HISTOIRE DE LA GAULE

TOME VIII. — LES EMPEREURS DE TRÈVES. - II. - LA TERRE ET LES HOMMES.

CHAPITRE V. — LA VIE INTELLECTUELLE[1].

 

 

I. — L'INTELLECTUALISME DE LA NOBLESSE.

Ces grands seigneurs qui possédaient la terre et régentaient la société, formaient aussi l'élite intellectuelle du monde romain. Aucune aristocratie dans l'histoire n'est arrivée à une telle valeur de l'esprit. Elle voulut gouverner par la rhétorique et la poésie au même titre que par la richesse et les honneurs ; le culte des lettres était pour elle une vertu de Romain, un des éléments de son patriotisme, et, de même que Julien avait mis le meilleur de sa foi religieuse dans l'adoration des œuvres de l'hellénisme et l'hommage aux poèmes d'Homère, de même les clarissimes de Gaule regardaient comme un devoir civique d'imiter Cicéron et de copier Virgile. La littérature était devenue l'asile suprême où s'abritaient es croyances et les illusions du monde antique près de finir.

Qu'on ne se trompe pas en lisant les œuvres du plus fameux[2] poète de ce siècle, le Bordelais Ausone[3] : ce sont les passe-temps d'un grand seigneur et non pas les tâches régulières d'un écrivain de profession. Ausone est évidemment un poète impénitent, et il a dû versifier dès sa plus tendre jeunesse, à l'Université où il, a été tour à tour étudiant et maître : mais, devenu très riche, grand propriétaire, clarissime, haut fonctionnaire et consul, il versifie plus que jamais, et avec une telle ardeur, qu'il semble faire de la poésie l'obligation de sa qualité de sénateur.

C'est en vers qu'il correspond avec ses amis[4] ; et c'est dans son milieu d'aristocrates que le Christianisme de Gaule recrutera son plus grand poète, Paulin, et son plus grand historien, Sulpice Sévère. Si parmi les évêques nous en trouvons qui méprisent la littérature, comme Martin de Tours[5], soyons surs qu'il sort d'un petit monde[6], et que Paulin son disciple ou Hilaire son maître trouveraient sans doute exagéré son dédain des belles-lettres et du beau langage. Lorsque le pieux petit-fils d'Ausone, octogénaire et prêt à paraître devant son Dieu, voulut faire la confession publique de sa longue vie, c'est sous forme de poème qu'il l'écrivit[7]. Le seul livre de science que nous ayons de l'époque, un traité Des Médicaments, est l'œuvre d'un très grand personnage, le Gaulois Marcellus, maître  des offices au palais de Théodose[8].

Car une fois réglés les soucis de la terre et du pouvoir, le sénateur ne vit plus qu'avec ses Muses. Vraiment, elles sont pour lui autre chose qu'un nom ou une figure ; elles sont de vraies déesses, et il respire par elles presque autant que le chrétien par son Dieu. Les grandes villas de Gaule ressemblaient à des temples qui leur seraient consacrés. On en décrivait en de petits poèmes les salles et les décors, les jardins et les fontaines[9] ; des dédicaces en vers, composées par le maître, y ornaient les socles des statues[10] ; des scènes y étaient aménagées, et l'on y jouait des pièces de théâtre, œuvres toujours applaudies du sénateur ou de l'un de ses amis[11].

Les empereurs donnaient l'exemple, et il resta toujours un peu de l'âme de Marc-Aurèle dans le palais des Augustes. Aucun d'eux n'a été indifférent à la vie littéraire de l'Empire. Tous ont regardé comme leur devoir de chef de savoir bien parler et de goûter la poésie[12]. Les intérêts de l'école passionnèrent Constance Chlore ou Gratien. Julien exagérait sans doute en exigeant des gouverneurs de provinces qu'ils fussent d'abord de bons orateurs. Mais Théodose, qui fit tant de sottises, était dans la note romaine lorsque de sa propre main il écrivit à Ausone pour le féliciter de ses vers et lui en demander un exemplaire.

Ceux-là même des maîtres de l'heure qui n'appartenaient pas à la vieille société romaine, je songe aux rois ou aux chefs des Francs, s'empressaient de sacrifier aux Muses dominatrices. Ils savaient que pour arriver au consulat il fallait passer par Cicéron, et que le renom de lettré était indispensable à qui voulait gouverner le monde. Ces Francs se faisaient donc instruire aux lettres latines, ils savaient s'entretenir avec les rhéteurs en vogue, ils se donnaient un mal infini afin de ne point passer pour des Barbares. En ces temps où tout le monde raffolait des généalogies ils finirent par trouver celle de leur nom et de leur race, et on écrivit que les Francs étaient d'origine troyenne, arrière-descendants de Francus, un fils d'Hector, fils de Priam[13]. Ils peuvent donc maintenant entrer dans la cité romaine, puisque, comme Romulus, ils ont pour fondateur de leur lignée un héros chanté par Homère. Ainsi avaient fait jadis les Rèmes de Champagne en se disant issus de Remus. Un même mouvement d'adoration emporta tour à tour vers les poèmes d'Homère et les mythes de la Grèce les créateurs de l'Italie latine, les héritiers du Celte Ambigat et les précurseurs de Clovis. Quiconque toucha aux rives de la Méditerranée voulu avoir pour patrie d'origine un foyer célébré par le poète divin, et c'est en cela peut-être que réside la plus grande beauté de l'Empire romain en ses derniers jours, qu'il se plaça lui aussi sous la sauvegarde d'Homère et de Virgile, et qu'il fut une façon d'instruire les hommes et de les unir en la communion des lettres.

 

II. — CARACTÈRE ET RÔLE DE L'ÉCOLE.

Le prestige de l'école n'avait donc fait que grandir. Elle était devenue, dans la vie civile, aussi importante, aussi glorieuse que le prétoire. Au reste, elle y conduisait. C'était parmi ses professeurs que se recrutaient souvent les plus hauts dignitaires. Mamertin, rhéteur en Gaule, est devenu ministre du Trésor et préfet du prétoire par la grâce de Julien[14] ; Ausone, rhéteur à Bordeaux, est devenu questeur et préfet du prétoire par la faveur de Valentinien et de Gratien ; tous deux sont arrivés ensuite au consulat ; et l'un de leurs héritiers en fait de rhétorique, Eugène, a été proclamé empereur. Ces écoles étaient considérées comme de véritables séminaires d'administrateurs : la plupart de ceux qu'elles formaient se destinaient aux diverses fonctions du secrétariat d'État, du conseil impérial ou de la magistrature provinciale[15]. Pour avoir des orateurs comme gouverneurs, il fallut bien que Julien allât chercher des hommes sortis des grandes écoles.

La coutume, chez tous les riches, est maintenant[16] d'envoyer ses fils à l'Université[17]. Ils ont renoncé au système de l'instruction particulière, qui prépare si mal à la pratique de la vie publique, et il n'y a plus guère que les fils d'empereurs qui reçoivent l'enseignement d'un précepteur domestique[18]. Mais les neveux ou les proches du prince vont eux-mêmes à l'école[19] ; et avec eux iront sans doute aussi les fils des chefs barbares[20], et ils s'y rencontreront avec des enfants de parvenus ou des héritiers de la vieille noblesse : je doute qu'il se soit mêlé à eux beaucoup de petites gens[21]. Les écoles du Bas Empire ressemblent moins à nos Universités qu'à ces grands collèges de la France des Bourbons, dont la vogue tenait à la clientèle de la noblesse et de la haute bourgeoisie[22].

C'étaient des établissements publics auxquels concouraient à la fois l'État, les communes et les particuliers. La cité payait les professeurs[23] mais l'empereur fixait lui-même le chiffre de leur traitement, en l'imputant sur le budget de la cité[24] ; et les élèves étaient encore tenus à une rétribution scolaire au profit de leurs professeurs[25]. Ceux-ci étaient nommés par le sénat local[26], mais le prince ne renonça jamais à contrôler leur choix[27] ou à imposer le sien, surtout quand il s'agissait du recteur de l'école[28] ou de son professeur éminent[29]. Si le bâtiment est en principe communal, la ville ne se prive pas de s'entendre avec César pour les frais d'une restauration[30]. Ces Universités, qui étaient nées de la vie municipale, sont devenues des organismes très complexes, ou l'État et les cités enchevêtrent leurs droits et leurs obligations, mais qui, tout mis en balance, sont maintenant placés sous la tutelle souveraine de l'autorité impériale : elle a peu à peu insinué la police publique partout où l'on enseignait, comme le pouvoir royal le fit sous les Bourbons au détriment des collèges de villes et de l'autonomie universitaire[31]. Il est vrai que l'État romain ne put faire autrement que de surveiller l'école, dès le jour où il lui demanda de préparer des fonctionnaires.

 

III. — PROCÉDÉS D'ENSEIGNEMENT.

Les écoles romaines de la Gaule donnaient un enseignement complet, depuis l'abécédaire appris à des enfants de moins de cinq ans[32], jusqu'aux notions de droit[33] destinées à des adolescents de dix-huit ans[34]. Mais c'était un enseignement exclusivement littéraire, de vulgarisation intellectuelle si je peux dire : aucune place n'y était faite aux sciences spéciales ; la technique industrielle ou la pratique des beaux-arts se dispensaient ailleurs, au moyen de l'apprentissage dans les fabriques ou les ateliers, et du reste l'élite de la société romaine méprisait plus que jamais la besogne du métier manuel. Et quant aux sciences supérieures de la vie, le droit[35] et la médecine, elles s'apprenaient à vrai dire de façon semblable, au service d'un praticien illustre[36] : et à ce régime, si puissant qu'y fût parfois le parti pris ou la tradition, le travail et l'expérience en accord avec le maître valaient sans doute mieux qu'un enseignement d'école, dès lors voué à d'uniformes théories et à de stériles exercices.

Deux catégories de professeurs se partageaient la besogne[37]. Pour les débutants, c'étaient les maîtres de grammaire, lesquels enseignaient à lire, à écrire, à s'exprimer correctement ; dans les classes supérieures[38], c'étaient les maîtres de rhétorique, lesquels formaient à la discipline littéraire, à interpréter les bons auteurs, et surtout à les imiter. — Mais les uns et les autres procédaient par un même système chez le modeste écolâtre qui montrait les lettres de l'alphabet[39] ou chez le rhéteur illustre qui commentait une harangue de Cicéron, la méthode de l'enseignement était pareille, et, de la sortie du berceau à la toge virile, l'enfant ne recevait la science que d'une seule manière.

C'était par le livre qu'il apprenait à connaître les choses, et rarement par leurs principes[40]. On lui présentait les règles de la grammaire grecque en lui expliquant un texte d'Homère ; on lui racontait les faits de l'histoire en lui lisant Salluste[41] ; l'étude de Platon lui fournissait ses premières notions de philosophie[42] ; la lecture de Quintilien l'initiait à la rhétorique[43] ; et si le professeur était curieux de physique ou d'astronomie, il trouvait moyen de faire allusion aux lois de la nature en commentant Cicéron[44] ou Virgile[45]. Tout était chez les auteurs classiques : il suffisait de l'y chercher[46]. Le livre d'abord, et toujours et jusqu'à la fin, le livre qu'on lit sans cesse, le passage sur lequel on s'arrête de longues heures pour amplifier, paraphraser ou subtiliser, des mots et surtout des mots à travers lesquels on veut apercevoir la vie et le monde, voilà ce que représentait l'école : l'art et la science s'y dévoilaient à l'esprit, non pas dans l'ordonnance d'un système ou la beauté d'un ensemble, mais en lambeaux et par ricochets, à propos d'un vers de Virgile ou d'une question de Socrate[47] ; et c'était alors le culte de la chose écrite, devenue comparable à une parole révélée, l'adoration traditionnelle de la phrase transformée en oracle, comme si toute vérité pouvait être contenue dans un texte solennel et que la tâche des hommes dût consister seulement à entourer ce texte de gloses, de scholies et de commentaires.

Un tel enseignement conduisait les élèves à savoir par cœur Platon ou Virgile, à ne plus penser que par leurs œuvres, à ne plus s'exprimer que par leur langage[48], à voir en eux les conducteurs nécessaires de leurs idées et de leurs discours mais il les laissait ignorants de tout ce qui était la nature propre et de la valeur absolue de la science et de l'art, incapables de trouver et de construire par eux-mêmes. Assurément, le Chrétien procédait de même, lorsqu'il bâtissait son existence, réglait sa conduite et façonnait son âme à l'aide des paroles du Christ ou des versets de la Bible[49] : mais il ne demandait encore à son œuvre que des principes de morale ou des révélations sur l'inconnu, tandis que l'école sollicitait des siens l'origine de toute vérité. Ces générations du quatrième siècle n'étaient certes pas inférieures, en souplesse d'esprit ou en délicatesse de sentiment, aux contemporains de Tacite ou de Lucain ; elles désirent trouver dans les paysages de la nature, les charmes de la famille, les angoisses de la religion, des sources d'inspiration qu'avaient ignorées leurs aïeux[50] ; elles n'en ont cependant tiré que des effets médiocres et des œuvres bâtardes, parce que l'école les avait condamnées aux redites et à la routine, au modèle éternel et à l'exemple consacré, et qu'elle avait tué prématurément dans l'intelligence de la jeunesse le souci de la nouveauté et le sens de l'indépendance[51].

 

IV. — LE PRESTIGE DU GREC[52].

Une autre caractéristique de cet enseignement était de faire une place éminente à la langue et à la littérature helléniques[53]. L'une et l'autre y sont au rang qu'occupait le latin dans nos collèges d'autrefois : dès que l'enfant apprend à lire, on le met aux lettres grecques[54] ; Homère lui deviendra aussi familier que Virgile, Platon que Cicéron, et Ménandre[55] que Térence. Tout homme de qualité doit savoir écrire et parler en grec, et parsemer ses lettres et ses pages de souvenirs de l'Odyssée ou de citations de l'Iliade. On dirait que cette aristocratie de lettres emploie ses efforts et occupe ses loisirs non pas à vivifier sa propre langue, mais à s'assimiler celle de ses plus anciens éducateurs elle utilise pour penser les réminiscences de grec que l'école lui a laissées, à la manière dont notre bourgeoisie s'est si longtemps complu à s'inspirer d'Horace et à transformer en proverbes les règles de ses grammaires latines.

C'était, par culte de la tradition, par respect pour des maîtres d'ailleurs incomparables, c'était pécher contre l'avenir de l'esprit. Rome et sa littérature avaient peut-être plus perdu que gagné à vivre dans l'esclavage intellectuel de la Grèce. Plus de spontanéité dans la forme ou la pensée aurait sans doute doté les lettres latines d'une vigueur originale qui leur a manqué. Virgile était un poète trop bien doué pour ne pas s'élever aussi haut qu'Homère en n'essayant plus de le suivre ; et l'Énéide, triste et lente, n'a point tiré d'avantages en se modelant sur l'Iliade, si vivante d'allure. Le poète le plus audacieux et le plus personnel de l'histoire romaine, Lucain, est celui qui a délibérément négligé de plaquer des figures grecques sur un tableau d'inspiration latine. Presque tous les intellectuels du quatrième siècle n'ont fait que de misérables centons ou de mornes paraphrases, pour avoir ressassé les fables des poèmes homériques et disserté sans fin sur les Dialogues de Platon.

Mais c'était nuire également à l'intelligence des belles œuvres de l'hellénisme que d'en faire la matière d'exercices scolaires interminables[56]. A force d'en imprégner l'esprit de l'écolier, de lui répéter sans relâche, douze ans durant, les mêmes textes de l'Iliade ou du Phédon, en les insérant de façon indélébile dans la mémoire comme pour devenir la trame de tous ses souvenirs, on l'habituait à ne plus voir que formes et formules dans les plus beaux passages des écrivains helléniques ; le sens réel des œuvres était remplacé par le verbalisme, par l'obsession de la phrase ; et l'on ne comprenait plus les splendeurs divines des Perses ou des Lois pour les avoir trop mêlées à de vulgaires exercices.

