HISTOIRE DE LA GAULE

TOME VIII. — LES EMPEREURS DE TRÈVES. - II. - LA TERRE ET LES HOMMES.

CHAPITRE VII. — L'ESPRIT PUBLIC.

 

 

I. — LA PATRIE ROMAINE[1].

La confiance n'avait cependant point fléchi en cet Empire plus fort que tous les désastres et qui ressuscitait à l'heure même de l'agonie. Nul ne s'imaginait qu'une autre forme de l'État pût s'établir sur la terre[2]. Rome venait de célébrer le millénaire de sa fondation, et l'on pourrait bientôt célébrer le cinquième centenaire de César imperator universel et de la Gaule province romaine[3]. Maintes fois, depuis cinq cents ans, les Barbares avaient franchi le Rhin bien peu de ceux qui l'avaient traversé en ennemis étaient rentrés dans leurs foyers ; Mayence et Cologne, si souvent menacées ou détruites, avaient toujours réparé leurs remparts ; et à portée de la frontière, Trèves, un siècle durant, avait servi de résidence à l'empereur et de capitale à la Gaule et à l'Occident, demeurés romains et victorieux.

La Victoire était devenue la déesse symbolique de l'Empire[4]. C'était son autel qui donnait une valeur sacrée à la salle des séances du sénat romain[5] ; c'était son image que les Augustes recevaient à leurs fêtes solennelles[6], comme un talisman qui ferait de leur règne un chaînon de plus dans la succession éternelle des triomphes impériaux. En la Victoire se condensaient quelques-unes des énergies les plus puissantes de la foi religieuse et de la pensée politique du monde ancien[7] : elle ressemblait à cette Terre-Mère, créatrice et régulatrice de la vie humaine[8], qui gouvernait la Gaule depuis des milliers d'années ; elle était sœur de la Minerve qui inspire, de la Junon qui commande, de la Fortune qui enrichit[9] ; et s'il y avait encore un Gaulois qui se souvint des croyances de ses ancêtres, il pouvait voir en elle l'épouse ou la mère de Teutatès, père du peuple. La Victoire protégeait les villes populeuses comme une Cybèle couronnée de tours[10] ; elle étendait ses ailes sur les blés qui mûrissent dans la campagne[11] ; elle veillait dans la chapelle du palais impériale[12] ; elle était Rome même montée au ciel, l'avatar divin de la Ville Éternelle[13].

Aussi, quand les empereurs chrétiens firent enlever de la salle du sénat l'autel de la déesse, ce fut chez les Romains de vieux lignage un noble et patriotique désespoir[14]. leur sembla que Rome allait périr avec son symbole, ils sentirent cette profonde angoisse qui avait assailli Julien à la veille de sa mort, lorsqu'il vit en songe le Génie du Peuple Romain, triste et découragé, prêt à quitter pour toujours le prince qu'il animait[15].

Mais l'autel de Dieu remplaça partout celui de la Victoire, et la croix du Christ tendit ses bras là où la déesse avait déployé ses ailes. César Auguste fut regardé comme l'élu du Seigneur, qui lui avait confié la mission d'avancer son règne parmi les hommes ; et l'Empire romain resta une société divine, protégée par le ciel et son image sur la terre[16].

A la vue de cette image, le passé païen de Rome était volontairement oublié ou pardonné par les apologistes chrétiens des heures impériales. A quatre siècles. d'éloignement, ils retrouvaient par leur foi en l'Église Universelle les dithyrambes et les enthousiasmes que la paix latine avait inspirés aux contemporains d'Auguste ; on eût dit que la lumière romaine[17] allait briller d'un éclat nouveau, comme si elle était devenue le rayonnement de l'étoile des Mages. A Virgile saluant l'avènement d'Octave sur le monde[18] l'Espagnol Prudence répondait en évoquant la naissance du Christ dans l'Empire[19], et ces deux poètes encadraient par leurs vers les siècles des Césars, comme par les rythmes conjugués d'une longue églogue. La terre, disait le pieux poète, ne vit plus en cités dispersées ; il n'y a plus qu'une âme pour des milliers de corps. Par les victoires de Rome s'est faite l'unité du genre humain ; la voie est prête : l'univers s'ouvre pour les victoires du Christ.

Tel était alors le mot  d'ordre dans l'Élise, elle voulait voir en l'œuvre des Romains le prélude à l'œuvre de Dieu, l'ébauche de la cité future[20] : en quoi elle rapetissait la puissance de son Dieu, puisque la vertu divine ne doit pas avoir besoin, pour dominer le monde, d'empereurs qui seraient ses fourriers et de légions qui seraient ses avant-gardes. Mais en parlant ainsi, les évêques et les poètes du régime nouveau faisaient éclater à dessein la conversion définitive des empereurs au Christianisme  et des Chrétiens à l'Empire, et, accord imprévu, ils escomptaient l'éternité et la souveraineté pour les deux puissances du jour, celle d'Auguste et celle de Dieu, l'État et l'Église. De même que l'Église se proclamait universelle, de même l'État prétendait commander au monde. Constance empereur chrétien, s'était intitulé le maître de toute la terre[21]. Les païens avaient raillé cette formule[22] : mais c'était en oubliant qu'on avait dit pareille chose d'Auguste et glorifié dans son Empire la manière d'être de l'univers[23]. Car la terre romaine ne renonçait à aucune des illusions qu'avaient semées les héros des siècles de conquêtes.

Païens et Chrétiens, rhéteurs d'Antioche ou prêtres d'Occident, tous entonnaient ensemble l'hymne de gloire à Rome immortelle. On vient d'entendre les paroles de Prudence ; et tout près de lui, c'est un Gaulois païen qui écrit les plus beaux vers qu'ait jamais inspirés la ville des grands triomphes humains[24] : Tu es la reine, tu es la déesse et la maîtresse ; tu as fait une seule patrie de nations innombrables ; de ce qui n'était qu'une cité tu as fait le monde[25]. A la date où ce Gaulois parlait ainsi, Rome avait déjà été prise par les Barbares, et un chef de Germains s'apprêtait à devenir roi dans la Gaule[26]. Mais dix siècles de confiance étaient plus forts sur les âmes que les misères du jour et les menaces du lendemain Rome, pensait-on, imposerait sa loi aux successeurs du Goth Alaric qui l'avait ravagée[27], ainsi qu'elle avait jadis vaincu et subjugué les héritiers du Celte Brennus qui l'avait incendiée.

L'Empire romain venait d'être  divisé en deux parties[28], l'Occident latin et l'Orient grec, et chacune d'elles avait un empereur. Mais la chose paraissait de peu d'importance. Il n'y avait toujours sur l'espace qu'un seul peuple romain et qu'un seul Empire[29], et, dans le temps, que deux consuls, qui allaient marquer sur les fastes de la terre le dernier siècle d'un millénaire de révolutions célestes[30]. D'ailleurs, les deux moitiés de l'Empire appartenaient à deux frères : c'était un héritage indivis en droit et partagé pour l'usufruit. Les hommes de la Gaule et ceux de l'Orient se disaient également Romains et concitoyens, à la manière dont les fidèles des deux contrées se disaient Chrétiens et frères. Trois siècles auparavant, Marc-Aurèle avait donné à son frère la moitié de l'Empire a, depuis Dioclétien, les partages en avaient été nombreux et variés ; sous la République même, les proconsuls ou les triumvirs s'étaient distribué les provinces entre eux. L'unité du monde romain n'avait jamais été brisée pour cela, pas plus que l'unité de l'essence divine n'était rompue par les personnes de la Trinité[31]. Plus que jamais, la patrie d'en bas rappelait la patrie céleste.

 

II. — LES MAUVAIS CITOYENS.

À n'entendre que ces pieuses métaphores ou ces poésies éloquentes, on admirera en l'élite de ce temps un patriotisme éclairé et sincère.

Je ne parle toujours que de l'élite : car il est bien probable que le commun peuple, que les prolétaires ou les  esclaves s'intéressaient médiocrement à Rome et à l'Empire ; l'éclat de la lumière latine ne descendait pas jusqu'à eux ou ne suffisait pas à les réchauffer ; ils ne connaissaient plus l'État que par l'agent recruteur qui les expédiait aux armées ou l'agent fiscal qui leur soutirait quelques sous d'or. Les Césars n'avaient rien fait pour leur apprendre à aimer la cité : et à comprendre les devoirs exigeait. Leur vrai chef était celui qui leur assurait le pain quotidien et quelques jouissances, le patron s'ils étaient libres, le maître s'ils étaient esclaves ; et au cas où un roi barbare viendrait leur garantir une bonne nourriture ou un butin inespéré, ils iraient à lui sans vergogne[32]. Le patriotisme n'avait point pénétré dans ces foules, que jamais les empereurs ne songèrent à éduquer.

