HISTOIRE DE LA GAULE

TOME VII. — LES EMPEREURS DE TRÈVES. - I. - LES CHEFS.

CHAPITRE PREMIER. — LA GAULE EN RUINE.

 

 

I. — LES MENACES CONTRE L'UNITÉ POLITIQUE.

La restauration de l'Empire[1] par Aurélien et Probus, malgré la valeur des hommes, la beauté de l'effort et l'éclat du succès, ne put faire oublier les malheurs qui l'avaient précédée. Ni les chants de victoire, ni les déclamations de la rhétorique officielle, n'empêchaient qu'on ne vit les ruines de la Gaule et qu'on n'entendit les plaintes des misérables[2]. Et celui qui ne se laissait pas éblouir par la gloire de Rome et le miracle de son réveil triomphal, pouvait se demander si les temps de la paix auguste reviendraient jamais, et si le monde n'était point condamné au retour périodique des mêmes désastres, où achèveraient de s'abîmer le sol et les hommes, la nourriture des corps et la sécurité des âmes.

La génération qui survivait à ces malheurs avait redouté l'effondrement de toutes les espérances que les siècles antérieurs avaient mises dans l'Empire romain. Il réalisait l'unité de la terre en la personne symbolique d'un seul maitre : et pas un de ses derniers souverains n'avait pu célébrer la solennité de ces dix ans de règne[3] ; à aucun d'eux n'était arrivée la certitude de transmettre à un fils son pouvoir et son œuvre, de fonder une maison divine. Ce rêve d'une famille éternelle de princes où l'humanité se complaisait depuis Auguste, était pour toujours évanoui. Il suffisait qu'on créa un empereur, pour que des rivaux surgissent aussitôt contre lui 8. Ceux qui réussissaient à garder le pouvoir ne s'y maintenaient que par le crime ou la dureté. Les âmes nobles disparaissaient dès qu'elles touchaient au titre suprême ; et le meilleur de ces empereurs, celui qui avait rendu le plus de services à l'État, Probus, n'était, disait-on, parvenu à faire son devoir qu'en brutalisant les hommes et en traitant les soldats à la manière d'un bétail[4]. Car les chefs de valeur avaient point fait défaut : mais, ce qui était plus grave et ce qui faisait craindre la colère indélébile des dieux contre l'Empire, la destinée leur avait manqué. Le ciel se détournait-il des maîtres de la terre ?

Cette terre elle-même semble maintenant se refuser à l'unité, répudier les efforts ou les désirs des siècles antérieurs[5]. A chaque instant on signale une province qui veut avoir sort empereur à elle : la Gaule, durant quinze ans, s'est détachée des Césars de Rome, et, sans renoncer d'ailleurs à faire partie de l'Empire, elle s'est donnée aux généraux qui ont su la protéger contre les Barbares[6]. Entre l'Occident et l'Orient du monde méditerranéen, les menaces de divorce croissent d'année en année, et ces deux moitiés naturelles de l'État romain se résignent malaisément à une discipline commune et à une direction unique.

Mais le plus grand péril venait des armées. C'étaient elles qui portaient les plus rudes coups à l'unité de l'Empire, qui brisaient le plus souvent l'horizon mondial de l'État. Leurs passions, leurs révoltes, étaient la cause principale des révolutions qui ébranlaient l'autorité impériale, des sécessions qui écartaient les provinces de la vie collective. Car chacune des troupes de l'Empire, celle du Rhin comme celle du Danube ou celle de l'Euphrate, a son humeur particulière, son amour-propre, ses ambitions, ses convoitises coutumières et ses flagorneurs intéressés, elle ne veut obéir qu'au maître sorti de ses rangs ou connu d'elle, et l'avènement d'un nouveau prince est, pour les soldats qui l'ont proclamé, une occasion de conquérir une partie du monde. Cette force militaire, qui avait construit l'Empire, qui était faite pour le maintenir et le protéger, servait surtout à en saper les fondements, à l'entraîner aux pires secousses ; et, elle qui avait été l'organe créateur et le principe de l'unité et de la paix romaines, tendait à devenir l'agent de leur ruine irrémédiable.

 

II. — RESPECT DE L'UNITÉ LATINE.

Il est vrai qu'a la faveur de ce despotisme militaire et de cette paix impériale, d'autres éléments avaient grandi pour compléter l'œuvre d'unité. Ce qui rattachait la Gaule à l'Empire, à défaut de la discipline des armées et de l'obéissance politique, c'étaient les liens de communauté sociale, religieuse et morale qu'avaient noués trois siècles de vie latine. Les grands seigneurs du pays, quelle que fût la lointaine origine de leur ascendance, l'avaient totalement oubliée ou ne la rappelaient qu'à titre de curiosité et leur principal motif de gloire était d'être devenus sénateurs de Rome, d'appartenir à cette vaste société de l'aristocratie des clarissimes qui étendait sur tout l'univers le prestige de sa richesse terrienne, de sa haute culture et de son patriotisme romain. Quant aux pauvres gens de Gaule, évidemment, ils n'éprouvaient aucun sentiment de sympathie ou aucun besoin d'entente à l'endroit de leurs frères d'Espagne ou d'Italie, et il faudra bien des siècles pour que cette idée de solidarité sociale s'impose aux misérables ; mais, enfin, tous ceux l'Empire se ressemblaient par l'identité de statut légal, par la servilité envers des maîtres communs, et surtout par la passion des mêmes plaisirs, aux thermes, à l'arène et au cirque.

Car les pensées courantes et es traditions visibles étaient devenues impériales et romaines. La Gaule, sauf les attardés de la plèbe et de la campagne, s'était mise à parler le latin. On n'enseignait dans les écoles que ce latin ou le grec, que l'histoire ou les dieux de Rome. Toutes les manières de sculpter, de peindre ou de bâtir étaient empruntées aux figures ou aux lignes de l'art classique. Le populaire applaudissait mimes et gladiateurs, et il portait ses dévotions à Jupiter, à Mercure ou à la Mère du Palatin ; l'élite voyait dans Virgile comme un autre dieu, et Rome demeurait le foyer lumineux de sa vie morale, la patrie de ses souvenirs et de ses ambitions[7]. Pas une seule fois, durant les quinze années où la Gaule de Postume et de Tetricus vécut en lutte contre les empereurs de Rome, la pensée ne se fit jour parmi ses chefs ou ses soldats, qu'elle pourrait une fois recouvrer l'indépendance[8]. A vrai dire, ce mot d'indépendance n'avait plus de sens pour elle : elle était partie intégrante d'une vaste société historique et morale, et les incertitudes de la souveraineté politique ne pouvaient rien changer à cette communauté fatale et divine, pas plus que des discordes fraternelles ne suppriment les lois de la naissance et les droits de la famille. La lumière romaine[9] était un nouveau soleil qui ne devait point s'éteindre.

 

III. — AFFAIBLISSEMENT DES DEVOIRS PUBLICS.

Mais, même au sein de cette société impériale et latine, se développaient des germes qui en troublaient l'unité et en menaçaient la durée. Beaucoup, parmi ces citoyens de la patrie romaine, rie s'intéressaient que médiocrement à l'avenir de cette patrie. Ils en avaient pris la langue, les façons de parler et d'agir, les souvenirs et les habitudes : mais ce n'était que façade de leurs âmes, et leurs pensées profondes allaient vers un autre idéal que le culte de Rome et de l'empereur.

Les Chrétiens rêvaient d'une patrie plus haute qui embrasserait tous les hommes, d'une cité où tous les êtres humains se rapprocheraient et dont le seul maitre serait Dieu. Ce rêve, à vrai dire, n'était pas de nature à ruiner l'édifice public : car cette cité, cette assemblée, cette église des fidèles, ne serait bien réalisée qu'après la mort corporelle des initiés[10], et son maitre, qui était au ciel, ne pouvait prendre ombrage de la vie de la terre et des allures romaines de cette vie. Mais beaucoup, parmi les exaltés de la foi nouvelle, s'obstinaient à chercher sur cette terre les prémices de la cité de Dieu, et, se désintéressant de tout ce qui était Rome et les affaires de l'État, ils ne s'attachaient qu'à l'espérance du lendemain céleste : service militaire[11], fonctions publiques[12], traditions historiques[13], règles ou plaisirs de la vie sociale[14], ils faisaient table rase de tous les devoirs et de tous les usages du présent, pour ne plus vivre que des images et des rêveries tracées par leurs espoirs. Le nom de Rome n'éveillait en eux qu'un sentiment de colère[15] ; et au milieu des cris d'allégresse qui célébraient la restauration de l'Empire, on entendait leurs prophètes prédire sa condamnation et sa chute[16].

Même chez les dévots des autres cultes, l'esprit religieux tendait à étouffer la notion de la chose publique. La piété des hommes ,se détournait chaque jour davantage des divinités historiques de l'Empire romain, j'entends par là celles dont l'histoire était mêlée au passé et à la gloire des Latins. Jupiter, qui commande du haut du Capitole, Mercure, en qui Teutatès s'était transformé pour mieux obéir à Rome[17], Hercule, qui avait partagé ses labeurs entre la Gaule et l'Italie, Minerve et Junon, les compagnes de Jupiter capitolin, Apollon, protecteur d'Auguste et patron de Lyon, toutes ces puissances chères aux ancêtres ont singulièrement perdu de leur prestige, et c'est un peu de l'amour de Rome qui s'en va avec leur gloire. Le monde, maintenant, veut autre chose et veut mieux, des dieux et des déesses qui ne soient plus à la solde de l'Empire et domiciliés en ses résidences publiques, comme Jupiter au Capitole, Mercure au puy de Dôme ou Apollon à la colline de Fourvières. On aspire à l'adoration des forces immuables et universelles de la nature, le soleil qui domine et la terre qui enfante ; et sous le besoin inné aux dévotions humaines, on associe en une pensée commune la création des choses et la régénération des vivants, l'origine des êtres et le rachat de la mort : la Terre, mère des hommes, est aussi celle qui rajeunit les âmes et les appelle au salut pour une nouvelle vie[18]. Assurément, les sectateurs de ces divinités souveraines étaient loin de renier la société romaine, ils se complaisaient souvent à faire du Soleil le propagateur de l'Empire[19] et de la Terre l'inspiratrice de ses chefs[20]. Il n'empêche que l'un et l'autre avaient une trop large envergure pour se réduire à un rôle de dieux politiques et nationaux[21] ; et de même, cet âpre désir de salut et de résurrection qui animait le culte de leurs adorateurs, emportait les âmes bien au delà de la banalité des devoirs publics.

Ceux-là mêmes qui aimaient passionnément Rome, qui voyaient en elle la déesse par excellence, en son Empire la forme idéale de la société humaine, en l'obéissance à ses lois la meilleure des religions, ceux-là ne se rendaient pas compte des devoirs qui s'imposaient à eux pour la faire vivre et pour la servir dignement. Le sentiment, chez eux, était démenti par l'acte, et à d'admirables paroles succédait l'absurdité de la conduite. Tous ces grands seigneurs, qui étaient après tout les éléments essentiels et comme les pierres de base de l'édifice latin, eux qui, mieux que les autres, savaient lire les poètes et étudier l'histoire, eux qui résumaient en leurs idées et leur langage les beautés de la chose romaine, eux qui avaient en outre la richesse en terres et en esclaves, l'autorité et l'influence, dont les biens-fonds, les alliances, les intérêts, répandus dans toutes les provinces de l'Empire, formaient entre ces provinces des attaches plus solides que la force publique elle-même[22], ces puissants sénateurs rejetaient les fardeaux civiques les plus pénibles, qui étaient les charges militaires[23]. Un clarissime, un noble d'Empire, ne parait point aux armées, ni comme soldat, ni comme général[24]. De tels hommes, qui étaient les acteurs les plus vivants de l'unité romaine, ne savaient, pour la protéger, ni manier une arme ni courir des dangers. Ils trouveront d'émouvants accents pour célébrer Rome[25] : et s'agit-il de la défendre, ils ont appel à un roi des Francs[26].

C'est à dessein que je prononce ce nom de roi des Francs qui devait, dans un siècle et demi, se substituer en Gaule à celui de l'empereur romain. Car, dès lors, il y a des chefs des Francs dans l'armée des Césars. Ce n'est encore que peu de chose, perdu au milieu d'éléments très divers, et nul ne peut prévoir l'avenir de ce titre. Mais il fallait le signaler ici : les maîtres de l'Empire ont déjà déposé en lui le germe dont il doit mourir.

