HISTOIRE DE LA GAULE

TOME VI. — LA CIVILISATION GALLO-ROMAINE - ÉTAT MORAL.

CHAPITRE PREMIER. — LES DIEUX[1].

 

 

X. — DIVINITÉS DU SOL.

Si des formes générales de la divinité nous passons à sa vie locale, nous assisterons à de nouvelles victoires de Rome, et plus étonnantes encore.

La domination romaine ne porta aucune atteinte aux divinités du sol. On aurait pu le croire : car elle implantait Jupiter et Mercure, les dieux les plus universels que le monde eût encore connus. Mais ni l'un ni l'autre ne prirent ombrage des milliers de Génies qui pullulaient sur les terres de la Gaule. Nul d'entre eux ne disparut, il s'en créa d'autres qui leur étaient semblables, et les maitres les plus puissants de l'Olympe consentirent souvent à jouer dans un vallon de campagne barbare le rôle obscur de dieu local.

Comme par le passé, c'était la source qui attirait le plus les hommes. Sa vie divine, commencée il y avait des millénaires, se continuait sans être troublée par les révolutions humaines. Bien des choses, au temps des empereurs, avaient transformé les façons de la terre autour des vieilles fontaines : des villes s'étaient bâties sur leurs bord ; leurs eaux, autrefois librement épanouies, étaient souvent prisonnières des bassins qui les recevaient[2] ; les sources thermales devaient céder aux parois qui les captaient et aux canaux qui les divisaient[3] ; des aqueducs transportaient les ruisseaux à vingt-cinq milles de leurs lieux d'origine[4]. Jamais l'eau n'avait plus obéi à la science des hommes. Cependant, jamais on ne l'a priée davantage, comme si ces hommes de la Gaule voulaient se faire pardonner leur domination par un surcroît d'hommages.

Dans les villes, la fontaine la plus sainte se vit élever un beau temple, où leurs fidèles purent déposer leurs mille présents : Nemausus, la source de Nîmes, reçut le sien à l'endroit même où, face à la cité, elle faisait jaillir son eau pitre et abondante des flancs du mont Cavalier[5]. Loin de se laisser oublier dans les tumultes urbains et au milieu des bâtisses qui les entouraient, les chers ruisseaux d'autrefois s'imposaient plus que jamais à l'adoration de tous[6]. Un poète bordelais des derniers temps de l'Empire chantait en vers émus la fontaine divine, gardienne de sa cité : Salut, source à l'origine inconnue, éternelle et sacrée, à l'eau bienfaisante, génie de ma ville natale, compagne des dieux[7]. A entendre ces vers, à voir les grands sanctuaires ou les modestes chapelles qui avoisinaient les eaux, à passer en revue les innombrables ex-voto qui en encombraient les salles[8], statues, figurines, plaques de métal, vases et objets de tout genre, on s'aperçoit que rien n'est changé dans l'âme des hommes depuis les temps mystérieux où, la prière aux lèvres et la piété au cœur, ils groupèrent autour de la fontaine leurs premiers foyers. Un amas de pierres et de marbres a remplacé l'horizon de feuillages : mais le cadre seul de la vie s'est transformé.

S'il en est ainsi pour les fontaines municipales, on comprend l'extraordinaire dévotion dont on gratifie toujours celles des champs. Et peu importe qu'elles soient thermales ou autres, curatives ou vulgaires : toutes ont également leurs dévots, toutes sont également divines[9]. Des forces de la nature, la source demeure celle envers laquelle l'homme est le plus tenté de, témoigner de la reconnaissance. Si elle ne guérit pas les malades, elle soutient les bien portants. A la source de mon champ, écrit un vieux châtelain des Cévennes[10], j'offre ce modeste temple : car j'ai eu si souvent recours à ses eaux, et, vieillard comme enfant, je m'en suis toujours si bien trouvé ! Au pied ou au flanc des montagnes, dans le repli des vallons, au creux des rochers, dans les clairières des bois, ces milliers de sanctuaires qui couvrent les campagnes gauloises, ce sont les sources qui les ont fait naître : et c'est la bonté de leurs eaux qui attire là ces multitudes aux jours de pèlerinage, femmes enceintes, enfants débiles, aveugles et éclopés, se trainant chacun avec son mal et chacun avec l'humble présent de pierre, d'argile ou de bronze dont l'hommage à la source assurera sa guérison[11] ; et il n'est point rare, au milieu de ces miséreux du pays, de voir quelque riche Gallo-Romain avec son cortège d'esclaves, apportant au dieu des vases d'argent ou des patères d'or achetés à grands frais dans les villes[12]. La moitié de la vie dévote, pour le moins, se passe auprès des fontaines ; et les lieux de rendez-vous les plus populaires, ceux où l'on rassemble le plus d'idoles, de chapelles et de croyants, sont ceux où la multiplicité des eaux peut faire croire aux hommes que les dieux y tiennent assemblée : Entrains par exemple, autour duquel semblent se jouer les trois sources du Nohain[13] ; ou, comme au temps de Vercingétorix, Alise la cité des eaux saintes, dans son cadre éternel de gais ruisseaux[14] ; et encore Vichy[15], Néris[16], Luxeuil[17], et les autres cités thermales, où se rencontrent et se conservent tant de flots guérisseurs.

A côté de cette vogue des sources, toutes les dévotions du sol sont secondaires[18], même celle des fleuves[19] et des lacs, celle des sommets[20] et des grottes[21], celle des forêts et des bois[22], des bosquets et des arbres[23]. Toutes d'ailleurs se continuent comme par le passé, et aux mêmes endroits : du Rhin aux Pyrénées, chez les fils des Ligures, des Ibères ou des Celtes, les mêmes lieux, dominants ou bienfaisants, donnaient toujours asile à des êtres divins.

Mais ces divinités du sol, qu'il s'agisse d'eaux, de montagnes ou d'arbres, n'avaient plus toutes le même caractère. L'influence romaine, en pénétrant dans ce monde, y avait multiplié les différences.

Les unes étaient, demeurées des êtres de l'endroit, des énergies purement locales, mais vivaces et tenaces. Telles étaient la Fontaine de Nîmes, autrement dit le dieu Nemausus, Divona la fontaine de Bordeaux[24], Sequana la source de la Seine, et cent pareilles, restant semblables à elles-mêmes, donnant ou prenant leur nom au ruisseau qui les faisait vivre, maintenant leur antique personnalité contre l'ambition débordante des grands dieux. Ces bonnes fées, ces gracieux génies de l'endroit, avaient été, sur leur petit domaine, plus forts que Teutatès et -que sa compagne : ils avaient su résister à Mercure et à Minerve, et garder leur vieux nom, plus ancien que la gloire des légions romaines et que même celle des bandes celtiques[25].

D'autres de ces divinités agrestes, sans renoncer à leur nom propre et à la vie indépendante que ce nom signifiait, se laissèrent habiller par certaines formes de la dévotion romaine. Regardez par exemple les déesses, si nombreuses et si populaires aux abords du Rhin[26], que les inscriptions tracées par les fidèles appellent des Mères ou des Matrones[27] : dédicaces et images témoignent que ces fidèles, en dépit de leur attachement aux fées et aux bonnes dames de l'endroit, se sont trouvés séduits par la vogue de la religion victorieuse. Ces mots de mère et de matrone. s'expliquent sans doute par une antique croyance nationale, la foi en la maternité divine des eaux et des terres fécondes[28] ; et pour figurer ces déesses secourables et familières[29], il arrivait parfois qu'on recourût au costume indigène des mères de familles, ample tunique et coiffure à larges bords : alors, assise avec des fruits sur son giron[30], la Mère ressemblait à quelque fermière aux marchés de Spire ou de Brumath. Mais le plus souvent, c'étaient des images classiques que l'on copiait, et ces antiques divinités champêtres demandaient leurs attributs à la grande Cybèle ou à la Hère des Dieux, ou à Junon, à Cérès, à la Fortune, à l'Abondance, à toutes ces déités féminines exploitées par les graveurs de médailles et les imagers de temples à l'époque de la paix impériale : couronnes de fleurs ou d'épis, cornes d'abondance ou corbeilles d'où s'échappent des fruits ou des grappes[31], enfants emmaillotés tenus sur les genoux[32]. la source gauloise des Ardennes ou de l'Eifel n'étale plus sa fécondité qu'à l'aide des symboles empruntés aux Junons les plus banales de l'Italie.

Une déesse maternelle de ce genre, en Gaule, était rarement isolée. Quand la source acceptait un parrainage de Mère, elle en prenait toujours plusieurs, compagnes pareilles et inséparables, maîtresses jumelles des mêmes eaux ; et, comme on le pense bien, le nombre fatidique de trois est celui que les dévots préfèrent pour ces unions de sœurs fontainières[33]. — Ce goût pour les accords féminins et les triades divines dans la religion des eaux et des campagnes, est sans doute un héritage des Celtes et des Ligures. Mais n'oublions pas que les Latins avaient quelque chose de semblable : les Nymphes des sources italiennes, gravité mise à part, ne différaient point des Mères gauloises[34] : ce qui fit qu'en certains lieux de la Gaule, moins attachés aux mots du passé, on installa et on adora des Nymphes sur les bords du ruisseau familier[35].

Car les hommes en pouvaient user à leur guise avec le dieu de l'endroit. Si sa place était immuable, pour tout le reste il changeait au gré des dévots. Ils se le représentaient suivant leur fantaisie du moment. Nemausus, la Fontaine de Nîmes, avait beau être célèbre dans le monde entier sous ce nom de petit dieu, il y eut des Gaulois qui préférèrent adorer la source sous les espèces de Mères associées[36]. Les eaux de Luchon formèrent pour les uns un aimable groupe de Nymphes, et pour les autres se concentrèrent en un seul dieu, Ilixo ou Luchon, divinité des thermes, des fontaines et du pays[37]. Ici, on figura la source comme un jeune génie à la figure bouffie[38], là, comme une sorte de Pluton assis à la gauloise[39], ailleurs, comme une idole à trois têtes ou comme un vieillard chenu et cornu.

Pour d'autres enfin, et ceux-ci furent de plus en plus nombreux, le patronage de la source, du bois ou de la montagne. enlevé au dieu du pays, fut accordé à une grande divinité, Mercure, Apollon, Mars ou Diane, et l'on crut à son apparition périodique ou à son séjour permanent près des eaux de la fontaine ou au sommet de la colline.

Cette emprise d'un grand dieu sur les sources ou les montagnes saintes n'était pas une nouveauté. Bien avant l'arrivée de Mercure en Gaule, Teutatès, je crois, avait occupé le puy de Dôme[40] et d'autres sommets. Mercure, en se substituant à lui, utilisa et continua ses conquêtes locales : on le vit à son tour, en qualité de dieu souverain, trôner sur les hauts lieux des cités, cimes illustres ou humbles puys, ajoutant parfois à son nom le nom de la montagne ; et il fut ainsi Mercurius Dumias sur le puy de Dôme[41], pour ne parler que du plus fameux de ses sommets favoris[42]. Je crois qu'il put prendre aussi quelques fontaines[43]. Mais il laissa à Apollon, en tant que dieu guérisseur, les sources thermales[44] et bien de vieilles collines, de longue date consacrées au soleil levant. Apollon eut aussi les lacs[45]. Diane sa sœur d'autres sources[46] et la plupart des forêts[47]. Et il resta encore des collines[48] et des fontaines[49] pour Mars, de grandes montagnes pour Jupiter[50], des eaux célèbres pour Minerve.

