HISTOIRE DE LA GAULE

TOME VI. — LA CIVILISATION GALLO-ROMAINE - ÉTAT MORAL.

CHAPITRE VII. — SUR LA FRONTIÈRE DE L'EST ET À LYON.

 

 

I. — LE RHIN AUTOUR DE COLOGNE ET DE MAYENCE[1].

En droit, la frontière du Rhin était partagée entre deux commandements, chacun avec son armée, son légat, son chef-lieu la Germanie Inférieure, depuis les embouchures jusqu'au voisinage de la Moselle[2], la Germanie Supérieure, depuis ce voisinage jusqu'au lac de Constance. En fait, si l'on regarde le caractère du pays et les mœurs des hommes, la Germanie romaine se présentait sous trois aspects différents : les régions militaires de Cologne et de Mayence, les terres plus paisibles du Palatinat et de l'Alsace, l'antique nation des Helvètes.

De l'embouchure du fleuve au confluent du Mein dominaient tout ensemble la vie militaire, les souvenirs germaniques, les influences romaines. Cette ligne était vraiment celle du Rhin d'Empire, bordé de soldats et hérissé de forteresses. Sauf du côté de la Frise en aval[3] et du Taunus en amont[4], le Rhin marquait bien la frontière, et c'était le divin fossé, disait-on à Rome, qui protégeait le monde civilisé[5]. Sur la rive ultérieure, au moins depuis le désastre de Varus, on ne voyait que Barbares, de ces hommes de la Grande Germanie qui avaient été les seuls à faire reculer des légions romaines. Aussi, pour abriter l'Empire, les Césars avaient multiplié derrière ce Tossé les murailles ou les palissades des camps et des redoutes. Entre la mer Germanique et les rives du Mein, lieux fortifiés et garnisons se succédaient à une journée de marche au plus[6] ; réunis par une chaussée qui longeait la rive gauche du fleuve[7], et où aboutissaient les principaux chemins de la Gaule. Là s'étaient bâtis, dès le commencement de l'Empire, les grands camps permanents destinés à devenir les résidences des légats et les métropoles des deux provinces, Cologne en Germanie Inférieure[8], Mayence en Germanie Supérieure[9] ; et là restèrent toujours le plus gros des armées, légions ou auxiliaires.

Par suite, ces terres riveraines du Rhin s'imprégnèrent de culture romaine plus rapidement et plus fortement que la majeure partie de la Gaule intérieure[10]. La présence de ces garnisons et de leurs états-majors eut pour le pays et les hommes les mêmes conséquences que l'installation de colonies sur les bords du Rhône. C'était le latin qu'on entendait parler de Nimègue à Mayence : il était le langage commun et nécessaire de ces cinquante à cent mille hommes[11], venus là de toutes les provinces de l'Occident et qui y avaient pour seule tâche de défendre l'Empire romain. Ainsi qu'il arrive aux frontières, la patrie se raidissait et se dressait plus ferme sur le bord qui faisait face à l'ennemi. Parmi les officiers de ces troupes, beaucoup étaient originaires de Rome ou d'Italie, appartenaient aux nobles familles du Latium ou de la Cisalpine ; et les fatigues du métier et de la guerre, d'ailleurs fort légères, ne leur interdisaient pas, suivant leur humeur, de mener joyeuse vie ou de se délasser dans les travaux de l'esprit. Pline l'Ancien[12], Tacite[13], Trajan, passèrent de longs mois près du Rhin, observant ou écrivant. Les plus frivoles s'arrangeaient pour ne point souffrir de cet exil, et faisaient venir des meubles ou de la vaisselle de luxe[14], des mets délicats[15], de belles esclaves. Un légat, à Cologne ou à Mayence, rivalisait de faste avec un sénateur de Rome. Les plus humbles soldats contribuaient selon leurs moyens à propager les habitudes latines sur cette lisière de la Barbarie. Beaucoup apportaient d'Italie leurs divinités rustiques ou populaires, des idoles ou des amulettes domestiques, devant lesquelles s'extasiaient les gens du pays : parfois, dans les sanctuaires de la Germanie romaine, nous apercevons quelque dieu insolite, qu'au premier abord nous croyons issu des sources ou des forêts indigènes, et puis, à le voir de plus près, nous reconnaissons une vieille déité italiote, qui aura suivi les légionnaires depuis les campagnes sabines ou les faubourgs de Rome[16].

Le pays s'organisait à la manière méridionale, en municipes ou colonies. A côté des camps, la population civile, composée des marchands[17] ou des indigènes, ne tardait pas à former une sorte de commune[18], ayant ses magistrats, son sénat, son territoire, et elle arrivait d'ordinaire à la condition de cité autonome. Tel fut le cas de Mayence, en face du Mein, au début simple village militaire, et à la fin grand et beau municipe de mode italien ; de Xanten, sur le Rhin d'en bas, d'abord amas de boutiques et rendez-vous de marchands près du vieux camp de Drusus, et plus tard colonie au nom de Trajan[19] ; de Nimègue, marché de Bataves transformé en ville latine[20] ; de Cologne enfin, jadis bourgade des Ubiens de Germanie, puis colonie romaine sous le parrainage d'Agrippine.

Quant aux indigènes, ils adoptaient les usages du Midi d'aussi bonne grâce qu'avaient pu le faire les Volques du Languedoc ou les Éduens d'Autun. 'Fout au plus demeurèrent-ils assez longtemps fidèles à leurs divinités locales ou domestiques, à ces Déesses-Mères que les riverains de la Meuse et du Rhin aimaient par-dessus toutes les puissances. Mais elles étaient si bonnes fées, si accueillantes pour les voyageurs et les soldats de passage ! et elles se prêtaient si volontiers à s'habiller de formes latines ! Les Romains virent bientôt en elles des scieurs cadettes de Junon, et les Grecs de Déméter[21]. La plus populaire d'entre elles, Néhalennia, était établie à l'extrémité de la province, dans l'île de Walcheren aux bords de l'Océan ; et les mariniers, les marchands ou les légionnaires qui descendaient le fleuve pour gagner l'île de Bretagne, ne manquaient pas de la saluer avant la redoutable traversée de la mer du Nord : c'était alors une aimable divinité chargée de fruits et gardée par son chien comme une villageoise de Zélande, et elle avait répudié depuis longtemps les attitudes farouches et solitaires de la Velléda germanique[22].

Au surplus, les peuplades de cette rive étaient trop peu importantes pour offrir une résistance sérieuse à l'action de Rome. Ce n'étaient pour la majeure part que de petites tribus, fugitives de la Germanie westphalienne, auxquelles les légats impériaux avaient concédé quelques terres sur la rive gauche. Les deux seules nations qui méritent un souvenir, elles aussi d'origine transrhénane, étaient les Bataves et les Ubiens. Ceux-là, depuis l'échec de leur révolte sous Vespasien, vivaient obscurément dans leur île et sur les rivages du Rhin hollandais[23], contenus par une double ligne de forteresses, ne se refusant plus à fournir des soldats et à recevoir des marchands[24]. Les Ubiens, eux, étaient toujours de la même humeur depuis César, et on aurait dit qu'ils avaient pris modèle sur les Rèmes, tant ils étaient déférents pour l'autorité romaine, désireux de travailler et de s'instruire, tant ils avaient réussi à faire de Cologne leur ville un sanctuaire de la patrie latine, le plus ardent foyer de vie civilisée qui brilla aux frontières de la Germanie[25].

Ce n'était pas seulement le prestige de Rome[26] qui, sur cette rive, faisait reculer les mœurs germaniques. Les habitudes gauloises continuaient, ainsi qu'avant César, à descendre le Rhin et ses affluents, portées par les marchands et les soldats. A Cologne[27], à Bonn[28] à Nimègue[29], c'étaient des négociants de Belgique qui tenaient les principaux marchés. Les dieux de la Celtique, et notamment le grand Mercure des Arvernes[30], y avaient leurs adorateurs. De proche en proche, la langue gauloise se répandait partout, jusque dans les iles les plus lointaines des Pays-Bas. Tous les lieux de foires, le long du Rhin et même chez les Ubiens, gardaient des noms d'origine celtique[31]. Aux abords de file des Bataves, les deux principales localités paraissent de fondation gauloise, Lugdunum ou Leyde[32], Noviomagus ou Nimègue. A la faveur de la paix romaine, le monde gaulois s'assurait à nouveau le Rhin comme frontière[33].

 

II. — ALSACE ET PALATINAT[34].

En amont du confluent de la Moselle. il traversait le fleuve à la suite des armées romaines.

Là, en effet, les deux rives du fleuve appartenaient alors à l'Empire et à sa province de Germanie Supérieure : la frontière suivait les sommets du Taunus, enveloppait Francfort, coupait le Mein près de Hanau, donnait à Rome toute la vallée du Neckar, et rejoignait le Danube avant Ratisbonne ; et c'était sur cette ligne, marquée par un rempart continu, que les empereurs avaient reporté les garnisons et les forteresses. Palatinat, Souabe et Forêt-Noire étaient terres latines.

Mais Rome, en se les appropriant, avait aussi travaillé pour la Gaule. Un intense mouvement d'émigration s'était produit de l'ouest à l'est, entraînant vers les terres vacantes du Wurtemberg et du pays de Bade les prolétaires et les gagne-petit de toute la Gaule ; et il se mêla à eux force brasseurs d'affaires ou fermiers de biens fiscaux venus de Trèves et de Belgique[35]. Les légats eurent tout intérêt à laisser ces nouveaux venus se domicilier dans les régions conquises : ils peuplaient et cultivaient le pays, et on pouvait être sûr de leur obéissance. Ces jolies bourgades qui s'étagèrent près des rives fertiles du Neckar ou du haut Danube furent sans doute-des colonies gauloises[36]. Les anciens établissements des Suèves d'Arioviste n'étaient plus que des îlots environnés de Romains et de Celtes[37] : les héritiers de César et de Dumnorix avaient pris sur les Germains une revanche complète. Après tout, les Gaulois ne faisaient que reconquérir les domaines que leur avait jadis donnés Ségovèse le Biturige, et ils retrouvaient en Souabe le nom et les vestiges de leurs frères les Helvètes, mal effacés par les batailles d'Arioviste[38].

Il en résulta que sur la rive gauche du Rhin, dans les plaines et les Vosges d'Alsace et de Palatinat, les choses et les gens de Germanie n'avaient pu faire installation durable. Arioviste n'y était resté que quinze ans[39], et il s'en était enfui en vaincu. Les Romains avaient bien permis à quelques-unes de ses bandes de se fixer sur la rive gauche, d'y former de petites cités[40], les Triboques autour de Brumath et de Strasbourg[41], les Némètes autour de Spire[42], les Vangions autour de Worms[43]. Mais ces troupes ne pouvaient pas être très nombreuses[44]. Elles demeuraient sans lien avec la Germanie, dont la séparaient de vastes terres romaines. Et sur les territoires qui leur avaient été assignés vivaient de longue date des populations celtiques, lesquelles étaient, sans aucun doute, fort supérieures en nombre et en culture aux nouveaux venus[45].

L'Alsace et le Palatinat, dans la mesure où ils ne devinrent pas romains, restèrent donc franchement gaulois. Les noms de toutes leurs bourgades sont de langue celtique, et en particulier ceux des trois chefs-lieux de peuplades, Brocomagus ou Brumath, Noviomagus ou Spire, Borbetomagus ou Worms. Aucun indigène ne porte un nom d'origine germanique[46]. Le principal dieu de l'Alsace est le Mercure des Celtes[47], et c'est lui surtout. que l'on va prier au Donon.

L'influence romaine se fit modérément sentir sur ces terres, moins qu'à Besançon plus voisin de Lyon et qu'à Trèves plus voisine des grandes armées. Car les garnisons ne furent jamais très fortes sur cette portion du Rhin. S'il servit de frontière jusqu'à Domitien, ce n'était point de ce côté que se trouvait le danger germanique[48] ; d'ailleurs, en Alsace et dans le Palatinat, le Rhin se défendait de lui-même par la largeur de son lit et les marécages qui le bordent[49]. Puis, sous Domitien, la frontière fut reculée au delà du Neckar. Entre les Vosges et le fleuve, on ne créa aucune colonie, les stations militaires furent réduites à deux ou trois camps indispensables[50], dont Strasbourg était le principal, et la vie civile put se dérouler avec le même calme que sur les rives de l'Aisne ou de la peine.

Cette vie, il semble qu'elle frit surtout agricole, un peu industrielle. L'industrie donnait poteries[51], l'élevage jambons et charcuterie, l'agriculture du blé, des fruits et des légumes[52], et je ne puis croire que la vigne ne s'éployât point déjà sur les coteaux de Riquewihr. Le charme et le bonheur de ces pays venaient en particulier de ses dernières pentes vosgiennes, si fraiches et si fertiles. Ce n'était que dans le Palatinat, à Worms, à Altripp, à Spire, que des bourrades acceptaient de vivre sur les bords mêmes du Rhin. Au sud des bois de la fauter, où l'Alsace commence, les lieux habités évitaient ses rives trop basses, encombrées de fossés et d'eaux stagnantes, impropres à la vie urbaine et au mouvement commercial[53] ; les gros bourgs ou les grands marchés se tenaient au centre. des terres de culture, à l'endroit où les collines commencent à bomber, à la lisière entre montagnes, forets et plaines[54], à Brumath[55], Colmar[56] ou Strasbourg ; le plus proche du fleuve, Strasbourg, en est encore distant de plus d'un mille[57].