A côté de l'école, d'autres éléments valurent à l'hellénisme un dernier renouveau. Les Chrétiens empruntèrent à l'Orient grec les dogmes les plus subtils de leur foi, les formules les plus originale de leur discipline religieuse. Lorsque l'évêque Hilaire revint d'Asie, son esprit, soyons-en sûrs, était plein d'effluves helléniques, et il sut les répandre autour de lui[57]. Si le Christianisme latin a pu trouver, pour désigner les édifices de sa piété, les hommes de son clergé ou les épisodes son culte, des expressions spéciales qui le distinguaient aussitôt des religions païennes, c'est parce qu'il sut les accepter de la langue grecque, et qu'il dit pour ses églises ecclesia et non conventiculum[58], pour ses prêtres presbyter, episcopus ou diaconus et non pas sacerdos[59], pontifex ou curator, pour ses cimetières cœmeterium ou polyandrium et non pas ossuarium. De leur côté, les Syriens et autres mercantis[60] qui ne parlaient que le grec, ont dû introduire plus d'un mot de leur langue dans le populaire qui fréquentait leurs boutiques ou dans les foules auxquelles ils se mêlaient les jours de marché ou de foire. C'était souvent en grec qu'on interpellait le tenancier d'auberge, et le mot hellénique sortait des bas-fonds de la société ; mais c'était aussi en grec qu'on parlait à la Cour des empereurs de Trèves ou de Paris : Julien avait toujours autour de lui un cortège de rhéteurs et de philosophes, qui, d'Orient, étaient venus le rejoindre sur les bords de la Seine[61] ; Constant son prédécesseur avait appelé en Gaule le fameux Proérésius, un des premiers rhéteurs grecs qui eussent fait profession de Christianisme ; et lorsque Gratien leur successeur voulut avoir dans les Alpes une ville à son nom, il habilla ce nom à la grecque, et ce fut Gratianopolis, Grenoble[62].

Les familles comme les villes recherchaient les noms grecs. Il y a beau temps qu'ils ne sont plus le monopole des esclaves ou des petites gens. Les professeurs d'Autun que nous connaissons, Glaucus ou Eumène[63], sont désignés par des mots de la langue hellénique ; et c'est aussi le cas de la moitié des maîtres bordelais[64]. Ausone, parmi les membres de sa lignée, en voit un tiers qui portent des noms grecs[65]. Il n'est pas jusqu'aux derniers des dieux païens qui ne consentent à s'appuyer sur des vocables attiques le vieux Bélenus gaulois s'entoure de prêtres et de dévots appelés Phœbicius ou Delphidius[66], comme si le patronage hellénique lui vaudrait une suprême chance de survie.

A plus forte raison, le grec s'était fait sa place dans les Universités. Près de la chaire du grammairien latin est celle du grammairien grec, dont le titulaire était souvent quelque Oriental, cherchant dans les écoles gauloises à gagner son pain[67]. Cela réussit à quelques-uns. A Bordeaux, le Syracusain Citarius eut de tels succès, et si divers, qu'il se maria dans la noblesse[68]. A Autun, ce fut un Athénien qui fit les délices de l'école, et, longtemps après, son petit-fils Eumène fut choisi par le premier Constance pour la réorganiser comme recteur[69].

 

V. — ÉCOLES ET MAÎTRES CÉLÈBRES.

La plus célèbre de ces Universités fut d'abord celle d'Autun, qui avait déjà derrière elle trois siècles de vogue. Elle fournit aux collaborateurs de Dioclétien et à la famille de Constance les orateurs des panégyriques officiels pour les jours d'anniversaires ou de consulats car, en ces heures solennelles, il y avait toujours place pour un très long discours, que faisait un orateur en renom, et que le prince écoutait dans un majestueux silence. Vieux soldat comme Maximien[70], politique comme Constantin[71] ou lettré passionné comme Julien[72], un empereur devait accorder à la rhétorique son instant de gloire. Une des principales préoccupations du premier Constance, au milieu des dangers qui l'assaillaient de toutes parts, fut de rendre tout son prestige à l'école d'Autun et de choisir le chef[73] qui la remettrait au pinacle[74]. Reconstruite et bien dotée[75], elle devint pour ainsi dire la confidente ou l'interprète du palais impérial[76]. Car, dans ces harangues officielles qu'on demandait à ses maîtres, sous cette rhétorique pompeuse et apprêtée, mais aux termes choisis avec un art infini, se dissimulaient d'ordinaire des pensées inspirées par le souverain, l'exposé de sa politique, l'apologie de ses actes. Un panégyrique de rhéteur autunois ressemble un peu à une déclaration de chef d'État. Par la bouche de l'orateur qui lui parlait, l'empereur s'adressait à l'opinion publique[77].

La renommée, après Constantin[78], passa à l'Université de Bordeaux, de date beaucoup plus récente[79], une parvenue dans la vie intellectuelle[80]. Peut-être les empereurs ne l'ont-ils pas encouragée, autant que celle d'Autun, par les faveurs officielles : elle était si loin de Trèves ! Mais la ville de Bordeaux eut à cœur de la soutenir elle-même, en y attirant les étrangers, en adoptant les plus dignes d'entre eux, en retenant les plus illustres de ses fils[81]. Il s'y fonda ainsi de véritables dynasties de professeurs, et l'école y devint, pour les meilleurs de ses fidèles, la maison qu'ils ne quitteront plus, tour à tour écoliers et maîtres, et, à la fin, dans les heures de la retraite, entourés par l'admiration respectueuse des collègues qu'ils avaient formés et qui les avaient remplacés[82]. Aussi la Gaule, d'elle-même, finit par aller aux lettrés de Bordeaux ; et si l'école girondine[83] ne fournit jamais au palais des rhéteurs souples et avisés à la façon de ceux d'Autun, elle eut la gloire d'y élever un empereur, lorsque Valentinien confia à un maître bordelais, Ausone, l'éducation de son fils Gratien, déjà proclamé Auguste. — Il nous faut bien revenir souvent sur cette personnalité d'Ausone : car il a vécu plus de quatre-vingts ans, et, né alors que Dioclétien existait encore, il a correspondu avec Théodose. Sa vie se confond presque avec la durée du siècle. Or, il a enseigné et écrit pendant soixante ans, et, chose rare, il parlé surtout des hommes de son temps et des choses de la Gaule. Bordeaux, comme avait fait Marseille sous Auguste, échangeait donc la richesse commerciale pour le rôle intellectuel ; de place de commerce il. devenait ville d'études ; des centaines de jeunes gens passaient par son école, et ses maîtres défrayaient la chronique du siècle[84].

Il y en eut de toutes sortes : les uns, pauvres êtres faméliques qui ne s'aventuraient guère en dehors des alphabets grec ou latin ; d'autres, plus habiles, qui complétaient largement leurs salaires publics par des avantages variés ; et d'autres qui sentaient en eux toutes les ambitions, et celle des lettres et celle des honneurs et celle de l'argent, et qui ne voyaient dans l'école qu'une préparation à la gloire. De ceux-ci furent Aléthius, qui se fit l'historien de Julien[85] ; Delphidius[86], orateur célèbre, fils lui-même de rhéteur[87] et, disait-on, descendant des druides[88], riche et noble comme pas un, mais dont la femme et la fille se laissèrent séduire par les erreurs de Priscillien[89] ; Minervius à la vogue universelle, qui, après avoir enseigné la rhétorique à Constantinople et à Rome, eut la délicatesse de vouloir achever sa vie de professeur dans cette cité de Bordeaux dont il étai sorti[90] ; et enfin Ausone, qui, de simple maître d'enseignement primaire, devint rhéteur, précepteur de prince, comte, questeur, préfet et consul, et qui mourut dans l'opulence et la plus haute aristocratie. — Car, s'il le fallait, l'État ou les villes s'arrangeaient pour que leurs maîtres fussent largement payés. On parle pour l'un d'eux, il est vrai recteur de l'école d'Autun, d'un traitement de 600.000 sesterces, l'équivalent de celui d'un ministre du Palais. A cela s'ajoutaient les rétributions des élèves, des répétitions lucratives[91], des bénéfices[92] ou immunités de tout genre. Tous les biens de ce monde pouvaient arriver à un professeur, pourvu qu'il sût y aider[93].

Une seule Université essaya de faire concurrence à celle de Bordeaux : ce fut l'école de Toulouse sa voisine, de cette cité de Minerve où la vie intellectuelle s'était déjà épanouie au premier siècle de l'Empire[94]. Toulouse réussit même à enlever à Bordeaux, comme maître, l'oncle d'Ausone, ce rhéteur Arborius qui fut fameux en son temps par sou intelligence toujours en éveil et son ambition encore plus surexcitée[95], et à lui enlever aussi, comme élèves, quelques-uns des plus illustres jeunes gens de l'Empire, frères ou neveux d'Auguste[96].

Ces trois foyers d'études, Autun, Bordeaux et Toulouse, étaient loin de suffire au besoin d'apprendre. La Gaule, en ce temps-là raffolait de l'étude, et ses maîtres étaient célébrés dans le monde entier. D'autres écoles, héritières du passé ou improvisées depuis la Restauration, apparaissent çà et là dans les cités à Trèves, où cependant là présence d'une cour et d'une armée gênait la vie studieuse[97] ; à Narbonne, où l'enseignement n'était plus qu'une survivance d'anciennes gloires[98] ; à Poitiers, où il préparait au contraire un long avenir de travail littéraire[99] ; et même à Angoulême, petite ville à moitié neuve[100], à peine promue au rang de municipe, et qui s'essayait à prendre figure[101].

 

VI. — PROPAGATION DU LATIN.

Je rappelle que c'est l'aristocratie foncière qui faisait vivre surtout ces écoles. A l'arrière-plan de celles de Toulouse ou d'Angoulême, j'aperçois les maîtres terriens du Languedoc ou de la Charente ; et pros que au sortir de l'Université de Bordeaux bien des jeunes gens firent leur apprentissage de propriétaires vignerons[102]. Aussi, gardons-nous de croire que ces maîtres, grammairiens ou rhéteurs, aient véritablement aidé à propager l'instruction sur la terre de Gaule, à y faire parler davantage la langue de Rome et mieux connaître les œuvres de ses lettrés. Ce serait se tromper sur la portée du rayonnement de ces écoles elle ne dépasse pas l'horizon d'une élite, qui déjà savait le latin, et dont les pères avaient lu Virgile.

La masse du peuple n'en apprit ni plus ni moins à lire et à écrire. A mon sens même, le nombre des illettrés n'a cessé de croître depuis le milieu du troisième siècle. Les misères matérielles empêchaient de songer à autre chose qu'au pain quotidien. A ces Barbares qui affluent comme colons, on ne demande que de labourer la terre. Si Martin oblige ses jeunes moines à copier des manuscrits, il ne s'agit que de ceux des Saintes Écritures, et il s'adresse qu'à un groupe peu nombreux, et où se recruteront les chefs d'Églises[103]. Les inscriptions funéraires, nombreuses encore sous les Sévères, sont de plus en plus rares[104]. De ces milliers de grands domaines, si riches et si pleins de vie, il ne nous est point resté vingt textes qui soient du quatrième siècle[105]. Dans le grand cimetière de Bordeaux, tout à côté de la plus vivante des Universités romaines, je ne lis que deux ou trois inscriptions au milieu de plus de cent sarcophages anonymes[106]. Quand les écrivains militaires recommandent de rechercher avec soin parmi les conscrits, pour en faire des fourriers ou des teneurs de livres, ceux qui savent lire, écrire et compter[107], c'est évidemment parce que l'espèce en était devenue difficile à rencontrer.

Pourtant, à défaut de l'instruction primaire, l'usage de la langue latine se propageait ce qui est une tout autre affaire, car il se répandait par la parole, par les contacts et les nécessités de la vie, et non pas par l'enseignement. De nouveaux éléments aidaient à des conquêtes. Les Barbares, qui se multipliaient aux champs et aux armées, ne pouvaient être dirigés et disciplinés que dans le langage de Rome on ne saurait demander à un intendant de parler le germanique aux uns ou le sarmatique aux autres. S'il envoyait un colon franc à la foire prochaine pour vendre du blé ou du bétail[108], il fallait bien que l'homme se tirât d'affaire avec quelques mots de latin. Le Christianisme vint à son tour apporter à ce latin un appui considérable. Sa foi ne se propage que par un livre, et ce livre est dans la langue de Rome[109]. Martin, qui s'en va évangéliser les paysans de la Touraine, du Berry ou de la Bourgogne, ne prêchera certainement pas en gaulois : il est né près du Danube, il n'a jamais été que soldat et prêtre, et il n'y a pas de raison pour qu'il sache le celtique. Son ami Victrice part de son côté pour convertir les populations de la Flandre, moitié belges et moitié germaines, où beaucoup d'immigrants saxons se mêlent aux bûcherons, aux pêcheurs ou aux sauniers d'origine nervienne ou ménape : comment se fera-t-il comprendre de tout ce monde, s'il n'annonce pas en latin l'Évangile du Christ ? Nous avons de Victrice un sermon prononcé devant ses fidèles de Rouen : il est en excellent latin. C'est en cette langue que sont les prières devant les autels, les exorcismes contre les démons[110], les hymnes composés par Hilaire. La religion nouvelle, qui s'adressait à tous, ne pouvait s'exprimer que dans la langue de tous ; un seul langage convenait à l'Église Universelle ; et la conversion des Gaules au Christianisme acheva de les convertir à la parole de Rome.

Il n'empêche que le gaulois vit toujours, à la fois insinuant et tenace[111]. Je ne suis pas certain que les colons francs n'en aient point mêlé quelques mots à leur jargon latin, à la manière dont les Italiens de Marseille brouillent et bredouillent ensemble le français et le provençal. En apprenant la langue du maître, le paysan n'oubliait pas toujours celle de ses aïeux, et dans cette Gaule où la vie des champs redevenait souveraine, le paysan, malgré sa servitude, préparait la loi de demain. La terre est si souvent plus puissante que l'école[112] ! Bien des mots ou des tournures indigènes survivaient à la défaite apparente[113]. l'Église elle-même dut accepter quelque chose du celtique, en refusant pour sa cloche le campana du latin et en préférant le clocca des villages gaulois. Les lettrés eux-mêmes s'intéressaient, plus qu'autrefois, à ces mots étranges, à ces restes verbaux d'un vieux passé ; ils savaient que Divona voulait dire la source divine[114], vernemetum, le sanctuaire éminent[115] ; ils notaient dés formations hybrides, où le gaulois substituait ses thèmes au latin hellénisé, disant par exemple, pour trépied, tripeccia au lieu de tripus[116]. Au jour, d'ailleurs très proche, où la langue romaine dominerait les moindres recoins de la campagne gauloise, elle garderait par devers elle bien des dépouilles de l'idiome national.

 

VII. — NOUVELLES SOURCES D'INSPIRATION LITTÉRAIRE.

La Gaule, enfin, a pénétré dans la littérature latine, elle y a acquis son domaine, elle y excite des œuvres, elle y marque son empreinte.

Assurément, depuis trois siècles, elle avait produit nombre de poètes et d'orateurs : mais c'était pour les donner à Rome. Aveuglés par l'éblouissant éclat de la cour impériale ou de la gloire latine, aucun d'eux n'avait fait de la Gaule la patrie de son intelligence, la Muse de son inspiration[117]. Maintenant que l'empereur réside à Trèves, un écrivain gaulois peut, sans blesser son amour-propre de Romain, ne point quitter la Gaule et lui consacrer sa vie et son talent. Minervius y est revenu après ses étonnants succès dans les deux capitales[118]. Pour Ausone, Rome n'est qu'un nom vénérable et un soleil lointain : c'est entre Bordeaux et Trèves qu'il passe sa vie, et il ne voit et ne glorifie le monde latin que par la beauté et le charme des horizons gaulois[119]. Les Chrétiens eux-mêmes aident leur patrie provinciale à prendre sa place dans le domaine des lettres : s'ils honorent l'Église Universelle, ils se laissent surtout attirer par les saints de leur entourage, et Sulpice Sévère l'Aquitain, en même temps qu'il écrit l'histoire du Christianisme, réserve à saint Martin de Tours les plus vivantes de ses œuvres.

Il en résulta que les poètes et les orateurs de ce siècle trouvèrent des sources d'inspiration neuves et profondes, qui avaient échappé à leurs prédécesseurs des premiers temps de l'Empire. Je ne mets pas en doute leur infériorité en fait de style, d'imagination, de puissance créatrice je né veux parler que des émotions qui animent leurs œuvres, des êtres ou des choses qui les ont fait sentir, rêver et écrire. Or, chez un écrivain du quatrième siècle, l'émotion est plus vive, elle vient de sujets plus proches de son âme, plus liés à sa vie, plus voisins de son regard. La littérature de ce temps es une littérature de sentiment, et je le dis des auteurs chrétiens comme des autres.

Un auteur parle volontiers des êtres de son entourage, de ceux qu'il a chéris ; on sent, dans ce qu'il écrit, un appel à ses souvenirs, un reflet de ses tendresses. Si Sulpice a composé la Vie de saint Martin, c'est surtout parce qu'il l'a connu et profondément aimée, et dans son admiration pour le prêtre il ne dissimule pas l'affection pour l'homme[120]. Même chez les rhéteurs d'Autun, même en face de l'empereur, on saisit la note personnelle, le mot qui évoque leur passé ou dévoile leurs espérances[121].

