LA MARINE DES ANCIENS - LA REVANCHE DES PERSES

 

CHAPITRE VIII. — LA PRISE DE MÉTHYMNE ET LE COMBAT DE MITYLÈNE.

 

 

Trop de danger accompagne la délégation absolue du pouvoir : le peuple d’Athènes ne veut plus de généralissime ; il lui faut, comme par le passé, ses dix généraux, ses généraux exerçant tous le commandement au même titre et commandant en chef, ainsi que le fit Miltiade à Marathon, par quartier. Conon, Diomédon, Lysias, Périclès, Érasinidès, Aristocrates, Archestrate, Protomachus, Thrasylle, Aristogène ; remplaceront donc le fils de Clinias. Alcibiade est remplacé ; il n’est pas banni : en homme prudent, pour le moment, il se bannit lui-même. Son château de Bodosto, — de Bisanthe, si nous employons le nom antique, — l’attend sur les bords de la Propontide. Il s’y réfugie, ou plutôt s’y retranche, prend à sa solde des troupes étrangères, et va guerroyer, pour son propre compte, contre les Thraces. Singulier citoyen ! Quelle est la république, quelle est la monarchie qui résisterait à de pareils exemples ? Athènes était perdue le jour où, dans son sein, l’existence, non pas de deux Alcibiade, mais d’un seul, devenait possible.

L’an 407 avant Jésus-Christ, au moment où cette année ; la vingt-cinquième de la guerre, allait finir, Conon, devançant ses neuf collègues, venait à Samos prendre le commandement de l’armée navale. Il trouvait la flotte découragée, réduite à soixante-dix trières, et se bornait à faire quelques descentes sur le territoire ennemi. Presque à la même époque, dès le débat de l’année 406, Callicratidas succédait à Lysandre. Le remplacement de Lysandre n’était pas une disgrâce ; il résultait de l’application régulière de la loi. Le vainqueur de Notium arrivait, suivant l’expression consacrée par nos règlements, au terme de son exercice. Ces dépossessions sont inévitables ; elles ont la fatalité du destin, et pourtant nul ne les accepte sans murmure. L’armée que nous quittons nous parait une armée ingrate, dès qu’elle ne porte lias le deuil de notre départ. Il faut une bien grande âme pour souhaiter un joyeux accueil à son successeur ; Lysandre prend sur-le-champ ses mesures pour s’épargner la mélancolie d’un pareil spectacle. Il renvoie à Sardes ce qui lui restait de l’argent avancé par Cyrus. Que Callicratidas aille lui-même en demander au prince ! Les délégués des villes ioniennes se lamentent en apprenant la retraite de l’homme qui les a comblés d’honneurs et de richesses, qui leur a laissé espérer l’anéantissement prochain de la démocratie. Lysandre n’a garde de décourager ces adieux éplorés. Ému lui-même, il se montre touché de l’émotion que son remplacement provoque. Pendant ce temps, ses amis s’agitent. Non seulement ils apportent peu de zèle au service, mais on les entend répéter partout que les Lacédémoniens commettent une grande faute en changeant ainsi, à des époques périodiques et arrêtées d’avance, le commandement. Qu’arrive-t-il ? A l’instant le moins favorable, à l’heure la plus critique, des gens sans talent, des généraux ignorants du métier de la mer, peu familiarisés avec les coutumes du pays allié, viennent se substituer à des chefs investis de la confiance du soldat et de la faveur du roi de Perse. Sparte a le culte de ces pratiques surannées ; Dieu veuille qu’elle ne se prépare pas ainsi de grands malheurs !

