Alcibiade n’avait pas encore combattu ; il avait beaucoup intrigué. Cet enfant gâté de tous les partis revient enfin de Caunes et de Phasélis. La flotte phénicienne n’ira pas rejoindre les Péloponnésiens, Alcibiade a détourné Tissapherne de ce projet ; les dispositions du satrape, à l’entendre, sont plus que jamais favorables, aux généraux d’Athènes. Nous allons donc voir le fils de Clinias se mettre enfin à la tête de son armée, prendre sa place entre Thrasybule et Thrasylle ? Le fils de Clinias a d’autres desseins. On a vu Doria posséder en propre des galères, les mettre au service de tièdes, les louer tantôt à François Ier, tantôt à Charles Quint ; Alcibiade parait avoir joui du même privilège. Il faut moins le considérer comme un général athénien que comme un condottiere sans patrie, qui fait la course ou la guerre au nom de celui des belligérants vers lequel tour à tour il incline. Alcibiade a, comme Miltiade, son château fort dans la Chersonèse. C’est une retraite, — disons mieux, un repaire, — qu’il s’est ménagé. Abus lui avons connu treize vaisseaux, il en équipe neuf autres. Avec cette escadre, il se reporté vers le sud, opère une descente sur la côte d’Halicarnasse, met cette ville à rançon, entoure Cos d’une muraille et rentre, vers la fin de l’automne, à Samos chargé de butin. Sont-ce là les procédés par lesquels ce chef d’une guérilla que nul contrôle ne gène se flatte d’attirer aux Athéniens l’amitié de Tissapherne et le concours de la flotte de Tyr ? Si Alcibiade a pu concevoir un semblable espoir, Tissapherne lui-même se charge de le détromper. L’astucieux satrape prend la route d’Éphèse ; il a résolu d’aller, s’il le faut, jusqu’à l’Hellespont. Pharnabaze ne lui ravira pas sans enchère l’alliance des Péloponnésiens. L’hiver touche à sa fin ; de tous côtés on se prépare à la lutte. Vaincus à Cynosséma, les Lacédémoniens ont tiré leurs trières à sec sur la côte de la Troade, non loin des lieux où s’élevait Ilion. Ils ont appelé des vaisseaux de Rhodes, ils en ont appelé de l’Eubée ; les Athéniens font partir du Pirée, sous les ordres de Timocharès, une nouvelle escadre ; Pharnabaze lui-même achemine tout un corps de troupes au rivage et se réserve de le commander en personne. C’est encore l’Hellespont qui sera le théâtre du combat. Si ce ruisseau venait à se dessécher, on y trouverait probablement, à la grande joie des érudits, à la mienne aussi, je l’avoue, la trière antique. On a tant coulé de ces bâtiments dans la vallée sous-marine qui sépare l’Europe de l’Asie ! De l’embouchure du Scamandre et du port de Sestos deux nouvelles flottes acharnées, l’une à consolider sa victoire, l’autre à réparer sa défaite, se sont élancées au premier souffle du printemps. Soyons justes envers les pilotes athéniens : c’est à eux, plus encore peut-être qu’à Thrasylle ou à Thrasybule, qu’il eût fallu faire remonter l’honneur d’avoir ramené la fortune sous les proues dorées de la république. Dans cette seconde rencontre, leur habileté ne se dément pas. Avec quelle adresse ils s’assurent l’avantage du courant pour se laisser tomber sur l’ennemi en rentrant leurs rames et en brisant les siennes ! Comme ils savent bien refuser leur flanc menacé et présenter brusquement leur avant à l’attaque ! Les Péloponnésiens ne les prendront pas aisément en défaut. J’attribuais la force de la flotte athénienne à ses chiourmes ; que dirai-je donc de ses incomparables pilotes ? Aussi est-ce à la vie des pilotes, bien plus qu’à celle des hoplites ou des épibates, qu’en veulent les archers du Péloponnèse ; de loin ils les accablent de flèches, de près les hoplites eux-mêmes ne dirigent que sur ces vaillants timoniers leurs javelots. Couvrez-les de vos boucliers, soldats athéniens ! Laissez-vous percer de mille traits plutôt que de souffrir