VERCINGÉTORIX

 

CHAPITRE XIII. — GERGOVIE.

 

 

I. Prestige et tactique de Vercingétorix après la perte d’Avaricum. — II. Séjour de César chez les Éduens ; préparatifs de la nouvelle campagne. — III. Passage de l’Allier et arrivée devant Gergovie. — IV. Situation de Gergovie ; comment elle fut défendue ; comment on pouvait l’attaquer. — V. Installation de César ; premiers combats ; les Romains occupent La Roche-Blanche. — VI. Première défection des Éduens. — VII. Nouveau système de défense des Gaulois : César prépare l’assaut ; — VIII. Assaut de Gergovie et défaite des Romains. — IX. Départ de César ; jugement sur cette campagne.

 

I

La ruine d’Avaricum était la plus grande infortune que la Gaule eût subie depuis l’arrivée de César : des trois grandes villes dont elle était le plus fière, Bibracte, Gergovie, Avaricum, une déjà disparaissait, et les Romains menaçaient la seconde. De la part de cette race qu’on disait impulsive et frivole, le vainqueur pouvait espérer un irrémédiable désespoir.

Mais jamais Vercingétorix n’eut l’esprit plus net et la volonté plus ferme que dans les heures qui suivirent le désastre.

Il était à craindre que la brusque venue des fugitifs, la misère de leur extérieur, les lamentations qui allaient les accueillir, tout cet attirail imprévu de la défaite, n’amenassent chez les Gaulois l’abattement ou la colère, et ces sourdes malédictions qui présagent la révolte. Aussi, le long de la route qui conduisait d’Avaricum au camp gaulois, le roi des Arvernes avait échelonné les chefs des cités alliées et quelques gens de confiance tirés de son clan : lorsque, après la tombée du jour, les fugitifs se présentèrent, ils furent cueillis plutôt que recueillis, séparés aussitôt, groupés par nations, et acheminés vers l’endroit où campaient les hommes de leurs pays ; là, ils reçurent des vêtements et des armes, ils perdirent la mine de vaincus pour prendre celle de combattants. Tout cela se fit dans le silence de la pleine nuit, et le bruit de la chute d’Avaricum s’amortit rapidement en approchant des lignes gauloises.

Au matin, Vercingétorix convoqua son conseil. Il y arriva aussi calme qu’après une victoire, passant comme à l’ordinaire sous les yeux de tous, et ses regards ne fuyant pas les regards de la foule. Les Gaulois aimèrent tout d’abord cette paisible bravade. Et, quand il parla ensuite devant les chefs, son langage ne démentit pas l’assurance de son allure.

Au lieu de gémir, il accusa : — Tout ce qui arrivait, ne l’avait-il pas prévu, depuis le jour où, malgré lui, la faiblesse imprudente des Bituriges et des autres avait sauvé Avaricum ? Les Gaulois ne savaient-ils pas depuis longtemps qu’ils n’entendaient rien à la science compliquée des forteresses ? — Mais Vercingétorix ne voulut pas récriminer longtemps : C’était aux succès de l’avenir qu’ils devaient tous songer, et ces succès, il les avait préparés, il y touchait, il les voyait presque. — Alors, comme le jour où il avait été accusé de trahison, il lança ses auditeurs dans l’espérance : il montra les autres nations travaillées par ses émissaires, prêtes à se joindre à lui ; il s’exalta enfin à la vision des peuples celtiques, unis par des liens fraternels, et défiant ainsi le reste du monde. Et ce fut devant ce mirage d’une Gaule conquérante que s’inaugura le lendemain de la première grande défaite.

Avec de telles paroles, il fit croire aux siens ce qu’il voulut. Aussi bien, ce qu’il venait de dire de ses prévisions sur Avaricum était la vérité pure ; et ce qu’il avait ajouté de ses espérances sur le reste de la Gaule reposait sur de réelles et sérieuses négociations. On reconnut vite l’un et l’autre, et de toutes parts on célébra et on acclama sa prévoyance. Ce jour-là, où César s’était peut-être figuré les Gaulois brisant le chef qui n’avait pu vaincre, le Romain les vit au contraire groupés autour de lui avec une telle confiance qu’il ne put s’empêcher d’admirer et presque d’envier son rival. Alors que les revers, écrivait-il, diminuent d’ordinaire l’autorité des chefs, ils ne firent que grandir chaque jour l’ascendant de Vercingétorix.

Le roi ne se borna pas à ce succès moral. Il voulut et il fit que les leçons du passé et l’élan de leurs espérances obligeassent ses soldats à peiner et à s’instruire plus encore. Il s’attachait sans relâche à en faire des travailleurs à la façon des légionnaires, à donner à son armée, outre l’audace irrésistible des escadrons, la supériorité calculée des armes savantes. Déjà il avait réussi à former une infanterie légère, semblable à celle des Germains, dont les hommes étaient capables de bien combattre, dissimulés en tirailleurs dans les rangs des chevaux : désormais, les fantassins de Vercingétorix ne seront plus une quantité négligeable. Le lendemain même de la prise d’Avaricum, il avait envoyé des courriers aux nations fédérées, pour obtenir d’elles un supplément d’effectif ; et, comme la précision est la meilleure manière de commander, il avait indiqué un chiffre et une date. Il insista pour qu’on lui envoyât tous les archers disponibles : il n’en manquait pas dans cette Gaule qui fut toujours en Occident le pays classique des tireurs d’arc, mais peut-être, en ce temps-là, les armes de jet servaient-elles plutôt à la chasse que sur les champs de bataille. Vercingétorix espérait, avec raison, que les flèches neutraliseraient les javelots romains, et reculeraient de son armée ce contact immédiat avec les légionnaires qui était toujours sa principale crainte. Dans les places fortes qu’on ne devait pas démanteler, comme Gergovie, il fit tout préparer en vue d’un siège, pour le jour où, pressé par César, il se déciderait à y abriter son peuple et ses alliés ; il y fit élever des boulevards extérieurs, entasser des vivres et des armes de toute sorte.

Enfin, lorsque arriva la seconde nuit après la fin du siège, César apprit la plus surprenante des nouvelles : les Gaulois remuaient les terres autour de leur camp, l’entouraient de fossés et de talus ; ils le fortifiaient à la manière romaine. Tous les soirs désormais, une ville gauloise se dresserait en face de cette ville armée qu’était le camp légionnaire. Pour les Romains, qui se regardaient comme d’inimitables bâtisseurs de camps, qui avaient dominé le monde le jour où ils avaient appliqué cette science à l’ambition de la conquête, il semblait qu’une nouvelle nation voulût leur disputer la primauté militaire dont ils étaient le plus sûrs. Faut-il, disait César, peut-être pour tranquilliser ses soldats, faut-il que ces Gaulois impatients, indociles et paresseux, soient brisés dans leur orgueil : les voici qui s’astreignent à une besogne de terrassiers, à obéir sans murmure, à travailler sans négligence. En conscience, c’était alors qu’il les redoutait le plus. Vercingétorix les façonnait à sa guise, et les journées d’Avaricum furent celles de ses plus beaux triomphes sur les hommes.

