CLOVIS

LIVRE TROISIÈME.

III. — LA SOUMISSION DES ROYAUMES FRANCS DE BELGIQUE.

 

 

La conquête du pays de la Loire n’était peut-être pas entièrement achevée, que déjà le conquérant était appelé à l’autre bout de son vaste royaume par une nouvelle entreprise. L’histoire n’a consacré qu’une seule ligne au récit de cette campagne : La dixième année de son règne, Clovis fit la guerre aux Thuringiens, et les soumit à sa domination... Voilà tout, et le lecteur aura une idée des difficultés contre lesquelles doit lutter ce livre, si nous lui disons que cette simple ligne contient autant de problèmes que de mots.

Le peuple contre lequel Clovis allait porter ses armes victorieuses, c’étaient ces mystérieux Thuringiens qui représentent pour nous, sous un nom défiguré, les conquérants barbares de la cité de Tongres[1]. Voilà ce qu’on peut affirmer avec assurance, encore bien que tous les historiens ne veuillent pas en convenir. Mais le moyen d’admettre qu’il faille penser ici aux Thuringiens de l’Allemagne centrale, desquels Clovis était séparé par toute l’épaisseur du royaume des Ripuaires[2], et qui, nous le savons, jouissaient encore de toute leur indépendance pendant les premières années du règne de ses fils ! D’ailleurs, l’annaliste de la Gaule occidentale qui a fourni ce renseignement à Grégoire de Tours[3] ne connaissait pas la lointaine Thuringe allemande : son regard n’embrassait que les peuples voisins de la Gaule, et, même dans cet horizon borné, il est loin d’avoir tout vu. S’il a nommé ici les Thuringiens, lui qui ne connaît pas quantité d’autres exploits de Clovis, c’est sans doute parce que ce peuple, établi en terre gauloise, et, en définitive, de même race que les Francs de Tournai, était à la portée de son regard et dans le cercle de ses notions géographiques assez restreintes. C’est peut-être aussi parce que cette expédition, pour des raisons qui nous échappent, frappa davantage l’attention de l’annaliste et fut mieux connue dans son milieu.

C’est donc la Tongrie que nous avons à reconnaître dans la Thuringie de l’annaliste[4]. Elle formait à cette date un des royaumes francs issus du morcellement de celui de Clodion. On ne peut pas entreprendre de tracer aujourd’hui les limites de cet état oublié. Se couvrait-il avec le territoire de la vaste cité de Tongres, ou le dépassait-il, ou encore n’en comprenait-il qu’une partie ? Nous ne le savons pas, et il est bien probable que nous l’ignorerons toujours. C’était le plus oriental comme le plus septentrional des trois royaumes saliens. Il touchait à l’est à celui des Ripuaires ; à l’ouest, il était contigu à celui de Cambrai. A l’époque où nous sommes arrivés, il devait avoir à sa tête un descendant de Clodion, partant un parent de Clovis. Si l’on admet l’identité proposée par nous entre la Thuringie et le pays de Tongres, il ne sera pas impossible de découvrir le nom de ce souverain. Rappelons-nous qu’il n’y a que trois royaumes saliens attestés, et que, d’autre part, à la fin du cinquième siècle, il y a eu effectivement trois rois saliens connus, qui sont Clovis à Tournai, Ragnacaire à Cambrai, et Chararic dont le domaine n’est pas indiqué. Sera-ce abuser de la conjecture que d’attribuer au seul de ces rois qui n’ait pas de royaume connu le seul de ces trois royaumes dont nous ignorons le roi ?

Les raisons qui mirent aux prises le roi Clovis avec son parent de Tongrie ne doivent pas être cherchées fort loin. Au dire de la légende, Chararic avait pris, lors de la bataille de Soissons, une attitude des plus équivoques. Se tenant à distance des deux armées, il avait attendu la fortune du combat pour offrir son amitié au vainqueur. C’est sous cette forme, d’une simplicité enfantine, que l’imagination populaire aime à se figurer les combinaisons des, habiles. Croira qui voudra qu’à l’époque barbare l’habileté ait consisté dans la pire des maladresses ! Mais enfin, s’il est permis d’interpréter des légendes, la nôtre signifie peut-être que Chararic, qui n’avait aucun intérêt engagé dans la lutte avec Syagrius, dont il n’était pas même le voisin, avait décidé d’observer la neutralité entre les deux belligérants. Qui sait d’ailleurs si la légende elle-même n’a pas été imaginée pour donner à l’entreprise de Clovis contre son parent la couleur d’une vengeance légitime ?