Strasbourg, qui inaugurait alors ses destinées urbaines, croissait lentement sur les terres aplanies qu'encadrent les derniers replis de l'Ill, la rivière maîtresse de l'Alsace[58], avant de se perdre dans le fleuve d'à côté : à cet endroit finissait la grande route de Pris et de Reims, qui venait de traverser les Vosges entre les sapinières du col de Saverne[59] ; en face, sur l'autre côté du Rhin, partait une chaussée neuve que l'empereur Vespasien avait fait construire pour s'en aller rejoindre la voie du Danube. C'était bien là, à la rencontre de ses eaux et de ses chemins, le carrefour souverain de l'Alsace, sa capitale nécessaire le jour où elle se constituerait enfin en région indépendante. Pour le moment, il n'y a à Strasbourg quo quelques soldats qui montent près du Rhin une garde inutile[60] et les marchands ou les prêtres qui les nourrissent ou les occupent.

Ce temps à venir, d'une Alsace province distincte et personne morale, la domination romaine le préparait. A l'époque des Gaulois, ces terres avaient été de simples annexes des Médiomatriques lorrains ou des Séquanes francs-comtois. Les voici maintenant groupées sous des peuplades spéciales avec des capitales à elles seules[61] ; et les voici toujours séparées de la Germanie par l'immense fossé du Rhin. Une grande ville de dessine, qui servira de foyer commun à leurs villages dispersés et qui leur sert déjà de citadelle. Un esprit et des facultés propres ne peuvent tarder à se montrer chez les hommes qui les habitent, entre ces montagnes d'où elles descendent et ce fleuve où elles s'arrêtent.

 

III. — EN SUISSE ; LES HELVÈTES[62].

Tandis que l'Alsace commençait à conquérir son individualité, la Suisse s'éloignait de l'unité à laquelle l'avait préparée la forte domination des Helvètes[63].

Les Romains, il est vrai, laissèrent aux Helvètes la meilleure partie du pays, la plus propre aux riches cultures et aux bonnes routes : c'était la longue et fertile vallée centrale, celle qui va du lac de Constance au lac de Genève. La, au beau milieu de ses terres, de ses eaux et de ses chemins, la vieille nation celtique se donna sa capitale à la façon moderne, Avenches[64] ; et cette ville toute neuve et toute blanche se dressa près de cette station de La Tène, sur le lac de Neuchâtel, qui avait été un. des plus grands marchés de l'Europe centrale dans les temps lointains de la Gaule indépendante[65]. Car les hommes ont beau changer de maîtres et les nations d'allures, les mêmes lieux dominateurs s'imposent à leur vie, ils sont soumis aux mêmes confluents de rivières et aux mêmes croisées de routes ; et dans cette Suisse qui est au centre de l'Europe, au pied de ses plus grandes montagnes, entre Rhin, Rhône et Danube, il y aura éternellement quelques-uns des lieux et des chemins qui feront la loi au monde.

Les Helvètes détiennent les meilleurs. Avenches a pu grandir très vite, aimée de quelques empereurs[66]. Elle est ornée et élégante, riche en autels, en temples, en statues[67] ; les dévots s'y donnent rendez-vous[68] ; elle possède, telle que Nîmes, sa source sacrée[69] ; le sénat, les magistrats, les amis de la nation y ont leur résidence, et l'ont, si je peux dire, après leur mort aussi bien que dans leur vie : car les Helvètes reconnaissants ne cessent d'élever à Avenches des statues en l'honneur de leurs nobles patrons ou des plus dignes de leurs concitoyens[70].

Pourtant, Avenches ne fut point, comme Trèves, Bordeaux ou Clermont, une métropole absorbante et jalouse. Ces vallons et ces lacs des Alpes et du Jura ne se résigneront jamais à obéir à une ville unique. Chacun d'eux voulut sa petite capitale[71], qu'il plaça d'ailleurs au bon endroit, dans la vallée centrale de la nation, afin d'en recueillir à son profit quelques avantages, récoltes de la terre ou affaires de trafic : Winterthur, à la porte des Helvètes sur le lac de Constance, la citadelle la plus avancée de la Gaule dans les terres de l'Europe centrale[72] ; Zurich, à la pointe de son lac interminable, chère aux chasseurs d'ours des montagnes voisines[73] ; Baden, aux bords de la Limmat, la ville thermale de la nation, industrieuse[74] et charmante, où les officiers venaient oublier les ennuis de la vie de garnison, et où les marchands faisaient d'excellentes affaires[75] ; Windisch, au bée de l'Aar et de la Reuss, forteresse pleine de rudes soldats[76], gardienne du carrefour où les routes des Alpes et de Lyon convergeaient à la rencontre du Rhin[77] ; Soleure, sur l'Aar, qui regarde paisible les allées et venues des mariniers de sa rivière[78] ; Yverdon, à la tête du lac de Neuchâtel et à la porte du Jura[79], jadis forteresse et aujourd'hui petite ville bourgeoise[80] ; Lausanne enfin, sur le cintre du lac Léman, à la descente des routes d'Italie et de Franche-Comté, active et prospère, habile à tirer profit des ressources de son heureuse situation[81]. En face de tant de rivales sur le sol des Helvètes[82], Avenches devait limiter ses. ambitions à sa parure monumentale, à son rang de métropole, au titre de colonie romaine que lui décerna Vespasien[83], au luxe que lui apportait le séjour de grandes familles[84].

Mais les Helvètes eux-mêmes se voyaient disputer les routes et les lacs de la Suisse par d'autres cités.

La haute vallée du Rhin avait été confiée par les Romains à la province de Rétie[85], la haute vallée du Rhône aux provinces alpestres. Au sud, la pointe du grand lac Léman appartenait toujours aux Allobroges de la Narbonnaise : ils y gardaient leur port de Genève, plein de bateliers[86] et cher à Apollon[87]. Près de là, aux bords du même lac, César avait fait bâtir, sur terrain enlevé aux Helvètes vaincus[88], la colonie romaine de Nyon[89], et, solidement campée sur sa colline aux terrasses pittoresques, la petite ville observait en sentinelle vigilante les défilés du Jura[90] et la chaussée militaire qui menait de Lyon en Germanie. Au nord, près de Bâle, donnant la réplique à Nyon[91], une autre colonie, Augst[92], protégeait, des pentes de son coteau, l'arrivée sur le Rhin de cette même route, lorsqu'elle avait franchi le dernier éperon du Jura par une brèche profonde[93].

Serrée entre les légionnaires d'Augst et les colons de Nyon, entre la frontière militaire et le bord de la Narbonnaise, vivant proche de Lyon, la cité des Helvètes se laissa gagner de très bonne grâce par les hommes et les habitudes d'Italie, et plus vite même que sa voisine de Franche-Comté. De leur passé gaulois, ils ne conservaient que les dieux, leur Mars surtout, d'ailleurs fort malaisé à reconnaitre sous son casque et sa cuirasse à façon romaine[94]. La langue celtique fut oubliée dans toutes leurs bourgades, et je ne sais même si elle survécut dans les montagnes[95]. Ils recherchèrent ou formèrent des professeurs, des médecins, des juristes et des orateurs[96]. Un de leurs maitres de la parole, Cossus, eut raison de la force la plus brutale qu'ait connue le monde romain après l'armée de Sylla, et qui fut l'armée de Vitellius.

Mais changer de langage et de coutumes, cela ne signifie point changer de caractère. La Suisse et ses hommes ne modifièrent point leur tempérament naturel et nécessaire. De même qu'au temps où ils travaillaient l'or du Rhin gaulois, les Helvètes restaient experts en l'industrie du métal, bons comme orfèvres, argentiers[97] et bronziers[98]. Ils avaient autrefois déversé sur la Gaule et l'Italie des troupes d'émigrants et des bandes de mercenaires : maintenant, ils fournissent l'Empire de soldats fidèles[99] ou de placiers en marchandises[100]. Jadis, ils faisaient grand accueil, aux trafiquants grecs, aux caravanes venues d'Italie ou du Danube, et l'on disait même que les Argonautes s'étaient arrêtés aux bords de leurs lacs[101] : et sous l'Empire, la Suisse ne cesse de s'ouvrir aux banquiers italiens[102], aux marchands orientaux, aux écolâtres et aux artistes grecs, aux touristes fuyant les chaleurs de l'été[103], aux soldats que Rome expédie à ses frontières. Car il faut bien, pour tout long voyage en Occident, passer par la Suisse : de Bretagne en Italie, d'Italie en Germanie, de Gaule ait Danube, c'est la terre où se nouent les grandes routes de l'Europe ; elle est comme pays ce qu'est Lyon comme ville, carrefour et caravansérail[104].

 

IV. — LES PROVINCES ALPESTRES.

La province de Germanie Supérieure, à laquelle appartenaient les Helvètes, ne dépassait pas au sud le massif des Alpes Bernoises[105]. Mais de l'autre côté des montagnes, dans la haute vallée du Rhône, ce n'était pas encore la Gaule.

De même que le long du Rhin, les empereurs avaient, le long des Alpes, détaché de la contrée gauloise une étroite bande de terrain pour la constituer en provinces distinctes. La Narbonnaise n'était nulle part limitrophe de l'Italie[106]. Entre les deux contrées se plaçaient de petits districts de montagnes, gouvernés par des intendants du prince — celui des Alpes Pennines dans le Valais[107] et celui des Alpes Grées dans la Tarentaise[108], l'un et l'autre administrés le plus souvent par un seul chef ; puis, celui des Alpes Cottiennes, qui s'étendait sur les deux versants, dans les hautes vallées de la Doire de Suse et de la Durance de Briançon[109] ; celui des Alpes Maritimes, enfin, qui, par le haut Verdon et le Var, descendait jusqu'à la mer, à Cimiez au-dessus de. Nice, à La Turbie au-dessus de Monaco[110].

De même encore q« dans les deux Germanies riveraines du Rhin, c'étaient les intérêts militaires qui avaient amené dans les vallées alpestres la création de ces quatre provinces. Il fallait maintenir la libre circulation des cols sur la montagne, aussi nécessaire à la vie générale de l'Empire que la sécurité sur les berges du grand fleuve. Les cols faisaient l'union entra l'Italie et l'Occident, par eux passaient les routes, les courriers, les soldats, les marchands : et il était si facile aux avalanches de couper les chemins, et aux montagnards de les bloquer !

On installa donc dans le pays des gouverneurs particuliers, à la fois directeurs (les ponts et chaussées et chefs de la police, assistés de bureaux qui ressemblaient à des agences de voirie, et de garnisons qui ressemblaient à des brigades de gendarmerie. Chacun d'eux eut sa grande route à surveiller et le passage par où, à travers la chaîne principale des Alpes, elle menait d'Italie en Gaule. Si même il était nécessaire, on donnait une commission spéciale à quelque préfet, pour organiser la police ou la circulation sur les cols et les chemins latéraux, ceux qui conduisaient d'une vallée à l'autre par-dessus les contreforts descendus des montagnes frontières : car ces cols et ces chemins de traverse, peu fréquentés et mal entretenus, pouvaient être des guêpiers à embuscades.

Il s'ensuivit encore que dans les Alpes ainsi que sur le Rhin, la civilisation romaine s'implanta avec une force plus grande. Les pays étaient sauvages, et rudes les hommes : mais tenus de plus près, les uns et les autres se convertirent plus vite. Ces routes qui s'avançaient au milieu d'eux, les plus pleines de l'Occident, toutes chargées d'effluves italiens, agissaient dans les vallons alpestres avec un rayonnement aussi intense qu'une colonie de citoyens romains dans les plaines du Languedoc.

On abandonna les vieilles redoutes ligures perchées sur leurs croupes pour élire domicile autour des larges esplanades de marchés, au niveau de la route[111]. Les plus gros villages d'en bas, pressés entre les rochers et le torrent[112], s'arrangèrent pour présenter l'air de petites villes au voyageur qui leur demandait couvert ou gîte[113]. Ceux que les intendants avaient choisis pour résidences, Martigny en Valais, Aime en Tarentaise, Embrun sur la Durance, Cimiez près de la mer, prirent même l'allure de capitales en miniature, se donnant le luxe de statues[114] et de lieux de spectacle[115], faisant effort pour être élégantes et gaies[116], dignes du chef qui y représentait César. Car ces intendants n'étaient pas de petites gens ou des fonctionnaires sans esprit. On les choisissait parmi les chevaliers romains de bonne famille, actifs, riches, instruits[117] ; ils avaient autour d'eux leur cortège d'esclaves et leur cour d'amis[118], leur autorité était quasi souveraine, et ils pouvaient se croire. comme avaient été les Cottius dont ils administraient l'héritage, les rois de ces montagnes. Quand ils s'ennuyaient trop et se sentaient en lieu d'exil sur ces tristes rochers nu dans ces vallons fermés[119], ils pensaient à leurs amis de Rome[120], ils rédigeaient des notes sur le pays ou ils composaient des vers en l'honneur des dieux champêtres[121].

Autour d'eux, tout le monde voulait imiter le maitre[122]. Les Ligures de la montagne coupaient leurs longues chevelures et se rasaient à la romaine[123]. On ne portait plus que des noms latins, ou à la rigueur des noms gaulois[124]. L'usage de l'épigraphie se répandait partout[125]. Des sanctuaires hospitaliers s'élevaient sur les plus âpres sommets. Les dieux de la montagne et de la forêt perdaient leur extérieur hirsute et farouche, ils se disaient des Sylvains et ne dédaignaient pas les hommages en vers d'une facture classique[126]. Les plus notoires de leurs dévots étaient fiers de porter les titres latins de décurions, de duumvirs ou de flamines, d'être inscrits sur les registres d'une tribu du peuple romain[127]. A Aime, à Suse ou à Martigny on était plus mêlé à la vie romaine qu'à Rennes ou à Rouen. Les Alpes renonçaient volontiers à leur passé, alors que les Pyrénées de l'ouest gardaient le leur obstinément[128].

