La quinquérème est le vaisseau de ligne de l’antiquité ; elle n’emploie pas moins de trois cents rameurs. La première quinquérème fut construite à Syracuse, en l’année 399 avant Jésus-Christ, par ordre de Denys le Tyran. On attribue généralement à Corinthe l’honneur d’avoir mis en mer la première trière ; Syracuse, colonie corinthienne, ne peut revendiquer que la gloire d’avoir augmenté les dimensions du navire de combat. Ce fut une gloire peut-être ; était-ce bien un avantage ? Toute plage pouvait servir de port à la trière ; la : quinquérème ne gravissait pas avec la même facilité le talus. Surprise parla tempête, elle ne savait plus où se réfugier. Aussi les naufrages vont-ils prendre des proportions énormes : les combats, il est vrai, seront plus décisifs. Sur la question des quinquérèmes, je ne me crois pas tenu de montrer les ménagements qui ont suspendu l’expression de mon opinion lorsqu’il s’agissait des trières ; j’arbore ici, dès le début, mon pavillon. La quinquérème est pour moi une galère sur laquelle chaque aviron se trouve manœuvré par cinq rameurs. Entre le vaisseau qui part, l’an 398 avant notre ère, pour Locres, chargé d’en ramener à Syracuse la fiancée de Denys l’Ancien, la future mère de Denys le Jeune, et la réale que le régent de France envoie, au mois de mai 1720, conduire de Marseille à Gènes sa fille, mademoiselle de Valois, fiancée au prince héréditaire de Modène, mon esprit ne découvre pas de différence. Je partage complètement, au sujet des vaisseaux longs dés anciens, l’avis d’un éminent critique du dix-huitième siècle, M. Deslandes : Si des étages eussent été couverts l’un par l’autre, comme ceux d’une maison, en ne donnant pour chaque étage que quatre pieds et demi de hauteur, la quinquérème aurait eu vingt-deux pieds et demi d’œuvres mortes ; les rames les plus élevées auraient dû sortir de cinquante pieds pour porter dans l’eau. A ce chiffre il faut ajouter la partie intérieure qui eût été le tiers de la partie extérieure ; — soit dix-sept pieds environ. — La longueur totale de la rame eût donc été de soixante-sept pieds. Les rames de nos plus grandes galères n’ont jamais dépassé trente-six ou quarante pieds. La marine des quinquérèmes n’est pas une marine démocratique ; on pourrait l’appeler à juste titre la marine des patriciens et des despotes. Le cardinal-duc, — c’est ainsi qu’on désignait encore dans nos arsenaux, à la fin du dix-septième siècle, l’incomparable ministre de Louis XIII, — imita l’exemple du tyran de Sicile. Trois ou quatre rameurs maniant une seule rame ne lui parurent pas, pour les galères du Roy, un armement suffisant ; il lui fallut cinq rameurs au moins pour les galères subtiles, six pour les patronnes et sept pour les réales. Un état -conservé dans nos archives, et qui porte la date de 1639, alloue au cardinal 48.000 livres pour l’entretènement d’une galère septirame qui n’était ci-devant que quinquérame. Le même état attribue 42.670 livres à Charles Daumont, seigneur de Chappes, capitaine ordonné pour commander la galère la Régine, appartenant à la Royne, mère du Roy, pour l’entretènement de ladite galère sextirame qui n’était en devant que quatrirame. Les capitaines des galères subtiles, devenues de quatrirames quinquérames, reçurent également un notable accroissement de solde ; 32.000 livres par an leur furent assignées pour l’entretien d’un navire qui, outre les gens de guerre, dut comprendre, à dater de ce jour, un équipage de trois cents rameurs au moins. La chiourme des réales, galères de vingt-neuf bancs et de quarante-cinq mètres de longueur, se trouve portée par le même édit au chiffre de quatre cent vingt hommes. Je n’imagine pas que le tyran Denys, quand il se proposa d’introduire