 

II

Le long repos que prenait César à Avaricum, sous les premières chaleurs du printemps, était gâté par toutes ces surprises. Il y avait trouvé des vivres et des grains en abondance, son armée s’était refaite de la fatigue et des privations. Mais il s’apercevait que les plus grandes difficultés commençaient à peine. C’eût été une plaisanterie de dire que Vercingétorix avait été vaincu : jamais il n’avait combattu face à César. L’armée gauloise demeurait inviolable derrière ses marécages et ses forêts, plus que jamais dans la main de son chef, et aussi décidée que lui à ne répondre à aucune provocation pour descendre en champ clos. Les suppléments demandés, parvenus au jour indiqué, la complétèrent rapidement, et elle reçut même des renforts inattendus et puissants : Teutomat, le roi des Nitiobroges, arriva de la Garonne avec de nombreux escadrons formés par la cavalerie de son peuple, et avec d’autres, amenés de plus loin, qu’il avait levés ou soudoyés chez les nations de l’Aquitaine, gens de la Gascogne ou des Pyrénées. César était impuissant à barrer la route à ces détachements qui, presque à sa vue, s’en allaient rejoindre le camp de ses adversaires. Les messagers de Vercingétorix, eux aussi, partaient et revenaient à leur gré. Du Nord de la Gaule, le Romain apprenait de mauvaises nouvelles : les peuples belges étaient de plus en plus inquiétants, et le plus grand remueur d’entre eux, celui des Bellovaques, avait refusé l’obéissance à César : si ce dernier ne voulait pas voir de nouveaux ennemis déboucher par les forêts carnutes, il fallait que, de Sens, Labienus prît une vigoureuse initiative. Enfin, au moment où il préparait une double expédition, voici que se posa, plus pressante que jamais, la question éduenne.

Car Vercingétorix, parallèlement aux opérations militaires, conduisait en secret, sans arrêt et sans contrôle, une vaste campagne diplomatique ; dans la Gaule entière, et surtout à Bibracte, ses émissaires, ses amis ou ses hôtes intriguaient, promettaient ou achetaient : ils redoublèrent de zèle pendant et après le siège d’Avaricum. Justement, la situation politique, chez les Éduens, leur devenait favorable.

Les deux partis qui se disputaient le pouvoir, à l’élection du printemps, avaient désigné chacun un vergobret de leur choix : les uns avaient élu Cot, le frère du vergobret sortant, qui représentait un des clans les plus anciens et les plus nombreux de la cité ; les autres avaient préféré un jeune homme plus populaire et moins noble, Convictolitav ; et les deux partis en présence, chefs et clientèles, s’apprêtaient à la guerre civile. Les Éduens, désireux pourtant de l’éviter, envoyèrent une députation de chefs pour solliciter l’arbitrage de César.

Ce que César avait de mieux à faire, c’était de les laisser s’entre-déchirer. Les Romains n’avaient rien de bon à attendre de la nation éduenne, le jour où elle obéirait toute à un seul magistrat ; et, s’il donnait raison à l’un des deux partis, l’autre donnerait raison à Vercingétorix. Puis, il était temps de se remettre en campagne : la belle saison était venue, son armée était reposée. Le proconsul avait résolu de marcher droit à Vercingétorix, toujours immobile dans son camp ; il voulait essayer une fois encore d’attirer hors de ses lignes cet imperturbable temporisateur. A défaut, il tenterait de l’investir : car il ne pouvait guère marcher sur Gergovie sans avoir entamé ses adversaires, aussi dangereux s’ils restaient derrière que s’ils prenaient les devants. Mais pour peu que César s’écartât vers l’Est, les Gaulois réussiraient bientôt h, s’échapper, et il les retrouverait, intacts, par-devant lui.

Le proconsul eut tort de préférer intervenir dans les démêlés du peuple éduen. Comme, suivant la loi de cette nation, il était interdit au vergobret de franchir la frontière, il se décida à se rendre lui-même dans le pays, et il donna rendez-vous à Decize aux deux partis opposés : cette petite ville avait l’avantage d’être sur la route directe de Bourges au Mont Beuvray, et les ponts qu’elle occupait sur la Loire étaient le carrefour des principaux chemins des montagnes et des vallées éduennes.

César amena sans peine toute son armée dans le pays éduen, à Nevers et à Decize : à deux jours de marche au sud-est d’Avaricum, il rencontra Gorgobina et les Boïens, et ce fut dans un pays ami qu’il franchit l’Allier et la Loire. Peut-être, en même temps, rappela-t-il à Nevers Labienus et ses deux légions pour leur donner des instructions nouvelles.

A Decize, ce ne furent pas seulement tous les sénateurs que trouva Jules César, mais leurs hommes, leurs clients, et la nation éduenne presque entière. Quand les passions politiques étaient en jeu, les Gaulois descendaient tous sur la place publique. On eut, dans cette bourgade barbare, le curieux spectacle d’un peuple celtique pêle-mêle avec des légions romaines.

César fit l’enquête sur les élections avec le scrupule qu’aurait eu le plus consciencieux des druides. En quoi encore il eut tort. Car les Éduens ne pouvaient regarder sa diligence que comme une indiscrète curiosité, et le proconsul n’avait chance de profiter de sou rôle d’arbitre qu’en y cherchant son intérêt. Il trouva qu’au fond l’élection de Got était des plus vicieuses : il avait été simplement proclamé par le vergobret sortant, qui était son frère Valétiac, mais c’était la seule chose légale ; car la proclamation avait été faite en secret, en présence de quelques amis, sans l’appareil religieux consacré, à un moment quelconque et dans un lieu profane. De plus, la loi éduenne, qui se défiait des tyrannies de clans, défendait qu’une même famille fournît à la fois deux de ses membres aux conseils do gouvernement : avec l’élection de Got succédant à son frère, c’était une dynastie qui commençait. César avait peut-être là un motif de le préférer. Mais il voulut se faire jusqu’au bout le défenseur de la légitimité : le jeune Convictolitav avait été élu régulièrement, au jour solennel et dans l’enceinte consacrée ; à défaut d’un magistrat, les druides, suivant la coutume, avaient présidé à l’élection. Le proconsul décréta qu’il était le vrai vergobret, força son rival à quitter le pouvoir, réconcilia plus ou moins les deux partis, et les pria de s’unir dans une commune fidélité au peuple romain. L’événement allait montrer que l’union se ferait plus facilement contre lui que sous son patronage.