Mais la puissance souveraine de l'endroit, c'était la grande route, droite, dure, plane et blanche, que le mouvement incessant des hommes, l'ébranlement de la chaussée par un charroi continu, le galop des chevaux de la poste impériale, semblaient rendre mobile elle-même. Grâce à elle, la vie s'agitait à travers les plus redoutables sommets, sur les plateaux de l'Alpe silencieuse, au pied des glaces éternelles. Même dans les mois où l'hiver recouvrait tout de ses neiges, on devinait la voie à la ligne de poteaux qui jalonnait son tracé invisible. A la limite des montagnes, un porche monumental annonçait parfois son départ et son arrivée[129]. Elle faisait la rue maîtresse des villes de la vallée, Martigny, Saint-Maurice, Aime, Suse, Embrun ou Briançon ; les villages n'étaient qu'une suite de quelques maisons sur ses bords. A l'endroit où elle franchissait le col, le voyageur s'arrêtait comme sur un seuil sacré pour adorer le dieu de la montagne et du passage : au col du Grand Saint-Bernard dans les Alpes Pennines régnait le dieu indigène de la tête des monts, Penninus, maintenant transformé en Jupiter[130] ; à celui du Petit Saint-Bernard dans les Alpes Grées s'était fixé Hercule[131], qu'on cherchait du reste un peu partout dans les Alpes[132] ; à celui, du mont Genèvre dans les Alpes Cottiennes, le plus bas et le moins triste, on adorait une divinité plus humaine, la Mère ou la Matrone qui gardait en cet endroit. la source de la Durance[133]. Mais toujours un autel et un temple marquaient le sommet de la route. Un dieu ouvrait et fermait le passage.

Je viens de nommer les trois principales routes, et elles correspondaient aux trois vallées les plus riches en cultures, en bourgades et en habitants[134], les Alpes Pennines en Valais, les Alpes Grées en Tarentaise, les Alpes Cottiennes en Briançonnais. Dans les intervalles, les autres vallées étaient moins populeuses ou moins fréquentées : la Maurienne et le mont Cenis avaient été négligés des Romains. Plus bas, dans les Alpes Maritimes, les cols ne comptaient.pas pour la vie générale de l'Empire[135], et leurs petites vallées, presque fermées de tous côtés et oubliées des gros marchands, se serraient autour de quelque vieille bourgade demeurée sur les pentes de, son rocher, Briançonnet, Senez ou Castellane[136].

Mais plus au sud, dans ces mêmes Alpes Maritimes, le Var élargissait son lit et son vallon[137]. Il finissait par s'ouvrir avec la démarche d'un grand fleuve, et en face de la Méditerranée. Alors, à gauche et à droite de ses rives, s'étageaient de plus amples bourgades, Cimiez, Vence, sur les pentes de montagnes sans âpreté, sous un ciel clair et tiède ; et là, on touchait aux rivages de la mer et aux belles cités antiques, filles lie la Grèce et sœurs de l'Italie, Nice et Antibes. — A Nice, nous retrouvons la plus méridionale des routes qui traversent les Alpes, celle par laquelle, au début de ce voyage, nous avons pénétré dans les Gaules.

Mais ce voyage n'est point terminé. Il nous manque d'avoir visité la ville vers laquelle convergent ces routes, Lyon.

 

V. — LYON.

A chaque carrefour des chemins que nous avons suivis dans ce voyage, la pensée de Lyon est revenue à notre esprit. Les routes que nous croisions partaient de la cité maîtresse ou se dirigeaient vers elle ; les villes où nous nous arrêtions recevaient ses marchands, ses ordres ou son influence s. Des grandes provinces transalpines, il n'en est aucune qui ne se rapproche d'elle[138]. Lyon appartient à la Celtique : mais l'Aquitaine arrive près des pentes du mont Pilat[139], et la Belgique ou la Germanie ont fini par revendiquer pour elles l'Helvétie et la Franche-Comté[140] ; et si la ville, à titre de chef-lieu politique, ne commande qu'à ces Trois Gaules, sa suprématie commerciale et son autorité morale s'exercent sur les cités de la Narbonnaise, car elle domine le cours du Rhône, et du haut de Fourvières on peut apercevoir les premières terres de la vieille province méridionale. Ainsi, dans la façon dont ils avaient découpé leurs régions administratives, les Romains avaient su se plier à la souveraineté naturelle du confluent lyonnais.

Est-il besoin ensuite de terminer par un plus long arrêt à Lyon cette promenade à travers la France latine ? Nous connaissons déjà la ville plus qu'à moitié, puisqu'elle était, suivant les mots des Anciens, le centre, la citadelle et le marché de la contrée[141], la tête des Gaules[142], le grand foyer de la vie romaine, et que les Gaulois lui envoyaient sans relâche leurs hommes, leurs marchandises et leurs dieux pour y recevoir une forme nouvelle, de même que les ouvriers jettent au creuset les métaux à mélanger et à façonner. Analyser la Gaule et raconter son histoire, ce que nous avons fait jusqu'ici, c'est parler de Lyon.

Son site et sa place répondent aux conditions nouvelles que l'Empire a faites à notre pays. Au temps de l'indépendance, la Gaule avait donné à ses plus hauts lieux la gloire et la puissance : son dieu séjournait au puy de Dôme, les plateaux abrupts de Bibracte et de Gergovie présidaient aux nations, et le seul peuple qui fût parvenu à se faire obéir de tous était celui des montagnes arvernes. Maintenant, la force et la vie sont descendues sur les coteaux qui bordent les routes et les fleuves[143] : Autun et Clermont héritent de Bibracte et de Gergovie ; le sanctuaire impérial de Rome et d'Auguste s'élève à la rencontre du Rhône et de la Saône ; et, tout ainsi que Rome ; son Tibre et son Capitole ont enlevé la maîtrise du Latium au Jupiter et aux montagnes d'Albe, Fourvières et son confluent succèdent, dans l'Empire de la Gaule, aux terres et aux dieux des sommets arvernes.

Les temps de Lyon étaient venus. Quand même les chefs romains eussent méconnu sa position, elle se fût imposée aux peuples[144]. Du moment que la Gaule était réunie en un seul corps, le centre naturel de ce corps devait s'animer d'une vie intense. Du moment que les Gaulois ne se livrent plus qu'au travail des champs, de la fabrique et de la route, il fallait qu'une ville grandît au carrefour des chemins les plus populeux. Et enfin, l'État souverain de ce pays et de ces hommes résidant en Italie, il était fatal que ce carrefour de Lyon, terme de tous les chemins des Alpes, devînt un foyer de vie latine, le rendez-vous des hommes du Midi à leur entrée dans les Gaules.

Le mérite des Romains est d'avoir compris ces choses dès le début de leur domination, et, la conquête à peine terminée, d'avoir doté Lyon des deux institutions les plus propres à l'aider dans sa mission de capitale. A Fourvières, on bâtit la plus importante des colonies : et voilà Lyon image de Rome, dépositaire des lois et des mœurs du peuple suzerain[145]. Au Confluent, on bâtit le principal des temples gaulois : et voilà Lyon cité sainte de la Gaule et son image divine[146].

En haut, sur les bords de la Saône, c'est la ville latine, pareille à toutes les villes que les Grecs et les Italiens ont fondées dans leur longue histoire : elle a ses remparts, ses tours, ses portes, encadrant d'une enceinte continue le sommet et les flancs de la colline[147], muraille aussi sacrée que celle d'une Rome ou d'une Athènes. A l'intérieur, ce sont les édifices traditionnels du Midi, temples, basiliques, curies, aux façades brillantes de colonnes de marbre, aux frontons réguliers qui se profilent vers le ciel[148] ; et ce sont aussi les bâtiments plus sombres et plus massifs que réclame la vie publique d'une capitale, le prétoire du gouverneur, le palais du prince, la Monnaie, la prison, la caserne de la garde[149]. On a ménagé aux abords des remparts[150] : les vastes emplacements destinés aux plaisirs populaires, et là se sont construits thermes[151], cirque[152], théâtre[153] et amphithéâtre[154]. Le centre de la cité, le sommet de la colline a été réservé au forum : il s'étend sur l'esplanade de Fourvières, bordé de colonnades et de portiques, encombré tout ensemble de statues et d'êtres vivants, sans cesse embrumé par la fumée des sacrifices[155]. De là, les rues dévalent vers la Saône, étroites et rapides[156]. Sur la rivière sont les ports des bateliers[157], les magasins du commerce, les bureaux de la douane, l'entrepôt des vins, aux barriques tassées comme des troupeaux[158]. Et du haut de la ville à la grève d'en bas, monuments superbes, humbles boutiques, dépôts de marchandises, se pressent, se heurtent, s'enchevêtrent, dans une cohue de pierres, de briqués et de bois, où l'œil n'aperçoit ni symétrie ni harmonie, mais d'extraordinaires rencontres de lignes et de couleurs : et l'impression qu'il reçoit vient du pittoresque plus que de la beauté.

De l'autre côté de la Saône[159], sur les larges espaces des Terreaux, le spectacle est différent. Le quartier du Confluent[160] a l'ampleur d'une cité dé fêtes, le sol y est plus libre et l'horizon plus épanoui. Adossé aux pentes du coteau, voici l'autel monumental d'Auguste, que couronnent les Victoires triomphantes[161] ; en arrière se dresse, l'abritant de son ombre, le grand temple de marbre[162] ; sur les côtés et dans le bas sont les jardins et les bois sacrés[163], des chapelles, le théâtre[164], les arènes[165], les thermes ; entre les édifices s'étendent des aires découvertes, des places lumineuses ; partout se tiennent, en majestueuses rangées, un peuple de statués de marbre ou de bronze, assemblée des dieux qui protègent la Gaule impériale et cortège des glorieux défunts qui ont mérité sa reconnaissance. C'est ici son lieu de fête nationale, où elle vient chaque année réveiller ses souvenirs et glorifier la paix latine. Car il n'importe que Lyon soit colonie d'origine romaine, qu'il y ait sur la colline un gouverneur, des soldats, des vétérans et des marchands d'Italie : la Gaule a repris le lieu pour elle, en envoyant ses prêtres au Confluent[166] et ses commerçants à Fourvières[167].

Comme Lyon est devenu un admirable résumé de la nation, réunissant les deux traditions de la vie gauloise et les présentant sous une forme classique ! La Gaule s'était attachée jadis à bâtir des villes : et elle a aujourd'hui pour capitale une ville belle et riche entre toutes. Mais elle avait aimé aussi les champs de foires, marchés autour de sanctuaires : et rien dans ce genre n'était plus grandiose que le Confluent. Fourvières faisait songer à Athènes et au Pirée ; le Confluent, à Delphes ou à Olympie.

A Fourvières, le bruit et l'agitation ne s'arrêtaient point. C'était un fourmillement d'hommes et un remue-ménage de choses. Tous les costumes, toutes les langues, toutes les conditions de la Gaule et de l'Empire s'y rencontraient : généraux romains aux manteaux de pourpre[168], affranchis de César avec leurs cortèges d'esclaves[169], licteurs armés d'antiques faisceaux, prétoriens sous le panache flottant[170], vieux soldats à la démarche régulière et au verbe haut[171], armateurs ou marchands gaulois en tunique, portant la barbe touffue à l'ancienne mode, paysans en cagoule le capuchon rabattu sur le dos, Africains[172], Grecs, Asiatiques[173], Juifs et Syriens[174] à la tunique flottante, Germains[175] ou Bretons[176] à la longue chevelure. Et cette foule affairée et bavarde allait et venait, telle que des vagues autour d'ilots, le long de véhicules et de bêtes sans nombre, fardiers chargés de plomb ou de marbres, camions pleins de poteries[177], de verres, de lainages ou de tissus, de jambons ou de conserves de toute espèce, voitures aux sacs cachetés de plombs mystérieux, longues charrettes ployant sous le poids des barriques de vin ou des amphores d'huile[178], ânes ou mulets aux sacs en équilibre, chaises de poste réclamant la voie libre, tous les produits et tous les voyageurs de l'Occident, se hâtant vers un but connu, s'échangeant sur les rives de la Saône entre les barques et les voitures, les eaux et la route[179].

Au Confluent, ainsi qu'à l'Altis d'Olympie, régnait d'ordinaire un majestueux silence, où les arbres poussaient lentement leur ombre sur les statues immobiles à leur pied. Mais au mois d'août, comme par un miracle, la solitude s'animait d'une vie formidable et sacrée. Des théories de prêtres, aux vêtements blancs bordés de pourpre, traversaient les places ; l'encens en fumée et les hymnes en musique montaient de la terre réveillée ; des guirlandes de fleurs ornaient les statues, qui semblaient elles aussi sortir de leur sommeil[180]. De toutes parts surgissait la foule, arrivant par les routes, descendant des coteaux, sortant des barques, recouvrant les berges. Alors les fêtes commençaient, les chars couraient dans le cirque, les taureaux mugissaient dans l'amphithéâtre, les gladiateurs s'escrimaient sur l'arène[181], les orateurs déclamaient au théâtre, et de mille gradins chargés d'hommes s'élevaient des clameurs sans fin, à faire trembler dans le ciel les vieux corbeaux de Fourvières.