qu’en seul coup les atteigne ! Ont-ils seulement une cuirasse ; un de ces casques à la triple aigrette qui protégent le front de vos généraux ? Je crains que vous ne les ayez envoyés désarmés au combat, eux qui tiennent votre existence et celle de la trière dans leurs mains. Nous autres modernes, nous les aurions blindés ! Mais voici maintenant qu’on se joint corps à corps. Les piques et les épées ont été de tout temps des armes doriennes ; faut-il donc s’étonner si la fortune d’Athènes en ce moment chancelle ? Tenez bon, soldats de Doriée, ne reculez pas encore, vaillants équipages de Thrasylle ! Le destin n’a pas dit son dernier mot. Qu’aperçoit-on au loin, là-bas, vers le promontoire Sigée, du côté de l’entrée du détroit ? Ces points noirs qui grossissent, ne vous y trompez pas, ce ne sont point des barques de pêcheurs, ce sont des vaisseaux. Déjà on en peut compter dix-huit. Les deux flottes s’arrêtent, suspendues entre l’espoir et la crainte. Bon courage, Mindaros ! N’as-tu pas demandé les vaisseaux de l’Eubée ? Ces vaisseaux, hélas ! ne reviendront jamais se ranger sous la bannière du navarque de Sparte ; une tempête les a tous engloutis à la hauteur du mont Athos. Mindaros multiplie les signaux de reconnaissance ; le seul signal qui réponde aux siens, c’est un pavillon de pourpre arboré au grand mât d’une des trières qui rallient. Ce pavillon ne vous dit rien, généraux et triérarques du Péloponnèse ; les stratèges athéniens savent quel secours leur est ainsi annoncé. C’est Alcibiade qui arrive ; c’est l’heureux favori de la jeunesse d’Athènes et du sort qui apporte à toutes rames la victoire. Il était temps. Depuis le matin on combat, et le soleil est bien près de toucher l’horizon. Les Péloponnésiens s’enfuient vers Abydos ; les. Athéniens se jugent de force à les y poursuivre. Il faut en finir avec la marine du Péloponnèse. Cette marine aurait peut-être vu, en effet, son dernier jour, si Pharnabaze était aussi indolent ou aussi perfide que Tissapherne ; mais Pharnabaze s’est précipité au secours de ses alliés. Il pousse son cheval dans la mer, aussi loin que le sable le peut porter cavaliers, fantassins, excités par sa voix, animés par son exemple, se pressent autour de lui. Pharnabaze, dressé sur sa selle, le bras droit rejeté en arrière, cherche des yeux l’ennemi sur lequel il va darder sa javeline. Pendant ce temps, le fier coursier qu’il monte reçoit sans broncher le choc de la vague qui vient battre son poitrail. Brave cheval ou plutôt brave satrape ! Que Louis XIV n’a-t-il eu un pareil gouverneur à la Hougue ! Les embarcations anglaises n’y auraient pas brûlé nos vaisseaux. Les Péloponnésiens ont repris courage ; ils se rangent en bataille et combattent, fortement appuyés à la terre. La tempête, à son tour, prend parti pour eux ; le vent du nord s’élève. Il y aurait pour les Athéniens danger à insister ; la flotte athénienne va reprendre son mouillage sur la côte d’Europe, emmenant pour trophée trente vaisseaux vides. Athènes avait déjà la journée de Cynosséma, l’année 410 donne une sœur à cette glorieuse journée, Abydos et Cynosséma se complètent. Deux victoires successives venaient de confirmer l’ascendant des Athéniens ; elles ne les avaient pas enrichis. L’or perse pouvait encore rétablir la balance, la faire même pencher en faveur des Péloponnésiens. Thrasylle, un des stratèges, part à l’instant pour Athènes ; il va y chercher des hommes, des vaisseaux, de l’argent, — de l’argent ? s’il en reste encore dans le trésor jadis si bien rempli de l’Acropole. C’est Plutus, ne l’oublions pas, qui équipe les trières. Les rameurs athéniens attendront-ils avec patience le retour de Thrasylle ? Il y a bien longtemps qu’ils n’ont vu le payement régulier de la solde ; si l’on veut prévenir les désertions, il est