CATON L’ANCIEN, ÉTUDE BIOGRAPHIQUE

 

CHAPITRE IV. — LUTTES POLITIQUES.

 

 

Rentré dans le repos et dans la vie privée, Caton ne pensa pas à détourner son attention de la vie publique. Au contraire, d’acteur devenu spectateur, il lui fut plus facile d’embrasser d’un coup d’œil l’ensemble des faits, et de les apprécier mieux que lorsqu’il était encore plongé dans le tourbillon des affaires. Une des ses maximes était que les hommes marquants doivent compte à leur pays non seulement de leurs actes, mais même de leurs moments de loisir[1] ; il la pratiqua toute sa vie avec une énergie et une constance qui faisaient trembler ses ennemis. C’est contre eux en effet qu’étaient dirigées toutes les forces de cet esprit qui avait toujours besoin de combats, et qui maniait le glaive de la parole aussi bien que l’épée du soldat. On l’a dit, tous ceux qu’il regardait comme les ennemis de l’État devenaient aussitôt ses ennemis personnels, et j’ajoute que ses ennemis personnels se transformaient aisément, à ses yeux, en ennemis de l’État. Quittant ses champs de Tusculum chaque fois qu’il y avait au Sénat une séance importante, il venait prendre sa place au milieu de ses collègues, et apportait dans les discussions le poids de sa parole respectée. Elles étaient graves et nombreuses alors, et plus d’une fois elles donnaient lieu à des débats passionnés ; mais qu’importait à ce rude jouteur qui ne savait ni plier ni reculer ? Au contraire, il provoquait les luttes oratoires, et il ne craignit pas de faire naître à plusieurs reprises les plus orageuses contestations à propos de triomphes demandés.

Le triomphe avait été primitivement un excellent moyen d’émulation, et c’est à cet imposant usage que Rome dut une grande partie de ses succès ; mais, comme tout dégénère, par la suite des temps c’était devenu presque une habitude pour chaque général qui avait combattu dans sa province de demander le triomphe à son retour. Alors les conservateurs faisaient une opposition énergique ; souvent même la jalousie s’en mêlait, et le Sénat devenait comme une arène où les passions déchaînées se disputaient la victoire.

