieuse, les plus émouvantes et les plus nobles de toutes, il y a, dans la grandeur historique de ces résultats, de quoi attirer au moins, sur la conversion de Clovis, l’intérêt qui s’attache aux événements les plus considérables de l’ordre politique.

En faisant dépendre tant de conséquences de la solution d’un problème psychologique, nous n’entendons pas présenter cette solution comme un acte improvisé, ou comme un résultat sans cause. Beaucoup de circonstances s’étaient réunies pour acheminer en quelque sorte le roi franc vers le Dieu de Clotilde, ou, si l’on veut ; pour fermer les issues par lesquelles son âme, à l’heure d’une délibération solennelle, eût pu s’en aller du côté d’une autre foi. Nous les avons vues se grouper et faire cercle autour de lui, et l’on peut dire, sous un certain rapport, que sa conscience était comme investie. Mais, pour qu’elle se rendit, il fallait le mouvement libre et spontané d’une volonté qui gardait l’empire d’elle-même. Clovis eût pu, comme d’autres barbares illustres, comme Gondebaud, comme Théodoric le Grand, rester sourd à la voix qui sortait des choses, et refuser de jeter, dans la balance du temps, le poids de la parole décisive. Sa grandeur vient de l’avoir prononcée, sous l’influence de la grâce sans doute, mais dans la plénitude de sa liberté. Toutes les péripéties de l’histoire sont venues, pendant quatorze siècles, prendre le mot d’ordre de son libre arbitre souverain.

La victoire de Clovis avait une telle importance au point de vue de l’histoire du monde, qu’on a presque perdu de vue ses résultats immédiats. Et pourtant ils ont été considérables. D’emblée, le danger alémanique était définitivement écarté. Après avoir été, pendant des siècles, la terreur de l’Empire, après avoir voulu devenir la terreur du peuple franc, cette fière nation n’inspirait plus à ses voisins que des sentiments de pitié. Le vainqueur n’avait pas daigné poursuivre ses avantages : sur le champ de bataille, il avait accordé la paix à ce peuple sans roi, qui lui tendait des mains suppliantes. Un contemporain félicite Clovis d’avoir usé de miséricorde en cette occasion, et déclare que les Alamans témoignaient leur bonheur par des larmes de joie[18]. Le roi des Francs inaugurait par un acte de clémence son entrée dans la famille des rois chrétiens.

Mais les Alamans ne se résignèrent pas longtemps à porter le joug. Le premier abattement passé, ils relevèrent la tête, et probablement ils refusèrent de payer le tribut que le vainqueur leur avait imposé en signe d’hégémonie. Comment eût-il pu en être autrement ? Ils étaient nombreux encore, ceux d’entre eux que la bataille avait épargnés, et que n’effrayaient pas les chances d’un nouveau recours à la fortune des armes, sans compter les jeunes gens qui n’avaient pas été de la défaite, et qui brûlaient d’être de la revanche. La générosité même avec laquelle Clovis les avait traités avait enhardi ces âmes farouches, pour qui la modération était trop souvent l’équivalent de la lâcheté. Ils reprirent donc les armes, et il fallut, pour les réduire, de nouveaux combats. Ces combats paraissent s’être échelonnés sur plusieurs des années suivantes, et n’avoir pris fin que dans les premières années du sixième siècle. Cette fois, ce fut pour les Alamans non plus la défaite, mais l’écrasement. Poursuivis l’épée dans les reins par un vainqueur exaspéré, ils abandonnèrent en masse les heureuses vallées du Mein et du Neckar, qui étaient le centre de leur royaume, se jetèrent dans une fuite éperdue sur les provinces méridionales, et gagnèrent, au delà du Rhin, les hauts plateaux de la Souabe et les vallées sauvages de la Suisse, où viennent déboucher les fleuves et les torrents des Alpes. Pendant ce temps, les terres qu’ils abandonnaient étaient envahies par des colons francs venus du pays des Chattes, qui s’établirent dans la patrie des Alamans, et qui franconisèrent ces régions encore aujourd’hui désignées sous le nom de Franconie.