Les préparatifs de la nouvelle campagne s’achevèrent pendant ce temps. César confia à Labienus l’expédition du Nord, devenue nécessaire ; il lui donna quatre légions, et entre autres deux des plus anciennes, la VIIe et la XIIe, et il y ajouta un contingent de cavalerie. — Car cette fois, César allait avoir à son service, ce qui lui avait manqué au début de l’année, d’assez nombreux effectifs de cavaliers. Quelles que fussent leurs intentions secrètes, les Éduens furent obligés de marcher : en échange de la paix qu’il leur avait rendue, des récompenses qu’il leur promettait, César exigea d’eux un concours immédiat, et l’appui effectif de leurs meilleures troupes. Outre les hommes qu’il confia à Labienus, il désigna, pour l’escorter sur-le-champ, quelques escadrons disponibles, livrés par la meilleure noblesse et commandés par Éporédorix et Viridomar, tous excellents cavaliers et otages plus utiles encore. Le reste des troupes éduennes, dont dix mille fantassins, devaient suivre à bref délai : César leur destinait la mission peu dangereuse de protéger les étapes et d’assurer le ravitaillement. De plus, comme il allait s’enfoncer vers le Sud, et que Sens serait bientôt trop éloigné de lui pour lui servir de dépôt, il en établit un second chez les Éduens mêmes, à Nevers, près du confluent de la Loire et de l’Allier, à égale distance de Gergovie où il se rendait, et de Sens où campait Labienus. Il y laissa tous les otages de la Gaule, de vastes approvisionnements en blé, le trésor proconsulaire, ses bagages propres, ceux de l’armée, sans parler des marchands italiens qui suivaient toujours la piste des armées romaines ; il y fit installer les chevaux de remonte que ses agents avaient récemment achetés en nombre dans les marchés d’Espagne et d’Italie.

Ces précautions prises en cas de retraite. César et son armée quittèrent Nevers et Decize pour se diriger vers l’Auvergne. Comme Gergovie et la Limagne se trouvaient sur la rive gauche de l’Allier, le proconsul gagna le bord de cette rivière, pour la franchir sur le pont qu’il avait traversé quelques jours auparavant (vers le 1er mai).

 

III

C’était la reprise des opérations commencées à Génabum, continuées à Avaricum, la suite de la campagne contre les capitales de la révolte. Puisque Vercingétorix se dérobait aux batailles rangées, on l’obligerait tout au moins à la guerre de sièges.

Mais, depuis près d’un mois que Bourges était tombé, les conditions de la guerre étaient devenues moins bonnes pour César. Son armée s’était affaiblie de deux légions, il avait dû laisser à Labienus quelques-unes de ses meilleures troupes. Entre lui et son légat allaient s’interposer le territoire des Éduens et l’hypocrisie publique de leur peuple : qu’un malheur arrivât, et ils le couperaient facilement de Nevers et de Sens, le bloqueraient dans le cul-de-sac de la Basse Auvergne. Enfin, pendant qu’il perdait son temps à Decize, Vercingétorix, laissé maître de ses mouvements, avait réoccupé derrière lui les coteaux bituriges, et maintenant il attendait les Romains sur la rive gauche de l’Allier. Lorsque César déboucha dans la large vallée de la rivière (à l’ouest de Saint-Pierre-le-Moutier ?), il trouva que les ponts avaient été coupés, et il aperçut, campée sur les hauteurs de la rive opposée, l’armée de Vercingétorix.

César reprit sa route vers le Sud, suivant la rive ; mais Vercingétorix se maintenait à portée du regard, et quand le proconsul s’arrêta, le Gaulois dressa son camp presque en face. Les éclaireurs romains, lancés le plus loin possible, reconnurent que partout, en amont, les ponts étaient détruits ; la fonte des neiges rendait les gués impraticables ; on ne pouvait faire travailler les pontonniers sous la menace des ennemis, d’autant plus que la rive occupée par eux surplombait l’Allier, que celle que suivait César était basse et découverte. Il lui fallait pourtant se hâter, s’il ne voulait pas s’immobiliser jusqu’à la canicule devant ces eaux profondes : car s’aventurer dans les défilés du haut pays pour passer le fleuve près de Gergovie, c’eût été exposer les siens à d’inutiles sacrifices. Il ne restait donc au proconsul qu’à recourir à un stratagème, d’ailleurs banal.

Vercingétorix avait laissé subsister les pilotis du pont de Moulins (?), qui est le principal passage de l’Allier, à l’endroit où cette rivière sort du pays arverne pour entrer chez les Éduens : sur la rive droite, un taillis épais ; sur la rive gauche, des hauteurs boisées. César campa la nuit suivante dans ce taillis, hors de la vue de l’ennemi, et commença à faire couper les poutres nécessaires à la construction d’un pont. Le matin, les bagages et les deux tiers de l’armée sortirent du bois, mais étendus en longue file et disposés de manière à faire croire à l’ennemi que toutes les troupes romaines continuaient leur marche vers le Sud : et Vercingétorix à son tour détala sur leur flanc. César était resté dans le bois avec ses deux meilleures légions : quand, après quelques heures, il jugea les siens et leurs adversaires à une bonne étape de distance, il sortit du fourré, étaya son tablier de charpente sur les pilotis restés en place, lança sur le pont ses deux légions au pas de course, et les fît camper, bien à l’abri, sur la hauteur voisine. Plusieurs heures après, le reste de l’armée, ayant rétrogradé pendant la nuit, traversa la rivière à son tour, et rejoignit le nouveau campement de la rive gauche.

Vercingétorix ne revint point sur ses pas : s’il l’avait fait, il n’eût pas évité la bataille, et il la cherchait moins que jamais. Il avait sur César l’avance d’une étape. Il se replia vers le Sud à marches forcées.

César le suivit, pas assez vite pour pouvoir l’atteindre : il lui fallut encore cinq jours pour faire les vingt-cinq lieues qui le séparaient du but de la campagne ; et quand, de la plaine de Montferrand, les Romains aperçurent enfin la montagne de Gergovie, ils virent se dessiner peu à peu un terrible spectacle, dit César : vers le ciel, les remparts solides de la cité ; le long des flancs, sur les escarpements de toutes les roches, dans les replis de tous les ravins, le sol disparaissait sous des Gaulois en armes. Vercingétorix avait pris les devants, et entouré d’une muraille d’hommes la muraille de pierre de la ville sacrée des Arvernes.

 

IV

Le massif de Gergovie[1] s’étend de l’Est à l’Ouest sur une largeur de près de six kilomètres. Il ferme au Midi la longue et étroite plaine de la Limagne ; il se dresse à l’endroit où les routes qui vont vers le Sud commencent à gravir des pentes plus rudes, et où la vallée de l’Allier s’engage dans de tortueux défilés. Du sommet, par le mois de mai où le siège commença, le regard s’étend sur deux paysages et comme sur deux mondes différents : au Nord, c’est la plaine unie et verdissante, avec l’éternelle buée violette qui l’enveloppe doucement ; au Sud, à l’Est et à l’Ouest, c’est un inextricable fouillis de montagnes, d’où se détachent les sommets dominants des Puys : Gergovie est la citadelle avancée qui garde les sentiers du haut pays et qui surveille les routes et les moissons d’en bas.

Cet horizon renfermait alors les choses les plus saintes du pays arverne : les sources limpides sourdaient des flancs basaltiques et des ravins calcaires du mont gergovien ; deux cours d’eau, l’Auzon au Sud, l’Artières et le Clémensat au Nord, limitaient la montagne et la séparaient sur ces points du reste du monde. A sa base, vers le Levant, le lac de Sarlièves était peut-être le dépôt inviolable des trésors voués aux dieux. Du côté de la plaine un bois sacré couvrait les abords de la colline où devait s’élever Clermont. A l’abri des remparts qui entouraient le sommet, les Gaulois avaient réuni tout ce qu’ils avaient de plus cher, êtres et choses, biens, femmes et enfants, ramenés et transportés à la hâte des fermes de la plaine ou des châteaux de la montagne : Gergovie devenait l’asile des derniers amours et des dernières libertés du peuple arverne. Enfin, au Couchant, se dressait le sommet du Puy de Dôme, la résidence préférée de son plus grand dieu : c’était sous les regards de Tentâtes qu’il allait combattre pour ses autels et pour ses foyers.