De tous ceux qui se signalèrent dans ces mémorables discords, il n’en est pas un qui ait montré autant d’âpreté que Caton. C’était l’aboyeur universel[2] ; il s’attaquait à tout le monde ; mais, fidèle gardien du mos majorum, il s’en prenait surtout aux lauriers mal acquis et aux succès équivoques. Rien de plus remarquable que son attitude dans la question du triomphe de Q. Minucius Thermus. Ce Minucius était un général qui ne manquait pas de mérite, et qui avait eu une carrière militaire bien remplie. Après avoir vaillamment servi comme tribun militaire sous Scipion en Afrique[3], il était revenu à Rome, où il avait obtenu le tribunat de la plèbe en même temps que Glabrio, puis successivement l’édilité curule (197), la préture (196) avec l’Espagne Citérieure pour province, puis le consulat (193)[4]. Tite-Live à plusieurs reprises parle de lui comme d’un homme de courage et d’énergie[5]. Il avait remporté de notables avantages en Espagne, et obtenu les honneurs du triomphe[6]. Chargé pendant son consulat de la guerre de Ligurie, il avait été prorogé une année en qualité de proconsul, et, à l’expiration de sa magistrature, il avait brigué le triomphe une seconde fois[7]. Il invoquait ses fréquentes et sanglantes victoires sur les Liguriens : une seule, d’après son rapport, leur avait coûté 9.000 hommes ; il faisait valoir la pacification complète du pays, et le butin immense que ses soldats avaient rapporté de cette guerre. Il est vrai que d’un autre côté il n’avait obtenu ces succès définitifs qu’après diverses aventures où, à ce qu’il parait, ses talents de général se trouvèrent plus d’une fois en défaut. A deux reprises différentes, il s’était vu assiégé dans son propre camp par les ennemis, et, plus tard, s’étant mis à leur poursuite, il avait été enfermé par eux dans un défilé où il eût trouvé ses Fourches Caudines, sans un ingénieux stratagème de ses 800 cavaliers numides qui le tirèrent de danger[8]. Aussi, lorsqu’il eut, selon l’habitude, fait son rapport au Sénat pour obtenir le triomphe, il rencontra une opposition énergique à la tète de laquelle était Caton. Il est permis de croire que cet obstiné lutteur, dont les passions politiques étaient implacables et parfois aveugles, n’apporta pas dans ce débat toute l’impartialité qu’on eût pu désirer. Minucius appartenait, parait-il, au parti des Scipions : c’est du moins ce qu’on peut supposer d’après l’attitude qu’il prit en 201 quand, tribun de la plèbe, il s’opposa avec son collègue Glabrio au consul Cn. Lucullus, qui voulait remplacer l’Africain dans le commandement de la guerre contre Carthage[9]. De plus, il avait précédé Caton dans le gouvernement de l’Espagne Citérieure (196), et peut-être y avait-il eu dès lors des dissentiments entre eux. Quoi qu’il en soit. Caton combattit avec le plus grand acharnement la demande de Minucius. Les deux discours qu’il prononça à cette occasion se sont perdus ; pourtant, d’après les fragments qui en ont été conservés, on peut rétablir la physionomie générale de la lutte. A ce qu’il parait, les Liguriens, au moment où Minucius briguait le triomphe, envoyèrent une députation au Sénat pour se plaindre de sa conduite à leur égard. Ils l’accusaient d’avoir fait mettre à mort, sans jugement et sous de futiles prétextes, dix notables de leur pays, chargés, selon l’usage, d’approvisionner son armée[10]. Caton s’empara de cette précieuse déposition, oubliant peut-être qu’il ne fallait pas ajouter une foi entière à des vaincus parlant contre leur vainqueur, à un peuple dont lui-même plus tard devait flétrir l’esprit de mensonge[11]. Attaquant au Sénat la conduite de Minucius, et lui reprochant le meurtre des dix Liguriens : Tu cherches, lui dit-il, à couvrir ton exécrable forfait par un forfait pire encore[12] ; tu fais des boucheries d’hommes, tu fais un tel carnage, tu fais dix morts, tu égorges dix hommes libres, tu arraches la vie à dix personnes, sans jugeaient, sans procès, sans condamnation. Et, s’enflammant de plus en plus : Cet homme, dit-il, se moque de l’opinion et de la renommée ; il se plonge dans les hontes secrètes et dans les scandales publics. Foi, respect du serment, respect de soi-même, ce sont des choses sans valeur pour lui[13]. Ces quelques mots suffisent pour donner une idée de ce fameux discours de Decem Hominibus : Caton ne s’en tint pas là. Peut-être Minucius aurait-il trouvé grâce pour cet acte arbitraire devant la noblesse de peu scrupuleuse de ce temps ; son accusateur employa alors des armes nouvelles, et il lui reprocha d’avoir considérablement exagéré ses succès. A l’en croire, bien loin qu’on eût tué 9000 ennemis en bataille rangée, il n’en était pas même tombé 5000, et tout le rapport de Minucius portait ce cachet d’exagération, de supercherie et de mensonge. Revenant sur le meurtre des dix Liguriens, il insistait sur ce qu’il y avait d’odieux dans leur exécution. Voici le passage justement admiré où il ne cesse de tourner et de retourner le fer dans la plaie de l’accusé. Il prétendit que les dix avaient montré de la négligence à approvisionner l’armée ; il les fit dépouiller de leurs vêtements et frapper à coups de fouet. Les coups ont été donnés par des Brutiens ; beaucoup d’hommes l’ont vu. Un tel outrage, une telle tyrannie, un tel asservissement, qui pourrait les supporter ? Il n’y a pas de roi qui ait osé faire cela, et on traiterait ainsi des hommes de bien nés de bonne race, et vous, hommes de bien, vous le souffririez ! Que devient donc leur alliance avec nous ? Que devient la foi des aïeux ? Des violences inouïes, des coups, des blessures, des meurtrissures, voilà les tourments et les supplices dont tu as osé flétrir ces hommes, sous les yeux de leurs compatriotes et d’un grand nombre d’étrangers ! Mais quel deuil, quels gémissements, quels sanglots, quelles larmes y ont répondu, à ce que j’ai appris ! Les esclaves ne peuvent se résigner aux mauvais traitements ; et ces hommes de bonne race et de grand mérite, quelle ne doit pas avoir été leur indignation ? Quelle ne serait-elle pas encore, s’ils vivaient ?[14]

Ce sont là, dit Aulu-Gelle, les premières lueurs de l’éloquence latine alors naissante ; mais, comme il le dit très bien autre part, elles trahissent dans Caton un talent supérieur à son époque[15]. Ses récriminations trouvèrent de l’écho dans le Sénat ; Minucius se vit refuser le triomphe, tandis qu’on l’accordait unanimement au vainqueur d’Antiochus[16]. Caton goûta ce jour-là une double satisfaction : il avait écarté du triomphe un homme qui ne le méritait pas, et il voyait célébrer le souvenir d’une expédition à laquelle il avait pris une part brillante.

