CATON L’ANCIEN, ÉTUDE BIOGRAPHIQUE

 

CHAPITRE I. — LA JEUNESSE DE CATON.

 

 

Manus Porcius Cato naquit dans le municipe de Tusculum[1], d’une famille plébéienne tout à fait inconnue avant lui[2]. La maison à laquelle il appartenait tirait son nom, à ce qu’il semble, de l’élevage des porcs[3]. Elle se divisait en plusieurs branches, dont les plus anciennes, après celle de notre héros, sont[4] : 1° celle des Licinus, qui fournit plusieurs magistrats à la république ; 2° celle des Læca, dont un des membres fut l’auteur de la fameuse loi de provocatione[5]. Le surnom des Catons parait se rattacher, par catus et catulus, à canis, et ferait allusion au flair, à la sagacité du chien[6] ; on le retrouve dans la maison Hostilia[7], de même que dans celle des Ælius il y avait des Catus[8]. Plutarque prétend que le surnom primitif du personnage était Priscus, et qu’il l’échangea plus tard contre celui de Caton, que lui auraient valu ses qualités personnelles. Mais il est seul à affirmer ce fait, que Cicéron n’aurait pas manqué de relever à la gloire de son Romain favori, s’il avait été vrai ; d’ailleurs Plutarque se contredit lui-même, car il parle d’un autre Caton, bisaïeul du censeur, qui se distingua par sa bravoure[9]. Il est facile de voir que c’est au contraire le surnom de Priscus qui est d’origine plus récente, et qu’on l’a donné à notre Caton uniquement pour le distinguer de son descendant, le fameux adversaire de César[10]. Priscus n’est donc qu’une simple épithète ; aussi voit-on ce nom placé tantôt avant, tantôt après le nom gentilice, ce qui ne serait pas le cas si c’était un véritable surnom[11]. Autant vaudrait dire que le surnom de Caton était Superior, comme l’appelle Valère Maxime[12] évidemment dans le but de le distinguer de Caton d’Utique, ou Major, qui se trouve dans le titre du De Senectute de Cicéron, ou encore Senex, comme il est fréquemment nommé, de même qu’Ennius et d’autres de ses contemporains, par les écrivains postérieurs[13].

Ce qui a pu contribuer à l’erreur de Plutarque, ou de l’historien latin auquel il a probablement emprunté ce détail, c’est que Priscus était un véritable surnom[14], et qu’il appartenait même à une famille de la maison Porcia, comme le prouvent deux inscriptions de Gruter[15]. Mais cette famille ne semble pas avoir joué de rôle dans l’histoire, et il n’est jamais question d’elle chez aucun écrivain. Faudrait-il s’étonner qu’un historien, connaissant l’existence des Porcius Prisons, et rencontrant le mémo surnom accolé au nom de notre héros, eût cru que ce dernier appartenait à la même famille

Un second cognomen de Caton, c’est celui de Censorius[16] ou plus rarement Censor[17], qui lui vient de l’éclat avec lequel il avait géré la censure[18]. Au lieu de Censorius, on lit aussi Orator[19], en souvenir des nombreux discours qu’il a écrits ou prononcés, ou Sapiens[20], à cause de son expérience des affaires.

Malgré les contradictions des anciens, on peut fixer avec assez de certitude la date de la naissance de Caton. On sait par des témoignages positifs qu’en 149, il accusa devant le peuple Servius Galba[21] ; ce fut aussi, d’après Cicéron qui sur ce point n’a jamais été démenti, la date de sa mort. Il avait alors, selon l’orateur, 85 ans ; par con, séquent il serait né en 234. Mais ici commence le désaccord. Tite-Live, et avec lui Plutarque, disent formellement qu’il avait 90 ans quand il accusa Galba, ce qui reporterait sa naissance à l’année 239, et Valère Maxime, sans être aussi explicite, semble cependant être du même avis[22]. Il n’y a pas à balancer ; la date donnée par Cicéron est la seule exacte. D’abord elle s’accorde parfaitement avec les autres renseignements qu’il fournit ailleurs ; ainsi, il fait naître Caton un an avant le premier consulat de Fabius en 233[23], et il lui donne 65 ans à l’époque où il parla pour la loi Voconia[24], que l’on est convenu de placer en 169. Elle est de plus confirmée par Pline, qui fait également mourir Caton en 149, à 85 ans[25], et, ce qui est bien plus concluant, par Caton lui-même. En effet, dans un passage conservé par Plutarque[26], il raconte qu’il porta les armes pour la première fois à 17 ans, alors qu’Annibal pillait et désolait l’Italie. D’après Tite-Live et Plutarque, lequel, ici encore, se contredit lui-même, ce serait en 222 ; d’après Cicéron et Pline, en 217. Voilà qui tranche la difficulté, car Annibal n’entreprit sa campagne contre Rome qu’en 218. On voit que Tite-Live a suivi des annales autres que celles où a puisé Cicéron : il serait oiseux de vouloir corriger son texte, qui ne présente pas la moindre variante à ce sujet[27].

La famille de Caton appartenait à cette forte race de paysans sabins qui, après avoir fertilisé le Latium, colonisa une bonne partie de l’Italie, et y a laissé d’impérissables souvenirs de son activité et de sa vigueur. Obscurs et ignorés, ses aïeux n’avaient jamais tiré l’épée que pour courir aux frontières ; la guerre terminée, ils revenaient labourer leurs champs, sans prétendre aux dignités de la république. Aussi Caton était-il un homme nouveau dans la pleine acception du mot, un auctor generis ou princeps familiæ, comme on appelait chez les Romains ceux qui, les premiers dans leurs familles, s’étaient élevés aux magistratures curules. Mais, quoique aux yeux de l’orgueilleuse noblesse du temps une extraction si basse fût un sujet de mépris, Caton était loin d’en rougir : avec cet âpre orgueil du plébéien parvenu, qui ne le cède en rien à celui du noble, il disait qu’a la vérité il était un homme nouveau dans les magistratures et dans les honneurs, mais que par les exploits et les vertus de ses ancêtres, sa famille était au contraire fort ancienne. Et il citait à ce propos son aïeul, dont la valeur guerrière avait été honorée de plusieurs récompenses[28], et qui, ayant eu cinq chevaux de bataille tués sous lui, en avait été indemnisé aux frais de l’État. Il parlait aussi de son père Marcus comme d’un homme de courage et d’un excellent soldat[29].

C’est à Tusculum, dans la maison paternelle, que se passa l’enfance de Caton. Cette ville avait joué un grand rôle dans l’histoire primitive du Latium. Gouvernée d’abord par des rois, comme toutes les autres cités latines, elle le fut ensuite par des dictateurs. L’un d’eux, Octavius Mamilius, était gendre de Tarquin le Superbe, et, quand ce roi fut chassé de Rome, Mamilius fut un des principaux instigateurs de la coalition qui, s’il faut en croire la légende, aurait été écrasée sur les bords du lac Régille[30]. A partir de ce jour, Tusculum avait reconnu l’hégémonie romaine, et, à travers toutes les vicissitudes par où dut passer la ville éternelle avant de devenir la maîtresse du monde, elle se montra toujours la plus fidèle de ses alliées. Pendant de longues années, elle lui servit de boulevard contre les Èques, et, lorsque l’audacieux coup de main d’Appius Herdonius vint la mettre à deux doigts de sa perte, ce fut la jeunesse de Tusculum qui accourut à son secours et contribua efficacement à la victoire. Aussi Tusculum était-il un des municipes les plus favorisés de l’Italie, et celui qui, au dire de Cicéron, fournit le plus de familles consulaires à la république[31], entre autres les Fulvius[32], les Furius Philus[33] et l’illustre Ti. Coruncarius.