A Gergovie, la résistance gauloise trouva, avec le courage que donnent les plus nobles passions, la force d’une position naturelle à peu près inexpugnable. Vercingétorix avait eu raison de ne point craindre d’y laisser venir César.

La montagne s’élève de 703 à 744 mètres au-dessus de la mer, 300 mètres au-dessus de la vallée de l’Auzon, qui coule à 2500 mètres, à vol d’oiseau, du point le plus haut du massif. Le sommet, aplati, présente une esplanade régulière, de la forme d’un trapèze, large de 500 mètres du Nord au Sud, longue de 1 500 mètres de l’Est à l’Ouest, et très suffisamment nivelée sur toute sa surface. La périphérie de ce plateau est d’environ 4 kilomètres, la surface approximative, de 75 hectares. Les limites en sont partout très nettement indiquées par une retombée de la terrasse du sommet, parfois presque aussi nette que l’angle saillant d’une muraille. C’était sur ce plateau que la ville gauloise était assise : elle avait à la fois l’aire vaste et égalisée d’une grande cité de plaine et la hauteur abrupte d’un refuge de montagne.

Les remparts suivaient le rebord du plateau ; ils n’étaient en réalité que le prolongement artificiel des flancs rocheux qui le soutenaient. Du pied même de la muraille, les coulées de basalte descendaient en pentes très rapides : 200 mètres d’inclinaison pour 1 kilomètre, 300 mètres pour 1 200 pas. Mais il y a, à cet égard, une différence sensible entre les deux versants. Au Nord, du côté de la plaine et de l’Artières, et à l’Est, du côté de la route, c’est la taille presque à pic, et interrompue par de profonds ravins : l’escalade est sur ce point fort dangereuse. Au Sud, où la montagne se prolonge vers l’Auzon par une série d’éperons, de plateaux en contrebas et de collines en avant-corps, à l’Ouest également, où elle se rattache à la chaîne des Puys par un col étroit, mais aplani et élevé, il est facile d aborder Gergovie par une montée lente et sinueuse qui adoucisse les rampes, et il n’est pas impossible, pour peu qu’on ait le pied solide et le regard juste, de les escalader rapidement.

Ainsi, au Nord et à l’Est, Gergovie se défendrait presque d’elle-même. A l’Ouest, par où l’attaque était très faisable, les Gaulois se fièrent, pour l’empêcher, aux bois épais qui obstruaient les abords des remparts et qui couvraient le col des Goules et les hauteurs de Risolles (entre le village d’Opme et le plateau de Gergovie). La ville ne paraissait abordable, avec quelque chance de succès, que par le Sud.

Ce fut donc sur le versant méridional que Vercingétorix étagea toute son armée. Il ne commit point la faute de l’enfermer dans Gergovie. De ce côté, en avant et au bas du plateau, le flanc de la montagne présente une sorte de palier naturel qui interrompt les pentes : Vercingétorix fit de ce vaste gradin un boulevard militaire ; il le ferma, au rebord extérieur, par un mur d’énormes rochers, haut de six pieds. Ainsi la montée était coupée au point même où elle devenait plus facile ; l’élan des assaillants serait brisé à l’instant où il allait aboutir. — En avant de ce mur, les pentes restaient désertes. En arrière, sur les terrasses légèrement inclinées qui s’étendaient jusqu’aux remparts de la forteresse, furent massées le gros des troupes gauloises. Elles étaient, comme à l’ordinaire, disposées par nations. Mais on les avait groupées en trois camps, rapprochés les uns des autres, et c’était un ensemble imposant que celui de cette armée entassée sur la montagne, pressée autour de la tente de Vercingétorix. Gergovie, placée en arrière, semblait le réduit de la défense. — Enfin, en dehors du puy gergovien proprement dit, les hauteurs auxiliaires furent occupées par des avant-postes : par exemple la colline de La Roche-Blanche, qui commandait le vallon de l’Auzon. Mais Vercingétorix eut le tort de n’attacher qu’une importance médiocre à ces défenses d’avant-garde et de réserver tous ses efforts à Gergovie et à ses abords immédiats : peut-être était-il décidé à ne disséminer ni ses troupes ni ses points de résistance.

César avait presque espéré se rendre maître de Gergovie par un coup de main : ce qui témoignait chez lui ou de l’ignorance des lieux ou d’une confiance sans limite. Mais, quand il eut reconnu la montagne, et qu’il n’eut aperçu partout que des bois, des rochers, des remparts et des hommes, il s’avoua l’illusion qu’il s’était faite, et il ne songea plus qu’à un siège en règle.

Ce siège même était-il possible ? Les ingénieurs qui avaient fixé les lois de la poliorcétique et défini les systèmes d’attaque, avaient-ils prévu une place de ce genre, à la fois murée, plantée sur des parois abruptes, et hérissée de contreforts ? Les règles ordinaires de l’art classique se trouvaient presque en défaut. — L’attaque de force, comme à Avaricum ? à la rigueur, on pouvait bâtir une terrasse sur le col des Goules et de Risolles : mais quelle hauteur ne devrait-elle pas avoir pour atteindre le rebord du plateau, qui dominait le col de 40 mètres ? et comment faire travailler les hommes sur cet isthme étroit, flanqué de deux dangereux ravins ? Le blocus ? il fallait établir une ligne de circonvallation de vingt kilomètres, à travers un terrain des plus accidentés, tantôt le long de vallées boisées, tantôt sur des roches à pic, et toujours sous la menace des montagnes voisines. — Pour l’un et l’autre de ces systèmes, on avait d’ailleurs besoin de deux ou trois fois plus d’hommes que n’en comptaient les six légions amenées devant Gergovie. — Quelle que fût enfin la résolution à prendre. César devait d’abord asseoir son camp, et il n’avait même pas sous les yeux un emplacement convenable. Où qu’il le posât, à moins que ce ne fût trop loin de Gergovie, les regards ennemis plongeraient dans les rues, devineraient les mouvements, n’ignoreraient que ce qui se passe sous la tente ; pour lui, il était condamné à ne rien voir de ce que les autres préparaient, à ne rien savoir d’eux que par de douteux transfuges. — Le mieux qu’il pût faire, sa reconnaissance achevée, était ou d’appeler Labienus ou de partir pour le rejoindre.

Il demeura seul, espérant un de ces succès d’audace que ne lui ménageait pas sa Fortune.

 

V

Le jour même de son arrivée, Jules César eut à livrer un léger combat de cavalerie, dont il ne nous dit pas quelle fut l’issue. Ce qui prouve qu’il ne tourna pas à son avantage, et ce fut un mauvais présage.