Ce débat ne fut, on peut le croire, qu’un épisode des luttes journalières de Caton, et, parmi les nombreux discours qu’il a composés, plus d’un doit avoir été fait pendant cette période si agitée de la vie politique de Rome. Toujours sur la brèche, épiant jusqu’au moindre délit qui se commettait contre les intérêts de l’État, il était redoutable à tous les mauvais citoyens, et il en tirait gloire. Avec ces dispositions et ces goûts, quel emploi devait mieux lui convenir que celui de censeur ? C’est là qu’il devait trouver ample matière à critiquer, à juger, à châtier, à redresser, à diriger enfin la république dans la vieille voie, la seule bonne selon lui. Il brigua donc la censure en 189, avec Valerius Flaccus ; les deux amis, comme toujours, se prêtaient un mutuel appui, et usaient de leur influence l’un en faveur de l’autre. Cette coopération était d’autant plus nécessaire que le poste convoité par eux était disputé en même temps par plusieurs candidats : deux patriciens, T. Quinctius Flamininus et P. Cornelius Scipio Nasica ; deux nobles plébéiens : M. Claudius Marcellus et M’. Acilius Glabrio. Ces quatre compétiteurs étaient également associés deux à deux : Glabrio s’était joint à Nasica, et Marcellus à Flamininus ; les premiers étaient portés par le parti des Scipions, auquel l’un d’eux appartenait par le sang ; tout le parti de Flamininus soutenait naturellement la candidature de son chef. Pendant que ces rivalités de famille, sans aucun intérêt pour la république, partageaient ainsi la noblesse en deux camps, le parti patriotique et conservateur était représenté par les deux citoyens les plus intègres de la république, par Valerius et Caton. Seuls ils avaient un programme politique et des principes à faire triompher : c’est pourquoi aussi ils n’avaient à leur service aucune faction. La lutte qui allait s’engager était donc intéressante au suprême degré, et si l’on considère quels étaient les candidats en présence, et le but différent poursuivi par chacun, l’issue devait en être des plus significatives.

Depuis un certain temps, la famille des Scipions n’avait plus cette prépondérance exclusive que lui avaient value les prodigieux succès de son chef dans la guerre d’Annibal. Un homme était venu disputer à l’Africain la popularité dont il jouissait, et opposer à sa gloire une illustration presque aussi grande : c’était T. Quinctius Flamininus. Appartenant à une des plus anciennes maisons de Rome, qui comptait dans son sein le fameux dictateur Cincinnatus, il avait commencé sa carrière sous les plus heureux auspices. Le peuple ne s’était pas montré moins libéral envers lui qu’envers Scipion : au sortir de la questure, il avait obtenu le consulat sans avoir passé par la présure, et malgré l’opposition des tribuns du peuple. Chargé de la conduite de la guerre contre Philippe, il s’était couvert de gloire par la victoire de Cynocéphales, et par la proclamation de la liberté grecque aux jeux isthmiques. Très populaire en Grèce, il s’était vu confier pendant plusieurs années la mission de la pacifier ; il y avait été écouté comme un oracle et obéi comme un maître. Un tel engouement aurait suffi pour enivrer l’âme la mieux trempée, à plus forte raison celle de Flamininus, dont le plus grand défaut était une complaisance illimitée pour lui même. Il était revenu avec une opinion exagérée de son mérite, et il ne brûlait que de la faire partager à ses concitoyens. A Rome, il eut, comme un roi, ses courtisans et ses flatteurs, qui exploitaient à la fois la générosité de sa nature et la faiblesse de son caractère, car, s’il était vain et prompt à la colère, il n’était pas moins facile à apaiser quand on s’y prenait adroitement. Beau, jeune, riche, noble, lettré, entouré d’une auréole de gloire, le cœur toujours ouvert pour recevoir la flatterie, la main toujours ouverte pour prodiguer les bienfaits, aimant à protéger et à faire sentir le prix de son amitié, d’un commerce agréable et d’une conversation exquise[17], il avait tout ce qu’il fallait pour captiver la multitude à une époque où les qualités solides d’un Caton n’étaient plus l’idéal des Romains. C’était l’homme du jour, et tout lui souriait. En 192, il avait vu préférer son frère Lucius, pour le consulat, à ce même Nasica contre lequel il luttait aujourd’hui : il sentait derrière lui la foule, qui le poussait. C’est que sa vanité inoffensive ne blessait personne, tandis que l’orgueil inflexible de Scipion lui avait valu autant d’ennemis acharnés que de fervents admirateurs. Mais, s’il avait des défauts moins choquants que ceux de l’Africain, il lui était incontestablement inférieur en génie. La nature avait fait Scipion pour dominer : à Titus, il suffisait de se voir encensé et flatté pour ne rien demander de plus. Il n’excita jamais aucune haine implacable et aucun dévouement passionné ; il ne posséda jamais ce don royal qui caractérise la figure de Scipion : le prestige. Il n’était en réalité que le prête-nom et l’étendard de cette partie de la noblesse qui voulait contrebalancer par une autre influence le crédit trop grand du vainqueur d’Annibal.

