PRÉCIS DE L'HISTOIRE ROMAINE

DEUXIÈME ÉPOQUE. — RÉPUBLIQUE ROMAINE

Depuis la création des consuls jusqu'aux guerres meuves (de 509 à 264 avant l'ère vulgaire)

 

CHAPITRE VII. — CONQUÊTE DE L'ITALIE CENTRALE.

 

 

Causes de la guerre contre le Samnium (343 avant notre ère). — Les Samnites, alors au comble de leur puissance, surpassaient Rome en population et en territoire, bien que la cité du Tibre contînt à cette époque 250.000 citoyens en état de porter les armes. Pasteurs indomptés, les Samnites habitaient depuis la mer Inférieure jusqu'à la mer Supérieure, du Liris aux montagnes de la Lucanie et aux plaines de l'Apulie. Le Samnium ne formait pas un État unique ; c'était une fédération d'États séparés, indépendants et par conséquent jaloux les uns des autres. Le commandement suprême alternait entre les divers États ; on nommait le chef électif de la confédération imperator, soit que chez chacun des peuples ce fût le titre de la souveraine magistrature, soit que l'honneur en appartint au préteur ou meddix du peuple dont c'était le tour. Jusqu'alors les Romains, laboureurs de la plaine, et les Samnites, pasteurs dans les montagnes, avaient été unis d'alliance et d'amitié ; mais tôt ou tard, l'antagonisme devait naître entre eux. On a dit avec raison que l'Italie ne pouvait contenir l'un à côté de l'autre Rome et le Samnium[1].

Descendus de leurs montagnes, les Samnites s'avancèrent en conquérants contre les Sidicins, d'origine ausonienne. Ceux-ci, dans leur détresse, s'allièrent aux Campaniens. Les habitants énervés de l'heureuse Campanie apportèrent plutôt un nom que des forces au secours de leurs alliés. Battus par les farouches montagnards et refoulés dans les murs de Capoue, ils implorèrent le secours des Romains et se donnèrent à eux. Alors les Romains sortirent du Latium et entrèrent dans la Campanie, la plus belle de toutes les contrées de le péninsule. Rien de plus doux que son climat ; un double printemps y fleurit chaque année. Rien de plus fertile que son territoire. Point de mer plus hospitalière. Là sont les ports renommés de Caïète, de Misène, de Baïes. Là sont ces monts couronnés de vignobles, le Gaurus, le Falerne, le Massique, et le plus beau de tous, le Vésuve, rival des feux de l'Etna. Près de la mer sont les villes de Formies, Cumes, Pouzzoles, Naples, Herculanum, Pompeii, et la première de toutes, Capoue, comptée jadis au rang des trois plus grandes cités du monde, avec Rome et Carthage[2]. A cette époque Capoue égalait au moins Rome ; car elle passait pour la cité la plus riche de l'Italie. L'armée envoyée au secours de Capoue ne voulut plus quitter cette voluptueuse cité. Pourquoi, disaient les soldats plébéiens, pourquoi ce territoire, le plus fertile de l'Italie, et cette ville, si digne du territoire, appartiendraient-ils aux Campaniens, qui ne savent défendre ni leurs personnes ni leurs biens, plutôt qu'à cette armée victorieuse qui a donné sa sueur et son sang pour en chasser les Samnites ? Est-il juste que des sujets aient la jouissance d'un pays si fertile et si délicieux, tandis qu'eux, fatigués de la guerre, ils lutteront encore autour de Rome, contre un sol aride et empesté, ou dans Rome même, contre un mal obstiné et qui augmente chaque jour, contre l'usure ?[3] Les soldats mécontents marchèrent contre Rome, mirent de force à leur tête un patricien — C. Manlius —, entrèrent dans la ville et dictèrent leurs volontés au sénat. Ils exigèrent une loi contre l'usure et la réduction de la solde des cavaliers qui avaient refusé de se joindre à eux ; ils appuyèrent d'autres plébiscites qui défendaient d'exercer deux fois la même magistrature dans l'espace (le dix ans, et de remplir deux magistratures dans la même année ; enfin, ils demandèrent que l'on pût prendre les deux consuls parmi les plébéiens. Il parait, d'après toutes ces concessions, si on les fit au peuple, ce que Tite-Live n'affirme point, que la révolte avait des forces considérables.