Son camp fut établi le moins mal possible, sur un des mamelons qui bombent les basses terres, entre le lac de Sarlièves et le cours de l’Auzon (sur la colline au nord-est du Petit Orcet). César trouvait là de l’eau, un large espace pour sa cavalerie, il était à une demi-lieue, à vol d’oiseau, des regards des Gaulois, et, s’ils voyaient quelque chose dans son camp, ils le voyaient fort vaguement. Il était enfin maître de la route du Nord, par où les Éduens allaient le ravitailler. Seulement, la position qu’il avait dû choisir était assez médiocre, et se défendit surtout par les retranchements élevés de main d’homme.

Tout de suite, César éprouva de forts ennuis. Vercingétorix tenait son armée bride en main : jamais il n’en fut plus maître que devant Gergovie. Elle comprit que la partie était sérieuse, et elle ne fit ni faux pas ni écart. Plus d’assemblées tumultueuses, plus de ces délibérations agitées où s’émoussait la force du commandement. Sur ce sol familier de la cité de ses ancêtres, auprès de ces remparts et de ces monts dont il était le souverain, Vercingétorix put parler en prince absolu à tous les Gaulois. Cette fois enfin, il apparut comme roi. Il avait réduit son conseil aux chefs des cités alliées, une vingtaine d’hommes seulement, qui se sentaient responsables du salut de tous ; il les réunissait chaque matin, au lever du soleil, non pas pour discuter longuement avec eux, mais pour entendre leurs rapports et donner ses ordres, et pour arrêter ensemble le plan des opérations de la journée.

Presque tous les jours, Vercingétorix leur taillait une besogne à faire. Il envoyait dans la plaine, autour du camp de César, des escadrons de cavalerie et ses nouveaux détachements d’archers. Le proconsul était obligé de faire sortir ses hommes, et ils étaient sans doute souvent battus, puisqu’il ne nous dit pas qu’ils furent jamais vainqueurs : si parfois les Gaulois étaient serrés de trop près, ils n’avaient aucune peine à se replier à l’abri sur leurs rochers, loin de la portée des frondes et des javelots. Vercingétorix se tenait non loin de là, regardant combattre les siens, appréciant leur valeur, jugeant ce qu’il pouvait demander à chacune de ses troupes. Il les exerçait ainsi, plutôt encore qu’il ne les exposait, et les abords du camp romain étaient transformés par lui en un champ de manège.

La situation devenait humiliante pour César. Coûte que coûte il devait se dégager, tenter quelque chose du cité de cette masse de hauteurs qui commandaient son camp.

La plus rapprochée de lui et la plus éloignée de Gergovie était celle de La Roche-Blanche. Bien isolée, escarpée de toutes parts, elle était un excellent poste d’observation et de retraite, comme une petite citadelle en face de la grande : elle dominait à la fois les ravins méridionaux de Gergovie, où étaient campés les Gaulois, et la vallée de l’Auzon, qui leur fournissait leurs principales provisions d’eau et de fourrage. La Roche-Blanche avait une bonne redoute : mais la garnison était de médiocre importance, et campée tout entière du côté de l’Est, où était César ; sur les autres points, les Gaulois se croyaient, suivant leur erreur habituelle, gardés par les bois et les fourrés qui garnissaient les flancs de la colline. Ils ne se sont jamais, dans ce siège et dans cette campagne, défiés des embûches qu’abritent les forêts.

Une nuit, César envoya par la gauche, dans les bois de La Roche-Blanche, les meilleurs de ses légionnaires. Le matin, il commença lui-même l’escalade à droite, à découvert, avec d’autres troupes : les Gaulois ne s’occupèrent que de cette attaque. Pendant ce temps, rampant à travers les taillis, les soldats de l’embuscade arrivaient et fondaient sur eux par derrière. La garnison fut culbutée, avant qu’un secours ait pu descendre de Gergovie.

La Roche-Blanche était séparée du camp romain par un vallon de plus de deux kilomètres. Rien n’était plus facile aux Gaulois que d’isoler les deux positions. Mais César installa sur la colline deux légions ; il en fit son petit camp. De l’un à l’autre poste, il fit creuser, parallèlement à l’Auzon, deux tranchées larges de six pieds chacune : une route à demi souterraine relia ainsi ses deux camps, et pouvait en quelques minutes amener les légions d’un point à l’autre.

Une petite ville romaine commençait donc à s’élever au pied de Gergovie. César se décidait, la chose était visible, pour le système de la circonvallation. Il avait achevé le premier secteur de la ligne d’investissement : depuis le lac de Sarlièves jusqu’à La Roche-Blanche, la montagne gauloise était bloquée au Sud-Est par des ouvrages continus. — Mais c’était un quart à peine de sa périphérie, et le plus facile à fermer. César aurait-il le temps, la patience et les hommes pour continuer l’œuvre sur tous les côtés ?

En tout cas, il avait besoin, pour cela, de ramener à lui toutes ses légions, tous ses auxiliaires, de s’assurer d’immenses convois de vivres et de machines. Or, au moment où la première tâche sérieuse du siège était terminée, le service des étapes était désorganisé par la révolte du contingent éduen.

 

VI

César avait décidément commis une faute en réconciliant les deux partis éduens : s’il les avait laissés se battre, il aurait été certain d’en avoir un pour allié. Puis, entre les candidats, il avait eu l’imprudence de choisir le plus jeune. A peine fut-il arrivé et occupé devant Gergovie, que le vergobret Convictolitav, qui lui devait le pouvoir, se déclara contre le peuple romain, et entraîna avec lui l’élite de la jeunesse.

Le proconsul a écrit qu’il avait été acheté par Vercingétorix, et qu’il partagea avec ses complices l’or de la trahison. Mais le vergobret alléguait de très bonnes raisons pour juger le métal arverne plus généreux que la protection romaine. — L’arbitrage de César, dans l’affaire de l’élection, n’était-il pas un outrage au droit et aux lois éduennes ? Le pays, depuis six ans que durait la guerre, s’épuisait pour lui de grains et d’hommes. Nevers était devenu un vaste campement romain. Plus de dix mille Éduens étaient ou allaient être à la merci du proconsul ; devant Gergovie, les plus nobles de leurs cavaliers lui servaient d’otages. Les négociants italiens s’étaient installés aux bons endroits, à Nevers, à Bibracte, à Chalon, et de là pressuraient le pays et monopolisaient les grandes entreprises.

Il n’était point nécessaire des statères d’or de Vercingétorix pour que l’aristocratie éduenne s’aperçût de ces vérités. Mais la multitude s’en rendait moins compte, et ne paraissait pas désireuse de suivre ses chefs contre Jules César. On eut recours à une ruse assez grossière pour la décider.

Un des chefs du complot, Litavicc, fut mis à la tête des dix mille hommes qui étaient prêts pour rejoindre le camp romain. Ses frères prirent les devants pour débaucher les cavaliers qui combattaient devant Gergovie. Litavicc partit avec ses hommes, sans leur rien dire : il escortait un immense convoi de vivres et de bagages destinés à l’armée proconsulaire ; des Italiens, qui se rendaient auprès de César, se placèrent sous sa sauvegarde. Ni Romains ni Gaulois ne se doutèrent qu’ils allaient à la trahison.

