VERCINGÉTORIX

 

CHAPITRE V. — CELTILL, PÈRE DE VERCINGÉTORIX.

 

 

I. Politique et alliances du sénat en Gaule. — II. Révolutions aristocratiques. — III. Cimbres et Teutons en Gaule. — IV. Celtill : reconstitution de l’empire arverne. — V. L’aristocratie arverne renverse Celtill. — VI. Formation des deux ligues arverne-séquane et éduenne. — VII. Victoire de la première avec l’aide des Germains. — VIII. Le parti national : Orgétorix et Dumnorix.

 

I

Les Arvernes et la Gaule celtique, au lendemain de la défaite de Bituit, jouissaient d’une liberté beaucoup plus grande que celle qui resta, après Cynocéphales, à la Macédoine et à la Grèce. -Les soldats romains ne franchirent pas les Cévennes ; dans les deux vallées du Midi, ils s’arrêtèrent à Toulouse sur la Garonne et à Vienne sur le Rhône. Au delà de ces limites, aucun délégué, que l’on sache, ne s’aventura pour parler au nom du sénat et du peuple romain. Le voisinage de la Province ne pouvait être importun que par l’excès d’initiative des marchands italiens : mais les Celtes les accueillaient avec joie, ils recevaient d’eux ce dont ils étaient le plus friands, des amphores d’excellent vin et des poignées de nouvelles.

Cependant, le sénat ne se désintéressa pas des affaires d’au delà des Cévennes. Ses générosités étaient d’ordinaire sans lendemain, et il ne renonçait jamais à une convoitise qui lui avait été une fois ouverte. Sa politique en Gaule ressembla à celle de Flamininus en Grèce, avec une allure plus discrète ou plus insouciante II se prépara à toute éventualité d’ambition romaine, et pour cela chercha à se créer, chez les Celtes, des amis et un parti.

Les amis, le sénat les choisit avec discernement. Le principal adversaire qui le gênait en Gaule était toujours la nation arverne ; sans être souveraine, elle demeurait la plus forte. Elle conserva sans doute ses clientèles du plateau central : par les vallées du Tarn, de l’Aveyron et du Lot, ses alliés menaçaient la Garonne, romaine jusqu’à Toulouse ; par la plaine de l’Allier, elle avait sa voie de conquête tracée vers le Nord. Les Romains renouvelèrent ou conclurent des traités d’alliance avec les peuples qui pouvaient fermer ces deux routes aux revanches arvernes.

Le confluent du Lot et de la Garonne appartenait aux Nitiobroges d’Agen : leur roi fut déclaré par le sénat l’ami du peuple romain. Les Éduens étaient maîtres du confluent de l’Allier et de la Loire : ils continuèrent à être traités en amis et alliés, avec beaucoup d’égards. Rome consentit même à ce que ce peuple barbare s’appelât son frère : étrange et rude fraternité, qui complétait l’alliance politique par une communion mystique de sang et de race.

Plus loin encore vers l’inconnu, mais toujours dans les deux mêmes directions, le titre d’ami fut donné à un roi aquitain à l’Ouest, au roi des Séquanes dans le Nord.

Ces alliances servaient à la fois les intérêts militaires et commerciaux de Rome. La province proconsulaire de la Gaule se composait surtout de deux roules, celle de l’Aude et Garonne, et celle du Rhône. Les Nitiobroges à Agen, les Éduens à Mâcon, tout en surveillant le flanc de la puissance arverne, dégageaient pour le négoce rentrée de ces deux routes dans le monde barbare : ils se faisaient, comme hôtes et amis, les fourriers du peuple romain.