Bâtie sur le plateau qui termine le mont Tusculan, et défendue par une formidable citadelle, célèbre dans l’histoire des premières guerres latines, cette ville était située de la manière la plus agréable. Rien de plus délicieux que la vallée de Tusculum et les fertiles coteaux de ses montagnes. Partout les blanches villas y riaient à travers d’épais bouquets d’oliviers, les unes baignant leurs pieds dans les ruisseaux, les autres, comme des chèvres sauvages, suspendues à chaque rebord des ravins. Le côté de la colline qui regarde Rome était surtout parsemé d’habitations ; c’est là que s’élevaient les maisons de campagne de Cicéron, d’Hortensius, de Crassus, de Lucullus et de tant d’autres[34]. Toutefois, dans le temps dont il s’agit, Ou n’y trouvait que des fermes peu élégantes, comme celle de Curius Dentatus, et, un peu plus loin, peut être au N. E. de la ville, celle de Caton, sur une colline qui porte encore le nom de Monte-Porzio[35]. Là était le domaine des Porcius, que Caton, dès sa jeunesse, arrosa de ses sueurs, et où il contracta cette passion de l’agriculture, la première et la plus durable de sa vie. Dès l’âge le plus tendre, disait-il plus tard, j’ai tenu ma jeunesse à l’écart, dans les champs, au milieu des privations, des fatigues, des labeurs, remuant et ensemençant les rochers et le sol pierreux de la Sabine[36].

C’était bien là une éducation romaine ou plutôt sabine ; l’instruction y était reléguée au second plan. Elle n’était pas tout à fait négligée pourtant ; dès le temps de Camille il y avait des écoles à Tusculum[37] ; mais l’enseignement y était des plus élémentaires lire, écrire, apprendre par cœur le texte des XII Tables, et surtout calculer au moyen de l’Abacus, voilà tout ce qu’il fallait à un Romain de cette époque[38]. Peut être racontait-on aussi aux enfants les principaux faits de l’histoire nationale qui devaient mettre sous leurs yeux des exemples à suivre, des modèles à imiter.

Aucun élément étranger n’influa donc, si peu que ce fût, sur la première éducation de Caton : tout au plus connaissait-il dès lors l’Odyssée par la traduction défectueuse qu’en avait faite Livius Andronicus[39]. Tout est romain en lui : ses premiers souvenirs se rapportent tous aux temps où les mœurs de ses concitoyens n’étaient pas encore altérées par le contact du dehors. Cicéron raconte que dans son enfance il eut souvent l’occasion de voir à Rome le vainqueur de Mylæ, Duilius, ramené chez lui à la lueur des flambeaux et au son des flûtes[40] : simple et pourtant magnifique récompense accordée par le sénat à celui qui avait le premier remporté une grande victoire navale. Lorsque Caton revenait à Tusculum, la mémoire pleine d’un spectacle si frappant, un nouveau sujet s’offrit à ses méditations. Tout près de sa maison paternelle, se trouvaient le champ et la cabane de M. Curius Dentatus, le glorieux vainqueur des Samnites. Caton allait continuellement visiter ce domaine ; il regardait ce champ si modique, cette étroite cabane, et il se rappelait alors cet homme, le plus grand des Romaine, qui avait dompté les nations les plus belliqueuses, qui avait chassé Pyrrhus de l’Italie, qui avait eu le triomphe trois fois, et qui ensuite était revenu bêcher de ses propres mains ce petit champ et habiter cette chaumière. C’est là qu’il était assis près de son foyer, faisant cuire lui-même ses choux-raves, lorsque les députés samnites vinrent lui apporter une grande somme : il les renvoya, disant que point n’était besoin d’argent à un homme qui se contentait d’un dîner comme le sien, et que, pour lui, il trouvait plus beau de vaincre ceux qui possédaient de l’or que d’en posséder lui-même[41].

C’est dans ces occupations pénibles et dans ces méditations austères que grandissait Caton. Il était encore jeune, parait-il, lorsqu’il perdit son père[42], et il se trouva donc de bonne heure maître d’un domaine qui devait être assez important, puisque son aïeul avait servi comme chevalier et possédait dès lors au moins le cens équestre. Pendant qu’il arrivait à l’adolescence, le plus terrible orage qui ait jamais fondu sur la république romaine s’amassait lentement, pour éclater ensuite d’une manière inopinée. Rome venait à peine de terminer la guerre contre les Gaulois Cisalpins, lorqu’elle apprit le siége, puis bientôt la chute de Sagonte. Ignorant encore à quel ennemi elle avait affaire, elle perdit du temps en de vaines négociations, et déjà Annibal s’avançait à marches forcées vers les Pyrénées, traversait sans résistance la Gaule jusqu’au Rhône, culbutait les barbares qui s’opposaient à son passage, arrivait au pied des Alpes, les gravissait à travers des dangers inouïs, et, parvenu au sommet, montrait de la main à son armée les plaines fertiles de la Lambardie, étendues devant elle, et s’écriait : Voilà que nous avons franchi les remparts de l’Italie : elle est tout entière à nous !

Dès ce moment Rome ne compta plus ses jours que par des désastres. Les défaites du Tessin et de la Trébie n’en furent que les préludes, mais la journée de Trasimène fut un coup de foudre d’autant plus terrible qu’il était moins prévu. Plus de 15.000 hommes périrent avec le consul Flaminius dans cette rencontre fatale, et l’Etrurie ainsi que l’Ombrie étaient aux mains d’Annibal ! Pourtant, la vertu romaine ne fléchit point. Les préteurs, pendant plusieurs jours, tinrent le sénat rassemblé depuis l’aurore jusqu’au coucher du soleil ; les livres sibyllins furent consultés ; il y eut un lectisterne et des prières publiques ; un printemps sacré fut promis aux dieux, si dans cinq ans l’état de la république n’avait pas empiré, et enfin Fabius, revêtu de la dictature, reçut l’autorisation de lever, parmi les alliés et parmi les citoyens, autant des troupes qu’il le jugerait nécessaire. Caton avait fait partie des levées de cette année 217 ; on ignore s’il fut à Trasimène ; dans tous les cas il passa avec les troupes nouvelles sous les ordres de Fabius. De Tibur, où il avait donné rendez-vous à son armée, le dictateur la conduisit ensuite l’ennemi. Partout oit devait passer Annibal, on avait donné ordre aux paysans de brûler les villages et de détruire les provisions qu’ils ne pourraient emporter. Mais le désert était l’élément du lion numide, et Annibal était déjà chez les Samnites lorsque le général romain se disposait à marcher contre lui. Pendant tout le reste de la saison, le Carthaginois promena le fer et la flamme à travers les riches vallées de l’Italie, sous les yeux de Fabius qui croyait avoir assez fait pour la patrie lorsqu’il avait évité le combat. Les consuls qui reçurent les troupes des mains du dictateur à l’expiration de sa charge continuèrent la guerre d’après sa tactique, se tenant sur les hauteurs, et laissant Annibal piller les vallées à loisir. Le peuple romain finit par se fatiguer lui-même d’un tel état de choses, au point qu’il créa consuls pour 216, avec L. Æmilius Paullus, ce C. Terentius Varro, dont le principal mérite était de pousser de toutes ses forces à la lutte à outrance. Mais les ambitieuses espérances du consul plébéien s’engloutirent avec l’armée romaine dans le grand désastre de Cannes. On ne saurait dire si Caton prit part à cette lutte mémorable ; ce qui est certain, c’est que dans toutes les rencontres il se conduisit vaillamment, et que, dès ses premières campagnes, il avait la poitrine sillonnée de blessures[43].