Fourvières, par contrecoup, et les bords des deux rivières, les deux rivières elles-mêmes, et les faubourgs, les campagnes voisines, tout s'excitait et se surexcitait dans une prodigieuse effervescence de bruit et de mouvement. On eût dit qu'un dieu, Mercure le Gaulois ou Auguste l'empereur, fût passé sur ces terres et ces hommes pour les mettre en délire. Des foires se tenaient pendant la durée des fêtes. Le monde entier accourait à Lyon pour acheter et pour vendre. J'imagine qu'il se préparait longtemps d'avance à ces journées de bataille commerciale. Il faut se figurer les rues, les quais, les places, les carrefours, remplis de tentes, de bancs et d'étaux, au milieu desquels pendant le jour les groupes se pressent et se choquent ; et, le soir enfin, les foules se dispersant à travers les bouges et les tavernes innombrables qui s'alignaient dans la cité en liesse. Et si l'on songe que ces fêtes et ces foires avaient lieu lors des premiers jours d'août, aux heures où le soleil donne enfin à Lyon de la chaleur et de la beauté et l'enivre de lumière et de flamme, on comprend l'intensité des passions qui agitaient cette multitude et quelles folies s'emparaient d'elle.

Bien, dans le monde d'aujourd'hui, ne peut nous donner une idée de ce Lyon antique sous sa double face, la cité permanente d'affaires, la foire sainte des grands jours. Il faut, pour le comprendre, unir des spectacles de la France contemporaine et des souvenirs de la France ancienne, le Paris des Halles, du Marais et de Bercy et le château royal du Louvre, les courses de Longchamp, la foire de Beaucaire et les pèlerinages nationaux de Lourdes. Nous avons séparé dans l'espace et le temps les différentes formes de l'activité humaine, gouvernement, marchandise, spectacle et dévotion. Les Anciens les unissaient d'ordinaire. Ils aimaient, en de certaines heures de leur existence, sur de certains lieux de leurs patries, à faire agir ensemble, dans une émotion commune, toutes les forces et tous les désirs de leur âme et de leur corps. Nulle part plus qu'à Lyon la Gaule n'atteignit à cette intensité de vie.

Ce n'était pas impunément que les Lyonnais traversaient au Confluent ces journées d'exaltation, ou qu'ils hébergeaient à Fourvières des marchands de vingt pays. Ils pratiquèrent, plus tôt et plus intimement que n'importe quelle cité de Gaule, toutes les religions de l'Empire. Leur ville fut un pandémonium où chacun put choisir le culte et prier les idoles qui convenaient à son tempérament. Les Gaulois y virent leur Mercure et leurs Mères[182], les Romains leur empereur[183], Isis y monta par le Rhône avec les Orientaux[184], Bélénus ou Apollon, qui avaient jadis éclairé de leurs rayons la colonie naissante de Fourvières[185], accueillirent Mithra à leurs côtés[186], la ville fut choisie par la Mère des Dieux pour être sa capitale au delà des Alpes, et c'est elle qui la première fit connaître au monde l'Église chrétienne des Gaules. En dépit des intérêts vulgaires qu'y suscitait la vie marchande, des plaisirs ignobles qu'y encourageait l'autorité publique, Lyon était imprégné de dévotion et de mysticisme[187]. Les formes les plus diverses de la religion s'y rencontrèrent. Ce n'étaient pas seulement les grands dieux qu'on cultivait d'une façon rare, mais aussi les Génies[188] et les Mânes. On entourait les morts d'une tendresse infinie, et les affections familiales se paraient de pieuses formules. Lyon réchauffait la foi de tous les hommes. Il était le gîte suprême des dieux qui vont mourir, et le premier foyer des cultes adolescents. C'est dans son amphithéâtre que succomba le dernier des prophètes gaulois, au milieu de l'émoi du populaire, qui le croyait immortel ; et c'est à la même place qu'expirèrent les martyrs chrétiens, accompagnés de la pitié de tous, signe des temps nouveaux[189]. En ce lieu de Lyon où la Gaule jouissait de la plénitude de sa vie romaine, elle dit adieu aux croyances de son passé, elle s'initia à collés de son avenir.

 

 

 



[1] Ouvrages de vulgarisation : Dragendorff, Westdeutschland zur Rœmerzeit, 1912 ; Koepp, Die Rœmer in Deutschland, 2° éd., 1912 ; Cramer, Deutschland in Rœm. Zeit, 1912. En outre, en dernier lieu Cramer, Rœm.-Germ. Studien, 1914 (réunion d'articles) ; etc. Revues : surtout les Bonner Jahrbücher, CXXII, 1912, etc., et Germania, I, 1917 (l'ancien Korrespondenzblatt de Trèves). — Cf. t. IV, ch. III, § 14. § 3 et s., ch. V, ch. XII, § 3. — Nous n'entendons donner ici qu'un résumé.

[2] La frontière exacte des deux provinces était marquée par le cours du Vinxtbach (Vinxt vient de fines) sur la rive gauche ; en face, sur la rive droite, commençait le mur d'Empire.

[3] Encore, sur ce point, la frontière, après les événements de 70, ne débordait-elle au delà du Rhin qu'en aval de l'Yssel et peut-être seulement du passage d'Utrecht. Camp à Deutz sur la rive droite.

[4] Mur d'Empire, commençant en face du Vinxtbach, et parallèle d'abord au Rhin à une distance de 25 kilomètres au plus jusqu'à la hauteur de Mayence ; c'est ensuite qu'il s'enfonce dans la Germanie.

[5] Rhenus Germanos, avidam gentem belli, repellens ; Sénèque, Quæst. nat., VI, 7, 1.

[6] Du nord au sud, en Germanie Inférieure : Egmond, Katwyk, Roomburg (près de Leyde, Lugdunum), Arentsburg (Prætorium Agrippinæ), et, à côté, Voorburg (Forum Hadriani, près de La Haye), Fectio (Wiltenburg pris de Vechten aux abords d'Utrecht, Trajectum : c'est le port d'embarquement pour la Bretagne, le lieu de passage du Rhin, et peut-être l'emporium essentiel et nécessaire de toutes ces terres), Nimègue (camp important), Rindern (Arenatium ?, près de Clèves, emporium important), Monterberg (Burginatium, près de Calcar), Vetera, près de Xanten (camp principal), Asberg (Asciburgium), Gellep (Gelduba), Neuss (Novæsium, camp important), Dormagen (Durnomagus), Worringen (Segoriga, près de Cologne, peut-être simple vicus), Cologne (camp important). Deutz (Divitia, sur la rive droite, en face de Cologne), Bonn (camp important et ancien lieu de passage), Remagen (Rigomagus). En Germanie Supérieure : Brohl (carrières militaires), Andernach (Antunnacum), Coblentz ? (Confluentes), Boppard (Baudobriga), Bingen (Bingium), Mayence (camp principal), etc.

[7] Tête de ligne, d'après les itinéraires, à Leyde, Lugdunum.

[8] Le grand camp légionnaire de Cologne disparaît sous Claude ; mais Cologne (ou plutôt Alteburg) demeure le centre de la classis Germanica.

[9] Mayence restera toujours en fait, au moins après Vespasien, le centre de la défense militaire de toutes les Germanies romaines.

[10] Ceci a été bien mis en lumière tout d'abord par Hettner dans son article de 1883 (Zur Kultur, etc., Westd. Zeitschrift, II). — Mais à côté des influences latines, il faut faire aussi une part aux influences helléniques, qui se sont exercées sur cette région par l'intermédiaire des soldats d'origine orientale, des esclaves, peut-être des Campaniens, et qui se manifestent par l'emploi de noms grecs pour les divinités, de mots bachiques grecs, de certains sujets funéraires comme le repas.

[11] Je donne les chiffres approximatifs de l'armée du Rhin sous Trajan et sous Auguste.

[12] Pline l'Ancien est venu en Germanie Inférieure, d'abord comme officier, et sous Claude ; il a pu prendre part à l'expédition de Hanovre en 47. Cela contribua à lui faire écrire 20 livres Bellorum Germaniæ.

[13] On a supposé, à cause de sa connaissance des choses germaniques, qu'il avait été légat en Belgique ; son père, chevalier romain, aurait été fonctionnaire impérial dans cette province (Belgicæ Galliæ rationes procurantis, Pline, H. nat., VII, 76).

[14] Pompeium Paulinum... XII pondo argenti habuisse apud exercitum ferocissimit gentibus oppotitum (Pline, H. n., XXXIII, 143) : il s'agit d'un légat de Germanie Inférieure sous Néron.

[15] Ce que lit à cet égard Vitellius comme empereur à Lyon n'a pas pu être sans précédent de sa part à Cologne.

[16] Inscriptions de Mayence : Virodacti sive Lucene (XIII, 6781) ; Flore (6673) ; Laribus Competalibus (6731).

[17] C'est le cas de Mayence. Là, l'élément indigène (trévire ?) a été assez peu fourni : ce devait être primitivement quelque marché gaulois, Mogontiacum, formé autour d'un sanctuaire (Mogonlia, Mogons, sont probablement des divinités apollinaires. La population civile vient surtout d'immigrants. — La transformation en civitas est de Dioclétien au plus tard (XIII, 8727). Auparavant, nous voyons la population civile former : 1° des canabæ, canabarii, avec actor (6730, 8780), ce qui indique l'ensemble des boutiques et entrepôts de marchands ; 2° un ordo civium Romanorum, avec decuriones et curator (XIII, 6789, 6733 ; V, 5747), ce qui désigne les citoyens romains domiciliés ; 3° un certain nombre de vici, vicani Mogontiacenses, avec magistri (platiodanni), curator, actor, quæstor, collegia (XIII, 6676, 8888-9, 6722-3), ce qui s'applique à des groupements par quartiers, et ceci parait l'ancienne bourgade indigène transformée à la romaine. Nous ne pouvons préciser sur les rapports entre ces trois organisations, rapports qui ont pu et dû changer dans cet espace de trois siècles ; et nous ne pouvons pas davantage nous faire une idée nette de l'organisation du territoire destiné à former les pagi de la civitas Mogontiacensis. — C'est sur le futur territoire municipal de Mayence (jusqu'au Vinxtbach sur le Rhin et vers Neumagen sur la Moselle) que Tacite place les Cæracates.

[18] A Cologne, au contraire de Mayence, il s'agit d'une peuplade indigène, les Ubii, ayant toujours conservé son individualité administrative et son territoire, et constituée en colonie sous Claude : le nom latin de la localité, jusque-là Ara Ubiorum (à cause de la présence de l'autel impérial), devint alors colonia Claudia Ara Agrippinensis. — Il allait, en amont, jusqu'au Vinxtbach, et, en aval, au moins jusque vers Neuss. — — L'enceinte comporte 3911 m. et 96 hectares 80. — En dernier lieu, le livre de Klinkenberg.

[19] Il faut bien distinguer le camp de Vetera, sur la colline entre Birten et Fürstenberg, et, à un mille en aval, l'ancienne bourgade marchande de Xanten, dont parle Tacite in modum municipii (Hist., IV, 22), devenue colonia Ulpia Trajana, plus tard Ad Sanctos. — Il est probable que la cité de Xanten s'est formée des territoires de tribus germaniques installées dans celte région par Auguste : les Bætasii de Maëstricht, les Sunuci de Juliers, les Cugerni vers Gellep, les Frisiavones ou autres autour de Xanten (?), etc.

[20] Ulpia Noviomagus est le nom municipal de l'ancien vicus ou oppidum principal des Bataves, Batavodurum, situé sans doute sur la hauteur à 2 kil. de là ; Noviomagus (= marché neuf) a dû désigner le quartier du marché de cet oppidum. C'est à tort qu'on a placé ce Batavodurum du côté de Bois-le-Duc (C. I. L., XIII, 8771). la fameuse dédicace à Hercules Mogusanus (trouvée à Rummel près de là) et signée d'un summus magistratus civitatis Batavorum, prouve seulement l'existence en ce lieu, qui est en Testerbant, d'un sanctuaire important d'Hercule ; il est d'ailleurs probable que, avec l'organisation à la romaine de la civitas de Nimègue, l'expression de Batavi a été étendue jusque-là et jusqu'à Leyde. La civitas de Nimègue répond en principe à l'ancien peuple des Bataves ; mais on a dû y ajouter les tribus des îles, Canninéfates et autres, le Testerbant, le pays de Leyde, Nimègue étant, je crois, la dernière civitas vers la mer.

[21] Le centre du culte des Matronæ est la Germanie Inférieure, et, plus particulièrement, le pays des Ubii, ou, mieux encore, surtout les pagi de Juliers et de Zulpich, et, dans l'ensemble, la région de l'Eifel. Les sanctuaires paraissent consacrés de préférence à des Mères déterminées, mais avec large admission d'autres Mères et d'autres dieux, par exemple : à Gripswald [il doit s'agir de Grinswald entre Ossum et Lank près de Gellep] dans le pays de Mœrs, où les Matronæ Octocannæ associent à Mercurius Arvernus ; à Berkum dans le pays de Bonn, les Atufrafinchæ ; à Rœvenich, Matronæ Gabiæ ; à Embken, Matronæ Veteranshæ ; à Zulpich, les Matronæ Aufaniæ, associées aux Cuchenchæ et Vesuniahenæ (ces trois sanctuaires dans le pays de Zulpich) ; à Vettweiss dans le même pays, les Matronæ Vesuniahenæ ; à Rœdingen dans le pays de Juliers. — Une déesse familière à ces mêmes régions est la dea Sunuxsalis, où l'on est tenté de voir la déesse éponyme des Sunuci du pays de Juliers.

[22] Sanctuaire de Domburg dans l'lie de Walcheren. Ne serait-ce pas la Déméter insulaire d'Artémidore (Strabon, IV, 4, 6) ? — Il y a un autre sanctuaire de Néhalennia à Deutz (XIII, 8498-9), mais il s'agit peut-être de fidèles se rappelant la déesse de Domburg.

[23] Je rappelle qu'ils possédaient dès l'origine, outre l'île allongée entre Wahal et Rhin, la rive gauche du Rhin correspondante, autour de Nimègue.