Cette note dominera toute l'œuvre d'Ausone. Regardons-la de plus près. — Ici[122], c'est l'hommage aux professeurs de l'école, ses collègues et amis, depuis le plus humble jusqu'au plus célèbre : à chacun d'eux il décerne une pièce de vers, il apporte les épithètes qui feront deviner les traits et l'humeur du maître. Là[123], c'est sa propre famille qu'il fait revivre, aïeux et descendants, enfants morts en bas âge et vieillards au souvenir vénéré, femmes et jeunes filles qui ont accompagné sa jeunesse ou qui réjouissent ses derniers jours ; et puis, c'est la poésie touchante où il retrace la belle vie de son père[124], et les ers attendris où il donne à son petit-fils les suprêmes conseils du grand-père qui s'éloigne[125]. Professeurs ou parents d'Ausone, ce n'étaient pour la plupart que des âmes de valeur moyenne et d'existence banale : mais il a su comprendre qu'ils pouvaient inspirer de la poésie par cela seul qu'ils inspiraient de l'affection. Aux galeries de héros mythologiques dont avaient abusé les lettrés de l'ère classique[126], succédaient les portraits de famille, le culte des émotions personnelles, l'art d'être fils ou d'être grand-père.

A côté des sentiments de l'âme, voici les sensations regard ; à côté de la famille, le paysage, la couleur locale après expression de la tendresse intime. Les écrivains gaulois de ce temps, à la manière de nos premiers romantiques, ont voulu peindre les spectacles qui les entouraient et qui leur étaient chers, mêler à leur œuvre la nature qui se mêlait à leur vie. Ausone consacrera un poème d'un demi-millier de vers à la rivière de Trèves, cette Moselle qui était devenue le Tibre du nouvel Empire[127] ; et il y cherchera, non pas à glorifier cet Empire en périodes grandiloquentes ; mais à noter en termes exacts les nuances de l'eau, les 'variétés du paysage, et les mille bruits de la route, avec ses paysans qui chantent, ses matelots qui rament, et le moulin qui tourne ses roues. Si, mieux que nulle ville de ce temps, nous connaissons Bordeaux, ses remparts, ses rues, son port et sa fontaine, c'est parce qu'Ausone nous a longuement entretenus de sa patrie municipale, en détail et avec amour[128]. Les rhéteurs d'Autun, eux aussi, célèbrent leur cité de manière à la rendre vivante pour nos yeux, et, lorsque Constantin y fait son entrée, ils savent nous montrer la foule qui se presse, les musiciens qui jouent au coin des rues, les tentures qui pendent aux fenêtres, les drapeaux des collèges qui saluent l'empereur[129]. Voyez l'évêque Martin chez Sulpice Sévère ce n'est pas le type d'un héros mythique, le portrait d'un saint idéal, c'est un homme du cru, un Tourangeau d'adoption, qui circule d'Amboise à Candes, qu'on voit  sur les bords de la Loire où à l'ombre des rochers de Marmoutier[130].

Mais le sentiment qui était devenu le plus impérieux, et qui par là était de nature à imprimer aux lettres latines l'audace d'une jeunesse nouvelle, était la foi et l'espérance du Chrétien. Que les traités d'exégèse, ou de théologie, tels que la plupart des écrits de saint Hilaire, soient fort ennuyeux à lire, sinon difficiles à comprendre, ils n'en dénotent pas moins chez l'auteur un prodigieux effort pour communiquer la vigueur du latin à des subtilités de dialectique qui n'étaient point dans les habitudes de la langue ; et somme toute, celle-ci gagnait à cet effort et des habiletés imprévues et un champ nouveau d'exercices Puis, lorsque Hilaire laisse de côté les paraphrases de la dogmatique et qu'il lance son pamphlet contre l'empereur Constance, il retrouve la verve et l'énergie des Catilinaires, un ton de sincérité et de sainte colère qui manqua peut-être à Cicéron. Le jour où les orateurs et les poètes chrétiens recourront, non plus aux grâces faciles des réminiscences virgiliennes, mais à la charité des rêves galiléens, à l'exaltation des visions apocalyptiques, à la grandeur sauvage des psalmistes[131] ou des prophètes, ils doteront les lettres latines de figures superbes, de poignantes angoisses ou de caresses ineffables, que Lucrèce ou Virgile eux-mêmes avaient complètement ignorées. Quand Paulin de Bordeaux, devenu prêtre, montrera à son maître Ausone, en des vers fameux, le ciel s'entrouvrant soudain au-dessus de la terre, l'effroi des hommes à l'approche de l'heure solennelle, l'examen précipite fait par leur conscience éplorée[132], il révélera au disciple impénitent de la poésie romaine, au vieux routier des lettres latines, un monde imprévu de sensations puissantes et d'images formidables ; et lui, l'évêque, formé par l'école classique, il s'en est évadé vers des horizons inespérés.

 

VIII. — EFFORTS ET ROUTINE DANS LE STYLE.

Ce renouveau de l'inspiration fut cependant impuissant a rajeunir les lettres latines. Il ne suffit pas à amener l'éclosion d'œuvres supérieures, comparables à celles que notre romantisme sut créer sous des influences pareilles,. celles de la nature, du sentiment et de la foi.

La cause de cet avortement est en partie dans les conditions et les malheurs du temps l'instant des catastrophes était proche, Ausone mourut quelques années à peine avant les plus grands malheurs de l'Empire[133], et son petit-fils traînera une misérable fin d'existence. à la remorque de rois barbares[134]. La patrie gauloise n'avait point encore repris figure ; la patrie romaine était une moribonde, et il fallait une étrange ténacité d'illusion pour ne pas s'apercevoir qu'elle avait fini ses journées de victoire et qu'elle commençait ses dernières heures de vie. L'espérance manquait à chacun pour savoir bien chanter les émotions de son âme. Tout au contraire, au lendemain de 1815, la France se sentait, malgré sa défaite du moment, éblouie par sa gloire récente, enivrée du désir de liberté, confiante en son avenir, et rien n'assombrissait les rêves de ses poètes ou les théories de ses historiens.

Mais la gêne qui entrava les lettrés du quatrième siècle ne vint pas seulement des tristesses latentes de la vie ; elle tenait aussi à la maladresse de leurs efforts d'expression, à leur abus des réminiscences, à l'obsession de leurs souvenirs d'école[135].

La langue, chez tous ces écrivains[136], n'a point gardé les habitudes nécessaires de clarté et de simplicité. Elle a des tours insolites[137], des inversions capricieuses et parfaitement inutiles[138] ; elle abuse de termes nouveaux, longs et compliqués[139], elle recherche à l'excès les mots abstraits[140], allie entre eux des termes inconciliables[141], remplace l'image précise et visible par une métaphore incohérente ou forcée[142]. Et il demeure infiniment plus facile et plus agréable de lire Virgile qu'Ausone, Tite-Live qu'Ammien Marcellin , Cicéron que saint Hilaire[143] ; et les périodes enchevêtrées des rhéteurs d'Autun nous obligent à une patience d'attention, à des reprises de lecture qui fatiguent et rebutent[144]. On sent qu'ils peinent et s'efforcent tous pour arriver à un style original, mais ils ne réussissent qu'à troubler ou à torturer les facultés propres de la langue latine, sa vigueur et sa netteté ; ils n'ont pas su dessiner, en dépit de pensées et de sensations nouvelles, la forme de langage qui pourrait leur donner une expression personnelle.

Plus encore que de ces initiatives maladroites, les lettres latines ont souffert des servitudes scolaires. Ces écrivains son tous fidèles à l'admiration du passé, malgré l'inépuisable domaine de richesses qui calent de s'ouvrir à l'exploitation de l'esprit. Je m'inquiète plus que je ne me félicite des services que les Universités paraissent rendre à la vie littéraire du quatrième siècle. Il n'est point toujours utile à la grandeur intellectuelle et à la gloire scientifique d'un pays, qu'il soit rempli d'écoles, de maîtres et d'élèves, et que tout ce monde de travailleurs s'attache à des respects traditionnels et à une discipline immuable[145]. Ausone connaît si bien Virgile qu'il ne sait plus s'exprimer par lui-même ; il croit trouver une locution étrange et inédite, c'est un vers de son poète qu'il a disloqué. Lui qui sentait si bien le charme des tendresses humaines et des paysages de la Gaule, il n'a pu les traduire que par des mots d'emprunt. Son œuvre tout entière est un centon où des impressions profondes se dissimulent en des pastiches d'écolier[146]. Les Chrétiens eux-mêmes ne se sont point débarrassés des influences classiques : Sulpice Sévère s'inspire de Cicéron pour écrire ses Dialogues sur les miracles de Martin ; Virgile reparaît même dans les pamphlets contre les persécuteurs[147] ; et Paulin, quand il bafoue les dieux païens, se sert des images qu'ils avaient suscitées[148].

 

IX. — ŒUVRES ET GENRES.

A tout prendre, cependant, ce fut eu ce quatrième siècle, dans la Gaule comme dans tout l'Empire, un éclat imprévu de la vie littéraire ; et si le retour à la paix et les aspirations nouvelles du Christianisme ont fortement contribué à ce renouveau, il résulta d'abord de la place que les empereurs ont faite aux énergies provinciales et de l'appel qu'ils ont adressé à l'élite intellectuelle pour réveiller le culte de la tradition romaine ; et quand Maximien, le premier des Augustes de cette lignée, s'installait à Trèves et y mandait un rhéteur gaulois pour prononcer son panégyrique en belle langue latine, n'accomplissait pas seulement un geste coutumier de prince, il indiquait la formule d'un programme de gouvernement.

Le résultat fut que ce siècle est riche en œuvres de tout genre. On peut regretter que ces œuvres soient rarement de longue haleine[149], et que même les auteurs les plus entraînés par le plaisir d'écrire aient reculé devant le travail des vastes ouvrages, à la façon de l'Énéide ou des Histoires de Tite-Live. Mais rappelons-nous que ces hommes ont vu dans les belles-lettres l'ornement et non pas la profession de leur vie. Aucun d'eux ne fut, comme Virgile ou Tite-Live, auteur par métier. Ausone ou Eumène furent tantôt professeurs et tantôt fonctionnaires[150] ; Rutilius Namatianus fut préfet de Rome, Hilaire, évêque, Sulpice, prêtre[151] ; et tous étaient nés hommes de condition et propriétaires rentés. Leurs écrits furent de circonstance, composés pour raison d'utilité politique ou religieuse, pour exposer l'œuvre ou le programme d'un empereur, édifier des fidèles, combattre des hérésies ; et les ouvrages d'apparence désintéressée, tels que les poésies d'Ausone, sont des jeux de grand seigneur ou de magistrat retraité[152].

Mais tous les genres sont représentés dans cette littérature. Le Christianisme l'a embellie de chants religieux avec les Hymnes, de saint Hilaire, et de pieuses biographies avec la Vie de Martin par Sulpice Sévère[153] ; et cette Vie, qui est d'ailleurs une chose charmante, deviendra bientôt le type du genre littéraire le plus fécond que le monde aura connu. A côté d'eux, le demi-païen Ausone multipliait les petits poèmes descriptifs ou sentimentaux[154] et les rhéteurs de l'école d'Autun portaient à la perfection le discours officiel dans leurs panégyriques à la fois substantiels, subtils, exacts et prudents, pleins de faits utiles et de réticences habiles, bien supérieurs au longs bavardages et aux vagues descriptions du Grec Libanius leur confrère d'Orient[155]. Pline le Jeune ou Cicéron avaient pour imitateur en leurs lettres l'évêque Paulin de Nole ; et le même Paulin, en rythmes variés et à la manière d'Ovide ou des lyriques latins, célébrait la gloire de Félix son saint d'élection ou décrivait les basiliques qu'il lui consacrait. Trois clarissimes de la Gaule, tous trois anciens ministres de l'Empire, ont occupé leurs loisirs à trois œuvres étranges, de nature fort dissemblable : Paulin de Pella, petit-fils d'Ausone et comte des finances, a rédigé en vers sa propre biographie, ou, plutôt, la confession de sa vie, tout comme un saint Augustin, mais avec une médiocrité de style et une naïveté de pensée qui auraient fait rougir de son descendant le grand poète de Bordeaux[156] ; Rutilius Namatianus, préfet de Rome, a raconté, également en vers, son retour dans sa chère patrie de Gaule, et ceci, cette fois, est alerte, coloré, pétillant d'images et riche en trouvailles[157], et j'avoue préférer ce pittoresque itinéraire sur les côtes de la Méditerranée au vulgaire récit du voyage d'Horace sur la voie Appienne ; enfin Marcellus, maître des Offices, a composé un traité de pharmacie où il a groupé sans ordre des formules de Pline, des ordonnances de médicastres arecs ou des recettes de paysans ou de druides gaulois, en un mélange aussi hétéroclite que les remèdes préconisés par lui.

Je cite pêle-mêle ces ouvrages, tout ainsi qu'ils se sont produits, c'est-à-dire au gré des caprices de leurs auteurs. Car nul écrivain n'était esclave d'un genre. Hilaire, avec ses hymnes, a publié un nombre imposant de traités religieux[158] ; et c'est, chez cet émule latin du Grec Irénée, la première manifestation gauloise d'une littérature formidable, qui n'atteindra cependant son plus fort degré d'intensité que dans treize siècles, avec l'œuvre du grand Arnauld. Mais, en même temps que des Commentaires à saint Mathieu ou aux Psaumes[159], on eut des éditions critiques des poèmes homériques[160]. Aucune espèce ne manqua à la production littéraire de la Gaule ; et Sulpice Sévère, qui fut le plus souple et le mieux doué des écrivains de ce temps, réalisa rhème ce tour de force, d'écrire en cent pages un manuel de l'histoire de Dieu et de son Église depuis la création du monde jusqu'à la chute de Priscillien[161].

Tous ces écrits sont venus jusqu'à nous, et bien d'autres avec eux, qui méritent moins d'être connus. Mais c'est encore fort peu de chose à côté des ouvrages qui ont disparu au hasard des oublis de la postérité, traités de théologie, poésies pieuses, épopées de fantaisie[162] ou biographies d'empereurs[163], et à côté de celles qui n'étaient point destinées à l'écriture, mais à la parole seulement, oraisons ou sermons de prêtres, exercices[164] et plaidoyers d'avocats ou leçons de professeurs : et de toutes ces dernières, il y en eut dans la Gaule une quantité effrayante, car l'école et le séminaire préparaient à parler plus encore qu'à écrire, et la moitié de la vie religieuse se passait à entendre des homélies, et la moitié de la vie publique à discourir au conseil du prince ou devant les tribunaux de province. Les avocats pullulaient partout[165], mais on pouvait s'attendre à ce que leur nombre fût un jour dépassé par celui des prêtres. En ce temps où il eût fallu surtout agir, c'était trop souvent le règne des orateurs et des bavards. Je n'en regrette pas moins que ces orateurs nous aient laissé si peu de leur activité verbale : un sermon de Martin[166] nous eût appris plus de choses sur les croyances populaires que les redites monotones d'Hilaire sur la substance du Christ, et c'est grâce à une homélie de Victrice, conservée par hasard seule entre mille, que nous pouvons nous mêler à une Église municipale de Gaule, entendre ses prières, assister à ses dévotions, suivre ses pieux cortèges. Et de même, un discours d'avocat devant le tribunal de Julien, accusant un gouverneur de province[167] ou plaidant sa cause, nous aurait permis de pénétrer dans l'existence publique de nos petites villes de Gaule, que nous ignorons totalement. Il nous, faudrait, pour ce siècle, des Verrines ou un pro Fonteio, à une époque où les Fonteius et les Verrès ne manquaient pas et ou les simples clarissimes tendaient à les imiter.

Le théâtre, enfin, s'essayait aussi à se régénérer, lui depuis longtemps si stérile et si défraîchi.

Il n'y a plus à faire état des spectacles publics, qui ne laissaient aucune part à la littérature : Chrétiens et païens s'en détournaient également, et l'empereur Julien, qui ne les aimait guère, félicitait les Gaulois de renoncer aux scandaleuses exhibitions que la conquête romaine leur avait imposées[168]. Quand l'Église triompha, elle n'eut pas de peine à en finir avec les comédiens des théâtres populaires[169]. Mais les grands seigneurs lettrés sauvèrent ce qu'il y avait d'élégant et d'intellectuel en ce genre. Ils avaient lu à l'école Plaute, Térence et surtout Ménandre[170]. Je ne sais s'ils firent quelquefois jouer les pièces des vieux auteurs. En tout cas, ils les imitèrent. Le rhéteur Paul, un ami d'Ausone, composa un Extravagant (Delirus)[171] où il fit sans doute le portrait de ces esprits visionnaires qui tourmentent leur entourage par des projets chimériques ou de folles imaginations. Un autre lettré de ce même milieu écrivit un Grincheux (Querolus)[172], où un bavard de leur monde ne cesse de geindre sur toutes choses et sur tous les hommes, car il ne trouve nulle part justice, amitié et sûreté, et on est tenté de le renvoyer aux Bagaudes, qui lui apprendront à vivre à coups de bâton[173]. Tout cela manquait souvent de gaieté, d'esprit et de vigueur mais c'est un événement qui compte dans l'histoire littéraire de la Gaule, que cette brusque apparition de la comédie de mœurs contemporaines[174]. On dirait, talent mis à part, Corneille dessinant Le Menteur ou Molière Les Fâcheux. Ce quatrième siècle est, décidément, plein de surprises et d'une variété infinie.