Toutes ces plaintes finissent par arriver aux oreilles de Callicratidas. Ce jeune général était le meilleur, et le plus juste des hommes, un Dorien des anciens temps, simple et droit, peu fait pour se mouvoir au milieu de pareilles intrigues. Il passe brutalement la tète à travers la toile d’araignée. Je n’ai pas sollicité, dit-il, le commandement de la flotte ; il m’eût certes été beaucoup plus agréable de demeurer chez moi. Sparte m’a nommé, et j’ai dû exécuter ses ordres. Vous prétendez que je n’entends rien en marine, que Lysandre, au contraire, est un homme de mer consommé. Et quand cela serait ! que voudriez-vous en conclure ? vous plait-il que je me démette des fonctions qui m’ont été imposées ? dois-je retourner à Sparte et aller annoncer à ceux qui m’ont envoyé l’accueil que, me réservaient les amis de Lysandre ? Marchez sur le fantôme, il s’évanouit. Au bout de quelques jours, la soumission est complète. Lysandre le premier en a compris la nécessité ; son orgueil indompté n’en rêve pas moins une satisfaction dernière. Il veut qu’on sache bien qu’au moment ou il- retourne à Sparte, tout ce qu’on pouvait combattre est vaincu, tout ce qu’on pouvais soumettre est conquis. Je te remets, dit-il à Callicratidas, le commandement de cette flotte que j’ai rendue maîtresse de la mer. C’est à un vainqueur, ne l’oublie pas, que tu succèdes. J’ai acquis devant Notium le droit de prendre le titre de thalassocrate. Voilà bien du bruit pour vingt-deux vaisseaux coulés ! Tromp, en pareil cas, se contentait d’arborer à la tête de son grand mât un balai. Si tu es réellement le roi de la mer, répond Callicratidas à Lysandre, montre-le en allant défiler devant Samos. Ne me remets pas la flotte à Éphèse ; viens me la remettre à Milet. Je te reconnaîtrai alors comme thalassocrate. La plaisanterie ne paraît pas avoir été du goût de Lysandre. Ce n’est plus à lui, dit-il, c’est à Callicratidas de défier les Athéniens, puisque c’est Callicratidas qui commande. Il dit et s’embarque pour le Péloponnèse, désolé de quitter sa flotte, mais heureux de laisser du moins le chef qui le remplacé dans l’embarras.

Le successeur de Lysandre n’avait plus, en effet, le moyen de solder ses équipages, et, sans solde, les équipages ne pouvaient se nourrir. Callicratidas se décide à prendre le chemin de Sardes : Le rappel de Lysandre avait indisposé Cyrus : allez donc parler de règlements à des gens qui n’ont jamais connu de loi que leur caprice ! Callicratidas est mal accueilli ; ses propos ne tardent pas à trahir l’humeur qu’il en ressent. Si jamais, s’écrie-t-il, les dieux permettent que je rentre dans ma patrie, je n’aurai qu’un objet : réconcilier les Grecs de l’Attique et ceux du Péloponnèse. Je les préserverai ainsi de l’Humiliation d’avoir à mendier les secours des Barbares ! Les Milésiens n’étaient ni des Barbares, ni des Grecs ; colons de la Grèce, anciens sujets des perses, ils éprouvaient surtout la crainte de retomber sous le joug impérieux des Athéniens. C’est à eux que Callicratidas s’adresse pour obtenir l’ardent que lui a refusé Cyrus. Je n’ai pu me résoudre, leur dit-il, à rester plus longtemps à la porte des Barbares. Montrons-leur que nous n’avons pas besoin de nous prosterner devant eux pour tirer vengeance de nos ennemis ! On comprend que Cyrus ait mis peu d’empressement à obliger un allié aussi fier. Quand on veut tendre la main, il faut se résigner à ployer les genoux. Callicratidas était jeune ; il avait l’enthousiasme et les nobles passions de son âge ; pour aller quêter des subsides, Sparte eût dû faire choix d’un autre général. Les Milésiens sont touchés du mâle langage qui a offensé Cyrus. Ils apportent de l’or, Chio en fournit aussi ; Callicratidas se trouve en mesure de distribuer un à compte de 4 francs 50 centimes à chaque homme. Les beaux jours où Lysandre payait régulièrement solde entière à ses équipages sont passés. Callicratidas a bien envoyé des trières chercher de nouveaux fonds en Laconie, mais on sait que Sparte ne peut guère offrir à ses enfants que sa monnaie de fer, et ce n’est pas avec des ligatures de sapeks qu’on pourra désormais satisfaire l’hoplite du Péloponnèse et le rameur de Corinthe. Le fifre et le tambour de la 32e demi-brigade appartiennent aux temps héroïques. Quand on contemple, du haut des Alpes, les riches plaines de la Lombardie, on peut faire crédit à la république ; quand on revient de ces fertiles et opulentes campagnes ; on ne bouche plus les brèches de sa culotte avec des assignats. Heureusement pour Callicratidas il est toujours, aux yeux des cités ioniennes, aux yeux des insulaires qui redoutent les vengeances intestines, Je champion armé de l’oligarchie ; de toutes parts on est venu à son aide. Conon ne possède que soixante-dix trières, le navarque de Sparte en a rassemblé cent quarante.