 

II

Surveillés de côté, les Arvernes étaient contenus d’en haut. Rome leur laissait lois et liberté ; mais on a tout lieu de croire qu’elle ne leur permit que les chefs qui pouvaient lui plaire. Or le sénat n aimait point les grandes royautés : il y avait, entre elles et lui, incompatibilité d’ambitions. Les principaux obstacles à sa domination universelle lui vinrent des rois, Pyrrhus, Philippe, Antiochus, Persée, et en ce moment même Mithridate ; Hannibal, tout compte fait, fut roi hors de Carthage. Les aristocraties, qu’elles fussent italiennes, grecques ou celtiques, étaient moins dangereuses pour le sénat : aucune n’avait des velléités conquérantes excessives, presque toutes regardaient la noblesse romaine comme un idéal, elles lui ressemblaient, l’enviaient ou l’imitaient ; et, surtout, elles désiraient gouverner leur peuple comme le sénat paraissait gouverner le sien. Ce fut sur elles que les chefs de Rome s’appuyèrent, aussi bien chez les peuplades gauloises qu’à Athènes ou à Capoue.

Chez les Arvernes, les Romains firent si bien, que l’aristocratie fut désormais le seul gouvernement possible. Ils confisquèrent la famille royale : Bituit et son fils restèrent dans le Latium. L’historien qui rapporte ce détail ajoute que ce fut dans l’intérêt de la paix. La noblesse arverne, qui put prendre alors l’autorité, dut savoir gré au sénat de cette intention pacifique.

Cette ruine du pouvoir royal ne fut point, à celle époque, un fait particulier aux Arvernes. Nombre de cités de la Gaule traversaient alors la même révolution politique que Rome et les villes latines au temps des Tarquins. La vieille royauté, qui était héréditaire, militaire, et peut-être aussi sacerdotale, y luttait péniblement contre les chefs de clans, les patriciens gaulois. Les grandes familles se lassaient d’être gouvernées par une lignée qui ne leur paraissait que la première d’entre elles. Le régime aristocratique, çà et là, se substituait à la monarchie. Les peuples dépendirent alors uniquement de leurs chefs de clans, réunis en sénat, dirigés par un magistrat annuel, le vergobret, sorte de juge suprême qu’ils choisissaient dans leur rang.

Ces révolutions occupèrent fort les Gaulois entre la défaite de Bituit et l’arrivée de César : elle fut, chez les Arvernes, la conséquence de la victoire de Rome. Le sénat ne la provoqua peut-être pas ailleurs : nulle part il ne la vit avec déplaisir ; le parti aristocratique lui fournit, par exemple chez les Éduens, ses meilleurs amis.

 

III

Les conséquences de ces luttes de partis et de la ruine de la royauté arverne se firent sentir rapidement. Rome fut l’agent destructeur de la patrie gauloise.

En 125 avant notre ère, l’empire celtique était le plus brillant de l’Occident barbare, il en était aussi le plus utile. Il contenait à la frontière du Rhin les migrations germaniques. Quand il se fut disloqué, aucune nation ne présenta une surface assez grande pour les arrêter. En 110 (?), les Cimbres et les Teutons franchirent le fleuve.

Entre la Marne et la Moselle, les peuples belges furent assez forts et assez unis pour écarter l’invasion. Il ne fallait qu’un peu de cœur et d’entente pour imposer le respect à ces hordes naïves. Elles refluèrent vers le Sud.

De la Marne aux Pyrénées, le courage manqua aux Celtes désunis. Ce ne fut pas une déroute, mais une de ces paniques effroyables qui saisissent les foules au moment des inondations subites. Les bandes germaines envahirent, dévastèrent, recouvrirent toutes les campagnes ; la population se réfugia dans les bourgades fortifiées, îlots de résistance au milieu de terres submergées. La Gaule fut frappée de la même manière qu’elle devait l’être, six cents ans plus tard, par d’autres troupes transrhénanes. Pendant des semaines, les envahisseurs allaient et venaient au pied des villes investies, et il y eut de telles misères que les Gaulois durent s’entre-dévorer.

Les Arvernes, qui avaient les plus riches plaines, les trésors les plus abondants, et les forteresses les plus solides, furent sans doute ceux qui souffrirent le plus et qui résistèrent le mieux. Enfin les Barbares s’écoulèrent dans la province romaine, et la vie normale reparut en Gaule au milieu de ces ruines.