La source, bien entendu, n'en conservait pas moins son nom, sa sainteté, sa vertu. Mais ce nom n'était plus qu'une épithète accolée au nom triomphal de Minerve ou d'Apollon : Borvo, Bourbon, était devenu Apollo Borvo, l'Apollon de Bourbon. Cette vertu, c'était, disait-on, Apollon ou Minerve qui la communiquait aux eaux du ruisseau. Et quand on adorait, près des fontaines de Luxeuil ou de Bourbon, ces images du Phébus classique, avec la lyre et le manteau du jeune dieu de Delphes[51], il semblait bien que tout souvenir d'autrefois eût disparu : fontaines et noms du sol gaulois n'étaient plus que de nouveaux moyens de plaire, placés au crédit des dieux helléniques[52].

Il n'empêche que c'est à ces fontaines et à ces collines du sol qu'appartient toujours l'avenir religieux. De même que le symbole du maillet a survécu à Teutatès, de même la source attribuée à Apollon ou la montagne à Mercure seront plus puissantes, dans la pensée des hommes, que les plus grands dieux eux-mêmes[53]. Elles leur prêtent en ce moment plus de force qu'elles n'en reçoivent d'eux, elles peuvent à la rigueur se passer de leur alliance. Et quand Mercure et Apollon auront disparu, nous retrouverons immuables la sainteté et la vertu de la montagne et de la source.

 

XI. — DIEUX SOCIAUX.

Ces dieux locaux étaient sortis, si l'on peut dire, des entrailles du sol. Ils représentaient la source et la montagne en tant qu'elles étaient eau et rocher, sans rien d'humain en leur substance. Mais d'autres dieux, d'horizon également limité, avaient peu à peu surgi sur ce sol, en tant qu'il était demeure des hommes, qu'il portait des foyers et des villes, qu'il réunissait des familles el.des peuples : et ce furent les divinités des lieux bâtis, des groupes sociaux, des routes et des domaines.

1° Les premières protégeaient villages, bourgades[54] et villes, et, dans les villes, rues, places et quartiers[55], c'est-à-dire qu'elles gardaient un ensemble de maisons rapprochées sous un nom commun et les êtres humains qui y habitaient[56]. La Gaule, pareillement au reste de l'Empire, n'admettait pas d'édifice qui n'eut son Génie ou sa Tutelle[57] : car c'est surtout sous ces deux noms qu'on adorait les dieux de cette sorte[58].

Beaucoup parmi eux restaient humbles et inconnus, tels que le village qui les avait engendrés. Mais quelques-uns, soutenus par la richesse de leurs villes, arrivèrent à la gloire et à la puissance : Périgueux[59] et Bordeaux[60] élevèrent à leurs Tutelles des temples plus hauts et plus beaux que les autres, et qui furent les cathédrales païennes de ces grandes cités[61].

Quel contraste entre ces Génies et ces Tutelles, divinités sans nom, sans histoire, sans figure et sans attributs propres, et les Mercures et les Apollons d'à côté, si visibles et si vivants ! On a peine à penser que les mêmes croyants aient adoré des êtres si différents, ceux-ci à l'allure si parfaitement humaine, ceux-là simples entités, symboles de villes plutôt qu'images de dieux. Pourtant, le culte des Tutelles a été fort populaire en Gaule, surtout au sud de la Loire[62] : les peuples lui ont consacré des sommes folles ; et les particuliers un attachement sincère et durable[63]. Cela nous prouve la fidélité des Celtes et des Aquitains aux deux sentiments que ce culte révèle : d'abord, un profond attachement pour la ville natale ; devenue la plus sainte et la plus aimée des déesses ; le désir, ensuite, de ne point donner à cette déesse municipale un nom propre et distinct, de l'honorer en ses fonctions et ses destinées[64] ; et ces sentiments ont sans doute leur source dans les habitudes religieuses du patriotisme primitif, qui entourait ses villes tout à la fois de secret et d'adoration.

2° On fera les mêmes remarques à propos des dieux qui émanaient des sociétés humaines, grandes ou petites. Ceux-ci également s'appelaient des Génies[65] ; et on eut le Génie de la Cité[66], le Génie de la Colonie[67], et d'autres pour les tribus[68], pour les habitants d'une bourgade[69], pour ceux d'un quartier, pour les membres d'une confrérie[70]. Tout ainsi que la Tutelle gardienne d'une ville, le Génie qui présidait à la vie des citoyens occupait une place d'honneur dans la religion municipale : Arvernes ou Bituriges, colons de Lyon ou de Vienne élevèrent des autels au Génie de leur peuple, de même que le faisaient les empereurs au Génie du Peuple Romain : c'étaient là des êtres sacrés et mystérieux, âmes divines des corps nationaux[71].

Ce culte des Génies, tel que nous le constatons de ce côté des Alpes à l'époque impériale, nous parait toujours d'origine ou d'allure italienne. Mais savons-nous si le nom et l'image de ces dieux ne cachent pas aussi une antique croyance des indigènes en la sainteté de leurs peuples[72] ?

3° Les Gaulois, comme les Romains de toutes les provinces, avaient voué à des divinités propres les routes et chemins de la campagne, et même les points essentiels que présentaient ces routes, lieux frontières[73], fourches, croisées et carrefours ; et ils donnèrent à ces divinités des modes très différents. Ce furent tantôt des Lares à la façon latine[74], tantôt des Mères à la façon gauloise, et tantôt simplement des Déesses des routes, Biviæ, Triviæ, Quadriviæ[75], tout ce petit monde, d'ailleurs, à la fois anonyme et familier : car c'est ainsi que les hommes de nos pays aimaient les dieux de cette sorte.

4° Enfin, maisons, champs et domaines avaient tous leurs Lares et leurs Pénates : et ces modestes dieux domestiques qu'avaient aimés Plaute et le vieux Caton, se retrouvaient, pleins de vie et comblés de soins, dans la Gaule des Antonins[76]. Seulement, au travers des noms ou des rites qu'il avait empruntés au Latium, le dieu du foyer ou le dieu du champ laissait apercevoir maintes habitudes qu'il avait retenues des temps celtiques. Il était bien plus fidèle au passé que les glorieux Génies des villes et des cités. Beaucoup parmi ces idoles étranges que nous avons rencontrées, dieux cornus ou à trois têtes[77], dieux aux serpents ou au maillet[78], sont celles de gardiens de champs ou de protecteurs de domaines. Le dieu familial aime à s'habiller et à s'armer à la façon nationale, à ressembler au grand dieu des ancêtres.

Tous ces amis du sol habité, remarquons-le, portent des vocables communs, Lares, Génies, Tutelles ou Aères. C'étaient là des mots fort commodes pour désigner ce genre de divinités. L'homme ignorait le plus souvent le nom exact du dieu ou de la déesse qui gardait sa ville ou son champ ou la route sur laquelle il passait. Grâce à ces termes généraux de Lares du carrefour ou de Génie du lieu, sa prière ou son offrande iraient sans détour à ceux auxquels elles étaient destinées. On parlait bien parfois de l'existence d'une déesse éponyme, Rome ou Vienne, d'un Génie du Peuple Romain ou d'un Génie des Arvernes, engendrés au jour de naissance de la ville ou du peuple, et destinés à mourir avec eux. Mais c'étaient surtout opinions de philosophes et phrases de lettrés. Le populaire ne voyait pas les choses d'une façon aussi subtile et aussi poétique : il continuait à penser à la manière des dévots des temps primitifs, adorateurs résolus de dieux inconnus[79]. Pour lui, le Génie de son peuple, la Tutelle de sa ville, c'était un dieu pareil à d'autres dieux, dont on ne lui disait pas le nom, mais qu'il fallait prier quand même, sans pouvoir le nommer.

Quelques-uns, d'ailleurs, croyaient savoir exactement quel était le vrai dieu qui gardait telle cité ou telle route. Ici, disaient-ils, c'est Mercure, et là c'est la source. Et on fit souvent de Mercure le Génie des grands chemins[80], et de la source la Tutelle des grandes cités[81]. Car Mercure parmi les dieux souverains, la source parmi les dieux locaux, tiraient toujours un bénéfice des mille besoins de la vie religieuse.

 

XII. — LES DIEUX DE CHACUN.

Tous ces dieux, grands ou petits, indigènes ou étrangers, étaient ceux que l'on voyait, dans des sanctuaires, sur des montagnes, près des sources, au-dessus des villes, en images et en résidences, incorporés à quelque portion du sol, accessibles à tous ses habitants : et c'est déjà une telle multitude d'êtres divins, que la Gaule en paraît imprégnée, et que sa richesse en génies sacrés passe même sa force en bourgades et en tribus.

Pourtant, cela n'est pas encore toute sa population divine. A côté de cette foule des dieux que l'on peut voir et que tous peuvent adorer, il y a celle des dieux que le sol ne porte pas et qui s'attachent à la vie, aux actes et aux paroles des différents êtres humains.

Chacun de ces êtres, d'abord, a son Génie, que les Gallo-Romains appellent Genius chez les hommes et Juno chez les femmes. Le Génie, c'est la parcelle divine de l'humain qui respire : il a droit à un culte et à des autels. L'esclave adore le Génie de son maître, l'affranchi celui de son patron, le convive celui de son hôte[82] ; et les femmes élèvent des monuments à leur Junon[83]. — Et peut-être celles-ci, en agissant ainsi, ne savent-elles au juste si elles s'adressent au Génie propre de leur âme ou à la grande déesse qui les protège.

Car, à côté de son Génie, chaque homme voulait aussi son dieu à lui, son patron céleste, une divinité très puissante à qui il assignait sa sauvegarde. Les uns préféraient Mars, et les autres Mercure. Ce dieu que le dévot liait ainsi à son existence, il le faisait, l'appelait sien, il élevait des autels Marti suo, à son Mars[84], comme s'il y avait un Mars distinct du grand dieu, et spécialement voué à l'entretien d'un homme[85]. Au reste, l'idole aidant, chaque fidèle pouvait toujours avoir chez soi un Mars ou un Mercure, qui ne s'occupât que de lui seul.

Tout cela ressemble à ce qui se passe à Rome, en Italie, partout où il y a des Mars, des Génies et des Junons. Mais voici qui est particulier à la Gaule, et qui est de nature à nous plaire davantage.

Les Gaulois, au lieu et place du Génie, de la Junon, êtres après tout vagues et difficiles à voir ou à saisir, voulurent, pour présider à leur vie, des personnes plus humaines, aux noms plus doux et aux figures plus tendres. Alors, ainsi que si souvent dans leurs actes de foi, ils prirent de bonnes dames, maternelles et nourricières : car le culte de la Terre-Mère avait si profondément pénétré dans les Gaules que tout besoin religieux des âmes provoquait un appel à la Maternité souveraine. Chaque homme, chaque femme eut donc en sa vie, l'accompagnant du berceau à la tombe, ses Mères ou ses Matrones[86], ses Maîtresses ou ses Fées[87], ou ses a Proches[88], d'ordinaire au nombre de trois, arrivant à sa naissance les bras chargés de fleurs et de fruits, les bouches pleines de promesses, puis assises toujours près du foyer, images divines de la mère qui a engendré et qui suit de ses soins et de ses rêves l'enfant grandissant.

Ces sortes de divinités, Mères ou Génies, étaient permanentes dans l'existence des hommes et sans doute universelles en leur pouvoir. Mais d'autres n'apparaissaient qu'à de certains moments et pour certaines besognes. L'une intervenait auprès des femmes dans l'accouchement[89], l'autre protégeait les soldats sur les champs d'exercices[90], celle-ci veillait surtout aux affaires du métier[91], et on en vit des centaines de ce genre, chaque occupation, chaque nécessité de la vie ayant son gardien ou sa gardienne propre[92].