Revenons encore sur cette armée : car elle demeure la seule force qui peut sauvegarder tout ou partie du monde romain. Ainsi qu'au temps d'Hadrien ou d'Auguste, elle est la grande puissance qui maîtrise la terre. Son orgueil de soldatesque ne lui ôte point de sa valeur brutale. Les Barbares n'ont jamais rien pu contre elle, et, lorsqu'ils ont franchi la frontière, c'est parce que ses troupes se laissaient absorber par leurs guerres civiles. Il a suffi de leur retour, sous Probus, pour délivrer la Gaule occupée par les Germains.

Mais c'est une force qui se manifeste chaque jour plus dangereuse pour ceux qui l'emploient. Le divorce qui, dès le temps d'Auguste, s'est introduit entre la vie civile et la vie militaire, n'a fait que s'accentuer. Du jour où on devient soldat, on cesse, à vrai dire, d'être citoyen, et on est soldat dans le meilleur temps de sa vie, et on le reste à moitié jusqu'à sa mort, et on l'est encore de père en fils : car il y a des avantages ou des devoirs spéciaux pour les retraités et pour leurs familles, et l'on est fils de vétéran[27] comme l'on était autrefois fils d'affranchi. En ces temps où l'Empire romain connut les heures les plus atroces de sa vie, le service militaire, la garde contre l'ennemi, n'était plus un devoir, était à peine un métier, mais l'office propre d'une classe de salariés. Je sais que cette armée a souvent fort bien fait cet office, sous Postume, sous Aurélien, sous Probus, et qu'avec ces chefs de mérite elle a connu de belles journées de victoire, où il sembla que l'âme romaine l'animât tout entière d'un souffle de vertu. Mais de telles journées, de tels sentiments, ne duraient que ce que durait le prestige du chef, c'est d'en haut que venait l'élan, et non pas de la masse. Les mauvaises passions reprenaient les cœurs de ces multitudes plus vite encore que l'enthousiasme. Il leur manquait un idéal commun autre que l'obéissance à la consigne. Aucun des hommes ne savait véritablement ce que c'était d'être un Romain, un membre de la cité, un patriote. Les uns arrivaient comme recrues de l'intérieur de l'Empire : mais ce n'étaient que de misérables paysans, envoyés par leurs maîtres aux armées et qui s'y trouvaient souvent plus libres que sur les champs de labeur[28]. D'autres, enfants de la balle, n'avaient jamais vécu qu'au voisinage de la tente[29]. Beaucoup étaient des Barbares, fugitifs ou aventuriers que Rome enrôlait avec empressement[30]. A tous égards, quelle que fût leur origine, on ne voyait parmi eux que des mercenaires : et il n'y a d'autre loi que l'ordre du chef. Si ce chef ordonne contre Rome, Rome comptera peu dans l'esprit des hommes[31].

 

IV. — RUINE DES CAMPAGNES

Or cet Empire, dont les forces morales s'affaiblissaient chaque jour, où les uns manquaient d'idéal et les autres d'énergie, où personne ne possédait l'intelligence du devoir absolu, cet Empire venait de traverser la plus effroyable période de désastres qu'ait connue le monde antique ; et la Gaule, qui était la plus riche de ses provinces, avait atteint le dernier degré de la misère matérielle[32]. Cette société en désarroi vivait sur un sol en ruine. La Gaule semble par endroits n'être plus qu'un terrain vague, une surface sans maître et sans vie, une terre de cauchemar, stérile, défoncée d'ornières, couverte de débris, où disparaissent les lignes des anciennes cultures et les contours traditionnels des lieux habités.

Regardez d'abord la campagne : car c'est elle qui a fait la richesse et le renom de la Gaule, c'est par la valeur de ses blés, de ses lins, de ses prés et de ses vignes qu'elle a joui de la pleine sécurité et de la joie de vivre[33].

Un siècle plus tard, dans cette Campanie italienne  qui était de par sa nature la terre la plus heureuse du monde entier, et qui n'avait connu ni les guerres civiles ni les invasions, on évaluait à plus de 500.000 arpents les terrains en friche[34]. Combien de millions d'hectares devaient être abandonnés à une jachère forcée dans cette Gaule de Probus qui, depuis trente ans, avait vu se succéder, presque sans répit pour elle, incursions de Barbares, révoltes militaires, guerres civiles et désordres sociaux ; et ces incursions n'avaient eu d'autre but que de ravager et détruire, et ces révoltes n'étaient d'ordinaire que des prétextes à de nouvelles pilleries[35]. Si l'on songe que la population des villes a dû être réduite au moins de moitié[36], celle des campagnes, infiniment plus exposée à l'ennemi et à la misère, a dû souffrir dans des proportions bien plus grandes[37]. Dans les rares moments où la terre se reposait de ses malheurs, le fisc aux abois intervenait pour compléter l'œuvre des bandits[38]. La main-d'œuvre agricole faisait entièrement défaut ; les ouvriers des champs avaient disparu, même des riches plaines de la Bourgogne et de la Picardie, des plateaux limoneux du Hainaut, des bords riants de la Moselle[39], les uns emportés comme esclaves par les Germains[40], les autres errant en vagabonds ou en brigands dans les forêts[41] ou même en dehors des frontières[42], sans parler des cadavres innombrables qui jalonnaient les routes des invasions[43]. La paresse et le découragement succédaient partout à la crise du malheur[44]. Qu'aurait fait effort pour reconstituer les familles rurales ? Les propriétaires eux-mêmes ne répondaient plus à l'appel du sol[45]. Quelques-uns avaient émigré vers des régions plus tranquilles[46], d'autres étaient morts en état de déshérence[47], d'autres avaient vu leurs biens confisqués par quelque usurpateur[48] ; le fisc avait fini par mettre la main sur toutes ces terres vacantes, mais elles n'en étaient que plus abandonnées pour être inscrites sur les rôles interminables des domaines publics[49].

Qu'étaient devenus ces temples, ces thermes, ces théâtres ruraux où, dans les lieux de foire ou de pèlerinage de la Gaule romaine, s'était depuis trois siècles dépensé tant de plaisirs et accumulé tant de richesses ? Ce n'étaient plus, sans nul doute, que pans de murailles à demi calcinées, et ils ne serviront plus qu'à fournir de pierres ou de marbres les villages voisins, le jour où l'on pourra les reconstruire. Champlieu[50], Berthouville[51], Herbord[52], le Vieil-Évreux[53], et cent résidences semblables[54] de dieux et de prêtres, ne sont que des masses de décombres, au milieu desquels se cachent encore, à l'insu de tous, les trésors de l'orfèvrerie ou les corps de statues échappés aux bandits ou aux destructeurs, et par-dessus ces monceaux de débris monte et grandit sans arrêt la végétation propre aux ruines[55].

Sur les coteaux voisins des sources, à l'orée des bois profonds, bien des riches villas s'étaient écroulées, et nul ne songeait à utiliser leurs restes[56]. Peu à peu la forêt se rapprochait d'eux[57], et elle finira, car personne plus ne lui résiste, par recouvrir ces vestiges lamentables et faire disparaître et oublier sous ses frondaisons renouvelées les souvenirs de la richesse et des calamités romaines[58]. Dans les Vosges, bois et fourrés, reprenant leur marche, vont occuper les fermes et les tombes délaissées du pays de Dabo[59], et les ronces menacent de s'enchevêtrer aux statues et aux colonnes des bains de Luxeuil, qui furent jadis si pleins de vie[60].

Sur les terres basses, c'était le marécage qui déclarait à nouveau une guerre sourde aux anciens travaux des hommes[61]. Canaux de drainage, d'écoulement ou d'irrigation ne pouvaient plus être entretenus[62]. Le sol devenait inhabile à lutter contre les infiltrations de l'eau croupissante, et, une fois redevenue maîtresse en un jour d'inondation, elle ne s'en retournait plus[63]. En Flandre, la région des tourbières était reprise par sa misère originelle[64]. Sur les bords des grands estuaires, par exemple de la Gironde, des lambeaux de murailles, épaves d'opulentes demeures, surgissaient du milieu des fanges déposées par le fleuve[65].

Que de conquêtes humaines, acquises depuis plus d'un millénaire, disparurent pour des siècles sous l'ère d'un empereur de Rome ! La Gaule reculait insensiblement, non pas au temps d'avant la domination des Césars, mais à l'époque lointaine et mystérieuse où les dompteurs du sol n'avaient pas commencé leur besogne. La nature prenait partout sa revanche. Çà et là[66] elle avait même rompu ces vieilles routes populaires que les Romains croyaient avoir transformées en chaussées indestructibles. Ici, les chemins s'enfonçaient à nouveau dans le marécage[67] ; ailleurs, je pense, les racines des arbres déchaussaient le sol ; par endroits, c'était crevasses et cassures. Sur ces voies par où s'était faite depuis si longtemps la circulation de toute vie sociale, on ne s'aventurait par moments qu'avec terreur, et les chefs de Rome, en expédiant leurs convois de vivres sur les chaussées militaires, ne savaient point toujours s'ils arriveraient à destination[68].

Même en cette Bourgogne si prompte à espérer et à réparer ses ruines[69], on n'attendait plus le relèvement que d'un nouvel Hercule envoyé par un nouveau Jupiter. Sur les côtes dorées du couchant, les vignes laissaient voir les troncs rabougris et tordus de leurs corps devenus impuissants[70]. Dans le bas, dès la fin du coteau, le marécage coupait de place en place la bonne terre par des traînées d'eau graduellement élargies, le long des ruisseaux qui menaient la Saône[71] : et celle-ci continuait imperturbable lente et monotone descente le long de ses rives désolées.

 

V. — RUINE DES VILLES.

L'aspect des villes était encore plus lugubre car la nature n'y cherchait pas à cacher les ruines ; et dans ces cités où tout était l'œuvre du travail des hommes, rien ne dissimulait les désastres et les hontes que la faute des hommes y avait à son tour accumulés.

Sauf dans quelques villes du Midi, telles que Nîmes, Narbonne, Arles ou Vienne, défendues par leurs murailles coloniales[72], les Germains avaient partout détruit ce qui valait la peine d'être saccagé[73]. A Bordeaux, le temple de la Tutelle, peut-être le plus vaste et le plus riche de la Gaule, aux portes mêmes de la cité, dressait sa colonnade incomplète, ses frises ébréchées et ses statues mutilées au-dessus de sa terrasse désormais solitaire[74]. A Paris, les thermes qui décoraient les dernières pentes de la colline sacrée, ne devaient qu'à l'énormité des voûtes de garder intacte leur plus grande salle, d'ailleurs à tout jamais privée de richesse et de mouvement[75]. Réparer, reconstruire, nul n'y pouvait songer, et l'on n'eut même pas la force ou le courage, l'argent ou le temps pour achever de démolir, enlever les débris et nettoyer le terrain[76]. Ceux qui survivaient aux catastrophes se résignaient à vivre au contact des ruines[77]. Elles servaient seulement à abriter quelques malheureux, ils s'y réfugiaient comme ils auraient fait en d'autres temps dans les cavernes, et les plus grandes villes montraient des réduits et des taudis de misérables, tapis dans les recoins de murailles abandonnées auxquelles on conservait le nom traditionnel de thermes ou d'arènes[78]. Il y avait moins d'un siècle, ces édifices avaient connu la gloire la plus insolente, et ce qui en reste maintenant sert d'asile de nuit aux vagabonds. Des statues de marbre gisaient enfouies sous les déblais entassés dans les bains, les temples ou les théâtres[79]. Les amphithéâtres présentaient les brèches formidables que les maçons d'Aurélien ou de Probus avaient faites à leurs flancs pour en tirer en hâte les matériaux des remparts voisins[80] : il était sûr que le peuple ne s'y réunirait plus pour ses plaisirs coutumiers, et, si proches que fussent les heures des arènes, il fallut leur dire un éternel adieu : c'était tout un monde qui finissait brusquement avec la rupture de ces gradins. Des aqueducs éventrés l'eau s'échappait par mille blessures[81]. Dans les plus grandes rues des plus belles villes, par exemple à Autun, le pavé et les trottoirs disparaissaient sous un amoncellement de décombres, où se mêlaient poteries, monnaies et sculptures, vestiges de la vie d'autrefois crue les survivants foulaient sous leurs pieds[82].

Même les villes qui avaient ignoré les désastres immédiats, ne pouvaient soutenir leur antique fortune, et se sentaient pénétrer par la ruine universelle des choses. Trèves doit à ses remparts de n'avoir point vu entrer les Barbares mais tout est à reconstruire[83] dans cette ville où depuis trente ans on vit sous les menaces ou dans les angoisses d'un siège[84]. Nul ennemi sans doute n'a touché à Narbonne[85] : mais même là faute de ressources ou de main-d'œuvre, remparts, basiliques ou temples tombent de vétusté, et la plus ancienne métropole de la Gaule romaine n'apparaîtra bientôt plus que comme le musée des débris de la paix impériale[86].