Le Christianisme, très certainement, a diminué encore en elles la fidélité à l'Empire, le sens du devoir public. Il ne faut pas demander aux malheureux, aux déshérités de l'esprit ou de la fortune, trop de sentiments, trop d'obligations, une complexité trop grande de respects ou d'obéissances. Le plus souvent, une seule autorité leur suffit, ils sont les hommes d'une consigne, d'une dévotion exclusive, ils ne s'entendent point aux complications de la vie morale, à concilier les contradictions des nécessités terrestres. Pendant cinq siècles, on leur avait montré Auguste au-dessus de tout, saint sur la terre et au ciel, Jupiter sur le trône de Rome, salut du genre humain : en suivant ses ordres, ils satisfaisaient à leur invincible besoin de se soumettre à un dieu, et ils remplissaient leur rôle de citoyens. Voici maintenant qu'un autre Dieu s'est dressé au-dessus de l'empereur ; il a son autel et son temple dans la ville, et Auguste n'y a plus les siens ; c'est en son nom que se célèbrent les fêtes populeuses, que l'évêque bénit les foules, que lès saints guérissent les malades, que les morts sortent du tombeau, que la vie éternelle est promise à tous. Qu'importe maintenant autre chose à des êtres à la fois naïfs et passionnés ? Auguste ne les intéresse plus, le nom de Rome leur est indifférent[33], ils savent à peine ce qu'est un citoyen ou un ennemi, l'approche des Barbares ne leur fait point perdre une heure de solennité religieuse, et ils préféreront toujours la prière devant l'autel à la garde sur les remparts. Je ne dis pas qu'une telle attitude de la foule plébéienne n'ait pas sa grandeur et sa beauté. Mais nous n'avons à parler ici que du salut de l'Empire, et non pas du salut des âmes ; et ces pieux rassemblements dans les églises aux heures précises des grands périls de l'État, rappelaient par leur imprudence et leur aveuglement le fanatisme de multitudes d'autrefois ivres de joie dans les amphithéâtres des villes assiégées.

Mais l'élite, elle aussi, a ses mauvais citoyens, ou, plutôt, elle unit au plus ardent des patriotismes la plus sotte  mésintelligence des devoirs publics.

On a souvent reproché[34] au Christianisme d'avoir causé la chute de l'Empire romain et de l'avoir livré aux Barbares. Ainsi formulé, ce reproche est absolument injuste. Certes, les Chrétiens ont eu une très large part dans les misères politiques et morales qui mirent fin au règne de Rome ; et je viens d'indiquer les errements de la foule, et j'indiquerai bientôt les erreurs de ses chefs. Mais aucun des fidèles de Jésus ne trahit l'Empire de parti pris, par haine ou par mépris[35]. Les rancunes à l'endroit des persécuteurs étaient depuis longtemps obscurcies par l'admiration sans bornes qu'inspiraient les princes chrétiens, Gratien ou Théodose. On n'en voulait plus au régime d'avoir produit de mauvais tyrans. Cet Empire où l'Apocalypse avait vu l'œuvre monstrueuse du Démon[36], était maintenant le vestibule du ciel des élus. Obéir à l'empereur, disait un soldat chrétien, c'est servir Dieu.

Si le Chrétien fit tort à l'Empire, c'est parce qu'il ne sut point comprendre la vraie manière de l'aider et de le sauver. Ses fautes lui vinrent, non pas de ce qu'il se fût désintéressé de Rome, mais de ce qu'il ne s'est pas rendu compte des véritables intérêts de la patrie. Il a péché par ignorance, par légèreté, par confiance, agissant et parlant à tort et à travers : il n'a point péché par mauvais vouloir. — Et le païen a été aussi imprudent que lui. Comme manque de sens politique, comme responsabilité dans la décadence et la chute, je ne sépare pas les sénateurs dévots à la Grande Mère et les chefs des Églises chrétiennes. Les uns et' les autres n'eurent point la même manière d'être coupables ils le furent tous également. Jamais société publique n'entraîna davantage au suicide le régime qu'elle était chargée de soutenir.

Voici un pamphlétaire chrétien qui exalte la paix rendue à l'Église par Constantin, et qui invective contre les tyrans de la dynastie dioclétienne. Qu'il leur reproche violemment d'avoir massacré des fidèles, cela va de soi, et il a raison. Mais il s'élève avec la même virulence contre leur système d'impôts, le cadastre des terres, la levée des soldats, le partage de l'Empire en provinces[37]. A son compte, il eût fallu que l'Empire maintint son unité et sa force sans tributs, sans armées et presque sans chefs. Je doute qu'il le pensât en son âme et conscience mais les ignorants qui l'écoutaient s'enivraient à ces paroles d'anarchie.

Paulin de Bordeaux, évêque de Noie, est un charmant homme, écrivain de goût, prêtre convaincu et de sentiment fort délicat. Il a quitté le service de l'État pour devenir prêtre ; je ne l'en blâme pas, comme le fit son maître Ausone[38] : car c'est encore servir l'État que de gouverner les âmes d'un diocèse. Mais quand les Barbares s'approcheront de sa ville, il écrira que le signe de la croix suffit à les écarter[39]. Si ses ouailles ont pensé comme lui, cet excès de foi chrétienne ressemblait singulièrement à un acte de désertion.

Beaucoup de Chrétiens ont pu, à l'époque des persécutions et même dans les années de transition où l'Église s'organisa, répudier le service militaire ou les fonctions municipales, qui comportaient mille obligations à formules païennes. Mais l'Église s'est entièrement assagie, et elle est maintenant en très bons termes avec l'armée et la curie, devenues franchement chrétiennes. Il n'empêche que la piété conserve à l'endroit de la vie publique des préjugés d'indifférence ou de suspicion qui leur enlèvent d'utiles serviteurs. A quoi bon ces innombrables jeunes gens fiancés à l'Église[40], ces vierges éternellement consacrées à Dieu, tous ces êtres qui renoncent aux joies les plus naturelles de la famille, et qui refusent à l'Empire les enfants nécessaires à sa vitalité ?[41] A quoi bon, à plus forte raison, tous ces moines de la Gaule théodosienne, ces solitaires qui pullulent dans les petites îles de la Méditerranée, pleins de mépris pour le genre humain, incapables de s'occuper, croupissant dans la misère pour ne point travailler ?[42] Un Chrétien n'est point dispensé du service militaire : mais s'il veut de venir prêtre, ce qui est la secrète ambition de bien des fidèles, il faut qu'il renonce à porter les armes[43]. La milice du Christ exclut la milice de César[44].

A quoi bon enfin, dans les livres d'histoire que les Chrétiens se sont mis à écrire, ces diatribes contre les victoires de l'ancienne Rome[45], ces énumérations complaisantes de ses fautes ou de ses crimes[46], ces prédictions de nouveaux malheurs et de ruines prochaines ?[47] Dans ce monde que tant de dangers menaçaient, une vision apocalyptique n'était qu'un danger de plus elle ne pouvait que démoraliser les âmes, énerver les volontés, préparer les cœurs aux lâchetés des pires résignations.

Mais l'élite intellectuelle des païens fut ni moins sotte ni moins imprudente.

Tout d'abord, elle attribua à cette valeur intellectuelle une trop large importance. A trop célébrer dans l'Empire romain l'éclat de sa lumière, le charme de ses poètes et l'éloquence de ses orateurs, elle finit par s'imaginer que l'esprit suffirait à gouverner le monde, et que l'admiration de Virgile et l'imitation de Cicéron assureraient lin empire éternel aux héritiers d'Auguste et de César. Une belle parole de rhéteur paraissait à ces clarissimes un talisman aussi efficace que le signe de la croix à l'évêque Paulin. Ils mettaient l'art de la rhétorique sur le même rang que le maniement des armes à l'effet de dominer les hommes. Je ne dis pas qu'ils eussent tort en principe, mais l'heure n'était pas à la prépondérance de la toge ou de la trabée ; et quand un rhéteur félicitait Julien de choisir pour gouverneurs des hommes éloquents[48], il jugeait aussi mal des choses que le Chrétien qui félicitait Théodose de consulter les moines[49]. Les uns, à force de prier, les autres, à force de parler, faisaient perdre aux Romains le besoin d'agir, la notion même de l'acte. Le laisser-aller des douces habitudes continuait à envelopper les familles de la noblesse[50]. Elle avait trop de richesses, trop d'esclaves, trop de culture même, pour connaître l'effort intensif et régulier du travail. Ses écrits littéraires n'étaient que les passe-temps de gens riches qui perdent leur temps. Aucun d'eux n'eut l'idée que l'homme pût faire une œuvre utile en s'appliquant à une tache périodique et matérielle. L'industrie, le commerce, les arts plastiques eux-mêmes, leur paraissaient une besogne sordide ou l'affaire de salariés[51] Chrétiens ou païens ignoraient plus que jamais la vertu divine ou le mérite social du travail.

Ni les misères du siècle précédent, ni les périls de l'époque contemporaine n'ont servi de leçon à ces beaux esprits ou à ces grands seigneurs. Les événements ont passé sur eux sans laisser de trace en leurs âmes. Tels ils vivaient et pensaient sous Aurélien, tels ils vivent et pensent sous Théodose. On dirait qu'ils ne se souviennent plus de ces trois invasions qui, au temps de Gallien, de Probus et de Constance II, ont failli engloutir pour toujours le monde civilisé sous les vagues des brigands de Germanie. Ils continuent à aimer Rome et à posséder la terre ; mais ils ne feront rien de ce qui est utile pour protéger Rome et conserver la terre. Lé service militaire leur est odieux, et il leur parait contraire à leur dignité non pas seulement de porter des armes, mais même de commander à des hommes en armes. Jamais l'histoire n'a vu une aristocratie aussi obstinément enfermée dans la vie civile, et cela, au moment même où l'Empire romain retentissait partout du bruit des armes, de l'appel aux remparts et de la clameur des garnisons. Plus encore que la pieuse anarchie des Chrétiens, voilà ce pacifisme élégant de l'aristocratie romaine, la cause profonde de la ruine de l'Empire et de sa soumission aux Barbares.

 

III. — LES BARBARES DANS L'EMPIRE.

Les leçons de l'histoire servent rarement aux chefs de peuples[52] : ils peuvent connaître les faits du passé, ils n'en perçoivent pas le sens, ou ils ne l'appliquent pas aux questions du jour. Aveuglés par la jouissance ou le souci du présent, ils ne savent pas réfléchir sur les causes des événements ou les approches des périls, et ces hommes que le hasard a chargés de diriger la vie des nations, ignorent plus que tous les autres les lois qui président à cette vie. Les empereurs du quatrième siècle avaient appris les guerres puniques et les malheurs de Carthage, la plus grande ennemie de Rome : et ils dirigeaient Rome, avec une rare inconscience, dans la voie même où s'était perdue Carthage ; ils faisaient de l'Empire un État où une aristocratie de richesse se laisse défendre par une armée de mercenaires étrangers.