[24] Quoiqu'il soit fort douteux que ce soient à l'origine terres bataves, rappelons les marchands, marchés et incolæ du port de Fectio, du sanctuaire de Domburg, du Forum Hadriani à Voorburg (collegium peregrinorum, XIII, 8808). Mais il y a aussi des Gaulois établis à Nimègue (8785, civis Nervius, negotiator frumentarius ; 8727, un magistrat des Morins ; 8739). — Industrie savonnière chez les Bataves ; magister figulorum, XIII, 8729,

[25] Outre le commerce, l'industrie, en particulier la céramique, la verrerie. — La vie tendait de plus en plus à être marchande et civile à Cologne ; elle resta plus longtemps militaire à Mayence et à Xanten.

[26] Rappelons une fois de plus l'action plus forte des éléments helléniques au voisinage du Rhin.

[27] Nervius, negotiator pistorius, 8338 ; autres Nerviens, 8339, 8340 ; un habitant du Vermandois, 8342.

[28] Remus, argentarius, 8104. Bonn, malgré son ancienne importance comme camp, tête de route et lieu de traversée du Rhin, resta un simple vicus de la cité de Cologne.

[29] Nervius, negotiator frumentarius, 8725. — Au port de Fectio, colonie de cives Tungri. — A Rindern dans la cité de Xanten, colonie de Remi groupés autour d'un temple de Mars Camulus.

[30] A Cologne, 8235 ; au sanctuaire des Matrones de Gripswald, au sanctuaire de Horn près de Roermond, 8709.

[31] Noms en -magus, noms en -briga, -riga ; et on pourrait en citer bien d'autres similaires à l'arrière du Rhin.

[32] On appelle d'ordinaire Leyde Lugdunum Batavorum sur la foi de Ptolémée (II, 9, 1) : en réalité la localité, tout en dépendant à coup sûr de la civitas de Nimègue (XIII, 8807), devait appartenir, non aux Bataves, mais à une tribu différente, Canninéfates ou autres. — Il est cependant possible que Leyde ait formé quelque temps, à partir des Sévères, une cité distincte (voyez la vignette de la Table de Peutinger). — La question est de

[33] Même à Kastel chez les Mattiaques, en face de Mayence, de l'autre côté du Rhin, voyez l'abondance et la persistance des noms celtiques (XIII, 7281, inscription de 236 ; 7303).

[34] Pour l'Alsace, Schœpflin, l'Alsace illustrée (trad. par Ravenez de l'ouvrage latin de 1751-61 ; fondamental). En dernier lieu, Anzeiger für Elsæssische Altertumskunde, dernier n°, 33-6, août 1918.

[35] XII, 6369, 6372, 6400.

[36] A Sumelocenna (nom celtique) ou Rottenburg, des Helvètes (6369, 6372), et ce sont eux qui ont pu importer là le culte de Mars Caturix (6474) ; ailleurs, des Médiomatriques (6460). C. I. L., XIII, II, p. 216 : Territorium illud occupatum a variarum gentium Gallis. — Culte de Sirona, de Mercurius Arvernurix à Mittenherg (6603), de Mercurius Visucius, en particulier au sanctuaire de Heiligenberg près de Heidelberg (6404 ; cf. 6347), de deus Taranucnus près de Heilbronn (6478), d'Apollo Toutiorix (7364) à Wiesbaden, chef-lieu des Mattiaques, etc. Je ne suis pas convaincu du germanisme de l'Hercule Maliator (6619) ; si on allègue ici le marteau de Thor, je peux alléguer le maillet du Sylvain gaulois. — Extrême abondance de noms celtiques (déjà remarquée par les éditeurs du Corpus, XIII, II, p. 216). — La difficulté de trouver dans les régions transrhénanes des indices germaniques, dieux, noms ou usages, est un des faits les plus curieux de l'histoire de ce temps. — En dernier lieu, Haug et Sixt, Die Röm. Inschriften und Bildwerks Württembergs, 2e éd., 1912 et 1913.

[37] Le principal est à Ladenburg près de Mannheim ; le nom ancien, Lopodunum, est celtique.

[38] De là, peut-être, l'importance relative gardée par les Helvètes dans cette région.

[39] A mettre le chiffre au maximum.

[40] L'origine germanique de ces peuplades est hors de doute ; César, I, 51, 2 ; Strabon, IV, 3, 4 ; Pline, IV, 106 ; Tacite, Germanie, 28.

[41] Civitas Tribocorum, métropole Brocomagus ou Brumath. Elle fut très certainement constituée aux dépens des Médiomatriques d'entre Vosges et Rhin, et correspondait à la Basse Alsace, depuis Schlestadt jusqu'à la Lauter, la station de Concordia (Altenstadt près de Wissembourg ?) marquant, je suppose, la frontière sur la route du bas des Vosges entre les cités de Spire et de Brumath ; autre station frontière de ce côté, mais sur la route du Rhin, à Tribunci [= Triboci ; station qui porte le nom de la civitas], que je crois Lauterbourg (Ammien, XVI, 12, 58).

[42] Nemetes, nom de la civitas ; Noviomagus, Spire, nom du chef-lieu. — Colonie ? — Sur la frontière au sud, n. précédente ; la frontière au nord, du côté des Vangions, était à Altripp sur le Rhin (Concordiæ [cf. n. précédente] duarum stationum, C. I. L., XIII, 6127).

[43] Vangiones, nom du peuple, Borbetomagus, nom de la ville. — Sur la frontière vers Spire ; vers Mayence, je ne vois jusqu'ici aucun indice.

[44] On peut supposer 24.000 par civitas lors du début de la campagne d'Arioviste : c'est le chiffre que César donne pour les Harudes dans l'armée du chef suève (I, 31, 10), et ce chiffre correspond au rapport que l'on peut établir entre les 120.000 hommes de l'armée d'Arioviste (I, 31, 5) et les 7 nations qu'y nomme César (I, 51, 2). Qu'en restait-il après la défaite ?

[45] L'abondance des vestiges gaulois, l'étendue des remparts du mont Sainte-Odile (périmètre de 10.502 mètres, superficie de 100 hectares), le nombre des oppida, indiquent une Alsace fort peuplée dans les temps de l'indépendance.

[46] Voyez les noms des cives Triboci ou Nemetes mentionnés C. I. L., XIII, II, p. 139 et 161. La liste de noms fournis à Brumath par l'inscription XIII, 6013, ne renferme que des noms romains ou celtiques. La celticité des noms en Alsace est constante.

[47] XIII, 5969 (Strasbourg), 6018, 6023 (Mertzwiller), 6028 et s. (sanctuaire de Gundershofen), 6041-5 (Reichshofen), 6002 (Langensoultzbach), 6065 et s. (Hatten), 6054 et s. (au château de Wasenbourg), etc. — Toute cette région du nord-ouest de l'Alsace fut peut-être la plus peuplée ; et peut-être le vicus des eaux thermales de Niederbronn, si riche et si fréquenté, en fut-il le centre et y détermina-t-il une dévotion particulière. — Outre Mercure, comme divinités singulières de l'Alsace, le dieu sylvestre des Vosges ou Vosegus, une mystérieuse déesse Can.... Regina [Cantismerta ?] à Ingwiller (6021-2), le dieu Tribantis aux trois cornes à Langensoultzbach (6061), l'autel Diti Patri de Niederbetschdorf (6071). Nous sommes évidemment en plein milieu celtique, et très peuplé, dans toute cette région de la Moder ; et cela justifie l'hypothèse qu'elle aurait pu être le centre de la civitas des Mediomatrici. — Je me réserve sur le nom étrange du fameux deus Medru [??] de Brumath, qui est en tout cas figuré en Mars (Esp., n° 5349). A Saverne, culte conjoint de Jupiter, Apollon et Mercure, ce dernier sous la forme de Visucius (XIII, 5991). — Le nombre des monuments à Mercure trouvés en Basse Alsace (Triboques) est sensiblement supérieur à la moyenne constatée dans le reste de la Gaule. — L'importance du culte du cavalier à l'anguipède est également très grande en Alsace.

[48] La rive droite du Rhin, en amont de Mannheim, parait avoir été vide d'hommes depuis l'affaire d'Arioviste, dont les dernières troupes ont pu se réfugier à Ladenburg. Auguste et ses successeurs n'eurent aucun péril à écarter de ce côté. Et Vespasien put, sans guerre connue, tracer la route de Strasbourg en Souabe.

[49] Der Rheinstrom, 1889, p. 177 et s.

[50] En remontant le Rhin après Mayence, et encore la continuité de garnisons à ces endroits n'est point prouvée : vers Buconica (Oppenheim), mais garnison disparue de bonne heure (XIII, 6277-8) ; Worms, fortifié sans doute de très bonne heure (6244) ; Alta Ripa, Altripp ; aucune trace à Spire jusqu'ici ; sans doute figlinæ militaires à Rheinzabern, Tabernæ (XIII, 11, p. 164) ; pas davantage de garnison à Seltz, Salctio ; puis il faut aller jusqu'à Strasbourg ; et ensuite jusqu'à Augst.

[51] À Rheinzabern cher les Némètes, cf. note précédente ; et en Alsace.

[52] Cerisiers surtout, asperges, betteraves ? Le blé est supposé d'après l'état postérieur. Ajoutez la vie forestière, l'exploitation des Vosges, qu'il faut supposer régulière et très intense, d'après l'importance dei villages forestiers, ce qui est une constatation essentielle pour l'histoire de ce pays et de la civilisation gallo-romaine.

[53] En Alsace, on devait passer le Rhin à Strasbourg (route de Vespasien), mais je ne peux croire que ce fût sur un pont. — On le passait également à Brisach (mons Brisiacus, dans l'Itinéraire Antonin, que je crois, contrairement à l'interprétation habituelle du texte de Liutprand, IV, 26, avoir été alors, exactement comme aujourd'hui, sur la rive droite), mais pas davantage sur un pont. Il ne serait pas impossible que, sur la rive gauche, il y eût, au point de passage, un lieu appelé également Brisiacus. — Mêmes remarques au sujet du passage à Spire et à Worms.

[54] Cela résulte, outre les survivances dans les sites modernes, des vestiges antiques, et de l'existence d'une grande route sur la ligne des collines, doublant la chaussée qui borde le fleuve.

[55] Brumath, dans la plaine, sur la Zorn, qui descend du col de Saverne, près d'une zone forestière, dut rester marché de bûcherons et de cultivateurs. — Un autre vices important, dans la plaine, était, sur les bords de l'Ill, Helellum (qui doit son nom à la rivière ; aujourd'hui Ehl près de Benfeld), centre d'une population assez dense, qui s'est sans doute groupée aux abords de la fontaine de Saint-Materne ; peut-être y eut-il là un castrum.

[56] L'agglomération était, non à Colmar même, mais à Horbourg, Argentovaria (Argentaria), de l'autre côté de l'Ill ; c'était un vicus (XIII, 5317), transformé en castellum sous le Bas Empire (680 mètres et près de 3 hectares) : autel consacré à Apollon Crannus Mogounus (5315). — Argentovaria, en haute Alsace, dépend, non de la civitas des Triboques, mais de celle d'Augst : la frontière entre les deux est vers Schlestadt, au Landgraben. — Horbourg est la seule localité un peu importante de la Haute Alsace. Sur le terroir de Mulhouse, la vie romaine consistait surtout, semble t-il, en exploitations agricoles (Werner, Bull. du Musée historique de Mulhouse, XXXVI, 1912).

[57] La topographie et la toponymie de Strasbourg sont complexes et encore mal assurées. Le camp, Argentorate, peut être cherché sur l'esplanade dont la Cathédrale occupe le centre ; les canabæ du camp, ou, en tout cas, un vicus civil important, sur la route de Saverne, à Kœnigshofen ; et là étaient aussi le cimetière militaire (5975-8, 5982-3) et les principaux sanctuaires, notamment un mithræum. Plus tard, au IVe siècle ou plus tard, la bourgade civile se rapprocha du camp, le long de la route, et prit alors le nom de Stratæ Burgus, et ce village (je ne crois pas que burgus implique alors un rempart) subsista adossé à l'enceinte romaine bâtie vers la même époque dans le quartier de la Cathédrale sur l'emplacement de l'ancien camp (20 hectares et 1750 mètres). — Au croisement des routes de Saverne et du sud (Kœnigshofen, Langstrasse) et de Brumath et du nord (Schiltigheim), on avait, je suppose, élevé un arc quadrangulaire Quadruviis (place Saint-Pierre-le-Jeune ; XIII, 5971). — Sur les enceintes et agglomérations de Strasbourg, Forrer, Anzeiger d'Alsace, 1913-5, n° 19-28.

[58] Ajoutez le voisinage de la Bruche, qui traverse en diagonale toute la Basse Alsace. Mais l'Ill est bien l'artère essentielle des deux Alsaces, partant du Jura, passant à Mulhouse, Colmar, Schlestadt, Ehl et Strasbourg, et recevant la Bruche dans cette dernière ville. On comprend que la rivière ait pu devenir le lien et le signe de l'unité de l'Alsace, et que, suivant un usage fréquent chez les Celtes, elle ait donné son nom au pays : Alsatia pourrait correspondre à Elosedienses, les gens établis sur l'Ill, et ce nom daterait des temps gaulois ou gallo-romains. Les plus anciennes formes connues du nom sont Alsatius, Alesacius, Alsacenses, Alsacinse (Frédégaire, IV, 37, 43 ; Zeumer, Formulæ, p. 294, 320, 338, 381 ; cf. les textes de Zeuss, Tradit. poss. Wizenburgenses, 1842). Contrairement à cette opinion, on fait venir le nom d'Alsace de celui de Alisacensis pagus (nom qui a du reste également une origine celtique ou ligure bien caractérisée), lequel, dit-on, aurait été primitivement limité à la Basse Alsace.