Au reste, en ces actes de détail comme pour la protection générale de la vie humaine, nous trouvons les mêmes variantes de culte et les mêmes variétés de dieux. C'est tantôt la grande Junon qui accouche, et c'est tantôt une bonne petite divinité, dont cela constitue le seul métier, et ce sont aussi, bien souvent, les chères Mères qui interviennent. Car, je le répète, nulle part dans le monde antique plus que dans les Gaules, la puissance divine qui secourt et qui protège ne s'est ainsi exprimée sous la forme d'une fraternité féminine et d'une sainte maternité[93].

Quand l'homme mourait, ce qu'il y avait en lui de divin ne disparaissait pas, mais se transformait. Au lieu et place de ses Génies ou de ses Mères, on adorait ses Mânes, et nous verrons bientôt que les divinités des défunts rivalisaient de gloire et même de richesse avec Mercure et les sources. Elles avaient l'avantage d'être plus proches et mieux connues de ceux qui les priaient. Une étroite parenté unissait les Mânes et leurs dévots. Avec eux, on était sûr d'avoir des dieux bien à soi.

Quelle erreur ce serait, de ne voir dans cette religion des temps romains qu'une forme de la vie sociale, qu'un ensemble de dieux communs et en quelque sorte inhérents à tous les Romains, qu'une série de pratiques et de croyances collectives et nécessaires ! Jamais, dans l'histoire des hommes, la religion n'a été plus indépendante des obligations publiques et de la société politique. Que tout acte de gouvernement ou d'obéissance fût accompagné, chez les chefs ou chez les sujets, de la prière à un dieu, cela va de soi, et le culte faisait partie intégrante du mécanisme administratif. Mais le commun des mortels, citoyens ou pérégrins, vivaient le plus souvent en dehors de ces pratiques officielles, de ces exigences des dieux publics. Ils ignoraient ces dieux, s'ils le voulaient. Ni le Jupiter de l'Empire ni le Mercure de leur cité gauloise ne s'imposaient à leur adoration, s'ils préféraient un autre dieu ; et s'ils allaient à ce Jupiter ou à ce Mercure, ils y allaient aux heures qui leur plaisaient, et en se le figurant à leur guise.

Ce fut, en matière religieuse, le triomphe de l'individualisme. Le Gaulois a fait de Mercure tantôt un vieillard et tantôt un jeune homme. Souvent il l'adore en dieu solitaire, et souvent il l'unit à une compagne ou il l'associe à Apollon ou à d'autres[94]. Il n'est guère d'attributs qu'il ne lui ait donné, et il les a donnés aussi à d'autres dieux ; il lui a assigné toutes les fonctions, et il les a aussi distribuées entre cent divinités différentes. Symboles, emblèmes, vertus, passent sans cesse d'un dieu à un autre ; toutes les divinités se ressemblent et se distinguent à la fois. Dans ces inscriptions et ces figures innombrables qui nous restent des siècles impériaux, nous avons d'ordinaire devant nous, non pas les dieux communs et permanents de la société gallo-romaine, mais les dieux d'un jour, d'un lieu ou d'un homme[95].

 

XIII. — AUGUSTE.

Il est cependant une divinité que l'on peut vraiment appeler la grande divinité sociale et politique de l'Empire romain. Car son existence s'était identifiée avec l'existence même de cet Empire, elle la résumait et la sanctionnait, son culte était aussi nécessaire à tous que l'obéissance aux lois, et les éléments de son être pénétraient l'ensemble de l'État et l'âme de chacun. Cette divinité était celle de l'empereur[96].

A travers toutes les formes saintes dont nous avons parlé ; vieilles ou nouvelles, indigènes ou empruntées, particulières ou générales, évolue incessamment l'énergie divine de la majesté impériale[97], représentée par le nom éternel d'Auguste et par les figures des princes successifs.

Cette religion d'Auguste, de même que celles de Mercure ou de Jupiter, se prêtait d'ailleurs à toutes les combinaisons. La liberté retrouvait ses droits dans les modalités du culte[98]. Ici, on adorait un empereur déterminé, présent dans l'image qui le reproduisait en costume souverain[99]. Ailleurs, ce même empereur, ne conservant que le visage de son corps mortel, était figuré en quelque dieu souverain, Hercule ou Mercure[100] ; et l'on ne saurait dire ce que le dévot croyait au juste, que le prince fût ce dieu descendu sur la terre, ou qu'il eût pris dans les cieux la place ou le costume de confrères divins. Fréquemment, les Gaulois donnèrent à leurs divinités, grandes ou petites, le nom sacré de l'empereur, et ils élevaient des autels à Jupiter Auguste, à la Tutelle Auguste, aux Nymphes Augustes[101] ; et là encore nous ne savons ce qu'ils ont entendu faire, ou associer aux titres impériaux les dieux de l'Olympe et les Génies du sol, ou fondre en un seul être l'empereur et le dieu. Enfin, il arrive souvent que le nom de l'empereur soit gravé, dans les dédicaces, tout à côté de celui d'autres divinités ; et de cette manière le prince peut prendre sa part des présents et des hommages que l'on adresse aux autres souverains de la terre et du ciel. Il n'importe d'ailleurs, pour associer un dieu à Auguste, qu'il s'agisse d'un Jupiter ou d'une source : l'empereur, en cela encore pareil à Mercure ou à Apollon, peut servir tout ensemble et de divinité souveraine et de Lare familier.

De toutes les divinités de la Gaule, c'est Mercure qu'elle a le plus souvent rapproché d'Auguste. Mercure étant l'avatar de leur ancien dieu national, qui sait si les hommes de ce pays n'ont pas regardé parfois l'empereur comme l'incarnation de Teutatès descendu sur la terre ? qui sait si ce culte rendu par eux à Auguste n'est pas en dernière analyse, au même titre que la vogue de Mercure, l'héritage de croyances et d'habitudes attachées jadis au chef suprême des Gaules ? Concilier ou confondre César, Mercure et Teutatès, continuer et oublier celui-ci en s'absorbant dans les autres, je ne crois pas la chose-impossible aux hommes de ce temps.

 

XIV. — TALISMANS.

Malgré leur nombre et leur puissance, ces dieux à vie humaine n'avaient point réussi à devenir les seuls maîtres des âmes. Animaux[102] et plantes, talismans, amulettes et fétiches, symboles, emblèmes et signes, la foule des dieux informes et muets ne disparaissaient point de la Gaule. S'ils se bornaient souvent à servir d'instruments ou d'attributs aux grandes divinités vivantes, souvent aussi ils agissaient par eux-mêmes, ils gardaient leur vertu propre sana rien devoir à Mercure ou à Jupiter.

C'est ainsi que la roue ou la rouelle demeura, à travers les temps romains, un talisman favori. On avait beau en armer des images de Taran ou de Jupiter[103] : les dévots l'adoptaient sans penser à Jupiter ou à Taran ; elle valait par elle seule ; et, lorsqu'on traçait sa figure sur une statue de dieu, peut-être pensait-on qu'elle donnait de la force au dieu, et non pas qu'elle en recevait de lui. Dans les sanctuaires, dans les magasins d'objets de piété, on fabriquait de ces rouelles par milliers[104]. Ce fut en ces temps-là, en tant que signe souverain, l'héritier de la spirale antique et le précurseur de la croix chrétienne.

A côté d'elle, on estimait fort le maillet, préservatif attitré des maisons et des champs, et la hachette ou ascia, dont l'image était réservée à la protection des tombes[105] : c'étaient, avec la rouelle, les trois talismans supérieurs de salut et de sauvegarde. Au-dessous d'eux, on conservait la spirale en forme de S, dont le rôle déclinait rapidement[106] ; la croix crochue ou gammée, autrement dit le svastika, encore chère aux populations du Sud, filles de Ligures et d'Ibères[107] ; le croissant, ami de la Terre, image de la Lune active et vénérée[108] ; et bien d'autres signes, croix, rosaces, cercles, étoiles, symboles hiératiques qui sortaient des mystères des plus anciens âges et que la Gaule des cultes anthropomorphiques avait pieusement recueillis pour les transmettre aux religions du lendemain[109].

Les bonnes herbes saintes, elles aussi, ne perdaient rien de leur éternelle vertu : le gui, la verveine, la sauge, la centaurée, la bétoine, traversèrent sans faiblir l'époque des Mercures et des Augustes. Comme les sources, elles avaient déjà vu naître et mourir bien d'autres grands dieux : elles se maintenaient immuables en leur mérite sacré, semblables' à ces champs de blé de la Gaule qui portaient les mêmes moissons, quel que fût le nom de leur maître.

 

XV. — RITES.

En changeant de forme, les dieux gaulois ont changé sans doute d'habitudes et de rites. Mais dans quelle mesure le culte rendu au Mercure du puy de Dôme ou à l'Apollon de Clermont fut conforme aux usages gréco-romains, c'est ce qu'on ne saurait dire nettement : car si, grâce à leurs images, nous voyons assez bien la tenue des dieux, en revanche, faute de livres rituels, nous ne voyons pas la tenue du dévot, nous n'entendons pas ses prières, nous n'assistons pas à ses sacrifices.

Une chose parait certaine, c'est qu'il y a eu, d'abord, conflit ou concurrence entre les rites gaulois et les rites italiens. L'autorité impériale, indifférente sur les dieux, s'inquiéta de la façon du culte.

L'état public de druide disparut. — Si le mot fameux subsista, il ne s'appliqua plus à la prêtrise officielle. Les druides, quand on en trouve sous l'Empire, ce sont mages et sorciers de campagne, qui se sont emparés du nom, et qui le colportent avec leurs recettes[110] ; mais ces hommes ne ressemblent pas plus aux druides gaulois de jadis, grands seigneurs et magistrats, que le devin étrusque ou l'aruspice campanien ne ressemblent à l'augure Cicéron ou au grand-pontife César. — Les vrais héritiers des druides ne portent pas ce nom : ce sont les desservants des cultes officiels, municipaux ou provinciaux, hauts personnages dans la cité ou dans la Gaule ; et ils s'appellent, à la façon romaine, sacerdotes, pontifes ou flamines. — On toucha moins aux prêtres spéciaux, assignés au culte d'un dieu ou à l'entretien d'un temple : ceux qui hésitèrent à paraître devant leur maître divin en flamines, maitres ou préfets à costume latin, gardèrent le titre gaulois de gutuater[111].

L'aspect des lieux saints changea en même temps que le nom du prêtre et que la figure du dieu. Sanctuaires à ciel ouvert, espaces nus, autels de gazon, font place au temple bâti[112] et à l'autel de pierre[113]. En devenant homme, le dieu veut sa maison, ses meubles et sa vaisselle, et les vases d'argent remplacent les lingots de métal. D'un bout à l'autre de la Gaule, toutes les manières classiques de l'édifice religieux s'emparent des anciens terrains consacrés[114]. Il y a maintenant une chapelle à l'orée de chaque bois[115]. — Souvent, il est vrai, le temple nouveau s'est adapté à la forme traditionnelle de ce terrain : beaucoup de monuments de culte, dans les Trois Gaules, au lieu de prendre l'aspect allongé et rectangulaire habituel aux constructions classiques, se sont dressés sur plan carré, sans doute parce que cette figure parfaite était celle des espaces sacrés dans l'art augural des Gaulois.

Chaque temple avait sa loi, qui renfermait le calendrier de ses fêtes et le rituel de ses cérémonies. Cette loi variait suivant les dieux et les lieux. — Aux divinités importées de Home, la loi du temple n'accordait, je pense, que des cérémonies latines, aux jours et aux heures fixés par les pratiques d'outre-mont. S'il n'est pas impossible que certains usages gaulois aient été conservés autour de l'autel du Confluent, ils devaient se réduire à quelques détails. Nous connaissons en partie la loi du temple provincial de Narbonne : elle est transcrite, presque mot pour mot, du règlement appliqué à Rome pour le flamine de Jupiter. — Quand il s'agissait de dieux celtiques et de leurs sanctuaires anciens, la coutume du lieu se continuait. On possède le calendrier d'un temple du Soleil, près de Coligny en Bresse, où l'on devait adorer Bélénus ou l'Apollon gaulois : ce calendrier, avec ses mois lunaires à noms celtiques, ses jours et ses parties de jours fastes ou néfastes, ne présente absolument rien de romain, sauf les lettres en quoi il est gravé[116]. Je ne le crois pas d'ailleurs postérieur au temps de l'empereur Claude ; et il est fort possible que plus tard, au fur et à mesure que le Soleil passait de Bélénus à Apollon, la loi de son temple admit les fêtes et les heures de Delphes ou du Palatin.