Tôt ou tard cette armée et ses chefs devaient devenir les maîtres. Ceux qui réfléchissaient annonçaient hautement les menaces du lendemain et la suite inévitable des destins[53]. Longtemps avant la funeste arrivée des Goths, un historien avait écrit que l'inertie militaire et l'indolence civique des sénateurs, détenteurs de la fortune du monde, livreraient aux Barbares l'armée d'abord, et ensuite l'Empire. Vous ouvrez à ces Barbares le chemin de la domination sur vous-mêmes, leur disait-il en un langage prophétique[54]. Un orateur municipal, quelques années plus tard, s'écriait qu'on commettait la pire des folies, en prenant des loups pour faire l'office des chiens, et des Germains pour monter la garde[55]. L'afflux de ces Germains dans les camps et au palais même irritait les Romains de race, blessés les uns dans leur amour-propre et les autres dans leur patriotisme[56]. Qu'on ne dise pas que les hommes de l'Empire aient tous été assez aveugles pour ne pas prévoir s dislocation prochaine au profit de rois barbares les avertissements, au contraire, n'ont cessé de se faire entendre. Mais ils venaient d'historiens, de lettrés, qui n'avaient pour eux que de savoir apprendre et comprendre le passé et de chercher à préparer l'avenir : et les chefs de l'État[57], également insoucieux de la veille et du lendemain de leurs peuples, ne voyaient que le bénéfice du jour, que leur apportait le mercenaire tiré de Germanie.

Posé sous Postume[58] dès le temps des empereurs gallo-romain le problème barbare n'avait fait que s'amplifier de règne en règne. Chaque nouvel empereur avait accordé un peu plus aux étrangers de la Germanie : Postume et Probus n'avaient fait place qu'à quelques mercenaires le premier Constance avait eu un de leurs rois pour général, Constantin et Constance II avaient confié à l'un d'eux toutes leurs armées, puis leurs chefs étaient arrivés au consulat, et les plus ambitieux avaient déjà songé au diadème. Leur nombre n'avait fait que croître en même temps que l'orgueil de leurs chefs : aux quelques milliers de Francs enrôlés par Postume ou Probus et disséminés par eux dans les provinces, comparez leur multitude qui encombre le palais de Constance II ou la formidable nation des Goths qui erre dans l'Empire de Théodose.

Le danger de l'armée mercenaire est d'ailleurs plus grand pour Rome qu'il ne l'a été pour Carthage, et il l'est d'une manière différente. Carthage avait risqué d'être pillée, mais son État serait demeuré intact sur des ruines : car ses auxiliaires étaient des étrangers à son sol, ils avaient des patries, de lointains domiciles, où ils espéraient retourner et mourir, une fois gorgés de butin[59]. Les Barbares au service de Rome sont enracinés dans l'Empire : qu'ils y aient des foyers fixes comme les Francs Saliens, ou que leurs chariots leur servent de demeures, comme chez les Goths au jour de l'arrivée, aucun d'eux ne songe à repasser le Rhin ou le Danube ; ce qui fut la terre de leurs aïeux leur est devenue inaccessible ou insupportable, parce qu'elle est en proie aux misères de tout genre et que la vie dans l'Empire est une chose fort agréable. Il est désormais leur asile et leur résidence. Ne voyez-vous pas, disait un Romain à ses contemporains, que notre terre est maintenant le domicile attitré de tous les Barbares ?[60]

Pas plus que les Chrétiens, ces Barbares ne détestent l'Empire. Ils s'y considèrent comme des citoyens, des sujets ou des serviteurs. N'est-ce pas une indignité, pensait le Franc Silvain, que je ne puisse être consul ?[61] Pour acquérir un droit historique de cité, ces Germains se dirent les héritiers de Troie, les Francs, petits-fils de Priam, et les Goths, ses petits-neveux[62].

Ce n'en était pas moins pour le moment une noblesse d'emprunt et un civisme de façade. Ces arrière-cousins de Romulus portent toujours le nom de Francs, de Goths, Germains et de Barbares ; ils parlent la langue de leurs vrais pères à côté du latin de l'État[63] ; ils ont des coutumes opposées au droit romain[64] ; ils ont des façons d'agir qui répugnent aux sénateurs[65]. Et surtout, derrière Silvain ou Bauto, qui s'entretiennent agréablement avec Ursicin ou Augustin[66], se masse une soldatesque qui ne rêve que de guerre et de butin, qui ne connaît que la tente et la framée[67]. Car c'est ici la grande et périlleuse différence entre les deux populations dont se compose l'Empire romain. La population indigène, latine, ne veut vivre que d'une rapière pacifique : du serf fixé sur la glèbe à Ausone, sénateur et préfet prétoire, de la terre qu'on laboure à la poésie qu'on déclame, tous ne s'entendent qu'aux travaux de la paix. Et, non pas en face d'eux, mais au milieu d'eux, s'agite la population barbare, qui, depuis le cavalier alain de l'escorte impériale jusqu'à Clodion, roi des Francs Saliens[68], ne vit que dans l'espérance de la bataille prochaine.

Ces Germains, qui ont aujourd'hui la force, seront demain les maîtres du monde latin. Leur domination se prépare depuis plus d'un siècle par une succession logique de faits, en un mouvement irrésistible et fatal. Ce n'est pas le Barbare de la frontière qui mettra fin au règne de Rome par une conquête du dehors, par un coup de violence brisant les membres de l'Empire ; c'est le Barbare de l'intérieur qui disloquera cet Empire par une usurpation au dedans, par une sorte de partage anticipé d'hoirie au profit d'enfants adoptifs ou de légataires imposés[69].

Quiconque, au temps de Théodose, aurait examiné l'histoire de l'Empire depuis Postume et Dioclétien, pouvait prédire, à coup sûr que ce partage n'était qu'une question d'années ; et il pouvait même ajouter que, dans ce partage5 la Gaule reviendrait à un roi des Francs. Le royaume gaulois de Clovis est en germe dans la cité militaire des Francs Saliens, installée en Batavie par les empereurs de Trèves.

 

IV. — LA PERSISTANCE DES FORCES LOCALES.

Regardons en effet, non plus l'Empire, mais la Gaule.

Tout à l'heure, nous avons rappelé les principes qui maintenaient l'unité de cet Empire, et c'étaient des principes d'ordre social ou moral : le culte de la patrie romaine, la diffusion de la culture gréco-latine, les intérêts généraux de l'aristocratie sénatoriale, l'universalité de l'Église chrétienne.

Mais ces forces d'empire, ces principes d'État mondial, n'ont pu détruire les liens que la nature avait créés entre les hommes d'une contrée[70], les besoins d'entente que les siècles antérieurs leur avaient donnés[71]. La loi de la terre, la pression du passé, se faisaient toujours sentir sur les êtres humains, en dépit des lois de l'État romain et de l'obsession de l'histoire impériale. Tous ces empereurs ne pouvaient supprimer le Rhin ou les Alpes, ni les empêcher de séparer deux groupes d'hommes. Ils avaient certes- réussi à faire perdre à un Gaulois le souvenir de ses ancêtres il ne savait plus de Vercingétorix ou des druides que les vagues propos que ses maîtres latins consentaient à lui en apprendre, et il n'était pas loin de croire que sa vie politique datait de l'ère de ses provinces[72], comme les Français ont cru si longtemps que leur histoire commençait à Clovis[73]. Mais il n'est pas besoin qu'un peuple connaisse son passé pour que ce passé agisse sur lui. Ses pensées, ses sentiments, ses volontés, dépendent à son insu des milliers d'années qu'il a déjà vécues, et des manières d'être qui furent celles de ses aïeux : la vie des siècles disparus guide sa propre vie, de même que l'homme, en ses désirs ou ses craintes, ne cesse de redire la leçon des aïeux qu'il n'a point entendus.

Rome, je le répète, ne pouvait briser ni la volonté de la terre ni l'œuvre des générations. Il y avait toujours une Gaule, et cette Gaule avait toujours son passé, et dans cette Gaule il y avait toujours une Armorique ou une Auvergne, une ville de Marseille ou une ville de Paris. Si longtemps que persisterait l'Empire de Rome, si confuse et obscurcie que serait pendant ce temps la vie propre de la Gaule et de ses êtres, cette vie durerait plus encore que celle de l'Empire : car elle reposait, non pas sur la victoire ou le consentement d'un jour, mais sur la puissance de l'espace et du temps.

Assurément, il est malaisé à la science de démêler les caractères qui font cette puissance et qui l'imposent aux hommes. Il est plus facile pour l'historien d'expliquer l'Empire romain, qui n'est qu'un accident, que d'expliquer la Gaule, l'Armorique ou Marseille, qui ont en elles des raisons d'éternité. Ce sera sans doute pour lui la tâche de demain, que de rechercher et de définir les causes innombrables, cachées dans les profondeurs de la terre, dans les mystères du corps et de l'âme des hommes font de la France, de ses provinces et de ses villes des forces indépendantes, des personnalités vivaces la terre et de l'esprit. Mais, en attendant que cette tâche soit accomplie, il faut, dans le tableau de l'Empire romain, dans l'exposé des raisons de sa chute, il faut mettre au premier rang les énergies immuables et invincibles que sont les régions du sol et les habitudes humaines issues de ces régions[74].