[59] Sur cette route, à la descente du col, Saverne (Tres Tabernæ) avait déjà une certaine importance comme marché et débouché d'exploitations forestières. Saverne a dû recevoir un castrum certainement avant Julien (cf. Ammien, XVI, 11, 11). Forrer, Das Rœmische Zabern (Strasbourg, 1918), lui donne 1015 mètres de périphérie et un peu plus de 7 hectares de superficie.

[60] Le camp, à partir de Domitien, fut celui de la VIIIe légion Augusta (Ptolémée, II, 9, 9), mais il ne pouvait y avoir là que quelques cohortes et les services généraux : car, de tous les lieux de garnison de la rive gauche, aucun n'a livré jusqu'ici moins d'inscriptions militaires. — Auparavant, entre Auguste et Claude, peut-être la IIe. — Au début de l'Empire, il y eut aussi l'ala Petrania, recrutée d'abord chez les Gaulois, surtout de Trèves. — Installation de vétérans.

[61] Triboques, avec Brumath et Strasbourg, en Basse Alsace. La Haute Alsace, avec Colmar, a dû être enlevée aux Séquanes et attribuée, par César ou Plancus, soit à la colonie d'Augst, soit à la cité des Rauraques (Ptolémée, II, 9, 9 ; Not. Gall., 9). Mais il est possible qu'un lien, religieux ou autre, ait été maintenu entre elle et les Séquanes, puisque Rauraques et Séquanes forment un même corps militaire. — Il est d'ailleurs à remarquer que jusqu'ici la Haute Alsace q livré incomparablement moins de ruines que l'autre. Peut-être n'a-t-elle pas réussi à se relever du passage d'Arioviste.

[62] Von Haller, Helvetien unter den Rœmern, 1811-2 ; Mommsen, Die Schweiz in Rœm. Zeit, 1854, et Schweizer Nachstudien, 1881 (Ges. Schr., V ; vieillis). On se mettra aisément au courant à l'aide de l'Indicateur d'antiquités suisses (Anzeiger, etc., depuis 1855) et du Jahresbericht der Schweiz. Gesellschaft für Urgeschichte (X, 1917, par Tatarinoff).

[63] Dès le temps dei Helvètes, d'ailleurs, il y avait en Suisse bien des éléments disparates. — Les destinées provinciales des Helvètes furent conformes à celles des Séquanes.

[64] Aventicum, colonia Pia Flavia Constans Emerita Helvetiorum fœderata (à partir de Vespasien). Les empereurs semblent avoir voulu perpétuer sur Avenches le nom des Helvètes, les inscriptions et la Notice parlant toujours de colonia ou civitas Helvetiorum (la Notice en ajoutant, Aventicus). Mais dès le IVe siècle, le nom de Aventicum paraît prévaloir (Ammien, XV, 11, 12), ce qui ne laisse pas que d'étonner, vu l'importance réduite de la ville.

[65] Il doit y avoir quelque lien entre l'importance de La Tène et la prééminence d'Avenches.

[66] La dynastie de Vespasien.

[67] Voyez en dernier lieu le recueil Pro Aventico, 13e fasc. paru en 1917. — L'enceinte mesurait 4000 m. environ.

[68] XIII, 5069-83.

[69] Dea Aventia ; XIII, 5071-3, 5096. Il m'est impossible de ne pas voir dans ce nom de Aventia celui d'une source, éponyme de la ville.

[70] XIII, 5080-5110. La majorité des inscriptions sont des dédicaces à des dieux, des hommages à des princes ou à des fonctionnaires de la province ou de la cité ; et Avenches est une des villes de Gaule qui ont laissé le plus de monuments à des personnages de l'État.

[71] L'indépendance réciproque et l'initiative des pagi d'une civitas gallo-romaine n'apparaissent nulle part mieux que chez les Helvètes : ce que l'on conclura, soit du nombre de monuments élevés par les pagi ou les vici, soit de l'expression d'une inscription d'Avenches, civitas Helvetiorum decrevit statuas qua pagalim qua publice (XIII, 5110).

[72] Vitudurum ou Viodurum. Fortifié en 204 (XIII, 5240). La frontière de la Gaule ou, si l'on préfère, de la Germanie Supérieure, est un peu à l'est, à Pfyn [fines ?] sur la Thur ; et c'est, je crois, une très vieille frontière. — Il est possible que Vitudurum soit le castellum que les Helvètes, en 69, entretenaient à leurs frais et avec leur milice (Tacite, H., I, 67). On pourrait aussi songer, pour ce castellum, à Lurzach, si ce dernier n'était pas légionnaire, ou à celui de Tasgætium (près d'Eschenz), si ce dernier, à la fin du lac de Constance, n'était pas en Rétie (Ptolémée, II, 12, 3). Il devait d'ailleurs y en avoir d'autres.

[73] Turicum ; XIII, 5243 : Deæ Dianæ et Silvano ursari posuerunt. On y signale un castellum.

[74] Je songe à la fabrique du bronzier Gémellianus.

[75] Vicus Aquæ Helvetiorum (XIII, 5233) ; in modum municipii exstructus locus amœno salubriam aquarum usu frequens (Tacite, Hist., I, 67). C'est le culte des eaux thermales qui y a amené Isis et Mithra.

[76] Successivement : la XIIIe, jusque sous Claude ; la XXIe, la Rapax, qui fut la plus fameuse peut-être de l'Empire ; la XIe, à partir de Vespasien. — La garnison avait en particulier à garder le passage du Rhin vers le haut Danube à Lurzach.

[77] Vindonissa, vicus. La garnison disparut, semble-t-il, sous Trajan au plus tard. — Arc à Titus.

[78] Salodurum ; nautæ Aruranci Aramici (XIII, 5036).

[79] Eburodorum. Par là passait la route directe du Grand Saint-Bernard à Besançon et Langres : elle traversait le Jura au voisinage du Chasseron, sanctuaire de cime à la frontière des l3elvèles et des Séquanes. — C'est le passage de cette route qui explique qu'Yverdon ait reçu, au Bas Empire, sans doute un castrum et en tout cas une flottille de guerre : le pages d'Yverdon parait alors avoir fait partie de la longue zone militaire [prætentura ?] qu'on appelait la Sapaudia (Not. dign., Occ., 42, 15 ; contra, Mommsen).

[80] Eburodunum ; XIII, 5053 et s.

[81] Lousonna (l'emplacement fut à Vidy plus près du lac ; transporté, avec le nom, à Lausanne, sur la hauteur, lors des invasions). Là passe la route de Bretagne en Italie et de Lyon en Italie par le Grand Saint-Bernard ; dans le voisinage sont les routes vers le Rhin. — La frontière des Helvètes, de ce côté, est à mi-chemin entre Lausanne et Nyon.

[82] Berne n'est encore représentée que par les inscriptions religieuses de Muri (dea Artioni ; dea Nariæ). — Minnodanum, Moudon, vicus important par ses routes (C. I. L., XIII, 5042). — J'hésite à ne pas rapporter à Avenches les inscriptions, d'ailleurs intéressantes, d'Amsoldingen (5153-7).

[83] Lieu de réunion des nautæ (XIII, 5090).

[84] Avenches fournit un des plus curieux témoignages de la richesse de l'aristocratie gallo-romaine : c'est le fait de Julia Festilla, fille de C. Julius Camillus, épouse ou alliée de C. Valerius Camillus, dont le nom comme donatrice se retrouve dans un grand nombre de monuments helvètes. C'est sans doute cette famille, originaire d'ailleurs (de Brescia ?), qui a répandu dans toute la civitas, par ses affranchis ou ses clients, le gentilice Camillius.

[85] Et aussi la vallée de la Thur en amont de Pfyn.

[86] Ratiarii superiores, en relation avec les Helvètes (C. I. L., XII, 2597).

[87] XII, 2585-6, à Apollon ; 2587, à Mithra, qui semble bien être identifié à Genius loci.

[88] Cela résulte du fait qu'avant la conquête les Helvètes, de ce côté, allaient jusqu'au Jura et en face de Genève. — Il est probable qu'en outre on donna à Nyon le défilé de l'Écluse et le val Michaille, enlevés aux Séquanes ; on a supposé aussi qu'il reçut le val Romey, qui était aux Allobroges ; et encore le Bugey (le futur diocèse de Belley), dont je ne sais s'il n'était pas à l'origine et ne resta pas séquane. L'enchevêtrement que nous avons vu à l'époque de l'indépendance a continué pendant l'Empire et longtemps après, et il fait sentir encore ses conséquences.

[89] Noviodunum, colonia Julia Equestris. — De Gingins-La-Sarra, Histoire de la cité et du canton des Équestres, Lausanne, 1865 (Mém. et Doc, p. p. la Soc. d'Hist. de la Suisse romande, XX) ; J. J. Müller, Nyon zur Römerzeit, Zurich, 1875 (Mitth. der Ant. Gesellschaft, XVIII).

[90] De là, l'existence d'un præfectus arcendis latrociniis dans la colonie (XIII, 5010). De là, peut-être la création du district de la Sapaudia. Je me réserve jusqu'après examen sur l'inscription de la statio militum de Gex (C. I. L., XIII, 11551).

[91] Ces deux fondations et celle de Lyon, dues toutes trois à César et à Plancus son successeur presque immédiat, font évidemment partie d'un même dessein.

[92] Augst fut d'ailleurs fondé, non chez les Helvètes, mais chez les Rauraques. — Colonia Augusta Raurica, dont les ruines sont visibles à Basel-Augst. Périmètre de l'enceinte, 4776 m. ? J'ai supposé l'existence d'une source sainte, qui y aurait provoqué le culte de Mithra (cf. XIII, 5261-2, 5273) — En dépit de son origine coloniale, Augst cessa de bonne heure, comme Nyon, d'être une cité militaire, la garnison étant à Windisch. — J'ai supposé que la colonie d'Augst et la cité des Rauraques formèrent primitivement deux territoires distincts, comme Lyon et les Ségusiaves. Je ne sais si la chose fut maintenue. Plus tard, sous le Bas Empire, il semble que la métropole ait été transférée à Bâle, Basilea, lieu d'ailleurs déjà habité, et peut-être dépendant à l'origine de la cité et non de la colonie ; il semble aussi qu'on ait créé un poste militaire nouveau à Kaiser-Augst, castrum Rauraca. — Voyez, sur ces questions, les ingénieux travaux de Burckhardt-Biedermann.

[93] Ce défilé, encore fort visible, servait à la fois à la route de Lyon par Nyon et à celle du Grand Saint-Bernard par Vevey, qui rejoignait la précédente à Payerne près d'Avenches. — Sur la route de Mandeure au pays helvète par Pierre-Pertuis.

[94] Le principal dieu des Helvètes parait être Mars Caturix (équivalent peut-être de Mars militaris, XIII, 5234), dont le grand sanctuaire a pu être près de Rias (XIII, 5035 et 9.). — En outre, sans parler des grands dieux, on adorait les divinités locales, dea Aventia par exemple à Avenches, et assez particulièrement les Génies de cités, de pagi, les Sulèves, etc. — Baden était, par ses eaux, une ville sainte. — Sanctuaire panthée d'Allmendingen, 5158. — Remarquez (près de Berne ; à Cressier, 5151) la déesse Naria, que je ne puis encore, malgré le voisinage de Mars, rapprocher de Nerio ou Neriene, l'époux classique du dieu.

[95] Il n'existe, que je sache, aucune inscription en langue gauloise ; et c'est d'autant plus remarquable que les Helvètes étaient, au temps de l'indépendance, le peuple qui recourait le plus à l'épigraphie (César, I, 29, 1 ; Tacite, Germ., 3). L'excellence de la langue et de la gravure des inscriptions latines est digne d'attention.

[96] A Avenches, inscription medicis et professoribus (XIII, 5079) ; près de Nyon, juveni erudito causidico (XIII, 5006) ; l'Helvète Claudius Cossus, en 69, notæ facundiæ (Tacite, Hist., I, 69). La louve avec Romulus et Remus, Esp., n° 5431.

[97] Je tire celle conclusion, soit de l'existence, à Amsoldingen [à Avenches ?], d'une dynastie d'orfèvres d'origine lydienne (XIII, 5154 : ce sont des Camillii, peut-être clients des grands seigneurs d'Avenches), soit des trouvailles d'objets d'argent faites à Baden, objets que je crois de fabrication municipale (XIII, 5234).

[98] Fabrique de fourreaux d'épées de Gémellianus à Baden. Les petites haches votives en bronze, assez spéciales aux Helvètes (VIII, 5158, 5171), doivent être de fabrication locale. Voyez la tradition de l'Helvète faber à Rome.

[99] Voyez les soldats helvètes mentionnés C. I. L., XIII, II, p. 6. Il devait y avoir également des Helvètes dans les troupes de Gésates (C. I. L., V, 530).

[100] Vogue, dans l'Empire, des fourreaux fabriqués à Baden ; Helvètes en Germanie transrhénane ; mango helvète (maquignon ? marchand d'esclaves ?) au Grand Saint-Bernard (Notizie, fouilles de 1892, p. 68).

[101] Sans doute à La Tène sur le lac de Neuchâtel.

[102] Remarquez l'importance chez les Helvètes du conventus civium Romanorum ; le père de Vespasien, banquier chez les Helvètes.

[103] A Baden.