Son allié, M. Claudius Marcellus, appartenait à une des plus riches familles de la plèbe, qui s’était anoblie de bonne heure ; il était fils de ce Marcellus, que la reconnaissance du peuple avait surnommé l’épée de Rome, et qui, le premier, dans la guerre d’Annibal, avait ravivé l’espoir public en montrant que le Carthaginois n’était pas invincible. 11 était lui-même un homme de mérite ; il avait été successivement tribun de la plèbe, édile curule, préteur, puis consul, et, en cette dernière qualité, il avait obtenu le triomphe sur les Insubres. Du reste, il faisait partie de ces nobles qui avaient complètement oublié leur origine première, et qui, ligués avec une partie des patriciens, cherchaient à se constituer en caste, pour empêcher l’avènement des hommes nouveaux. Si on le voit ici disputer la censure à un Scipion, il ne faut pas oublier qu’entre les deux familles il y avait probablement une de ces rivalités de gloire, comme il y en eut entre Fabius et l’Africain. Les fils du vainqueur de Nole revendiquaient sans doute pour lui une part des éloges dont on comblait le vainqueur de Zama.

Tel était le premier groupe de candidats ; le second n’était pas moins remarquable. P. Cornelius Scipion, fils de Cnæus et cousin de l’Africain, ajoutait à l’influence de sa famille et de son parti tout le poids de son mérite personnel, universellement reconnu. Jeune encore, lorsqu’il s’était agi de faire venir à Rome la Mère Idéenne, il avait eu l’incomparable honneur d’aller recevoir la déesse débarquant à Ostie ; on devait charger de cette mission le citoyen le plus vertueux de la république, et c’est lui qui avait été choisi comme tel[18]. Dans son édilité curule, dans sa préture en Espagne Ultérieure, où il rapporta de grands et notables succès, dans son consulat, où il triompha des Boïens de la Cisalpine, il se montra toujours digne de son nom et de la confiance publique[19]. S’il n’était pas entouré de l’éclat extraordinaire dont brillait Flamininus, il avait assez de mérite et d’influence de famille pour lutter avec quelque espoir contre lui, et en outre il était comme éclairé par la gloire de son allié Glabrio, le vainqueur des Thermopyles.

Ce M’. Acilius Glabrio était, comme son ancien lieutenant Caton, un homme nouveau ; il devait son élévation aux Scipions. Tribun de la plèbe en 201, il s’était énergiquement prononcé en faveur de la prorogation de l’Africain dans sa province : c’est de ce moment sans doute que datèrent ses bons rapports avec la puissante famille. Il exerça le consulat en 190 avec ce même Nasica, qui le protégea alors et qui aujourd’hui éprouvait le besoin de sa protection. On sait le reste, et comment Acilius termina à son plus grand honneur la campagne de Grèce. Le peuple ne lui épargna pas les marques de sa reconnaissance, et son crédit était des mieux établis au moment où il briguait la censure. Comme de plus il possédait de grandes richesses, il avait eu recours à un usage funeste qui commençait à s’introduire alors : des largesses au peuple avaient achevé de lui gagner les suffrages. Aussi la faveur publique penchait-elle manifestement de son côté[20] : Caton et Valerius restaient tout à fait dans l’ombre ; Flamininus et Marcellus eux-mêmes se voyaient menacés d’un échec humiliant.

Dans de telles conjonctures, il n’y avait qu’un parti à prendre pour des gens aussi indifférents sur le choix des moyens intenter à ce redoutable rival une action qui, en le déshonorant, le repousserait du siége qu’il postulait. Ce fut à coup sûr sous l’inspiration du parti Flamininus que deux tribuns de la plèbe, P. Sempronius Gracchus et C. Sempronius Rutilus, accusèrent Glabrio d’avoir retenu une partie du butin d’Antiochus, qui n’avait pas figuré dans le triomphe, et qu’il n’avait pas déposée dans le trésor : ils demandaient en conséquence qu’on le frappât d’une amende de 100.000 as. La cause fut plaidée à deux reprises : les témoignages des tribuns et des lieutenants qui avaient servi sous Acilius étaient des plus contradictoires. On voudrait connaître la déposition de Valerius, l’homme intègre par excellence ; quant à Lucius Scipion, il est probable qu’il parla en faveur de son ancien général. Il n’en fut pas de même de Caton. Celui-ci déclara que dans le butin du camp d’Antiochus il avait aperçu des vases d’or et d’argent qu’il n’avait pas revus dans le cortége triomphal. Impossible de dire quelle valeur il convient d’attacher à cette déposition ; peut-être serait-il téméraire d’en révoquer en doute la sincérité ; quoi qu’il en soit, Caton fit tout ce qu’il put pour infirmer son propre témoignage. Tant qu’il s’était contenté de parier en simple témoin, il n’avait fait qu’exercer un droit, et, dans une certaine mesure, remplir un devoir ; mais il oublia toute convenance et toute dignité en se portant lui-même accusateur de son ancien général.