Ce n'étaient point seulement les édifices des vivants qui valent péri dans la tourmente, mais les monuments mêmes des morts et cela était le signe le plus grave de l'atrocité des temps et de la fin d'une civilisation, car l'homme d'autrefois tenait plus à sa tombe qu'à sa maison, à ses morts qu'à ses dieux[87]. Tout le passé de la Gaule romaine s'effondrait, jusqu'en ses tombeaux. Ces riches bourgeois, ces nobles sénateurs, ces affranchis orgueilleux qui, dans les années d'Hadrien ou de Septime Sévère, s'étaient réservé l'éternité du sépulcre, qui avaient dressé leurs mausolées et leurs statues sur les routes populeuses pour recevoir des passants de nouveaux saluts, étaient disparus à leur tour du regard et de la mémoire des hommes, leurs châteaux funéraires étaient démolis, leurs images renversées, leurs épitaphes brisées, et les pierres de leurs sépultures, ramassées par les bâtisseurs de murailles, allaient s'enfouir pour des siècles dans les remparts de la forteresse la plus proche[88]. La tombe la plus riche n'était plus qu'une carrière pour les maçons en maraude[89].

Vivants et morts, tombes et temples, souvenirs et foyers, tout manquait a la fois, et la vie humaine s'échappait en mille manières de ces villes où elle avait été si joyeuse et si intense. Ce n'était que demeures écroulées[90], ateliers déserts[91], et le silence  es portes closes[92].  Et ces hommes de l'Empire  main qui avaient cru en la divinité des cités, s'aperçurent avec terreur qu'elles aussi pouvaient mourir[93].

Elles vécurent pourtant, elles retinrent et gardèrent quelques-uns de leurs fils misérables : car après tout c'était à l'abri de ces pierres, même branlantes, qu'on pouvait le mieux attendre l'avenir et espérer un changement de destin. Alors, pour protéger ces existences qui continuaient aux lieux accoutumés, on avait, au beau milieu des ruines, autour de ce qui subsistait des foyers municipaux[94], construit d'énormes remparts, aux murailles épaisses, aux tours innombrables, aux portes rares et basses[95]. A cette existence de danger qui allait être celle des villes, on donnera l'aspect, le cadre et la cuirasse qui lui conviennent. Plus de cités ouvertes, à l'accueil avenant, aux contours capricieux et incertains, aux espoirs d'extension indéfinie : il faut sauver derrière des remparts ce qui reste d'hommes et de choses, dussent habitants et demeures s'y étouffer à l'étroit et s'enfermer sans plus rien voir de l'horizon[96]. On ne durera qu'à la condition de craindre et de veiller toujours. Voilà la Gaule revenue, dans ses villes comme dans ses campagnes, aux temps fabuleux des grandes mis ères, où chaque village était une forteresse, où l'homme vivait en ennemi de l'homme, où Hercule n'avait pas encore vaincu le mai et imposé la paix[97].

 

VI. — DÉPOPULATION[98].

Combien étaient-ils, ces hommes qui vivaient encore sur ces champs en détresse et dans ces villes en émoi ? On ne peut fournir de chiffres, les écrivains de ce temps n'en donnent pas et se bornent à des effets de rhétorique. Pourtant, à travers leurs paroles de tristesse, et aussi à travers les ruines du sol, la vérité se fait jour sans peine, et nous constatons une effroyable déperdition de vies humaines[99], telle que notre pays, Gaule ou France, n'en a jamais connu dans sa longue histoire.

J'ai déjà parlé de la dépopulation des campagnes, ou la mort de la terre entraînait la fuite des hommes[100]. Ce mot de fuite devient constamment chez les chroniqueurs de cette époque : il est en quelque sorte le symbole de l'état des êtres humains. Ils fuient les champs qui sont devenus stériles, ils fuient le Barbare qui s'approche, ils fuient le collecteur d'impôts qui revient après le départ du Barbare. Où vont ces fugitifs, nous ne le savons guère. Beaucoup durent passer en Espagne ou en Italie, sur des terres plus éloignées de la frontière ; beaucoup durent s'arrêter en route pour grossir les bandes de brigands ; et l'armée des Bagaudes, de ces paysans qui feront bientôt tant de mal à la Gaule, n'était à vrai dire que le refuge collectif de tous ces hommes en fuite. Mais, qu'ils aient émigré ou qu'ils aient pris les armes, soyons sûrs qu'ils ne retourneront plus à leurs champs et à leurs villages.

La fuite gagna les habitants des villes. Ce fut une panique générale, où la Gaule entière parut se vider d'hommes. Artisans et bourgeois s'évadaient également de leurs domiciles urbains. Une cité ne trouve plus ni d'ouvriers pour les besognes courantes[101], ni de décurions pour les affaires publiques[102]. Les plus riches eux-mêmes se transforment en vagabonds proscrits par les révolutions ou pourchassés par les meutes des affamés, ils quittent leur pays natal, où ils ne rencontrent plus qu'ennemis, où ils n'ont en face d'eux que les détenteurs ou les pillards de leurs biens confisqués, et ils cherchent au loin de quoi reconstituer un foyer et une fortune[103]. Quand la crise fut passée et que les chefs de Rome revinrent dans ces villes de la Gaule au nom et à l'opulence célèbres, ils furent frappés de stupeur à voir le peu qui en restait[104].  Une génération à peine s'était écoulée entre la veille de la catastrophe et l'heure de la restauration, et le contraste était tel, qu'elles semblaient séparées par un abîme de temps où toute une civilisation se serait engloutie. Les hommes du nouveau siècle parlaient de ces cités en ruine comme nous parlerions de Pestum, misérable village héritier des débris de l'élégance hellénique, comme nous parlerions de Brouage, où quelques foyers s'abritent encore dans la vaste enceinte de Richelieu[105]. L'empereur Julien, en écrivant sur Besançon, rappelle que c'était jadis une très grande ville, dotée de monuments superbes[106] ; et son historien Ammien Marcellin ne s'exprime pas autrement au sujet d'Autun[107] et d'Avenches[108], jadis les capitales prospères des Éduens de Bourgogne ou des Helvètes de Suisse[109]. On disait jadis, quondam, pour une époque qui était à peine antérieure d'un siècle, que rien, dans les mœurs et les lois, ne séparait de l'époque contemporaine[110].

Là où il en restait, les habitants des villes de Gaule se repliaient, se ramassaient au centre originel, à l'humble berceau de la famille municipale, comme pour y tenter une dernière résistance. Lyon avait renoncé à ses splendeurs du Confluent afin de s'abriter misérablement dans les plus vieilles rues de Fourvières[111]. Autun se tassera bientôt sur le recoin le plus élevé de l'enceinte qui encadre ses coteaux[112]. Paris, ainsi qu'aux temps gaulois, ne veut plus sortir de son île et des remparts qui suivent les berges du fleuve[113]. Bordeaux s'est groupé de nouveau autour de l'estey de la Devèse qui avait vu sa naissance[114]. Il y a beau temps que Fréjus, malgré son titre de cité, est redevenu un simple marché rural, abandonnant aux boues et aux sables son port et le chenal de la mer[115].

La surface bâtie et peuplée de ces villes s'est donc réduite dans des proportions considérables. Dans Autun, les nouvelles murailles n'embrasseront plus que la vingtième partie de l'étendue fixée par l'enceinte d'Auguste. C'est, il est vrai, la ville qui a peut-être le plus souffert : mais dans les autres, il faut toujours supposer, si loin qu'on soit de la frontière, une réduction au moins à la moitié, souvent au tiers ou au quart, et parfois à bien davantage. A Nîmes, qui semble avoir été à l'abri de toute destruction, il n'y a peut-être plus que trente hectares d'habités au lieu des deux cents de l'origine[116]. Trèves seule, parce qu'elle est devenue la capitale de la Gaule, conservera les quatre milles de sa vaste enceinte[117]. Mais au-dessous d'elle, Metz, Reims, Sens, Poitiers, Bourges ou Bordeaux dépassent seules, et d'assez peu, deux mille mètres de pourtour[118] ; et nous tombons à mille mètres pour Saintes et Périgueux[119], qui furent autrefois des métropoles brillantes et animées.

Sans aucun doute, dans ces villes réduites, l'espace était plus ménagé, les habitations plus serrées, les places et monuments de dimensions plus restreintes qu'au temps d'Auguste ou d'Hadrien[120]. Il n'empêche que cette extraordinaire diminution des surfaces urbaines suppose un très fort abaissement de la population. Trèves toujours mise à part, aucune de ces cités n'a dû renfermer plus de quinze ou vingt mille habitants, et il faut descendre beaucoup plus bas pour la plupart d'entre elles, fussent-elles chefs-lieux de territoires municipaux, sièges de curies et résidences de magistrats. Toutes, vraiment, abritent moins d'êtres humains qu'elles n'en ont vu jadis sur les seuls gradins de leurs amphithéâtres. Des trente ou quarante millions d'hommes que la Gaule avait renfermés dans les belles années de l'Empire, plus de la moitié manquaient à l'appel, et dix siècles ne suffiront pas à les lui rendre.

 

VII. — MISÈRES DE TOUTE SORTE.

La natalité devait être extrêmement réduite. L'exemple venait d'en haut. Aucun des empereurs de la Restauration, ni Claude, ni Aurélien, ni Probus, ne laissa de descendant. C'est l'époque des princes aux maisons vides, la domus divina n'est plus qu'une formule. Même au temps d'Auguste, la Gaule avait admiré la magnifique lignée d'un Germanicus : maintenant, les chefs eux-mêmes, absorbés par les devoirs ou par les craintes, n'ont pas le loisir de créer une famille. On ne fonde pas un foyer en vivant sous la tente. Mais dans les villes en lambeaux, sur les champs en friche, dans les forêts peuplées de fugitifs, il y avait encore moins de place pour la vie domestique et l'avenir d'un foyer.

Il fallait d'abord vivre soi-même. Là chaque jour renouvelé. Aux périls venus des hommes s'ajoutaient souvent la reste et la famine[121]. Faute de sécurité sur les routes, les denrées circulaient mal. Je suppose que les lieux de foire demeurèrent longtemps impraticables. Les spéculateurs se donnaient libre carrière[122]. Tous les produits, ceux du sol comme ceux de l'industrie, atteignirent des prix excessifs[123] ; ce coût de la vie s'accrut à la rendre impossible. On ne subsistait qu'à la condition d'être très riche ou de voler[124]. Les jours où les marchés s'ouvraient, c'était batailles entre acheteurs pressés par le besoin et vendeurs poussant à la surenchère.

Pour remédier à la vie difficile, on avait eu recours à ce que nous appelons l'inflation monétaire, c'est-à-dire à la frappe immodérée de monnaies à demi fictives. L'or et l'argent, qui seuls pouvaient donner des pièces à valeur fixe et franche, manquaient chaque jour davantage dans cette Gaule qui ne savait plus exploiter ses mines et où le commerce n'apportait plus de métaux précieux[125]. Alors, les empereurs gallo-romains et surtout Tetricus, lancèrent sans arrêt d'innombrables pièces de bronze, de tout module, et, pour aller plus vite, on en frappa même en dehors des ateliers impériaux[126]. Pièces de poids irrégulier et d'alliage anormal, à hi gravure médiocre et aux légendes incorrectes, fabriquées à l'aventure par des monnayeurs improvisés, elles ne valaient pas plus que ne valent nos papiers ou nos jetons monétaires ; elles durent se déprécier aussitôt qu'émises, et, loin d'arrêter la cherté des choses, ne faire que l'accroître.

Les faits économiques déroutaient les réflexions des chefs ou trahissaient leurs décisions. On songea un instant, afin d'enrayer la crise, à fixer le prix des marchandises, à établir le maximum que le vendeur ne devait point dépasser[127]. L'autorité impériale se crut capable de régler la loi de l'offre et de la demande. Mais elle échoua piteusement, et ses tarifs ne réussirent qu'à amener de plus sanglantes querelles dans les boutiques ou devant les bancs des marchés[128].

Je crois à des manœuvres, à des faits de spéculation formidables[129], à des opulences subites d'aventuriers, à l'avènement de nouveaux riches, à la disparition de vieilles fortunes, tous ces bouleversements d'argent et de condition qu'entraînent les grands malheurs politiques. Seulement, spéculation et richesse se faisaient, non sur l'argent, comme de nos jours, mais sur la terre et sur les hommes. D'immenses domaines se formaient au travers des villas abandonnées ; un agioteur tant soit peu hardi pouvait en quelques mois acquérir en droit ou en fait des milliers d'hectares, et, comme sa puissance et son audace assuraient après tout une certaine sécurité et les moyens de vivre à ceux qui dépendaient de lui, il arrivait à se constituer d'énormes troupeaux d'esclaves avec les fugitifs qui se mettaient à son service. Cela ressemblait terriblement à un chef de brigands et à sa bande. Mais dès l'instant qu'il avait la terre et qu'il la gardait, son autorité en recevait une sanction égale qui absolvait tout. L'un de ces seigneurs de fraîche date et de fortune suspecte, Proculus d'Alhenga en Ligurie, s'était cru un jour assez fort pour se proclamer empereur à la tête des deux mille esclaves qu'il avait armés : jusque-là il s'était borné à détrousser ses voisins[130].