Au temps de l’empereur Vespasien, le légat Cérialis faisait en ces termes l’apologie de l’œuvre romaine : Sans nous, la Gaule était impuissante contre les Germains : elle est la terre favorite de leurs convoitises éternelles ; mais ses divisions l’ont toujours empêchée de se protéger contre eux. Cérialis ne dit point quel peuple avait été l’auxiliaire de ces divisions. Si au lieu de nations rivales, les Cimbres et les Teutons avaient rencontré Bituit, il y aurait eu de belles batailles en Gaule.

 

IV

Les temps qui suivirent sont pleins d’incertitudes. Un seul fait s’en dégage avec netteté. L’unité de la Gaule, ou pour le moins de la Gaule celtique (entre les Cévennes et la Marne) fut un instant reconstituée, et elle le fut, cette fois encore, au profit des Arvernes. Il y eut, vers l’an 80 avant notre ère, un nouvel empire de la Gaule, sous le principat de la nation de Bituit.

Mais cet empire et l’Auvergne elle-même ne furent pas alors, comme au temps de Luern et de son fils, entre les mains d’un roi. La monarchie était de moins en moins populaire dans les cités gauloises. La fédération se fit sous le régime de la magistrature, et non pas de la royauté. Les Arvernes avaient à leur tête, comme vergobret ou comme chef militaire, un des leurs, Celtill, et celui-ci était en même temps le dictateur de la Gaule confédérée, comme le consul de Rome était le chef de la ligue latine. — Tout cela est certain, si César, qui nous l’a fait entendre, ne se trompe pas. Mais ce qui va suivre n’est qu’une hypothèse.

Il est possible que les hommes de cette génération aient sincèrement voulu réparer le mal que Rome et les Cimbres leur avaient fait. Un ennemi barbare (et les Germains ne pouvaient être que des Barbares pour les Celtes) allait sans relâche déverser en delà du Rhin des masses d’hommes toujours plus nombreuses. Les Gaulois, maintenant installés chez eux, étaient à leur tour sous la menace de ce péril d’invasion qu’ils avaient eux-mêmes fait si longtemps courir à la Grèce et à l’Italie. L’union

du plus grand nombre pouvait seule les sauver. Ils renouèrent les liens que les générations précédentes avaient formés autour des Arvernes. Peut-être les druides aidèrent-ils à ce groupement, qui servait les intérêts de leur propre association ; peut-être encore, dès ce temps-là, les Celtes eurent-ils l’idée d’assemblées générales, d’un conseil politique de la Gaule semblable à ces grandes assises religieuses que les prêtres de toutes les nations organisaient dans la forêt des Carnutes. En dépit de nombreuses défaillances, la pensée de l’unité gauloise continuait à vivre.

 

V

Mais la notion d’un grand empire se séparait rarement de celle d’une grande monarchie. Ce fut un roi que ce biturige Ambigat dont les Gaulois célébraient encore la légendaire domination. Bituit avait eu, de la royauté, la réalité et l’appareil. Celtill aspira à lui ressembler, et à changer son litre contre celui de roi.

Ce Celtill fut, sans nul doute, un chef semblable à d’autres chefs, mais plus riche et plus influent que ses rivaux. Nous devinons sans peine comment il procéda, l’histoire est banale dans l’antiquité. Il avait plus d’amis que les autres nobles, plus d’esclaves, de mercenaires, de clients, de parasites et de débiteurs. Un parti put se former autour de lui, plébéien, militaire et monarchique ; et ce parti ne différa guère de ceux que groupèrent les Pisistrates à Athènes ou Manlius à Rome, guettant la royauté de leur nation à travers la faveur populaire et le prestige de la gloire des armes.