Aucun de ces genres n'était sans doute une conception originale, et la littérature humaine était déjà trop vieille pour inventer es espèces nouvelles. Sulpice Sévère écrivait la Chronique du peuple de Dieu à la manière dont Florus avait fait le tableau de la vie du peuple romain. Et dans sa biographie merveilleuse de saint Martin, il prenait exemple sur les Vies impériales de Suétone et, par endroits, sur les Évangiles mêmes du Christ. Mais que ses modèles viennent d'Orient ou d'Italie, la latinité de Gaule a conquis enfin tous ses moyens d'agir, et eût été possible qu'elle arrivât bientôt à produire des œuvres admirables, si les empereurs romains n'avaient pas empêché par leurs fautes les hommes de travailler et leur Empire de vivre.

 

X. — LA SCIENCE EN DÉCLIN.

Je ne crois donc pas que l'intelligence humaine et le travail littéraire se soient affaiblis au cours de ce siècle. Tout au contraire, l'esprit remontait la pente où, depuis la fondation de l'Empire, l'avaient entraîné peu à peu la servilité politique, les lassitudes sociales et les déboires militaires.

Par malheur, cet effort, plus que jamais, négligeait les problèmes de la science. Limitée aux hommes de l'élite, délassement plus souvent que devoir, la tâche intellectuelle allait volontiers aux œuvres aimables de la prose et de la poésie, dispensatrices de joies plus rapides. Elle évitait les peines et les angoisses qui accompagnent la recherche d'une vérité historique ou d'une loi de la nature, l'examen d'un problème de philosophie, l'invention d'un procédé pour dompter la matière. Depuis que la Grèce avait cessé d'enseigner le monde, il s'appauvrissait chaque jour en connaissances scientifiques, et chaque jour aussi il perdait quelques-unes de celles que cette Grèce lui avait léguées[175].

En matière de géographie, la Gaule ne possède plus que les cartes informes du monde romain, grossièrement peintes sur les murs des portiques de ses écoles[176], ou les sèches nomenclatures des manuels en usage[177]. En matière de médecine, elle aura désormais a sa disposition le traité de Marcellus : et sans doute on a dit trop de mal de ses prescriptions, on a méconnu que la pharmacopée végétale, avec l'ail, l'anis, la santonine et bien d'autres essences, y tient déjà la place utile[178] ; mais tout cela est l'héritage d'un très lointain passé, et Marcellus n'est qu'un insipide compilateur, et son livre n'est qu'un centon d'ordonnances ou de recettes ramassées de tous les côtés. La compilation, le manuel, le centon, la glose, voilà les types dominants de la science écrite, même en histoire[179], même en grammaire[180], et même en droit et en philosophie[181] : elle ne vit que des résidus du passé[182].

Ceux qui veulent du nouveau en matière d'industrie, se bornent à étendre le champ d'action des procédés alors connus. Si populaire que soit maintenant la verrerie, elle n'invente aucune pratique. L'argent des riches leur permit d'avoir des fantaisies inédites, mais elles n'eurent d'original que leur énormité. ils obtinrent, par exemple, des flûtes, des lyres, des orgues de dimensions colossales[183] : mais rien ne prouve qu'on ait découvert pour elles des combinaisons neuves de sons ou d'harmonies. Les architectes n'hésitaient pas, au moins sous Dioclétien et Constantin, à élever des édifices de grandeur prodigieuse, thermes ou basiliques[184] : mais ils ne faisaient que continuer les routines du métier, et de mauvaises langues disaient que ces constructions étaient vouées à une ruine très rapide. De fait, en dehors d'Arles[185] et de Trèves[186], il reste surtout des remparts de ce que les Gaulois ont alors bâti dans leurs villes[187] ou leurs campagnes[188] : là où l'empereur ne se montre pas, l'architecte est un être qui végète et tend à disparaître. Il y avait encore, surtout à l'armée, de bons ingénieurs, experts en l'art de jeter des ponts[189] ou des digues[190], de creuser des ports[191], de fabriquer des machines[192], d'établir des pilotis ou des batardeaux pour régulariser ou détourner le lit des fleuves[193] ; mais ce sont les derniers épigones d'Archimède ou de Héron, et leurs œuvres sont les derniers actes d'une science qui s'atrophiera à la prochaine génération[194].

 

XI. — POSSIBILITÉS UN ART NOUVEAU.

La décadence était moins profonde dans les beaux-arts, et l'esprit y percevait, ainsi qu'en littérature, l'approche de souffles nouveaux. Elle s'y faisait pourtant bien sentir : car peintres et sculpteurs n'arrivaient pas davantage à secouer la torpeur qui pesait sur eux avec le joug de la tradition classique. Ce ne sont d'ailleurs que des salariés ou des fournisseurs de l'aristocratie[195], tandis que c'est elle-même qui produit ses rhéteurs et ses poètes.

Obligés de travailler pour vivre et de satisfaire les goûts d'autrui, ces artistes ne savent pas rêver et créer par eux-mêmes. Ils sont les esclaves des modes consacrées et des habitudes mondaines[196]. Les sculpteurs des sarcophages, qu'ils soient chrétiens ou païens, répètent à satiété ce type de génie ailé qui nous poursuit depuis dix siècles[197]. Ils abusent de la Victoire tenant le globe, demeurée la Mère mystique de l'Empire. Les dieux antiques qui ont conservé quelque vogue, Bacchus, Hercule ou Mercure, sont tellement affublés d'emblèmes et de symboles, que leurs images sont devenues des idoles très compliquées, et que l'art consiste à leur faire porter le plus possible de signes magiques ni expression dans la figure, ni mouvement dans le geste, la vie a disparu, ce n'est plus qu'une forme humaine vaguement donnée à un meuble à prières[198]. Et j'ai parfois la crainte que les artistes chrétiens ne se laissent aller à faire de même avec le Christ et ses apôtres. Eux aussi travaillent trop sur des figures de convention. Lorsqu'ils représentent, dans les bas-reliefs des tombeaux, le Sauveur au milieu de ses disciples, Moïse ou les prophètes, ils ne savent s'inspirer ni de l'humanité vivante qui les entoure ; ni des scènes pittoresques de l'Orient palestinien, et ils se bornent à copier les attitudes consacrées et les personnages traditionnels du bas-relief gallo-romain[199], et surtout le sénateur clarissime ou le rhéteur d'école avec son rouleau de parchemin ou de papyrus[200]. Les architectes chrétiens avaient de leur côté à bâtir de vastes édifices d'espèce nouvelle, ces églises qui auraient à contenir tout le peuple d'une cité : quand ils ne les installèrent pas dans des temples désaffectés, ils ne firent qu'adapter à l'usage religieux l'ordonnance des immenses basiliques où s'était jadis concentrée la vie publique d'un municipe, et ils leur empruntèrent, pour les sanctuaires du culte, et la nef et les absides et les colonnades[201] et parvis[202] et le nom même du monument, et l'on dira bientôt la basilique de Martin comme on avait dit la basilique Julienne ou celle de Paul-Émile.

Cependant, en art comme en littérature, on pouvait encore espérer qu'on sortirait de l'ornière gréco-romaine. Nous apercevons, sinon chez les artistes eux-mêmes, du moins chez les hommes d'esprit qui les jugent, le désir d'ouvrir aux peintres et aux sculpteurs le bénéfice de voies nouvelles. Assez de Bacchus, d'Hercules et de combats contre les Géants, disait devant Théodose un rhéteur gallo-romain : qu'on nous donne le spectacle des batailles de nos soldats, des fleuves traversés par nos armées, des montagnes franchies par nos colonnes[203]. Les Chrétiens, d'autre part, en s'efforçant de reconstituer par l'image l'histoire humaine du Sauveur, depuis le berceau[204] jusqu'à la Croix, étaient naturellement entraînés à composer des scènes de genre, tracées d'après les spectacles de la vie quotidienne[205]. Et quand ils eurent à représenter la marche de leur Dieu à la mort ou les craintes et les espérances de ses fidèles, il leur fallut bien chercher, pour les traits des visages, les expressions de rêves divins que n'avaient point trouvées les sculpteurs des Mercures ou des Jupiters, et qui émanent maintenant des Saints Livres comme un parfum s'échappe d'un vase entr'ouvert.

D'autres symptômes annonçaient que l'art serait capable de renouveler ses effets ou ses procédés. On revenait par endroits au style linéaire, à ces combinaisons de cercles ou de spirales[206] qui avaient produit de si étranges motifs dans la bijouterie des anciens Gaulois[207]. La sculpture s'attachait de plus en plus au bas-relief[208], qui oblige à de plus grands efforts de composition, qui se prête davantage aux scènes dramatiques ou aux évocations d'apocalypse. La peinture, la mosaïque, la verrerie, la tapisserie, ont repris vigueur, et avec elles le goût des couleurs et l'éclat des lumières, qui varient les impressions et caressent mieux le regard[209] : c'est en tableaux qu'on présente les images sacrées des empereurs[210], on va multiplier les figures de saints dans les basiliques chrétiennes, et déjà Martin a la sienne dans l'église que ses disciples élèvent en son honneur[211]. Si l'esprit humain ale courage de fuir l'obsession du passé, il peut, dans l'élan de sa foi nouvelle, redevenir créateur de belles choses[212].

 

 

 



[1] Histoire littéraire de la France, I, 1733, II, 1765 ; Boissier ; Shanz, Geschichte der Rœmischen Litteratur, IV, I, 1904 ; Teuffel, Rœmische Literatur, I, 6e éd., 1913 (la 7e va paraître) ; Roger, L'Enseignement des lettres classiques d'Ausone à Alcuin, 1915 ; Pichon, Les derniers Écrivains profanes [il ne s'y agit que la Gaule], 1906 ; Haarhoff, Schools of Gaul, 1920.

[2] Les preuves abondent en faveur de sa renommée : lettre de Théodose, en tête des œuvres d'Ausone, avec le mot admiratio ingenii et la demande d'un exemplaire de ses ouvrages (ne fraudari me scriptorum tuorum lectione patiaris) ; Symmaque le compare à Virgile et à Cicéron (Epist., I, 14 [8] ; 31 [25] ; voyez du reste toute la correspondance de Symmaque avec Ausone, Symmaque, Epist., I, 13-43, Seeck, laquelle parait s'étendre de 370 à 379) ; Paulin de Nole, Carm., 11, 38 (vix Tullius et Maro tecum sustineant æquale jugum).

[3] Né vers 310, mort sans doute peu après 393 ; voyez, sur la discussion des dates, l'édit. Schenkl, p. VI et s. — Édition Schenkl, 1883, dans les Monumenta Germaniæ historica ; édit. Peiper, 1886, dans la collection Teubner. La grande édition ancienne de Vinet (Bordeaux, 1580), est encore fort précieuse par son commentaire. Sur l'établissement du texte, voir surtout de La Ville de Mirmont, Le Manuscrit de l'Ile Barbe, in-4°, Bordeaux, 1917-9. On trouvera la bibliographie relative à Ausone, outre les livres généraux, dans les deux éditions allemandes, et à l'article Ausonius, de Marx, dans la Real-Encyclopædie, II, 1896 ; en dernier lieu, Martino, Ausone et les Commencements du Christianisme en Gaule, Alger, 1906 ; Éd. Boudez, Autour d'Ausone, dans la Revue Méridionale du 15 décembre 1923 ; autres, n. suivante.

[4] L'exemple peut-être le phis saisissant de l'importance intellectuelle et morale des lettres et en particulier de la poésie, se trouve dans la correspondance en vers d'Ausone et de son élève le Chrétien Paulin. (Ausone, Epist., 19-25 [écrites en 390-3] ; Paulin de Nole, Carmina, 10 et 11 [écrits en 393]). Sur le caractère et la chronologie de ces lettres : Puech, De Paulini Nolani Ausoniique epistularum commercio et communibus studiis, Paris, 1887 ; Villani, Osservazioni intorno alle epistole scambiate fra Ausonio e Paulino, Verceil, 1902 ; de Labriolle, La Correspondance d'Ausone et de Paulin de Nole, 1910. C'est un des épisodes les plus touchants de la vie intime de la Gaule en ce temps-là : Ausone avait plus de quatre-vingts ans.

[5] Il semble bien qu'on lui en ait fait un reproche ; Sulpice Sévère, V. Mart., 5, 7 (Sulpice a peur, quand il vante la science et l'éloquence de Martin, de rencontrer multos ad hanc partem incredulos).

[6] Il est fils de soldat ou d'officier.

[7] Paulin de Pella, Eucharisticos, 12 et s. (il écrit en 459, après ses quatre-vingt-trois ans révolus).

[8] Le recueil De medicamentis est précédé d'une lettre préface portant Marcellus vir inluster ex magistro officiorum Theodosii sen(ioris) filiis suis salutem d(at). Il a été magister officiorum en 395 ; Code Théod., VI, 29, 8 ; XVI, 5, 29. Sa qualité de Gaulois résulte de ceci, qu'il appelle dans sa préface Siburius, Eutropius atque Ausonius [il s'agit du père d'Ausone, qui était médecin], cives ac majores nostri. On a supposé, par suite, qu'il était Bordelais ou Bazadais comme Ausone le médecin : cela n'est point prouvé, civis pouvant parfaitement s'entendre de la Gaule. Il n'y a aucune raison de lui donner le surnom de Empiricus. — Éditions Helmreich, 1889 (collection Teubner), et surtout Niedermann, 1916 (collection du Corpus medicorum Latinorum ; rendra de très grands services).

[9] Cf. Ausone, De herediolo, saluant son domaine familial à son retour de la cour.

[10] Ausone, Epigr., 30 : Mixobarbaron Liberi Patris signo marmoreo in villa nostra [Lucaniacus] omnium deorum argumenta habenti. Je conserve mixobarbaron tout en ne voyant pas exactement ce que cela signifie ; peut-être une allusion à l'ars barbaricaria ; Dezeimeris avait conjecturé in ύπόβαθρον (Soc. arch. de Bordeaux, III, 1876, p. 28) ; faut-il supposer mystobathron, base mystique ?

[11] C'est du moins ce que je suppose, d'après ce qu'Ausone dit du Delirus (L'Extravagant) de son ami Axius [cf. Epist., 12, 2] Paulus ; Epist., 11. Il est en tout cas certain que les grands seigneurs continuaient, comme au temps de Valerius Asiaticus, à avoir des histrions ou des mimes à leurs gages, souvent à titre d'esclaves ou d'affranchis (Digeste, XXXII, 73, § 3 ; XXXVIII, 1, 25 ; 1, 27) ; voyez Cardamas, le mime de Paulin.

[12] Voyez les Panégyriques, en particulier IV, 8 (Constance Chlore), et XII, 41 (Théodose) ; Ammien Marcellin, XXI, 16, 4 (Constance II) ; XXX, 9,4 (Valentinien).

[13] La mention nette de cette légende n'apparaît que sous les derniers Mérovingiens (Frédégaire, II, 5-6, p. 46, Krusch ; Liber historiæ Francorum, I, p. 241, Krusch ; etc.). Mais il est évident que Grégoire de Tours la connaît, tradunt multi (Francos) de Pannonia esse degressos (Hist., II, 9) : l'expression tradunt laisse supposer d'anciens écrivains ; et je ne peux guère en placer l'origine que dans les milieux lettrés où ont vécu Silvain et surtout Mérobaud, Ricomer, Bauto et Arbogast. Et je rapprocherais volontiers ces fabrications de généalogies des élucubrations mythologiques contemporaines, de Dictys de Crète et de Quintus de Smyrne. Birt, Rheinisches Museum, LI, 1806, p. 507 et s. ; etc.

[14] Claudius Mamertinus, l'auteur du Panégyrique de Julien (XI des éditions courantes, III de la collection manuscrite ; en dernier lieu, édit. Guilielmus Bæhrens, 1911), consul en 362, avait eu l'ærarium publicain (sans doute comme comes largitionum) et la préfecture du prétoire d'Italie (Pan., XI, 1). On a tout lieu de croire qu'il était originaire de Gaule et que c'est là que Julien l'a connu. Du reste, la collection des Panegyrici, à part celui de Pline le Jeune en guise de prélude, ne renferme que des œuvres de Gaulois.

[15] Paneg., IV, 5 : l'école forme ad spem omnium tribunalium [assesseurs et gouverneurs] ; ad stipendia cognitionum sacrarum [comtes du consistoire impérial, p. 15], ad magisteria palatii [les secrétariats centraux, p. 16]. Pan., V, 1 ; VII, 23 (multi sectatores mei, dit un rhéteur d'Autun en 310 à Constantin, etiam provincias tuas administrant, et, plus haut, quos provexi ad tutelam fori, ad officia palatii).