L’inaction ne s’expliquerait plus ; Callicratidas quitte Éphèse et conduit sa flotte devant Méthymne. Cette ville s’est montrée de tout temps la rivale et l’ennemie invétérée de Mitylène ; elle n’a jamais abandonné le parti athénien. Athènes y a mis récemment garnison ; cette garnison toutefois est trop faible, pour pouvoir défendre bien longtemps les murs sous lesquels Callicratidas est venu dresser ses machines. Il n’y a que la flotte de Conon, mouillée à Samos, qui pourrait essayer de sauver Méthymne. Conon met à la voile ; il arrivera trop tard. La flotte athénienne a un long trajet à faire : il lui faut traverser le golfe d’Éphèse, remonter le canal de Chio, doubler la presqu’île de Clazomènes s’engager enfin dans le détroit qui sépare la côte orientale de file Lesbos du continent ; car si Mitylène occupe au sud l’extrémité de cette côte, Méthymne en garde l’accès au nord-ouest, du côté qui fait face à la mer Égée. Les soldats de Callicratidas ont si vivement pressé la ville assiégée que Méthymne est en leur pouvoir avant que les vaisseaux de Conon soient mis en mesure d’intervenir. Méthymne regorgeait de richesses ; Callicratidas la livre au pillage ; les esclaves sont vendus sur la place publique. Ces esclaves sont toujours la meilleure partie du butin. Les Turcs, en 1821, mettront à sac ; dans les mêmes parages, la ville de Cydonia ; ils n’oublieront pas de tirer parti des habitants ; les marchés de l’Asie seront soudain inondés de captifs. Callicratidas, lui, ne veut mettre en vente que les Barbares ; les citoyens de Méthymne ne seraient certes pas de défaite moins facile, mais ce sont des Grecs, et les Grecs, pour Callicratidas, sont sacrés. La servitude, dit-il, n’est pas faite pour eux.

O buon tempo degli cavalieri antichli !

Oh ! le beau temps que celui de ces fables !

s’écriait, à la fin du dix-huitième siècle, le sceptique Arouet lui-même. Quand les Juifs se croyaient le peuple de Dieu, quand les Grecs s’imaginaient qu’un sang privilégié coulait dans leurs veines, quand nous nous appelions nous-mêmes la grande nation, la philosophie y pouvait trouver à redire ; le patriotisme n’était pas alors un vain mot. Nos regards incertains se promènent trop aujourd’hui autour de nous. Je ne sais si les Grecs, dans les courses de chars des jeux Olympiques, mettaient des œillères à leurs chevaux ; je n’ai pas remarqué cet appendice dû harnais moderne sur les bas-reliefs du Musée assyrien, nais je crois que les chevaux courent mieux et sont moins sujets à se dérober quand on les oblige à ne regarder que la piste. Én toutô niké. In hoc signo vinces.