Les travaux et les fatigues de la vie des champs l’avaient préparé à la guerre ; c’est parmi les laboureurs, dit-il lui même, que l’on recrute les soldats les plus courageux, les plus endurants et les mieux disciplinés[44]. A tous ces traits, on reconnaît en lui l’homme de la vieille tradition romaine, maniant l’épée aussi bien que le soc de sa charrue : c’est le dernier soldat laboureur, le disciple des Cincinnatus et des Curius Dentatus. La fortune ne lui fut pas avare d’occasions, puisqu’elle le jeta, dès son début, au milieu de la deuxième guerre punique, la plus terrible que Rome ait eu à soutenir. C’est, suivant la belle expression de Pline, à l’école d’Annibal qu’il apprit la guerre[45], et, comme on l’a fait remarquer, aucune génération à Rome ne posséda la vigueur et la constance de celle qui avait traversé et conjuré la crise la plus redoutable de la république[46].

Au défaut de renseignements, l’on ne peut suivre Caton dans les différentes phases de son service militaire. D’après les indications de Plutarque, que rien d’ailleurs ne vient contredire, il est permis de supposer qu’à la fin de chaque campagne il rentrait dans ses foyers, où il se livrait aux travaux agricoles que permettait la saison[47]. Il avait pour voisin de campagne le riche patricien Valerius Flaccus, appartenant à une des premières maisons de Rome. C’était, dit Plutarque, un homme habile à discerner le mérite naissant, et qui aimait à l’encourager. Les esclaves lui rapportaient qu’il passait ses matinées dans les villes et les bourgs du voisinage, à plaider pour ceux qui avaient besoin de lui, et que dans l’après-dîner il revenait aux champs, peinant et travaillant au milieu des siens, l’hiver avec une simple exomis, l’été presque nu, partageant leur table, ne se dérobant à aucune fatigue, sachant à l’occasion égayer le travail par une saillie, en un mot le type accompli du vir frugi. Valerius eut envie de le voir : il l’invita à dîner. Dès l’abord, quelle que fût la distance sociale, les deux hommes se comprirent et se rapprochèrent. La maison des Valerius s’était distinguée, dès l’origine de la république, par un amour du peuple qui avait valu à son chef le surnom de Publicola ; elle avait attaché son nom à plusieurs lois favorables à la plèbe, et secondé avec dévouement et sincérité toutes les aspirations vraiment libérales. Cela n’excluait nullement les instincts conservateurs, qui étaient dans le sang patricien et dans les traditions romaines.

Valerius fut charmé de trouver dans son voisin de campagne un homme qui alliait en lui les mêmes sentiments conservateurs et les mêmes tendances démocratiques. Il le protégea, il lui donna l’occasion de se produire au forum, où le jeune homme eut bientôt des admirateurs et des amis. Grâce à ce puissant appui, Caton, au printemps de 214, fut nommé par le peuple tribun militaire[48] ; en cette qualité il partit pour la Campanie, où les armées des consuls Marcellus et Fabius opéraient de concert. Marcellus ayant été bientôt appelé en Sicile, où il devait se couvrir de gloire, Caton l’y suivit. Il resta sous les armes pendant les années suivantes, et en 209 on le retrouve sous Fabius, alors consul pour la cinquième fois, la prise de Tarente. Fabius se sentit, lui aussi, attiré vers le jeune soldat ; il voyait en lui un Romain de la vieille roche ; il devint son protecteur et son ami.

Tarente était alors une des villes les plus riches et les plus lettrées du monde grec, et, sur le continent italique, il n’y avait aucune cité, excepté Capoue, qui pût le lui disputer en opulence et en éclat. Le jeune soldat, qui servait depuis huit ans dans le sud de l’Italie, avait très probablement appris le grec dans le cours de ses pérégrinations ; aussi, devenu l’hôte du philosophe pythagoricien Néarque, entendit-il avec admiration la parole du vénérable vieillard. On devine avec quel plaisir un homme de sa trempe devait écouter les préceptes de cette philosophie qui réprouvait la volupté des sens comme le plus grand fléau de l’âme, et qui conseillait de la combattre par l’austérité et par l’exercice. Naturellement, il ne prit de cet enseignement que le côté tout pratique ; quant aux spéculations sur le monde et sur la vie, il dut s’en inquiéter peu : un vrai Romain n’a jamais fait cas d’une philosophie qui ne se traduit pas en règles et en préceptes. N’importe : il est beau de voir celui-là même qui haïra et combattra avec tant d’énergie l’influence de la Grèce, prêter une oreille attentive à la voix de ses philosophes, et emprunter à cette vénérable institutrice du genre humain les armes avec lesquelles il l’attaquera plus tard. Ce serait un tableau bien fait pour tenter le génie d’un peintre que ce farouche Romain, ce fils de Mars et de la louve, écoutant d’un air étonné et subjugué la sagesse et l’éloquence qui parlaient par la bouche du philosophe de Tarente[49].

Cependant, le grand drame engagé par Annibal se précipitait. Confiné dans un coin de l’Italie, d’où il ne pouvait sortir faute de troupes, et d’où toutes les cohortes romaines,ne parvenaient pas à le chasser, le fils d’Amilcar avait plus d’une fois encore épouvanté Rome par des coups foudroyants. Joueur désespéré, on l’avait vu un jour accourir menaçant sous les remparts de la ville, où il frappa les citoyens de cette terreur profonde qu’ils n’oublièrent jamais. Hannibal ante portas ! Admirable surtout au moment où tout le trahissait, il ne pensa jamais un seul instant à abandonner son entreprise, à violer le serment redoutable de son enfance. Enfin, après des instances réitérées, combattues, à Carthage même, par la faction des Hannon, ces complices aveugles et involontaires des Romains, il eut le bonheur d’apprendre que son frère Asdrubal, arrivant à son secours, descendait des Alpes avec une puissante armée. Ces renforts, quoique tardifs, pouvaient tout rétablir encore : au Nord et au Sud, deux armées également aguerries prendraient dans un étau vivant les troupes de la république, et les broieraient comme à Trasimène et à Cannes. C’était en 207. Le consul Livius était dans le Nord, pour barrer le chemin à l’ennemi qui arrivait ; son collègue, C. Claudius Nero, campait vis-à-vis d’Annibal dans le Brutium. C’est alors qu’en présence du danger qui planait sur sa patrie, Claudius sentit son courage grandir à la hauteur des circonstances, et, par une résolution digne d’Annibal lui-même, il abandonna secrètement son camp avec l’élite de son armée pour voler au secours de son collègue. Caton se trouvait parmi cette troupe de 7000 hommes, qui, en quelques jours, traversa au pas de course la moitié de l’Italie, arriva à temps au Métaure pour anéantir l’armée d’Asdrubal, et, repartant à la hâte pour son poste, y revint après une absence de moins de deux semaines, sans qu’Annibal en eût rien su. La tête sanglante de son frère, jetée par-dessus les retranchements de son camp, apprit au gigantesque adversaire du destin qu’il fallait renoncer à ses dernières espérances ; il sentit le coup, et, devant ce grand désastre, il ne trouva que cette parole tragique : Je reconnais la fortune de Carthage ! Mot touchant et terrible, qu’on a eu tort de révoquer en doute[50] et qui peint si bien le trouble profond et les poignantes angoisses de cette grande aine aux abois !