[16] L'usage des précepteurs domestiques, si répandu autrefois, parait à peu près perdu en ce temps. On a supposé que Paulin de Pella avait été instruit en famille (cf. Euchar., 113 et s.) : c'est bien invraisemblable de la part d'un petit-fils d'Ausone, et vivant près de Bordeaux et entre 380-392.

[17] Outre les jeunes nobles du pays, on voit à l'école d'Autun les jeunes gens qui forment le comitatus de Constance Chlore, sans doute les fils des membres de son conseil et des dignitaires de sa cour (Pan., IV, 14). — Tout cela suppose, à Autun, des logis d'étudiants en assez grand nombre : ce sur quoi nous ne sommes absolument pas renseignés.

[18] Paneg., II, 14.

[19] Si du moins les neveux de Constantin, Dalmatius et Hannibalianus, à demi exilés à Toulouse, ont suivi les cours de l'Université, et n'ont pas reçu des leçons d'un précepteur ; Ausone, Profess., 17 et 18. Julien a été aux écoles publiques, Ad sen. Ath., p. 271, Sp.

[20] Je songe à l'éducation classique des chefs et des rois francs, même du roi des Wisigoths Théodoric II au siècle suivant (Sidoine, Carm., 495 et s.).

[21] Ausone (Prof., 2, 9-10) dit de Minervius : Mille foro dedit hic juvenes, bis mille senatus adjecit numero purpureisque togis. Tout cela indique un public d'élite ; et la vie d'étudiant coûtait fort cher (Augustin, Conf., II, 3, 5). Il y avait cependant des indigents, auxquels les maîtres les plus généreux faisaient remise des droits (largus indigis, dit Ausone d'Alcimus Aléthius ; Prof., 3, 16-18).

[22] Cf. Dupont-Ferrier, Du Collège de Clermont au Lycée Louis-le-Grand, I, 1921, p. 64 et s.

[23] Salarium, merses, emolumenta : la première et la dernière expression visent certainement des traitements fixés ; l'autre, peut-être des redevances irrégulières. Cela me paraît résulter, outre le caractère municipal des écoles, qui ressort bien des Professores d'Ausone, des lois de Constantin (321 Code Théod., III, 3, 1) et de Gratien (376, XIII, 3, 11). — Le traitement était évalué en unités de fournitures en nature, annonæ ; mais je doute qu'il n'y eût pas transformation en espèces, annonæ adæratæ ; et je me demande même si, dans le texte d'Eumène (Pro rest. sch., 11), il ne faut pas lire accipio salarium adæratum, et non, comme le porte la tradition manuscrite, adoratum. — En évaluant l'annona de 376 à 4 sous d'or [douteux ; ce n'est que le chiffre de 445 Novelles de Valentinien III, 18, Hænel = 13, Mommsen], on établira le tableau suivant pour les traitements annuels, d'après cette loi de 376, relative à la Gaule, et, semble-t-il, aux villes métropolitaines. Pour celles-ci : rhéteurs, 24 annones ou 96 sous d'or ; grammairiens latins ou grecs, 12 annones, 48 sous. A Trèves rhéteurs, 30 annones ou 120 sous ; grammairiens latins, 20 annones ou 80 sous ; grammairiens grecs, 2 annones ou 48 sous d'or. Rien n'est fixé pour les petites villes. — Le sou d'or pesait 4 grammes 55, soit 15 francs 665 de valeur absolue (avant 1919). — Le traitement du moderator fut sous Constance Chlore, à Autun, mais peut-être par faveur occasionnelle, de 600.000 sesterces (Paneg., IV, 14),  somme qu'il est très difficile d'évaluer en sous d'or : on peut supposer, avec le moins d'invraisemblance, au moins 100.000 francs.

[24] Ceci est très net et paraît constant, même pour le gros traitement du moderator (n. précédente ; traitement attribué ex viribus reipublica [la civitas]) ; Paneg., IV, 14 ; C. Théod., XIII, 3, 1 et 11 [fiscus doit signifier redites civitatum, encore qu'il s'emploie le plus souvent dans le sens de la res privata du prince ; cf. Godefroy, V, p. 48]. Les villes paraissent avoir souvent refusé le paiement ; C. Théod., XIII, 3, 1.

[25] Cela résulte, indépendamment des textes relatifs à d'autres régions ou à d'autres époques, du fait qu'Ausone parle tantôt de professeurs qui peuvent à peine vivre (fructus, exilis, Prof., 9, 6 ; tenuem victum, 11, 49-50), tantôt d'autres qui arrivent à la grande richesse, prædives, grâce à de forts salaires, grandi mercede (18, 10 : il est vrai qu'il s'agit ici d'élèves princiers). Ajoutez, bien entendu, l'immunité de tous les munera municipaux (C. Th., XIII, 3, 1).

[26] En principe ; cf. C. Th., XIII, 3, 5 : mais Julien a voulu que le decretum curialium lui fût soumis (il est possible qu'il s'agisse dans ce texte des professeurs libres, non privilégiés). — Car, à côté des maîtres publics, sans, aucun doute, il y avait des professeurs libres (sine salario, Digeste, XXVII, I, 6, § 11). — La liberté d'enseignement, supprimée donc de cette manière par Julien (C. Th., XIII, 3, 5), fut rétablie par Valentinien (C. Th., XIII, 3, 6). Mais elle n'était pas absolue, et il fallait une constatation officielle faite par les villes de vita pariter et facundia (C. Th., id.), tout au moins pour que les privilèges (n. précédente) n'allassent pas de proche en proche à des indignes. Et j'ai peine aussi à croire que le nombre de ces privilégiés ne fût pas aussi thé par la loi (cf. Digeste, XXVII, 1, 6, § 2 et s.). — Il est possible à la rigueur qu'il y ait des maîtres libres parmi les professores célébrés par Ausone, mais j'en doute.

[27] Voyez la note précédente.

[28] Nomination par Constance Chlore d'Eumène comme chef de l'école d'Autun (et en même temps comme professeur de rhétorique) : huic auditorio præficere, moderator (peut-être aussi summus doctor, præceptor, dans le même sens ; cf. Pan., IV, 5) : il me semble bien qu'auditorium signifie ici, non pas une chaire, cathedra, mais l'ensemble des Scholæ Mænianæ (Paneg., IV, 14).

[29] Car il semble bien que le moderator Eumène (n. précédente) est avant tout un professeur supérieur.

[30] Je me demande si cela ne résulte pas de l'offre que fait Eumène au gouverneur, d'affecter son traitement à la reconstruction des écoles d'Autun (Paneg., IV, 11-12).

[31] Voyez, à titre d'exemples, pour l'enseignement secondaire, les derniers chapitres de Gaullieur, Histoire du Collège de Guyenne, 1874, et, pour l'enseignement supérieur, la préface de Barckhausen, Statuts et Règlements de l'ancienne Université de Bordeaux, 1886. Mais il faut dire que les incroyables abus qui s'étaient introduits dans les institutions municipales justifiaient l'intervention de l'État ; et il est très probable qu'il en fut ainsi sous l'Empire romain.

[32] Ausone, Prof., 11, 12-13 ; 22, 4-6 ; Paulin de Pella, Euch., 72 et s. Ausone, Protrepticus, v. 67 et s. Multos lactantibus annis ipse alui, dit Ausone, qui a débuté par le professorat de grammaire.

[33] Il est impossible, vu les nombreuses allusions à la carrière d'avocat, que les écoliers de Bordeaux n'aient pas reçu quelques notions de droit car on ne peut supposer, ce qui n'est dit nulle part, qu'ils aient passé par l'école de Rome. Ajoutez qu'Ausone montre toujours comme entièrement solidaires et presque enchevêtrées la profession de rhéteur et celle d'avocat (Prof., 2, 15 et s. ; 3, 15 et s. ; 6, 13 et s.). L'usage des controverses (fictæ lites, Ausone, Prof., 2, 15 ; falsæ lites, Epist., 8, 12) était d'ailleurs trop répandu dans l'école du rhéteur pour ne pas comporter l'enseignement des éléments du droit. Voyez le mot d'Augustin (Conf., III, 3, 6) : Habebant illa studia ductum suum intuentem fora.

[34] La période scolaire finit avec l'enfance, à dix-sept ans révolus.

[35] Beaucoup d'avocats entraient au barreau (forum) après l'école, a litterariis ludis (Ammien, XXX, 4, 14). Je ne trouve mentionné en Gaule aucun professeur de droit, mais il pouvait y avoir des docentes juris, d'ailleurs absolument libres, sans salarium public et sans même les privilèges habituels : qui jus civile docent in provincia, vacationem non habent (Digeste, XXVII, I, 6, § 12). Ce devaient être de vulgaires praticiens, dans le genre de ceux que stigmatise Ammien Marcellin (XXX, 4, 11-12). — Les jeunes gens qui voulaient approfondir leurs études de droit, allaient à l'auditorium juris de Rome (C. Théod., XIV, 9, Godefroy-Ritter, V, p. 222). Rutilius, parle d'un fils de grand seigneur gaulois, missus Romani discere jura fori (I, 209-210) ; de même, dit-on, saint Germain d'Auxerre (post auditoria Gallicana infra urbem Romam juris scientiam plenitudini perfectionis adjecit, deinde tribunalia præfecturæ professione advocationis ornavit ; Acta, 31 juillet, VII, p. 202) ; autre, signalé par Jérôme (post studia Gallorum... misit Romam ; Epist., 125, 6, P. L., XXII, c. 1075).

[36] Pour la médecine, l'usage ancien a dû se continuer.

[37] Je ne crois pas à un effectif considérable de professeurs ou de chaires (cathedræ, expression courante) dans une école. Ausone célèbre à Bordeaux 8 rhéteurs (9 avec lui-même), 17 grammairiens grecs et latins (18 avec lui-même), mais répartis sur deux générations au moins d'élèves : car les Professores ne sont pas écrits avant 385, et il parle des maîtres de son enfance. Je doute qu'il y ait eu à la fois plus de 2 rhéteurs (latins) et de 4 grammairiens (latins et grecs). — A Constantinople, l'Université comptait 3 orateurs et 10 grammairiens latins, 5 sophistes et 10 grammairiens grecs, 2 jurisperiti et 1 philosophe (en 425 ; Code Théod., XIV, 9, 3). — Il y avait encore des lecteurs ou sous-maîtres, subdoctores ou proscholi, qui étaient des suppléants de titulaires : exili nostræ fucatus honore cathedræ, dit Ausone de l'un d'eux, qui parait avoir été son suppléant dans sa chaire de grammaire à Bordeaux (Prof., 23).

[38] Vers la quinzième année ? Paulin de Pella, Euch., 121.

[39] Paulin de Pella, dès l'âge de cinq ans, immédiatement après les lettres de l'alphabet, se met à lire Platon, Homère, puis Virgile ; Euch., 73 et s. Ausone recommande à son petit-fils de lire d'abord l'Iliade et Ménandre (Protr., 46-47). Voyez, dans les tables de l'édit. Schenkl (p. 266 et 277), les innombrables passages où il cite ou imite Homère.

[40] Il a pu cependant y avoir quelques cours spéciaux ou lectures de manuels de droit, de géographie et sans doute d'histoire ; quelques-uns des exercices de versification d'Ausone (par exemple ses quatrains sur les empereurs) sont peut-être destinés à l'origine aux élèves : lui-même déclare avoir composé pour son fils des fasti, autrement dit un résumé chronologique de l'histoire romaine (Schenkl, p. 119). Et c'est sans doute l'abus scolaire de ces résumés et manuels qui nous a fait perdre tant d'œuvres de l'Antiquité.

[41] C'est l'auteur à la mode, sans aucun doute à cause des harangues et réflexions morales ; Ausone, Epist., 19, 18 ; Protr., 61. et s. ; Profess., 3, 23 ; Gratiarum actio, 8, 36 ; Ammien Marcellin, XV, 12, 6 ; etc. — Ausone ne parle qu'une fois de Tite-Live (Prof., 21, 8). Il cite encore Cornélius Nepos pour ses Chronica (Epist., 6, 1), aujourd'hui perdus. Il est en outre probable que l'on se servait particulièrement de Varron pour les commentaires archéologiques et mythologiques (Prof., 1, 10 ; Epist., 18, 28 ; Mos., 307 ; Griphus, § 1) : mais j'ai peine à croire qu'il n'y eût pas des résumés scolaires de ses six cents livres. — Nous trouvons chez Symmaque (Epist., IV, 18 et 22, Seeck) un curieux détail sur l'étude de l'histoire en Gaule, et, tout compte fait, sur sa déchéance à peu près complète. Protadius, grand seigneur de Gaule d'origine trévire et qui fut préfet du prétoire, demande a Symmaque où il pourra apprendre priscas memorias Galliarum ; et Symmaque ne trouve à lui recommander que Tite-Live et les Commentaires de César (ce sont eux sans doute qu'il appelle Ephemeridem). Symmaque ajoute que César fera connaître citus, pagnas, etc., ce qui, à la rigueur, permet de supposer qu'on discutait déjà sur les chemins et camps de César (cf. Sidoine, Ép., II, 14, 1, cherchant lui aussi à identifier hiberna legionum Julianarum). — Si le Panégyriste d'Autun a connu l'audience donnée par le sénat à Diviciac, ce ne peut être que par Tite-Live (Pan., VIII, 3), et non par une source locale, car lui-même (14) parait bien confondre Bibracte et Autun.

[42] C'est le prosateur grec le plus lu dans les écoles ; Sulpice Sévère, Vita Mart., 1, 3 ; Dialogues, III, 17, 6 ; Ausone, Prof., 27, 5 ; Cæs., 2, v. 69 ; Cento, § 4, p. 146, Schenkl ; Griphus, § 1.

[43] Sur la vogue de Quintilien, Ausone, Prof., 2 ; Mos., 404 ; Grat. actio, 7, 31.

[44] Ausone, Prof., 23, 13 ; Cento, § 4, 9, Schenkl ; Epist., 16, 2, 15 ; 17, 14 (lettre à Symmaque) ; Paneg., XII, I (Pacatus nomme aussi Caton et Hortensius) ; etc.

[45] Horace, quoique loin de Virgile, demeure populaire à l'école ; Ausone, Protr., 56 (les odes) ; Prof., 22, 8 ; Ausone l'a imité à peine moins que Virgile (p. 266 de l'édit. Schenkl). Il semble qu'on en fit encore des lectures ou des chants sur les théâtres (à Narbonne ? theatris lyra Flacci, dans l'Epigramma de Paulin, 78-9). — Ausone parle également de Catulle (Schenkl, n° XXIII ; Griphus, § 1), et, quoiqu'il parle fort peu d'Ovide (Epigr., 64), il l'a copieusement imité (voir p. 267 de l'édit. Schenkl, où sont indiqués tous les emprunts littéraires faits par Ausone) ; très certainement Ovide était encore fort populaire (cf. l'Epigramma de Paulin, 77). — Un ouvrage qui me parait avoir prêté aux exercices scolaires, ce sont les Apologi de Julius Titianus (le père du professeur de Besançon et de Lyon) ; Ausone, Epist., 16. Et cela se comprend, si l'on songe que c'était la mise en vers d'Ésope (id., vers 78 et s.).

[46] Cf. le mot de Quintilien sur Ménandre.

[47] Voyez les préceptes de Quintilien, qui continuaient à faire loi au IVe siècle, en particulier Institutio oratoria, I, 4, De grammatice, notamment § 4 ; et ce qu'il dit sur Ménandre. Jamais peuple n'a moins touché à ses méthodes d'enseignement que Rome pendant un demi-millénaire. Il y a là un curieux phénomène de stagnation intellectuelle ou pédagogique.

[48] La rançon d'une aussi prodigieuse aptitude à se souvenir, c'est qu'elle imposait à l'esprit la phrase toute faite, l'idée toute stéréotypée ; de Labriolle, La Correspondance d'Ausone, p. 8.

[49] Voyez par exemple la Bible, inspirant l'emploi des vara fictilia ou des manteaux à poils de chameau. Au surplus, l'abus des citations et réminiscences bibliques vient en partie de ces habitudes de l'école.

[50] Ici, § 7.

[51] Un jugement moins défavorable chez Roger, p. 18 et s.

[52] Remarquez que dans les Panégyristes de Gaule les souvenirs de la Grèce tiennent autant de place que ceux de Rome ; Pan., II, 10 ; IV, 7, 9, 18 ; XI, 9 (Athenæ bonarum artium magistræ et inventrices).

[53] Le père d'Ausone se vante de s'exprimer plus aisément en grec qu'en latin. Et je ne m'explique cela que parce que le latin était pour lui, au même titre que le grec, une langue d'école et de cérémonie, et que dans son intérieur il parlait surtout le gaulois.

[54] Ceci est encore la tradition plusieurs fois séculaire de l'école latine : Græcum esse priorem placet (grammaticum), dit Quintilien, I, 4, § 1. Sur le commencement de l'éducation par le grec, voyez Paulin de Pella et Ausone. Ausone cite 6 grammatici Græci (pour une période de soixante-dix années ?) ; mais il n'y a pas à Bordeaux, comme il y a à Constantinople, de rhéteurs ou sophistes grecs.