[104] Le réseau des routes romaines en Suisse peut se résumer ainsi :  du Grand Saint-Bernard à Besançon par Vevey ou Lausanne. roule d'Italie en Bretagne ; 2° du Grand Saint-Bernard au Rhin, d'Italie en Germanie, se détachant de la précédente à Vevey (route de l'armée de Vitellius) ;3° à Augst et à Windisch, celte route rencontre la roule riveraine du Rhin, qui continue jusqu'au Danube (prise par Septime Sévère en 196-7) ; 4° route de Lyon au Rhin par Nyon, rejoignait près d'Avenches celle du Rhin, et croisant celle de Bretagne vers La Sarraz (XIII, 9065-6) ; 5° de Windisch à Rottweil, passage du Rhin à Zurzach, route d'Italie vers la grande Germanie ; 6° jonction de ces réseaux par la route du lac, de Vevey, Lausanne à Nyon et Genève.

[105] Nyon était également rattaché à la Germanie Supérieure (Ptolémée, II, 9, 16).

[106] Même entre Valais et Tarentaise, le territoire viennois était séparé de l'Italie par les vallées de Chamonix et de Montjoie, qui appartenaient aux Ceutrons de la Tarentaise ou des Alpes Grées, et par lesquelles ces Alpes Grées (cols de Balme et du Bonhomme) communiquaient avec les Alpes Pennines (C. I. L., XII, 113).

[107] Elle commençait sur le lac à la tête du lac (Pennolocus dans les itinéraires ; pour Pennolacus ?) ou au débouché du Rhône, où finissaient les Helvètes. Je ne sais il y a des arguments assez forts (Ptolémée, II, 12, 3 ; C. I. L., XII, 5528) pour mettre Vevey, Viviscus, dans les Alpes Pennines, au lieu de le laisser à la cité des Helvètes. — Quatre civitates : 1° Uberi, autour de Viège (peut-être le Οΰικος de Ptolémée, II, 12, 3 ; il peut être aussi à Sierre) ; 2° Seduni, chef-lieu Sion (serait, croit-on, le Drusomagus de Ptolémée ; je crois plutôt l'Ebodurum du même), qui a pris le nom du peuple ; 3° Varagri, chef-lieu Martigny, Octodurus sous César, plus tard Forum Claudii : les deux noms devant désigner, l'un le village sur la colline de la rive gauche, l'autre le marché plus loin sur la rive droite ; 4° Nantuates, chef-lieu Tarnaiæ, Saint-Maurice : je me demande si Tarnaiæ n'est pas le castrum Tauredunum (Tauretunum), célèbre par l'éboulement de 563 (Marius d'Avenches, Chron. ; Grégoire, H., IV, 31) ; c'est un autre rocher du lieu qui, sous le nom de Acaunus, servit de point de départ à la tradition chrétienne ; et c'est dans le bas, sur le Rhône (non à Sion) que je placerai plutôt le Drusomagus de Ptolémée. — Je ne peux accepter l'hypothèse de Mommsen (Eph. epigr., IV, p. 517), qui place à la tête du lac le castrum Eburodunum (p. 503, n. 8) et l'identifie avec l'Ebodurum de Ptolémée. — La métropole de la province fut, je crois, d'abord Saint-Maurice (XII, 147), puis, depuis Claude (? XII, 5528), Martigny. — L'ensemble de ces quatre petites peuplades était appelé quatuor civitates vallis Pœninæ (XII, 147), et je crois bien que l'Empire perpétua ainsi un ancien lien fédéral indigène. De là vint le nom de Vallenses qu'un leur donna à toutes quatre, nom dont on retrouve peut-être l'équivalent celtique dans celui des Nantuates (nani- = val). Elles furent d'assez bonne heure soudées en une seule civitas Vallensium (civis Vallensis, XIII, 5000). — Heierli et Oechsli, Urgeschichte des Wallis, Zurich, 1896 (dans les Mittheilungen).

[108] Une seule civitas connue, s'étendant jusqu'au col de Balme : Ceutrones, chef-lieu Axima ou Forum Claudii (qui doivent être deux quartiers contigus d'Aime), métropole de la province. — Le chef-lieu passa plus tard (avant 400, Not. G., 10) à Darantasia, Tarantasia, Moutiers, qui donna son nom à la civitas et à la vallée.

[109] Cités de Suse (Segusio), Briançon (Brigantio = castellum), Embrun (Ebrodanum), qui toutes trois portaient le non) de leur chef-lieu. En outre, d'existence encore incertaine, la cité de Chorges ou des Caturiges, dont le nom passa au chef-lieu ; et, plus douteuse encore, celle des Medulli de Maurienne (chef-lieu à Saint-Jean ?), dont on ne sait rien pour ce temps. — La réunion de ces cités eu une province s'explique par la facilité avec laquelle les cols convergeant vers Suse (Cenis et Genèvre) unissent les trois vallées de la Maurienne, de la Doire Ripaire et de la Durance. — Embrun passa (ou plutôt retourna) de bonne heure (Dioclétien ou avant ; cf. XII, 81) aux Alpes Maritimes, avec lesquelles il communiquait par le col de Vars et la vallée de Barcelonnette. — La limite, sur la Durance, entre les cités de Briançon et d'Embrun, était à Rama (Rame), entre celles d'Embrun et de Gap, à Remollon.

[110] Civitatas au IVe siècle, ayant à peu près toutes pris le nom de leur chef-lieu : 1° Embrun, y compris sans doute Chorges ; 2° Rigomagus, dans la vallée de Barcelonnette ? ; le chef-lieu devait être à Faucon ou à Barcelonnette, au point de départ des cols de La Foux et de La Cayolle, qui menaient vers le Verdon et le Var ; une étude archéologique de cette région s'impose ; 3° Digne, Dinia, reprise à la Narbonnaise ; 4° Salinæ, civitas Saliniensium (plus tard Castellane), ancienne civitas Suetriorum ?, s'allongeant dans la haute vallée du Verdon, communiquant avec la vallée de Barcelonnette par le col de La Foux ; 5° Senez, Sanilium, civitas Sanitiensium, peut-être l'ancienne civitas Sogiontiorum (XII, 1871), dans les hautes vallées de l'Anse ; 6° Glandèves, civitas Glannatica ou Glannatina, ancienne civitas des Brigiani ou de Briançonnet (briga = castellum) : le chef-lieu a dû être déplacé au IVe siècle ; la civitas, une des plus étendues des Alpes, comprenait la vallée de l'Estéron (pays de Briançonnet) et la vallée supérieure du Var (Glandèves, Guillaumes), qui, par le col de La Cayolle, communiquait avec la vallée de Barcelonnette ; 7° Cimiez, Cemenelum, ancienne civitas Vediantiorum, rive gauche du Var et vallées de la Tinée et de la Vésubie ; 8° Vence, Vintium, ancienne civitas Nerusiorum ?, rive droite du Var et jusqu'au Loup. Les territoires italiens des Alpes Maritimes ont dû être incorporés de bonne heure à l'Italie.

[111] A Martigny par exemple, sans doute à Aime, peut-être à Saint-Maurice.

[112] Voyez la description du castrum de Tauredurum par Grégoire (H. Fr., IV, 31) : Locus ab utraque parte a montibus conclusus erat, inter quorum angustius torrens defluit ; cf. à Bourg-Saint-Maurice, C. I. L., XII, 107.

[113] Outre les métropoles ou localités principales, dont nous parlons dans le texte, Bourg-Saint-Maurice en Tarentaise (XII, 107), où il y a forum, templa, balincas.

[114] Statue d'Agrippa en bronze à Suse, élevée par la famille royale de Donnus (Esp., n° 2431). Les inscriptions aux premiers Césars à Martigny (XII, 141), à Saint-Maurice (XII, 145-7), à Sion (XII, 136), celle de Trajan à Aime (XII, 105). ont dit être accompagnées de statues. De même, Ica inscriptions aux empereurs du IIIe siècle à Vence (XII, 8-14), à Briançonnet (56-8).

[115] Arènes à Cimiez (88 m. 80 sur 57 m. 60).

[116] Arc de Suse (Espérandieu, n° 16) ; stèle d'Andromède à Briançon (n° 17).

[117] Cf. Pline, H. nat., X, 134 ; C. I. L., XII, 103.

[118] C. I. L., XII, 102, 103, 110, 112, 117.

[119] Cf. XIII, 103.

[120] XIII, 103.

[121] XIII, 103.

[122] Le loyalisme démonstratif des cités alpestres à l'égard de tous les empereurs peut être le résultat de précautions prises par les intendants pour se ménager les maures successifs du pouvoir souverain.

[123] Et nunc tonse Ligur, Lucain, I, 442.

[124] Je crois que dans ces pays ligures, comme dans les Pyrénées et dans la Germanie rhénane, l'influence gauloise continua à pénétrer sous la domination romaine. Strabon avait déjà remarqué les progrès de cette influence (II, 5, 28). Voyez la prééminence de noms gaulois à Briançon, XII, 95. Beaucoup, pour ne pas dire la totalité, de noms de localités sont celtiques. Et à vrai dire je ne trouve pas dans ces Alpes un nom, d'homme ou de lieu, dont on puisse dire qu'il soit spécifiquement ligure.

[125] XII, 103, inscription métrique à Aime ; XII, 118, jeune homme d'Aime mort in studiis. Toutes les inscriptions publiées participent bien plus du caractère de celles de la Narbonnaise que de celles des Trois Gaules. — L'exploration monumentale des provinces alpestres n'a pas été suffisamment faite.

[126] XII, 103.

[127] Remarquez l'insistance avec laquelle les gens des Alpes mentionnent, non seulement leurs magistratures, mais le titre de décurion (plus rare dans le reste des Gaules), et leur tribu (XII, 18-20, 66, 81, 82, 84, 1871, 3288, etc.). Cela viendrait-il d'une habitude prise au temps où, pourvus du Latium majus, ils voulaient marquer par là leur qualité de citoyen romain, acquise par le décurionat ? Il a dû y avoir en outre, dans les Alpes, au sujet du décurionat et du droit de cité, des prescriptions particulières qui ont subsisté jusque sous Constantin, prescriptions distinguant les cives Romani, bourgeois ou incolæ des cités (municipia), et les pérégrins de la province (XII, 94).

[128] Comparez la très grande quantité d'inscriptions, dans les Alpes, concernant la vie municipale, à l'absence presque complète de textes de ce même genre en Bigorre, Béarn, Pays Basque et dans l'Ariège.

[129] A Suse, à Aoste.

[130] Ce doit être le sens du radical penn-.

[131] Alpibus... Graio nomine pulsæ... locus Herculeis aris sacer, Pétrone, Sat., 122, 144-6 ; Pline, H. nat., III, 123.

[132] Pline, H. nat., III, 123.

[133] Ad Matronæ verticem (Ammien, XV, 10, 6). c'est la station du sommet, marquée aujourd'hui par le village de Montgenèvre ; et ce sont les premières eaux de la Durance, visibles à cet endroit, que l'on devait adorer sous le nom de Matrona.

[134] En outre, mines (en Tarentaise), fromages (en Tarentaise), cristal de roche et grenat, marbres.

[135] La station douanière de Borgo-San-Dalmazzo, au carrefour des cols de Tende et de Larche (vallée de Barcelonnette), montre cependant que ces cols étaient fréquentés par le commerce ; il en était de même, je crois, des cols de Queyras et de ceux de la plus haute vallée de Barcelonnette.

[136] Castellane doit son ancien nom, Salinæ, à ses salines. Remarquez son syndicat de boutiquiers.

[137] Si j'insiste sur le Var à la fin des Alpes, c'est parce que sa vallée et celles de ses deux affluents la Vésubie et la Tinée étaient, en venant de la mer, les principales voies de pénétration au milieu des montagnes ; les Grecs de ces rivages ont sans doute reconnu de bonne heure le cours supérieur du Var (Pline, III, 35), et cherché à gagner par là tes hautes vallées alpestres.

[138] C'est, je crois, ce que veut dire Strabon, IV, 6, 11.

[139] La cité des Vellaves finissait au Moyen Age vers Saint-Didier-la-Séauve, silva Lugdunensis, qui lui appartenait : si cette expression annonce le voisinage de la frontière lyonnaise, le territoire de Lyon dut comprendre, à un moment, le pagus Jarensis ou la vallée du Gier, enlevée aux Ségusiaves.

[140] Ce qui faisait que la province de Germanie Supérieure commençait (si on y intercale le diocèse de Belley) au massif du Bugey (à la montagne de Saint-Benoît près du Rhône).

[141] Strabon, IV, 6, 11, IV, 3, 2.

[142] Caput Galliarum, dit la Table de Peutinger : avec cette réserve, que le rédacteur a peut-être voulu dire point de départ des routes (cf. caput Germaniarum, Itinéraire Antonin, p. 368).

[143] Cf. t. V, ch. II, § 3.

[144] Remarquez avec quelle âpreté deux des plus grands peuples de la Gaule, Allobroges et Éduens, s'étaient disputé le site de Lyon.

[145] T. IV, ch. II, § 1.

[146] T. IV, ch. II, § 7.

[147] Voyez le plan donné par Allmer et Dissard, Musée, III, p. 492-3. Mais il y a une étude plus approfondie à faire. — La ligne des remparts devait correspondre à la ligne actuelle ; la porte Saint-Just servait à la roule d'Arles et à celle de Nîmes ; la porte de Trion à la route d'Aquitaine et à celle de la Loire ; la route du Nord devait sortir par une porte sur la Saône ; le compendium de Vienne par la porte du pont, et c'est par là aussi que sortaient les voyageurs à destination du Rhin supérieure. Car le rempart devait se continuer le long de la Saône entre les points actuellement marqués par le pont d'Ainay et la descente sur le quai de Pierre-Seize. On a supposé qu'il n'y avait pas de remparts le long de l'eau : outre que ceci est proprement inadmissible dans une ville antique, lisez Grégoire de Tours (H., V, 33), mentionnant le muras renversé par le débordement des rivières. — Cela donnait à la ville une forme approchant vaguement du carré consacré, et une périphérie d'environ 5000 mètres. — Il est du reste à remarquer que les grandes rues romaines, faciles à reconnaître aujourd'hui et par les traces des pavages et parce qu'elles sont assez exactement représentées par les rues actuelles, ne sont nullement conformes au damier régulier des colonies romaines, et on dirait bien plutôt qu'elles se sont conformées à des sentiers plus anciens.