A trente milles environ de Gergovie (au passage de l’Allier à Vichy ?), Litavicc s’arrêta plus longuement, et, les larmes aux yeux, annonça aux Éduens que leurs amis, leurs parents ou leurs patrons, ses frères tout comme les autres, avaient été exécutés par ordre de Jules César. Cette race d’hommes, écrit l’auteur des Commentaires, est ainsi faite qu’elle accepte pour vérité la plus fantaisiste rumeur. La foule se hâte de croire Litavicc. Sur un signe de son chef, elle massacre les Italiens et pille le convoi. En quelques heures, la révolte gagnait tout le pays éduen, et partout s’y renouvelaient les scènes du jour de Génabum : les citoyens romains égorgés, expulsés ou réduits en esclavage, et leurs biens saccagés. Alors, excitée par l’appât du butin et la complicité du vergobret, la plèbe accepta de combattre César. Mais les Éduens n’osèrent pas encore toucher à Nevers.

Le coup fait, l’armée de Litavicc reprit sa route, et atteignit Randan, à 25 milles du camp de César. Les Romains, déjà coupés de Nevers, allaient être pris entre les nouveaux venus et l’armée de Vercingétorix.

Mais les chefs de la cavalerie éduenne qui servaient près de César, Eporédorix et Viridomar, jugèrent qu’il n’était pas encore temps pour eux de trahir : peut-être furent-ils jaloux de l’initiative prise par Litavicc. Ils refusèrent d’écouter ses frères, et l’un des deux dénonça le complot au proconsul.

César raconte qu’en apprenant ces nouvelles au milieu de la nuit, il éprouva une profonde angoisse. Mais elle fut courte, et il se sauva, comme déjà si souvent, par la rapidité de ses décisions et de ses actes. Les frères de Litavicc s’enfuirent dans Gergovie, les autres Éduens protestèrent une fois de plus de leur dévouement. Le matin, toute la cavalerie, quatre légions, sans bagages, armés à la légère, partirent avec César sur la route du Nord. Il ne laissa devant Gergovie que deux légions, sous les ordres de son légat C. Fabius : il ne se donna même pas le temps de concentrer les troupes dont il lui confiait la garde. Avant tout, il avait résolu d’arrêter les Éduens, le plus loin possible, et de les arrêter de gré ou de force.

Ce fut moins une marche qu’une course échevelée. Le soleil était encore fort haut, que les Romains avaient parcouru les 25 milles qui les séparaient de Litavicc.

César, bien entendu, ne voulait risquer une bataille qu’à la dernière extrémité. A l’approche des Éduens, il commanda halte à ses légions, et fit avancer sous les regards de l’ennemi, l’arme au repos, les cavaliers de son escorte, et, parmi eux, ces mêmes nobles éduens que Litavicc avait déclarés égorgés par son ordre.

L’effet de ce spectacle fut tel qu’il l’avait prévu. La foule des Éduens passa en un instant d’un sentiment à l’autre, se reconnut trompée par Litavicc, l’abandonna, et acclama César. La victoire était gagnée par le proconsul : il avait frappé un coup de théâtre, la versatilité gauloise fit le reste.

On ne sait trop ce qu’il advint de ces soldats éduens : en tout cas, ils furent mis quelque part en sûreté, sous les ordres de Cavarill et à la disposition de César, qui se fit gloire auprès de leur nation de ne les avoir point massacrés. Litavicc trouva moyen de s’échapper et de rejoindre Vercingétorix ; et c’est à celte occasion que les Romains admirèrent la puissance et la solidarité du clan gaulois : pas un des clients de Litavicc ne refusa de le suivre dans celle extrémité.

César accorda trois heures de repos à ses soldats, à l’entrée de la nuit. Puis il reprit la route de Gergovie. Presque à moitié chemin, il reçut de ses camps et de Fabius de désastreuses nouvelles.

A peine s’était-il éloigné que les troupes de Vercingétorix s’étaient précipitées de la montagne contre les positions romaines. Toute la ligne des camps avait été attaquée, non pas dans une folle tentative d’assaut, mais prudemment, sous la protection de décharges continues de flèches et de traits de tout genre. Il avait fallu que Fabius mit en branle son artillerie, qui avait seule sauvé la situation. Le jour durant, aucun légionnaire n’avait pu quitter les retranchements, trop étendus pour leur petit nombre, alors que les Gaulois lançaient sans cesse des troupes fraîches. Beaucoup de Romains étaient blessés. Le soir, Fabius avait fait ajouter des parapets blindés aux remparts et condamner toutes les portes, sauf deux : car il s’attendait, pour le lendemain, à une nouvelle attaque.

César fit doubler le pas à ses soldats, et put rejoindre Fabius avant le lever du soleil. Il y avait vingt-quatre heures qu’il était parti ; ses soldats avaient fait 75 kilomètres, 50 milles : ce fut leur plus belle marche. Et cette expédition d’un jour, entre Litavicc et Vercingétorix, rappelait aux Romains leur campagne du Métaure, entre Hasdrubal et Hannibal.

Seulement Vercingétorix, à la différence d’Hannibal, refusa de reconnaître son mauvais destin : il se borna, quand il vit César de retour, à ne point bouger de Gergovie.

 

VII

Les deux adversaires se retrouvaient dans leurs positions de l’avant-veille. Mais l’armée romaine était harassée par la marche ou les combats ; les communications avec Nevers étaient moins faciles, et les vivres plus rares. Les Éduens envoyèrent des députés faire amende honorable, et César les reçut avec une parfaite bonne grâce : mais il ne fut point leur dupe, et savait que c’était seulement partie remise.

Il comprit enfin qu’il fallait arrêter le siège, abandonner Gergovie, gagner Nevers et Sens, rejoindre Labienus tant que les routes étaient libres encore. Et cependant, il ne put se résigner à donner le signal d’un départ qui ressemblait à une fuite, à quitter des yeux une proie qu’il convoitait depuis tant de semaines. Il commit une dernière faute, en rêvant jusqu’à la fin que sa Fortuné lui fournirait une revanche, lui apporterait la chance d’un coup de main. Dans ces journées où il sent que là défaite le guette. César a perdu sa netteté d’esprit et son ferme bon sens : la vue de cette montagne et de cette armée proches et invincibles l’agace et l’exaspère, et ses soldats, comme lui, s’énervent à ne pouvoir escalader ces roches et mutiler ces visages. Il leur paraît à tous que la majesté du peuple romain est compromise, s’ils s’éloignent sans avoir fait quelque chose de bien.

Un jour, Jules César eut la surprise joyeuse de se voir offerte l’occasion cherchée.

Vercingétorix avait lieu de croire que le proconsul voulait continuer l’investissement de la ville en prolongeant ses lignes au nord-ouest de La Roche-Blanche, par-dessus le col des Goules ou les hauteurs de Risolles (entre Opme et le plateau). C’était du reste ce que les Romains avaient de mieux à faire : car, de là, ils domineraient les vallons du Nord, les seuls où les Gaulois pussent encore fourrager, et ils seraient maîtres d’une autre des routes, et des moins difficiles, qui conduisaient à Gergovie. Jusqu’ici, comme on l’a vu, Vercingétorix s’en était remis, pour la défense de la ville sur ce point, à l’étroitesse de l’isthme, aux dangers des ravins, à l’épaisseur des bois qui hérissaient cette croupe, et il n’avait tout au plus fait occuper par ses hommes que le versant du col qui faisait face au petit camp de César. Mais, depuis la mésaventure de La Roche-Blanche, il se méfiait des bois et des embûches ; il ne voulut pas risquer de perdre ces hauteurs d’avant- garde avec la même facilité que celle des bords de l’Auzon ; et dès le retour de César, il employa son armée à fortifier le massif de Risolles (le long du chemin d’Opme au plateau). Si le proconsul avait eu l’intention de s’y installer, ce qui est fort possible, son adversaire l’avait devancé. Tandis que le Romain étendait sa ligne d’attaque, le Gaulois allongeait sa ligne de défense. L’élève en poliorcétique devenait digne du maître.