Le bruit de cette sédition fut un signal d'affranchissement pour le Latium, qui ne supportait qu'avec impatience la suprématie romaine. Les Latins s'unissent aux Campaniens et aux Sidicins ; puis ils offrent de rentrer dans la fédération qu'ils ont abandonnée, si Rome consent à choisir la moitié des sénateurs et l'un des consuls dans le Latium. Les Romains repoussent avec mépris cette prétention et se joignent aux barbares des montagnes, les Muses et les Pélignes, pour asservir le Latium et la Campanie. Rome triompha de la coalition qui la menaçait dans une bataille sanglante livrée à Veseris, presque au pied du Vésuve. Cette guerre avait été signalée par le fanatisme des deux consuls, T. Manlius et P. Mucius ; l'un avait immolé son propre fils, parce qu'il avait, violant l'édit consulaire, combattu hors des rangs[4] ; l'autre, se dévouant avec l'armée des coalisés aux dieux infernaux, avait cherché volontairement la mort en se précipitant seul au milieu des ennemis.

Destruction de la nationalité campanienne et de la nationalité latine (540-514). — Les représailles terribles qui suivirent la bataille de Veseris assurèrent l'extinction de l'antique nationalité des deux peuples vaincus. Le Latium et Capoue furent punis par la perte d'une partie de leur territoire. Les terres du Latium, y compris une partie du territoire des Privernates, celles de Falerne, qui avait appartenu aux Campaniens, jusqu'au fleuve Vulturne, furent distribuées au peuple de Rome. Cependant les villes du Latium et de la Campanie furent traitées différemment, selon le rôle qu'elles avaient joué dans la dernière guerre. On accorda aux habitants de Lanuvium le droit de cité, et on leur rendit l'usage de leurs fêtes religieuses, à condition toutefois que le temple et le bois sacré de Junon Sospita seraient communs entre les Lanuviens municipes et le peuple romain. Aricia, Nomentum et Pedum reçurent, au même titre que Lanuvium, le droit de cité. Tusculum conserva ce droit qu'elle avait ; l'accusation de révolte ne fut point dirigée contre la population et retomba sur quelques chefs. Les Véliternes, anciens citoyens romains, en raison de leurs révoltes nombreuses, furent traités avec rigueur : leurs murailles furent abattues, leurs sénateurs emmenés, et tous forcés d'habiter au delà du Tibre. On envoya dans les terres des sénateurs de nouveaux colons qui se joignirent aux anciens, et Vélitres recouvra son ancienne population. Antium reçut également une nouvelle colonie, avec la permission pour les Antiates de s'inscrire, s'ils le voulaient, au nombre des colons ; on retira au peuple d'Antium ses vaisseaux longs, on lui interdit la mer, et on lui donna le droit de cité. Une partie des navires d'Antium fut conduite dans les arsenaux de Rome, une autre fut brûlée, et de leurs éperons on para la tribune aux harangues, élevée dans le forum ; depuis lors ce temple porta le nom de Rostres. Les Tiburtes et les Prénestins furent privés d'une partie de leur territoire. Aux autres peuplades latines, on interdit tous mariages, tous rapports, toutes réunions entre elles. Les Campaniens, en considération de leurs cavaliers qui avaient refusé de partager la révolte des Latins, et les habitants de Fundi et de Formies pour avoir en tout temps fourni un libre et sûr passage sur leurs terres, furent récompensés par le droit de cité sans celui de suffrage. Cumes et Suessula obtinrent le même droit et la même condition que Capoue[5].