Pour bien comprendre la guerre contre Chararic, il faut la mettre en rapport avec l’expédition contre Ragnacaire de Cambrai, qui est, dans Grégoire de Tours, de la même provenance populaire, et dans laquelle le caractère épique s’accuse encore plus ouvertement. Tout porte à croire, d’ailleurs, que, la guerre contre Ragnacaire précéda l’autre, puisque le royaume de Cambrai, contigu à celui de Tournai, s’imposait entre celui-ci et le royaume de Tongrie. Ragnacaire était, avec Chararic, le parent de Clovis, et l’on ne peut pas douter que les deux royaumes saliens n’aient été attaqués pour le même motif et conquis dans’ les mêmes circonstances. L’ambition du roi de Tournai, démesurément accrue par ses récents succès militaires, la fierté jalouse des deux autres monarques, qui se considéraient comme ses égaux et peut-être, qui sait ? comme ses supérieurs, c’était plus qu’il n’en fallait pour provoquer tous les jours des conflits et pour amener enfin un dénouement tragique. Mais l’esprit populaire ne se contente pas des lois abstraites qui régissent les événements humains ; il lui faut présenter les choses sous une forme plus concrète et plus dramatique à la fois, et voici comment il nous présente l’histoire de la conquête des royaumes de Tongrie et de Cambrai.

Clovis se dirigea contre Chararic. Celui-ci, appelé au secours par Clovis lors de la bataille contre Syagrius, s’était tenu à distance, sans prêter main forte à aucune des deux armées ; il attendait le résultat des événements pour offrir son amitié au vainqueur. Voilà pourquoi, rempli d’indignation, Clovis prit les armes contre lui. Une ruse lui ayant livré Chararic et son fils, il les fit jeter en prison et tondre, puis il fit ordonner le père prêtre et le fils diacre. On raconte que Chararic s’affligeant de cette humiliation et versant des larmes, son fils lui dit : On a coupé les feuilles d’un arbre vert, mais elles repousseront bientôt ; puisse périr avec la même rapidité celui qui a fait cela ! Ce propos ayant été rapporté à Clovis, il fit trancher la tête au père et au fils, après quoi il s’empara de leurs trésors et de leur royaume[5].

A Cambrai régnait alors le roi Ragnacaire. Il était d’une luxure si effrénée qu’à peine il respectait ses plus proches parents. Il avait pour conseiller un certain Farron, souillé des mêmes turpitudes que lui. Tel était l’engouement du roi pour ce personnage, que lorsqu’on lui apportait un cadeau, que ce fût un aliment ou autre chose, il avait, dit-on, l’habitude de dire que cela suffisait pour lui et pour son Farron. Ses Francs étaient remplis d’indignation. Clovis, pour les gagner, leur distribua de la monnaie, des bracelets, des baudriers, le tout en cuivre doré qui imitait frauduleusement l’or véritable. Puis il se mit en campagne. Ragnacaire, à diverses reprises, envoya des espions, et, quand ils revinrent, leur demanda quelle était la force de l’armée de Clovis. C’est un fameux renfort pour toi et pour ton Farron, lui répondirent-ils. Cependant Clovis arrive, et la bataille s’engage. Voyant son armée vaincue, Ragnacaire prit la fuite ; mais, fait prisonnier, il est amené à Clovis les mains liées derrière le dos, en compagnie de son frère Richaire. Pourquoi, lui dit le vainqueur, as-tu permis que notre sang fût humilié en te laissant enchaîner ? Mieux valait pour toi mourir ! Et d’un coup de hache il lui fendit la tête. Puis, se retournant vers Richaire : Si tu avais porté secours à ton frère, on ne l’aurait pas lié. Et, en disant ces mots, il le tua d’un coup de hache. Après la mort de ces deux princes, les traîtres s’aperçurent que l’or qu’ils avaient reçu du roi était faux. Ils s’en plaignirent à lui, mais on dit qu’il leur répondit en ces termes : Celui qui livre volontairement son maître à la mort ne mérite pas un or meilleur que celui-là ; qu’il vous suffise qu’on vous laisse vivre, et qu’on ne vous fasse pas expier votre trahison dans les tourments. Et eux, pour obtenir sa grâce, ils protestèrent que cela leur suffisait en effet. Les deux princes avaient un frère nommé Rignomer, qui, sur l’ordre de Clovis, fut mis à mort au Mans. Après quoi, le roi prit possession de leur royaume et de leurs trésors[6].