Au surplus, ces monteurs de coups, ces artisans de grosses fortunes, n'avaient qu'à regarder au sommet de l'Empire pour se croire justifiés. Qu'était ce Dioclétien qu'on venait à appeler au pouvoir, sinon un soldat sorti du rang, qu'on savait avoir pris pension dans un cabaret de la frontière[131] ? Qu'était ce Carausius qui va devenir l'amiral suprême des flottes de la Gaule océanique, sinon un simple matelot de Flandre, peut-être même pas citoyen romain[132] ? Tout était permis et tout était possible dans ce déchirement général des disciplines sociales.

Les intelligences elles-mêmes semblaient aller à la dérive. Ces générations du troisième siècle sont, de tous les temps antiques et peut-être de tous les temps, celles qui ont su le moins créer de choses nouvelles. Les lettres classiques restaient dans un silence presque absolu[133] ; les lettres chrétiennes venaient peine de trouver leur voie[134]. Des murs délabrés indiquaient l'endroit où, à Autun, s'était élevée la plus célèbre des écoles de la Gaule[135]. A part les forteresses municipales[136], on ne bâtissait rien. On ne savait même pas conserver les choses d'autrefois, on n'avait ni le courage qui les sauve, ni l'intelligence qui les comprend. Les débris des monuments antiques, même des plus riches ou des plus vénérés, ne servaient plus que de matériaux pour les soubassements des nouveaux remparts ; et l'on ne s'inquiétait guère, avant d'en faire de la maçonnerie, si ce n'était pas détruire des œuvres superbes ou des ouvrages sacrés. Des statues de haute valeur, des bas-reliefs d'un art consommé, des tombeaux pleins d'images, et, aussi, des inscriptions qui commémoraient les gloires d'autrefois et les bienfaits des ancêtres, tout cela, pêle-mêle, sans nul souci de la beauté des pierres, des efforts des artistes ou de la grandeur de souvenirs, fut entassé en monceaux compacts pour former les assises inférieures des enceintes municipales[137]. Respecter, admirer, jouir dans le présent et se rappeler le passé, étaient alors des plaisirs superflus. Je répète qu'il fallait d'abord vivre ; et ces émouvants ouvrages des siècles disparus, qui avaient fait l'orgueil et la sainteté des villes, ne seront plus désormais que des pierres invisibles et muettes, mornes et mortes, mais utiles à la sauvegarde des survivants. Et à qui chercherait le trait symbolique qui dessine une époque, ces murs laids et formidables du Bas Empire, reposant sur les autels et les sculptures enfouis des âges antérieurs, permettent de caractériser les temps nouveaux, où l'on ne songe aux aïeux que pour trouver en leur héritage un moyen de subsister et de se défendre. La Gaule romaine n'arrivait à vivre qu'en exploitant les dernières traces de son passé.

 

VIII — DU MAINTIEN DES TRADITIONS PUBLIQUES.

Après tout, elle avait raison, et le passé de l'Empire lui fournissait une protection excellente : l'armature séculaire du monde romain suffisait à mettre debout ces amas de décombres.

Car, au milieu de ces désastres et de ces bouleversements de tout genre, les formes et les principes traditionnels de l'Empire ne subissaient aucune atteinte, les déchirements intérieurs n'empêchaient pas les cadres publics de tenir avec une inébranlable solidité. Rien n'indiquait que la terre se préparât à de nouveaux régimes politiques, administratifs ou sociaux. Dans ce qui se passait alors, il fallait voir les secousses matérielles et morales d'un temps effroyable, mais nullement les prodromes d'une révolution.

Il est possible que les vagabonds des campagnes aient fait aux villas des riches une guerre de pillage : mais je ne vois pas qu'ils aient esquissé le moindre projet de transformation sociale[138]. Les Chrétiens pouvaient rêver de la cité de Dieu : ils respectaient ou dédaignaient les conditions de la cité des hommes[139]. Aucune tentative ne fut faite pour déposséder l'aristocratie terrienne de sa prééminence et les sénateurs clarissimes de leurs privilèges. Les fils des aventuriers qui avaient fait fortune, briguaient et obtenaient ce titre de sénateur qui effaçait leur tare originelle[140]. Les nobles tombés dans la misère conservaient orgueilleusement les arbres généalogiques qui étalaient la splendeur de leur ascendance[141]. Esclaves, affranchis, fils d'affranchis, ingénus, décurions de municipes, chevaliers d'Empire, sénateurs de Rome, la gradation de classes établie par l'ancienne République se maintenait sous les préjugés unanimes[142]. Rien n'était changé aux habitudes du patronage, de la clientèle, de l'amitié, de l'hospitalité, qui plaçaient à la suite des plus riches la longue chaîne de leurs obligés et de leurs fidèles[143] ; les malheurs du temps rendaient ces pratiques plus intenses, plus obsédantes : mais c'était un héritage agrandi des mœurs d'autrefois, et non pas l'ébauche d'un système social nouveau.

La forme impériale de l'État était mise hors de discussion, et bien des Chrétiens l'acceptaient et se faisaient gloire de prier Dieu pour le prince et pour l'Empire[144]. Auguste, quel qu'il fût, demeurait à la tète du monde. Ses titres civils, militaires et religieux étaient copiés sur le formulaire de l'origine. Il était assisté d'un sénat, et ce sénat résidait à Rome, foyer de l'Empire et nom de la patrie[145]. Deux consuls marquaient la date des années romaines, comme depuis huit siècles que le peuple avait proscrit ses rois[146]. Nul ne se préoccupait plus de ce titre de roi[147], qu'on laissait aux dynastes de l'étranger ou à quelques chefs barbares au service de Rome[148], et il valait en réalité beaucoup moins que celui de légat ou de sénateur.

Le cadre administratif subsistait dans sa complexité savante. A Rome[149] sont les directions centrales de la justice[150], des finances[151], des domaines impériaux[152], des secrétariats d'Empire[153] et de l'armée[154]. En Gaule, les provinces constituent toujours les ressorts de gouvernement[155], et les services de l'État y sont représentés par un ou plusieurs directeurs, assistés d'un nombreux personnel, strictement classé[156]. A l'intérieur des provinces, au-dessous des offices impériaux, c'est le territoire municipal avec son sénat, sa capitale, ses magistrats et ses employés[157]. Enfin, à travers ce monde de fonctionnaires se déplacent et circulent des inspecteurs, des agents, une police de tout genre[158]. Dans chacun de ces innombrables bureaux, c'est une accumulation de dossiers et de documents[159], et de l'un à l'autre c'est un incessant va-et-vient de pièces ou de courriers, s'échangeant de Rome aux extrémités de la Gaule. La bureaucratie étend sur tout le pays le réseau de ses services et le poids de sa paperasserie[160]. Elle semble la vraie maîtresse de l'Empire, plus immuable et plus solide que lui-même. Les Barbares ont pu traverser la Gaule, des mailles du filet ont pu éclater, des archives brûler : mais, la tourmente passée, le réseau s'est réparé, les documents ont été reconstitués, et, même au-dessus de ruines, les bureaux impériaux se sont retrouvés prêts à fonctionner[161].

Rappelons une dernière fois, parmi ces organes publics, celui qu'était l'armée. Là encore, aussi bien dans la discipline que dans l'organisation, la tradition impériale a conservé sa force. Il n'importe que le nombre des Barbares s'y soit accru d'année en année[162] : les formes essentielles, la légion, le corps auxiliaire, l'aile ou la cohorte, le préfet ou le tribun, le serment, les enseignes, et jusqu'à l'esprit de tente, tout y vient du passé, et, sinon de la République, du moins de l'Empire ou des guerres civiles qui l'ont créé[163], et Jules César n'aurait point été trop dépaysé dans une armée de Probus : il aurait seulement trouvé des Francs là où il avait placé des Ubiens ou des Sicambres.

C'est cette ténacité dans les formes, cette puissance dans la tradition qui explique pourquoi l'Empire va durer au milieu de tant de ruines, et s'y constituer des forces nouvelles. Ne médisons pas trop de la bureaucratie, du fonctionnarisme, du formalisme romains. Au moins, grâce à cela, il y avait toujours des organes, des habitudes, un mécanisme de gouvernement. Les guerres civiles, les invasions, même les brusques changements d'empereurs, n'étaient que les incidents d'un jour ; et au lendemain de la crise, le mécanisme reprenait sa marche toujours pareille, et le monde, même ruiné, se remettait en branle depuis l'appariteur municipal jusqu'à Auguste, tête de l'univers. Assurément, cette lourde administration avait souvent réduit l'Empire à vivre d'une vie lente, monotone, à demi végétative. Mais c'était elle qui, aux jours de désordre, rétablissait le rythme régulier de cette vie, et la préservait des suprêmes détresses.

 

IX. — LES DANGERS DU DEHORS.

Mais si le maintien obstiné des traditions permettait la prompte reprise de la vie intérieure dans le corps politique de l'Empire romain, ce n'était qu'un piètre remède contre les dangers qui le menaçaient du dehors, Germains et autres Barbares, bandits et ennemis de toute sorte.

Ces dangers croissaient d'instant en instant. Probus avait bien délivré la Gaule dans un élan superbe : mais il n'avait pu préparer une longue sécurité à la frontière du Rhin, et les Barbares étaient revenus sur la rive gauloise presque aussitôt après sa mort[164]. Avec de telles gens, aucun lendemain n'était assuré. Du côté du bas Danube ou de l'Euphrate, on pouvait à la rigueur espérer la suite de quelques années tranquilles l'Empire perse était parfaitement organisé en Asie, et l'on se sentait en mesure de traiter avec lui en demi-confiance ou de le combattre à armes égales[165] ; près de la mer Noire, l'Empire des Goths essayait de se constituer avec une allure régulière, et il y avait lieu de croire que ses chefs, énergiques et intelligents, réussiraient dans cette tâche, et qu'ils sauraient négocier utilement avec Rome au lieu de la tracasser par de sottes aventures[166]. Mais en Occident, depuis les plaines de Hongrie jusqu'aux embouchures du Rhin, le monde germanique n'offrait plus la moindre prise ni à une guerre suivie, ni à des ententes sérieuses[167]. Tout ainsi que la Gaule sa voisine, la Germanie était tombée en ruine. Quelques essais d'accord politique, de confédération stable, avaient misérablement échoué. La ligue des Francs, qui s'était étendue autrefois des montagnes de la Franconie[168] jusqu'aux rivages de la Frise, s'était disloquée en groupes disparates, qui vivent maintenant chacun à sa guise, ne retenant de leur union primitive que le nom glorieux de Franc. Ce n'était pas un ensemble plus parfait que celui des Alamans, dont les terres bordaient les rives supérieures du Rhin et du Danube, et l'on soupçonne chez eux et dans la Germanie tout entière des haines et des querelles de peuple à peuple, de tribu à tribu, un état permanent de guerre civile ou sociale, et encore plus d'éléments de désordre et de brigandage que dans la Gaule d'à côté[169]. L'Allemagne était une multitude toujours en furie, et qui, à défaut d'un ennemi, se déchirait elle-même.

Ne disons pas que l'anarchie germanique diminuait les périls de cette Gaule. Cela eût été vrai, si cette anarchie ne s'était dépensée qu'au dedans, si les Germains, sans sortir de leurs terres, s'étaient laissé absorber et dévorer par leurs disputes intestines, comme l'avaient espéré les politiques romains à courte vue. Mais le désordre barbare est de nature expansive et contagieuse. Toute guerre civile, en Allemagne, avait pour conséquence le passage de la frontière par des troupes de fugitifs, qui, une fois sur le sol romain, se transformaient aussitôt en bandes de brigands et donnaient le plus souvent la main aux vagabonds de Gaule. Les malfaiteurs des deux rives s'entraidaient et exécutaient leurs coups ensemble[170]. En temps ordinaire, les chefs des tribus germaniques se débarrassaient des plus turbulents de leurs hommes en les emmenant sur les bords du Rhin pour tâter le passage et voir s'il n'y avait rien à faire[171]. Si la chose s'annonçait bien, la nouvelle était vite propagée de tribu en tribu, et les dispositions prises pour organiser les hordes de pillage[172]. Tantôt, glissant[173] à travers les barrières que formaient les armées et les forteresses romaines, s'aventuraient quelques troupes médiocres, qui n'allaient pas très loin, seulement l'espace d'une razzia fructueuse : comme serait, à travers une digue aux assises mal jointes, l'infiltration de quelques filets d'eau. Tantôt la digue se rompait jusqu'en ses fondements, par exemple au temps de Valérien ou de Probus : et c'était alors l'invasion qui se déferlait en flots continus.