Lois de Publius Philo (339). — Après l'asservissement du Latium, on voit les plébéiens obtenir l'égalité des droits politiques. Le dictateur Publius Philo promulgua trois lois qui détruisaient l'antique suprématie du populus, c'est-à-dire de la caste privilégiée. Par la première, tous les citoyens romains, sans exception, furent assujettis aux plébiscites ; par la seconde, les lois portées aux comices centuriates devaient, avant l'appel aux suffrages, être ratifiées par le sénat, ce qui équivalait à l'abolition du vote des curies ; par la troisième, un des censeurs devait être pris parmi le peuple qui avait déjà obtenu, comme on l'a vu, de nommer deux consuls plébéiens. Quelque temps après, le peuple fut encore initié à une liberté nouvelle par l'abolition de l'asservissement pour dettes ; il fut décrété que désormais un citoyen ne pourrait, sinon pour une peine méritée, et en attendant le supplice, être retenu dans les chaînes ou les entraves ; les biens et non le corps du débiteur devaient répondre de sa dette. Il ne manquait plus aux plébéiens, pour égaler leurs anciens dominateurs, que les sacerdoces. Ils obtinrent ce complément d'égalité pendant la guerre du Samnium : le nombre des pontifes fut porté à huit, dont quatre plébéiens ; celui des augures à neuf, dont cinq plébéiens.

Pendant sa censure, Appius Claudius, descendant du fameux décemvir, avait introduit même dans le sénat des petits-fils d'affranchis, et cherché à corrompre le forum eu répandant le menu peuple dans toutes les tribus. Mais lorsque Q. Fabius exerça à son tour la censure, il se hâta d'écumer toute cette lie du forum et la jeta dans quatre tribus, qu'il appela les tribus de la ville. Cette sage opération fut reçue avec une si vive reconnaissance, suivant l'historien romain, que le surnom de Maximus, donné à Fabius, fut le prix de cet heureux rétablissement de l'équilibre entre les ordres[6].

Fourches Caudines. — Les Romains se voyaient fatalement entrainés contre le Samnium ; car la conquête de l'Italie centrale était non-seulement pour eux la base de leur grandeur future, mais encore une condition d'existence. La lutte fut acharnée et marquée par de terribles péripéties. Tous les habitants des plaines, Romains, Latins, Campaniens, Apuliens, s'armèrent contre les habitants des montagnes, Samnites, Lucaniens, Vestins, Èques, Muses, Frentans, Pélignes : les premiers disciplinés, rangés en légions[7] ; les autres formés en milices irrégulières. Disséminés dans les Apennins, les Samnites laissent les Romains venir à eux, puis les enferment dans les défilés de Caudium. Pontius, dictateur des Samnites, fait passer les vaincus sous le joug, puis, sur la simple promesse d'un traité, les renvoie mortellement outragés dans leur patrie. Les Romains se dégagèrent de leur serment par un indigne subterfuge, recommencèrent la guerre, et, vainqueurs de Pontius à Lucérie, ne se contentèrent point de le faire également passer sous le joug, mais le conduisirent ensuite à Rome, où il fut lâchement livré au bourreau.

Les Romains avaient accordé deux ans de trêve aux Samnites pour avoir le temps de s'affermir par des colonies dans les deux plaines de l'Apulie et de la Campanie. De leur côté, les Samnites appelèrent à leur aide les peuples de l'Étrurie.

Confédération des Étrusques et des Samnites. — Victoires des Romains. — Dévastation du Samnium (291). — Les Étrusques n'hésitèrent point à se joindre à leurs anciens ennemis contre les nouveaux, les Romains, qu'ils considéraient comme plus dangereux que les Gaulois mêmes. Mais sous le commandement de Fabius Maximus, de Papirius Cursor, de Curius Dentatus et de tant d'autres chefs illustres, les Romains furent invincibles. Ils ne craignirent point de poursuivre les Étrusques jusque dans la forêt Ciminia, plus impénétrable et d'un aspect plus effrayant que ne l'était, sous le règne d'Auguste, la forêt Hercynienne dans la Germanie. Les Étrusques succombèrent sur les bords sacrés du lac Vadimon.