Que devinrent les malheureux fuyards, qui avaient dans le dos la framée des soldats de Clovis, et devant eux les hauts glaciers des Alpes, ces redoutables boulevards du royaume d’Italie reconstitué ? Blottis dans les défilés, entre un vainqueur irrité et un roi puissant qui n’entendait pas leur ouvrir son royaume, ils se voyaient en proie à la plus lamentable détresse. Théodoric le Grand vint à leur secours. Il avait tout intérêt à empêcher que Clovis, en leur donnant la chasse, ne les jetât comme une avalanche sur la haute Italie, dont ils connaissaient les charmes par les récits enflammés de leurs pères. Il ne redoutait pas moins de voir les Francs devenir ses voisins immédiats, s’ils parvenaient à dominer jusque sur les lignes de faite du haut desquelles se découvrent les belles plaines lombardes. Alors ce prince, qui aimait la paix et qui demandait volontiers à la diplomatie les lauriers de la guerre, crut le moment venu d’entrer dans le débat. Affectant de considérer les hauts plateaux de la Rhétie comme le prolongement et comme une partie intégrante du royaume italique, il déclara qu’il ouvrait ce pays aux débris d’une nation déracinée, et que les Alamans sans patrie pouvaient s’y réfugier à l’abri de sa généreuse protection. Par ce trait d’habile politique, il couvrait la frontière de l’Italie, en jetant en avant d’elle des populations qui la défendraient au besoin avec l’énergie du désespoir, et il se procurait des titres à la reconnaissance d’un peuple qu’il avait l’air d’accueillir par humanité pure. Clovis, il est vrai, pouvait prendre de l’ombrage de cette intervention du roi des Ostrogoths, qui lui ravissait une partie des fruits de sa victoire. Pour prévenir des observations, en même temps que pour justifier, d’une manière indirecte, l’attitude de son gouvernement, Théodoric écrivit à Clovis une lettre qu’on peut regarder comme un chef-d’œuvre de diplomatie. Conçu dans le style grandiose de l’ancienne chancellerie romaine, dont Cassiodore continuait la tradition auprès du monarque ostrogoth, ce document, très courtois dans la forme et d’une singulière fermeté dans le fond, se tenait dans le domaine des généralités élevées, et semblait ne faire appel qu’aux sentiments généreux du roi des Francs. Il ne pouvait toutefois échapper à celui-ci que la démarche de son puissant beau-frère s’inspirait d’autres considérations que de celles d’une philanthropie désintéressée, et qu’il y aurait peut-être quelque danger à ne pas déférer à ses conseils de modération :

Nous nous réjouissons, écrivait Théodoric, de la parenté glorieuse qui nous rattache à vous. Vous avez, d’une manière heureuse, éveillé à de nouveaux combats le peuple franc, depuis longtemps plongé dans le repos[19]. D’une main victorieuse vous avez soumis les Alamans abattus par la mort de leurs plus vaillants guerriers. Mais puisque c’est toujours les auteurs de la perfidie qu’on doit en punir, et que le châtiment mérité par les chefs ne doit pas frapper tout le monde, modérez les coups que vous portez aux restes d’une nation écrasée. Considérez que des vaincus qui se réfugient sous la protection de vos parents ont quelque titre à vos égards. Soyez clément pour des hommes qui se cachent, épouvantés, derrière les frontières de notre royaume. Vous avez remporté un triomphe mémorable en inspirant au farouche Alaman une telle terreur, qu’il a été réduit à vous demander humblement la vie sauve. Qu’il vous suffise d’avoir vu leur roi succomber avec l’orgueil de la race, et d’avoir en partie exterminé, en partie asservi cette innombrable nation. Faire la guerre à ses débris, c’est vous donner l’apparence de ne pas l’avoir vaincue toute. Croyez-en ma vieille expérience dans ces matières. Les guerres qui ont eu pour moi les résultats les plus heureux, ce sont celles où j’ai mis de la modération dans mon but. Celui-là est sûr de vaincre toujours qui sait être mesuré en tout, et la prospérité sourit de préférence à ceux qui ne déploient pas une rigueur et une dureté excessives. Accordez-nous donc gracieusement ce qui ne se refuse pas même entre nations barbares[20] : de la sorte, vous n’aurez pas repoussé notre prière, et vous n’aurez rien à craindre du côté des pays qui nous appartiennent.