Caton, qui avait pris part au combat et à la victoire[51], signalait ainsi d’une manière glorieuse la dernière de ses dix années de service obligatoire[52]. On ne possède aucun renseignement sur lui de 207 à 204 ; il est probable qu’il resta sous les armes, car, malgré les récents malheurs de Carthage, Rome ne se sentait pas encore soulagée du poids d’une lutte formidable et contre les Gaulois révoltés, et contre Annibal, et contre son allié le roi Philippe de Macédoine. En 204, honorablement connu du peuple, et soutenu derechef par l’influence de Valerius Flaccus[53], il obtint la questure, et fut désigné par le sort pour remplir cette charge dans l’armée de P. Scipion[54], qui était alors proconsul en Sicile, et qui se préparait à passer en Afrique pour y attirer Annibal[55]. La fortune, qui plus tard devait creuser un abîme entre ces deux hommes, sembla s’amuser à les rapprocher d’abord de la manière la plus étroite, comme pour donner à chacun l’occasion de connaître à fond son futur antagoniste. C’est que, dès l’enfance, ils avaient marché dans des voies différentes, et poursuivi des buts différents. On connaît la jeunesse laborieuse et austère de Caton ; laboureur, soldat, il ne s’était jamais distingué par aucune qualité transcendante, mais, parmi ses égaux, il avait toujours occupé le premier rang par son énergie et par son courage. Bien autre avait été la destinée de Scipion. Dans toutes les occasions où il s’était montré jusqu’alors, il avait paru, non un citoyen au milieu de ses pairs, mais un souverain au milieu de ses sujets. Caton était la prose même : pratique avant tout, il exigeait du citoyen des qualités solides et utiles à la république, et regardait le reste comme superflu. Rien de plus fabuleux et de plus romanesque, au contraire, que la carrière si courte encore de Scipion. Une auréole surnaturelle entourait son berceau ; on racontait qu’il ne devait pas le jour à un mortel, et lui-même ne démentait pas le bruit populaire, d’après lequel sa mère l’avait conçu d’un serpent sacré, probablement un dieu caché sous cette forme[56]. Il n’accomplissait pas un acte important qu’il n’attribuât aux conseils d’en haut ; souvent il se rendait au Capitole, fermait derrière lui les portes du temple, et y demeurait longtemps dans le silence et dans la contemplation[57]. Sincèrement convaincu de sa mission divine[58], il faisait passer sa conviction dans toutes les âmes. Aussi la confiance du peuple en lui était-elle sans bornes. Il obtint l’édilité curale avant l’âge, après l’avoir briguée, disait-il à sa mère, sous l’inspiration d’un songe prophétique[59], et il n’avait pas vingt-quatre ans quand les Romains, à l’unanimité non seulement des centuries mais encore des voix[60], lui conférèrent le périlleux honneur de conduire une armée nouvelle en Espagne, où son père et son oncle venaient de succomber après une lutte glorieuse. Dans cette campagne, dont les dangers avaient effrayé les plus vaillants généraux de la république, il se montra le digne héritier de la gloire paternelle. Il y déploya ce courage dont il avait donné une preuve si précoce à la bataille du Tessin, et cette énergie qui, à Canusium, avait fait renoncer les jeunes patriciens à leur lâche projet de fuite ; on admira en lui un grand général non moins qu’un brave soldat. Il prouva que non seulement il savait vaincre, mais qu’il savait aussi profiter de ses victoires, et s’attacher par l’amour les peuples qu’il avait soumis par les armes. Car il avait ce suprême talent des grands hommes nés pour la domination, de captiver les âmes et de les prendre d’assaut, comme il eût fait d’une ville. C’est par là qu’il avait déjà conquis l’affection passionnée de la multitude de Rome, et qu’il se faisait idolâtrer de son armée. Les Espagnols vaincus cédaient également à cette influence magique, lorsque, dans un transport d’admiration, ils offrirent la couronne et le titre du roi à leur jeune et brillant vainqueur[61]. Les ennemis eux-mêmes ne pouvaient résister à cette séduction, et Asdrubal, qui diva avec lui chez Syphax, avoua plus tard à ce roi que Scipion lui avait paru plus redoutable encore en société que sous les armes[62]. A toutes ces précieuses qualités du chef d’armée, il en joignait une qui les couronne toutes, et qui a manqué à beaucoup de grands génies : une activité infatigable, qui ne le laissait jamais jouir d’un instant de repos, et l’entraînait sans cesse à de nouveaux triomphes. A ceux qui le félicitaient d’avoir mis fin si glorieusement à la guerre d’Espagne : C’est aujourd’hui seulement, répondit-il, que commence la guerre contre les Carthaginois[63].

Mais ce qu’on pouvait reprocher à Scipion, c’est un orgueil qui dès lors répugnait à obéir à la loi commune, et que les caresses de la victoire et l’adulation de la foule ne firent qu’exalter davantage[64]. Lorsqu’à 22 ans il briguait l’édilité curule, les tribuns de la plèbe faisaient opposition à sa candidature, alléguant qu’il n’avait pas encore atteint légal. Si tout le peuple romain, dit-il, veut me nommer édile, je suis assez âgé[65]. Il fut nommé d’enthousiasme, et les tribuns se désistèrent. C’est l’Achille Romain : jura negat sibi nata. Il se sent porté par la faveur populaire, et la foule sacrifie volontiers à son favori la légalité et les traditions, sauf à vouloir le forcer d’y rentrer plus tard, et à lui faire cruellement expier des torts qu’elle-même a encouragés. Mais avant d’en arriver là, que de triomphes encore et que de gloire ! On sait comment Scipion emporta pour ainsi dire l’autorisation de passer en Afrique. Cette expédition tenait fortement au cœur du peuple, qui attendait de lui la fin de la deuxième guerre punique[66] ; mais au sénat elle rencontra d’ardents adversaires, inspirés la plupart par une défiance puérile, quelques-uns par une basse jalousie[67]. Parmi ces derniers, on regrette de ranger le vieux Fabius, qui voyait avec indignation le triomphe d’une politique si opposée à celle de toute sa vie, et que l’éclat toujours croissant de Scipion offusquait plus qu’il n’aurait voulu se l’avouer à lui même[68]. Il prit la parole pour combattre le projet du jeune héros ; mais, malgré tous ses efforts, il dut voir accorder à son rival la permission de quitter la province de Sicile pour l’Afrique, si les intérêts de l’État l’exigeaient. Ce n’est pas sans répugnance que le sénat se décida à prendre cette résolution ; mais, voyant avec quelle ténacité Scipion persistait dans son projet, et craignant que s’il échouait au sénat, il ne se fit conférer par le peuple l’autorisation nécessaire, les vieux patriciens, en gémissant, cédèrent à la nécessité[69]. Il est inutile de dire combien l’orgueil de Scipion dut se sentir flatté d’avoir amené à cette extrémité le corps le plus puissant de l’État, et on comprendra facilement qu’il se soit habitué à ne plus voir dans la république d’autre loi que sa volonté.

Pourtant, le sénat, qui avait dû plier devant les exigences de la foule, usait de tous les moyens qui étaient en son pouvoir pour paralyser l’entreprise de Scipion. On ne lui donna que les troupes de Cannes, qui languissaient dans un honteux exil en Sicile ; on n’osa pas, il est vrai, lui refuser l’autorisation d’enrôler des volontaires, mais, autant qu’on le put, on lui retrancha les subsides d’argent ; on ne lui donna que quelques vaisseaux, bref, on s’évertua à le mettre dans l’impossibilité de tenter le passage en Afrique. Son entrain et son activité triomphèrent de tout. Ces soldats de Cannes, tenus dans un injuste mépris depuis leur défaite, il sut les apprécier et en faire des héros. La flotte fut équipée et approvisionnée par le concours unanime des alliés. Sept mille volontaires accoururent se ranger sous ses drapeaux[70]. Ainsi tous les efforts du sénat n’aboutissaient qu’à faciliter la tache du futur vainqueur. Entouré d’une garde de trois cents jeunes gens, qu’il avait fait armer par les Siciliens[71], il avait sur son armée un pouvoir plus grand que jamais roi n’en eut sur ses sujets. Il n’est aucun de ces trois cents, disait-il un jour, qui, sur un ordre de moi, ne se précipitât du haut de cette tour dans la mer[72].