Toujours indomptés, les Samnites descendent au milieu des Étrusques et, de gré ou de force, les soulèvent de nouveau contre les Romains ; les Étrusques à leur tour se liguent avec les Ombriens et même avec les Gaulois. Mais cette ligue formidable est également vaincue à Sentinum. Rome consent à accorder la paix aux Étrusques pour accabler les malheureux Samnites. Ceux-ci, invoquant alors les rites antiques de leur religion, font, après plus de cinquante ans de guerre, un dernier et suprême effort. Quarante mille combattants, derniers défenseurs du Samnium, se réunissent à Aquilonia. Là, vers le milieu du camp, on forma une enceinte ayant tout au plus deux cents pieds eu tous sens, que l'on ferma de grilles et de cloisons, et que l'on couvrit de toile de lin. Un sacrifice y fut célébré dans les formes prescrites par un vieux rituel écrit sur toile... Le sacrifice terminé, le général envoyait chercher par un officier public les plus distingués par leur naissance et leurs belles actions ; on les introduisait un à un. Non-seulement tout l'appareil de cette cérémonie était fait pour pénétrer l'âme d'une religieuse terreur, mais, au milieu de cette enceinte, partout couverte, on avait dressé des autels, entourés de victimes immolées et gardés par des centurions qui se tenaient debout, l'épée à la main. On faisait approcher de ces autels chaque soldat, plutôt comme victime que comme prenant part au sacrifice ; et force lui était de s'engager par serment à ne rien révéler de ce qu'il avait vu ou entendu dans ce lieu. Ensuite, on le contraignait à prononcer des imprécations horribles, dont on lui dictait la formule, contre lui-même, contre sa famille et toute sa race, s'il ne marchait au combat partout où ses chefs le conduiraient, s'il s'enfuyait lui-même du champ de bataille, ou s'il ne tuait à l'instant le premier qu'il verrait s'enfuir. Quelques-uns d'abord se refusèrent à un pareil serment : on les égorgea près des autels, et leurs corps gisant au milieu des victimes sanglantes furent pour les autres un avertissement de ne pas résister. Les plus distingués des Samnites une fois liés par ces imprécations, le général en nomma dix, qui durent en nommer autant, jusqu'à ce qu'on eût complété le nombre de seize mille. Cette légion fut appelée Linteata, à cause des voiles de lin qui couvraient l'enceinte où la noblesse s'était liée par serment. On donna à ceux qui en faisaient partie des armures éclatantes et des casques surmontés de panaches, afin de les pouvoir distinguer au milieu des autres. Le reste de l'armée montait à un peu plus de vingt mille hommes, qui soit pour la taille, soit pour la réputation de courage, soit pour l'équipement, ne le cédaient guère à la légion Linteata[8]. Ces trente mille hommes tinrent religieusement leur serment ; ils périrent jusqu'au dernier, et avec eux périrent la nationalité et le nom même du Samnium. Tous ceux qui survécurent à cette longue et horrible guerre ressentirent les effets du ressentiment de Rome : les uns furent vendus comme esclaves ; d'autres, qui avaient cherché un refuge dans les cavernes des Apennins, y furent traqués et brûlés par leurs féroces vainqueurs. Les champs restèrent incultes, les villes demeurèrent en ruine. On dispersa tellement les ruines mêmes de ces villes, que l'on chercha depuis le Samnium dans le Samnium, et qu'il fut difficile de retrouver le pays qui avait, fourni la matière de vingt-quatre triomphes[9].

 

 

 



[1] NIEBUHR, V.

[2] FLORUS, liv. I.

[3] TITE-LIVE, liv. VII.

[4] Si jamais guerre avait eu besoin de sévérité dans le commandement et qu'on rendit à la discipline militaire son ancienne rigueur, c'était surtout la guerre présente. Cet excès de précaution était commandé par la crainte de l'ennemi que l'on allait combattre ; c'étaient les Latins, dont le langage, les mœurs. les armes, les institutions militaires surtout, sont si conformes à celles des Romains ; de soldats à soldats, de centurions à centurions, de tribuns à tribuns, la ressemblance était complète ; c'étaient des camarades, des collègues, qui s'étaient trouvés mêlés dans les mêmes garnisons, souvent dans les mêmes manipules. Aussi, pour épargner sut soldats toute méprise, un édit des consuls vint défendre expressément d'attaquer l'ennemi hors des rangs. (TITE-LIVE, liv. VIII, c. 6.)

[5] TITE-LIVE, liv. VIII, c. 11 et 14.