sage d’aviser. Les généraux se concertent : quarante vaisseaux suffiront bien pour garder l’Hellespont ; les autres peuvent, sans danger, être employés à écumer les îles. Ce ne sera pas la première fois qu’Athènes aura battu monnaie par la perception de contributions forcées. Puis enfin reste la grande ressource, la ressource dont on s’est tant promis, dont on attend tout encore : Cette ressource, c’est l’influence d’Alcibiade. Si Alcibiade possède réellement le crédit dont il s’est targué, l’heure est venue ; qu’il le montre ! Tissapherne est en ce moment à Éphèse ; Alcibiade se fait conduire par une trière à l’embouchure du Caystre ; il est trop prudent pour compromettre dans cette aventure la petite escadre dont il dispose en maître ; c’est déjà bien assez d’y hasarder sa personne. Les mains teintes du sang des soldats de Pharnabaze, le fils de Clinias ose se présenter à. Tissapherne. Le satrape fait sur-le-champ arrêter son ami. Entre Athènes et Lacédémone le roi de Perse a cessé d’hésiter ; ordre est donné à touas lès gouverneurs de province de se déclarer contre les Athéniens. Alcibiade arrête ; on le conduit à Sardes. Est-ce bien là une arrestation sérieuse ? Quelque complicité secrète n’unit-elle pas encore le vice- roi de l’Ionie et le séduisant conseiller qui a si longtemps possédé sa confiance ? Les fers, en tout cas, sont bien mal rivés, car, trente jours après son départ d’Éphèse, Alcibiade arrive de nuit à Clazomène. Il s’est procuré des chevaux et a trompé, dit-il, la surveillance de ses dardes. Dans quelques jours il aura rejoint la flotte, mais, triste aveu de son impuissance, — il la rejoindra sans argent. Est-ce toujours à Sestos que réside le gros de cette flotte ? Non ! c’est de l’autre côté de la Chersonèse que la trouvera le captif de Sardes. Mindaros, au moment où Thrasylle partait pour Athènes, Alcibiade pour Éphèse, d’autres détachements pour les Ales, avait encore sous ses ordres soixante vaisseaux. Le navarque de Sparte s’indigne de se voir ainsi gardé à vue par quarante trières athéniennes ; il quitte brusquement le mouillage d’Abydos. A peine sa flotte commence-t-elle à se détacher du rivage que les Athéniens, avec l’activité vigilante dont ils ont repris l’habitude, appareillent à leur tour, sortent de l’Hellespont, contournent l’extrémité de la péninsule et vont chercher sur la côte de Thrace un nouveau point de concentration moins exposé aux surprises. Ils le trouvent à Cardia, au fond de ce golfe qui a échangé de nos jours le nom de Mélas pour celui de Saros. C’est là qu’Alcibiade vient de Clazomène reprendre, avec cinq trières, le commandement qu’il n’a jusqu’à présent exercé que de nom. Son audace a grandi, si sa suffisance est tombée. Le véritable Alcibiade, celui qui peut encore mériter l’indulgence de l’histoire, va enfin apparaître. Il lui serait difficile d’entretenir plus longtemps cette fable sur laquelle il a jusqu’ici vécu. Échappé des prisons de Tissapherne, comment viendrait-il promettre aux Athéniens les subsides de son geôlier ? Le fils de Clinias n’essaye plus de dissimuler aux soldats qui l’ont choisi pour chef la triste vérité. On croirait entendre Bonaparte s’adressant à l’armée des Alpes. Je n’entrevois pas de terme à notre détresse, dit Alcibiade aux équipages dont son retour a trompé l’espoir, et pendant ce temps l’ennemi vit dans l’abondance, grâce aux intarissables libéralités du roi. La guerre seule peut nous procurer ce qui nous manque. Préparons-nous donc à la poursuivre avec vigueur ! Cette mâle assurance électrise les troupes. Sur ces entrefaites, Théramène rallie avec vingt vaisseaux venant de Macédoine, Thrasybule en amène vingt autres de Thasos ; la flotte athénienne compte de nouveau quatre-vingt-six trières. C’est fort bien, mais croit-on que