L'autorité impériale intervint brutalement contre quelques pratiques, en interdisant certains talismans et les sacrifices humains. Mais le talisman, que je sache, ne faisait point partie du culte d'un dieu. Et quant aux sacrifices humains, si la loi les défendit, la coutume les conserva sous une autre forme, celle des combats de gladiateurs.

Aucune région de l'Empire, pas même Rome, ne pratiqua davantage ce genre de spectacle. Ce ne sont pas les colonies romaines de la Gaule où il est le plus en honneur : c'est Nîmes, plus qu'à demi volque, à qui il faut des combattants de toutes sortes ; c'est la ville éduenne d'Autun, qui entretient des centaines de champions humains destinés à ses jeux ; ce sont les Voconces de Die, un des peuples du Midi les moins atteints par les influences latines, qui ont un commissaire spécialement chargé de choisir des hommes pour tuer ou mourir[117]. Or toutes ces batailles et toutes ces morts n'ont lieu qu'à des jours de fêtes ; des divinités y président et les regardent. Chez les Voconces, c'est à la grande divinité du pays que les gladiateurs appartiennent. Entre eux et des victimes, la différence n'était point très grande. En encourageant dans les Gaules les massacres de ce genre, les Romains assurèrent aux dieux du pays les sacrifices dont ils avaient l'habitude. Le gladiateur fut la forme latine de l'homme offert à Teutatès et à ses compagnons[118].

Je renonce, après cela, à exposer en détail les modes de culte. Un tel exposé risquerait de provoquer plus de faux jugements que de faire connaître des vérités. Nous rencontrerions à chaque instant des formules et des coutumes latines, dans les sacrifices[119], dans les vœux[120], dans les actes de don[121], et nous serions aussitôt tentés de croire que ces formules ont été empruntées aux rituels romains : car nous ignorons comment ces actes religieux se pratiquaient dans l'ancienne Gaule. Et il se pourrait bien, cependant, que la piété des Gaulois ait tiré de leur vainqueur seulement des mots et des phrases, et que la formule latine se borne à recouvrir une coutume indigène[122]. Si les dévots du pays recouraient aux sortilèges et aux imprécations de la magie latine pour maudire ou détruire leurs ennemis[123], c'est qu'ils exprimaient en un langage nouveau des scènes et des pensées qui leur avaient été familières au temps de leurs anciens dieux. Ceux-ci avaient changé plus vite de figure que les dévots de croyance.

 

XVI. — DIEUX ORIENTAUX[124].

C'est toujours la même conclusion qui revient : le dieu, la victime ou là pensée ne disparaissaient point, ils s'adaptaient à des façons étrangères.

Le mouvement qui entraina le9 dévots de la Gaule vers les dieux et les rites classiques s'acheva au milieu du second siècle, vers le temps où ils furent visités par l'empereur Hadrien. Sauf Bélénus, tous les grands dieux gaulois ont alors perdu leur nom ou leur énergie universelle, leurs figures ne servent plus que de fétiches locaux, et, si l'empire appartient à Mercure, personne ne sait plus qu'il est l'avatar de Teutatès disparu.

Mais les dieux classiques n'étaient plus sûrs de pouvoir garder longtemps le fruit de leurs dernières victoires. Vers le règne de cet Hadrien, à cette époque singulière de paix et d'entente absolues où l'Orient et l'Occident mêlaient leurs produits, leurs idées, leurs hommes et leurs dieux dans une invincible curiosité de toutes choses, la Gaule s'engagea envers de nouvelles divinités.

Celles-ci arrivaient de bien plus loin que le Mercure d'Italie : c'étaient les provinces les plus reculées de l'Empire qui les envoyaient. Isis et Sérapis venaient d'Égypte, la Mère des Dieux de Phrygie[125], Sabazius de Thrace[126], Bacchus de Grèce[127], Jupiter le Dolichénien de Syrie[128], Mithra de Perse. Il est vrai qu'avant d'atteindre la Gaule ils faisaient d'ordinaire escale à Rome, et c'est par l'intermédiaire de la Ville que la Gaule les recevait[129].

Quoique d'origine et d'apparence fort dissemblables, ces divinités répondaient aux mêmes imaginations et aux mêmes croyances des hommes. Toutes n'étaient, à bien regarder leur substance profonde, qu'une force, un élément, un astre de la nature créatrice. Mithra signifiait le Soleil[130] ; Isis, malgré ses dix mille noms[131], personnifiait la Terre féconde[132] ; et c'était la Terre encore, et rien qu'elle, et elle tout entière, que la Grande Mère des Dieux, venue de Pessinonte d'Asie, maîtresse là-bas du mont Ida, et maîtresse à Rome du mont Palatin et du mont Vatican.

Voilà pourquoi ces divinités devinrent si rapidement populaires dans l'Occident. Elles n'y apparaissaient point comme des étrangères : Celtes, Germains, Ligures, Ibères et Italiotes même sortaient à peine des temps où le Soleil, la Lune, les astres et la Terre régnaient en souverains sur toutes les âmes. Teutatès et Mercure avaient assoupi et non aboli leur souvenir. A ces antiques maîtres du monde, l'Orient était demeuré plus fidèle, il leur avait conservé plus de noms, plus de figures, plus de rites divins ; et quand la Gaule fut mise en contact avec ces figures et ces rites, la foi de son passé se réveilla en elle. Ne disons pas que l'Égypte lui imposa Isis, que l'Asie lui fit connaître Mithra : de ces terres lointaines, il ne vint à elle que des mots, des costumes, des cérémonies, des prêtrises,. c'est-à-dire l'extérieur de la religion ; la croyance intime, la manière de se représenter la vie du monde, les dieux qui la gouvernent et les sentiments qu'ils désirent, les Gaulois l'avaient depuis des siècles au plus secret de leur être. Ils le confièrent à Isis et à Mithra, leur donnant ainsi autant qu'ils reçurent d'eux.

Les rites, dans ces religions de l'Orient, avaient un attrait moral d'un charme pénétrant. Si Apollon ou Minerve plaisaient aux artistes par leurs figures, les dieux de l'Orient attiraient les âmes pieuses par leurs cultes. Mystères et symboles abondaient en ces cultes. Ils abusaient beaucoup moins des images que ceux de Mercure ou de Jupiter[133]. Aux temples bâtis ils préféraient souvent les grottes ou les pierres que la main de l'homme n'avait point touchées[134] ; avec eux revenaient l'adoration des êtres de la nature, les pactes étranges avec les arbres[135] et les animaux[136]. Le dieu n'admettait pas tous les humains à prier devant ses autels : il fallait se rendre digne de leur approche par des actes de purification solennelle ; ce n'était point le contact banal que la statue de Mercure accepte de la foule de ses adorateurs : Mithra, Isis, la Mère, n'adoptaient que des initiés[137]. Fidèles, prêtres et dieux ne formaient qu'une seule famille, où les expressions de frère, de père et de mère étaient fréquentes[138] ; et des signes mystérieux[139], des formules consacrées[140], des noms choisis[141] révélaient à ses amis le fidèle ou sa tombe[142]. Moins apparente, moins visible qu'un Jupiter en corps ou en image, une divinité de cette sorte n'en était pas moins sans cesse mêlée à la vie de son église ; son culte comportait de longues processions, où l'on promenait ses emblèmes à travers les chemins des hommes, autour de leurs demeures et de leurs champs : et on savait bien qu'elle présidait au cortège pour apporter à tous sa bénédiction[143]. Si on la voyait moins, on éprouvait sa présence de plus près. Le sacrifice n'était plus le cadeau vulgaire d'une victime, reçu par une divinité semblable à l'homme, c'était un acte de communion entre le fidèle et son dieu, et dans cet acte le croyant recevait de son maître une énergie et presque une existence nouvelles[144]. Telle était, dans la religion de la Terre ou dans celle de Mithra, la cérémonie émouvante du taurobole, de l'immolation d'un taureau consacré, dont le sang, répandu sur le croyant, régénérait son être par une seconde naissance[145]. Avec de telles divinités, on se sentait près d'une autre vie, enveloppé de consolations et d'espérances. Des prêtres inspirés révélaient leurs désirs et leurs promesses, et des prophètes savaient parler le langage du ciel, annoncer les nouvelles de l'avenir[146]. — Comme tout cela encore rappelait aux Gaulois des choses de leur passé, des coutumes de leurs ancêtres ! Leçons secrètes des druides, initiations solennelles, divinités invisibles et présentes, sens cachés des symboles, paroles audacieuses des prophètes, le souvenir d'une vie disparue dut se réveiller en eux sous les lois d'Isis ou de la Mère.

Trois surtout de ces divinités comptent dans l'histoire de la Gaule, deux, Isis et Mithra, à cause de chaudes et particulières amitiés qu'elles y trouvèrent, la troisième, la Mère des Dieux, parce qu'elle réussit à y jouer un rôle public et universel.

Isis, qui arriva la première dans nos pays[147], reçut un excellent accueil dans les villes du Midi, à Marseille, où les Grecs ont dû l'attirer de bonne heure[148] ; à Nîmes, la cité la plus dévote de la Gaule, où elle retrouva, avec des petits-fils d'Alexandrins, le souvenir du crocodile et du palmier de ses terres natales[149] ; à Arles, dont le port était toujours ouvert aux marchandises et aux idoles du dehors[150]. J'imagine qu'elle apporta tout ce qu'il fallait pour séduire ces populations exubérantes et mêlées de la Provence et du Languedoc, le bavardage et les beaux costumes de ses prêtres, l'éclat de ses processions et le bruit de ses musiques[151]. — Mithra, qui vint quelque temps après elle, et qui avait un culte d'allure plus sérieuse, ne s'attarda point chez ces hommes agités et bruyants ; il s'éloigna du voisinage de la Méditerranée[152] pour s'installer aux frontières au milieu des soldats[153], à Lyon au milieu des vétérans[154] : car il fut surtout un dieu de combat, et le Soleil qu'il représentait passait pour le dieu invincible, guide naturel des armées du peuple romain. Mais ni Mithra ni Isis ne connurent chez les Gaulois les victoires qu'y remporta la Grande Mère des Dieux.

Celle-ci, et elle seule, est parvenue à faire concurrence, et très vite, aux sources et à Mercure. Le premier monument qu'elle ait laissé d'elle en -Gaule date de l'empereur Antonin, successeur d'Hadrien[155], et sous Marc-Aurèle elle est déjà l'objet d'un culte public dans les capitales religieuses du pays[156]. Depuis, un siècle durant, elle demeure la grande divinité qu'on invoque, aux heures de crise nationale, pour la santé ou la victoire des princes. Un lien mystérieux unit sa force à la vie des souverains ; à Lyon et à Narbonne, les deux grandes métropoles provinciales, on dirait que son culte remplace ou renforce celui de Rome et d'Auguste[157]. L'État permet à ses ministres une liberté ou un pouvoir qu'il jugerait dangereux chez d'autres religions : elle a des grands-prêtres dans les cités les plus importantes, et les jours des solennités, les clergés des villes voisines se réunissent pour officier en commun[158], ce que faisaient les druides avant César, ce que feront les évêques de l'Église chrétienne. Les vieilles villes saintes de la Gaule, celtique ou ibérique, se sont converties à sa foi : à Die chez les Voconces, elle se substitue à Andarta la déesse de la Victoire ; à Lectoure chez les Aquitains, elle s'empare de la source merveilleuse qui commande à la montagne municipales. Hommes et femmes de l'aristocratie raffolent de la Mère et s'imprègnent du sang qui coule de ses tauroboles. Et le populaire s'étouffe au passage de son cortège, autour du char qui promène dans les villes son image triomphale[159].