Qu’y avait-il à faire contre un tel homme ? Il fut prorogé dans sa province en qualité de proconsul, et il s’occupait des préparatifs du départ, lorsque Caton arriva dans son camp. Il y apportait, outre un caractère tout à fait incompatible avec celui de son général, des doctrines politiques complètement opposées. On envoyait au proconsul un homme qui n’était sorti des mains de Valerius que pour passer dans celles de Fabius, et qui, sous l’influence de ces deux personnages, avait bientôt transformé ses aspirations et ses goûts individuels en doctrines et en articles de foi. Chez lui, les convictions étaient de fer, et la ténacité du questeur égalait l’orgueil du général. Nulle harmonie n’était donc possible entre eux deux. Or, on sait que, d’après les vieilles coutumes, les rapports du questeur avec son général étaient dos plus étroits[73] ; leurs fonctions nécessitaient des entrevues et des relations quotidiennes. Mais les dissentiments éclatèrent bientôt[74]. Le nouveau questeur, avec cette liberté de langage dont il usait toujours, ne manqua pas de laisser voir à son général ce qu’il pensait de lui et de son administration. Chaque fois qu’il y avait une dépense à faire, il en prenait texte pour se plaindre qu’on gaspillât les deniers de l’État. Pour un admirateur du vieux Curius Dentatus, quel perpétuel sujet de scandale que le camp de Scipion ! Tout offusquait l’austérité de ses goûts. Le général, selon lui, se départait follement des vieilles mœurs pour suivre les modes nouvelles ; le soldat prenait des habitudes de luxe et de mollesse qui énerveraient bientôt les fortes légions romaines, et, quand la discipline serait une fois relâchée, comment opposerait-on de telles troupes à un ennemi aussi redoutable qu’Annibal ? Tel qu’était Caton, il est permis de croire qu’il aurait, par ces tracasseries incessantes, impatienté un général plus endurant que ne l’était Scipion. Il n’avait pas besoin d’un questeur aussi méticuleux ; quand on avait une guerre sur les bras, c’était bien le moins qu’on en fit les frais ; d’ailleurs, il avait à rendre compte au peuple romain de ses actes, non de ses dépenses[75]. Tout porte à croire que Caton ne se tint pas pour battu par cette réponse. Il savait qu’à Rome un parti puissant était opposé à Scipion, et s’était déjà plusieurs fois déchaîné contre lui. A la tête de ce parti était Fabius, l’ancien général de Caton ; Valerius Flaccus, son protecteur et son ami, devait en être aussi, à en juger par ses idées politiques. C’étaient les débris du vieux parti patricien et conservateur, peu nombreux, mais uni et opiniâtre. Il est probable que Caton, voyant ses remontrances inutiles, écrivit à ses amis et leur exposa ses griefs. Une circonstance inattendue vint redoubler les dispositions hostiles de ceux-ci, qui n’attendaient qu’une occasion de venger leur précédent échec relativement à la guerre d’Afrique.

Les habitants de Locres avaient été maltraités cruellement par Q. Pleminius, que Scipion leur avait donné comme gouverneur après la reprise de cette ville sur les Carthaginois. Ce Pleminius était un véritable monstre, qui se souilla par des cruautés sans nom ; à la fin, une sédition éclata, et le gouverneur se vit traîné et mutilé par ses propres soldats. Scipion accourut de sa province pour rétablir son lieutenant dans son autorité. Assurément, il avait agi dans cette circonstance avec assez de légèreté, et sans se rendre un compte exact de la conduite de Pleminius. Les Locriens, poussés à bout par ce misérable, envoyèrent une députation porter plainte au sénat de Rome. Sans proférer un mot de reproche contre Scipion, ils se contentèrent de demander qu’on les délivrât d’un odieux oppresseur. Mais Fabius n’était pas si accommodant que les victimes ; il voulut faire retomber toute la responsabilité sur le général en chef[76] ; il essaya de faire articuler une accusation catégorique contre lui par les députés eux-mêmes. Ceux-ci furent assez adroits pour éviter le piége ; ils déclarèrent simplement qu’ils avaient réclamé près de Scipion, mais que, sana doute, les soins de la guerre absorbaient toute son attention, et que d’ailleurs Pleminius jouissait d’un trop grand crédit auprès de lui Malgré cela, Fabius et son parti mirent tout en œuvre pour perdre Scipion, et ils exhalèrent en ce jour tous leurs ressentiments. Il avait illégalement quitté sa province sans l’assentiment du Sénat pour venir à Locres ; c’était tout simplement un cas de destitution. A cette accusation précise s’en ajoutaient d’autres plus vagues, où il serait bien difficile de méconnaître l’inspiration et la colère de Caton. Ne croirait-on pas l’entendre lui-même dans ces invectives passionnées contre son général ? Il laissait se perdre la discipline militaire ; il corrompait l’armée, tantôt en lui pardonnant tout, tantôt en déployant contre elle une rigueur excessive. C’est ainsi qu’il avait déjà gâté l’armée d’Espagne, et amené par sa faute la redoutable sédition de Sucro[77]. Pour lui, on le voyait se promener dans les gymnases de Syracuse en manteau grec et en brodequins ; il passait une moitié de son temps aux palestres, l’autre dans les livres ; toute l’armée suivait son exemple ; tout se dépravait, et les excès qu’on avait vus éclater à Locres n’étaient que le prélude d’autres excès plus graves encore. Il s’agissait pour le général de se faire proroger dans son commandement par toutes sortes de lenteurs volontaires ; quant à Annibal et à Carthage, ils étaient oubliés[78].

Après ce violent réquisitoire, on demandait formellement que les tribuns fussent chargés de proposer au peuple la destitution d’un général convaincu d’avoir quitté sa province sans autorisation. Grand fut l’émoi dans le sénat. Les partisans de Scipion le défendirent avec non moins d’acharnement que ses ennemis n’en mettaient à l’attaquer ; il fut impossible de prendre une décision ce jour-là, tant la séance était orageuse. Le lendemain, le parti de Fabius revint à l’assaut avec une fureur telle, qu’il aurait peut-être fait passer son haineux projet, si Q. Cæcilius n’avait montré au sénat combien il serait honteux d’enchaîner le vainqueur de l’Espagne, sur qui le peuple comptait pour finir la seconde guerre punique. On revint donc à une décision plus modérée. Les consuls furent chargés d’envoyer à Locres et en Sicile une commission de dix sénateurs, présidée par le préteur M. Pomponius Matho, à qui le sort venait d’assigner la Sicile pour province ; on y adjoignit deux tribuns du peuple et un édile plébéien. La commission avait ordre, si elle trouvait Scipion coupable, de le priver de sa province, et de le renvoyer à Rome ; dans le cas où il serait déjà parti pour l’Afrique, les tribuns devaient le suivre et le faire arrêter par l’édile[79]. Ces honteuses machinations, dans lesquelles le vieux Fabius, par une basse jalousie envers un jeune rival supérieur en génie et en fortune, flétrit sa vieille gloire et avilit la dignité de son caractère, ces mesures si rigoureuses qu’on n’avait jamais prises, même contre des généraux manifestement indignes de leur autorité, Caton gardera, devant la postérité, le triste honneur d’y avoir contribué pour une certaine part. Plus d’un fait semble le dénoncer. Déjà il a été question de son mécontentement, et des reproches qu’il fit à son général sur son administration militaire ; et n’est-il pas étonnant qu’à Rome les adversaires du jeune héros aient formulé contre lui justement les mêmes griefs que son questeur ? Celui-ci seul pouvait les renseigner si minutieusement ; lui seul pouvait faire un crime à Scipion de lire des livres, et, bien pis ! des livres grecs !