Les autres chefs furent les plus forts. Ils réservèrent à Celtill le sort prévu par la coutume des peuples anciens contre les aspirants à la tyrannie, celui que les patriciens avaient infligé à Manlius. Il fut condamné à mort. Le jugement fut solennel, public, porté par la cité tout entière contre celui qui avait voulu lui faire violence. Puis l’exécution eut lieu : l’usage était que le coupable pérît sur le bûcher, voué aux dieux du peuple outragé.

Les Arvernes frappèrent l’homme et ne touchèrent pas à la famille. Ils ne lui imputèrent pas le crime de son chef. C’est ainsi qu’après l’expulsion de Tarquin le Tyran ses congénères demeurèrent à Rome et purent aspirer à la gouverner par des moyens légitimes ; aucune grave malédiction ne fut portée non plus contre la race dont Manlius était sorti. Les dieux se contentaient d’abord de la victime désignée par la faute.

Le frère de Celtill, Gobannitio, conserva chez les Arvernes son rang et son influence. On peut même soupçonner ce Gobannitio d’avoir aidé à renverser son frère. Les aspirants à la tyrannie eurent souvent dans leur famille leurs pires adversaires : Brutus et Tarquin Collatin fondèrent contre le chef de leur clan le gouvernement des patriciens de Rome ; et l’Éduen Dumnorix, qui rêvera d’imiter Celtill, se heurtera à son frère Diviciac. Gobannitio allait devenir un des gardiens les plus vigilants de celte autorité des grands que son frère Celtill avait tenté de renverser.

Celtill laissait un fils en bas âge, nommé Vercingétorix. Les Arvernes furent plus cléments pour lui que les Romains ne l’avaient été pour le fils de Bituit. Celui-ci avait partagé la captivité de son père : Vercingétorix conserva, non seulement la vie et la liberté, mais l’héritage du condamné. On lui laissa ce dont les dieux l’avaient fait héritier, cette richesse en hommes et en choses qui pouvait lui permettre de conquérir dans son pays la situation réservée aux hommes de sa race.

 

VI

Une fois encore l’unité de la Gaule fut brisée après la mort de Celtill. Cependant, le morcellement ne fut pas absolu. Toutes ces convulsions militaires et politiques, ces alternatives d’union et de désunion, laissaient aux cités gauloises, en même temps que l’impuissance à former un empire, le regret de vivre isolées. N’avait-on pas vu en Grèce, après le groupement de tous les peuples à Platées, se constituer les deux ligues de Sparte et d’Athènes, compromis entre le besoin de s’entendre et l’instinct de se combattre ?

Quatre coalitions se formèrent entre le Rhin et l’Océan, les Cévennes et la Garonne, dans le domaine qui restait aux Gaulois encore libres. Les peuples situés de l’embouchure de la Seine à celle de la Loire fondèrent la fédération de l’Armorique, qui sans doute fut maritime aussi bien que terrestre. Les nations de la Belgique, auxquelles l’invasion des Cimbres avait donné le sentiment de leur force et de leur solidarité, demeurèrent groupées pour la plupart autour des Suessions. Mais les deux principales ligues furent celles qui reconnurent la suprématie des deux grands États de la Gaule centrale, les Arvernes et les Éduens.

Entre ces deux États et ces deux ligues, l’hostilité fut aussi constante qu’entre Sparte et Athènes, Israël et Juda. La Gaule était vraiment un pays à deux têtes. La rivalité entre les deux peuples se répercutait dans les moindres cités, dans les cantons, dans les clans, dans les familles mêmes. Il devait y avoir des amis des Arvernes chez les Éduens, et inversement, comme Athènes eut ses amis à Sparte.