Mais ne nous y trompons pas. Sous l'apparence de la souveraine de l'Ida ou de la Mère du Palatin, c'est la plus grande divinité du monde occidental, c'est la Terre-Mère qui restaure son empire sur les Gaules. Le sol et les âmes étaient demeurés si propices à une nouvelle domination de la Terre divine ! Si on avait oublié sa grandeur et son unité d'antan, il restait encore, disséminées à travers toutes les croyances, répandues sur tout le pays, les traces visibles de son ancien culte d'amour et d'adoration. Ces sources qui étaient des Mères, ces figurines de femmes qui allaitent ou de matrones chargées de fruits, ces Vénus dont on ne prononçait pas le nom, ces anciennes déités gauloises qu'on avait transformées en Vestas, en Minerves, en Junons, en Victoires, presque tout ce qui était femme parmi les divinités de la Gaule, dérivait de la 'l'erre et participait à la fécondité maternelle. Ces images et ces dévotions avaient préparé le retour de la Mère des Dieux : et quand elle parut dans le décor nouveau d'une reine latine, les peuples de Gaule n'en reconnurent pas moins leur antique souveraine qui revenait à eux.

 

XVII. — LE CIEL ET LE TEMPS.

De cette nouvelle gloire du soleil et de la terre tous les éléments de la vie du ciel profitèrent également. L'attention et la dévotion des hommes se portèrent sur les cultes astraux, sur les divinités qui provoquent ou symbolisent l'existence ou la marche des étoiles, des planètes, des mondes, du jour et de la lumière. Et bien qu'on eût persisté à-travestir ces astres sous les noms et les images de Mercure, de Saturne ou, de Vénus, par delà ces figures humaines le fidèle apercevait l'immuable grandeur du ciel étoilé, le triomphe incessant de la clarté sur les ténèbres, présageant la victoire nécessaire de la vie sur la mort.

L'Empire, à partir de Marc-Aurèle, se passionna pour toutes les formes de la religion cosmogonique[160]. Croire à la vertu des astres, à leur influence sur les destinées de chacun, était depuis longtemps une superstition universelle[161], à laquelle les empereurs avaient eux-mêmes donné leur sanction. Mais maintenant, ces astres deviennent quelque chose de plus, des dieux maîtres des hommes, il leur faut des autels et des statues, l'astrologie engendre le culte. On multiplie partout les images des sept planètes, protectrices attitrées des sept jours de la semaine[162], on eut aussi celles des saisons[163] et celles des mois[164], et on en arriva à encadrer les tombes des signes du zodiaque[165]. Le ciel et le temps furent peuplés de figures divines.

Mais par-dessus toutes ces figures, on voulut celles des deux choses essentielles qui font la vie de la nature, la lumière et la nuit. Dans le Nord et l'Est de la Gaule, chez les Belges et les habitants de la Moselle et des Vosges[166], on vit s'élever partout d'étranges monuments en l'honneur de ces deux principes souverains[167]. C'étaient de hautes colonnes, au piédestal souvent orné des images des sept jours, au couronnement portant les statues symboliques des forces dont l'enchaînement donne à chacune de nos journées sa raison d'être : un géant à demi renversé ; à la croupe en queue de serpent, soutenant sur ses épaules captives un cheval et son cavalier dressés dans une allure du vainqueur, et c'était la scène mystérieuse par laquelle on traduisait la lumière du ciel sortant des ténèbres de la nuit[168].

Aucune statue de dieu, sauf celle de Mercure, ne fut plus populaire dans ces pays que les groupes du géant dompté et de son maitre étincelant. Riches et pauvres voulurent en avoir ; on en éleva dans les plus riches villas[169], dans les plus humbles fermes[170] ; il y en eut de somptueux, œuvres d'artistes de talent[171] ; d'autres étaient informes, un simple enchevêtrement de deux corps sur un socle de pierre grossière[172]. Mais paysans comme grands seigneurs semblaient également confier à ce cavalier vainqueur de la nuit la protection de leurs vies, de leurs domaines, de leurs foyers, tout comme, en d'autres temps ou en d'autres lieux, ils l'avaient fait à Teutatès, à Sylvain et à leur maillet[173].

En apparence encore, c'était dans les Gaules une nouvelle victoire des divinités générales de l'Empire et de l'imagerie gréco-romaine : car le monde entier se passionnait alors pour les choses du ciel[174], et ce géant anguipède ressemble à quelque Titan vaincu, imaginé par des artistes de Grèce ou d'Asie[175]. En réalité encore, c'est une croyance de l'Occident gaulois qui reparaît et s'abrite sous ces formes banales. Ces peuples de la Belgique avaient eu, au temps de leur indépendance, une affection particulière pour les dieux qui règlent les énergies de la terre, qui font les astres, les jours et la lumière. L'emploi de ces images leur permit d'exprimer leurs anciennes croyances, et la mode religieuse, au temps des. Sévères, donna à ces croyances une nouvelle vigueur.

Ce fut donc, dans la vie dévote de la Gaule, une sorte de restauration des pensées antiques. Certes, Ésus et Teutatès étaient trop oubliés pour reparaître. Mais Bélénus, utilisant à son profit le renouveau des dieux solaires, put recouvrer un instant son prestige passé, et des empereurs eux-mêmes vinrent prier dans ses temples et adorer le dieu du jour sous son nom gaulois. Ni Mercure ni Jupiter ne déclinaient encore : mais des puissances nouvelles avaient surgi en face d'eux, appuyées sur les plus vieilles traditions du pays.

 

XVIII. — LE CHRISTIANISME.

L'arrivée et les progrès du Christianisme sont contemporains de ce réveil des dieux qui font le ciel et la terre : il y a, entre la religion du Christ et celle de la Mère, d'étranges coïncidences de destinées. Toutes deux ont suivi la même route, par Marseille et Vienne ; toutes deux se sont fixées de préférence à Lyon. C'est en l'an 176, sous le règne de Marc-Aurèle, qu'eurent lieu, dans les villes saintes de la grande déesse, les tauroboles solennels qu'elle réclama de ses fidèles' ; et c'est peu de mois après, en 177, que les pouvoirs publics prirent les premières mesures pour châtier les communautés chrétiennes de Vienne et de Lyon. Quelques années plus tard, sous Commode et sous Septime Sévère, la reine des dieux remportait en Gaule ses plus belles victoires ; au même moment, à la voix de l'évêque Irénée, les apôtres chrétiens commençaient la conquête de la Gaule celtique, et ils se heurtaient d'abord à la résistance de la Mère divine. On eût dit que les deux cultes étaient appelés à progresser ensemble et à se combattre toujours.

Ils n'étaient pas sans se ressembler. Leurs dieux, sans doute, n'avaient point la même apparence : celui-ci régnait dans les cieux comme un père[176], celle-là gouvernait comme une mère la terre et le monde. Mais l'une et l'autre divinités, Dieu le Père et la Terre-Mère, étaient également des divinités créatrices, et créatrices des êtres humains et créatrices, d'autres êtres divins[177]. Si l'on disait que Dieu avait engendré et aimé Jésus le Christ son fils unique[178], terrestre et céleste à la fois, on racontait également que la Mère avait aimé Attis[179] ; et d'Attis ainsi que de Jésus on célébrait les souffrances, la mort et la résurrection[180]. Tout ce qui séduisait les âmes pieuses dans l'adoration de la Mère se retrouvait dans la foi en Christ : le Chrétien, lui aussi, s'absorbait en son dieu, le sentait descendre, vivre et agir en lui[181] ; lui aussi, il connaissait la cérémonie du baptême, qui faisait de son être un être nouveau, l'amenait à une seconde naissance ; lui aussi, il contemplait sa divinité, non pas en figure et en image, mais à travers de mystérieux emblèmes[182]. Dans les églises du Christ ou dans celles de la Mère, les femmes partageaient les droits et les espérances des hommes, et il semblait même, dans lés unes et les autres, que leur piété naturelle les rendît plus proches des suprêmes récompenses. — Mais, dès qu'on examinait de plus près les croyances et les assemblées des Chrétiens, d'autres principes apparaissaient, étrangers à ces cultes de la Terre ou du Ciel qui s'emparaient alors de la Gaule.

Chez le Dieu du Christ, l'énergie vitale et créatrice, les éléments, fournis par l'univers étaient toujours relégués au second plan : ce qui resplendissait en lui, c'étaient les vertus de l'âme, l'amour des hommes, le désir de les diriger en esprit, une souveraineté bienveillante et bienfaisante du genre humain : la Grande Déesse se montrait surtout en mère des dieux et des choses, et Dieu le Père en sauveur des créatures. Partout, dans le culte et les traditions du Chrétien, s'affirmaient cette prépondérance de la vie humaine, cet oubli des forces de la nature, la gloire des sentiments et des actes de l'homme. Dans le culte, point de ces sacrifices sanglants, de ces processions solennelles, de ces feux de joie ou de ces musiques bruyantes, où se complaisent les religions de la nature[183], rien qui frappe les sens et qui vienne du dehors, mais des prières, des chants, des lectures qui rappellent le souvenir des maîtres disparus, et, aux heures d'agapes, seulement le pain et le vin, ces deux sources antiques de la communion humaine[184] : l'âme domine tout, la matière n'a point de place, Dieu n'a même pas besoin des pierres d'une demeure, et l'endroit où se réunissent les fidèles est simplement un lieu de leurs assemblées, et non pas, ainsi que chez les dévots de Mercure ou de la Mère, le temple ou la maison d'une divinité[185]. Dans les traditions, c'est encore la vie réelle de l'âme qui gouverne tous les récits : aucun d'eux ne ressemble à ces batailles de Mithra[186], à ces désespoirs de la Mère, où tout était mensonge ou symbole, la mise en drame du travail du monde ; ce que les Chrétiens racontaient, c'était l'histoire d'un homme divin, qui avait vraiment vécu, souffert et disparu ; c'était celle des apôtres qui avaient propagé son nom et des martyrs qui avaient célébré sa gloire ; leur Christ, leur Paul, leur Étienne, leur Blandine, se plaçaient dans le temps et dans l'histoire ; ils étaient, à la différence de Mithra le Soleil et de la Terre-Mère, des êtres de vie, de réalité, d'histoire et d'humanité. Jamais religion n'avait fait une telle part au souci de l'être humain, de son âme et de ses destinées.

A cet égard, le Chrétien se trouvait plus proche de l'adorateur de Mercure que du sectateur de la Mère. Car Mercure et ses congénères de l'anthropomorphisme classique, c'était le suprême effort tenté par les religions antiques pour imprégner les dieux d'humanité : on les voyait en images, on racontait leur vie, ils s'étaient incarnés sur la terre. — Mais tout cela était fables et mensonges en nombre effroyable, un tissu d'anecdotes enfantines, vulgaires ou immorales, tandis que l'anthropomorphisme chrétien se limitait à ces deux faits de vérité humaine et de beauté divine, un dieu qui a vécu pour les hommes, et des hommes qui vivent pour lui ressembler.

Ramené à ce double élément, le Christianisme pouvait paraître aux meilleurs des hommes de ce temps la religion la plus voisine de la perfection souveraine. Aux cultes de l'Orient il ressemblait par ses mystères ; à ceux de la Méditerranée, par ses réalités humaines. Du mystère, il n'avait pris que le plus simple ; de l'humanité, que le plus pur.