Mais, pour construire ce nouveau boulevard, Vercingétorix avait dû dégarnir de troupes les pentes gergoviennes qui faisaient face, au Nord, à La Roche-Blanche. César, en tournée d’inspection sur le petit camp, remarqua l’absence de cette armée qui, quelques jours auparavant, semblait tapisser la montagne. Il s’étonna, interrogea les transfuges qui affluaient autour de lui, et apprit d’eux la cause de ce changement.

De ce qu’il sut alors, le proconsul pouvait tirer deux conclusions : l’une, qu’il ne prolongerait ses lignes de blocus qu’au prix de nouveaux combats ; l’autre, qu’il fallait profiter de la dispersion des Gaulois pour tenter l’escalade. Il décida qu’elle aurait lieu le lendemain. C’était la dernière de ses espérances qu’il engageait.

Pendant la nuit, il prépara tout en vue de confirmer Vercingétorix dans la crainte d’une attaque sur ce massif de Risolles que le Gaulois se hâtait de fortifier. Ce fut, dans le grand camp (?) romain, un branle-bas général : des escadrons sortent en tumulte, se dispersent de côté et d’autre, pour remonter ensuite le vallon vers l’Ouest dans la direction des hauteurs de Risolles (vers le sommet coté 723). Au petit jour, une file de cavaliers, nombreux, casques en tête, s’engagent dans le même sens (par la vallée de l’Auzon et le ravin d’Opme) : ce sont, il est vrai, de simples muletiers, déguisés en soldats, tandis que leurs bêtes, dégarnies des bâts, ont été travesties en chevaux de guerre : mais de Gergovie nul ne peut voir la supercherie, et du reste, il y a, à côté de ces soldats d’emprunt, quelques vrais cavaliers qui ont ordre de se montrer le plus près possible de l’ennemi. Enfin, c’est une légion entière qui s’avance sur le flanc des hauteurs (par le versant Nord de La Roche-Blanche et le pied du Puy de Jussat ?). Tout ce monde, s’enfonçant dans la vallée par de longs circuits ou des sentiers divers, se dirige également vers les collines où travaillaient les Gaulois. Brusquement, la légion pénètre dans un bois, au pied des hauteurs, et y demeure cachée (entre Jussat et Chanonat ?). Vercingétorix, qui suit ces va-et-vient, ne doute plus que l’attaque ne soit prochaine sur le point menacé, et rappelle le reste de ses troupes des trois camps qui faisaient face à César : il n’y laisse que quelques traînards, comme le roi Teutomat, et on était si tranquille de ce côté que le chef agenais, en méridional qu’il était, ne renonça pas à faire sa sieste ce jour-là.

Le proconsul, voyant les Gaulois partis, prit ses dispositions pour l’assaut décisif de Gergovie. Par les couloirs qui réunissaient les deux camps, les soldats romains sont venus à La Roche-Blanche, en petits groupes, enseignes baissées, panaches couverts. César a maintenant sous ses ordres cinq légions presque entières, et il ne reste dans le grand camp que les Éduens.

Ceux-ci feront diversion à droite en gravissant lentement la montagne par les sentiers de l’Est ou du Nord. La XIIIe légion, avec le légat T. Sextius, se tiendra en réserve à La Roche-Blanche ; la légion favorite de César, la Xe, et le proconsul au milieu d’elle, demeurera en avant du petit camp, en arrière des combattants, pour les soutenir et donner la main aux différents corps. Enfin les trois autres, vieilles troupes aguerries (la VIIIe, et sans doute la IXe et la XIe), auront la gloire de monter à l’assaut : il y a dans leurs rangs les plus robustes, les plus têtus, les plus bravaches des centurions, ceux sur lesquels César peut le plus compter à l’heure des casse-cous : L. Fabius, de la VIIIe, qui vient de jurer qu’il monterait le premier sur le rempart gaulois ; M. Pétronius, lui aussi de la VIIIe, un des sous-officiers les plus souples et les plus solides de toute l’armée.

Quelques mots encore furent adressés par le proconsul aux légats de ces trois légions. Que le soldat ne perde pas de temps à tuer ou à piller. Il s’agit de courir et de grimper, et non pas de se battre. Pas de combat : mais de la vitesse, du jarret, et un coup de main. Puis le signal fut donné, vers midi.

 

VIII

Les douze mille hommes des trois légions s’ébranlèrent, au pas de course, du sommet de La Roche-Blanche, gravirent les pentes opposées et arrivèrent au pied du boulevard extérieur avant que Teutomat fût éveillé de sa sieste. Le mur était vide de défenseurs, ce fut un jeu de l’escalader. Les trois camps furent emportés. Teutomat n’eut que le temps de s’enfuir, le torse nu, et sur un cheval blessé. Mais, malgré l’ordre de César, quelques Romains musèrent un peu à piller sous les tentes des chefs gaulois.

Le proconsul s’approchait plus lentement. Il arrivait avec la Xe légion au pied de la montée. Quand il vit les soldats déjà débandés, quand il aperçut de plus près ces 150 pieds de roches aiguës ou glissantes qui portaient les murs de Gergovie, quand il comprit que Vercingétorix et les siens allaient paraître sur les remparts, il s’avoua l’imprudence des ordres qu’il avait donnés, il fit sonner aux trois légions le signal de la retraite, et il arrêta sur-le-champ les enseignes et les hommes de la Xe (au nord et au pied de La Roche-Blanche ?).

Mais il était trop tard : le son de la trompette s’assourdit dans les profondeurs de la vallée qui séparait La Roche-Blanche de Gergovie ; les légats et les tribuns ne furent pas écoutés ; les légionnaires étaient encore sous l’influence des excitations brûlantes du départ, et ils reprirent leur course, à travers les tentes gauloises, vers les murs et les portes de Gergovie.

Au moment où ils atteignirent le talus sur lequel était assis le rempart, les Gaulois n’étaient point encore de retour. Il n’y avait sur la muraille que quelques femmes, folles d’épouvante, qui hurlaient, et qui, la poitrine nue, les mains tendues et ouvertes, les cheveux épars, suppliaient les Romains de les épargner : les unes jetaient de l’argent et des étoffes pour les arrêter, les autres se faisaient descendre pour se livrer à eux. Les vieux centurions, songeant au butin de Gergovie, ne s’arrêtèrent pas à cette première proie. L. Fabius, porté à la courte échelle par trois hommes de son manipule, arriva le premier au sommet des remparts, comme il l’avait juré, et d’autres, aidés par lui, montèrent à leur tour. M. Pétronius, en bas, s’acharnait, à la tête des siens, contre une porte qu’il voulait briser. Gergovie allait être entamée : déjà s’entendait par toute la ville la sinistre clameur des cités prises d’assaut, la course précipitée des fuyards qui gagnaient les portes libres.