Les deux nations suzeraines s’appuyaient sur des cités clientes et sur des peuples amis. On a déjà nommé la clientèle habituelle des Arvernes, les gens du Velay, du Rouergue, du Quercy, du Gévaudan. Les Éduens avaient sous leur dépendance particulière les peuples du Forez, du Beaujolais et de la Bresse. — Les deux rivaux s’étaient acquis chacun une alliance utile et puissante parmi les nations de premier ordre. Les Bituriges du Berry, qui commandaient vers la Loire moyenne les abords du plateau de l’Auvergne, s’étaient unis aux Éduens ; il en fut de même des Sénons, leurs voisins dans les vallées de l’Yonne et de la Seine, ce qui assurait aux nobles du Morvan un débouché dans le bassin de Paris. Mais en revanche les Séquanes de la Franche-Comté, qui disputaient aux Éduens lès deux rives et les péages de la Saône, avaient accepté l’alliance des Arvernes : car ce fut une cause ordinaire de jalousie entre les cités gauloises que la possession des deux bords et le monopole des droits sur les rivières importantes. — Au delà de la Marne, les Belges ne se désintéressèrent pas absolument de ces querelles : des liens d’amitié, sinon de clientèle, se nouèrent entre les Éduens et l’une de leurs principales nations, les Bellovaques.

En dehors de la Gaule, l’un et l’autre parti cherchèrent des appuis : ils ne répudièrent pas plus l’accord avec l’étranger que les Grecs d’aucune époque. Les Éduens demeurèrent de plus en plus attachés au peuple romain, et leurs chefs, comme Diviciac, finirent par apprendre le chemin de Rome et l’hospitalité des sénateurs en vue. — Contre les Romains, protecteurs dangereux de leurs adversaires, les Arvernes eurent recours à des auxiliaires germains, qui pouvaient devenir plus redoutables que les Romains eux-mêmes. D’autant plus que le sénat, ayant tour à tour sur les bras Mithridate, Sertorius, Spartacus, les pirates et Catilina, ne pouvait guère, au nord du Rhône, envoyer que des formules et des décrets.

 

VII

Ce qui devait se produire arriva. Au lieu d’avoir les Germains en grosses masses, comme au temps des Cimbres, la Gaule les eut par bandes. Il y avait toujours, sur l’autre rive du Rhin, des hordes germaniques à la recherche d’aventures et de terres. A l’appel des Arvernes et des Séquanes, il en accourut quelques-unes sous les ordres d’Arioviste. Les Éduens furent battus (71-61 av. notre ère).

Le parti opposé triompha. Mais comme, dans les dernières affaires, c’étaient les Séquanes et non les Arvernes qui avaient eu le principal rôle, le premier de ces peuples prit pour lui la prééminence dans la ligue qui l’avait emporté. Les chefs de Besançon eurent le pas sur ceux de Gergovie. Au fur et à mesure que les Germains se mêlaient des choses celtiques, l’axe politique de la Gaule se déplaçait. Il reculait vers l’Est. Bientôt, il semblera passer même chez les Helvètes.

Les Séquanes, avec l’appui d’Arioviste, essayèrent davantage. Ils voulurent imposer leur suprématie, aux Éduens et à leurs amis. Il semble qu’ils aient réussi, et que par là une certaine communauté de dépendance fût rétablie chez les Celtes de la Gaule centrale.

Il est à peine besoin d’ajouter que jamais union ne fut plus précaire et plus nominale. D’abord les, Éduens ne cessaient de grincer des dents et d’invoquer le sénat. Puis Arioviste se persuada qu’il valait mieux travailler pour son propre compte : il se fit remettre les otages et les tributs qui revenaient de droit aux Séquanes ; il s’installa chez eux en se faisant octroyer le tiers de leurs terres ; il demanda bientôt d’autres territoires pour de nouvelles troupes qu’il appelait. — Il y avait cinquante ans, la Gaule avait vu la bande germaine qui détruit et qui s’échappe ; elle voyait maintenant celle qui s’arrête et qui s’établit. Déjà apparaissait dans son histoire cette succession de faits qui, quatre ou cinq siècles plus tard, constitueront les invasions germaniques.

Arioviste, commandant aux Séquanes auxquels la Gaule paraissait soumise, revendiquait avec outrecuidance l’empire des nations celtiques, comme, après la défaite de Bituit, le sénat romain avait cru pouvoir y prétendre.