Mais dans l'un ou l'autre cas, ce n'était qu'affaire de banditisme[174]. De tout ce que nous avons vu sur ce côté de la frontière depuis Jules César, rien ne ressemble à une guerre en justes armes[175] ; et pas davantage les Francs ou les Alamans n'ont songé à faire la conquête en règle d'une province romaine. Les pensées de gloire ou de vaste ambition que nous avons un instant soupçonnées chez eux ne se sont point réalisées[176] ; elles n'ont pu tenir contre l'incorrigible tendance de ces Germains à se diviser et à se quereller. Ils n'ont jusqu'ici entrepris ou réussi que des opérations de brigandage : il est vrai qu'elles furent de plus en plus terribles, puisque la dernière, au temps de Probus, avait suffi pour bouleverser à jamais la civilisation latine.

 

X. — LES REMÈDES POSSIBLES.

A de tels dangers il n'y avait qu'un seul remède efficace, celui qu'avait si bien compris l'empereur Hadrien : construire, le long du Rhin, en hommes et en murailles, une barrière qui ne pourrait jamais se rompre.

Négocier avec ces Barbares, tenter de les organiser ? J'ai déjà dit que c'était impossible. Ils se refusaient d'eux-mêmes à toute discipline politique, et ils étaient morcelés en un trop grand nombre de tribus pour qu'on pût se les concilier toutes[177]. On savait d'ailleurs qu'à la première occasion ils oublieraient contrats et traités[178].

Employer la force agressive, conquérir la Germanie ? C'était dans la logique de l'Empire romain[179], et ce fut la pensée de quelques-uns de ses chefs, les plus doués d'intelligence ou d'audace. Drusus y avait sérieusement songé, peut-être souvenir de Jules César. Marc-Aurèle et Probus en ont fait le rêve, et il semble que Maximin l'ait essayé. Mais les angoisses d'Auguste et le pacifisme craintif du sénat laissèrent sans lendemain l'œuvre de Drusus et les victoires de Maximin. Maintenant, l'Empire a trop de ruines à réparer en Occident pour songer à de nouvelles conquêtes.

Il ne restait donc qu'à obéir à la loi de nature, d'ailleurs sanctionnée par trois siècles d'expérience militaire[180] : une muraille indestructible le long du Rhin, et, comme fossé, le Rhin infranchissable. J'entends par ce mot de muraille, non pas la ligne ininterrompue d'un rempart, pareille à celles qu'Hadrien avait tracées en Souabe ou au nord de la Bretagne, mais une suite de forteresses et de garnisons assez rapprochées pour que nul ennemi ne pût passer, une couverture de bastilles et de corps d'armée telle, que la Gaule se sentit à l'abri, comme le serait un peuple de fidèles sous les voûtes d'une cathédrale. Et j'entends aussi par ce mot de muraille, non pas seulement celle que présenterait l'armée du Rhin, mais aussi celle que formeraient, en avant du Détroit, le long de la mer du Nord, les vaisseaux de la flotte de Boulogne, fermant les côtes de la saxons, devenus aussi dangereux, aussi tenaces que leurs congénères des terres rhénanes[181].

Derrière ces armées et ces remparts, les forteresses de l'intérieur, depuis Metz jusqu'à Bayonne[182], pourraient servir de refuges ou de points d'appui en cas de malheur imprévu mais il n'y avait pas à en tenir compte dans la stratégie de la défense. Il fallait qu'on se protégea sur le Rhin comme si on ne pouvait se protéger que là. Là devaient être le gros de l'armée et l'état-major des chefs.

Peu importait que cette armée renfermât des éléments barbares, même de ces Francs dont les pères avaient pillé les terres romaines, si on savait leur imposer le prestige de l'Empire et faire d'un roi franc un sujet romain et un soldat de Gaule[183]. L'armée de la frontière deviendrait ainsi un séminaire de citoyens ; c'est elle qui serait l'organe actif et puissant où se referaient les énergies de la patrie latine et des terres gauloises.

Peu importait qu'on laissât le titre de métropole, les avantages civils et les sanctuaires souverains à de grandes villes de l'intérieur, Lyon, Narbonne, Arles ou Vienne : la vraie capitale de la Gaule devait être la ville d'où l'on surveillait le mieux la frontière, et Trèves était prédestinée à ce rôle.

Peu importait encore que le Rhin ne fût qu'un secteur de l'immense frontière romaine, que la Gaule ne fût qu'une des régions de l'Empire, et que l'Empire seul fût l'État suprême et l'intérêt souverain. Il fallait que l'armée du Rhin ne songeât qu'à la Gaule, et que la Gaule ne songeât qu'à sa frontière ; il fallait qu'entre elle et cette armée le lien fût indissoluble, qu'elle suffit à former et à entretenir cette armée et que celle-ci suffit à la défendre. En aucun cas, les Césars ne devraient toucher aux troupes qui montaient la garde du côté de Germanie, et même pas pour secourir d'autres provinces surtout point pour alimenter des guerres civiles[184]. Le salut de la Gaule était dans un égoïsme de frontière : mais en se sauvant ainsi elle sauverait pour sa part l'Empire romain[185].

Peu importait enfin si ce rôle exceptionnel donné à la Gaule développait en elle le sentiment de la personnalité politique, le besoin de l'autonomie administrative, si les empereurs devaient finir par renoncer à l'excès de leur pouvoir centralisateur et à la tyrannie de leurs bureaux. A vivre d'une vie plus libre et plus forte, la Gaule ne ferait que consolider dans le monde la résistance à la barbarie et l'œuvre de la culture latine[186].

On l'avait vu durant les années qui avaient précédé la grande catastrophe[187]. La Gaule avait eu des empereurs qui d'abord ne gouvernèrent que pour elle et par elle. De Trèves, de Mayence ou de Cologne, où ils résidaient, ils surveillaient la frontière et son armée, et les Barbares ne passaient point. S'ils enrôlaient dans leurs troupes des Francs et d'autres hommes des bas pays[188], ces troupes n'en perdaient ni de leur fidélité ni de leur vaillance. Le Détroit était aussi inviolable que le fleuve[189], et, derrière la Gaule en sécurité, l'Espagne et la Bretagne jouir en à nouveau de la paix romaine en reconnaissant la loi de l'empereur du Rhin. Ce passé, encore très proche, fournissait aux nouveaux chefs de l'Empire la leçon décisive.

 

 

 



[1] La bibliographie du Bas Empire suffirait à remplir un volume : je ne peux donc indiquer que des ouvrages généraux, quelques travaux essentiels sur des questions importantes, et, en outre, les articles dont je me suis inspiré ou ceux que j'ai cru utile de combattre. — Comme livres d'ensemble sur le IVe siècle, le principal, en ce qui concerne les faits et les dates, demeure l'Histoire des empereurs de Lenain de Tillemont (IV et V, 1697 et 1701), à laquelle il faut joindre, pour les événements de la vie religieuse, ses Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique des six premiers siècles (IV et s., 1696 et s.), tous deux admirables de science et de sagesse. En outre, Seeck, Geschichte des Untergangs der antiken Wel (I, 2e éd., 1897, 3e éd , 1910 ; II, 1901, 2e éd , 1921 ; III-V, 1909-1913 ; VI, 1920-21), à la fois intelligent et arbitraire ; Gibbon, The History of the decline and fall of the Roman Empire [publié de 1776 à 1783J, éd. Bury, 1897-1900 (voir I-III) ; Beugnot, Hist. de la destruction du paganisme en Occident, 1835, 1 ; de Broglie, L'Église et l'Empire romain au IVe siècle, 1856-66, 6 v. ; Duruy, Hist. des Romains, éd. in-8, VII, 1883. Schiller, Geschichte der Rœmischen Kaiserzeit, II, 1887 ; Schultze, Geschichte des Untergangs des Griechisch-Rœmischen Heidentums, 2 y., 1887-92 ; Boissier, La Fin du paganisme, 1891, 2 v. ; Duchesne, Hist. ancienne de l'Église, II, 3e éd., 1906 ; III, 1910.

[2] T. IV, ch. XIV, en particulier § 9 ; ch. XV, en particulier § 8 ; ch. I, en particulier § 3-5.

[3] Decennalia ; cf. t. IV, ch. XVI.

[4] D'après Julien, Convunium, p. 314, Sp. = p. 403, Hertlein. Je dois rappeler que les autres écrivains ont donné une note bien moins sévère. — Cf. Postume, Lelianus.

[5] Omnibus fere membris truncata erat respublica, etc. ; Panegyrici, V, 10 [je cite la numérotation classique, qui suit l'ordre chronologique ; VIII, dans la nouvelle édit. G. Bœhrens, 1911, qui suit l'ordre des manuscrits]. — Je vais citer de préférence des textes des Panégyristes, parce que, composes par des Gaulois ou prononcés en Gaule, écrits entre 289 et 313 (je parle des Panégyriques II-IX des éditions courantes), ils offrent un ensemble complet de renseignements sur l'état matériel et moral du pays au lendemain de la Restauration. Sur leur caractère littéraire et leurs auteurs, voyez t. VIII, ch. V, § 9.

[6] T. IV, ch. XV.

[7] Voyez Panégyrique, II, 1, 13, 14 ; etc.

[8] T. IV, ch. XV, en particulier § 3.

[9] Romana lux ; c'est une expression courante ; Pan., V, 10 ; IV, 18 ; XII, 3 ; Cf. t. VIII, ch. VII, § 1.

[10] C'est la civitas sancta de Lactance, Div. inst., VII, 24, 6, Brandt. Cf. t. VIII, ch. VI, § I. — Voyez surtout, sur toutes ces questions, Guignebert, Tertullien, étude sur ses sentiments à l'égard de l'Empire et de la société civile, 1901.

[11] Tertullien, De corona, 11, Patr. Lat., II, c. 91 et s. ; Lactance, Divinæ institutiones, VI, 20, 16, Brandt (neque militare justo licebit).

[12] Tertullien, De idololatria, 17, Patr. Lat., I, c. 686-7.

[13] Lactance, Divinæ institutiones, I, 20-22.

[14] Tertullien, De spectaculis, 16-17, P. L., I, c. 648-9 ; Lactance, Div. inst., VI, 20, etc.

[15] Commodien, Carmen apologeticum, éd. Dombart, en particulier 921 et s. Écrit sans aucun doute entre Decius et Valérien.

[16] Lactance, Div. inst., VII, 25, 7, Brandt ; cf. Die Oracula Sibyllina de Geffcken, II, 364 ; VIII, 165.

[17] Mercure fut, du moins en Gaule, plus résistant ; Sulpice Sévère, V. Mart., 22, 1 ; Dial., II, 13, 6.

[18] Cf. Graillot, p. 157-8, 207-8.

[19] Julien, Or., IV (discours au Roi-Soleil), p. 152, Sp. = p. 198, II. ; etc.

[20] Julien, Or., V (discours à la Mère des Dieux), p. 180, Sp. = p. 232, II. ; etc.

[21] Voyez entre autres textes les deux discours de Julien (Or. IV et V).

[22] Nous y reviendrons, t. VIII, ch. III, § 3.

[23] Synesius dira plus tard (Lettres, 34, Patr. Gr., LXVI, c. 1361) : Ούκ είς οίκουρήσουσιν οί τά κοινά σωζειν δυνάμενοι.

[24] Le point de départ légal de cette incapacité militaire des sénateurs est l'édit de Gallien : senatum militia vetuit et adire exercitum (Aur. Victor, De Cæs., 33, 34).

[25] Cf. t. VIII, ch. VII, § 1 et 2.

[26] Je dis roi, en supposant que les chefs des Francs auxiliaires aient dès lors porté ce titre (cf. Ammien Marcellin, XXXI, 10, 6). En tout cas, il y a, depuis Postume, des Francs dans l'armée, et il existe dès lors des reges Francorum alliés de Rome (Paneg., III, 5 ; VII, 10, reges Franciæ).

[27] Code Théodosien, VII, 22. Je renvoie à l'édition Mommsen et Paul M. Meyer, 1903, mais en recommandant de recourir toujours également à l'édition Hænel (1840) et au texte et à l'admirable commentaire de Jacques Godefroy (paru en 1665 à Lyon [Godefroy est mort en 1652] ; édit. courante, par Ritter, 1736-1743), le seul ouvrage qu'on puisse comparer à ceux de Tillemont.