[148] Sénèque, Ép., 91, 2 (si vague qu'on peut à peine faire état de son texte) : Tot pulcherrima opera. — On ne peut faire que de très incertaines hypothèses sur le nombre et l'emplacement de ces édifices. On a pu supposer un temple de Mercure 8 l'ouest de La Sarra, c'est-à-dire au plus haut de la colline ; un sanctuaire de Mithra près de la porte Saint-Just.

[149] Même remarque sur la difficulté de retrouver les emplacements. Les archéologues lyonnais placent ces édifices proprement impériaux face à la Saône en deçà de la rue de l'Antiquaille. On a même supposé en cet endroit l'existence de jardins, en s'autorisant de la dédicace à Sylvain par un a studiis Augusti (XIII, 1779). Il est incertain que la domus Juliana, qui était en cet endroit, fût le palais impérial, mais Hirschfeld a tort de nier absolument la chose. Sur le rôle possible de ces édifices dans l'histoire connue de Lyon (séjour de Vitellius, mesures contre les Chrétiens). Sur la prison, qui parait avoir été importante, et peut-être la grande prison centrale de toute la Gaule, clavicarius carceris publici (XIII, 1780), optio harceris ex coh. XIII (1833).

[150] Dans le triangle compris entre la muraille et les rues du Juge-de-Paix et de l'Antiquaille.

[151] L'édifice dit de La Sana ? Allmer place les bains d'Apollon vers le Gourguillon. Et il devait y avoir des bains privés dans le bas de Pierre-Seize (thermulæ d'Ulattius, XIII, 1926), où l'on profitait d'eau de source descendue de Fourvières.

[152] C. I. L., XIII, 1805, 1919, 1921 ; Allmer et Dissard (II, p. 301) le plaçaient entre la rue du Juge-de-Paix et le bastion n° 3.

[153] Au sud de l'amphithéâtre, ancien clos des Minimes.

[154] Au sud de la rue du Juge-de-Paix ; cf. Lafon, Mém. de l'Ac. de Lyon, IIIe s., IV, 1896. On a récemment prétendu qu'il y avait là, non un amphithéâtre, mais un second théâtre.

[155] Cf. Allmer, II, p. 291-2. Je ne sais s'il faut placer là le temple et les cérémonies de la Mère, qui furent les plus émouvantes des solennités religieuses et politiques de Lyon depuis Antonin (le plus ancien taurobole est de 180 ; C. I. L., XIII, 1751).

[156] On a reconnu des rues pavées de l'époque romaine aux montées du Gour-guillon et Saint-Barthélemy, aux rues de l'Antiquaille, Cléberg et du Juge-de-Paix.

[157] Les bateliers du Rhône au quartier Saint-Georges, les bateliers de la Saône vers le pont du Change ? Trace, sur ce dernier point, de celliers voûtés, de mur de quai sur pilotis avec escalier. Sur l'autre point, sans doute la douane (trouvaille des plombs). Je n'ai pas sur le port de travail auquel je puisse me fier ; on a supposé un canal de jonction direct (de 20 m.) entre Saône et Rhône du côté des Terreaux, un autre, oblique, de 200 m. [?] de large, allant du pont du Change à celui de La Guillotière, et qui serait un bras de la Saône.

[158] Canabæ. Les archéologues lyonnais les placent d'ordinaire sur la rive gauche de la Saône, à Ainay (cf. XIII, 1911, 1934, statues de vinarii vers la place Saint-Michel).

[159] Le pont, qui est unique, devait être entre la montée Saint-Barthélemy à Fourvière, et la montée des Carmélites au Confluent, où l'on a reconnu un pavé. antique.

[160] On a supposé, d'après l'inscription (XIII, 1670) du magister pagi Condat., que ce quartier formait un pagus Condate, administré directement par un magister, et soustrait à la ville de Lyon. C'est possible, mais l'inscription ne dit rien de cela, et ne prouve même pas que ce pagus Condate ait compris l'autel ad Confluences.

[161] Vers Saint-Polycarpe. On arrivait à l'autel sans doute par la montée de la Grande-Côte, où aboutissait la route de Nyon et Augst ou du Rhin ; une voie transversale, longeant peut-Acre le canal de jonction, devait unir la montée au pont ; l'ensemble formait peut-être la via sacra du Confluent. — La rue de la Grande-Côte devait se continuer vers le sud (direction de la rue Mercière ?) pour aboutir au passage du Rhône à La Guillotière (en bac ?).

[162] A Saint-Polycarpe ?

[163] Vers les Terreaux.

[164] Aucune trace jusqu'ici : mais il me parait absolument impossible qu'un, lieu sacré de ce genre n'ait pas eu son théâtre.

[165] Au Jardin des Plantes. C'est à cet amphithéâtre qu'appartiennent les inscriptions indiquant les places réservées aux délégués des cités des Trois Gaules (XIII, 11187) : Arv. (Arverni), Bit. C. (Bituriges Cubi), Tri. (Tricasses).

[166] Par un très curieux phénomène d'inversion topographique, à la fois facile à suivre et à expliquer, Fourvières est devenue le sanctuaire (c'est, non pas un fait de survivance, mais de reprise de hauteur par la forme religieuse), et le Confluent est devenu la ville d'affaires (fait de descente de la ville marchande dans la plaine).

[167] Il y a, à cet égard, un contraste frappant entre Lyon et Narbonne, demeurée si complètement italienne. Les épitaphes fournissent un bon nombre de noms celtiques, et l'usage de l'ascia, si nettement gaulois, est constant à Lyon ; et nous constatons à Lyon, parmi les étrangers si nombreux, prépondérance de Gaulois, surtout de Trévires, en outre de Séquanes, assez fréquents (1983, tector ; 1990, 1991 ; 2023, negotiator artis prossariæ), aussi de Viennois, Voconces, Rèmes (sagarius, 2008), Carnutes (sagarius, 2010), Cadurques, Lingons, Véliocasses (lintiarius, 1998), Bituriges Cubes, etc. Remarquez la prédominance de Gaulois venus de pays à industrie textile. — La haine des Lyonnais contre les Viennois, leur prétention à représenter l'élément romain contre les indigènes, a pu être un fait au temps de Vitellius, où les Italiens et les fils de colons pouvaient être encore assez nombreux. Mais déjà l'élément gaulois prédominait, je crois, à Lyon, et déjà Vienne le valait en latinité. Ce sont propos de tradition et de voisinage plutôt que de réalité. — La colonie de marchands italiens, qui a fait la première fortune de Lyon, n'y apparaît plus que restreinte (XIII, 1942, 1980, 1999 ?), et les vétérans dont nous allons parler, sont en moindre partie des étrangers à la Gaule.

[168] Légats en séjour ou de passage. Ajoutez les intendants de tout ordre. Notez, en dehors des empereurs, les hauts fonctionnaires qui passent à Lyon et y laissent des monuments : præfectus vigilum, 1745 ; præfectus classis Ravennatium, 1770.

[169] C. I. L., XIII, 1800, 1814, 1817-20, t779, 1780, 1823-7, 2008.

[170] Garnison de Lyon jusqu'en 107 ; C. I. L., XIII, 1834.

[171] Le nombre d'anciens soldats morts à Lyon et qualifiés de vétérans est tel, qu'il faut nécessairement admettre que la ville était le lieu principal d'établissement pour les vétérans des provinces du Rhin : l'État y devait toujours disposer de terres vacantes. Les troupes les plus représentées parmi les soldats sont, outre la XIII, cohorte urbaine, qui forma longtemps la garnison (C. I. L., XIII, 1834), les légions rhénanes XXXe, XXIIe, Ire et VIIIe, dont des détachements remplacèrent la XIIIe cohorte à Lyon. On doit croire qu'on établissait comme vétérans à Lyon les soldats qui y avaient tenu garnison : mais ces vétérans y sont e» trop grand nombre pour que quelques-uns ne vinssent pas aussi de la frontière. D'ailleurs, d'autres légions sont représentées. — Fabia, La Garnison romaine de Lyon, Lyon, 1918.

[172] Civis Carthaginiensis opifex artis vitriæ, XIII, 2000.

[173] La colonie grecque asiatique de Lyon parait très importante, encore qu'il soit bon de ne pas en exagérer le rôle : à s'en tenir à l'épigraphie et à l'archéologie, celles-ci paraissent même avoir moins subi les influences helléniques à Lyon que sur les bords du Rhin. Cette colonie a fourni des médecins (XIII, 1762 ; le Chrétien Alexandre, de Phrygie), des marchands de tout genre (le Chrétien Attale, de Pergame, XIII, 2004-5, 2007, 2015), et sans doute beaucoup d'esclaves et de petites gens. C'est là que s'est développé et qu'est né sans doute le christianisme lyonnais ; les évêques Pothin et Irénée viennent d'Asie.

[174] Exil d'Hérode Antipas, XIII, 1945, originaire de Syrie, negotiator artis barbaricariæ ; XIII, 2448, 1924.

[175] Cela me parait aller de soi, vu les rapports de Lyon avec la frontière du Rhin. Notez d'ailleurs la présence de marchands venus de la plupart des cités des Germanies : Triboques (negotiator artis macellariæ, XIII, 2018), Vangions, Cologne, Xanten (? Trojanensis, 2034).

[176] XIII, 1981. — Il doit y avoir aussi des Espagnols.

[177] Negotiator artis cretariæ (XIII, 2033).

[178] Je rappelle que Lyon est le centre de commerce des vins et de l'huile (d'Espagne) dans les Trois Gaules.

[179] J'ai entendu marquer par là l'activité commerciale de Lyon. Et je crois bien qu'elle absorbait, comme à Bordeaux, plus qu'à Trèves, le principal. L'agriculture n'est pas à faire entrer en ligne de compte, vu le territoire sans doute restreint de la colonie, si ce n'est peut-être que le Lyonnais renfermait un vignoble fameux. L'industrie n'avait pas l'importance qu'elle prit plus tard — peut-être se bornait-elle alors à des fabriques de poteries communes, de passementerie, rubanerie, tissus et orfèvrerie de luxe, trait d'ailleurs qu'il importe de noter. Ajoutez la construction navale.

[180] Floribus intextis refovent simulacra deorum, XII, 533.

[181] Rappelons-nous l'importance de la gladiature aux fêtes du Confluent.

[182] XIII, 1758-1768. Notez en particulier les Matres Eburnicæ (1765) au château d'Yvours. — Les autels du dieu au maillet (Esp., n° 1733-6) sont de provenance locale. — Au Confluent, chapelle importante à la triade, d'origine celtique, Mars, Vesta et Vulcain : mais remarquez que le donateur de ce monument est un Sénon (XIII, 1670), et que précisément cette triade est adorée particulièrement à Sens (2940). De même, un Séquane consacre au Confluent un monument à Mars Segomo (1675), et ce Mars Segomo était adoré aussi chez les Séquanes (5340). Il est donc possible que les grands-prêtres de la Gaule élevassent au Confluent des monuments aux dieux protecteurs de leurs cités ; et ceci serait bien en harmonie avec le caractère du lieu, rendez-vous sacré de toute la Gaule, de ses dieux comme de ses prêtres : ad quam de universis pagis numina universa eum cultoribus suis convenerunt, comme dit une inscription d'Afrique (Bull. arch., 1917, p. 315).

[183] XIII, 1774-7.

[184] C. I. L., XIII, 1737-8. Confrères de Bacchus.

[185] Je crois que le culte solaire ou apollinaire, qui resta important à Lyon (XIII, 1726-30), y fut originel et essentiel (Lugdunum = clarus Mons ; le corbeau, consacré à Apollon).

[186] XIII, 1771-2.

[187] Déjà remarqué par Renan à propos du christianisme lyonnais (L'Église chrétienne, p. 475). Toutes réserves faites sur d'autres de ses jugements.

[188] XIII, 1733-6.

[189] Sur Ainay, Athanacum, lieu (si on admet la tradition), non du martyre, mais de l'incinération. C'est à tort, ce me semble, qu'on a vu dans Ainay (Renan, l. c., p. 475) le premier quartier chrétien, une basse ville où abondaient les Orientaux. Il est possible qu'il y ait eu à Ainay des Orientaux autour des canabæ ; la présence d'un sanctuaire aux Maires du côté de l'église (dédicaces d'un Phlegon, medicus, et d'un nommé Apollinaris ; XIII, 1758, 1762) a pu y attirer quelques dévots grecs ou asiatiques (peut-être y avait-il là une source) ; tout autour se trouvaient de riches maisons (mosaïques du cirque, de la panthère, etc.), où pouvaient habiter des Chrétiens. Mais je crois que la valeur religieuse du quartier se rattache, à Lyon comme ailleurs, au martyre des Chrétiens et non pas à leur premier groupement. Du nom ancien du quartier, Athanacum, je ne sais que conclure : la terminaison (t. IV, p. 376) fait songer à une origine domaniale, et on signale un lieu Athenacus (Thénac) en Dordogne. J'hésiterais à y voir l'enclos sacré d'une Athéna ou Minerve, mais ce n'est pas impossible.