 

V. — LE RÉVEIL DE L'ESPRIT MUNICIPAL EN GAULE.

A l'intérieur de la Gaule, rien n'avait été changé aux cadres municipaux que les temps de l'indépendance avaient légués à l'Empire romain[75]. Que certaines grandes cités aient été démembrées, que par exemple Grenoble et Genève aient été séparées de Vienne, Angoulême de Saintes, Orléans de Chartres, la mesure était peut-être moins une rupture avec l'histoire et la terre, que la reconnaissance de coutumes régionales ou même le retour à de plus anciennes nations : je ne puis croire, par exemple, que Saintes et Angoulême, qui président chacune à une nature particulière du sol, à un pays d'allure propre, n'aient point commandé à deux peuplades distinctes dans les temps lointains de la Celtique, et que les derniers empereurs, en faisant de chacune d'elles le chef-lieu d'un municipe, n'aient pas simplement rétabli l'ordre de choses que la terre et le passé avaient provoqué.

Capitale et territoire de ces diverses cités portent maintenant le même nom. Dans les cités du Midi, où la ville est plus ancienne et plus notoire, c'est elle qui communique son nom au district, et l'on dit ville et diocèse de Narbonne, de Bordeaux, de Lyon ou de Marseille. Au centre et au nord, le nom de la peuplade l'a emporté, et l'on dit Arvernes pour Clermont et l'Auvergne, Santons pour Saintes et la Saintonge, Parisiens pour Lutèce et son territoire[76]. Mais cette unification de terme était, elle aussi, un retour au passé, lorsque la force et le renom de Saintes ou de Lutèce venaient d'être le centre et la citadelle de la Saintonge ou des Parisiens. Et c'était par là encore, affermir la cohésion morale de ces provinces, que d'appeler d'un même nom, antique et respecté, le terroir rural et l'enceinte de la ville. Quand on dira désormais l'évêque des Arvernes ou l'évêque de Lyon, on saura que l'on parle d'une prêtrise éminente, maîtresse à la fois d'une ville forte et populeuse et d'une campagne riche et vaste, auxquelles une cathédrale dicte sa loi comme Rome dicte la sienne à son Empire.

A cette vie régionale le Christianisme apporte une ardeur nouvelle. Grâce à lui, cette vie a maintenant un foyer spirituel, un autel suprême, un chef sacré ; grâce à lui, elle s'est fait une nouvelle histoire, plus touchante que celle des anciens annalistes. Ce ne sont plus seulement les souvenirs de la Grèce qui font la gloire de Marseille, mais aussi la sainteté de ses moines et sa dignité de fille chérie de l'Église chrétienne[77]. Toulouse a sans doute oublié sa fondation par les Celtes ou les Ligures, mais elle conserve pour toujours le nom de Saturnin son premier évêque ; Munatius Plancus, le créateur du Lyon romain, n'est plus connu que de quelques érudits[78], mais tous les Lyonnais savent, et sauront encore dans quinze siècles, les actes héroïques de Blandine la martyre, de Pothin et d'Irénée les évêques[79]. Les fêtes des anniversaires politiques ont perdu leur vogue devant la popularité grandissante des anniversaires de basiliques et des saints municipaux[80]. Le temps est très proche, où ces communautés chrétiennes brûleront toutes du désir de trouver, à l'origine de leur existence, un apôtre envoyé par le Christ. Quand, dans quelques années, le diocèse et la ville de Paris partageront respect, prières et obéissance entre saint Denys, le mystérieux et lointain fondateur de l'Église[81], saint Marcel, l'évêque vivant et actif qui la gouverne[82], sainte Geneviève, qui la sauvera et la sanctifiera par ses miracles[83] que de motifs d'amour, d'orgueil et de piété pour tous ceux qui portent ce nom de Paris ! Et cette petite patrie chrétienne exercera sur les âmes un pouvoir aussi fort que l'avait exercé la peuplade gauloise de jadis, aux jours où elle résistait au Romain Labienus.

L'autorité impériale a, dans une certaine mesure, contribué à renforcer l'esprit municipal. Ce titre de défenseur de la cité, qu'on va donner au magistrat supérieur, est une apparence, sinon une garantie, de plus de liberté et de plus de sécurité. Il est très rare que les métropoles de cités ne soient pas des villes fortes, avec remparts, portes et tours : et le fait d'avoir une ceinture de pierre, pour une ville de la Gaule chrétienne comme autrefois pour une ville de la Grèce indépendante, éveillait chez les hommes des sentiments de confiance ou de fierté, affirmait ou rehaussait la personnalité municipale.

Aussi, durant le siècle dont nous venons de raconter l'histoire, si les villes ont perdu leur richesse et leur population des années du Haut Empire, leur rôle moral et politique n'en a pas moins grandi ; il leur est arrivé ce qui advient toujours aux agglomérations humaines en temps de misère ou de trouble : elles se sentent plus libres d'agir, et, au besoin, de gouverner. Trèves se défend à elle seule contre l'usurpateur Magnence, que de son côté Autun vient d'acclamer ; et Paris, sous Constance II, se joint délibérément à l'armée de Julien pour offrir l'Empire au César des Gaules. On dirait qu'il y a maintenant, chez quelques-unes de ces villes, le besoin de faire parler d'elles, la tentation de dire leur mot à l'heure des révolutions ou de se défendre elles-mêmes à l'heure des périls.

Nous aurions peine à comprendre ce demi-réveil de l'esprit municipal[84], si nous ne regardions que la ville, souvent d'étendue médiocre et d'aspect misérable derrière ses hauts remparts. Mais la ville forte, Paris, Autun ou Trèves, est le chef-lieu, ou plutôt, le donjon d'un territoire et d'une population considérables. En cette ville, c'est vraiment toute une province de France qui manifeste et 'exprime sa volonté. Elle concentre et elle résume la vie morale, matérielle et sociale des hommes et des terres de cette province. Elle renferme leur cathédrale et leur évêque, leur curie et leurs magistrats, leur marché et leurs maisons de commerce ; leur citadelle et leur garde militaire. Elle est un lieu de rendez-vous pour les principaux maîtres du sol, les sénateurs illustres ou clarissimes, les porte-parole du génie latin, qui représentent les destins et les traditions du monde impérial, et qui, désertant Rome, habitent leurs domaines du Parisis, de l'Auvergne ou de la Bourgogne. Dans ces villes frondeuses ou vaillantes qui proclament un empereur ou repoussent un tyran, il ne faut pas voir seulement une foule agitée, une garnison indocile, quelques bourgeois aux velléités d'indépendance, mais aussi et surtout des chefs de l'aristocratie romaine, seigneurs terriens dans la cité, et déjà ses vrais maîtres[85].

C'est grâce à cette aristocratie riche et lettrée que les cités de la Gaule, au quatrième siècle, entrent enfin dans la vie littéraire de Rome. Ausone décrira avec délices Bordeaux sa ville natale, la fontaine Divone qui la protège de son Génie, et les rues régulières et les portes symétriques et les remparts montant jusqu'au ciel[86], et puis, la Garonne aux cent voiles naviguant de conserve à l'heure de la marée, les coteaux où s'accrochent les pampres[87], les vins ou les huîtres qui portent le nom de Bordeaux jusqu'à la table des Augustes[88]. S'il parle ainsi de sa ville, c'est qu'il l'aime, c'est qu'il en est fier ; et magistrat supérieur dans sa cité, il mettra sur le même rang son consulat romain et son consulat bordelais[89].

Nous assistons, dans ces journées de l'Empire qui précèdent les dernières, à un nouvel éclat du patriotisme, ou, si l'on préfère, du sentiment municipal. Des rhéteurs, tels que ceux d'Autun en face de Constantin, vantent leur ville avec une passion sincère, détaillant ses mérites et ses malheurs ; parcourant en leurs discours ses rues et ses édifices comme en un pèlerinage d'histoire et d'amour[90]. Ausone, comblé de richesses et d'honneurs, se retire à Bordeaux pour faire du berceau de son enfance le nid de sa vieillesse[91]. il n'est pas jusqu'aux empereurs qui ne se laissent gagner par la douce contagion des amitiés citadines : qu'on se rappelle les mots de tendresse écrits par Julien sur sa chère ville de Lutèce, dont il fut l'hôte pendant les plus belles années de sa vie[92].

N'accordons pas, pour le moment, une valeur trop grande à ces manifestations de l'esprit local. Les villes et les cités sont encore une force bien chétive en face de l'Empire romain et de ses soldats barbares. Il fallait pourtant parler d'elles une dernière fois : car les symptômes d'activité qu'elles présentent dans leur vie ne feront que croître, et c'est dans le cadre municipal, aux siècles prochains, que s'ébauchera la fortune des énergies de la France féodale, maisons nobles aux noms des villes, seigneuries de comtes et suprématies d'évêques.

 

VI. — LES FRANCS SALIENS.

Parmi ces puissances locales de la Gaule, une déjà est au premier rang ; celle des Francs Saliens.

Qu'on ne s'étonne pas de voir assimiler les Francs Saliens aux Éduens d'Autun ou aux Arvernes d'Auvergne, aux cent quinze cités qui se partagent alors lé territoire de Gaule. Sans doute, à la cour ou à l'armée des empereurs, beaucoup de Francs, soldats ou généraux, étaient originaires de la rive ultérieure du Rhin, de tribus germaniques indépendantes ou rattachées à Rome par une alliance intermittente ; et beaucoup d'autres avaient pour résidence officielle une cité quelconque de l'Empire, où ils tenaient garnison ou qu'il leur avait plu d'adopter comme domicile. Mais le plus grand nombre, et en tout cas ceux sur la fidélité desquels on pouvait compter, qui étaient en quelque façon nés sujets et membres de l'État romain, étaient les Francs Saliens, héritiers de la cité des Bataves, possesseurs légitimés, des deux côtés du Rhin[93] et de la Meuse, de l'île de Betuwe et des terres de Toxandrie.