Le malheur fut qu'il ne s'en tenait déjà plus à ces idées simples et pures. Il ne put échapper, dès son origine même, au besoin qu'avaient les hommes de multiplier les êtres divins. Le Chrétien apercevait autour de lui trop d'idoles et trop de Génies, pour ne point finir par croire à leur existence. Seulement, au lieu d'en faire des dieux que l'on aime, il en fit des démons que l'on déteste et que l'on combat. Les fidèles de Lyon admettaient la réalité d'un esprit supérieur, malveillant et malfaisant, qu'ils appelaient Satan, le Calomniateur ou le Diable, la Bête ou le Serpent, et ils voyaient en lui l'adversaire éternel de leur Père et de leur Sauveur[187]. C'était là une antique croyance de l'Orient, à laquelle Jésus lui-même n'avait peut-être pas échappé[188] : elle trouva un terrain favorable en Occident, surtout dans les Gaules, remplies d'images, de figurines et d'idoles, et où serpents et bêtes conservaient tant d'autels et de dévots[189]. Ces images, c'étaient celles de l'ennemi de leur dieu, ou des soldats de cet ennemi. Elles formaient l'armée de Satan[190]. Il fallait ou la détruire ou se prémunir contre elle. Le Christianisme, à qui ses principes essentiels inspiraient la confiance paisible et l'entente fraternelle, se transforma alors en une religion de bataille. Cela, chez les Chrétiens de Vienne et de Lyon, donnait à la piété une allure excitée et militante qu'on chercherait vainement chez un Isiaque ou un fils de la Mère, encore moins chez un adorateur de Jupiter. Les religions anciennes nous ont habitués jusqu'ici à des dieux qui acceptent d'autres dieux, à des dévots qui s'adaptent à toutes les dévotions[191] : voici maintenant un dieu et des fidèles qui se croient sans cesse environnés d'adversaires et d'embûches.

Le combat fut donc à la première place dans la pensée et la parole du Chrétien. Quand il ne luttait pas en plein air contre les idoles des démons, il croyait que les démons des idoles luttaient contre lui dans l'intérieur de son âme. Le jour où, en 177, l'ordre de persécution arriva, les frères de Lyon crièrent que le Diable avait dicté cet ordre et qu'il recommençait la guerre contre leur Dieu[192]. Au cours de leurs martyres, ils disaient que c'étaient la Bête et le Père qui se livraient bataillé en leur corps, celle-là envoyant la souffrance, celui-ci lui opposant le courage des siens[193]. Si le confesseur demeurait ferme en sa foi, c'est que Dieu avait vaincu son adversaire[194]. Loin de sentir décroitre son mérite et sa force, le patient se faisait un orgueil et une gloire de percevoir dans son être un épisode du duel sublime. En lisant le récit de ces martyres, écrit par les témoins eux-mêmes, on se croirait au milieu d'une prodigieuse épopée, de batailles de dieux livrées au travers des douleurs humaines[195].

C'est peut-être cette vie de combat qui séduisait le plus les nouveaux convertis : à cette religion chrétienne très pure et très simple, spirituelle et familiale, elle apportait un élément nécessaire de variété et de distraction.

Néanmoins, on a vu qu'elle progressa lentement dans les Gaules. La persécution de Marc-Aurèle dut enrayer sa marche. Au troisième siècle, malgré le zèle d'Irénée ou des missionnaires latins, le Christ ne l'avait emporté nulle part ni sur Auguste ou Mercure ni sur la Mère ou les sources. Nul ne peut encore deviner à quel dieu appartiendra l'avenir.

 

 

 



[1] Courcelle-Seneuil, Les Dieux gaulois d'après les monuments figurés, 1910 (insuffisant) ; Riese, Zur Geschichte des Götterkultus im Rheinischen Germanien, dans Westd. Zeitschrift, XVII, 1898 ; Toutain, Les Cultes païens dans l'Empire romain, 1901 et s. (en cours de publication). Nous n'avons pas insisté ici sur les croyances et pratiques d'ordre moral (immortalité, culte des morts, etc.), sur lesquelles on reviendra, ch. IV, surtout § 3 et 1.

[2] Cela doit être vrai des sources de villes : Nemausus à Nîmes, Divona à Bordeaux, Divona à Cahors, Arausio à Orange, Acionna près d'Orléans, Aventia à Avenches, Vesunna et autres (Telo et Stanna) à Périgueux (XIII, 950-4). Pour la Divona de Bordeaux, Ausone, Urbes, 148 : Pario contectum marmore fontem. Pour la Fontaine de Nîmes, la prise d'eau avait lieu à même la source, et nous possédons la première partie du canal [le canal des Passes] qui conduisait les eaux dans les différents quartiers (Mazauric, La Civilisation romaine à Nîmes, p. 12).

[3] Cf. Bonnard, La Gaule thermale, p. 495 et s.

[4] Par exemple à Lyon (en droite ligne), à Fréjus. — C'est une question, si la source qui alimentait un aqueduc ne recevait pas un culte dans la ville qui utilisait ses eaux. On peut répondre par l'affirmative. L'aqueduc de Nîmes y amenait les eaux de l'Eure, et il y avait dans la ville une confrérie de cultores Uræ fontis (XII, 3078 : ce pouvaient être des employés de l'aqueduc), ce qui n'empêchait pas d'adorer l'Eure à son origine même (XII, 2926). — Il est également probable que lors du transfert des villes, par exemple du Beuvray à Autun, le culte de la source fut, malgré l'éloignement, transporté et conservé dans la nouvelle ville, comme le témoigne à Autun le culte de la dea Bibractis (XIII, 2651-3), source du Beuvray.

[5] Il me parait possible que le Temple de Diane soit celui de Nemausus : je ne crois pas cependant que ce soit le temple primitif, la construction actuelle ne pouvant se placer avant Hadrien. Du reste, de toute manière, il y avait un temple à Nemausus en ces parages.

[6] La source de Nîmes fut célèbre dans tout l'Empire, et il devait lui venir des pèlerins de partout. Vitrea luce purior, Nemausus, dit Ausone (Urbes, 161-2).

[7] Ausone, à propos de la Divona de Bordeaux (Urbes, 148-162) : Salve, urbis genius,... fons addite civis.

[8] Pour Nemausus, cf. C. I. L., XII, 3093-3109.

[9] Au point de vue religieux, la différence est insensible entre les deux groupes, le populaire attribuait à toutes la même valeur curative : medico potabilis haustu, dit Ausone même de la Divona de Bordeaux, lisez l'inscription de la fontaine de l'Eure à Uzès (ici, n. suivante), et voyez les temples de sources banales. Toute la différence était sans doute dans le plus long séjour que les malades faisaient près des eaux thermales.

[10] C. I. L., XII, 2920 ; il s'agit de la fontaine de l'Eure à Uzès.

[11] Exemples : temple des sources de la Seine, dea Sequana (Esp., n° 2403 et s. ; C. I. L., XIII, 2858 et s.) ; d'Apollon Vindonnus à la source de La Cave près d'Essarois (Esp., n° 3411 et s.) ; de la foret de Halatte, où je ne doute pas de la présence d'une source (Esp., n° 3864 et s.). On peut distinguer trois espèces d'ex-voto : images de la divinité de la source ou d'autres dieux ; présents, monnaies, vaisselle, etc. ; images de membres ou personnes malades, enfants au berceau, jambes, genoux, pieds, seins, yeux, etc.

[12] Je songe au pèlerinage de Berthouville, où il me parait impossible qu'il n'y ait pas eu une source ou un puits sacré.

[13] Esp., n° 2240 et s. ; C. I. L., XIII, 2901 et s. Deo Borvoni et Candido (XIII, 2901) ne peut s'adresser qu'à des sources.

[14] Esp., n° 2346 et s. ; C. I. L., XIII, 11239 et s.

[15] C. I. L., XIII, 1495 et s.

[16] Esp., n° 1561 et s. ; C. I. L., XIII, 1370 et s.

[17] C. I. L., XIII, 5424 et s.

[18] J'insiste moins sur les autres divinités du sol, parce que, saut quelques exceptions, elles se sont plus prêtées que les sources à hospitaliser les grands dieux.

[19] Le fleuve ou la rivière sont sans aucun doute adorés d'abord et je pense surtout à leur source ; mais cela ne les empêche pas d'être l'objet d'un culte sur tout leur parcours, et à leur embouchure même (voyez pour le flumen Rhenus, XIII, 5255, 7790-1, 8810-1 ; l'Yonne, dea Icauna, à Auxerre, XIII, 2921).

[20] Les dieux indépendants de sommets apparaissent surtout dans le Midi ligure ou aquitain : le Ventoux et peut-être aussi le Lubéron, Vintur (XII, 1104, 1341) ; Montibus Numidis près de Saint-Béat (XIII, 38). Un culte de sommet assez bien caractérisé me parait, en Soule, celui de La Madeleine de Sorholus (Tardets) : inscription d'un fanum élevé au dieu Herauscorrilsche (datif, XIII, 409). D'autres dieux mystérieux d'Aquitaine doivent être des sommets : Artahis ou Artehis près de Saint-Pé-d'Ardet (XIII, 70-1 : je doute que ce soit le lac) ; Garris, le pic du Gar (XIII, 40, 60) ; Ageio ?

[21] Ce culte n'est pas attesté directement, si ce n'est peut-être par des graffiti de la grotte de la Roche-du-Trupt près du Donon (cf. Ac. des Inscr., C. r., 1903, p. 327, 331-3) : mais ils appellent des réserves.

[22] Trois divinités principales pour les forêts : Abnoba pour la Forêt-Noire, Ardaenna pour les Ardennes, Vosegus pour les Vosges (surtout en Basse Alsace, XIII, 6027, 6059, Vosegus silvestris ; 6080).

[23] Surtout dans les régions d'Aquitaine : Sexsarbores deus, le dieu du bosquet à six arbres (XIII, 129, 132), qui est au fond une sorte de Sylvain ; monuments à des arbres isolés et inscriptions deo Fago, au dieu Hêtre (XIII, 33, 223-5 ; Espérandieu, n° 842, 859 et s.). — Je me suis demandé si le grand dieu Abelio ou Abellio, si populaire dans ces mêmes régions de l'Aquitaine (surtout en Comminges), n'était pas à son origine le dieu du pommier (Avallo = poma, Glossaire d'Endlicher), l'arbre de beaucoup le plus cultivé dans le pays (encore qu'on ne doive pas exclure l'hypothèse d'un Apollo). — Baco, si important près de Chalon (Acta, 4 sept., II, p. 200 ; C. I. L., XIII, 2603), est peut-être un deus Fagus des pays celtiques, en tout cas, je crois, un dieu forestier. — Deo Robori, XIII, 1112 [des réserves à faire]. — Deo Marti Buxeno, XII, 5832 [interprétation incertaine]. — Inscription Lucubus, aux dieux des bois sacrés ?, XII, 3080.

[24] Mais ce nom, sans jamais être celui d'une divinité générale, a été commun à plus d'une source. — De la même manière, Borvo, Borbo, Bormo, Bormanus, Bormana, sont autant de noms de dieux locaux, mais ayant pour origine un même nom commun, s'étant appliqué à différentes sources thermales : il n'y a pas de dieu général Borvo. — De même, sans doute Damona, et peut-être à la rigueur Sirona. — De même, peut-être Clutoida (XIII, 2802, 2895) et Alisanus (2843, 5468). — Peut-être aussi deus Ucuetis et Bergusia, noms généraux (de sources plutôt que de sommets ?) qui sont jusqu'ici localisés à Alésia. — Même remarque pour Souconna.