[55] La popularité de Ménandre au IVe siècle est digne de remarque ; Ausone, Protr., 46 ; Cento, § 4 (allusion à une pièce érotique de Ménandre). C'est du reste la tradition de Quintilien qui continue, disant de Ménandre : Vel anus diligenter lectus ad cuncta quæ præcipimus efficienda sufficiat ; ita omnem vitæ imaginem expressit, etc. (X, 1, 611) : on ne saurait formuler plus naïvement le principe de l'instruction par le livre. Ausone mentionne à côté de Ménandre (Cento, § 4) le poète érotique grec Evenus (Événos de Paros) ; mais il est possible qu'il ne le connaisse que par Ménandre (cf. Real-Enc., VI, c. 976).

[56] Voyez certaines poésies d'Ausone où s'enchevêtrent mots grecs et mots latins, par exemple Epist., 12 (sermone adludo bilingui).

[57] Jérôme le remarque (Epist., 58, § 10, P. L., XXII, c. 585) : Hilarius Gallicano cothurno attollitur, et, cum Græciæ floribus adornetur, longis interdum periodis involvitur. — Il y aurait un travail à faire sur l'influence, très nette, qu'Athanase a exercée sur les expressions et même sur la nature et le dispositif de certaines œuvres d'Hilaire, en particulier de son grand ouvrage historique.

[58] C'est le mot quasiment officiel en droit romain pour désigner les assemblées chrétiennes.

[59] Ce mot est resté toutefois pour désigner l'ensemble des prêtres du premier degré (episcopi et presbyteri), l'expression de ministri étant restée pour les rangs inférieurs du clergé (cf. Code Théod., XVI, 2, 31).

[60] Ajoutez les prêtres itinérants venus en nombre d'Orient.

[61] Voyez sa rencontre à Besançon avec un philosophe cynique, qui parait venir d'Orient (Epist., 38 = 26, Bidez et Cumont). — Ajoutez les troupes de danseurs ou d'histrions.

[62] Il m'est impossible de deviner dans quelles circonstances. — De même, c'est sans doute à la suite du séjour de Valentinien que Bâle, Basilia, dut son nom. Remarquez, près de Sisteron, dans un grand domaine, locus cui nomen Theopoli est, sans doute village de colons récemment formé (vers 400 ; Corpus, XII, 1524). — Le surnom de Chrysopolis donné à Besançon (Acta, 16 juin, III, p. 5) viendrait-il de cette époque ? On a supposé Crispopolis, et que Besançon aurait été restitué par Crispus (cf. Castan, Bibl. de l'École des Chartes, XLIX, 1888, p. 215 et s.). — On trouverait peut-être en Gaule d'autres localités dénommées ou surnommées alors de vocables grecs.

[63] Paneg., IV, 17 et 14.

[64] Voyez les Professores d'Ausone.

[65] Voir le tableau de la famille d'Ausone, éd. Schenkl, p. XIV.

[66] Ausone, Prof., 5, 9-14 ; 11, 23 et s.

[67] Ausone, Prof., 9 (Romulus, Spercheus, Corinthus, Menestheus), 14 (Citarius, originaire de Syracuse), 22 (Urbicus), 25 (Acilius Glabrio, Dardana progenies).

[68] Ausone, Prof., 14.

[69] Paneg., IV, en particulier 17 et 14.

[70] Paneg., II et III. Sans doute du même auteur, magister Mamertinus. — Le Panégyrique V, à Constance, est très certainement d'un professeur d'Autun (V, 21). — Le Panégyrique IV d'Eumène est en réalité un discours prononcé devant le gouverneur de province lors d'une tournée officielle.

[71] Paneg., VI, VII, VIII, IX : peut-être d'un même auteur, dans ce cas sans aucun doute un professeur d'Autun (VII, 23 ; VIII, 3). Panegyr., X, discours de Nazarius, celui-ci n'étant pas d'Autun.

[72] Paneg., XI ; Panégyrique de Mamertin : il est possible, mais nullement certain, que Mamertin soit d'Autun.

[73] Il s'agit d'Eumène, auteur du quatrième discours (pro restaurandis scholis : Paneg., IV). Son aïeul, originaire d'Athènes, célèbre comme rhéteur à Rome, avait ensuite enseigné à Autun jusqu'à plus de quatre-vingts ans, sans doute au temps des empereurs gaulois. L'école avait disparu dans la catastrophe du temps de Tetricus en 269 (Pan., IV, 17). — Il restait encore, lorsque Eumène prononça son discours, en 297, un survivant de ce temps, Glaucus (Pan., IV, 17). Le discours suivant de la série (Pan., V) n'est certainement pas d'Eumène.

[74] Eumène moderator de l'école.

[75] Grâce à Eumène.

[76] C'est peut-être ce qui explique qu'elles aient une valeur historique bien supérieure par exemple aux discours de Libanius.

[77] Le rôle de l'évêque Rétice se rattache peut-être au prestige de l'école d'Autun.

[78] Sans doute la participation d'Autun à l'usurpation de Magnence en 330 contribua-t-elle à la décadence de son école.

[79] Elle a dû être créée ou restaurée sous le premier Constance, puisque Ausone, né vers 310, semble y avoir reçu ses premières leçons (Profess., 13, 2 ; 9, 10).

[80] Peut-être la vogue lui vint-elle surtout de l'enseignement du Bordelais Tiberius Victor Minervius, Burdigalæ columen (Ausone, Prof., 2, 1). Il a dû y professer dans sa jeunesse, dès 325-330, puisqu'il a été le maître d'Ausone ; il alla ensuite enseigner à Constantinople [donc après 330], puis à Rome, et enfin il devint sans doute reprendre sa place de professeur dans sa ville natale, où il tint dans la société le plus haut rang: Il mourut à soixante ans. Jérôme place son enseignement à Rome vers 333, ce qui est trop tardif ; ad a. Abr. 2369 ; Ausone, Prof., 2. — Ajoutez, comme propagateur du renom de Bordeaux, le panégyriste Nazarius en 321.

[81] Minervius ; Ausone, qui, après sa carrière à la Cour, revint à Bordeaux. La très grande majorité des maîtres de l'école bordelaise paraissent originaires de la cité (cf. Prof., 21).

[82] Ausone, Luciolus (qu'Ausone appelle condiscipulam, magistrum collegamque ; Pr., 4), Minervius, sans doute Aléthius (Pr., 3).

[83] Qu'on m'excuse de cette expression : la Garonne s'est appelée Gironde devant Bordeaux au Moyen Age, mare vocatum Gironda, en particulier dans les lettres patentes de Philippe le Bel (Livre des privilèges, p. 4).

[84] Patera et Minervius ont enseigné à Rome ou à Constantinople. C'est en pensant aux rhéteurs de Bordeaux que Jérôme a écrit (Contra Vigilantium, § 1, P. L., XXIII, c. 339) Gallia monstra non habuit, sed viris semper fortibus et eloquentissimis abundavit [il reprend un mot célèbre sur les anciens Gaulois], et qu'ailleurs, à la date de 411, il rappelle studia Galliarum, quæ vel florentissima sunt (Epist., 125, § 6, P. L., XXII, c. 1075). D'autant plus qu'il ne cite guère que des rhéteurs bordelais. Lui-même fut en correspondance avec Hedibia, descendante de Delphidius et de Patera, et il fait de tous deux dans sa lettre un particulier éloge (Epist., 120, pr., P. L., XXII, c. 981). Pacatus parle à Rome devant Théodose.

[85] Latinus Alcimus Alethius rhetor ; mentionné vers 355 par Jérôme en même temps que Delphidius (n. suiv.) ; Ausone, Prof., 3 ; Sidoine Apollinaire, Epist., V, 10, 3 (vante sa fortitudo) ; II, 7, 2 ; VIII, 11, 1-2, où Sidoine parait dire qu'il débuta à Agen. On lui a attribué sans preuve quelques épigrammes et la poésie dite Aviti allocutio sponsalis (Bæhrens, IV, n° 115-7, 192, 218). — Il faut rapprocher de lui Nazarius, le panégyriste de Constantin et de ses fils, rhéteur dont il est remarquable qu'Ausone ne parle qu'incidemment (Prof., 15, 9), mais que signale Jérôme.

[86] Attius Tiro Delphidius rhetor ; Ausone, Prof., 6 ; Jérôme, ad a. Abr. 2371 [355] ; Sidoine, V, 10, 6 (vante son abundantia). Jérôme dit de lui (Epist., 120, P. L., XXII, c. 982) : Omnes Gallias prosa versuque suo illustravit ingenio. Il semble que, par ambition, il se soit compromis avec Magnence (Prof., 6, 23-4).

[87] Son père est Attius Patera (Ausone, Prof., 5), qui professa vers 335. Il semble bien qu'il ait enseigné à Rome, rhetoricam Romæ docuit (Jérôme, Epist., 120, P. L., XXII, c. 981). — Grâce à lui, son père Phœbicius obtint d'être grammairien en même temps que lui rhéteur (Prof., 11). — Patera eut pour successeur Alethius Minervius, le fils du grand Minervius (Prof., 7).

[88] Les noms de Patera, Delphidius, Phœbicius, venaient du culte de l'Apollon gaulois Bélénus, auquel la famille était consacrée. Elle était originaire de Bayeux : Baiocassi stirpe druidarum, Beleni sacratum e templo genus (Ausone, Prof., 5). Ailleurs (Prof., 11), Ausone attribue la qualité de ædituus Beleni à Phœbicius, le père de Patera (ici, n. précédente), émigré du pays de Bayeux à Bordeaux, où il devint grammairien. A Bayeux, selon toute vraisemblance, le culte à l'Apollon celtique a dû avoir une importance particulière (ainsi qu'à Vieux). Grannona rappelle un culte apollinaire.

[89] Mais le reste de sa descendance se réconcilia avec l'Église, puisque Jérôme correspondait avec sa petite-fille (ou sa fille ?) Hédibia, qui lui avait écrit d'elle-même (Epist., 120, c. 981). — Étrange famille que celle-là, inquiète, passionnée, singulièrement imprégnée de ferveur religieuse, où nous trouvons tour à tour des prêtres de Bélénus (n. précédente), des Priscillianistes allant jusqu'au martyre, et une correspondante de saint Jérôme.

[90] Le plus récent des maîtres bordelais cités par Ausone est Agricius (Censorius Atticus Agricius [Agrycius ? Agrœcius ?] ; Profess., 15), dont Sidoine (Ép., V, 10, 3) vante la méthode (disciplina). — Plus récent encore, sans doute, Pacatus, le panégyriste de Théodose.

[91] On peut le supposer.

[92] Il est probable que les professeurs de rhétorique savaient assez de droit pour plaider ; Ausone, Prof., 3, 7 et 16-18 : à moins qu'Aléthius, dont il est ici question, n'ait exercé comme avocat qu'avant d'être nommé rhéteur (ce que lit Delphidius, Prof., 6, 13 et s.).

[93] Voyez Minervius, Arborius, Sedatus, rhéteur à Toulouse (Prof., 20), Exupérius, rhéteur à Toulouse, puis à Narbonne, plus tard gouverneur de province en Espagne parla faveur des neveux de Constantin, ses élèves (Prof., 18).

[94] Ausone continue à dire Palladiæ toga docta Tolosæ (Parent., 5, 11 ; et aussi, Prof., 18, 7).

[95] Æmilius Magnus Arborius a dû y enseigner sous Constantin ; il y fut alors le maître d'Ausone. Il semble qu'il ait été ensuite avocat aux tribunaux de province, en Narbonnaise, en Espagne, en Novempopulanie. Puis il alla enseigner la rhétorique à Constantinople, où il mourut mais Constantin fit transporter son corps Bordeaux, où Ausone célébrait régulièrement son anniversaire funéraire ; Ausone, Parent., 5 ; Prof., 17.

[96] Les frères de Constantin (Ausone, Prof., 47) et ses deux neveux. Autres professeurs célèbres de Toulouse, les Bordelais Sédatus et Exupérius.

[97] On y faisait un traitement de faveur aux maîtres. Mais il est à remarquer qu'Ausone, dans sa Mosella et ses Urbes, ne parle pas nettement de son école : il appelle Trèves seulement armipotens (Urbes, 28), et signale vaguement (Mos., 400 et s.) ses juristes, legum catos, et ses rhéteurs ou avocats, fandi potentes mais s'agit-il de maîtres formés ou enseignant à l'école de Trèves ? — Aucun nom célèbre n'y est indiqué paf les contemporains ; et Ausone n'en nomme que deux maîtres, les grammairiens Ursulus et Harmonius, qu'il y a connus lors de son préceptorat impérial (Epist., 18, 26 et s.).

[98] Marcellus Marcelli filius, Bordelais, s'y enrichit comme grammaticus (auditor multus prætextaque pubes ; Ausone, Prof., 19). Exupérius est passé de Toulouse à Narbonne (Prof., 18). — De l'école de Marseille, si célèbre autrefois, il n'est plus question. On cite cependant (Gennadius, 61) un rhetor Massiliensis, Victorinus, au début du siècle suivant, qui, étant chrétien, écrivit un commentaire sur la Genèse, nais sans grande compétence religieuse : il s'agit, selon toute vraisemblance, de Claudius Marius Victor et de son Alethia.

[99] Anastasius, grammaticus, quitte Bordeaux pour aller végéter à Poitiers (Prof., 11) ; Rufus, rhetor Pictavicus, dont d'ailleurs Ausone se moque copieusement (Epigr., 41-48).

[100] Tetradius, ami d'Ausone, y enseigne ; Epist., 15, 21-22.

[101] Évidemment, la présence de maîtres connus dans de très petites villes s'explique par l'importance de l'aristocratie foncière de la cité (cf. ch. IV, § 14). De même, s'il est prouvé qu'il y eût là des écoles, à Saintes (Ausone, Epist., 8, semble faire d'Axius Paulus un rhéteur de Saintes, falsas lites quas schola vestra serit [mais il peut s'agir d'un cercle amical]), à Agen, Périgueux (Sidoine, Epist., VIII, 11, 1-2).

[102] Cf. Paulin de Pella, Euch., 104 et s.

[103] Il se peut pourtant que le Christianisme ait d'abord développé l'instruction dans les milieux populaires.

[104] Voir au Corpus, XII et XIII, où les inscriptions du IVe siècle sont fort rares. Remarquez la suppression des signatures ou marques de fabrique.

[105] La campagne girondine, si riche en grands domaines, n'a livré que deux inscriptions postérieures à 300 (elles sont d'ailleurs postérieures à 400 ; Corp., XIII, 911 et 912).

[106] Cimetière Saint-Seurin ; Inscr. rom. de Bordeaux, II, p. 19 et s. ; Courteault, Revue des Ét. anc., 1910, p. 67 et s.

[107] Végèce, II, 19 : In legionibus plures scholæ sunt, quæ litteratos milites quærunt, cf. 20.

[108] N'oublions pas que le colon va au marché : frequentat nundinas meas pecore venali et cultor barbarus taxat annonum, Paneg., V, 9.

[109] Car il est bien évident, comme le montre en particulier le sermon de Victrice, que l'on se servait d'une des nombreuses traductions de la Bible qui circulaient alors (voyez, dans l'édit. Sauvage et Tougard, les nombreuses variantes d'avec la Vulgate). Et c'est évidemment en latin que Martin faisait recopier les Écritures dans son séminaire.

[110] Sulpice Sévère, Dial., III, 6, 3.

[111] J'ai tout lieu de croire que le père d'Ausone, né à Bazas, mais domicilié à Bordeaux et marié à une femme d'origine éduenne (gens Ædua matri, dit Ausone, Lectori, 5), parlait le gaulois dans l'intimité.

[112] Le Glossaire d'Endlicher (Dottin, La Langue gauloise, p. 213-4) renferme surtout des expressions rustiques ; on le date du IVe siècle. — Formules de Marcellus, sans doute empruntées aux paysans. — Autres traces de celtique pour cette époque dans l'épigraphie populaire, Vie de saint Symphorien. — Peut-être trouverait-on d'autres traces de celtique dans les plus anciens manuscrits hagiographiques ou même liturgiques (cf. n. suivante).

[113] Clocca, indiqué dans un sacramentaire du IXe siècle (Galli lingua celtica vocant) ; Revue des Ét. anc., 1920, p. 39. — Réapparition du mot Armorica (p. 107).

[114] Divona Celtarum lingua fons addite divis ; Ausone, Urbes, 160 (orna = fons).

[115] Vernemetis voluit vocitare vetustas, quod quasi fanum ingens Gallica lingua refert ; Venance Fortunat, Carm., I, 9 (nemetis = fanum ; ver = super).

[116] Sellulæ rusticanæ quas nos rustici Galli tripeccias, etc. ; Sulpice Sévère, Dial., II, 1, 4 ; je conserve la leçon du plus ancien manuscrit ; variantes, tripecias, tripetias.