Il est aujourd’hui acquis que les traditions sur la mort de Chararic, de Ragnacaire et des siens, de même que certaines autres dont il sera question dans la suite de ce livre, ne sont que des légendes tirées probablement de chants populaires. A leur insu, les poètes qui ont créé ces chants y ont peint les hommes et les événements, non pas tels qu’ils étaient, mais tels qu’eux-mêmes les concevaient à distance, dans une imagination qui idéalisait les personnages et qui les transformait en types. Mais ces types n’étaient pas d’un ordre fort relevé : s’ils personnifiaient l’énergie de la volonté et la souplesse de l’intelligence, c’était en poussant l’une jusqu’à la férocité, jusqu’à la duplicité l’autre. Toutes les facultés humaines étaient exaltées, sans préoccupation de la loi morale qui doit limiter leur exercice. Clovis devint une de ces figures chères aux barbares : ils en firent un Ulysse qui n’était jamais à court de ressources, et qui assaisonnait d’une jovialité sinistre les scènes de carnage et de trahison. Ils ne se doutaient pas qu’ils rabaissaient leur héros, ils croyaient le glorifier en le peignant tel qu’ils l’admiraient. Quand les historiens sont venus, ils se sont trouvés en face de ces traditions, qu’ils ont accueillies à défaut d’autres sources, et aussi à cause de leur incontestable intérêt dramatique. De nos jours, on les a étudiées de plus près ; on les a décomposées selon un procédé qui ressemble à celui de l’analyse chimique, et on est parvenu à en dégager dans une certaine mesure l’élément légendaire. On ne pourra jamais, sans doute, faire le départ exact et complet de la fiction et de la réalité, et ce serait une tentative stérile que de vouloir, à quatorze siècles de distance, ramener à la précision de la vérité scientifique des notions défigurées par l’imagination dès leur entrée dans le domaine de l’histoire.

On nous demandera peut-être de quel droit nous avons modifié la date de ces faits, que Grégoire de Tours place dans les dernières années du règne de Clovis. Notre réponse sera simple. Rapportées par la voix populaire, les traditions dont nous venons de nous occuper ne portaient pas de date. En les accueillant dans sa chronique, Grégoire de Tours les a placées à l’endroit qu’aujourd’hui encore les érudits réservent aux faits non datés, je veux dire, à la fin de son récit. Peut-être aussi faisaient-elles partie d’un seul tout avec une autre tradition qui raconte des histoires de meurtre analogues, et que nous sommes obligé de placer entre les années 508 et 511. Dans ce cas encore, l’historien des Francs se sera vu amener forcément à les consigner sur les dernières pages de son histoire de Clovis. De toute manière, il faut admettre que lui-même ignorait la date de ces événements poétiques, et que son classement est le résultat d’une conjecture. Nous ne sommes donc nullement tenus à l’ordre chronologique suivi par lui.

Cela étant, si nous nous décidons à faire reculer ces épisodes jusqu’au delà du baptême de Clovis[7], ce n’est nullement à cause de leur couleur barbare et de la difficulté de les concilier avec les sentiments d’un prince qui s’est converti spontanément à l’Évangile. Qui ne sait, en effet, que cette couleur barbare est précisément l’apport de l’imagination populaire ? Ce n’est pas non plus parce que les dernières années du règne de Clovis seraient singulièrement encombrées, si l’on admettait qu’après 509 il eût fait périr les roitelets barbares en même temps qu’il organisait l’administration de l’Aquitaine vaincue et préparait le concile d’Orléans. Ce qui nous touche davantage, c’est que les deux royales victimes de Clovis apparaissent tout au commencement de sa carrière, en 486, et ne jouent plus, par la suite, aucun rôle dans ses campagnes, alors qu’en 507 encore, le prince de Cologne combat à côté de lui. Sans doute, il n’y a là qu’une présomption et non une preuve ; mais cette preuve sera faite pour Chararic, tout au moins, si l’on accorde, comme nous l’avons supposé, qu’il était le roi des Thuringiens vaincus en 491. Quant à Ragnacaire, nous trouvons dans l’histoire de Clovis deux faits qui nous font croire que ce dernier doit avoir été assez longtemps en possession du royaume de Cambrai avant sa mort. D’une part, nous savons qu’il a fondé l’abbaye de Baralle, dans le voisinage de Cambrai ; de l’autre, la rédaction de la loi salique suppose que tous les Francs établis au midi de la forêt Charbonnière, et par conséquent ceux du Cambrésis également, vivent sous l’autorité de Clovis[8]. On le voit, il est tout au moins difficile que Ragnacaire ait péri dans les dernières années de ce prince, à moins qu’on ne veuille supposer, sans preuve, que les faits allégués par nous doivent être eux-mêmes ramenés le plus près possible de la mort de Clovis.