La lettre ajoutait que les porteurs étaient chargés d’un message verbal qui devait rapporter des nouvelles de la santé de Clovis et insister sur la demande qu’elle avait exprimée. Elle enveloppait dans un dernier compliment des paroles qui ont assez l’air d’un avertissement déguisé, en disant que le but de la communication qui devait être faite de vive voix était que le roi des Francs fût désormais mieux sur ses gardes, s’il voulait jouir constamment de la victoire. Votre prospérité est notre gloire, disait Théodoric, et chaque fois que nous recevons une bonne nouvelle de vous, nous considérons que c’est un profit pour tout le royaume d’Italie. Enfin, pour laisser le destinataire sous l’impression la plus favorable possible, la lettre lui annonçait, par manière de conclusion, l’envoi du joueur de cithare que Clovis, parait-il, avait demandé à son beau-frère. Théodoric connaissait l’effet qu’une attention délicate pouvait produire sur ses correspondants barbares ; il y recourait volontiers, et il prit un soin particulier pour que le cadeau fût le plus agréable possible au destinataire. Une lettre écrite en son nom à Bece, le premier musicologue de son temps[21], le chargeait de choisir lui-même l’artiste digne d’être envoyé au roi des Francs. Cassiodore, qui tenait la plume, s’était mis, à cette occasion, en frais d’éloquence pour l’homme illustre qui était son rival littéraire. Ces amplifications, peut-être ajoutées après coup, se lisent aujourd’hui avec fort peu d’intérêt ; toutefois, à la fin de la lettre, un trait mérite d’attirer notre attention. Dans une réminiscence classique, l’écrivain rappelle à son correspondant qu’il faut une espèce d’Orphée, capable de toucher, par la douceur de ses accords, les cœurs farouches des barbares[22].

Tout fait croire que Théodoric réussit dans son entreprise, sans qu’il fût nécessaire de recourir au talent du cithariste. Clovis, qui venait d’ajouter à sa couronne un de ses plus beaux fleurons, avait tout intérêt à ménager le roi d’Italie, et n’en avait aucun à s’aventurer dans un pays montagneux et stérile, à la poursuite des fugitifs. Le gros de la nation s’était soumis à lui ; il pouvait négliger le reste[23]. Aussi les panégyristes du roi d’Italie célébrèrent-ils le succès des négociations de leur maître dans des harangues où ils gonflent avec une exagération ridicule des résultats d’ailleurs sérieux. C’était, selon le rhéteur Ennodius, le peuple tout entier des Alamans que Théodoric venait de recueillir en deçà de ses frontières, et cette nation qui avait si longtemps été le fléau de l’Italie en devenait maintenant la gardienne. Les fugitifs eux-mêmes, à l’entendre, devaient se féliciter de la catastrophe qui leur avait enlevé leur patrie et leur roi : ne retrouvaient-ils pas un roi dans Théodoric, et n’échangeaient-ils pas les marécages de leurs anciennes résidences contre la fertilité du sol romain[24] ?

On ne doit pas se laisser tromper par cet enthousiasme de commande. Les Alpes n’étaient pas plus riches au sixième siècle qu’aujourd’hui, et Théodoric lui-même n’a voulu voir autre chose, dans les Alamans cantonnés par lui en Helvétie, que les faibles débris d’une nation écrasée. La vérité se trouve entre les déclamations du rhéteur, qui exagère à plaisir les proportions du succès, et les atténuations du diplomate, qui diminue le plus possible l’importance de la concession demandée. On peut dire, pour conclure, que Clovis ne sacrifia pas grand chose en limitant sa conquête au Rhin, mais que le roi d’Italie profita en partie de sa victoire en s’attachant les vaincus. Ils lui fournirent des soldats et gardèrent sa frontière ; seulement, le jour du danger venu, ils redevinrent, en vrais barbares qu’ils étaient, les pillards du pays dont on les avait constitués les gardiens.

Nous avons voulu présenter un tableau d’ensemble de ces faits pour aider le lecteur à en mieux saisir la signification, au risque d’interrompre la succession chronologique des événements. Nous nous hâtons maintenant de rentrer dans cette année 496, si riche en souvenirs mémorables, pour assister aux grands spectacles qu’elle nous réserve.

 

 

 



[1] Sur les Alamans il faut lire : Zeuss, Die Deutschen und die Nachbarstämme, Munich, 1837 ; Geschichte der Alamannen und Franken bis zur Gründung der fränkischen Monarchie durch König Chlodwig, Sulzbach, 1840 ; Merkel, De republica Alamannorum, 1849 ; von Schubert, Die Unterwerfung der Alamannen unter die Franken, Strasbourg, 1884.