Peu importe que ce territoire ne se présente plus sous le nom de cité ou civitas, que l'organisation municipale n'en soit pas achevée, qu'il ne possède pas une ville maîtresse au centre d'un district rural[94], qu'il n'ait pas un évêque ou une curie à la façon romaine, mais des anciens, des princes ou un roi à la façon barbare : il n'en est pas. moins une région déterminée de la Gaule et de l'Empire, au même titre que celles des Arvernes, d'Autun ou de Lyon.

Peu importe encore que ces Francs se disent Francs et non pas Romains[95], qu'ils aient une loi, la loi salique ; distincte de la loi romaine, qu'ils s'estiment alliés et non citoyens de l'Empire : ils n'en appartiennent pas moins à cet Empire et à la Gaule, la manière dont leur avaient jadis appartenu la cité libre Marseille grecque ou le royaume alpin de Cottius.

Seulement, ce royaume municipal des Francs Saliens porte en soi des germes de force et d'ambition qui avaient manqué à Marseille ou à Cottius, épaves de libertés disparues.

D'abord, il a ou il aura bientôt un roi ; et si ce titre, à l'époque des premiers Césars, était tombé en discrédit sous la gloire nouvelle de ceux d'Auguste et d'empereur, il tendait depuis Dioclétien à reprendre faveur dans l'esprit des hommes, et l'on ne se privait plus de le donner même aux maîtres de l'Empire. Un roi des Francs Saliens s'estimait sans doute un très petit personnage par rapport à l'empereur ; mais il devait mépriser les défenseurs ou les magistrats des villes voisines, peut-être aussi les gouverneurs de sa province.

Puis, ce district des Francs Saliens est, lui, une cité toujours en armes. Tandis que Paris, Marseille, Éduens ou Arvernes ne présentent que des bourgeois pacifiques, des rhéteurs lettrés ou des sénateurs opulents, les Francs Saliens sont avant tout une patrie guerrière, et l'on n'y est citoyen qu'à la condition de savoir combattre, ainsi que chez les Grecs de Marseille ou chez les Éduens de Bibracte au temps de l'indépendance. A ce monde gaulois tout imprégné maintenant de manières civiles et de mœurs paisibles, le royaume des Saliens s'oppose en État militaire, toujours prêt à fournir l'Empire des soldats et des généraux.

Enfin, il est situé, non pas au milieu de la Gaule, mais à sa frontière, et, ce qui vaut mieux encore pour lui, à l'angle de cette frontière, à l'un des lieux vitaux de la contrée. Par suite, il ne risque pas de se laisser envelopper et pénétrer par les lamentables illusions du pacifisme impérial ; il reste fidèle à ses traditions d'audace et à ses usages guerriers ; en contact permanent avec la Germanie d'où il est sorti, il renouvelle à ce contact les vigoureuses facultés de sa nature originelle. Et en outre, tenu à combattre cette Germanie pour le compte de Rome, le devoir de demeurer sur le qui-vive de guerre lui donne une valeur militaire à toute épreuve, son rôle de gardien maintient et surexcite son aptitude au combat.

Les Francs Saliens ne devaient compter que quelques milliers d'hommes mais ces milliers d'hommes valaient, en tant que soldats, plus que les millions de Gaulois. A eux seuls, en ce moment, ils ferment la Gaule à l'invasion du côté des basses terres ; mais à eux seuls aussi, le jour où ils le voudront, ils pourront soumettre cette Gaule à leur domination, et transformer leur royaume de cité en royaume universel. D'être à la frontière d'une vaste contrée, un petit État toujours en armes, éveille ou suscite en cet État une force ou une volonté de conquête ; et en outre, défenseur attitré de cette frontière, il prend, aux yeux des peuples de l'intérieur, l'allure du champion naturel et du chef nécessaire. C'est ainsi que la Savoie devint maîtresse en Italie et la Prusse en Allemagne ; et c'est ainsi que le petit-fils du roi salien de la Toxandrie, Clovis, deviendra le maître de la Gaule. Le Franc Arbogast l'avait déjà été sous Théodose ; le Franc Silvain avait failli l'être sous Constance II. Mais l'un et l'autre avaient échoué misérablement, parce qu'ils portèrent tout de suite leurs visées vers l'Empire, parce qu'ils partirent, pour réaliser leurs rêves, non pas d'un terroir de Gaule, mais d'une intrigue de palais. Si Clovis réussit, c'est parce qu'il fit partir sa conquête du royaume natal des Saliens, solidement campé à l'angle de la Gaule, et c'est qu'il ne porta point sa royauté franque au delà d'ambitions gauloises[96].

 

VII. — L'APPEL DE LA GAULE[97].

En même temps que le nom franc s'affirmait en Gaule, le nom de Gaule se réveillait dans l'Empire. L'un et l'autre montaient ensemble à l'horizon des hommes ; et l'on pouvait prévoir que le jour où ils s'uniraient, une nation vigoureuse naîtrait en Europe, héritière ou rivale du monde romain, pareille à celle que les Celtes, mille ans auparavant, avaient constituée dans l'Occident ligure. A un millénaire de distance, les énergies physiques que la nature avait disposées sur la terre de France[98], et les accords sociaux, les ressemblances de vie et d'esprit que ces énergies  avaient peu à peu produites, apparaîtraient de nouveau au jour de l'histoire ; et la contrée bâtie par  la Providence[99] redeviendrait la demeure d'une grande patrie, qui emporterait tout ensemble, vers les destins d'un long avenir, des aspirations nouvelles et des traditions rajeunies[100].

Absorbés par l'admiration de l'Empire, les historiens modernes n'ont pas regardé la Gaule qui se redressait au milieu de lui. A force de louer l'édifice, ils n'ont plus aperçu la pierre qui lui servait de clef de voûte[101]. C'est la Gaule et sa frontière qui, sous Postume et ses héritiers, ont sauvé l'État romain de l'invasion barbare. Il a bien fallu ensuite que les empereurs de la Restauration reconnussent la valeur naturelle et spéciale représentée par ce pays, les conditions particulières que Rome devait lui faire, les services qu'il lui rendrait en échange ; ils comprirent enfin le profit que l'État latin aurait à traiter la Gaule, si je peux dire, en personne de Gaule et non pas, en groupement de provinces, à l'associer à l'œuvre de l'Empire plutôt qu'à la lui infliger. Et l'on vit alors les Césars fixer chez elle leur résidence, veiller eux-mêmes sur sa frontière du Rhin comme si elle était la clôture prédestinée de la civilisation occidentale, et désigner une de ses villes pour être sa capitale et le foyer d'une vie qui lui serait propre. Trèves, pendant plus de cent ans, de 286 à 394, donne le branle au corps de la Gaule : quand les empereurs n'y séjournent pas eux-mêmes, elle reste centre d'une vaste préfecture du prétoire et d'une puissante maîtrise militaire, la métropole des Gaules comme écrivait le grand Athanase[102].

Tout ce qui s'est produit, en ce siècle romain à la vie étrange et profonde, préludait à quelque chose de l'avenir, tout en ressuscitant quelque chose du passé. Maximien et Valentinien, surveillant la frontière de leur palais de Trèves, annoncent Charlemagne guettant de sa chapelle d'Aix les passages du Rhin ; et quand, délaissant Trèves pour quelques années, l'empereur s'arrête en une autre ville, Julien, résidant à Paris et vainqueur des Alamans à Strasbourg annonce Clovis, lui aussi victorieux près du fleuve sur ces mêmes Alamans et lui aussi choisissant Paris pour siège de son royaume de Gaule. A l'État romain la Gaule rendit au centuple ce qu'elle recevait de lui. C'est parce qu'ils se conduisirent d'abord en empereurs de Gaule que, depuis Maximien jusqu'à Eugène, les Augustes de Trèves ont pu sauver l'Occident ou conquérir l'Empire.

Les uns, appuyés sur le sol de la Gaule et faisant du Rhin un fossé infranchissable, ont évité au monde latin un retour offensif des Barbares. Les autres, soutenus par la fidélité de cette même Gaule, n'ont pas tardé à devenir les maîtres l'Occident, et quelques-uns même les maîtres de l'univers. Pas une seule fois un César d'Italie n'a réussi à s'installer par la conquête de ce côté des Alpes, et, sauf en un jour dans tout ce siècle, c'est de Trèves, d'Arles, d'Autun ou de Paris que Rome a vu venir son souverain. La Gaule, en tant que partie de l'Empire romain, semblait prendre sa revanche des victoires de Domitius et de César. — Mais en la traitant de nouveau en vaincue, en privant d'un empereur la ville de Trèves et la frontière du Rhin, Théodose préparait à l'Empire de nouveaux et pires désastres, et il avançait l'heure où la Gaule ferait sa destinée de ses propres mains.

Car il était dès lors avéré que, par tradition acquise depuis plus d'un siècle, par sentiment de leur intérêt, par amour-propre de leur nom, les Gaulois n'obéiraient jamais à un empereur qui ne serait pas chez eux ou qui ne viendrait pas de chez eux. Il faut à la Gaule un chef qui soit à elle, disait-on alors : si on ne lui donne pas un prince légitime, elle acceptera un usurpateur. Constantin ou Constance II, malgré leur orgueil effréné, l'ont confiée à leur principal héritier, Crispus ou Julien. De toutes les contrées de l'Empire, au quatrième siècle, c'est la Gaule qui a connu le plus de coups d'État et qui a produit le plus de prétendants : Magnence, Silvain, Julien, Maxime, Arbogast, chaque génération Gaulois a eu son jour de révolte et sa crise politique.