[25] Outre les dieux de sources cités ici et ailleurs, il est probable (c'était l'idée très ferme d'Allmer, et en la développant sans relâche dans sa Revue épigraphique il a ramené dans la bonne voie les études sur la religion de la Gaule ; à partir du n° 74, 1804), il est probable que les dieux mystérieux, si nombreux en Gaule, doivent être le plus souvent des dieux de sources : tels, Telo à Périgueux (XIII, 930-4), Segéta chez les Ségusiaves (XIII, 1641, 1646), pour mentionner ici seulement deux dieux topiques qui furent l'objet d'un important culte public dans leur cité ; de même, les Tutelles de villes. On peut hésiter sur le caractère fontainier de dea Icovellauna, si importante à Metz, mais qui descend aussi à Trèves (XIII, 4294-8, 3644) ; il est plus douteux pour Vihansa, divinité capitale chez les Tongres (XIII, 3592), pour dea Sunuxsalis (ou Sunuxalis), qui paraît (c'est loin d'être certain) l'éponyme des Sanuci du pays de Juliers (XIII, 7795, 7858, 7912, 7917, 8248, 8546 ; Riese, 3525), pour Vagdavercustis à Cologne et dans la région du bas Rhin (XIII, 12057, etc.). — Beaucoup de dieux énigmatiques des Pyrénées doivent être des dieux de sources, par exemple Larraso, qui doit être le dieu de la fontaine de Comigne près de Moux (cf. Sacaze, 3-5 ; C. I. L., XII, 5309-70), Arixo (Mars), à Loudenvielle (XIII, 305-6) : mais la difficulté est très grande, pour ces dieux aquitains comme pour ceux de la Celtique, de distinguer sources et sommets.

[26] Elles sont fréquentes surtout, semble-t-il, sur le territoire des Ubiens et autres Germains transportés sur la rive gauche du Rhin : ce qui a donné lieu à l'hypothèse que ce culte était d'origine germanique. En réalité, on le retrouve fréquemment dans les inscriptions de la Narbonnaise, il est beaucoup plus rare à l'est du Rhin, et les monuments figurés montrent l'importance de la religion des Mères dans les Trois Gaules. Tout ce qu'on peut dire, c'est que les cultes locaux, comme d'ailleurs les autres, se sont manifestés surtout sous la forme de Matronæ dans les régions concédées par l'Empire aux Germains — mais cela peut avoir une cause antérieure à leur établissement.

[27] Matronæ, surtout dans la région rhénane ; Matres, aussi en Narbonnaise ; ou encore, dans un sens absolument analogue, Junones, et même Maiiæ (n. suivante). — La grosse difficulté pour ces Mères et Matrones accompagnées d'épithètes de sens inconnu, est de distinguer : 1° celles qui sont affectées à un détail de la nature, qui est d'ailleurs surtout la source, mais qui peut être aussi la montagne ou la forêt (voir plus loin) ; 2° celles qui protègent les lieux occupés, villages ou villas ; 3° celles qui constituent des Génies de familles ou d'individus ; 4° celles qui président à certains faits de la vie humaine. Car tous les éléments religieux, de la vie des êtres comme de la vie du sol, ont pu se manifester sous la forme de Mères : ce mot est celui d'un mode de divinité plutôt que d'une divinité même ; la même force divine, par exemple, est adorée comme Nemausus ou Matres Namausicæ, comme Nemesis et Matres Nemetiales, Victoria et Matres Victrices. — J'ai supposé, peut-être à tort, que la terminaison en -nehæ, fréquente dans ces épithètes de Mères, indique une source : Matronæ Cuchenehæ (7923-4), Matronæ Bumanchæ (7869, 8027-8), Matronæ Vacallinehæ, etc. Paraissent de même des divinités de sources, les Matronæ Vesuniahenæ (7850-4, 7925), les Matronæ Albiahenæ (7933-8, divinités topiques d'Elvenich ; cf. deus Albius, XIII, 2840 ; Candidus, XIII, 2901 ; Albiorix, XII, 1060 ; Mars Albiorix, XII, 1300 ; Apollon Vindonnus ; toutes eaux blanches). Dans la Narbonnaise, ce sont des divinités de sources que les Matres Almahæ, Gerudatiæ, Ubeinæ [celles de l'Huveaune] (XII, 330, 505, 333). — Comme divinités topiques, les Mères ou Junons peuvent s'appliquer, non seulement aux sources, mais aux montagnes, aux forêts (Matronæ Afliæ, l'Eifel ?, XIII, 8211).

[28] Remarquez l'inscription qui remplace Matres par Maiiæ (C. I. L., XIII, 4303), et Maia désigne par ailleurs, je crois, la grande divinité chthonienne des Gaulois.

[29] Je vais parler d'une manière générale des figures de Mères, mais je rappelle que toutes ces figures ne désignent pas nécessairement des déesses de sources.

[30] Bonner Jahrb., LXXXIII, pl. 1, 2 et 3.

[31] Esp., n° 3796, 4266, 4272, 4280, 4360, 4383, 4404, 4475, etc.

[32] Esp., n° 3679 ; Blanchet, Étude sur les figurines, p. 117 et s. — Quelquefois un chien ou un autre animal, Esp., n° 4270 ; figurines des régions germaniques, Blanchet, Suppl., p. 55-6.

[33] Trois, assises : Esp., n° 327 (= Rev. ép., n° 1642-51, chez les Voconces, Matribus Victricibus ; cf. le culte de Victoria dans la même région), 281, 283, etc. ; trois, debout : Esp., n° 4293 (= C. I. L., XIII, 4303, avec l'inscription Dis Maiiabus, celle du milieu étant seule à tenir les offrandes), etc. ; trois, dont deux debout, une seule assise, en signe de supériorité : Esp., n° 3 :38. — Deux, assises : Esp., n° 4358. — Cinq, debout : Esp., n° 3958.

[34] Ce sont souvent les mêmes épithètes, les mêmes attributs, les mêmes modes de groupement : voyez en particulier, en Narbonnaise, les trois Nymphes des Fumades, tenant la grande coquille sur leurs genoux (Esp., n° 506-8).

[35] A Nîmes, la Fontaine, appelée d'ordinaire Nemausus, est cependant souvent adorée sous le nom des Nymphes (XII, 3103-9) et d'ailleurs également sous le nom des Matres Namausicæ (inscription gauloise, C. I. L., XII, p. 383). Nymphæ Griselicæ à Gréoulx, XII, 361 ; Nymphæ Percernes à Crestet chez les Voconces, XII, 1329. — Il serait d'ailleurs possible que l'on ait parfois distingué, d'une part la source même, et de l'autre les déesses qui l'ont créée ou qui la protègent. Aux Fumades, un bas-relief (n° 596) représente la source couchée, avec une urne, au-dessous des trois Nymphes. A Néris (Esp., n° 1568), le dieu de la source est représenté sous la forme d'un génie placé sous la jambe d'un cheval que parait conduire une femme drapée : je crois que c'est la traduction de la croyance populaire de la source née sous le sabot du cheval de la fée, Sébillot, II, p. 185-6 (contra, Reinach, Rev. arch., 1915, 11).

[36] Et même sous celles de Nymphes, n. précédent et suivante. — De même, pour les montagnes, Junones Montanæ (XII, 3067). — Pour les Junones Augustæ des Saintes-Maries (XII, 4101), il peut s'agir de divinités de source [la fameuse source de la tradition chrétienne ?, e miraclouso, e lindo, e sano, Mistral, Mirèio, chant XI], mais aussi des simples déesses du lieu. Même remarque pour les Junones Augustales d'Agen (XIII, 914).

[37] C. I. L., XIII, 345 et s. Les dévots d'Ilixo portent aussi bien des noms romains que ceux des Nymphes des noms indigènes.

[38] A Néris.

[39] La corne d'abondance, si fréquente dans les figurations de Mères, est à la fois l'équivalent imagé, et des cornes figurées sur la tête des dieux aquatiques, et des sacs du dieu accroupi gaulois.

[40] Il est bon de rappeler à ce propos la tendance, qui se faisait de plus en plus jour parmi les dévots de l'Empire, d'avoir sur la terre une capitale, un chef-lieu religieux, le plus souvent un sommet sacré : par exemple le Capitole pour les dévots de Jupiter, le mons Vaticanus, le Palatin ou le mont Ida pour ceux de )a Mère (XII, 405 ; XIII, 1751), peut-être le mont Tifala pour ceux de Diane, l'Auvergne ou plutôt le puy de Dôme pour ceux du Mercure gallo-romain. Mais inversement, par une sorte de localisation au second degré, les adorateurs d'un dieu ont transporté un peu partout l'image de son chef-lieu sacré, et on a eu un mons Vaticanus près de Mayence (pour Bellone, XIII, 7281) et un Capitole dans nombre de cités. Cela se retrouvera dans le Christianisme.

[41] C. I. L., XIII, 1523.

[42] Le plus souvent, le Mercure des sommets ne porte pas de surnom ; par exemple au Donon (XIII, 4549-53), sur les monts éduens (mont Saint-Jean, mont Marte, mont de Sene ; XIII, 2830, 2636, 2889), au mont du Chat chez les Allobroges (XII, 2437). — J'incline à croire à un Mercure local, de montagne ou peut-être de source, dans le Mercurius Artaius de Beaucroissant d'Isère (XII, 2199 ; temple important), et je le rapproche du dieu aquitain Artehis ; et peut-être faut-il songer aussi, à ce propos, à la dea Artio (XIII, 5160, 4113, 4203, 7375, 11789), quoiqu'on en fasse d'ordinaire la déesse des ours, et qu'elle puisse avoir aussi un rôle forestier.

[43] Il y a une source sainte au pied du rocher du mont de Sene (Bulliot, Mém. de la Soc. Éd., n. s., III, 1874, p. 140-1). Peut-être le Mercurius Canetonnensis de Berthouville (XIII, 3183). Peut-être le Mercurius Vindonnus au pied du puy de Dôme, le Mercurius Alaunus de Mannheim (XIII, 6425).

[44] Il y a des dédicaces à Apollon dans la plupart des villes d'eaux et, en outre, près de la plupart des sources importantes (par exemple Apollo Vindonnus à Essarois).

[45] Par là s'explique son culte à Genève (XII, 2585-6). Inscription à Apollon près du lac et de la grotte de Notre-Dame-de-la-Balme près de Lyon (XII, 2374).

[46] Par exemple à Vichy.

[47] Dans la région de la Forêt-Noire, par exemple, Diana seule ou Diana Abnoba, XIII, 6283 ; Espérandieu, n° 5250.

[48] Marti Giarino, XII, 332 ; Marti Vintio, XII, 3 (à Vence) ; Marti Cemenelo (à Cimiez, V, 7871) ; Marti Randosati, XIII, 1516. ]e ne peux pas d'ailleurs affirmer qu'il ne s'agisse pas de sources, de Génies de bourgades, ou même d'épithètes générales, Mars étant le dieu dont les qualificatifs sont le plus nombreux, le plus difficiles à expliquer, le plus dispersés, et peut-être est-ce le dieu qui s'est le plus morcelé en usages topiques et personnels. — Et les mêmes collines de Mars sont aussi allées à Pollux, deo Vintio Polluei (XII, 2562).

[49] Marti Vorocio (XIII, 1497, Vichy) ; Cososo deo Marti suo (XIII, 1353) ; Marti Albiorigi. Sans aucun doute les deux Mars de Saint-Pons. — Il a pu également prendre des lacs (XIII, 5343, en supposant qu'il s'agisse du lac d'Antre). Associé à Apollon près du lac d'Yverdon (XIII, 11471-3).