[28] Cf. Végèce. I, 3. Ici, t. VIII, ch. II, § 2 et 3.

[29] Stirpe castrensi progeniti ; Code Théod., VII, 22, 7.

[30] Cf. t. VIII, ch. II, § 4.

[31] Voyez le texte si précieux d'Aurelius Victor, De Cæs., 37, 6-7 (écrit vers 360) : Amissa Gallieni edicto refici militia potuit concedentibus modeste legionibus Tacito regnante, neque Florianus temere invasisset, aut judicio manipularium cuiquam, bono licet, imperium daretur [il s'agit de Probus plutôt que de Dioclétien], amplissimo ac tanto ordinem castris degente [si les sénateurs avaient consenti à servir]. Verum dum oblectantur otio simulque divitus pavent, quarum usum affluentumque æternitate [de Rome et de l'Empire] majus putant, munivere militaribus et pœne barbaris [ceci a été écrit avant l'incorporation des Goths] viam in se ac posteros dominandi. Le passage a d'autant plus d'importance qu'Aurelius Victor fut un grand personnage, estimé de Julien, et qui devint plus tard préfet de la Ville (Ammien, XXI, 10, 6). — On trouve une impression semblable chez Lactance (De m. p., 38) à propos de ces Barbares établis dans l'Empire par Galère (qui a Gothis terris suis pulsa Maximiano se tradiderunt), et destinés à devenir chefs dans l'armée romaine, ut illi, barbaram servitutem fugientes, in Romanos dominarentur. — Sur les pronostics de chute proférés plus tard, cf. t. VIII, ch. VII, en particulier, § 3.

[32] Galliæ priorum temporam injuriis efferatæ ; Paneg., VI, 8 (écrit en 307). De même, II, 4 ; III, 15 ; IV, 18 ; V, 10. Cf. t. IV, ch. XIV, en particulier § 9, ch. XV, en particulier § 8, ch. XVI, en particulier § 3 et 4.

[33] T. I, ch. III, § 3 ; t. II, ch. VIII, § 2 et 4 ; t. V, ch. V, § 3 et 4.

[34] Code Théod., XI, 28, 2 (loi de 395).

[35] T. IV, ch. XIV, § 9 ; ch. XV, § 8 ; ch. XVI, § 3 et 4.

[36] Et sans doute d'infiniment plus.

[37] On a remarqué que dans toutes les parties basses de la Belgique et dans es Pays-Bas, il ne reste plus aucune trace de civilisation romaine dès la fin du IIIe siècle ; J. H. Holwerda, De Franken in Nederland, p. 5, dans les Oudheldkundige Mededeelingen du Musée de Leyde, 1924. La contrée a dû être à peu près complètement abandonnée, fait qu'on ne retrouvera plus dans son histoire.

[38] Paneg., VIII, 5 et 14 ; Lactance, De mortibus persecutorum, 7 [je ne doute plus de l'attribution à Lactance ; cf. R. Pichon, Lactance, 1901, p. 337 et s. ; Monceaux, Hist. litt. de l'Afrique chrétienne, III, 1905, p. 340 et s. ; Harnack, Die Chronologie der altchristl. Litteratur, II, 1904, p. 421 et s. ; de Labriolle, Hist. de la litt. latine chrét., 1920 (2e éd., 1924), p. 252-3, 288 et s.] ; Zosime, II, 38, 8 (dans les villes).

[39] Paneg., V, 21 ; cf. VIII, 6.

[40] Cela va de soi ; cf. H. Aug., Probus, 13, 6 ; 14, 6 ; Zosime, III, 4, 8 et s. [je cite la numérotation de l'édit. Reitemeier, 1784]. Remarquez la loi de 314 (Code Just., VII, 22, 3), relative aux hommes libres réduits en esclavage depuis soixante ans, c'est-à-dire depuis 254, ce qui nous ramène à la première des grandes invasions.

[41] Latitare per saltus ; Paneg., VIII, 14 (ici même il s'agit de propriétaires).

[42] Zozime, II, 38, 8, Reitemeier [4, Mendelssohn] (habitants des villes).

[43] Supposé d'après la vraisemblance.

[44] Segnitia hominum ; Paneg., VIII, 6.

[45] Piget laborare ; Paneg., VIII, 6.

[46] In exsiltum ire compulerat... inopia ; Paneg., VIII, 14.

[47] Supposé d'après l'ensemble des faits.

[48] Ausone, Parentalia, 6, 7-9.

[49] Cf. la loi de 395. L'extrême richesse foncière du fisc sous les derniers empereurs et les rois mérovingiens doit en grande partie remonter a cette époque ; cf. t. VIII, ch. I, § II.

[50] Je ne vois là aucune trace d'occupation postérieure au IIIe siècle.

[51] De La Croix et Babelon sont arrivés à cette conclusion, que les deux temples de Berthouville ont été détruits par la sape et le feu à la fin du IIIe siècle, que les gardiens auraient été massacrés et que leurs restes se trouvent au milieu des décombres d'incendie. Ils auraient été ensuite reconstruits en dimensions moindres, sans doute pour durer peu de temps. Babelon, Le Trésor d'argenterie de Berthouville, 1916, p. 45 et 16.

[52] Il semble bien que le gros des monnaies s'arrête à Tetricus (Revue numism., 1884, p. 496-8).

[53] On acceptera pour le sanctuaire de Vieil-Évreux les mêmes conclusions que pour Berthouville, à cause de la rareté de monnaies constantiniennes, succédant à l'abondance de monnaies de Tetricus et antérieures.

[54] Une bonne partie des fana forestiers de la Normandie semblent avoir été détruits au cours des invasions du IIIe siècle ; de Vesly, Les Fana, p. 141-2.

[55] Cf. à Luxeuil.

[56] Grenier (Habitations... des Médiomatrices, 1906, p. 119 et 179) signale la disparition de bon nombre de villas rustiques avant 300, et remarque le fait que, sauf de très rares exceptions, les grandes villas urbaines datent d'après 275.

[57] Le Panégyriste l'indique lui-même (VIII, 6) : Nec silvas licuit excidere.

[58] Sur ce retour offensif des forêts, Paneg., III, 15 ; VIII, 6. Orose signale cette ruine des villas en Italie dès le temps de Marc-Aurèle (Hist., VII, 15, 5) passim viliæ, agri atque oppida sine cultore atque habitatore deserta in ruinas silvasque concesserint, et ce texte est capital.

[59] Fuchs (Die Kultur der Kellischen Vogesensiedelungen, Saverne, 1914, p. 171) a montré l'abandon de ce territoire agricole des Vosges : l'absence complète de monnaies du Bas Empire permet de placer le fait à la fin du IIIe siècle.

[60] Vita Columbani, I, 10, p. 76, dans les Monumenta Germaniæ, éd. Krusch : Ibi densitas imaginum lapidearum vicina saltus densabant.

[61] Quidquid humilitate sua fuerat uberius, in voragines et stagna conversum ; Paneg., VIII, 6. Il s'agit du bas pays éduen, c'est-à-dire des terres de la rive droite de la Saône.

[62] J'interprète dans le même texte (n. précédente), les expressions per singulorum fines [de domaine en domaine] procursus fontium vallibus patentibus. Même région.

[63] Paneg., VIII, 6.

[64] Voyez les recherches de Lesmaries, Dunkerque et la Plaine maritime aux temps anciens (1923, Dunkerque), p. 420 et s. J'ai d'ailleurs peine à accepter la théorie courante (cf. Raoul Blanchard, La Flandre, 1906, p. 144 et s.), d'une inondation maritime générale sur la plaine, ni pour la fin du IIIe siècle, ni pour le Ve siècle. En tout cas, désolation à part, le pays présentait encore vers 400 la même structure que de nos jours (voir le texte sur l'apostolat de Victrice).

[65] Aux marais de Reyson dans Saint-Germain-d'Esteuil ; le nom du hameau voisin, Brion, peut annoncer un *Brigomagus (magus étant un marché) ; c'est en tout cas le vestige de l'ancien nom du lieu, et je ne doute pas qu'il ait eu là un des endroits les plus importants du Médoc, sinon une bourgade, du moins un sanctuaire ou marché sacré. Drouyn, La Guyenne militaire, I, 1865. p. XCIII et s.

[66] Ce qui suit, d'après Paneg., VIII, 6 et 7. J'ai cru d'abord qu'il s'agissait de la route de Besançon à Autun par Beaune. Je pense maintenant que Constantin, en 311, remontant le Rhône et la Saône jusqu'à Chalon (vias faciles, navigera flumina ipsas oppidorum portas alluentia), a quitté à Chalon la route de Belgique par Langres et Trèves (ab eo flexu e quo retrorsum via ducit in Belgicam) et a pris la chaussée d'Autun, qui, au delà, menait vers Auxerre, Troyes, Reims, Boulogne. C'est aux approches d'Autun que, du haut de la montagne d'Amy (ex vieino monte, § 8), Constantin jeta un coup d'œil sur les champs de culture et sans doute aussi sur la ville.

[67] Voyez, Paneg., V, 8, la description des chemins suivis par Constance en 293 ou 294 dans son expédition de Batavie : pæne terra non est, ita penitus aquis imbuta, etc.

[68] Paneg., VIII, 7. Cf. Ammien, XIV, 10, 2 et 6.

[69] Cf. Paneg., V, 21 ; VII, 22 ; VIII, 14.

[70] Paneg., VIII, 6 : Ipsæ denique vineæ, quas mirantur ignari, ita vetustate senuerunt, ut culturam jam pene non sentiant. Radices enim vitium [les souches], quarum jam nescimus ætatem, miltes replicando congestæ altitudinem debitam [normale] scrobibus [les raies] excludunt, et [pour sed ?] ipsam propaginem [les provins] non debitam [leçon des manuscrits à conserver, ce sont les provins gourmands] sed obtectam [leçon des manuscrits, j'incline à conserver le mot, et à l'interpréter dans le sens d'enfoui ce qui expose ces provins tantôt à la moisissure, tantôt au grillage ; à la rigueur obductam] produnt imbribus et solibus perurendam. Il s'agit évidemment de vignes devenues rampantes et poussant des sauvageons sans force de résistance. Remarquez l'extraordinaire précision technique de ce texte, qui fait honneur et à la langue de l'orateur d'Autun et à ses connaissances en viticulture.

[71] Paneg., VIII, 6.

[72] Encore faut-il faire des réserves.

[73] Avec cette réserve, qu'Autun, par exemple, a été pillé par les soldats.

[74] Ausone n'en parle pas dans sa description de Bordeaux (Ordo urbium nobilium, 128 et s.), ce qui est significatif. Il est du reste à peu près avéré qu'un certain nombre de débris utilisés dans la construction des remparts de l'an 300 proviennent des Piliers de Tutelle (cf. Courteault, Revue des Ét. anc., 1922, p. 230 et s.). Les ruines en étaient (au Grand-Théâtre) à gauche et en dehors de l'entrée principale de la ville forte (porte Médoc, rue Sainte-Catherine). Cf. t. VIII, ch. IV, § 9.

[75] Cf. De Pachtère, Paris à l'époque gallo-romaine, 1912, p. 86-7 ; cf. p. 113 et s. J'ai fini, après de longues hésitations, par accepter pour ce mystérieux édifice de Cluny la destination de thermes : dispositif intérieur, situation topographique, impossibilité de songer a une autre espèce d'édifice, tout me parait maintenant militer en faveur de ce caractère.

[76] Voyez a Autun, avant Constance, tout ce qu'il était nécessaire de faire, extructio veterum domorum, refectio operum publicorum, instauratio templorum ; Paneg., V, 21.

[77] Paneg., IV, 9.

[78] Voyez le texte si caractéristique d'Orose, VII, 22, 8.

[79] Le Niobide du Château d'Albâtre à Soissons (Espérandieu, n° 3790) ; les statues impériales des thermes de Bordeaux (cf. Inscr. rom. de Bord., I, p. 91 et s.) ; etc.

[80] Aux Arènes de Paris ; De Pachtère, p. 146-7. On a supposé que les Chrétiens avaient complété la destruction (J. Formigé, Les Arènes de Lutèce, Commission du Vieux Paris, annexe au 12 janvier 1918, p. 11) : c'est possible en principe, mais les indices manquent.

[81] Paneg., IV, 4. A Narbonne, Ausone, Ordo urbium nobilium, 129 et s. Sidoine Apollinaire, Carmina, 23, 32-68.

[82] Harold de Fontenay, Autun, p. 53-57 (avec la rectification de Gadant, Rev. de Ét. anc., 1921, p. 223-4). De même a Paris ; De Pachtère, p. 81-85.