La tradition conservée par Grégoire de Tours rapporte qu’outre ces princes, Clovis fit encore périr un grand nombre d’autres rois, qui étaient également ses parents, dans la crainte qu’ils ne lui enlevassent son royaume. Et les historiens ont voulu voir un de ces souverains dans Rignomer, frère de Ragnacaire et de Richaire, qui fut tué au Mans comme on vient de le dire[9]. Mais Grégoire de Tours ne dit nullement que Rignomer fût roi du Mans, et on ne l’a supposé que parce qu’on se faisait une fausse idée de la valeur du titre royal chez les Francs. Ce qui faisait le roi, ce n’était pas le royaume, c’était le sang. On s’appelait roi quand on était fils de roi, et c’était le cas de Rignomer. Il serait contraire à tout ce que nous savons de l’histoire de supposer qu’au cœur de la Gaule celtique soumise par Clovis, un de ses parents eût pu se tailler un royaume[10]. Que Clovis ait fait périr plus d’un de ses parents à l’époque où il avait à affermir son autorité dans son peuple, c’est possible ; mais il faudrait pour nous le faire croire une autorité que ne possèdent pas les légendes épiques.

L’épiphonème qui termine l’histoire des meurtres de Clovis est bien dans la tonalité de toute cette poésie populaire. On prétend, raconte Grégoire, qu’ayant rassemblé un jour les siens, il leur dit : Malheur à moi, qui reste maintenant comme un étranger parmi les étrangers, et qui n’ai plus un seul parent pour venir à mon aide en cas d’adversité ! Mais, ajoute le narrateur, il disait cela par ruse et non par douleur, dans l’espoir de trouver encore quelque membre de sa famille qu’il pût tuer[11].

La naïveté de ces paroles suffit pour en trahir la provenance populaire, et leur couleur toute particulière est un indice de leur origine germanique. Des barbares seuls, restés étrangers à l’immense mouvement qui, en une génération, avait fait du roitelet de Tournai le souverain de toute la Gaule, pouvaient mettre de telles paroles dans la bouche de Clovis. Et ce serait partager leur naïveté que de les lui faire prononcer au moment où il était devenu le plus puissant monarque de l’Occident.

Pour conclure cette aride discussion, nous nous résumerons en disant que ce qui reste d’historique dans la légende de Chararic et de Ragnacaire, c’est la défaite de ces rois francs et l’annexion de leurs royaumes par Clovis. Nous ne savons pas si les deux événements s’accomplirent à la fois, comme c’est vraisemblable, mais nous sommes portés à croire que le premier tout au moins se produisit en 491, c’est-à-dire, selon toute apparence, immédiatement après la conquête de l’Entre-Seine-et-Loire.

L’annexion des deux royaumes de Cambrai et de Tongres à la monarchie de Clovis ne fut pas chose indifférente pour les destinées ultérieures du peuple franc. La conquête de l’Entre-Seine-et-Loire avait presque romanisé le jeune roi, et imprimé à son royaume un cachet pour ainsi dire exclusivement romain. Les provinces romaines en étaient devenues le centre de gravité. Établi à Paris ou dans les nombreuses villas disséminées dans les environs, Clovis avait perdu à peu près tout contact avec son vrai peuple, avec les Francs de Belgique qui, depuis la soumission de la Gaule, rentrent dans la pénombre et sont oubliés de l’histoire. Il avait été conquis par sa conquête. S’il n’avait, par un énergique retour de ses armes vers les régions de ses ancêtres, rattaché à son royaume tous les centres germaniques de l’ancien domaine de Clodion, son royaume aurait sans doute partagé au bout de quelque temps les destinées de tant d’autres créations barbares en pays romain : il se serait étiolé sur le sol provincial, il n’aurait pas renouvelé les sources de sa vitalité. Il en fut autrement grâce à l’accession des provinces belges. Elle maintint le contact entre la monarchie mérovingienne et le monde germanique ; elle versa dans cette monarchie le sang jeune et impétueux de tant de barbares faits pour de grandes entreprises. On ne devait pas s’apercevoir tout de suite des bienfaits de cette nouvelle conquête. Les Francs de Belgique continuèrent de dormir le pesant sommeil de la rusticité pendant le règne de Clovis, mais lorsque plus tard la monarchie périclita, ils la sauvèrent en lui envoyant les Carolingiens. A deux reprises, ces barbares sans culture tinrent dans leurs mains les destinées de la Gaule et de l’Europe. La réaction salutaire, tout comme l’impulsion conquérante, devait partir de ces masses profondes que le travail agricole courbait sur les sillons de la Flandre et de la Hesbaie.