S’il avait eu un peu de cette délicatesse qui distinguait à un si haut degré son adversaire Scipion, il aurait refusé de se faire, lui homme nouveau, l’instrument d’une coterie contre un homme dont le seul crime était d’être nouveau comme lui ; il aurait compris que le coup préparé contre Acilius retombait sur lui-même, et il aurait rougi d’attaquer celui dont il avait tout récemment partagé la gloire, et qui lui avait donné des marques si honorables de son estime.

Il dut y avoir un cri d’indignation parmi tous les honnêtes gens, lorsqu’on le vit paraître en public et parler contre Acilius. Tite-Live semble n’être que l’écho de cette indignation lorsqu’il dit que le crédit acquis par Caton pendant toute sa vie fut affaibli dans cette circonstance par sa robe blanche de candidat. Une question s’offrait d’elle-même à l’esprit des hommes impartiaux : Pourquoi, s’il avait des révélations à faire sur la conduite d’Acinus, ne les avait-il pas faites plus tôt ? D. faut d’ailleurs supposer qu’il se contenta de l’accusation de péculat ; attaquer la campagne des Thermopyles elle-même, c’eût été diminuer son propre mérite, puisqu’il y avait participé comme conseiller et comme lieutenant. Mais sans doute il exagérait encore à plaisir son rôle, et cherchait à atténuer les services d’Acilius en vantant les siens : le seul fragment qui nous a été conservé de son discours le montre parlant de lui-même et de ce qu’il a fait[21]. Si je ne me trompe, c’est là aussi qu’il aura raconté son ascension sur le Callidromos, les succès qu’il y obtint, l’accolade que lui donna le consul après la bataille et l’admiration de l’armée pour lui. Il existait encore du temps de Verrius Flaccus quatre discours de Caton contre Acilius : furent-ils tous prononcés ? C’est peu probable, puisque les débats ne durèrent que deux jours. Il est à présumer que de même que Cicéron, qui n’a prononcé que quelques Philippiques sur les quatorze qu’il a écrites, Caton, rédigeant la plupart de ses discours dans sa vieillesse[22], en aura ajouté qu’il n’avait pas prononcés non plus[23].

Quoi qu’il en soit, ses accusations portèrent leur fruit. Acilius, soit par dégoût de ces attaques, soit parce qu’en réalité il ne se sentait pas pur de tout reproche, déclara qu’en face de ces hostilités déloyales, et surtout de l’odieux parjure de son ancien lieutenant, il se désistait de sa candidature. Ainsi, en sacrifiant un succès presque assuré, il échappait à, une condamnation : car le peuple, rassemblé une troisième fois pour juger son procès, refusa de voter, et les tribuns laissèrent tomber l’accusation, qu’ils ne relevèrent plus[24]. Ils trahissaient ainsi avec assez de cynisme le but secret de leur intrigue. Si Acilius était réellement coupable, pourquoi ne pas continuer leur poursuite ? S’il ne l’était pas, pourquoi l’avoir accusé ? Mais le temps n’était plus où l’on s’effrayait d’une contradiction pareille. Flamininus se trouva débarrassé d’un rival qu’il redoutait, et, l’écartement d’Acilius entraînant aussi celui de Scipion, il ne resta plus en présence de lui que Valerius et Caton. Il ne les craignait guère, surtout depuis le scandale par lequel le principal de ces deux candidats avait fait un si grand tort à sa propre cause. Il va de soi que Flamininus et Marcellus furent élus[25]. C’était le moment pour Caton de se rappeler la grave parole qu’il avait dite avec tant d’autorité aux chevaliers devant Numance : Si vous faites le mal, le plaisir en partira bien vite, mais le mal vous restera toujours.

Tel qu’on le connaît, il dut supporter cet échec avec impatience et brûler de prendre sa revanche. Il n’était pas homme à se désespérer, comme fit Acilius, qui, depuis, ne reparut plus sur la scène politique[26]. Seulement il lui restait de son échec un levain de rancune secrète contre Flamininus, qui l’avait écarté et peut-être joué d’une manière si habile. Il se consola par de nouveaux procès et par des luttes nouvelles. Cependant, c’est en 187 seulement qu’on le retrouve à la tribune, déclamant contre un général qui demandait le triomphe.