Comme le reste du monde, à côté de la Gaule, parait terne et silencieux ! L'Orient ne vit qu'un seul usurpateur, et pour quelques mois à peine[103] ; l'Illyrie est le plus souvent fidèle aux empereurs légitimes ; Rome et l'Italie ne savent plus créer un Auguste ; l'Espagne demeuré dans une passivité qui fait des siècles romains la plus triste période de son histoire politique ; la Bretagne et l'Afrique s'agitent en convulsions sans unité. Seule, la Gaule parait vivre d'une vie forte et vouloir d'une volonté commune.

Pourquoi ne serait-elle pas la contrée de l'Empire la plus capable d'inspirer un maître et de lui façonner un État ? Sa personnalité est devenue chaque jour plus énergique, plus visible de tous[104]. Les hommes qui observent ne cessent d'admirer sa structure physique, ce beau corps de terre dessiné par la nature comme par une main d'artiste[105], et le dernier des historiens de Rome, Ammien Marcellin, parle d'elle avec le même enthousiasme[106] que Strabon, le premier des géographes de l'Empire. Cette contrée conserve son nom de Gaule, dont l'origine se perd dans la nuit des temps[107] ; ses habitants sont fiers de se dire des Gaulois, de parler de leur Gaule, et les empereurs eux-mêmes, dans leurs harangues officielles, répètent ces noms avec respect et gratitude[108]. Un long passé s'attache à ces mots, et, si ce passé n'a pas la beauté de celui de la Grèce ou le mystère de celui de l'Égypte, ce n'en est pas moins un passé de gloire et d'unité, et les Romains rappelaient encore le souvenir des druides et de l'Allia[109]. Les hommes de ce pays formaient, non pas une agglomération d'êtres disparates, mais une vraie race, une nation, comme l'on disait alors[110], ayant son caractère, ses coutumes, ses tendances[111] ; et à côté d'une certaine humeur révolutionnaire, les Gaulois étaient réputés pour leur vaillance à la guerre, leur amour du travail, leur passion pour l'éloquence, une gravité de tenue et une application de conduite qui étonnaient les Grecs et en imposaient aux empereurs eux-mêmes. C'était leur terre, enfin, qui avait donné asile aux Francs, devenus les principaux soldats de l'Occident ; elle se les était incorporés : entre elle et eux, il y a maintenant une indissoluble société, et la Gaule en tire une valeur de plus.

Le Christianisme à sont tour ajoute à ces éléments de vie commune, à ces principes d'unité. Un Chrétien de Gaule était heureux d'attacher à sa foi ce vocable de Gaule. Les évêques de la contrée se réunissaient en conciles particuliers qui imprimaient une même discipline, une pensée unanime à toutes leurs Églises, bientôt groupées en une Église de Gaule ; et leurs luttes victorieuses contre l'Arianisme rappelaient les triomphes des armées gauloises contre les Barbares du Rhin. Cette grande fraternité chrétienne venait de recevoir de Dieu une miraculeuse consécration : il lui avait envoyé saint Martin comme apôtre comme patron. On eût dit que le ciel lui-même voulait faire de la Gaule une nation bénie.

Païens et Chrétiens du terroir gaulois ont également leurs raisons pour l'aimer. Sulpice Sévère oppose hardiment ses saints à ceux de l'Orient ; Ausone chante ses cités et ses paysages, et le rhéteur Pacatus, après avoir contemplé à Rome l'empereur Théodose, ne désire que de revoir ses amis et ses villes de la Gaule[112]. Pour tous, elle est une mère et une patrie[113]. Et quoique le mot de patrie s'applique en ce temps-là à bien des êtres différents, à l'Empire, à l'Église ou au municipe[114], il renferme en soi tant d'attraits et tant de mérites, qu'une fois uni au nom de Gaule, il assure à ce nom le prestige d'une idée souveraine.

Si les Augustes romains, fils ou héritiers de Théodose, avaient compris ces sentiments humains, ces leçons de l'histoire, ces lois de la nature, s'ils avaient laissé grandir la patrie gauloise à l'ombre de l'Empire, ils auraient peut-être procuré à cet Empire de nouveaux siècles de durée. Ils ne l'ont point fait, ils ont méconnu l'existence ou la vitalité de la nation, ils ont refusé de s'appuyer sur elle ; et ils ont ainsi rapproché le jour de la chute suprême. Mais la Gaule échappera à la ruine du monde impérial, elle trouvera son salut dans les Francs de sa frontière, et c'est à eux que reviendra la tache de reprendre et de continuer son unité nationale. Quand les empereurs de Rome n'écouteront plus les voix de la Gaule, un roi des Francs sera près d'elle pour répondre à son appel[115].

 

FIN DU HUITIÈME ET DERNIER VOLUME

 

 

 



[1] Cf. t. IV, ch. I, § 1, ch. VI, § 12.

[2] Lire Claudien. Voyez chez Orose (VII, 43, 4-7) le mot du roi des Goths Ataulf, désirant être célébré comme auctor Romanæ restitutionis. — Il faut cependant reconnaître qu'on perçoit comme des pensées d'un autre système de la vie publique : Ataulf a, dit-on, songé un instant à créer, au détriment de Rome, un imperium Gothorum (Orose, VII, 43, 5), et peut-être y a-t-il là la tradition d'Hermanaric. Et d'autre part, l'on verra le réveil très net de l'idée des nationalités chez Orose.

[3] De 49 et 50 av. J.-C. à 450 après.

[4] Cf., entre cent autres, les textes de Claudien, De cons. Stil., III, 202 et s. ; De VI cons. Honorii, 597 et s.

[5] Dion Cassius, LI, 22, 1 ; etc.

[6] Victoriaram simulacra ob imperii primitias ; Ammien, XXVIII, 6-7.

[7] Voyez l'article Victoria, de Graillot, dans le Dictionnaire des Antiquités (paru en 1916) ; André Baudrillart, Les Divinités de la Victoire, 1894.

[8] Dame de Victoire, dit justement Graillot de la Terre-Mère (Le Culte de Cybèle, p. 599).

[9] Voyez les rapprochements indiqués dans l'article de Graillot, surtout aux pages 843-4.

[10] Deæ Tutele Boudig(æ) = Victrici, avec les attributs de la Terre-Mère, en particulier la corne d'abondance : autel de 237 à Bordeaux (Revue des Et. anc., 1922, p. 240).

[11] Voyez les rapports de la Victoire avec l'Abundantia (autel de Carlsruhe, Reinach, Répertoire de reliefs, II, p. 57) ; les Matres Victrices.

[12] Je suppose l'existence d'une Victoria dans ce qu'on appelle le lararium du prince (Hist. Aug., Alex. Sev., 29, 2).

[13] Statues cultuelles de dea Roma tenant la Victoire (art. de Graillot, p. 844 ; art. Roma, de Mayniat, dans le même Dict. des Ant., paru en 1908). Voyez les beaux vers de Claudien, custos imperii virgo, etc. ; De cons. Stil., III, 202 et s. ; De VI cons. Honorii, 597 et s. ; et ceux de Rutilius, I, vers 47 et s.

[14] Gratien en 382, suivant l'opinion courante ; en 376, dit Godefroy (Code Théod., X, 35, 3, p. 275, Ritter). Cf. Boissier, La Fin du paganisme, II, p. 267 et s.

[15] Ammien, XXV, 2, 3 ; cf. XX, 5, 10 (Genius Publicus).

[16] Cf. Prudence, Contra Symmachum, II, vers 609 et s. Au surplus, l'image de la Victoire fut souvent associée à celle de la croix ; cf. Graillot, p. 844-5.

[17] C'est vers ce temps-là que se répand l'expression de Romania, laquelle d'ailleurs a été d'abord faite arbitrairement par les écrivains, comme celle de Francia (celle-ci, dès la fin du IIIe siècle), et d'autres similaires ; Orose, III, 20, 11 ; VII, 43, 5. Cf. l'introduction de Gaston Paris à la Romania, I, 1872, p. 13 et s. (= Mélanges linguistiques, fasc. 1).

[18] Bucoliques, I, 43 et s. ; Géorgiques, I, 498 et s.

[19] Prudence, Contra Symmachum, II, vers 609 et s.

[20] Outre Prudence Origène, Contra Celsum, II, 30 (P. Gr., XI, c. 840) ; Orose, in fine, VII, 43, 17-18 ; V1, 22, 5 et s. ; V, 2, en particulier § 3 et s. (ad Christianos et Romanos Romanus et Christianus accedo ; écrit en 417).

[21] Orbis totius se dominum appellaret ; Ammien, XV, 1, 3.

[22] Ammien, XV, 1, 3-4.

[23] L'idée reste courante ; Paneg., II, 10 et 14 ; III, 8 ; IV, 5 (domini generis humani, dit Eumène d'Autun) ; Claudien, De cons. Stil., III, 151 ; etc.

[24] Rutilius Namatianus, I, vers 47 et s. Il est à remarquer que Rutilius parle de Rome à la fois comme si elle était la Victoire et la Terre Mère : Regina mundi..., inter sidereos recepta polos..., genetrix hominum genetrixque deorum.

[25] Fecisti patriam diversis gentibus unam.... Urbem fecisti quod prius orbis erat.

[26] Rutilius écrit vers 416 ; Rome a été prise par Alaric en 410 ; et les Goths furent installés en Gaule vers 418.

[27] Ergo age, sacrilegæ tandem cadat hostia genti, submittant trepidi perfida colla Getæ (Rutilius, I, vers 141-2).

[28] L'expression officielle (voyez la Notitia dignitatum) est partes Orientis, partes Occidentis.

[29] Stabilem servant Augustis fratribus orbem ; Claudien, In Rufinum, pr., 17.

[30] La première année consulaire datait de plus de neuf siècles, de 509. Voyez en particulier Claudien, In Olybrii et Probini fratrum consulatum (en 395).