Le sénat de ce temps, celui de Cicéron, fort occupé des affaires intérieures ou des triomphes orientaux de Pompée, comprit assez mal ces événements lointains de l’Occident. Les députés gaulois qui vinrent le trouver contribuèrent médiocrement à l’éclairer. Ne sachant plus quel peuple favoriser, il les caressait tous également. Le roi des Séquanes, la nation éduenne, n’étaient-ils pas également ses amis ? En 89 même, on donna à Arioviste ce titre convoité, comme si l’on sanctionnait par là ses prétentions sur la Gaule. Peut-être les sénateurs bornaient-ils leur politique à souhaiter à tous ces Barbares une haine réciproque.

Mais que les Gaulois, suivant leurs penchants, se rassurent ou s’inquiètent. Cette indifférence de Rome ne sera pas éternelle. Deux faits se produisent, l’un qui légitime, l’autre qui annonce son intervention. — En 61, un sénatus-consulte de quelques lignes promet assistance au peuple éduen, et cela devait suffire le jour où un proconsul aurait le désir de franchir le Rhône au confluent. Et deux ans plus tard, en 89, César reçoit ce proconsulat des Gaules dont il attendait la gloire et la richesse.

Comme la Grèce prise entre Philippe et le sénat, la Gaule voyait à son horizon un double nuage, celui de Rome qui se formait lentement vers le Sud, celui de la Germanie qui éclatait déjà dans le Nord.

 

VIII

Le seul moyen de salut qui lui restât était dans l’union de toutes ses cités. Un pouvoir respecté au-dessus de chaque peuplade, les chefs de nations étroitement fédérés : peut-être n’était-il pas trop tard pour réaliser ce dessein. Les plus grands chefs de clans des principales nations résolurent cette tentative : Orgétorix chez les Helvètes, Dumnorix chez les Éduens, Castic chez les Séquanes, un autre chez les Bituriges. Le complot ne paraît pas avoir eu d’adhérents chez les Arvernes : Vercingétorix, le fils de Celtill, était fort jeune encore, et les autres chefs de son peuple ne furent pas compromis dans cette entreprise.

Les conjurés s’unirent entre eux par des mariages, présages de la confédération future. Orgétorix donna sa fille à Dumnorix, et tous deux devinrent les vrais artisans du complot national. Chacun chez soi, les chefs devaient se mettre à la tête des mécontents et de la tourbe des plébéiens, et préparer dans leur cité la chute de l’aristocratie et le rétablissement à leur profit de la royauté. Orgétorix serait roi des Helvètes, Dumnorix, des Éduens ; Castic, dont le père avait été roi chez les Séquanes, reconquerrait le titre dont les nobles l’avaient écarté. Enfin les Helvètes s’apprêtèrent à quitter leur pays, où ils étaient trop nombreux, pressés par les Germains et bloqués par la montagne ; ils se fixeraient quelque part dans les grandes plaines vacantes de l’Ouest : mais, en cours de route, leur armée, brochant sur toute la Gaule, en assurerait l’empire à Orgétorix, Dumnorix et leurs amis (61-59 avant notre ère).

Malgré toutes ses discordes, la Gaule n’avait donc point perdu le goût de la liberté et le sentiment national. La pensée de devenir un seul empire végétait toujours dans les diverses cités. Le patriotisme celtique était, comme le panhellénisme, un sentiment léger et subtil, se dissipant sous le souffle d’un orage plus fort, se reformant aussi vite qu’il se dispersait. A tous les moments de crise, il se leva des hommes d’une ambition intelligente pour dire que, s’il fallait avoir des maîtres, mieux valait obéir à des Gaulois. Entre les alliés de Rome et les victimes des Germains, Orgétorix et Dumnorix constituèrent un tiers parti, fédéral et national, monarchique et populaire, et ils se liguèrent pour rétablir l’union faite jadis par l’arverne Celtill.