M. Fulvius Nobilior avait été créé consul l’année où Caton brigua inutilement la censure. Appartenant à la riche noblesse plébéienne, il avait capté la faveur populaire par de grandes distributions de blé pendant son édilité curule. Préteur et proconsul en Espagne, il y avait battu les révoltés à plusieurs reprises, et était rentré avec les honneurs de l’ovation. Consul, il obtint par le sort la province d’Étolie, avec mission de réduire cette malheureuse nation étolienne, qui, depuis la défaite d’Antiochus, s’obstinait encore dans une folle résistance. Il commença la campagne par le siége d’Ambracie, ville acarnanienne qui s’était donnée aux Étoliens, et qui leur resta fidèle dans l’adversité avec le plus louable dévouement. Il est dans l’histoire peu de siégea aussi dramatiques et aussi courageusement soutenus que celui de cette ville. Ses défenseurs y firent merveille. Ils combattirent devant les portes, ils combattirent sur les remparts, ils combattirent jusque dans les mines creusées par les assiégeants, et qu’ils parvinrent à bouleverser Enfin, ne pouvant les réduire par les armes, le consul leur accorda une capitulation à la suite de laquelle la garnison étolienne se retira librement. Mais avec Ambracie était tombé le boulevard des Étoliens ; ils demandèrent la paix. Elle leur fut donnée, et, selon l’usage romain, des commissaires furent adjoints au consul pour en régler les détails. Caton se trouva parmi eux[27]. Arrivé dans le camp de Fulvius, il fut scandalisé par un spectacle analogue à celui qui l’avait tant indigné jadis dans le camp de Scipion. Le général était un lettré, un ami de l’hellénisme, un partisan de l’éducation nouvelle : il s’était fait suivre par le poète Ennius, qui devait plus tard chanter ses exploits dans le poème d’Ambracie[28]. Caton se tut ; il savait bien que le moment viendrait d’exhaler sa colère d’une manière plus fructueuse. Sa mission terminée, il s’en retourna à Rome ; pendant ce temps Fulvius continuait la campagne, soumettait l’île de Céphallénie, dont la ville principale, Samé, ne se rendit qu’après un siége de quatre mois, et enfin, après avoir réglé les affaires de la Grèce en qualité de proconsul (188), il rentrait à Rome et demandait le triomphe.

Il avait été précédé par une députation d’Ambraciens, qui se plaignaient qu’on eût barbarement pillé leur ville, dépouillant même les temples et ne laissant que les quatre murs tout nus aux fidèles qui venaient y prier. Æmilius Lepidus, ennemi acharné de Fulvius, les soutenait : sous ses auspices fut rédigé un sénatus-consulte portant que justice serait rendue aux Ambraciens, et que, quant aux statues et autres objets d’art qui leur avaient été pris, on en référerait au collège des pontifes. Tel était l’acharnement de Lepidus, que, le Sénat ne se trouvant pas en nombre, il en profita pour faire rédiger un sénatus-consulte de teneur assez équivoque, où il était dit qu’Ambracie n’avait pas été prise de vive force : c’était d’avance dénier le triomphe à Fulvius. Aussi, à peine celui-ci, arrivé à Rome, eut-il fait sa demande au Sénat, que le tribun de la plèbe M. Aburius se leva pour faire opposition : il ne souffrirait pas, déclarait-il, qu’on prit une décision avant le retour du consul Æmilius Lepidus, alors absent[29]. Ce fut l’occasion d’une nouvelle lutte oratoire où Caton intervint. Il se prononça formellement contre le triomphe de Fulvius. C’était, selon lui, montrer le plus grand mépris pour cette récompense du triomphe, que de la prodiguer si facilement ; la campagne de Fulvius ne la méritait en aucune manière. Ambracie n’avait pas été prise de vive force, malgré les efforts de l’ex-consul pour faire croire .le contraire, malgré le grand nombre de couronnes qu’il avait fait décerner à ses soldats pour éblouir le peuple. Et d’abord, s’écriait-il, depuis quand voit-on distribuer des couronnes, quand il n’y a eu ni ville prise ni camp ennemi emporté ?[30] Continuant sur ce ton, et fidèle à son habitude, il généralisait l’accusation, attaquant non seulement la véracité des récita de Fulvius, mais son administration tout entière. Il faut l’avouer : sa fougue agressive l’entraînait parfois hors des bornes ; les actes les plus inoffensifs devenaient alors à ses yeux des fautes graves, les moindres peccadilles des crimes énormes. Le Sénat, moins disposé que lui à. en vouloir à tout le monde, lui donna tort cette fois ; Aburius lui-même se désista de son opposition sur les instances de son collègue T. Sempronius Gracchus, et la demande de Fulvius fut accordée. Son triomphe fut des plus remarquables : il y figura entre autres 285 statues d’airain et 230 de marbre[31].

Un autre candidat au triomphe ne fut pas moins heureux ; ce fut Cn. Manlius Vulso, qui avait fait une véritable guerre de brigand en Asie, aux Gallo-grecs ou Galates, et déshonoré ainsi le nom romain dans les pays les plus éloignés. Il serait difficile d’admettre que Caton n’ait pas combattu sa demande avec plus d’énergie encore que celle de Fulvius. Tite-Live n’en dit rien ; on voit seulement que malgré une juste et forte résistance Manlius célébra son triomphe avec un faste extraordinaire.