[31] J'emprunte la comparaison à Ausone, Versus paschales, 22 et s. : Augustus partitur regnum neque dividit unum.... Tale... trina fides auctore uno : Ausone, qui a dû écrire cela au moment de la cérémonie d'Amiens, fait allusion à Valentinien, partageant l'Empire avec son frère et son fils.

[32] Ammien, XXXI, 6, 6 : Goths en Thrace rejoints en 376 par des artisans de mines, vectigalium perferre posse non sufficientes sarcinas graves ; pour plus tard, et à propos des Bagaudes de Gaule, Salvien, De gub. Dei, V, 5, 21 et s. ; 6, 24 et s., en particulier 5, 2 : Malunt in barbaris pati cultum dissimilem quam in Romanis injustitiam sævientem. Voyez le virulent passage (V, 5, 22-23) où Salvien montre le mépris que le bas peuple a pour le titre de civis Romanus.

[33] Salvien dira des victimes des puissants et du fisc, hommes libres ou petits propriétaires, ut nolint esse Romani (De gub. Dei, V, 5, 23), et des Bagaudes, non permittebantur esse Romani (V, 6, 26).

[34] Dès l'époque romaine : Volusianus chez Augustin, Epist., 137, § 20, P. L. XXXIII, c. 525 (putari volunt Christianam doxtrinam utilitati non convenire reipublicæ) d'autres chez Orose, Hist., I, pr., 9. Le reproche revient chez beaucoup de modernes, presque toujours avec des vues très superficielles. Réfutations très raisonnables chez Boissier, La Fin du paganisme, II, p. 391 et s.

[35] Voyez en particulier le concile d'Arles de 314.

[36] Apocalypse, ch. 13 ; cf. Loisy, L'Apocalypse de Jean, 1923, p. 245 et s.

[37] Lactance, De mort. pers., 7.

[38] Ausone, Epist., 23-25 ; Paulin, Camina, 10 et 11.

[39] Nos crucis invictæ signum et confessio munit, armatique Deo mentem non quærimus arma corporis ; Paulin, Carmina, 26, 106-8 ; la poésie est d'ailleurs fort belle. Victrice de Rouen dira de même, à propos des reliques (§ 6, P. L., XX, c. 448) : Tegant arma quos volunt, nos vestræ acies, vestra signa custodient. Ce devait être un thème consacré. Voyez encore la poésie sur le signe de la croix.

[40] Les confréries de Continentes.

[41] Je m'inspire du texte d'Ammien (qui d'ailleurs ne vise absolument pas les femmes chrétiennes), XIV, 6, 20.

[42] Rutilius Namatianus, I, 440 et s., à propos des moines de Capraja. De même, Zosime, V, 23, 8.

[43] Concile de Rome en 386 ; Héfélé-Leclercq, II, p, 69.

[44] Voyez ce que l'évêque Paulin écrit à un officier (Epist., 25 = 39, P. L., LXI, c. 300 et s., en particulier § 8) : Disrumpe omnia vincula tua, quæcumque in hoc sæculo te implicatum tenent ; commuta in melius militiam, ut Æterno Regi incipias militare. Quoique l'expression militia s'entende également du service au palais, le personnage en question doit être un comte militaire (§ 3, qui militat gladio ; § 8, in comitiva Dei militare). On dira même que le moine, vivant de l'esprit, ne doit pas payer l'impôt (Basile, Ép., 284, P. Gr., c. 1020).

[45] Cf. Orose, Historiæ adverses paganos, V, 1, 1. Voyez en particulier sa description de la Gaule vaincue par César (VI, 12) : il y a là un tableau très pathétique des misères subies par suite de la conquête. A la fin de ce tableau, Orose interpelle la Gaule de son temps (hanc nationem), pour lui demander ce qu'elle pense de sa défaite et de ses vainqueurs ; et il leur fait répondre qu'elle souffre encore des maux qu'a entraînés la perte de sa liberté, et qu'il ne lui en reste même pas la force de se lever contre les Goths, ita me Romani inclinaverunt, ut nec ad Gothos surgam (VI, 12, 7). Et ce passage est encore remarquable en ceci, qu'il nous montre comment dans l'Empire, après près de cinq siècles de vie latine, un écrivain romain pouvait envisager la nation de Gaule et parler de sa défaite. Et c'est peut-être un des rares textes où un écrivain de l'Antiquité semble prendre un instant parti pour les vaincus de Gaule contre les conquérants romains. — On a du reste très justement remarqué l'apparition ou réapparition, chez Orose, de cette idée de grandes nationalités, Gaule, Espagne, Italie (par exemple, V, 1, 6 et 7 : Edat Hispania sententiam suam... Quid dicat Itatia...) ; cf. Boissier, La Fin du paganisme, II, p. 469 et s.

[46] Orose, et en particulier V, 1, 1 : Victoriæ Romanæ multarum gentium et civitatum strage crebrescunt, et toute la suite.

[47] Sub apparitione Antichristi ; Orose, I, prol., 15.

[48] Libanius, Or., XVIII, § 158, Fœrster (oraison funèbre de Julien).

[49] En particulier l'ermite Jean avant la guerre contre Eugène ; Sozomène, VII, 22, P. Gr., LXVII, c. 1488.

[50] Je mets à part son activité agricole. Encore y eut-il là surtout affaire de nécessité et souvent œuvre d'intendants.

[51] Artifices sordidorum operum ; Paneg., III, 6.

[52] Je tiens à excepter Dioclétien et son œuvre, et Julien et surtout Valentinien sur le Rhin. Ajoutez le principe de tolérance religieuse sous Valentinien, qui est un fait à peu près extraordinaire et d'une rare beauté.

[53] Synésius, De regno, § 14, c. 1089. Synésius, dont l'œuvre, écrite vers 397-8, est capitale à cet égard, rappelle énergiquement à ce propos, d'abord, que les chefs barbares vont commander à double titre, romain et germain, et, ensuite, qu'ils verront accourir sous leurs ordres les esclaves de leur nation ; voir encore plus loin, De regno, § 15, c. 1096.

[54] Texte d'Aurelius Victor, écrit vers 360.

[55] Synésius, De regno, § 14, Patr. Gr., LXVI, c. 1089.

[56] Julien reprochait à Constantin d'avoir été primum auctorem augendæ barbaricæ vilitatis (Ammien, XXI, 10, 8 ; 12, 25. Voyez de même Synésius, De regno, § 14-15, P. Gr., LXVI, c. 1088-99.

[57] J'entends les empereurs ; car Sextus Aurelius Victor a été un haut magistrat civil, préfet de Rome.

[58] Je veux ici parler des Francs et des Alamans seulement : car il y a des Germains dans l'armée romaine depuis César ; entre César et Postume, ce sont des Germains domiciliés dans l'Empire.

[59] Gsell, Hist. anc. de l'Afrique du Nord, II, 1918, p. 353 et s. Ajoutons que, tout compte fait, Carthage a levé beaucoup de citoyens pour défendre le sol africain.

[60] Zosime, IV, 59, 4 (ceci dit à propos du règne de Théodose).

[61] Il me parait évident que c'est peut-être dès Constantin que s'est posée la question de l'arrivée au consulat des généraux d'origine barbare, et des Francs en particulier. Elle a dû être résolue brutalement par Magnence, s'il est vrai qu'il ait fait consul en 351 Gaiso, le meurtrier de Constant, et que ce Gaiso soit un Franc (voyez Chronica minora, I, p. 69 ; III, p. 522). N'oublions pas d'ailleurs que Magnence était plus ou moins d'origine germanique, mais d'éducation latine. Vient ensuite Névitta.

[62] Par l'union de Télèphe, fils d'Hercule, transformé en roi de Mésie (sur le Danube), avec une sœur [pour une fille ? Astyoché] de Priam ; Jordanès, Getica, X, 59 ; sans doute par adaptation de l'histoire des Gètes (transformés en Goths) aux fables de Dictys de Crète (II, 3-5) ou de Quintus de Smyrne (VI, 136). Mais cette adaptation doit être plus ancienne que Jordanès et dater au plus tard des premiers temps du Ve siècle.

[63] Salvien, De gub. Dei, V, 5, 21 : Quamvis ab his (les Barbares) discrepent (les Romains) ritu, discrepent lingua, etc. En tout cas, ils gardent le plus souvent leurs noms germaniques.

[64] Par exemple la lex Salica, dont je fais remonter les éléments essentiels et le principe même au IVe siècle, au temps de Constance Chlore, de Constant ou de Julien.

[65] Voyez le texte si caractéristique de Synésius sur les Goths (De negro, § 15, P. Gr., c. 1093).

[66] Pour Silvain, Ammien, XV, 5, 28.

[67] Voyez les incessants déplacements des Goths dès le début du siècle suivant.

[68] Cf. Sidoine Apollinaire, Carm., 5, 212 et s.

[69] D'autant plus que l'union des Barbares et du monde latin se fait non seulement par ]'adaptation de ceux-là aux habitudes classiques. mais encore, inversement, par l'emprunt d'habitudes barbares de la part des Romains, par exemple dans la coiffure (Ambroise, Epist., II, 69, § 6, P. L., XVI, c. 1233). Il n'y aurait donc pas à s'étonner si des Romains ont pu, dès la fin du siècle, prendre des noms germaniques : Geneviève, qui est fille de Gallo-Romains, reçoit à sa naissance, vers 420, un nom germanique (Genovefa n'est certainement pas celtique, quoi qu'on en ait dit ; il n'y a plus guère de noms celtiques à cette époque ; Defa = weib ; gen- [genn-] doit être un radical franc).

[70] T. I, ch. I.

[71] Voir surtout t. II, ch. XIII et XV, t. IV, ch. XI, § 11.

[72] Cf. t. VI, ch. II, § 12.