Qu’on veuille bien maintenant remarquer cette assertion positive de Plutarque. Caton, dit-il, voyant que Scipion ne faisait nul cas de ses avis, le quitta et revint à Rome, où, de concert avec Fabius, il l’accusa dans le sénat. Certes, il y a là une erreur. Il était impossible que Caton quittât son poste auprès de Scipion, pour s’en aller l’accuser à Rome ; il lui fallait pour cela une autorisation que son chef lui eût sans doute refusée, et, s’il avait voulu s’en passer, il aurait commis une faute bien plus grave que celle qu’on reprochait à Scipion, d’avoir quitté sa province sans l’assentiment du sénat.

D’ailleurs, même en supposant qu’il eût obtenu un congé, il ne pouvait en profiter pour nuire à celui qui le lui avait accordé : le mos majorum le défendait, et on eût regardé comme sacrilège le questeur qui se serait fait l’accusateur de son propre général. Quoi qu’il en soit, je dirais volontiers que cette erreur de Plutarque est précieuse ; elle prouve du moins quels sentiments les historiens anciens attribuaient à Caton vis-à-vis du jeune proconsul, et quelle était à leurs yeux sa part dans l’acte d’accusation.

Au reste, tout cet échafaudage de la haine croula à la plus grande confusion de ses auteurs. A Locres, les habitants répétèrent à la commission d’enquête ce qu’avaient dit leurs députés ; personne ne s’avisa de charger Scipion des crimes de son lieutenant. A Syracuse, où les commissaires se rendirent ensuite, ce fut bien autre chose. Scipion, qui les attendait, ne demanda sa justification qu’à ses actes. Il leur montra ses arsenaux et ses greniers abondamment remplis ; il leur fit voir l’armée et la flotte prêtes à partir au premier signal ; il les fit assister à des combats simulés où les soldats déployèrent leur adresse et leur discipline ; bref, il remplit d’admiration et de confiance ceux qui étaient venus pour le juger. Trop heureux de n’avoir pas trouvé de coupable, ils retournèrent à Rome, où ils exprimèrent au Sénat la ferme confiance que Scipion achèverait la guerre à l’honneur de la république.

Désormais, rien ne pouvait plus l’empêcher de passer la mer et d’aller cueillir la gloire dans ces champs historiques où l’avaient précédé Agathocle et Regulus. L’embarquement eut lieu enfin à Lilybée, au milieu d’une grande affluence de curieux et d’enthousiastes qui, de toute la Sicile, accouraient pour saluer ce départ victorieux. Car on sentait confusément que le jeune héros portait avec lui la fortune de Rome, et on lisait une inspiration divine dans chaque démarche du prédestiné. La flotte s’éloigna, suivie des vœux et des acclamations d’une foule immense qui remplissait tous les abords de la mer. Caton et Lælius se trouvaient à l’aile gauche avec vingt vaisseaux de guerre ; à l’aile droite, Scipion et son frère Lucius en commandaient vingt autres ; les bateaux de transport étaient au centre, couverts et protégés par les grandes navires[80]. C’est ainsi que Scipion quittait sa patrie, la laissant dans une attente pleine d’espoir.

On n’attendit pas longtemps. L’heureux débarquement en Afrique, les premiers succès sur Asdrubal et sur Syphax, la terreur de Carthage, et surtout le rappel d’Annibal, tels étaient les agréables messages qui venaient entretenir la confiance du peuple, et justifier les plus audacieuses espérances. Puis, un jour, après deux ans d’attente, éclata comme un coup de foudre cette nouvelle prodigieuse : Annibal vaincu à Zama ! Rome poussa un cri de triomphe. Ce grand évènement, qui la débarrassait de son plus cruel ennemi, lui assurait du même coup une prépondérance incontestable sur tout l’Occident.

On eût pu croire qu’il n’y aurait qu’une voix à Rome sur celui à qui on devait tant de glorieux triomphes, et qui avait, pour ainsi dire, sauvé la patrie malgré elle. L’envie, semblerait-il, eût dû se taire aux premiers jours de l’ivresse générale, et attendre, pour attaquer le vainqueur, que l’enthousiasme du peuple se fût un peu refroidi, Mais là faction hostile à Scipion n’eut pas cette patience et cette magnanimité. Déjà au lendemain de Zama, les médiocrités jalouses essayèrent de lui disputer quelques lambeaux de sa victoire. Les consuls Ti. Claudius et M. Servilius montrèrent un ridicule empressement à revendiquer la province d’Afrique, dans l’espoir d’anéantir Carthage incapable de résister encore, ou de mettre leur nom au bas du traité de paix. Mais le vote unanime des trente-cinq tribus leur refusa cette misérable satisfaction d’amour propre, ce qui n’empêcha pas le consul Claudius de persévérer dans son projet. Il mit à la voile pour l’Afrique, mais, surpris par une tempête, il dut s’arrêter en Sardaigne, et revenir dans le plus triste état. En 201, le même scandale se produisit. Le consul Cn. Lentulus demanda à son tour la province d’Afrique, mais de nouveau les tribuns, appuyés par le peuple, firent opposition à son projet. Le sénat, où les ennemis de. Scipion étaient nombreux, se montra plus favorable à la demande du vaniteux patricien, et lui conféra le, commandement de la flotte : toutefois Scipion fut maintenu dans sa province. Pitoyables compétitions de vanités, qui, sans rien diminuer de la gloire du vainqueur de Zama, ne faisaient que rendre plus manifeste la médiocrité de ses rivaux ! Le peuple, toujours sincère dans son appréciation des hommes, n’avait pas encore eu le temps d’oublier les bienfaits du héros, qui était alors à l’apogée de sa popularité. Il en était différemment au Sénat. Là, les ambitieux vulgaires avaient tendu la main aux anciens ennemis de Scipion, qui étaient trop heureux d’exploiter ces mesquines vanités. Apparemment, c’est à cette coalition qu’il faut attribuer le léger succès remporté par Cn. Lentulus. Si j’insiste sur ce point, c’est qu’il me semble que Caton a dû jouer un rôle dans ces débats. Après sa questure, il avait quitté l’armée d’Afrique[81]. Scipion le voyait partir avec d’autant plus de plaisir que, du consentement du Sénat, il le remplaça par son ami Lælius, en qualité de questeur extraordinaire[82]. On croit généralement qu’à son retour, Caton toucha l’île de Sardaigne[83]. Ennius servait alors dans cette île : il se trouva sur le vaisseau qui ramenait le questeur à Rome. C’est à tort qu’on a voulu voir dans cette circonstance fortuite la marque d’une protection ou d’un patronage accordé au poète. Les écrivains qui rapportent le fait ne le signalent que comme une simple coïncidence[84], et le caractère même du questeur défend toute autre supposition. Quoiqu’il se soit adonné plus tard à l’étude des lettres, il n’a jamais beaucoup honoré les lettrés de profession, qui, pour lui, n’étaient guère au-dessus des histrions et des autres amuseurs. Lui-même raconte avec une grande satisfaction que, dans l’ancienne Rome, la poésie était tenue en mépris ; on flétrissait, dit-il, du même nom ceux qui se livraient à cet art, et ceux qui passaient leur vie à table. N’est-ce pas lui encore qui fit plus tard un grief à un général romain d’avoir emmené dans sa province ce même Ennius qu’il amenait aujourd’hui à Rome ? Bien loin donc qu’il ait alors appris le grec d’Ennius, comme le prétend un écrivain malavisé[85], il est très probable qu’il ignorait jusqu’à l’existence de ce poète. D’ailleurs, le mauvais souvenir qu’il rapportait d’un général dont l’éducation avait été fort littéraire ne devait pas l’avoir réconcilié avec les lettrés. A coup sûr, dès son retour à Rome, il ne manqua pas d’exhaler sa mauvaise humeur au Sénat, où il entrait de plein droit à l’expiration de sa magistrature, et les adversaires du vainqueur d’Annibal le trouvèrent sans doute parmi leurs plus chauds partisans. L’âme de la faction, le vieux Fabius, venait de mourir[86] : à temps pour ne pas être démenti et humilié dans ses prévisions par la victoire de Zama. Mais le parti resta debout, plus acharné que jamais. Caton doit en avoir été l’un des membres les plus actifs et les plus irrités. Malheureusement cette époque ne vous a pas laissé d’Annales Parlementaires ; on aurait pu y voir combien souvent le nom de Scipion retentissait dans la Curie, et que de discussions passionnées s’élevaient à son endroit. On peut les deviner pourtant, ces orages du Sénat, rien que par les décisions qu’on le vit prendre. Plus d’une fois, Caton y trouva l’occasion de rappeler durement au vainqueur de Zama qu’il n’était que le citoyen d’un État libre, soumis comme tout le monde au sceptre des lois.