[117] T. VI, ch. II, § 9-12.

[118] Patéra sans doute aussi, après être allé à Rome.

[119] Remarquez que dans ses Urbes nobiles Ausone se débarrasse respectueusement de Rome par le premier vers, mais par un seul (prima urbes inter, divum domus, aurea Roma), et qu'il termine, et fort longuement, par Bordeaux.

[120] Voyez surtout les § 25 et s. de la Vita Martini.

[121] Voyez par exemple Paneg., IV, 11, 13, 14, 17 (Eumène), allusions à la carrière et à l'aïeul de l'orateur : il est vrai qu'il parle devant le gouverneur. Mais devant Théodose, Pacatus décrit par avance son retour en Gaule (XII, 47). Et voyez surtout la péroraison de l'auteur du Panégyrique de 310 (VII, 23), recommandant à Constantin ses cinq fils, en particulier l'aîné, advocatus fisci, et en outre tous ses anciens élèves, etiam illos quasi meos numero, et cette fin d'une harangue officielle est singulièrement intime et touchante.

[122] Professores : 27 pièces.

[123] Parentalia : 32 pièces.

[124] Epicedion in patrem : 64 vers et une préface de 10 lignes. Il reviendra sur son père dans ses Parentalia (pièce 3 : 18 vers).

[125] Liber protrepticus ad nepotem : 100 vers et une préface de 14 lignes à son fils. Voyez aussi le Genethliacon ad Ausonium nepotem : 27 vers ; et dans les Parentalia, pièce à Pastor repos ex filio (Par., 13 : 16 vers).

[126] Voyez le début de la Vita Martini de Sulpice Sévère, 1, 3 : Quid posteritas emolamenti tulit legendo Hectorem pugnantem ?

[127] Mosella : 483 vers. La préface est constituée par une lettre de Symmaque. La Mosella a été composée à son retour, par Mayence, d'une expédition transrhénane où il a dû accompagner Valentinien et Gratien : en 369 ? De La Ville de Mirmont, La Moselle d'Ausone, Bordeaux, 1889.

[128] Ordo urbium nobilium (168 vers), 128 et s.

[129] Paneg., VIII, 8. Voyez de même la description d'une procession chrétienne dans le sermon de Victrice.

[130] Sulpice Sévère, Dial., III, 8, 4 ; Epist., 3, 6 et s. ; Vita Martini, 10 ; etc.

[131] Paulin semble avoir été le premier écrivain chrétien à imiter les Psaumes en vers latins (Cf. de Labriolle, p. 442).

[132] Paulin à Ausone, Carmina, 40, vers 203 et s., 304 et s., 319 et s.

[133] Il doit être mort en 393 au plus tôt.

[134] Paulin de Pella, Eucharisticos. Il est né en 376, mort au plus tôt en 459.

[135] On peut sans doute ajouter, comme influence scolaire, un certain goût de l'archaïsme ou de la rareté, une recherche des vieux auteurs ou des auteurs oubliés, en admettant qu'on les ait connus directement : Afranius, Lévius (antiquissimi poetæ Lævii Erotopægnion ; Ausone, Cento, § 4), les Fescennins (Anniani [sous Hadrien] Fescenninos ; id.) ; Ennius (Ausone, p. 269, Schenkl), le Grec Événos. La marque la plus nette de cette curiosité apparaît hors de Gaule, dans l'œuvre de Rufius Festus Aviénus, si riche en renseignements empruntés à de très anciens écrits, sur le plus lointain passé de la Gaule. Et cela, dans une certaine mesure, a compensé l'inexpérience de ce temps en matière d'histoire.

[136] Ce qu'il y a de plus sûr et de plus complet sur cette langue du Bas Empire, demeure le livre de Gœlzer, Étude sur la latinité de saint Jérôme, 1884 : remarquez en particulier cette très juste conclusion, que dans cette langue latine de la fin du siècle se trouve, dans une certaine mesure, l'origine et le secret des langues modernes de l'Europe occidentale (p. 439). Dans le même sens, voir la conclusion de Chabert, De latinitate Marcelli, 1897. — Je ne parle pas d'ailleurs des écrivains de la Gaule autrement que je ne parlerais de ceux du reste de l'Empire. Le mot de Pacatus (Pan., XII, 1) est une simple phrase de modestie à l'usage de son auditoire romain, rudem hunc et incultum Transalpini sermonis horrorem. Et l'on en dira autant de la phrase de début du Panégyriste de Constantin (IX, 1) : Romanis latine et diserte loqui ingeneratum, nobis elaboratum. Je ne trouve pas, par exemple, la langue de ces Panégyristes plus obscure, Moins élégante, que celle d'Ammien Marcellin ou de Symmaque, bien loin de là ; et il faut bien qu'il en ait été ainsi, vu la vogue des rhéteurs gaulois à Rome même. En ce qui concerne Hilaire, Sulpice, Paulin et même les Panégyristes, je croirai plutôt à un avantage de leur côté, à un plus grand effort vers la clarté et la simplicité, et je comprends, dans une certaine mesure, que l'on ait regardé le latin parlé alors en Gaule comme plus voisin du latin littéraire (Mohl, Introduction, p. 174).

[137] Pour dire tu arriveras ensuite à Lucaniacus, Ausone écrit : villa Lucani mox potieris aco (Epist., 5, 36).

[138] Statim itaque Gallias tuas, Cæsar, veniendo fecisti, pour veniendo fecisti Gallias statim tuas (Paneg., V, 6).

[139] Voyez par exemple, chez Sulpice Sévère, confabulatio (V. M., 25, 6), fructificare (Dial., I, 13, 3), justificare (Chr., 1, 18, 9), præfigurare (Chr., II, 3, 5), mots qui, sans être propres à Sulpice, sont bien caractéristiques de la langue mise alors à la mode par les écrivains chrétiens. Les influences bibliques furent capitales à ce point de vue.

[140] Nec tua fortuna desiderat remunerandi vicem nec nostra suggerit restituendi faculatem ; Ausone, Gratiarum actio, 1, 1.

[141] Miracula obœdientiæ magna ; Sulpice, Dial., I, 18, 1.

[142] Lucem, quant vis sophorum callida arsque rhetorum et figmenta vatum, nubilant ; Paulin à Ausone, Carm., 10, 36-38. Dans l'ensemble, pourtant, les écrivains de Gaule paraissent faire effort pour établir des métaphores cohérentes.

[143] Remarquez ce que dit Jérôme d'Hilaire : Longis interdum periodis involvitur et a lectione simpliciorum fratrum procul est (Ép., 58, § 10, ad Paulinum, P. L., XXII, c. 585).

[144] Au sujet des rhéteurs de la Gaule, Sidoine (Epist., I, 2, 6) note abundantiam Gallicanam. Cela est possible, et le mot peut bien avoir été une expression consacrée, puisqu'on trouve quelque chose d'analogue chez Jérôme (Epist., 125, § 6, XXII, c. 1075, ut ubertatem Gallici nitoremque sermonis gravitas Romana condiret). Mais cela me paraît un peu formules de convention, comme tant de jugements exprimés par la littérature de ce temps ; et les autres jugements de Sidoine sont suspects : n'attribue-t-il pas à Ausone une extrême sévérité de style, Magni [Ausone] rigor (Ép., V, 10, 3) ?

[145] C'est évidemment l'influence des pratiques scolaires qui développe chez les écrivains chrétiens de ce temps l'habitude de citer sans cesse des phrases ou des expressions de la Bible, ou plutôt d'écrire avec les termes mêmes des Livres Saints ; Paulin de Nole, à cet égard, est le type achevé du genre : il exprime sans cesse sa propre pensée par des expressions tirées de l'Écriture (Bahut, Rev. d'hist. et de litt. relig., 1910, p. 129). Mais Paulin ne procède pas avec l'Écriture autrement qu'Ausone avec Virgile : c'est la tradition générale de l'école qui veut cela.

[146] Voyez les rapprochements indiqués par l'édition Schenkl. Ausone, par exemple, veut-il montrer la marée pénétrant dans le port intérieur de Bordeaux, il prendra, avec une certaine ingéniosité, le vers de Virgile, lequel est fait pour la Méditerranée, totumque adiabi classibus æquor (Énéide, X, 269). Il a composé, uniquement à l'aide de vers ou d'hémistiches de Virgile, la description d'une journée et d'une nuit de noces, en 137 vers, le Cento nuptialis c'est d'ailleurs un exercice très médiocre. Mais toute son œuvre est un centon inconscient.

[147] Lactance, De m. p., 16, à propos des martyres de Dioclétien, cite les trois vers de Virgile (Én., VI, 625-7), non mihi si linguæ, etc. — Jusqu'à quel point les poètes chrétiens, ni plus ni moins qu'Ausone, sont imprégnés de Virgile, c'est ce que montrent : 1° l'Alethia, imitation en vers de la Genèse, du rhéteur marseillais Claudius Marius Victor, qui écrivit entre 425 et 450 (cf. Gennadius, 61 ; édit. Schenkl dans le Corpus de Vienne, XVI, 1, 1888) ; 2° le curieux dialogue sur les mœurs du temps, connu sous le titre de S. Paulini epigramma (même édit.), qui paraît avoir été écrit dans le Midi de la Gaule, vers 418, par l'évêque Paulin de Béziers : c'est de Béziers on de Narbonne et de leur terroir qu'il semble bien être question, et, à la fin, d'une retraite [ad] Tecum ou Tetum (le Tech plutôt que la Têt), sans doute à Elne ; 3° et plus encore, le Cento Probæ (même édit.), composé par une clarissime, Proba, vers 351, au temps de la guerre de Constance contre Magnence, et où des épisodes de la Genèse et des Évangiles sont développés uniquement à l'aide de vers ou d'hémistiches de Virgile : c'est l'équivalent chrétien (et, remarquons-le, écrit antérieurement) du Cento nuptialis d'Ausone (n. précédente).

[148] Voyez Paulin, Carm., 10 (ad Ausonium), vers 22 et s. (negant Camœnis, etc.). Sa prose se pare de toutes les fleurs de la rhétorique, dit justement de Labriolle, p. 438.

[149] Du moins en Gaule car on eut en dehors les Res gestæ d'Ammien Marcellin en 31 livres a principatu Cæsaris Nervæ adusque Valentis interitum (il n'en reste que la seconde moitié, XIV-XXXI, de 354 à 378).

[150] Eumène a été tour à tour rhéteur et magister sacræ memoriæ, puis mis à la tête de l'école d'Autun (Paneg., IV, 14 et 11).

[151] C'est le titre qu'on semble lui donner couramment ; Gennadius, 19.

[152] Je parle de celles qui restent.

[153] Remarquez que cette Vie, conçue sur le modèle des Vies des Césars de Suétone, est fort différente d'allure de ce que nous appelons les plus anciennes Vies de Saints, qui sont en réalité des Passions ou récits de martyres.

[154] Une Ephemeris, id est totius diei negotium, en 7 morceaux et 197 vers, 19 eclogæ, 114 epigrammata, et bien d'autres poésies à titres et à factures étranges : portraits, chacun en 4 vers, de 24 empereurs [incomplet], Cupido cruciatus (description en 103 vers d'une pictura in pariete vue à Trèves), Bissula (aimables poésies sur une jeune Suève devenue son esclave et affranchie), Griphus (jeu versifié, en 90 vers, sur le nombre 3, dédié à Symmaque), Technopægnion (série de poésies aux vers terminés par des monosyllabes), Ludus Septem Sapientum, 25 lettres (presque uniquement en vers), etc. Je préfère l'édition de Schenkl à celle de Peiper.

[155] La collection, qui paraît avoir été faite, sinon à Autun, du moins en Gaule, comprend, outre le Panégyrique de Trajan par Pline : 2°-3° deux harangues à Maximien, œuvre d'un premier Mamertin (II et III) ; 4° une d'Eumène, assez médiocre (IV) ; 5° une à Constance, meilleure (V) ; 6°-9° quatre à Constantin, sans doute par un Autunois, peut-être le même, écrivain d'assez belle allure (VI, VII, VIII, IX) ; 10° une autre à Constantin et ses fils (X), de facture banale, par Nazarius, dont on fait un rhéteur bordelais (Ausone, Prof., 15, 11) ; 11° une à Julien, de Claudius Mamertinus, le consul de 362, très vraisemblablement aussi un Gaulois (XI) ; 12° une enfin (XII), à Théodose, de Latinius Paccatus Drepanius, un Gaulois (24 et 47), proconsul, ami d'Ausone, qui lui a dédié le Ludus Septem Sapientum : on peut donc le supposer bordelais, sinon d'origine, du moins de carrière universitaire ; il était sans doute de famille agenaise et a peut-être débuté à Agen (Sidoine Apollinaire, Épist., VIII, 11, 1) son discours, trop long, mais bien fait, est un type presque achevé de harangue académique. — La collection a donc dû être faite à la fin du siècle, sans doute en Gaule, et pour fournir des modèles à des exercices d'école. Cf., entre autres, Pichon, Revue des Et. anc., 1906, p. 229 et s. (et dans Les derniers Écrivains, p. 270 et s.). — Il ne faut pas oublier que cette collection n'offre qu'un nombre extraordinairement restreint des panégyriques qui ont été prononcés au cours du siècle il devait, s'en faire une demi-douzaine au moins par an, deux pour les consuls (tantôt remerciements des consuls, tantôt éloges qu'on leur adresse), et d'autres pour les solennités impériales. Minervius parait avoir été célèbre en ce genre (Ausone, Prof., 2, 13).

[156] L'ouvrage fut écrit vers 459, Paulin ayant quatre-vingt-trois ans. Le titre est Εύχαριοστικός, Deo sub ephemeridis meæ textu ; édit. Brandes, dans le Corpus de Vienne, XVI, 1888, Paulin a été comes privatæ largitionis [res privatæ] de l'usurpateur Attale en 414 (v. 293-6). — Cf. J. Rocafort, Un type gallo-romain, Paulin de Pella, 1896, etc.

[157] Claudius Rutilius Namatianus a écrit De reditu suo, en 709 vers (c'est le chiffre de ce qui reste ; l'ouvrage, incomplet, est interrompu avant l'arrivée sur les côtes de Gaule). Il est très certainement un Gaulois, peut-être de Toulouse (cf. I, vers 496 et 510) ; le voyage est de 416, et c'est le voyage de retour de Rome, où Rutilius vient d'exercer la préfecture de la Ville : c'est donc un des plus grands personnages de l'Empire. — Édit. L. Müller, 1870 ; Vessereau, Cl. Rutilius Namatianus, 1904.

[158] Y compris son livre d'histoire, plus polémique et apologétique que narratif.

[159] Œuvres d'Hilaire.

[160] Il s'agit du grammairien de Trèves Harmonius, qui publia le corpus laceram d'Homère, en notant les vers qu'il jugeait apocryphes (Ausone, Epist., 18, 26 et s.)

[161] Chronica, en 2 livres (res a mundi exordio ; I, 1, 1).

[162] Je ne peux qualifier autrement le metricum epos de Delphidius, qui fut dès son enfance célèbre par un poème sur Jupiter ; Ausone, Prof., 6 ; cf. Jérôme, Epist., 120, P. L., XXII, c. 982.

[163] De Julien par Aléthius.

[164] Je songe au rhéteur Axius Paulus, composant ou faisant traiter falsas lites (Ausone, Epist., 8, 12), ou encore au fameux Minervius, à qui seu libeat fictas ludorum evolvere lites (Ausone, Prof., 2, 15).

[165] Voyez le développement si curieux d'Ammien Marcellin sur la multitude des avocats en Orient, per fora omnia nolitantium, XXX, 4. Les choses ne devaient pas être très différentes en Occident. Voyez aussi les nombreuses allusions d'Ausone aux avocats de son entourage.

[166] Il en fit certainement, soit pour convertir les païens (prædicatione sancta, Sulpice, V. Mart., 15, 4), soit pour expliquer les textes sacrés (absolvendis Scripturarum quæstionibus, id., 25, 6).

[167] Il s'agit du fameux Delphidius, accusant devant Julien César un gouverneur de la Narbonnaise, Numérius (XVIII, 1, 4). Ce fut évidemment l'avocat le plus ambitieux et le plus entreprenant de l'entourage d'Ausone, plaidant à Bordeaux et partout, devant les tribunaux des gouverneurs de province et des préfets du prétoire (Ausone, Prof., 6, 13 et s.).

[168] Même Julien ne va jamais au théâtre, et il n'admet dans son palais les comédiens, qu'une fois par an, au jour de la nouvelle année ; Misopogon, p. 339 c, Sp.