Callicratidas n’était pas seulement, à mon sens, un vainqueur généreux ; il était aussi un politique habile. Le lendemain même du jour où Méthymne s’est rendue, il remet aux habitants le gouvernement de leur ville. C’était leur en confier, par le fait, la défense, et transformer ces vaincus en alliés. Conon apprend la chute de Méthymne au mouillage des Cent-Iles. Tel était le nom que portait, dans l’antiquité, ce groupe des Mosco-Nisi, derrière lequel s’abrita, en 1849, l’escadre de l’amiral Parseval, battue des longues tempêtes d’un rigoureux hiver. Ce mouillage a cessé d’être sûr pour Conon, depuis que Callicratidas a recouvré la libre disposition de ses forces ; Conon se hâte de le quitter. Ce n’est plus d’ailleurs Méthymne, c’est Mitylène qu’il s’agit maintenant de défendre : La flotte athénienne redescend le canal qu’elle a remonté la veille ; elle a commencé son mouvement dès le point du jour. Par malheur, ce mouvement n’a pas échappé aux Péloponnésiens ; Callicratidas poursuit son adversaire avec une flotte de cent soixante-dix navires. Conon reconnaît que la retraite va lui être coupée, son parti est pris à l’instant : il ira au-devant du combat qu’il lui serait difficile d’éviter. Suivons avec attention les manœuvres des deux flottes ; des vaisseaux cuirassés, pour se joindre et pour accomplir leurs passes, ne s’y prendraient pas autrement. Le pavillon de pourpre, ce pavillon, emblème du sang qu’on s’apprête à verser ; ce pavillon rouge qui, de siècle en siècle, est demeuré le signal du combat, se déploie tout à coup sur la trière que monte le navarque d’Athènes. Conon vient de le faire arborer en tête de mât. Quand les mâts étaient abattus, ou quand il faisait calme, ce n’était plus un pavillon qu’on déployait ; au bout d’une pique on élevait en l’air un bouclier. A peine l’étamine a-t-elle livré ses derniers plis à la brise, que toute la flotte athénienne tourne brusquement, tourne à la fois sur elle-même ; les troupes entonnent le péan, les trompettes sonnent la charge. Les Péloponnésiens n’ont pas eu le temps de se ranger en bataille, leur armée est encore partagée en deux divisions, les meilleurs marcheurs en avant, le gros de la flotte derrière. Tel est l’inconvénient, le danger même, de toute chasse à outrance ; il faut rompre sa ligne pour gagner l’ennemi, et l’ennemi aux abois peut se retournera Conon, avec toutes ses forces, tombe au milieu de vaisseaux épars ; il brise les rames des uns, perce le flanc des autres, porte partout l’effroi et, dans cette armée déjà si confuse, augmente la confusion. Les navires surpris, heureusement pour eux, n’ont pas eu la faiblesse de virer de bord : ils reculent, mais la proue en avant ; ce sont leurs poupes maintenant qui fendent l’onde. Bientôt leurs rangs se mêlent à ceux des navires arriérés qui accourent ; le’ front de bataille est rétabli. Ainsi furent redus, au champ de bataille de l’Alma, dans les intervalles de la seconde ligne anglaise, les soldats du général Brown fuyant sous l’impression d’une panique passagère. Conon voit les deux longs bras de dette flotte immense s’étendre autour de lui ; déborder ses ailes, se développer en cercle pour enserrer ses soixante-dix trières ; il donne le premier l’exemple de la retraite. Habituées à le suivre, promptes à imiter la manœuvre de leur chef, parce que ce chef ne les tient pas constamment en lisière sous ses signaux, les trières athéniennes se dégagent rapidement de l’étreinte qui les presse. Quarante vaisseaux parviennent. à gagner, sous les ordres de Conon, le port de Mitylène ; l’aile gauche seule, composée de trente trières, trouve l’accès de ce port fermé. Elle incline immédiatement sa route vers le nord et va s’échouer au point de la côte le plus rapproché. Callicratidas s’empare de ces vaisseaux vides. A l’exemple de Lysandre et à meilleur titre, le jeune navarque pourrait se parer du titre de thalassocrate ; il se contente de poursuivre son triomphe. Quarante vaisseaux lui ont échappé, il les aura en même temps que 1llitylène. Cette malheureuse cité ne compte plus ses sièges ; reine de Lesbos, elle a reçu le fatal don d’attirer, par sa beauté suprême, tous les envahisseurs. Thorax, un des lieutenants de Callicratidas, amène de Méthymne, à travers les montagnes, l’infanterie spartiate et les troupes auxiliaires. Callicratidas lui-même met à terre les hoplites embarqués sue la flotte. Qui disait donc que Sparte avait besoin pour vaincre d’attendre le bon plaisir et l’or du roi des Perses ? Sparte tient sous sa serre les derniers vaisseaux de son ennemie, et Cyrus ne lui a pas fait l’aumône d’un talent. Du moment qu’il apprend que Callicratidas est en voie de se suffire à lui-même, le prince se ravise ; il envoie les subsides qu’on a cessé de lui demander. La fierté de Callicratidas a fini par obtenir autant de succès que les basses flatteries de Lysandre ; mais Callicratidas a pris Méthymne et s’apprête à prendre Mitylène. La meilleure de toutes les diplomaties consiste à être fort ; cette diplomatie-là procure toujours des alliés.