[83] Olim corruisse ; Paneg., VII, 22.

[84] Depuis 253.

[85] Encore n'est-ce point sûr, puisque l'invasion de 253 a dû passer par là pour aller en Catalogne.

[86] Ausone, Ordo orbum nobilium, 120 et s. (quondam de marmore templum, etc. ; il s'agit de son Capitole) ; Sidoine Apollinaire, Carmina, 23, 32-68. Et ces textes sont confirmés par une inscription du IVe siècle (XII, 4355), ou un préfet du prétoire [honoraire] pontem, portas, aquiduct., quaru[m] r[erum] usus longa incuria et veritate co[llapsus ? e]rat, civitati restauravit.

[87] Il est possible que la démolition de ces tombeaux s'explique en partie par l'extinction des familles. Mais il a dû y avoir aussi, de la part de l'autorité publique, une mesure générale de désaffectation ou d'expropriation des terrains funéraires. En outre, pour que pierres, figures, inscriptions de tombes aient été employées en si grande quantité comme matériaux d'édifices, il faut bien que la destruction en ait été opérée systématiquement par les ennemis ou les brigand, et, après cette première violation, par les agents de l'État ou des cites. La législation romaine était en effet particulièrement sévère contre quiconque touchait à une sépulture : mais d'une part, les remparts d'une ville avaient, comme les tombes, un caractère religieux (Institutes, II, 1, 10) ; et d'autre part, on traitait sans doute les tombeaux violés par l'ennemi comme des sepulchra hostium, qui religiosa non sunt, et dont lapides inde sublatos in quemlibet usum convertere possumus (Paul, Digeste, XLVII, 12, 4).

[88] Les exemples sont innombrables ; on en trouve dans chaque cité, aux enceintes es chefs-lieux et souvent aussi a celles des simples castra. Le plus caractéristique est celui qu'offrent les mausolées trévires, dépecés et insérés sous Constantin dans les murs de Neumagen (Espérandieu, VI, p. 317 et s.).

[89] On dut prendre à la fin des mesures rigoureuses ; Code Théod., IX, 17, De sepulchris violatis.

[90] A Autun, la destruction s'est étendue, non templis modo ac locis publicis [les fora], sed etiam privatis domibus ; Paneg., IV, 4.

[91] Voyez l'absence d'ouvriers dans cette ville d'Autun (Paneg., V, 21 ; VIII, 4) ou précisément la population artisane semble avoir été si abondante.

[92] Φυγήν άπάντων, dit Zosime des villes tracassées par le fisc (II, 38, 8, 9 et 10). Urbes diu silvis obsitas atque hahitatas feris ; Paneg., IV, 18. Ces deux textes ne visent pas la Gaule.

[93] Cernimus exemplis oppida posse mori, dit un vers de Rutilius Namatianus, I, 14. — Voyez la curieuse loi de 365 (Code Théod., XV , I, 14 et 1), qui nous montre les petites villes mises au pillage (in eversionem abditorum oppidorum) par les gouverneurs, qui les dépouillent de leurs statues, marbres ou colonnes, pour les transporter dans les métropoles où ils séjournent.

[94] Cette construction de remparts suppose évidemment de nouvelles démolitions, de nouvelles expropriations. Mais comme, d'une manière absolue, les enceintes du Bas Empire épousent le dispositif intérieur des rues, et qu'il est impossible d'admettre le remaniement complet de ce dispositif, on supposera volontiers que les remparts ont utilisé des lignes ou des voies préexistantes.

[95] T. VIII, ch. IV, § 8 et 9.

[96] Cf. t. VIII, ch. IV, § 8 et 9.

[97] De là, la comparaison constante, chez les écrivains du temps, entre Maximien et Hercule pacator terrarum (Paneg., II, 11 ; etc.).

[98] Cf. Henri-F. Secretan, La Dépopulation et les Mœurs, 1913, p. 11 et s. (la dépopulation de l'Empire romain).

[99] Le témoignage du Panégyriste de 291 est formel (III, 15) : quanta frugum inopia, quanta funerum copia fuerit, fame passim morbisque grassantibus. Il semble même qu'on ait constaté un sérieux affaiblissement de la natalité et un fort accroissement de la mortalité ; cf. Paneg., III, 15, signalant que sous Maximien (p. 92) hominum ætates et numerus augentur.

[100] Hominum segnitia terræque perfidia ; Paneg., VIII, 6. — Une preuve de la dépopulation des campagnes depuis le milieu du IIIe siècle, peut être tirée de la rareté de poteries, sculptures, monnaies, constatée, après cette époque, dans les ruines de villas ou de bourgades rurales.

[101] Paneg., IV, 4 (Autun).

[102] Paneg., IV, 4 (Autun).

[103] Cæcilius Argenius Arborius, aïeul maternel d'Ausone (Parentalia, 6), appartient à une vieille et noble famille d'Autun ou des Éduens [son nom patronymique, Arborius doit se rattacher à la localité d'Arbor, Ammien Marc., XVI, 2, 3] ; il est apparenté aux plus illustres des Lyonnais, Éduens, Allobroges. Sous les Tetricus, son père et son aïeul voient leurs biens confisqués et s'en vont vivre misérablement du côte des Pyrénées, chez les Tarbelles de Dax. — Le cas d'Arborius a dû être celui de beaucoup d'autres nobles d'Autun, puisque le Panégyriste (IV, 4) se plaint des vides de la noblesse locale. Voyez d'ailleurs l'abandon ou la ruine des demeures particulières (Paneg., IV, 4) — Tout cela, évidemment, explique la décadence des curies ou des administrations municipales, décadence sur laquelle on ne peut s'étendre ici, faute de documents pouvant se référer à la Gaule ; cf. t. VIII, ch. I, § 9 et 15, ch. III, § 5, ch. VII, § 3.

[104] Jacens perditaque civitas, à Autun ; Paneg., VIII, 4 ; V, 21. Άνειλημμενη, à Besançon, ce qui indique une reconstruction, Julien., Ép., 38, p 414 c, Sp. p. 11, Bidez et Cumont, 1922. Deserta civitas, à Avenches ; Ammien, XV, 11, 12. Ailleurs dans l'Empire, senuruta oppida, desolata mœnia ab indigenis, exutum turbam ; Paneg., XI, 10.

[105] L'enceinte de Brouage, qui est un rectangle de plus de 1600 mètres de périphérie, ne renferme que 212 habitants.

[106] Julien, Ép., 38.

[107] Vetusta magnitudo ; Ammien, XV, 11, 11.

[108] Non ignobilem quondam ; Ammien, XV, 11, 12.

[109] Sur Avenches, Eug. Secretan, Aventicum, 3e éd., 1919.

[110] Cette ruine des villes est d'ailleurs générale dans l'Empire, même en des régions qui ne paraissent pas avoir été touchées par des invasions. Verceil, ville d'Italie, près des Alpes, olim potens, nunc raro est habitatore semirata, dira plus tard Jérôme (Ép., I, 3. Patr. Lat., XXII, c. 327). Nicopolis, sur l'Adriatique, in ruinas lacrimabiles prope tota conciderat : taceræ nobilium domus [cf. à Autun], sine tectis fora [les portiques et basiliques], jamdudum aquarum ductibus pessumdatis [cf. à Autun], plena cuncta squaloris et pulveris [on ne nettoie plus les rues ; cf. à Autun] ; Paneg., XI, 9. Et c'est bien ainsi qu'il faut se représenter Autun, Narbonne ou Trèves. Libanius, à l'occasion des dévastations du temps de Constance II, nous montre les habitants des villes labourant le terrain à l'intérieur des enceintes : ce qui suppose bien des espaces inoccupés ; je pense qu'il s'agit surtout des villes qui avaient, comme Autun ou Trèves, conserve leurs anciennes murailles : Libanius, Orat., XVIII, § 35, p. 251, F.

[111] La dernière trace de l'Ara Aug. est une monnaie de Tetricus à ce nom (Blanchet, Revue num., 1893, p. 50). — On attribue d'ordinaire aux Chrétiens la destruction de la cité sacrée du Confluent : rien ne prouve que ce ne soit pas l'œuvre des Barbares, les empereurs ayant tout intérêt à protéger le sanctuaire de leur culte. — La lecture d'Ammien montre bien que Lyon n'a joué qu'un rôle médiocre au IVe siècle. Ausone ne le cite même pas parmi les urbes nobiles, où il met Trèves, Arles, Toulouse, Narbonne et Bordeaux.

[112] La question se pose, au sujet, de cette extraordinaire réduction de la surface fortifier à Autun, de savoir a quelle époque elle s'est faite. Les textes des Panégyriques montrent que sous Constance et Constantin Autun s'est efforcé de vivre dans son enceinte traditionnelle, avec ses vieux édifices restaurés. Elle ne paraît point en connaître une autre à l'arrivée de Julien. Je placerai donc cette réduction assez tard dans le IVe siècle, peut-être sous Valentinien Cf. Roidot, Mém. de la Soc. Éduenne, n. s., I, 1872, p. 319-320 ; Harold de Fontenay, Autun, p. 25 et s. — Un autre exemple de réduction, mais avec le déplacement du centre habité, est l'abandon à peu près complet d'Augusta Raurica (Bazel-Augst), colonie dont l'enceinte avait plus de deux lieues gauloises, et son remplacement par le petit castrum Rauraca de Kaiser-Augst, qui n'a sans doute pas mille mètres de tour. — Même disproportion, et sans doute plus grande encore, entre Vindonissa (Windisch) et le fortin d'Alteuburg, castrum Vindonissense, qui la remplace sous Constance ou Constantin Heuberger dans l'Indicateur suisse, n. s., XXIV, 1922, p. 203 et s. ; Schumacher, Stede'ungs- und Kulturgeschichte der Rheinlande, II, 1923, p. 27-29).

[113] De Pachtère, p. 141 et s.

[114] Inscr. rom. de Bord., II, p. 290 et s., p. 522 et s. — Autres exemples de ce retour au noyau initial de l'agglomération : Strasbourg, revenant au trace du camp primitif ; Saint-Bertrand-de-Commines, revenant a sa colline après l'épanouissement monumental dans la plaine ; Aix, dont le castrum du Bas Empire doit correspondre au castellum de Sextius. Et on pourrait en citer bien d'autres exemples.

[115] Vu l'absence complète de ruines et de textes se rapportant au Bas Empire, il y a tout lieu de croire que le chenal et le port étaient dès lors comblés.

[116] Si l'enceinte médiévale, représentée aujourd'hui par les boulevards intérieurs, hérite directement du castrum gallo-romain, ce que je crois, on peut évaluer à 1600 mètres, y compris les Arènes, qui la flanquaient à l'angle méridional ; cf. F Germer-Durand, Enceintes successives de Nîmes, 2e éd., 1877, p. 29 et s. — Un rétrécissement semblable, dans d'autres villes coloniales, a dû se passer Aix et à Toulouse ; et là encore je ne peux affirmer le passage des Barbares.

[117] Arles, également, mais elle seule et pour le même motif, n'a point dû se dépeupler, mais elle avait une enceinte très réduite, et elle n'a pas pu s'étendre ailleurs que sur la rive droite.

[118] Peut-être faut-il rapprocher de ces villes Amiens, à laquelle le IVe siècle assurera une reprise de vie. — Je laisse de côte es grandes villes du Midi, Narbonne, Mmes, Vienne, et les villes de la frontière, Cologne, Mayence, les unes et les autres dépérissant plus ou moins vite dans leur enceinte primitive.

[119] Voyez pour tout cela les relevés de Blanchet, Enceintes romaines, surtout p. 283-4.

[120] T. VIII, ch. IV, § 9 et 8.

[121] Frugum inopta, funerum copia, fame passim morbisque grassantibus ; Paneg., II, 15.

[122] Voyez le début de l'édit de Dioclétien de pretiis rerum venalium.

[123] L'édit de Dioclétien parle de spéculateurs qui majorent non seulement au quadruple et davantage, mais dans de telles proportions, que le vocabulaire n'a pas d'expression pour designer le taux de l'augmentation (prol., 2, I, 2) ; et cela, non seulement de jour en jour, mais presque d'heure en heure, de moment en moment (prol., I, 5). Lactance, De mort. pers., 7.

[124] Voyez le début de l'édit de Dioclétien.

[125] On a remarqué que les aurei, qui avaient déjà une tendance à baisser de poids sous Victorin (5 gr. 10 a 5 gr. 67), tombent notablement sous Tetricus entre 3 gr. 05 et 4 gr. 82, aucune pièce ne dépassant ce poids ; Blanchet, Manuel de numismatique française, I, p. 127.

[126] Pour tout ceci, Blanchet, Manuel de numismatique française, I, p. 128 et s.