un type nouveau dans la composition de sa flotte, ait fait faire un progrès d’autre sorte à la vieille architecture navale. Ses quinquérèmes ou pentères ne furent probablement que des trières agrandies. Le nom qu’il leur donna indique bien, à mon sens, la portée de la modification : la forme du navire ne fut point altérée ; il n’y eut de changé que les dimensions de la coque et la force numérique des équipages. . Nous connaissons, à un homme près, l’effectif des galères modernes. Cet effectif nous permettra de juger, par un rapprochement très plausible, de l’armement que dût affecter Denys l’Ancien à ses quinquérèmes. Lorsqu’au mois d’août.1752, une escadre de quatre galères commandée par le chevalier de Cernay reçut une mission analogue à celle qu’avait accomplie, au mois de mai 1720, le chevalier d’Orléans, fils naturel du régent, grand prieur de France, abbé d’Hautevilliers et général des galères, de l’année 1716 à l’année 1748, une revue administrative eut lieu dans le port d’Antibes. Sur la galère la Reyne, destinée à transporter S. M. l’infante duchesse de Parme, se trouvait alors embarqué, outre le chevalier de Cernay, chef d’escadre, le capitaine même de la galère, M. le chevalier de Glandevès. L’état-major se composait de 3 lieutenants et de 3 enseignes, de 3 écrivains ou commis, d’un aumônier, d’un chirurgien et de 17 gardes dé la marine. L’équipage comprenait 33 officiers mariniers, 5 tambours et hautbois, 73 matelots, 19 domestiques, 79 soldats, 11 pertuisaniers, 11 proyers ou mousses ; la chiourme employait 403 rameurs — 363 forçats et 40 Turcs. — Fixé au chiffre de 665 hommes, l’effectif total de cette septirame était donc à peine inférieur à l’effectif de nos grandes frégates cuirassées. La Brave, la Hardie, la Duchesse, n’étaient que des quinquérames ; 453 hommes, dont 266 forçats, occupaient les bancs de ces galères subtiles et en garnissaient les arbalétrières. Ainsi donc, on le voit, pour ramener de Gênes à Antibes Madame Royale et sa suite composée de quarante-neuf personnes, parmi lesquelles nous ne remarquerons pas sans quelque étonnement un médecin accoucheur et un chirurgien-dentiste, il ne fallut pas, en un temps où nos finances étaient loin d’être prospères, mettre en mouvement moins de deux mille trente hommes. C’est à peine si, aux jours de notre suprême richesse, on nous vit déployer plus de pompe lorsque nous envoyâmes, en l’année 1859, pour l’escorter de Gènes à Marseille, deux vaisseaux de quatre-vingt-dix et une frégate de cinquante-deux canons au-devant de la jeune princesse que nous confiait l’illustre maison de Savoie. Quinquérèmes et vaisseaux à vapeur sont aujourd’hui de vieilles lunes. En 1752, les quinquérèmes chantaient leur chant du cygne et donnaient a regret leur dernier coup d aviron. Les demi-galères, les galiotes à quinze bancs, ces trières modernes particulièrement chères aux Barbaresques, survécurent quelque temps encore aux massives réales. A vrai dire, je crois qu’elles méritaient bien quelque peu de leur survivre. Tout aussi agiles et plus manœuvrantes ; elles rendaient surtout à moins de frais les services qu’on avait conservé l’habitude de demander, en de rares occasions, aux galères. Qui sait si même, au point de vue du combat, la construction de la quinquérème et surtout celle de ses dérivées, l’octère et la décère, ne fut pas une faute ? L’étude approfondie de la bataille d’Actium nous servirait peut-être à éclaircir ce point. Tout est à méditer, dans la guerre navale, surtout à une époque de révolution scientifique. Dieu veuille que l’avenir ne réserve pas à nos monstrueux léviathans quelque leçon semblable à celle, qui fut infligée à la flotte d’Antoine par les liburnes d’Octave ! |