[73] Ou à Pharamond ; cf., entre cent, le début de l'Histoire de France de Mézeray, 1643.

[74] Sur ces questions, en dernier lieu : Febvre, La Terre et l'Évolution humaine, 1922 ; Pittard, Les Races et l'Histoire, 1924 ; tous deux dans la Bibliothèque de synthèse historique.

[75] Cf. t. IV, ch. VIII, en particulier § 3 et 4.

[76] Sur cette question de noms, t. IV, ch. XIII, § 8.

[77] Paulin de Nole, Carm., 24, v. 305 et s. (P. L., LX, c. 621) : Massilia Graium filia alumna Sanctæ civitas Ecclesiæ. Je ne peux croire qu'il y ait là une allusion à une évangélisation apostolique, encore que ce ne soit pas impossible ; il s'agit plutôt de la piété propre de la cité. J'hésite à songer au monastère de Saint-Victor et aux sancti de Marseille, la pièce de Paulin étant des environs de 400, et, par suite, antérieure à ce monastère.

[78] Je ne trouve pas trace d'un souvenir vivant de Munatius Plancus au IVe et au Ve siècle, même chez Sidoine Apollinaire, qui était d'origine lyonnaise, et qui ne cite du passé romain de la ville que les vins dénommés du payas Antonius, qui lui font songer au triumvir, nomine pagi quod posuit nostris ipse triumvir agris (Carm., 17, 17-8).

[79] T. IV, ch. XII, § 11-13 ; ch. XIII, § 2.

[80] Il faut, je crois, distinguer au sujet des fêtes chrétiennes municipales : 1° l'anniversaire de la depositio, autrement dit des funérailles, des évêques ou saints du lieu (l'usage chrétien était d'inscrire soigneusement la date de ce jour sur les épitaphes ; cf. Corp., XIII, 2351, où il s'agit d'une simple fidèle, etc.) ; 2° celui du natalis ou de l'anniversaire des martyrs qu'on y honorait (cf. le calendrier de Polémius Silvius, p. ex. 26 déc., natalis sancti Stephani martyris, Corp., I, 2e éd., p. 279) ; 3° celui de la dédicace des basiliques ; 4° celui de l'ordinatio des évêques ; 5° s'il y avait lieu, de la translatio de leurs corps dans une basilique ; cf. Grégoire de Tours, Hist., II, 14 ; X, 31, p. 445, Arndt.

[81] C'est seulement après le Ve siècle que se répand la croyance en l'apostolicité de Denys ; Grégoire de Tours l'ignore encore.

[82] Au siècle suivant. Grégoire de Tours, In gl. conf., 87 ; Fortunat, V. sancti Marcelli ; Acta sanctorum, 31 octobre.

[83] Grégoire de Tours, In gl. conf., 89 ; Vita s. Genovefæ (éd. Kohler, Étude critique, etc., 1881 ; éd. Krusch dans les Monumenta Germaniæ, 1896 ; éd. Künstle, 1910, collection Teubner ; en dernier lieu, Kurth, Études Franques, II, 1919 [posthume]) ; Acta sanctorum, 3 janvier.

[84] Il est entendu que je ne parle que de la Gaule, mais je trouverais des faits semblables dans le reste de l'Empire.

[85] Voyez, au siècle suivant, le rôle d'Ecdicius chez les Arvernes ; en particulier Sidoine Apollinaire, Epist., III, 3.

[86] Ausone, Urbes, vers 128 et s.

[87] Ausone, Mos., 160 et s. ; Epist., 5, 28-9 ; 10, 11-14.

[88] Insignem Baccho ; Urbes, 129 ; Mosella, 160. Pour les huîtres dites bordelaises, Epist., 9, 18-20.

[89] Consul in ambabus ; Urbes, 168.

[90] Paneg., V, 21 (à Constance) ; VIII, capital à ce point de vue ; voir aussi IV, lu devant le præses provinciæ.

[91] Burdigalam in patriam nidumque senectæ ; Mosella, 449. — Voyez, au contraire, l'indifférence de Favorinus à l'endroit d'Arles.

[92] Misopogon, p. 340, Sp. — Voyez aussi la façon dont il parle de Besançon, Epist., 38 [maintenant 26], p. 31, Bidez et Cumont.

[93] Je veux dire ici le Wahal.

[94] Qu'on ne s'étonne pas de ne pas trouver l'équivalent d'une civitas Salica dans la Notitia Galliarum, qui est un document essentiellement ecclésiastique : la cité de Nimègue, disloquée par l'installation des Francs, ne dut jamais former un diocèse.

[95] Encore ne suis-je point sûr qu'un Franc Salien ne se soit pas dit civis Romanus.

[96] Sur les ambitions gauloises de Clovis, Grégoire, Hist. Franc., II, 36, 37 (valde molestum, quod hi Arriani partem teneant Galliarum), et 38, texte sur Paris capitale (cathedram regni constituit). — Le rôle et l'importance des Francs dans l'Empire romain au IVe siècle ont été pour la première fois mis en relief par Dubos dans son Histoire critique de l'établissement de la Monarchie Françoise dans les Gaules, 1734, I, p. 179 et s. (voyez l'analyse qu'en donne Lombard, L'abbé Du Bos, un initiateur de la pensée romane, 1913, p. 435 et s.). La question a été reprise par Fustel de Coulanges en 1875 dans son Histoire des institutions (édition remaniée, [II], L'invasion, 1891, p. 365 et s.). Mais l'un et l'autre me paraissent, d'une part n'avoir point tenu compte des variations subies par l'influence des Francs suivant les règnes, et d'autre part n'avoir pas insisté sur l'élément territorial, l'incorporation géographique, la domiciliation légale dans l'Empire, qui constitue la situation particulière et privilégiée des Francs Saliens.

[97] Cf. t. IV, ch. XI, § 1 et 11.

[98] T. I, ch. I, II et III.

[99] C'est le mot de Strabon.

[100] C'est ici qu'il importe de rappeler, et c'est là un fait saisissant, toutes les analogies sociales, matérielles ou religieuses que la Gaule du IVe siècle offre avec les temps de l'indépendance. À bien des égards, c'est pour elle comme le recommencement de son ancienne histoire.

[101] Je ne vise que l'Occident de l'Empire.

[102] Sans doute vers 357-358, au temps de Constance II, et cela, je crois, en dehors de toute pensée d'organisation ecclésiastique.

[103] Je songe à Procope, en 365-366.

[104] T. IV, ch. XI, § 11.

[105] Ammien, XV, 10, 1.

[106] Ammien, XV, ch. 10-12. Remarquez que Julien ne parlera jamais qu'avec attendrissement des choses de la Gaule.

[107] Je me demande maintenant si le nom de Gallia n'est pas plus ancien que celui de Celtica et ne remonte pas à la fédération druidique d'avant la conquête par les Celtes.

[108] Pas une seule fois les Panégyristes ne parlent de telle ou telle province administrative ; mais ils disent toujours Gallia, Galliæ : mea Gallia (Paneg., XII, 24), Galliæ tuæ en s'adressant à l'empereur (IX, 21). De même, Ammien, XX, 5, 5 ; XXI, 5, 4 (discours de Julien). Voyez, de même, Ausone dans son Actio gratiarum consulaire en 379, remerciant Gratien au nom omnium Galliarum (8, 40), et avec quelle insistance il parle de la reconnaissance des Gaules (11, 52 ; 18, 82 et 83).

[109] Ammien, XV, 9, 4 et 8 ; Paneg., XII, 46 ; Ausone, Prof., 5 et 11.

[110] Zosime, IV, 51 : Κελτός τό γένος (Rufin, lequel était d'Éauze en Novempopulanie, par conséquent d'une région qui n'était pas originellement celtique) ; Γαλάτας, Sozomène, III, 61, c. 1047 ; τό τών Κελτων έθος, Julien, Epist. ad sen. Ath., p. 277 et 287, Sp. ; etc. L'usage s'était d'ailleurs répandu dans les manuels scolaires de géographie, d'appeler provincia l'ensemble de la Gaule et de l'étudier dans un chapitre spécial (par exemple, Expositio, § 58, p. 121, Riese). Que ces expressions géographiques fissent souvent penser à des unités nationales, c'est ce que montre l'extraordinaire passage d'Orose, Historiæ adversus paganos, V, 1, 1.

[111] Remarquez l'insistance avec laquelle les Pères de l'Église relèvent les caractères religieux communs à toute la Gaule (le culte de Mercure, la sagesse des druides).

[112] Paneg., XII, 47 : Quæ reversus urbibus Galliarum dispensabo miracula ! Voyez encore de quelle manière il parle de sa Gaule (XII, 24) : Unde ordiar nisi de tuis, mea Gallia, malis ?

[113] Rutilius Namatianus, I, 549. : Laudet Gallia civem ; cf. I, 19 et s. Patria nostra, dit Sidoine pour la Gaule (et remarquez qu'il dit au singulier Provincia Gallia ; Epist., I, 7, 4). — Le mot de patria est appliqué à une région naturelle qui est un ensemble de provinces : l'Espagne, Paneg., XII, 5 ; la Pannonie ou l'Illyrie, Pan., II, 1 ; Aurelius Victor, De Cæs., 39, § 26.

[114] Patria pour Bordeaux : Ausone, Mos., 449 ; Urbes, 129 ; Paulin de Pella, Euch., 43 ; pour Narbonne : Aur. Victor, De Cæs., 39, § 12 ; pour la civitas des Arvernes : Sidoine, Epist., III, 3, 1 ; pour la cité en général, C. Th., XIII, 3, 7 ; etc.

[115] Multi jam, tunc ex Galliis habere Francos dominos summo desiderio cupiebant, (Grégoire, Hist., II, 35).