Quel ne devait pas être le ressentiment du rigide observateur des vieilles mœurs contre les misérables qui avilissaient ainsi la dignité de la république ! Avec quelle amertume il devait rapprocher de ces hommes tarés les nobles et austères figures d’un Curius Dentatus ou d’un Fabricius ! La pauvreté, la simplicité rustique, la tempérance, l’énergie de l’ancienne Rome, combien elles devaient lui sembler dignes de louange et de regret, quand il les comparait à l’opulence, au luxe, à la mollesse, à la licence de tant de ses contemporains ! Le vieil idéal romain qui lui montrait les triomphateurs s’abritant sous le chaume d’une cabane, les soldats victorieux retournant à la charrue, le peuple, vainqueur et pauvre, contemplant d’un œil de pitié le faste des vaincus, hélas ! ce beau tableau des mœurs républicaines qu’il avait sous les yeux depuis son enfance, il le voyait s’évanouir Qu’y faire ? Caton s’indignait, tonnait contre la corruption..... Au fond n’était-il pas, lui aussi, responsable de cette décadence ? Ce qui contribua surtout à propager dans Rome le goût de luxe, ce furent les magnifiques cortéges que les généraux victorieux trairaient à leur suite lorsqu’ils revenaient des provinces. Lui-même, après son consulat d’Espagne, ne rapporta-t-il pas un butin immense Il ne semble pas s’être aperçu de l’inconséquence qu’il y avait à enrichir le peuple, et à lui défendre de jouir de ses richesses.

Quoi qu’il en soit, déjà la corruption était profonde : les Bacchanales ne le prouvent que trop. Je glisse rapidement sur ce lugubre épisode, qui a été si souvent raconté. D’un coup, le vice avait atteint des proportions effrayantes ; des crimes de tout genre, des débauches de toute nature souillaient les rendez-vous nocturnes d’hommes et de femmes qui prenaient ;les fêtes de Bacchus pour voile de leurs turpitudes Lorsque le Sénat l’apprit, il en fut consterné : il semblait qu’un abîme se fût subitement ouvert devant ses yeux. Il fallait sévir : on le fit sans réserve. Caton fut des premiers à le comprendre et à le conseiller. Il ne nous est rien resté (si ce n’est un seul mot) du discours qu’il fit à cette occasion au Sénat. Il y poussait certainement aux mesures les plus rigoureuses. Rome fut en quelque sorte misé en état de siége : des poursuites extraordinaires furent dirigées contre les coupables, tant en Italie que dans la ville même, car le fléau s’était répandu partout. Il fut établi qu’il y avait plus de 7.000 initiés : on se montra impitoyable envers eux. A Rome, en province, on les abattit comme des bêtes fauves, sans égard pour leur dignité, sans pitié pour l’âge ni pour le sexe. Les femmes trouvées coupables — et il y en avait beaucoup — furent livrées à leurs familles pour être exécutées à domicile. Un grand nombre de conjurés se dérobèrent par une mort volontaire au châtiment qui les attendait[32]. Bref, on chercha à cautériser la plaie, et peut-être on crut y avoir réussi : mais déjà la gangrène était là, et le centre de la vie était atteint.

Caton eut du moins le mérite de deviner la gravité de ces pronostics, et de jeter le cri d’alarme. Son instinct non moins que son raisonnement lui disait que la vieille Rome s’en allait, et les faits les plus significatifs venaient tous les jours confirmer ses craintes. Rome se livrait aux étrangers, Rome se perdait. Hier, c’étaient les Grecs qui lui apportaient leur frivolité, leur incrédulité frondeuse, leur vénalité sans exemple ; aujourd’hui, c’étaient les Étrusques qui introduisaient dans le Latium leurs superstitions honteuses, et leurs débauches plus honteuses encore. Caton haïssait les uns autant que les autres ; s’il parle moins souvent des Étrusques, c’est parce qu’il en avait moins souvent l’occasion, et que leur influence était loin d’être universelle comme celle des Grecs. Il nourrissait un souverain mépris pour la science des haruspices, venue d’Étrurie : Deux haruspices, disait-il, ne peuvent se regarder sans rire[33]. Étrusques, Grecs, Carthaginois, il enveloppait tous ces étrangers dans cette haine patriotique qu’il regardait comme la première vertu du citoyen, et qu’il voyait avec douleur disparaître parmi ses compatriotes. Aussi ne connut-il pas, après les étrangers, de plus grands ennemis que ceux qui se faisaient les complices des étrangers, et Scipion et les siens apprirent à leurs dépens ce que coûtait pareille haine.

 

 

 



[1] Origg., I, 2.

[2] Tite-Live, 38, 51, se sert de l’expression allatrare en parlant des attaques de Caton contre Scipion.

[3] Du moins j’ai conjecturé avec Dillenius, traducteur allemand d’Appien, qu’il est ce Thermus dont il est parlé dans Appien, Carth., 36 et 44.