[169] La destruction des sanctuaires ruraux et même municipaux, soit par les Barbares, soit par les évangélistes comme saint Martin, a dû singulièrement restreindre les entreprises théâtrales, tous ces sanctuaires comportant leur théâtre. Toutefois, la satire de Paulin se plaint encore, au début du Ve siècle, que l'on fréquente le théâtre à Béziers ou à Narbonne (vers 78-79) : Accipiunt plausas lyra Flacci et scæna Maralli (le mimographe) ; mais j'ai peine à croire que ce soit représentations populaires, malgré le rapprochement que l'on peut faire avec Carthage (Augustin, Conf., III, 2, 3). Paulin a dans son entourage un mimus, Cardamas, qui parait avoir été son esclave (peut-être louait-il dans des spectacles organisés par la famille des Paulins), et qu'il confia ensuite aux évêques de Bordeaux, lesquels firent de lui un exorciste (Epist., 4, P. L., LXI, c. 246).

[170] Ausone, Epist., 22, § 2, 10 ; 9,, 46 ; Protrepticas, 2,46 et 58 ; Cento, § 1 et 4. Voyez, éd. Schenkl, p. 268, les emprunts qu'il a faits aux premiers. — Ausone parle également d'Afranius (Cento, § I ; Epigr., 67) mais il n'est pas sûr qu'il l'ait connu autrement que par Quintilien (X, 1, 100).

[171] Il n'est pas dit que le Delirus d'Axius Paulus (Ausone, Epist., 11) soit une pièce de théâtre. Mais le titre, à rapprocher de celui du Querolus, ne parait guère convenir à un autre genre ; et d'autre part, Paulus nous est représenté par Ausone comme auteur dramatique (socci et cothurni, musicam, Épist., 10, 38 ; mimos, 14, 22).

[172] Édit. Peiper, 1875.

[173] Dezeimeris (Études sur le Querolus, 1881, dans les Actes de l'Acad. de Bordeaux, 1880, et Leçons nouvelles, 1876, id., 1875) a attribué le Querolus à Axius Paulus ce qui n'est pas impossible. Je préfère cependant, vu l'allusion aux Bagaudes d'Armorique, en faire l'ouvrage de Palladio, le fils d'Exuperantius qui fut le vainqueur de ces Bagaudes, et le jeune ami de Rutilius Namatianus (Itin., I, 213 et s.), d'autant plus que l'ouvrage est dédié à un Rutilius. L'auteur est en tout cas un Gaulois, et nostra Græcia signifie Gallia.

[174] On pourrait peut-être en trouver d'autres spécimens (hors de Gaule) : la Piscatoria de Sutrius, citée par Fulgence, Sermones antiqui, § 47, p. 124, Helm ; le dialogue de la Vespa, entre un cuisinier et un boulanger (Riese, Anthologia, I, n° 199). — Le travail d'Albert Müller, Das Bühnenwesen in der Zeit von Constantin bis Justinian (Neue Jahrb. für das klass. Altertum, XII, 1909) est insuffisant.

[175] Voyez le texte de Pline, vrai plus que jamais (Hist. nat., II, 118) : Nunc vero... omnino nihil addisci nova inquisitione, immo ne veterum quidem inventa perdisci.

[176] Eumène, Paneg., IV, 20.

[177] Voyez la Cosmographia du magister Julius Honorius, laquelle parait de la fin du IVe siècle et doit être la copie d'un cours de géographie publié par un des élèves du professeur, illo nolente ac subterfugiente, cours constitué par un extrait de noms géographiques inscrits sur une carte (sphæra) ; Riese, Geogr. Lat. minores, p. 24 et s. Voyez aussi l'Expositio totius mundi et gentium (Riese, p. 104 et s.), que je crois du temps de Constant. L'un et l'autre ouvrage ne doivent d'ailleurs pas avoir été écrits en Gaule.

[178] Alium Gallicum... renibus medetur ; XXVI, 18 ; cf. X, 68 ; XX, 91. Ad lumbricos satis commode facit Santonica herba ; XXVIII, 2. Pour l'anis (anesum, et jamais anisum), voir aux tables les nombreux passages qui le mentionnent.

[179] Il faut toujours excepter Ammien Marcellin, encore qu'il y ait chez lui des faits regrettables de compilation maladroite. Mais voyez Aurelius Victor et l'Épitomé de Cæsaribus (édit. Pichlmayr, 1911) et Eutrope (édit. Droysen, 1879, dans les Monumenta Germaniæ). Tous ces écrivains sont d'ailleurs étrangers à la Gaule. Je laisse de côté le Grec Eunape, incontestablement supérieur (il n'en reste que des fragments ; c'est la source principale de Zozime ; cf. Mendelssohn dans l'édit. de ce dernier, 1887, p. XXXV et s.). — Il est probable que les professeurs des écoles s'occupaient tous plus ou moins d'écrire des livres ou des manuels d'histoire. Dans l'entourage d'Ausone, en dehors d'Aléthius, dont la biographie de Julien a pu être une chose sérieuse, Axius Paulus le Saintongeois cultiva historiam, mimos, carmina (Epist., 14, 22). Mais j'ai peine à croire que ce fût besogne de science. Et on en dira autant des résumés d'Ausone. Sur l'œuvre historique d'Hilaire.

[180] Les anciens grammairiens cités par Ausone sont, outre Varron, Scaurus, Probus, Æmilius Asper, Cratès de Pergame et Claranus (Prof., 21 ; Epist., 18) ; mais il est possible qu'on répétât ces noms sans connaître les œuvres.

[181] Ici se place la question, si le commentaire des Institutes de Gaius (interpretatio Gaii ; en dernier lieu, chez P. Fr. Girard, Textes de droit romain, 5e éd., 1923) est d'origine gallo-romaine. Il a été découvert par Chatelain dans un manuscrit de la Bibliothèque du Grand Séminaire d'Autun (Revue de philologie, XXIII, 1890, p. 169 et s.) mais, comme le pense justement Chatelain, rien absolument ne prouve qu'il ait une origine autunoise. D'autre part, il n'y a pas le moindre indice, à Autun ou en Gaule, d'un enseignement suivi du droit, et ce commentaire implique plus d'études juridiques que ne devaient en comporter les quelques notions d'école. Il conviendrait infiniment mieux à l'auditorium juris de Rome. Contra, Mommsen, Ges. Schr., II, p. 429-430 (écrit en 1899).

[182] On peut même ajouter en religion, si l'on songe à l'incroyable abus que la poésie chrétienne fit des centons virgiliens ; Jérôme, Epist., 53, § 7, P. L., XXII, c. 544 (Virgiliocentonas).

[183] Ammien Marcellin, XIV, 6, 18.

[184] Du moins à Rome et en Orient. Car en Gaule, sauf à Trèves, tout ce qui se rattache à cette époque parait singulièrement étriqué.

[185] L'arc du Rhône, d'ailleurs disparu ; les thermes dits Palais de la Trouille.

[186] La basilique, les thermes dits Palais Impérial ; mais il ne reste rien du cirque, et peut-être rien du prétoire.

[187] Il ne reste rien des thermes de Reims, des constructions refaites à Autun ou ailleurs. Rien, non plus, des églises.

[188] Il ne reste absolument rien de la villa de Bourg ni des autres villas, sauf l'ensemble des remparts et bien des lignes intérieures à Jublains, et, ailleurs, quelques pans des murailles extérieures.

[189] A Cologne sous Constantin. Le pont de bateaux d'Arles. Réfection ou élargissement du pont de Trèves ?

[190] La digue de Boulogne.

[191] On a dû approfondir ou draguer les ports fluviaux intérieurs.

[192] Végèce, IV, 13 et s. La multiplication des places fortes a dû contribuer à la persistance de la balistique.

[193] Sous Valentinien : artificibus peritis aquariæ rei ; Ammien, XXVIII, 2, 2-3 ; il s'agit du détournement des eaux du Neckar : conpaginatæ formæ e roboribus conjectæque in alveum, fixis refixisque aliquotiens prope ingentibus stilis, etc.

[194] On a cru constater, même à Trèves, l'endroit de Gaule où il devait y avoir les meilleurs ouvriers, la qualité médiocre de la maçonnerie dans des constructions impériales (les substructions de la Cathédrale) de la fin du siècle (Congrès arch., LXXXV, p. 45). Autres défectuosités possibles, même dans les places fortes des frontières. Même à Sens, en 356, murorum parte intuta (Ammien, XVI, 4, 2). — La décadence de la technique industrielle se montre encore par ceci, que les empereurs ne cessent d'insister pour maintenir l'apprentissage et l'enseignement professionnel ; Code Théod., XIII, 4, 1-3. Évidemment, le nombre et la valeur des techniciens et des ouvriers ont diminué partout très rapidement.

[195] Paulin de Pella, Euchar., 210 : Diversæ artis cito jussa explere periti artifices.

[196] Les écrits d'Ausone nous mettent en présence de deux catégories d'œuvres égarées : 1° les représentations mythologiques, derniers spécimens de l'art classique près de disparaître (Cupido cruciatus, peint Treveris in triclinio, p. 121, Schenkl ; peinture représentant Echo, Epigr., 10 ; les simulacra de Corydon ou de Sapho, id., 32 et 33) ; 2° les portraits, auxquels la richesse et la vanité de l'aristocratie dominante ont dû laisser toute leur popularité : le rhéteur poitevin Rufus se fait représenter en statue et en peinture, ce qui d'ailleurs excite les railleries d'Ausone (Epigr., 41-48) ; mais lui-même fit peindre le portrait de sa chère Bissula, l'esclave suève qui égaya ses vieux jours (Bissula, § 6 et 7). Et l'on dressait à tout propos des statues à n'importe qui, sans doute parfois en utilisant des anciennes. Voir aussi les portraits de parents ou d'amis qui circulent entre les membres de l'aristocratie ou du clergé ; Paulin, Epist., 30, § 2, c. 322. Et les images impériales.

[197] A Arles ; Le Blant, Étude sur les sarcophages chrétiens antiques de la ville d'Arles, 1878, pl. 14, 19, 20, etc. — Même remarque pour les dauphins, les tritons, le vase aux feuillages, etc. ; cf. Grousset, Étude sur l'histoire des sarcophages chrétiens, 1885, p. 5 et s.

[198] Ausone appelle panthée son Bacchus de sa villa de Lucaniacus (Epigr., 30) : Mixobarbaron Liberi Patris signa marmoreo in villa nostra omnium deorum argumenta habenti... Lucaniacus Panthrum.

[199] Évidemment, les influences purement helléniques indiquées par le sarcophage de La Gayole se sont perdues, pour faire place à des scènes conventionnelles empruntées à l'art historique ou au bas-relief à scènes, plus proprement romain. En admettant, ce qui est possible, que les artistes qui ont sculpté ces scènes soient d'origine grecque, les influences dominantes. demeurent romaines. — Même remarque pour les mosaïques (Van Berchem et Clouzot, p. XLVIII.) : Alors que les vêtements ecclésiastiques et laïques évolueront sous les influences étrangères et suivant les modes de l'époque, ceux du. Christ, des apôtres, des anges et des personnages sacrés demeureront fidèles, à travers les siècles, à la tradition classique. — Même remarque pour les sculptures en ivoire et toutes les modalités de l'art chrétien. — Remarquez, dans le trésor de Traprain Law., la Vierge tenant l'Enfant Jésus, assise dans un haut fauteuil d'osier (Curie, p. 15-16), qui fait songer aux représentations, traditionnelles en Gaule, des Déesses-Mères ou des images funéraires de matrones.

[200] Le Blant, le volume sur Arles, et Les Sarcophages chrétiens de la Gaule, 1886. Voyez, entre cent exemples, le sarcophage de Toulouse (pl. 41 et p. 127-8), où le Christ et les apôtres sont en réalité en costume et attitude de rhéteurs, avec le volumen et la boîte à rouleaux de livres, et comparez aux statues de personnages des temps païens, par exemple à Bordeaux (Espérandieu, n° 1094-5, etc.).

[201] La colonnade ou le portique n'ont entièrement rien perdu de leur vogue ; les descriptions de villas nous les montrent toujours pour ainsi dire obsédants ; ils demeurent la marque la plus nette du luxe ou de l'art architectural. Voyez en dernier lieu les essais de reconstitution de Mylius, qui font bien ressortir l'importance absorbante de la colonnade dans la construction des villas (Bonner Jahrbücher, CXXIX, 1924, p. 109 et s.).

[202] De même, c'est aux piscines des thermes que fut empruntée la forme de ces baptistères (tantôt circulaire, tantôt [plus souvent ?] octogonale) que l'on commence à construire à côté des basiliques (à Primuliæ, il y a baptisterium basilicis duabus interpositum ; Paulin, Epist., 2, § 1, c. 330).

[203] Pacatus, Pan., XII, 44 : Artifices, vulgata illa veterum fabularum argumenta despicite, Herculeos labores et Indicos Liberi triumphos et anguipedum bella monstrorum, etc. La dernière représentation à moi connue des travaux d'Hercule est, dit-on, les dessins au trait, d'ailleurs informes, d'une scène de la coupe de Givors ; l'autre scène parait être un ludus militaire, combat de trois soldats d'un corps (emblème du bouclier, à l'aigle aux deux têtes) contre trois d'un autre corps (rosace), peut-être interprétation, comme joute militaire, de la lutte entre Horaces et Curiaces ; mais s'il s'agit des combats d'Hercule, ils ne me paraissent figurés que comme types de ludi militares : voyez le soldat joueur de cornu qui donne le signal. — Dans la villa de Bourg, scènes historiques en peinture, en mosaïque, ou peut-être même en tapisserie : 1° tirées de la guerre de Mithridate : Mithridate sacrifiant des chevaux à Neptune, Lucullus délivrant Cyzique, le soldat romain passant à la nage à travers la flotte ennemie pour annoncer la délivrance prochaine (Sidoine, Carm., 22, vers 158 et s.) ; 2° tirées de l'histoire primitive du peuple-juif, primordia Judærum [le passage de la mer Rouge ?] (vers 200-1).

[204] Un des rares sujets originaux traités par les artistes des sarcophages chrétiens d'Arles est la première vie du Christ depuis l'enfance ; il n'en reste que quelques fragments ; Le Blant, Sarcophages d'Arles, p. 16 et pl. 29-30 ; en dernier lieu, Wilpert, Una perla delta scultura Cristiana, 1925 (extrait de la Rivista di archeologia Cristiana).

[205] Il est possible que dans le vase de Traprain Law la représentation du fauteuil d'osier soit tirée d'un usage demeuré courant en Gaule.

[206] Voir les fibules ou agrafes de ceinturons. Je n'ose pas supposer qu'il s'agit là d'une influence germanique, ni d'une survivance réveillée de l'art gaulois. Je crois plutôt à un phénomène particulier d'une évolution générale.

[207] Rappelons à ce propos le nouveau développement du symbolisme figuré, sans aucun doute sous les influences orientales et chrétiennes. Il est possible cependant que la renaissance du svastika, très sensible surtout dans la Gaule de l'Est (cf. Straub, Cimetière de Strasbourg, p. 70) ; soit due à d'autres influences, soit germaniques, soit plutôt pré-gauloises. — Le contraste entre les sarcophages de la vallée du Rhône, ceux-ci surtout avec représentations de scènes et images de type classique, et ceux du Sud-Ouest, ceux-là surtout avec ornementation symbolique ou décorative, ce contraste ne se manifestera que plus tard ; en dernier lieu, Michon dans les Mélanges Schlumberger, 1924, p. 376 et s.

[208] De là d'une part, le renouveau des sarcophages à bas-reliefs, et, d'autre part, la renaissance de la sculpture en ivoire. — Les dessins gravés des coupes ou disques sont extrêmement médiocres.

[209] Mosaïques, peintures ou tapisseries dans la villa de Bourg ; Sidoine, Carm., 22, 158 et s., 200 et s.

[210] Julien aurait fait peindre, à côté de ses images, celles de Jupiter, Mercure et Mars, pour obliger les Romains à les adorer (Sozomène, V, 17, c. 265).

[211] Martinus pingitar, etc., dans le baptistère sans doute de Primuliacus ; Paulin, Epist., 32, 2, Patr. Lat., LXI, c. 331 ; évidemment, on a dit l'idéaliser (cœlestis hominis imaginem). A côté de son image, Sulpice Sévère a fait peindre celle de Paulin, et celui-ci envoie à son ami des vers pour servir de dédicace au groupe (Martinum veneranda viri testatur imago, altera Paulinum forma refert humilem).

[212] Une question de même nature se pose pour l'art musical, qui parait avoir été particulièrement développé au IVe siècle : Victrice de Rouen, dans son sermon (§ 12, c. 454-5), aux cantates publiques ou militaires qui accueillent les empereurs dans leurs entrées solennelles (omnis ætas in studium divisa [chœurs de juniores, de seniores] adoreas et bellica facta cantaret ; cf. instrumenta clarorum modalorum à l'entrée de Constantin à Autun, Pan., VIII, 8), oppose les chants des enfants et des vierges de l'Église à l'arrivée des saintes reliques. Les hymnes d'Hilaire devaient être certainement des poésies chantées avec accompagnement de musique.