Mindaros, voyant l’Hellespont évacué, sera demeuré inactif à son éternel mouillage d’Abydos ? Mindaros est à cette heure sous les murs de Cyzique ; il n’y est pas seul, Pharnabaze l’a suivi. Pharnabaze, c’est un autre Mardonius ; les Péloponnésiens ont trouvé en lui un allié tout à fait digne de seconder leur courage. La garnison athénienne de Cyzique se voit bientôt investie par les troupes du satrape, menacée du côté de la mer par les soixante vaisseaux de Mindaros. Ces soixante vaisseaux se sont déployés en cercle autour, des remparts. Une pluie battante, la pluie de Symé, fait clapoter la mer et charge de sa brume épaisse l’horizon. Quel est donc ce long ruban noir qui se déroule, pareil aux anneaux d’un serpent, le long dû rivage ? Courbez-vous sur vos avirons, rameurs de Corinthe et de Syracuse, voguez à toutes rames vers la terre, si vous ne voulez pas être coupés ! Ce n’est pas un détachement ennemi qui arrive, c’est une flotte ! Comment une flotte peut-elle ainsi apparaître, sans avoir été signalée ni à Pharnabaze, ni à Mindaros, par les nombreuses vigies échelonnées, comme autant de sémaphores, sur les bords de la Propontide ? Alcibiade a mené les choses rondement. Ses vaisseaux une fois concentrés à Sestos, il leur a donné l’ordre d’abattre leurs mâts pour le suivre. C’est à l’aviron qu’il atteint la côte asiatique au-dessus de Lampsaque, à Parium. Voilà des rameurs auxquels on ne reprochera pas de n’avoir jamais gagné d’ampoules au service de leur pays. L’habile et actif stratège quitte Parium la nuit ; dès le lendemain, à l’heure où ses équipages doivent prendre leur premier repas, il aborde à Proconèse. On sait que cette île, dont la superficie égale à peu près celle de Ténédos, a changé de nom ; nous l’appelons aujourd’hui, comme la mer intérieure dont elle occupe l’entrée, Marmara. La présence de Mindaros à Cyzique est confirmée aux stratèges athéniens par les habitants de Proconèse. Il reste à la flotte une trentaine de milles à franchir pour doubler la presqu’île des Dolions et atteindre le fond du golfe. Le temps incertain eût probablement arrêté un autre général ; Alcibiade ne voit dans cette circonstance qu’une faveur du sort ; ce ciel couvert et bas lui permettra de dérober sa marche à l’attention des vedettes ennemies. C’est ainsi que la flotte d’Athènes est tombée à l’improviste au milieu des vaisseaux de Mindaros. Les Péloponnésiens surpris se débandent et fuient vers la côte. Là, Mindaros parvient à les rallier. Il les fait mouiller, la proue en avant, une amarre à terre, offrant un front gardé sur ses deux flancs aux vaisseaux athéniens. Pharnabaze désormais se charge de les défendre. Alcibiade juge du premier coup d’œil qu’un assaut ordinaire ne le conduirait à rien. Il prend vingt de ses vaisseaux, les meilleurs, choisit un point de la côte assez éloigné pour qu’on ait négligé de le garnir de troupes, et y débarque tout un corps d’hoplites. Ce mouvement tournant n’a pas échappé à Mindaros. L’amiral de Sparte laisse la défense des trières aux épibates, aux rameurs, et se précipite, à la tête des soldats pesamment armés, sur la plage. Les trières mouillées sont bien encore l’enjeu ; le combat n’est plus un combat naval. Mindaros d’un côté avec l’infanterie de Marque, Thrasybule de l’autre avec les soldats qu’il a pris à bord des vaisseaux laissés par Alcibiade devant Cyzique, se rencontrent et se mêlent sur le sol de l’Asie ; l’infanterie de Charès, conduite par Théramène, s’attaque principalement aux troupes du satrape. Quelle que soit l’ardeur de ces troupes auxiliaires, elles ne sont pas de taille à se mesurer avec des hoplites ; c’est là le côté faible de la ligne ennemie. Les soldats de Pharnabaze commencent à plier, et leur retraite découvre le flanc gauche de Mindaros. Alcibiade n’avait pas