 

 

 



[1] Plutarque, Caton, 1 et Comp. Ar. cum Caton, 1 ; Corn. Nepos, Caton, 1 ; Cicéron, de Legg. 2, 2, 5 ; p. Planc., 8, 20 ; p. Sull., 7, 23 et schol. bobb. ad l. ; de Rep., 1, 1, 1 ; Velleius Paterculus, 2, 128, 2 ; Valère Maxime, 3, 4, 6 ; Aulu-Gelle, 13, 24 (23) ; Aurelius Victor, V, I, 1, 47 ; Ammien Marcellin, 16, 5.

[2] Plutarque, 1 ; Cicéron, Rep., 1, 1 ; Verr., 5, 70, 180 ; Valère Maxime, 3, 2, 16 et 3, 4, 6 ; Velleius Paterculus, 2, 35, 2 ; Ælien, 12, 6 et 14, 36.

[3] Un grand nombre de noms gentilices sont dérivés de circonstances analogues ; ainsi il y avait des Ovilius, des Caprilius, des Taurus. Voir Drumann, in init.

[4] On connaît encore des Porcius Latro et des Porcius Septiminus. Il sera parlé plus bas des Porcius Priscus.

[5] Drumann, l. l.

[6] Plutarque, 1. Caton, dit Ampère, est la forme sabine de Catus (IV, p. 266.)

[7] Pour éviter la répétition des mots latins, je traduirai par maison le mot gens, et par famille celui de familia.

[8] Drumann fait observer que le mot n’a rien de commun avec cautus, qui vient de cavere.

[9] Drumann se donne la peine de combattre Plutarque, sans remarquer cette contradiction, qui n’a pas échappé à Van Bolhuys. Il est d’ailleurs incontestable que le cognomen n’était pas obligatoire, et que plus d’une fois on a vu des personnages en prendre un autre. (Mommsen, Römische Forschungen, 1, p. 50). De plus, le cognomen n’était héréditaire que dans la noblesse de Rome et des municipes ; il suit de là que Caton, si réellement il a hérité son nom de son bisaïeul, appartenait à une famille noble de Tusculum. Id., ibid., p. 56 ; Bekker und Marquardt, I, p. 17.

[10] V. Acro ad Horace, Odes, 3, 21,11 : Prisci, antiquioris, non Uticensis.

[11] Du moins peut-on dire que les surnoms qui se placent indifféremment avant ou après le nom gentilice sont l’infime minorité. — V. Horace, Odes, 3, 21, 11 : Prisci Catonis. Epist. 2, 2, 117 : Priscis Catonibus atque Cethegis. Sulpicia, sat. v. 48.

[12] Valère Maxime, 3, 2, 16 ; 3, 7, 7 ; 4, 3, 11 ; 8, 15, 2. Cf. 3, 4, 6, où Caton d’Utique est appelé posterior Cato.

[13] Cicéron, p. Sull., 7, 23 ; de off., 2, 25 ; de Rep., 2, 1 ; Charis. p. 202 K ; id., pp. 206, 215, 219 ; Cæcil. Balb. de nug. phil., éd. Wöllflin, p. 13.

[14] Suétone, Tibère, 42, et Pline le Jeune, dont plusieurs correspondants portent le nom de Priscus. Prisci, dit Niebuhr, était le nom propre des conquérants aborigènes, qui devint plus tard adjectif, de même que Casci. (Hist. Rom., introd.)

[15] Thesaurus Inscriptionum, p. 458, 6, et surtout 121, 1. Cette dernière inscription est reproduite et commentée par Gesner dans son édition du Re Rustica de Caton.

[16] Pline, H. N., præf. 26 ; 7, 12 et 31 ; 19, 6 ; 36, 53 ; Aulu-Gelle, 13, 9, 6 et 13, 23 ; Tacite, Ann., 3, 66 ; Sénèque, ep. 87 ; Florus, 2, 17, 19 ; Quintilien, 1, 17, 23 ; 3, 1, 19 ; 9, 4, 39 ; 12, 1, 35 ; 12, 11, 23. Dans Aurelius Victor on lit Censorinus, mais peut-être la leçon est-elle fautive, de même que dans Gruter p. 458, 4.

[17] Pline, H. N., 8, 78.

[18] C’est l’opinion générale. Ammien Marcellin, 16, 5, est d’un autre avis : Tusculanus Cato, cui Censorii cognomen castior vitæ indidit cultus.

[19] Justin, 33, 21.

[20] Cicéron, de amic., 2 : Cato quia multarum rerum usum habebat, multa ejus et in senatu et in fore vel acta constanter vel responsa prudenter ; propterea quasi cognomen jam habebat in senatu sapientis. L’idée de sagesse philosophique n’était nullement contenue dans ce mot, pas plus que dans celui de Cato. — V. encore Cicéron, Verr., 2, 2, et 5, 70 ; Legg. Agr., 2, 24 ; de Legg., 2, 2 ; de off., 3, 4 ; Aulu-Gelle, 14, 2, 21 ; Quintilien, 12, 7, 4 ; Tertullien, Apologétique, 11.

[21] Tite-Live, 39, 40 ; Plutarque, 15 ; Cicéron, Brut., 15, 61, et 20, 80 et 90 ; Valère Maxime, 8, 7, 1 ; Aurelius Victor, 47 ; Pline, 14, 44 et 29, 12 ; Velleius Paterculus, 1, 13.

[22] Valère Maxime, 8, 7, 1 : Cato sextuor et octogesimum annum agens.... ab inimicis capitali crimine accusatus suam causam egit.... Quin etiam in ipso diutissime actæ vitæ fini disertissimi oratoris Galbæ accusation defensionem suam pro Hispania opposuit. Au reste quel fonds y a-t-il à faire sur un écrivain qui dénature à ce point les faits les mieux connus ? Quant à Aurelius Victor, il garde une réserve prudente : Galbam octogenarius accusavit. Cela peut s’interpréter de plus d’une manière.

[23] De Senect., 4, 10.

[24] De Senect., 5, 14.

[25] H. N., 29, 12.

[26] Plutarque, Caton, 1.

[27] Drakenborch ad Tite-Live, 39, 40.

[28] Ce serait bien dans la seconde guerre contre les Samnites, s’il est permis de hasarder une conjecture. Au reste, je ferai remarquer que Sintenis, dans son édition du Caton de Plutarque, a commis une singulière inadvertance. Il écrit avec tout le monde άριστείων, ce qui ne peut être autre chose que le gén. plur. de άριστεΐον = récompense accordée au courage, et dans sa note il le prend pour le gén. plur. de άριστεία, qui signifie exploit, et qu’il devrait tout au moins écrire άριστειών, s’il voulait absolument se permettre un changement de texte d’ailleurs injustifiable.

[29] C’était sans doute dans son discours contre un certain Cornelius, dont il est question dans la harangue de Sumptu suo. Majorum benefacta perlecta, dein de quæ ego pro republica fecissem perleguntur. Cf. Tite-Live, 3, 56, où Appius rappelle aussi les hauts faits de sa famille dans son discours.

[30] V. Caton, Origg., 1, 24 ; cf. Jordan, prolegom. p. XXXV.