 

 

 



[1] Voir pour la démonstration de ce point G. Kurth, Histoire poétique des Mérovingiens, pp. 110-119.

[2] Pour ne pas parler de ceux de Cambrai, dont personne ne conteste l’existence, et de Tongres, que j’identifie avec les Thuringiens cisrhénans. Il est vrai qu’on pourrait soutenir que Clovis a eu tous ces royaumes francs pour alliés, mais encore faudrait-il dire la cause qui a pu le décider à combattre en un pays fort éloigné du sien, où il n’avait aucun intérêt à défendre, et qu’il ne pouvait garder dans ses mains.

[3] C’est, selon toute vraisemblance, l’auteur des Annales d’Angers. G. Kurth, Les sources de l’Hist. de Clovis (Revue des quest. Hist.), t. 41.

[4] J’ai à peine besoin de faire remarquer au lecteur la distinction que j’établis ici entre la Thuringie et la Thuringe, comme je fais plus loin entre la Burgondie et la Bourgogne. Il y aurait autant d’inconvénient à confondre ces noms entre eux qu’à dire, comme on faisait au dix-septième siècle, les Français pour les Francs.

[5] Grégoire de Tours, H. F., II, 41. Un lecteur peu expérimenté pourrait me demander si ces mots : et Chararicum quidem presbiterum, filium vero ejus diaconum ordinari jubet, ne marquent pas que ces rois et Clovis lui-même étaient déjà chrétiens : ils marquent tout au plus que les auteurs de la légende l’étaient. Au surplus, la fable se laisse en quelque sorte toucher du doigt grâce à cette différence hiérarchique observée jusque dans les rigueurs que l’on inflige au père et au fils. Rien de plus hautement invraisemblable et de plus profondément épique.

[6] Grégoire de Tours, II, 42.

[7] Je tiens à dire que je ne suis pas le seul de mon avis sur cette question épineuse. Junghans, pp. 119 et 120, récuse la chronologie de Grégoire, croit qu’elle a été arrangée par lui ou par sa source poétique, et suppose que les royaumes saliens auront été annexés peu après la bataille de Soissons. Richter, Annalen des fraenkischen Reichs im Zeitalter der Merovinger, Halle, 1873, p. 44, pense que la conquête des royaumes saliens a dû précéder celle du royaume ripuaire, et qu’on ne peut placer ces événements dans les dernières années de Clovis. Binding, p. 111, place l’annexion des royaumes saliens avant le mariage de Clovis avec Clotilde. Giesebrecht, Deutsche Kaiserzeit, t. I, p. 72, croit même qu’elle est antérieure à la guerre de Syagrius. Loening, Geschichte des Deutschen Kirchenrechts, t. II, p. 9, montre l’impossibilité d’admettre la chronologie de Grégoire, et ne croit pas que Clovis ait attendu vingt ans pour punir la trahison de Chararic. Dahn, Urgeschichte der germanischen und romanischen Voelker, t. III, p. 64, admet que tous les épisodes ne sont pas de la fin du règne de Clovis. Enfin, tout récemment, Levison, Zur Geschichte des Frankenkœnigs Chlodovech (Bonner Jahrbücher 103, année 1898), reconnaît de son côté le bien fondé des objections faites à la chronologie de Grégoire de Tours.

[8] Sur ces deux faits, voir plus loin au chapitre XII.

[9] Quorum frater Rignomeris nomine apud Cœnomannis civitatem ex jusso Chlodovechi est interfectus. (Grégoire de Tours, II, 42.)

[10] Comme l’admettent Dubos, III, p. 184, et Fauriel, II, p. 2. Pétigny, II, pp. 223-225, conteste à vrai dire la royauté mancelle de Rignomer mais il suppose que les Francs du Mans sont les Lètes francs de la Notice de l’Empire, qui, refoulés par les barbares, se seraient repliés sur le Maine. Cette conjecture ingénieuse est réfutée d’avance par la parenté de Rignomer et de Clovis, qui prouve qu’ils sont venus l’un et l’autre du même pays salien.

[11] Grégoire de Tours, II, 42.