[6] TITE-LIVE, liv. VIII, c. 12 et 28 ; liv. IX, c. 46 ; liv. X, c. 7. — La constitution de Rome à cette époque est décrite avec beaucoup de clarté par Montesquieu : Servius Tullius, dit il, avait fait la fameuse division par centuries. Il avait distribué cent quatre-vingt-treize centuries en six classes, et mis tout le bas peuple dans la dernière centurie, qui formait seule la sixième classe. On voit que cette disposition excluait le bas peuple du suffrage, non pas de droit, mais de fait. Dans la suite on régla que, excepté dans quelques cas particuliers, on suivrait dans les suffrages la division par tribus. Il y eu avait trente-cinq qui donnaient chacune leur voix, quatre de la ville et trente et use du Li campagne. Les principaux citoyens, tous laboureurs, entrèrent naturellement dans les tribus de la campagne ; et celles de la ville reçurent le bas peuple (turba forensis), qui, y étant enfermé, influait très-peu dans les affaires, et rein était regardé comme le salut de la république. (Grandeur et décadence des Romains, chap. VIII)

[7] Nous empruntons à Tite-Live (liv. VIII, c. 8) les détails suivants sur l'organisation militaire des Romains à l'époque de la guerre du Samnium : Les Romains auparavant se servaient de boucliers ; dans la suite, et depuis l'établissement d'une solde, l'écu remplaça le bouclier. Auparavant aussi ils se rangeaient par phalanges, comme les Macédoniens ; plus tard ils disposèrent leurs troupes par manipules. A la fin, ils les subdivisèrent en plusieurs compagnies ; une compagnie avait soixante soldats, deux centurions, un vexillaire. En bataille, au premier rang, étaient les hastaires, formant quinze manipules, séparés entre eux par un petit intervalle ; le manipule avait vingt hommes de troupes légères, et le reste armé de l'écu ; les troupes légères étaient celles qui portaient seulement la haste et le gais. Cette première ligne de bataille était composée de la fleur de la jeunesse mûre pour les combats. Après eux venaient les hommes d'un âge plus robuste, divisés en autant de manipules, appelés princes, tous portant l'écu, remarquables surtout par la beauté de leurs armes ; ces trente manipules, formant un seul corps, s'appelaient antepilani, parce que, sous les enseignes, ils étaient en avant de quinze autres corps. Chacun de ces corps était divisé en trois parties, et chacune de ces parties s'appelait primipile ; elle avait trois drapeaux, et chaque drapeau réunissait cent quatre-vingt-six hommes. Sous le premier drapeau marchaient les triaires, vieux soldats d'une valeur éprouvée ; sous le second, les roraires, dont l'âge était moins avancé et les belles actions moins nombreuses ; sous le troisième, les accenses, corps sur lequel on comptait peu, et que, pour cette raison, on rejetait aux derniers rangs. Quand l'armée était disposée d'après cet ordre, c'étaient les hastaires qui, les premiers, engageaient le combat. Si les hastaires ne pouvaient enfoncer l'ennemi, ils se retiraient pas à pas au milieu des princes, qui s'ouvraient pour les recevoir : alors c'était aux princes à faire tète, et les hastaires suivaient ; les triaires restaient immobiles sous leurs drapeaux, la jambe gauche tendue en avant, l'écu appuyé sec l'épaule, la lame fixée en terre, la pointe en haut, et dans cette position c'était comme une armée retranchée derrière une haie de palissades. Si les princes eux-mêmes n'avaient pas réussi dans leur attaque, du front ils reculaient peu à peu jusqu'aux triaires ; de là ce proverbe si usité : On en vient aux triaires, qui ce dit dans un grand danger. Les triaires, se levant alors, ouvraient leurs rangs pour y recevoir les princes et les hastaires, puis les resserraient aussitôt, comme pour fermer tout passage ; et, formant ainsi une seule masse bien serrée, après laquelle il n'y avait plus d'espoir, ils tombaient sur l'ennemi, et c'était pour lui un moment terrible ; car, lors même qu'il pensait n'avoir que des vaincus à poursuivre, il voyait surgir tout d'un coup une armée nouvelle et considérablement accrue. On levait presque toujours quatre légions de cinq mille fantassins et de trois cents cavaliers chacune. Il importe de comparer la description de Tite-Live avec celle de Polybe. Voir ci-après, Troisième époque, Chapitre premier : Les guerres puniques.

[8] TITE-LIVE, liv. X, c. 38.

[9] FLORUS, liv. I.