encore donné il saisit l’occasion aux cheveux, accourt avec la troupe d’élite dont il s’est réservé la conduite, communique sa bouillante ardeur à ses soldats, presse son adversaire et pénètre jusqu’au cœur des phalanges ennemies. Là il se trouve brusquement arrêté. Mindaros a réuni autour de sa personne tout ce qui se refuse à fuir, tout ce qui prétend vendre chèrement sa vie et disputer la victoire par un dernier effort. Nous tenons de nos jours en profond mépris les armes des sauvages. Les sauvages, en effet, n’ont point de ces traits acérés qui perçaient les cuirasses et les boucliers des hoplites ; l’usage de l’airain et du fer leur est inconnu. Leur façon de combattre n’en peut pas moins jeter quelque jour sur les mêlées qui décidèrent, au temps des Achille et des Hector, des Mindaros et de Alcibiade, le triomphe de la cause que les dieux favorisaient. Voyez les Néo-Calédoniens de loin, ils emploient la fronde et la flèche ; de près, ils lancent la javeline ; quand ils se sont joints, ils recourent à la massue et à la hache de pierre. On raconte que, près de Nouméa, deux forçats vigoureux s’étaient évadés ; une prime est promise aux indigènes qui les ramèneront. Les forçats sont rencontrés, dans le bois qui leur sert de refuge, par des enfants ; les enfants leur font signe de se coucher à plat ventre. Des hommes habitués à braver le baudrier et le tricorne des gendarmes ne pouvaient que rire de cette injonction. Les jeunes Kanaks insistent, se retirent à distancé et ; du haut des rochers, font pleuvoir sur les réfractaires une grêle de ces’ cailloux oblongs qu’ils savent si bien faire tourbillonner dans leurs frondes. Les coups ne s’égarent pas ; la plupart atteignent les forçats à la tête, leur cassent des dents ; leur meurtrissent la face. Les Européens sont vaincus et doivent s’exécuter. Ils se couchent à terre et sont liés sur-le-champ par les enfants qui les ont réduits. Tous ces détails me sont attestés par le témoin le plus digne d’e foi que je puisse désirer. Comprend-on maintenant le rôle des frondeurs ibères et des lithoboles de l’Acarnanie ? Pesez ensuite dans vos mains la hache de jade du grand chef, voyez comme ce large disque a été solidement ajusté à son manche de bois par les tours multipliés de la corde tissée en poil de chauve-souris, songez avec quelle vigueur il a dû s’abattre sur les crânes que la lutte corps à corps l’appelait à pourfendre ; vous ne vous étonnerez plus des traces de sang qu’a gardées la pierre. Les sauvages ne sont pas désarmés ; les Grecs l’étaient bien moins encore, et leurs champs de bataille ont probablement connu de plus vastes hécatombes que les nôtres. S’ils n’eussent eu l’habitude de livrer leurs morts au bûcher, les monticules que nous remarquons aux plaines de la Troade et que nous avons retrouvés sur les falaises de Baltchik ne seraient pas semblables aux cairns écossais ; ce seraient des montagnes. Pourquoi le combat cesserait-il tant qu’il reste un homme debout, lorsque les combattants sont également acharnés, également endurcis par les jeux du gymnase à la douleur physique ? Fort heureusement pour les Athéniens, Théramène ne s’est pas obstiné à poursuivre les troupes de Pharnabaze ; il les laisse tranquillement opérer leur retraite et se retourne contre les soldats du Péloponnèse. C’en est trop ; les Péloponnésiens eux-mêmes commencent à lâcher pied ; Mindaros, presque seul, fait tête à l’orage. Percé de coups, il tombe enfin, la face tournée vers cette flotte qu’il a cru sauver et que sa mort va, laisser sans défense. Soixante vaisseaux se trouvent à la merci des escadres athéniennes. Les Syracusains mettent, de leurs propres mains ; le feu à ceux qu’ils montaient ; Alcibiade fait jeter les grappins sur les autres et les entraîne triomphant jusqu’à Proconèse. |