[2] Ammien Marcellin, XVI, 12.

[3] Id., l. c.

[4] Id., XXVII, 2.

[5] Id., XXXI, 10.

[6] Id., XXVIII, 5, 9.

[7] S. Ambroise, De Obitu Valentiniani, 4 et 22.

[8] Eugippius, Vita S. Severini, c. 19 ; Vita S. Lupi, Act. Sanct., t. VII, 19 juillet, p. 70 ; cf. von Schubert, Die Unterwerfung der Alamannen unter die Franken, p. 19.

[9] Binding, Das Burgundisch-Romanische Königreich, pp. 103-108.

[10] W. Arnold, Ansiedelungen und Wanderungen deutscher Stämme, 2e édit., Marbourg, 1881. Livre ingénieux, mais où l’élément conjectural occupe une grande place.

[11] Sur les souvenirs locaux de Zülpich relatifs à Clovis et à la bataille des Alamans, il faut lire Broix, Erinnerungen an das alte berühmte Tolbiacum, Neuss, 1842. Ces traditions ne remontent pas plus haut que l’époque de la Renaissance, et ne servent en rien à guider les recherches de l’historien.

[12] Hic Sigibertus pugnans contra Alamannos apud Tulbiacensim oppidum percussus in genuculu claudicabat. Grégoire de Tours, II, 37.

[13] Grégoire de Tours, II, 37.

[14] L’identification a été faite, pour la première fois, par Paul Emile, historiographe de France, De Rebus gestis Francorum, Paris, 1539, fol. v, verso, et admise sur la foi de cet auteur par la plupart des historiens. Elle repose uniquement sur la supposition que la bataille de Clovis contre les Alamans, dont Grégoire de Tours ne désigne pas le théâtre, est la même que le combat de Tolbiac livré par Sigebert de Cologne aux mêmes ennemis, et dont Grégoire parle à un autre endroit de sa chronique. De preuve, il n’y en a aucune. L’hypothèse a d’ailleurs rencontré, dès le dix-septième siècle, une certaine opposition de la part des savants belges ; Vredius, dans son Historiæ Flandriæ christianæ, Bruges, 1650, pp. 1 et 2, veut que la bataille ait eu lieu à Toul, puisque c’est par là que Clovis passa en retournant chez lui ; Henschen, dans ses notes sur la vie de saint Vaast (Acta Sanctorum, t. I de février, p. 796 A), propose les environs de Strasbourg pour les mêmes raisons, et aussi parce que le Vita Vedasti place la lutte sur les bords du Rhin. Mais ni l’un ni l’autre de ces savants n’a invoqué, contre Tolbiac, le vrai argument, qui est l’absence de toute preuve et le caractère purement hypothétique de la version reçue. Toutefois, Tolbiac n’a cessé de garder quelques partisans, notamment A. Ruppersberg, Ueber Ort und Zeit von Chlodwigs Alamannenslacht, (Bonner Jahrbücher, 101, année 1897), qui, d’ailleurs, ne connaît que les travaux allemands.

[15] Actum anno 15 regni sui (Grégoire de Tours, II, 30). Cette mention, il est vrai, manque dans quelques manuscrits de Grégoire de Tours, mais l’authenticité en est inattaquable. Ceux qui, dans les derniers temps, ont voulu rapprocher la date de la victoire sur les Alamans, invoquent cette circonstance que la lettre par laquelle Théodoric félicite Clovis de ce triomphe n’a pas pu être écrite avant 507 (cf. Mommsen, M. G. H. Auctores antiquissimi, t. XII, pp. 27 et suiv.) ; ils en concluent qu’il faut placer la bataille en 506 (Vogel, Chlodwigs Sieg über die Alamannen und seine Taufe, dans Historische Zeitschrift, t. LVI). Mais toute difficulté disparaît si l’on distingue la date de la bataille et celle de la lettre ; cette distinction s’impose d’ailleurs, comme l’a montré Mommsen, o. c., pp. 32 et suiv., et on verra plus loin comment elle aide p. élucider l’histoire de la guerre contre les Alamans. Cf. Levison, Zur Geschichte des Frankenkönigs Chlodowich (Bonner Jahrbücher, t. 103, pp. 50 et suiv.).