[4] Tite-Live, 30, 40 ; 32, 27 ; 33, 24, 26 et 44 ; 31, 54.

[5] Tite-Live, 38, 41, 46, 49.

[6] Tite-Live, 34, 10.

[7] Tite-Live, 37, 46.

[8] Tite-Live, 34, 55 et 56 ; 35, 3, II, 20, 21 ; 36, 38.

[9] Tite-Live, 30, 40.

[10] V. Bekker und Marquardt, III, I, p. 243 et 386.

[11] Origg., II, frg. 1.

[12] Wahrscheinlich um die Zeugen eigener Unredlichkeit aus dem Wege zu räumen, Drumann, p. 110.

[13] Caton, in Q. Min. Therm. de X hominibus, frg. 1, 2, 3.

[14] Caton, in Q. Min. Therm. de falsis puguis.

[15] Aulu-Gelle, 13, 25 (24) et 10, 3. On peut lire dans cet auteur une intéressante étude où il compare le morceau qui nous occupe à des passages analogues dans Caïus Gracchus, et dans Cicéron, Verr., 5, 62, 121 : il le préfère au premier et le met presque au niveau du second. Il aurait pu rapprocher encore du fragment catonien ces quelques lignes de Cicéron, Verr., 2, 30, 70 : Quem fletum totius Asiæ fuisse ! quem luctum et gemitum Lampsacenorum ! Securi esse percussos homines innocentes, nobiles, socios populi romani atque amicos !

[16] Tite-Live, 37, 56.

[17] Voir la biographie de Flamininus, par Plutarque.

[18] Tite-Live, 29, 14. On ne doit pourtant pas attribuer trop d’importance à cette distinction : c’était pendant tout le feu de la deuxième guerre punique, et un tel honneur devait naturellement être accordé à la famille du héros qui soutenait alors toute la lutte contre Annibal.

[19] Tite-Live, 33, 25 ; 31, 42 sqq. ; 35, 1, sqq. ; 35, 24 ; 36, 37, sqq.

[20] Tite-Live, 37, 57.

[21] Postquam navitas ex navibus eduxi, non ex militibus atque nautis piscatores penatores feci, sed arma dedi.

[22] Cicéron, de Sen., 11, 38.

[23] Jordan, Proleg., p. LXXVI.

[24] Tite-Live, 37, 57 et 58.

[25] Tite-Live, 37, 58.

[26] Acilius doit être mort avant 180, puisqu’en cette année le temple de la Piété, qu’il avait promis le jour de la bataille des Thermopyles, fut dédié par son fils on y plaça sa statue dorée, la première de cette espèce qui fut érigée en Italie. V. Tite-Live, 40, 34.

[27] Tite-Live ne parle pas de cette commission ; mais on sait par un fragment de Caton (De virtut. suis contra Therm., 3) qu’il a eu une mission pour Fulvius en Étolie, au moment où les Étoliens demandèrent la paix.

[28] Caton, in M. Fulv. Nobil., frg. 2.

[29] Tite-Live, 38, 43 et 44 ; 39, 4.

[30] In M. Fulv. Nobil., frg. 1. — 0. Ribbeck blâme à tort Jordan d’avoir séparé ce discours de celui que Caton prononça plus tard contre la censure du même Fulvius. Il est vrai que les fragments sont cités simplement sous le titre In Marcum Fulvium Nobiliorem, mais leur contenu, et l’importance du présent débat autorisent bien à croire que Caton a dû prendre part à la lutte.

[31] Tite-Live, 39, 5. Tous ces objets d’art avaient été volés aux Ambraciens : de là leurs plaintes. Au point de vue de la justice absolue, il aurait fallu refuser le triomphe à Fulvius, qui avait commis d’indignes brigandages ; mais ni Caton ni aucun autre homme d’État ne portaient la question sur ce terrain.

[32] Tite-Live, 39, 8 sqq.

[33] C’est se tromper étrangement que de lui faire dire, comme c’est l’usage, que deux augures ne peuvent se regarder sans rire, et je suis étonné de rencontrer une faute pareille dans le livre si consciencieux de Jäger. Caton avait un grand respect pour les augures et pour leur art ; il se plaint même quelque part qu’on le néglige trop à Rome (Cicéron, de Div., 1, 15, 28) ; un de ses discours est intitulé de auguribus ; enfin, il n’est pas impossible qu’il ait fait lui-même partie du collège des augures. La science augurale était essentiellement romaine, et c’était une véritable institution d’État ; les haruspices au contraire n’eurent jamais de crédit qu’auprès de la foule superstitieuse. — Le mot de Caton est dans Cicéron, de Div. 2, 24, 51 : Mirari se aiebat, quod non rideret haruspex, haruspicem cum videret. Cf. Id., de Nat. Deor., 1, 26, 71.