Subitement, la scène changea. Les femmes, se retournant vers Gergovie, agitent et montrent leurs cheveux dénoués, soulèvent leurs enfants, les présentent dans un cri d’appel et de courage. Ce sont les Gaulois qui apparaissent, accourus au bruit et à la nouvelle, qui arrivent au galop de leurs chevaux, et qui, sautant en bas de leur monture, prennent la position de combat, derrière le parapet du rempart et autour des portes. Puis, après les cavaliers, les fantassins surviennent ; chaque minute amène de nouveaux combattants ; les assiégés ouvrent les portes, et la véritable bataille s’engage.

Les Gaulois avaient pour eux le nombre, l’extraordinaire avantage de la situation, la vigueur toute fraîche des corps reposés. Les Romains étaient essoufflés par la course, la montée et l’effort. En un instant, César voit ses légions disloquées, et leurs fragments environnés par l’ennemi qui déborde de toutes parts. Elles allaient être prises entre le mur de la ville et le boulevard extérieur comme dans une souricière. — Il fit alors avancer ses deux réserves. Des cohortes de la XIIIe et Sextius reçurent l’ordre de sortir du petit camp et de remplacer la Xe dans le vallon où celle-ci s’était tenue jusque-là : mais il les écarta plus à gauche, de manière à menacer le flanc droit de l’ennemi, s’il s’aventurait vers le bas. Le proconsul et la Xe se portèrent en avant, commencèrent à leur tour l’escalade de la montagne, puis s’arrêtèrent (sur la croupe en avant et au sud-est du village de Gergovie ?), à un endroit d’où l’on pût suivre les moindres détails de la partie qui se livrait sur les flancs de la cité.

Le combat faisait rage sur les murs et autour des portes ; les corps des combattants s’enchevêtraient ; les Romains ne faiblissaient pas. Soudain, une dernière fois, la scène changea. Les Éduens, venus du grand camp par un long détour, débouchèrent (vers la ferme de Gergovie ?) sur la droite des légionnaires. C’était un secours : il n’y avait pas à en douter, les nouveaux venus avaient le bras droit découvert, signe qu’ils appartenaient aux Gaulois auxiliaires. Mais les Romains en étaient à cette exaltation de la bataille, où l’homme ne sait plus ni regarder ni réfléchir, où la force de sa vue et de sa pensée se limite au sol qu’il piétine et à l’adversaire qu’il étreint : et voyant vaguement des Gaulois arriver, ils s’imaginèrent que c’était un nouveau flot d’ennemis qui s’abattait sur eux et que le bras nu n’était qu’un stratagème. — Ainsi, les deux ruses imaginées par César tournaient au profit de son adversaire : la diversion faite par les Éduens démoralisait ses propres troupes, et sa dernière légion, perdue au loin dans les bois de l’Auzon, lui manquait au moment décisif.

La débandade commença. L. Fabius et ses camarades furent tués sur les remparts, et leurs corps jetés d’en haut. M. Pétronius, à lui seul, malgré ses blessures, arrêtait les Gaulois à la sortie d’une porte : ce qui donna le temps aux hommes de son ‘manipule de se mettre à l’abri. Quand ils furent disparus tous deux, les assiégés eurent facilement raison du reste : 46 centurions, un quart exactement de ceux qui étaient engagés, furent massacrés ; la VIIIe légion, la plus compromise, fut décimée ; les survivants n’eurent que le temps de se précipiter du haut du boulevard.

César, à la vue de la défaite, avait échelonné ses deux légions de réserve sur la ligne de combat : la Xe, plus près encore de la bataille, mais sur un terrain plus uni (le village de Gergovie ?), où elle put se former en rangs réguliers ; derrière elle, la XIIIe s’approcha pour la soutenir (sur la croupe que la Xe venait de quitter ?).

Les fuyards arrivèrent, puis l’ennemi, et la Xe légion eut, à son tour, à recevoir le choc des poursuivants. Elle les arrêta un instant, puis elle dut se replier sur celle de Sextius, et toutes deux, avec les débris des trois autres. regagnèrent la plaine (en avant de Donnezat ?), harcelées sans relâche par l’ennemi.

Là, elles purent enfin se ranger en ordre de bataille, à portée de nouveaux secours, à l’abri des machines et de leur camp, et elles attendirent, de pied ferme, une dernière attaque. Sur ce terrain plus plat, formées en lignes pressées, elles allaient reprendre leurs avantages.

Mais Vercingétorix, d’un ordre, arrêta toutes ses troupes au pied de la montagne, et les fit rentrer dans leurs lignes reconquises.

 

IX

Même après ce désastre, et devant ces ravins où avaient roulé les cadavres de près de sept cents de ses meilleurs soldats. César redouta de désespérer. S’attendait-il, de la part des Gaulois, à quelqu’une de ces imprudences où la joie de la victoire entraînait leur fougue naturelle ? Voulut-il seulement, comme il l’écrivit, rendre du cœur à ses soldats ? Toujours est-il que le lendemain, il fil sortir son armée et former le front de bataille (sur le Puy de Marinant ?). Vercingétorix ne quitta passa montagne, et se borna à envoyer quelques cavaliers, qu’il laissa battre.

Le jour suivant, César offrit encore le combat. Personne, semble-t-il, ne sortit de Gergovie.

Il leva alors son camp et reprit la route du Nord (début de juin ?).

La défaite qu’il venait de subir n’était pas due seulement à la faiblesse de ses effectifs et de ses positions. Elle était la conclusion de cet entêtement continu qui l’avait arrêté pendant un mois devant une ville imprenable, usant les forces de ses soldats dans l’illusion avant de les briser contre des murailles. Le lendemain de la bataille, il leur avait fait de cruels reproches : ils les méritaient moins que lui-même. Si, la veille, ils ne s’étaient point arrêtés à temps, n’était-ce pas la faute de leur proconsul, qui n’avait cessé de leur inspirer le désir d’un coup de main ? et, s’il avait donné le signal de la retraite, c’était après avoir imprimé l’élan de l’escalade.

Depuis la fin d’Avaricum, le mérite de César s’était obscurci, la valeur de Vercingétorix n’avait fait que s’accroître. Le roi des Arvernes n’avait attaqué les Romains qu’à l’endroit précis où il pouvait les battre. Sous les regards de ses dieux, il leur avait immolé des centaines de victimes au pied des remparts de sa ville natale. Durant ces longs jours d’incertitudes et de peines, il avait su imposer à ses soldats le calme devant l’ennemi et la fatigue des viles besognes. Jules César, l’homme du commandement froid et impeccable, avait vu ses propres centurions refusant d’écouter leurs chefs et n’obéissant qu’à un désir de combattre ; et Vercingétorix avait arrêté d’un mot, aux approches du camp romain, la course victorieuse de ses Gaulois.

 

 

 



[1] Voyez la note III à la fin du volume.