[16] Grégoire de Tours, n, 30 ; Vita sancti Vedasti, c. 2 ; saint Avitus, Epistolæ, 46 (41) ; Cassiodore, Variar., II, 41. — Frédégaire, III, 21, ne fait que résumer le récit de Grégoire sans plus ; le Liber historiæ, c. 15, place à côté de Clovis, dans la bataille, son fabuleux Aurélien, qui lui aurait suggéré d’invoquer Jésus-Christ ; Hincmar, dans sa Vie de saint Remi (Acta Sanctor., t. I d’octobre, p. 145), copie le Liber historie, mais n’oublie pas de faire dire à Clovis que le Dieu de Clotilde est aussi celui de Remi. Roricon reste tributaire du Liber historie. Quant à Aimoin, il combine le récit de Grégoire et celui du Vita Vedasti. Ces deux derniers sont en somme les seuls qui donnent une version originale ; ils s’accordent pour l’ensemble (voir l’Appendice), et se contredisent en ce que, d’après Grégoire, le roi des Alamans périt dans le combat, tandis que, selon le Vita Vedasti, il fit sa soumission avec son peuple. La lettre de Théodoric, dans Cassiodore, sait qu’il a péri, mais sans dire quand : Sufficiat ilium regem cum gentis cecidisse superbia. — Les variantes du Vita Arnulfi martyris (dom Bouquet, III, p. 383) ne méritent pas d’être prises en considération : la fuite de Clovis et la blessure qu’il aurait reçue au visage sont de pure invention.

[17] Sur la clémence de Clovis, outre le témoignage de Grégoire de Tours, nous avons celui de saint Avitus : Numquid fidem perfecto prædicabimus, quam ante perfectionem sine prædicatore vidistis ?... An misericordiam, quam solutus a vobis adhuc nuper populus captives gaudiis mundo insinuat, lacrimis Deo ? S. Avitus, Epistolæ, l. c.

[18] S. Avitus, Epislolæ, l. c.

[19] Ces paroles ne surprendront pas si l’on se rappelle ce que nous avons dit précédemment de la manière dont s’était faite la conquête de la Gaule, et de l’identité entre les Thuringiens de la légende et les Francs de Chararic.

[20] Cede itaque suaviter genio nostro quod sibi gentilitas communi remittere consuevit exemplo. Le sens de ces mots est fort disputé, V. von Schubert, p. 39, note, qui traduit entre parents, et le glossaire de Cassiodore par Mommsen, s. v. gentilitas.

[21] V. Cassiodore, Var., I, 45 et 46, sur l’envoi d’une horloge d’eau à Gondebaud. Race est de nouveau consulté, et Cassiodore lui écrit au nom de Théodoric : Frequenter enim quod arma explere nequeunt, oblectemente suavitatis imponunt. Sit ergo pro re publica et cum ludere videmur.

[22] Sapientia vestra eligat præsenti tempore meliorem, facturus aliquid Orphei, cum dulci sono gentilium fera corda domuerit. Arnold, Cæsarius von Arelate, p. 215, est bien distrait lorsqu’il interprète ce passage dans ce sens que Théodoric aurait envoyé Boèce lui-même comme ambassadeur à Clovis.

[23] Notre récit donne une explication satisfaisante des quelques lignes énigmatiques de Frédégaire, III, 21 : Alamanni terga vertentes in fugam lapsi. Cumque regem suum cernerint interemptum, novem annos exolis a sedibus eorum nec ullam potuerunt gentem comperire, qui ei contra Francos auxiliaret, tandem se ditionem Clodoviæ subdunt. — La date de 506, attribuée aujourd’hui par la critique à la lettre de Théodoric, vient donner à ce passage une incontestable autorité.

[24] Ennodius, Panegyricus Theodorico dictus, c. 15. Ces paroles du rhéteur : cui feliciter cessit rugisse patriam suam, sont à rapprocher de celles du panégyriste de Constantin : Video hanc fortunatissimam civitatem (Trèves)... ita cunctis mœnibus resurgentem ut se quodammodo gaudeat olim corruisse, auctior tuis facta beneficiis. (Panegyr. lat., VII, 22.) Les flatteurs sont partout les mêmes.