[31] Cicéron, p. Planc., 8, 20.

[32] Id., l. l. ; p. Sull., 7, 23 et schol. bobb. ad. l. ; p. Fontej., 14 ; Valère Maxime, 3, 4, 6.

[33] V. Kircher, Latium Vetus et Recens.

[34] C’est là qu’aujourd’hui on voit encore le pittoresque village de Frascati.

[35] Smith, Dictionn. of Greek and Roman Geography, art. Tusculum. Ampère, o. c.

[36] De Suis virtutibus contra Thermum, frg. 1 dans l’édition de Jordan. Pour ne pas trop multiplier les notes, je me contenterai de citer désormais les textes de Caton d’après cette excellente édition.

[37] Tite-Live, 6, 25, et à Faléries 5, 27.

[38] Bekker und Marquardt, V, 1, p. 92 et la note.

[39] Il me semble difficile d’admettre, avec Jäger p. 26 et d’autres, que dès cette époque, dans les écoles de Tusculum, on apprit le grec aux enfants.

[40] De Senect., 13, 41.

[41] Cicéron, de Senect., 16, 55 et 56 ; de Republ., 3, 28, 40. Plutarque, Caton, 2. La citation est empruntée à ce dernier auteur, qui lui-même a copié le fait dans Cicéron.

[42] C’est ce qui semble ressortir de cette parole de Cornelius Nepos, Caton, 1 : Adulescentulus, priusquam honoribus operam daret, versatus est in Sabinis, quod ibi heredium a patre relictum habebat.

[43] Plutarque, 1.

[44] De Re Rust., proœm., cité par Pline, H. N., 18, 26.

[45] Pline, H. N., præf., 30.

[46] Jäger, p. 44.

[47] Plutarque, 3 et Corn. Nepos, l. l. priusquam honoribus operam daret, versatus est in Sabinis. Dohrn (p. 6), contrairement à ces témoignages, pense que Caton ne revenait pas chez lui chaque année, attendu, dit-il, que depuis longtemps les Romains avaient l’habitude de rester en campagne et de continuer les opérations militaires pendant l’hiver.

[48] Cette date nous a été conservée par Cornelius Nepos : primum stipendium meruit annorum XVII ; Q. Fabio Max. M. Claudio Marcello coss. tribunus militum in Sicilia fuit. Aurelius Victor, affirme également que Caton a été tribun militaire en Sicile. Il est vrai que d’après Cicéron, de Senect., 4, 10, Caton se trouvait cette année en Campanie sous le consul Fabius, mais, comme l’a fait remarquer Nipperdey ad Corn., l. l., il est probable que Marcellus et Fabius opérèrent ensemble en Campanie avant le départ du premier pour la Sicile. Drumann, qui ne veut pas admettre le voyage de Caton en Sicile, se trouve devant les deux textes positifs de Cornelius Nepos et d’Aurelius Victor, et se tire d’affaire en regardant le in Sicilia du premier auteur comme une interpolation, et en mettant, dans le second, une virgule entre militum et in Sicilia, ce qui défigure la phrase. Je ne sais pas non plus pourquoi Drumann veut que Caton ait été élu tribun par son général, alors qu’il ne peut opposer aucune preuve à l’assertion de Plutarque.

[49] Cicéron, de Senect., 4, 10 et 12 ; Plutarque, 2.

[50] Comme fait Montesquieu, Grandeur et Décad. des Rom., chap. 5.

[51] Cornelius Nepos, 1.

[52] Il en parle lui-même dans un fragment dont il est d’ailleurs assez difficile de déterminer le sens exact : Quid man fieret, si non ego stipendia omnia ordinarius meruissem semper ? (Discours 11 J.)

[53] Plutarque, 3.

[54] Corn. Nepos, 2. Aurelius Victor, 1, 47. Tite-Live, 29, 35. Cf. Suétone, dep. lib. frg. et Eusèbe, Chron. II ol. 135.

[55] Dohrn, p. 7, et Schlosser, p. 194, veulent qu’il y ait eu des motifs politiques à la nomination du conservateur par excellence auprès du jeune général novateur. Mais ils oublient tous les deux que les questeurs tiraient leurs provinces au sort. Cornelius dit formellement : Quæstor obtigit Scipioni, cum quo non pro sortis necessitudine vixit.

[56] Tite-Live, 26, 19.

[57] Tite-Live, 26, 19. Valère Maxime, 1, 2, 2 ; Appien, Hisp., 23.

[58] Appien, l. l., le dit expressément. Polybe, esprit rationaliste s’il en fut jamais, loue Scipion d’avoir su habilement faire accepter cette croyance par le peuple. Mais le caractère de Scipion ne se comprendrait plus si on lui ôtait cette foi dans son étoile, qu’il a eue en commun avec d’autres grands hommes, et qui lui faisait prédire la prise de Carthagène, la défaite des Carthaginois, etc.

[59] Polybe, 10, 4 et 5.

[60] Tite-Live, 26, 18.

[61] Polybe, 10, 38 et 40. Tite-Live, 27, 19.

[62] Polybe, 11, 24. Tite-Live, 28, 17. Appien, Hisp., 50.

[63] Polybe, l. l. Déjà en partant pour l’Espagne, il avait prédit la prise de Carthage. Appien, Hisp., 18.

[64] Diodore de Sicile, 29, 21 (Excerpt. Vatic., p. 70.)

[65] Tite-Live, 25, 2.

[66] Zonaras, 9, 11.

[67] Zonaras, l. l. Appien, Carth., 7.

[68] Plutarque, Fabius, 25, l’accuse formellement de jalousie, et donne des preuves.

[69] Tite-Live, 28, 38-45.

[70] Tite-Live, 28, 45. Plutarque, Fabius, 95 et 96. Appien, Carth., 7. Zonaras, 9, 11.

[71] Tite-Live, 29, 1. Plutarque, Fabius, 26, Valère Maxime, 7, 3, 3. Appien, Carth., 8.

[72] Plutarque, Apophth. Reg. et Imp., p. 196 C.

[73] Cicéron, div. in Cæcil., 19, 61.

[74] Cornelius Nepos, 1. Plutarque, 3.

[75] Plutarque, l. l.

[76] Diodore de Sicile, 27, 4.

[77] Il fallait être bien aveuglé par la haine pour rendre Scipion responsable de cette révolte. Elle éclata pour cause de retard dans la paie, au moment où il était malade. Polybe, 11, 25. Tite-Live, 28, 21. Appien, Hisp., 34.

[78] Tite-Live, 29, 19. Plutarque, 3. Dion Cassius, 57, 62. Valère Maxime, 3, 6, 1.

[79] Tite-Live, 29, 20 et 38, 52.

[80] Tite-Live, 29, 24-97 ; Appien, Carth., 15 ; Zonaras, 9, 12 ; Frontin, Strat., 9, 7, 4. Plutarque, 3. Diodore de Sicile, 27, 4.

[81] On ne sait rien sur le rôle de Caton dans l’expédition d’Afrique. Aucun ancien n’en parle ; le seul Frontin (Strat., 4, 7, f) rapporte là dessus une anecdote que je n’ai pas cru devoir, sur sa seule autorité, admettre dans mon texte.

[82] Tite-Live, 30, 33.

[83] Corn. Nepos, 1. Suétone, fragm. Eusèbe, Chron. II ol. 135. La Sardaigne était d’ailleurs un point de relâche pour les vaisseaux qui allaient en Afrique ou qui en revenaient ; il est inutile de supposer avec Drumann que Caton y fut jeté par la tempête.

[84] Même Cornelius Nepos, qui dit : quod non minoris æstimamus, quam quemlibet amplissimum Sardiniensem triumphum.

[85] Aurelius Victor, 47.

[86] Tite-Live, 30, 26.