La situation de Conon laissait à la cause d’Athènes peu d’espoir. Le port de Mitylène n’était pas de facile défense ; quarante vaisseaux déployés en ligne n’auraient pas suffi pour en barrer l’entrée beaucoup trop ouverte. Conon, dans les parties où les eaux sont suffisamment basses, fait couler des embarcations remplies de pierres ; dans les parties plus profondes de la passe, il assujettit sur des ancres de grands bâtiments de transport. Ces bâtiments ne seront pas seulement un obstacle ; leur pont servira de plate-forme aux catapultes. On sait que ces machines, dont l’invention a été faussement attribuée à. Denys le Tyran, servaient à lancer, par la brusque détente d’un levier qu’on bandait fortement à l’aide d’un treuil, une pluie de cailloux ou d’énormes fragments de rochers. Ln arrière de ces batteries flottantes sont rangées les quarante trières, la proue en avant, l’éperon en arrêt. Le port a changé d’aspect ; il faudra plus d’un rude combat pour forcer cette entrée rétrécie. La nature a d’ailleurs ménagé aux Athéniens un dernier refuge. Mitylène possède, comme Syracuse, son grand et son petit port ; seulement, les deux ports de Mitylène se communiquent : la vieille ville est bâtie sur un îlot de peu d’étendue, que sépare de la grande île un étroit canal aujourd’hui comblé. En face de l’îlot, sur la rive lesbienne, s’élève la ville neuve ; une enceinte commune embrase les deux cités traversées par une soute d’Euripe. A chaque extrémité de ce long boyau s’ouvre un port : à l’extrémité méridionale, le port ou plutôt la rade, que Conon vient de mettre en état de défense ; à l’extrémité qui regarde, le nord, un bassin mieux- fermé, dont il est facile d’interdire l’approche. On n’a pas forcé l’entrée de beaucoup de ports : Duguay-Trouin à Rio-Janeiro, l’amiral Roussin dans le Tage, Ferragut à Mobile, ont montré cependant que de pareilles opérations ne sont point impossibles ; mais ni à Rio-Janeiro, ni dans le Tage, ni à l’ouvert de la baie de Mobile, on ne fut obligé de s’arrêter sous le canon. Lorsqu’on trouve le chemin barré par des estacades ou par des lignes de vaisseaux embossés, il faut courir les risques de Nelson attaquant Copenhague, à moins qu’on ne préfère imiter la très légitime circonspection de ces deux grandes nations maritimes qui laissèrent, pendant plus d’une année, leurs vaisseaux immobiles devant les batteries de là Quarantaine et devant le fort Constantin.

Callicratidas n’était pas un marin : pour triompher d’un obstacle, il est quelquefois avantageux d’en mal apprécier la puissance. Callicratidas avait pris Méthymne ; il se croyait de forcé à prendre Mitylène ; la vue de toutes les défenses accumulées à la bouche du grand port ne l’intimide pas. Il se place lui-même à la tête de ses vaisseaux, s’ouvre par l’impétuosité de son premier élan un passage à travers la ligne des vaisseaux de charge et se rue sur les proues de la seconde ligne, composée tout entière de navires de combat. La mêlée fut terrible ; une grêle de pierres tombait du haut des vergues, jaillissait des plates-formes ; Callicratidas fait sonner la retraite : ses troupes épuisées ont besoin de reprendre haleine. Quelques instants après, il revient à la charge, lutte durant plusieurs heures et parvient enfin à refouler les Athéniens jusque dans l’arrière-port. L’investissement de Mitylène est désormais assuré ; Callicratidas a établi sa flotte dans le bassin du sud, dans ce bassin d’où Conon s’est vainement efforcé de l’exclure. Je ne veux pas prendre parti contré les Athéniens : ce sont eux qui défendent, à cette heure, la cause de la Grèce ; la victoire des Péloponnésiens court, au contraire, le risque de tourner au profit de l’Asie. Je n’en éprouve pas moins une secrète sympathie pour cet honnête et vaillant hoplite dont la mâle droiture a si bien déjoué les intrigués de Lysandre. Puissent les dieux lui demeurer jusqu’au bout favorables !