[127] Il s'agit de l'edictum de pretiis rerum venalium de 301 ; voir l'édition, d'ailleurs insuffisante au point de vue historique, de Mommsen et Blumner, 1893. — C'est une question non résolue, si l'édit a été applicable à l'Occident. Dioclétien dit bien qu'il légifère universo orbi. Mais, outre qu'on n'a trouvé qu'en Orient des fragments de l'édit, on a remarqué que les marchandises visées se rapportent plutôt à l'Orient qu'à l'Occident. Enfin, l'idée de fixer un même maximum pour tout l'Empire, dénoterait une telle ignorance des faits économiques, qu'on a peine à l'attribuer aux hommes d'État de ce temps Et il est également possible que si le maximum a été décidé pour tout l'Empire, les chiffres aient été différents pour l'Occident, ou encore, que l'expérience faite en Orient aura eu de si médiocres résultats (cf. Lactance, De m. p., 7), qu'on évita de l'étendre à l'Occident.

[128] Lactance, De m. p., 7 : Legem pretiis rerum vernalium statuere conatus est (Dioclétien). Tunc ob exigua et viila multus sangus effusus, nec venale quicquam metu apparebat, et caritas multo deterius exarsit, donec lex necessitate ipsa post mullorum extitum solveretur.

[129] Préambule de l'édit ; Lactance, De m. p., 7 : Varus iniquitatibus immensam faceret caritatem (Dioclétien, que d'ailleurs je ne crois pas le coupable en cette affaire) ; Ammien Marcellin, XVIII, 1, 1 : Patrimonia publicæ clades augebant. La lutte de Dioclétien contre l'aristocratie terrienne (De m. p., 7) doit s'expliquer par là.

[130] Domi nobilis sed majoribus latrocinantibus atque adeo pecore ac servis et is rebus qui abduxerat salis dives. Chose étrange, ce Proculus se disait d'origine franque. Hist. Aug., Proc., 12, 1 ; 13, 4.

[131] Hist. Aug., Car., 14, 2.

[132] Aur. Victor, De Cæs., 39, 20 ; Eutrope, IX, 21.

[133] Je ne parle que de la Gaule : mais c'est de même pour le reste de l'Empire ; Teuffel, trad. franç., III. p. 66 et s., 88 et s.

[134] Cf. de Labriolle, Hist. de la littérature latine chrétienne, 2e éd., p. 58 et s.

[135] Paneg., IV, 9 (labes).

[136] Cf. t. VIII, ch. IV, § 8 et 9.

[137] De cela, on aura des preuves innombrables dans les relevés d'origine du Corpus Inscriptionum et du Recueil d'Espérandieu. Voyez, à titre de résumé, Blanchet, Enceintes, p. 239, et les figurations des pl. 1, 3, 4. Cf. t. VIII, ch. IV, § 5.

[138] L'auteur du Querolus dira même, semble-t-il, le contraire : Vade ad Ligerem.... Illic jure gentium vivunt homines, etc., p. 16, édit. Peiper.

[139] Voyez les justes remarques de Declareuil, Quelques problèmes d'histoire des institutions municipales au temps de l'Empire romain (paru dans la Nouvelle Revue historique de Droit), 1911, p. 97 et s.

[140] Cf. t. VIII, ch. III

[141] Cf. Arborius ; voir aussi t. VIII, ch. III, § 1.

[142] T. IV, ch. VI, § 14. Cf. ici, t. VIII, ch. III, § 14.

[143] T. IV, ch. VI, § 14. Et ici, t. VIII, ch. III, § 4.

[144] Eusèbe, Hist. ecclés., VII, II, 8, p. 036, éd. Schwartz. — La seule chose que Tatien reproche à l'Empire, c'est sa législation, en particulier la divergence des lois d'une ville à l'autre : il faudrait, dit-il, que tout le monde vécût sous un seul et même régime, et cette remarque est du reste fort intéressante à signaler ; Oratio, § 28, éd. Hennecke ; p. 144, trad. Puech.

[145] Paneg., II, 1-2, 13-14 ; etc.

[146] Paneg., XI ; Ausone, Gratiarum actio ; etc. ; cf. t. VIII, ch. I, § 1.

[147] Cf. Synésius, De regno, § 13, P. Gr., LXVI, c. 1085.

[148] Il faut cependant remarquer que l'usage se répand de plus en plus d'appeler l'empereur du titre de rex, surtout, je crois, dans les milieux chrétiens et sous des influences helléniques. Sulpice Sévère, par exemple, dira constamment rex.

[149] En fait ou en principe ; mais les chefs de service, et en particulier le préfet, suivaient souvent l'empereur (cf. t. VIII, ch. I, § 3 et 6).

[150] Prætorium, sous les ordres de deux præfecti ; cf. t. VIII, ch. I, § 3 et 6.

[151] Fiscus ou ærarium [la distinction s'est effacée], summa res, en ce moment sous les ordres d'un rationalis ; plus tard (après Constantin ?), comes sacrarum largitionum ; Hirschfeld, Die kaiserlichen Verwaltungsbeamten bis auf Diokletian, 2e éd., 1905, p. 37 et 39. Cf. t. VIII, ch. I, § 3 et 7.

[152] Patrimonium, res privata, res privatæ, plus tard surtout fiscus, sous la direction d'un magister ou rationalis, plus tard (après Constantin ?) d'un comes ; Hirschfeld, p. 47. Cf. t. VIII, ch. I, § 3 et 11.

[153] Scrinia, en principe au nombre de quatre, memoria, libelli, studia, cognitiones, chacun d'eux dirige par un magister. Sous Constantin [?], les studia disparaissent, les cognitiones sont réunies aux libelli, les dispositiones apparaissent. Cf. t. VIII, ch. I, § 3.

[154] Réunie au prætorium jusque sous Constantin.

[155] T. VIII, ch. I, § 4 et 5. Cf. t. IV, ch. XI, § 2

[156] T. VIII, ch. I, § 13.

[157] T. IV, ch. VIII, surtout § 4, 8, 9 et 15.

[158] Cf. t. VIII, ch. I, § 14.

[159] Voyez les vignettes de la Notitia dignitatum.

[160] Cf. t. VIII, ch. I, § 13.

[161] Pour la statistique des terres, voyez Paneg., VIII, 5 ; pour la statistique des personnes, Zosime, III, 4, 12. Cf. t. VIII, ch. I, § 8.

[162] Cf. t. VIII, ch. II, § 4.

[163] Lisez Végèce, en particulier II, 2 et 5, etc. Cf. t. VIII, ch. II.

[164] En 282-3 : cognita Probi morte barbarorum quique opportune invaserunt, Aur. Victor, De Cæs., 38, 2.

[165] Voyez en particulier Ammien, XXIII, 6, 9.

[166] En fait, jusqu'à l'arrivée des Huns, la paix a été à eu près constante depuis les victoires de Claude II, c'est-à-dire pendant une centaine d'années. Les deux expéditions de Constantin (323, 332) auraient pu être évitées. Voyez les réflexions de Jordanès (Getica, § 110-5), historien dont on a trop pris l'habitude de se défier.

[167] Nullæ quiescendi dabantur indutiæ, Ammien, XXVII, 10, 5.

[168] Je me demande si la Franconie ne s'appelait pas déjà du nom des Franci, peut-être par suite d'un déplacement vers l'est des Chattes, qui sont des Francs. Chez Claudien (De cons. Stil., I, 226 et s.), les Francs sont rapprochés de qui désigne ici les montagnes de la Souabe et de la forêt Hercynienne.

[169] Luttes entre Burgondes de Franconie et Alamans de Souabe sous Maximien (Paneg., III, 17), et vers 370 (Ammien, XXVIII, 5, 9) ; entre Alamans et Francs après cette date (Ammien, XXX, 3, 7) ; guerres ou querelles intestines chez les Alamans (Ammien, XVI, 12, 17 ; XXVII, 10, 4). Dans l'ensemble, voyez Paneg., III, 16-18.

[170] Voyez le Code Théodosien, VII, 1, 1, loi de 323.

[171] Cf. du côté de Mayence en 368 ; Ammien, XXVII, 10, 1-2.

[172] Voyez sous Julien César en 337 ; Ammien, XVI, 12, 1 et s.

[173] Ad latrocinandum latenter inrepsit, dit Ammien de l'une de ces bandes, XXVII, 10, 1.

[174] Ad latrocinandum, expression qui revient constamment chez les écrivains du temps. — Il faut peut-être excepter la tentative d'installation des Alamans sous Constance II et sans aucun doute l'établissement des Francs Saliens.

[175] Sauf, à la rigueur, la guerre de Civilis.

[176] Cf. aussi pour l'époque d'Arminius. Exception faite pour l'Empire goth, qui fut une très belle chose, et dont on a eu tort de nier l'existence.

[177] Voyez les sept rois alamans ; Ammien, XVI, 12, 1 et 25-26.

[178] Exemple chez Ammien, XVI, 12, 17 et 25. Lubricam fidem ; Pan., VI, 4.

[179] Voyez les souhaits ou regrets de Claudien (éd. Jeep), In Ol. cons., 161 ; De IV cons. Hon., 652 ; De nupt. Hon., 278 ; De Manlii Theod. cons., 54-5 ; etc.

[180] Rhenum antes videbatur ipsa sic natura duxisse, ut eo limite Romanæ provinciæ ab immanitate barbariæ vindicarentur. Et quis umquam... princeps non gratulatus est Gallias alio arme muniri ? Paneg., II, 7.

[181] Paneg., V, 17 et 18 ; XII, 6.

[182] Bayonne, qui fut fortifiée au IVe siècle, dut évidemment l'être par précaution contre les pirates (Rev. des Ét. anc., 1905, p. 147 et s.). Il ne faut pas oublier que les Francs, même sous le règne de Constantin, sont allés pirater jusqu'aux côtes espagnoles (Paneg., X, 17).

[183] Voyez l'épitaphe (Corpus, III, 3576 ; Dessau, 2814) de ce soldat franc qui se dit Francus ego cives, Romanus miles in armus, où on peut lire tout aussi bien Francus, cives Romanus.

[184] Ce qu'on avait fait en 253 et sans aucun doute aussi en 276, et l'une et l'autre fois étaient survenues les plus grandes invasions. Ce qu'on verra en 340-1, et en 350 et années suivantes.

[185] C'est ce que Julien écrit à Constance, qui lui demande le renfort de troupes de Gaule contre les Perses (Ammien, XX, 8, 16). Voyez, de même, l'opinion de Mérobaud.

[186] Voyez les textes de Sidoine Apollinaire, Carm., 7, 543 et s. : Promptissima super fulsit condicio, proprias qua Gallia vires exereret, etc. ; 516 et s. : Gallia si te compulerit, quæ jure potest, tibi pareat orbis, ne pereat.

[187] Pour ce qui suit, t. IV, ch. XV.

[188] Je songe à ces troupes qu'on appelle Celtæ. A mon sentiment, ce nom de Celtæ ne vient pas d'une réminiscence des Celtes ou de la Celtique de Gaule : c'est la latinisation du nom d'une peuplade des bas pays, frisonne ou franque, qui apparaît sous Postume, admise à fournir des auxiliaires à l'Empire et peut-être domiciliée pendant un temps comme vassale dans une région de la frontière, aux abords de la Batavie. Il ne serait pas impossible que ce soit de son nom, Celtæ ou mot similaire, que vint le nom de Holtland (Hollande), localisé à l'origine dans le pages de Dordrecht (Van den Bergh, Handbœk, 2e éd., La Haye, 1872, p. 218). Remarquez que l'Histoire Auguste regarde les Cette comme des envahisseurs et les place à ce point de vue à côté des Goths et des Hérules (Claudius, 6, 2 ; 9, 6). C'est à eux, décidément, que j'applique le texte énigmatique d'Eusèbe. Et les juments celtiques de la cavalerie de guerre (Claudius, 9, 6) font surtout songer à la race chevaline de Frise. — Reste a savoir si ce nom et cette tribu ne sont pas une survivance, maintenue dans la région frisonne, des anciens Celtes, domiciliés précisément dans ces parages avant leur passage en Gaule. — Il serait possible que ce fût l'apparition ou la réapparition de ce nom celtique a la frontière de la Gaule qui ait déterminé l'emploi si fréquent, au cours de ce siècle (depuis le IIIe), du mot (ç Celtes » pour désigner non seulement les Gaulois, mais les Germains de la frontière, et en particulier les Francs. Remarquez que précisément Libanius, ayant à parler des Francs des Pays-Bas, voisins du Rhin et de l'Océan, les appelle Κελτικον (Orat., LIX, § 127, p. 273, Fœrster).

[189] Supposé d'après les rapports avec la Bretagne.