[50] Par exemple Jupiter Pœninus du Grand Saint-Bernard (C. I. L., V, p. 761 et s.). — Junonibus Montanis, XII, 3067. — Il a dû y avoir aussi des montagnes, cols ou sommets consacrés à Hercule (au Petit Saint-Bernard, locus Herculeis aris sacer, Pétrone, 122, vers 146).

[51] Espérandieu, n° 2188, etc.

[52] La transformation d'un grand dieu en Génie topique s'est produite même pour les dieux orientaux : Deo Invicto [Mithra] Genio loci, XII, 2587 (lac de Genève) ; XIII, 5236 (Baden des Helvètes) : comme Bélénus avait été remplacé par Apollon en tant que dieu des eaux, Apollon le fut à son tour par Mithra. Et ces exemples montrent bien que Mithra est moins souvent un dieu d'importation qu'un dieu d'adaptation.

[53] D'autant plus que jamais la maîtrise d'un grand dieu sur une source ne fut absolue. A Luxeuil, on adore tantôt le couple Apollo et Sirona, et tantôt celui de Lussoius et Bricia (XIII, 5424.6) ; à Bourbonne, à côté de Damona, jusqu'ici immuable, il y a Apollo Borvo ou Borvo seul (XIII, 5011 et s.) ; à Bourbon-Lancy, à côté de Damona, il y a Apollo et Borvo (XIII, 2804 et s.). Il est cependant possible que chacun de ces dieux ait eu, dans une ville d'eaux, sa source à lui.

[54] Genio loci, où locus doit avoir le plus souvent le sens de lieu habité, de bourgade.

[55] Par exemple Genio vici Canabarum et vicanorum Canabensium, à Strasbourg, XIII, 5067 ; Tulelæ plateæ à Cologne, XIII, 8251. Genius Forensis, XII, 1283. Dea Lucretiæ pour le vicus Lucretius de Cologne ?, etc.

[56] XIII, 5907 (n. précédente).

[57] Prudence, Contra Symm., II, 446 et s. : Portis, domibus, thermis, stabulis soleatis adsignare suos Genios ; perque omnia membra Urbis perque locos Geniorum millia multa, ne propria vacet angalus ullus ab umbra ; Macrobe, III, 9, 2 ; etc.

[58] Avec cette distinction, qu'il ne faut point d'ailleurs faire rigoureuse, que Genius doit s'entendre surtout des êtres, du groupement humain, Tutela surtout de l'endroit, du terrain occupé, bâti, habité.

[59] XIII, 949, 935-6 (Tutela Vesunnæ). Rien n'empêche d'accepter l'hypothèse, que le monument dit la Tour de Vésone appartient à ce temple de la Tutelle.

[60] XIII, 534-5 (Tutelæ seulement). Les Piliers de Tutelle étaient les ruines de ce temple. Près de là était la fameuse source Tropeyta, qui se jetait sans doute dans la Devèse, et qui était peut-être à la fois et la Tutelle des Piliers et des inscriptions et la Divona urbis genius chantée par Ausone.

[61] L'anniversaire de ces temples ou de ces Tutelles devait correspondre à ce dies natalis des villes qu'on célébrait toujours solennellement (par exemple à Trèves, Paneg., VII [VI], 22).

[62] Les principales traces de ce culte au nord de la Garonne sont à Périgueux, à Tulle (sans doute une Tutela loci, d'où le nom), à Vienne (XII, 1837), à Autun (XIII, 11227 ; interprétation incertaine). Comme d'autre part ce culte est répandu en Espagne, surtout ibérique, on peut supposer, avec réserves, que ce culte, sous sa forme romaine, se rattache à quelque habitude municipale des Ibères, grands amis des villes.

[63] L'inscription à la Tutelle, de Tonneins (XIII, 583), m'a paru des premiers temps de l'Empire, et nous avons un monument à la Tutelle de Bordeaux daté de 224 (XIII, 584) : je me demande d'ailleurs, pour ce culte, s'il n'y a pas eu à la lin adaptation à celui de la Mère des Dieux ; cf. Graillot, Culte de Cybèle, p. 460-1.

[64] En réalité, sous le nom de Tutela, c'était la ville même qu'on adorait, et il serait permis d'interpréter Tutelæ ou Tutelæ Augustæ Vesunnæ à Tutelle Vésone, non pas à la Tutelle de Vésone ; cf. Tutelæ Augustæ Ussubio (XIII, 919). De même, à Amiens, dea Samarobriva (XIII, 3490) est la ville comme déesse. La ville de Vienne, comme déesse, est figuré, sous les traits d'une Cybèle couronnée de tours, tantôt avec l'inscription Tutela, tantôt avec celle de Vienna felix (Déchelette, Céram., II, p. 268-9) : Vienna a pu être primitivement le nom d'une source. Pour ce qui est du dieu Vasio à Vaison (XII, 1331, 1338-8), le dévot a pu songer moins à la ville qu'à l'éponyme du lieu, source sans doute. Et ceci est le cas de Nemausus à Nîmes, d'Arausia à Orange, d'Aventia à Avenches, de Bibractis à Autun. Cf. à Bordeaux. Du même genre, peut-être les Mars de Vence et de Cimiez.

[65] Ou aussi Matres ou Matronæ (n. suivante).

[66] Genio civitatis Biturigum Viciscorum à Bordeaux (XIII, 566) ; Genio Arvernorum (XIII, 1462) ; Genio Leucorum à Naix (XIII, 4630). — Dea Segela, chez les Ségusiaves, semble une source qui a servi de déesse éponyme au peuple. Dea Sunuxsalis a été supposée la déesse éponyme des Senuci. — Du même genre, chez les Vediantii de Cimiez, Matronæ Vediantiæ (C. I. L., V, 7872, 7873), et, dans les régions du Rhin, Matres Treveræ (XIII, 8634) ; de même, Matres Frisavæ, avec l'épithète de paternæ, ce qui semble indiquer que le dévot, fils de Frison, adore les Mères de ses parents (XIII, 8633) ; Matres Suebæ avec l'épithète de mex (8224-5 : il doit s'agir de la civitas de Lopodunum). Sous cette forme de Mères, les divinités des cités apparaissent beaucoup moins avec un caractère municipal et public (ce qui est le cas sous la forme de Genius) que comme protectrices, bonnes fées des individus.

[67] Apt, XII, 5698, 1 ; Carpentras, 1159 ; Lyon, XII, 5687, 45, et Déchelette, Céram., II, p. 270-2 ; Avenches, XIII, 5075 ; Vienne ?, XII, 5087, 44 (Genius populi) ; etc.

[68] Genius pagi, en particulier chez les Helvètes (XIII, 5076).

[69] Genius loci en un très grand nombre d'endroits ; Genius publicus à Soleure (XIII, 5171). Sous une autre forme, Fortuna tutatrix [ ? ; = tutelo] hujus loci (XII, 4183). On trouve aussi des Génies pour des catégories distinctes d'habitants, Genius incolarum à Avenches (XIII, 5073).

[70] Genius collegii (XII, 1282 ; 1815, associé à Honos collegii ; etc.). Genio negotiatorum pannariorum à Mayence, XIII, 6744 ; autre, XIII, 11979 ; etc. Et bien d'autres variétés : Genius ararii d'une corporation (XII, 2370), etc. Voyez aussi les Génies de métiers.

[71] Il y eut sans doute aussi (surtout dans le Nord-est) des Génies provinciaux, mais toujours sous la forme de Mères (Matribus Brittis, XIII, 8631-2 ; Germanis, 8221). Si ce dernier culte ne s'est pas développé, c'est que les Génies nécessaires des provinces étaient Rome et Auguste.

[72] Ce qui me le ferait croire, c'est que ce culte s'est présenté sous la forme indigène de Matres.

[73] Finibus [entre les deux Germanies] et Genio loci, XIII, 7732. Peut-être les (Matres) Ambiomarcæ de Remagen, XIII, 7789. A la frontière des Némètes et des Vangions, Concordiæ duarum stationum, à la Concorde des deux postes, chaque cité ayant le sien sur la grande route (XIII, 6127). — Aux cols de montagnes.

[74] Laribus magnis et viatoribus, à Narbonne, XII, 4320. L'assimilation des Lares Compitales aux Quadriviæ est nettement indiquée dans une inscription de Mayence 6731 = 11816.

[75] XIII, 5069, 5621, 6437, 6667, 11474, etc., avec ou sans deæ. Surtout en Germanie Supérieure, mais je doute qu'il y ait là un élément germanique.

[76] Sous différents noms : Lares (XII, 1564, 1820), Penates ?, Genius domus ? (XII, 2629), et je crois que nombre de Matres et de Matronæ sont des Mères de domaines. Peut-être aussi le Genius loci est-il souvent l'équivalent du dieu de la maison, et plus particulièrement des Pénates.

[77] Le tricéphale de Paris, apparenté à Mercure, qui tient une tête de chenet à la main, ne peut être qu'en fonction domestique ; et l'ensemble du monument, où le tricéphale est accompagné de scènes représentant le désarmement de Mars, signifie que le dévot revient des armées et salue le dieu de son foyer. — On peut aussi supposer que, dans certains cas, le tricéphale représente les trois Sylvains des domaines, groupés sur une seule image : Omnis possessio tres Silvanos habet : unus domesticus, possessioni consecratus (le dieu central des tricéphales ? comparez les Pénates des deux côtés du Lare, et la Mère centrale dans ce groupe des trois Mères), alter dicitur agrestis, pastoribus consecratus, certius dicitur orientalis, cui est in confinio lucus positus ; dans les Gromatici veteres, p. 302. Voyez aussi les trois maillets de certains monuments ; Espérandieu, n° 497.

[78] Le rapport du champ ou du domaine avec le dieu au maillet ou le Sylvain gallo-romain est hors de doute ; XII, 103, 5381 ; Gromatici, p. 302.

[79] Aulu-Gelle, II, 28.

[80] Mercurius viator, XII, 1034, 5319. De même, Mercurius finitimus, XII, 73, Mercurius domesticus, XIII, 7276.

[81] Dans le même sens, Apollo Toutiorix (XIII, 7504) = rex civitatis ? ou Genius publicus ? (à Wiesbaden, dont les eaux devaient appartenir à Apollon) ; cf. Apollo noster chez les Éduens, Paneg., VII [VI], 21. Peut-être aussi Mercurius Arvernorix.

[82] C. I. L., XII, p. 925 ; etc.

[83] C. I. L., 3003-6, 4317, etc. — Ce culte des Génies et des Junons, de forme indubitablement latine, se rencontre surtout à Nîmes, où il s'est adapté à des croyances indigènes de même espèce (cf. les Proxamæ), à une religiosité domestique plus forte chez les habitants de celle ville que chez ceux de n'importe quelle autre ville de Gaule. — J'hésite beaucoup à ne pas ramener à dii genii les dédicaces Digenibus, Diginibus, XII, 4216 : XIII, 8176.

[84] Note suivante. Inscription Cososo deo [dieu de source] Marti suo (XIII, 1363) : la dévote a dû, non pas songer à plusieurs dieux, mais se représenter la source à la fois comme son Mars et son patron ; ajoutez, pour achever l'agglomération de dieux, qu'elle semble appeler Cososus du nom de Augustus (on a contesté à tort l'authenticité de l'inscription ; Chénon, Bull. des Antiquaires, 1915, p. 230-8).

[85] C'est Mars, en Gaule, qui joue le plus souvent ce rôle de patron ou de Genius des êtres (inscriptions Marti suo, C. I. L., XII, p. 925), Mercure paraissant plutôt réservé aux foyers.

[86] Matres, Matronæ, avec parfois l'addition de meæ, suæ, paternæ, maternæ. Surtout dans le nord-est. Certains noms énigmatiques de ces Matres peuvent être ceux d'individus, de villas, de familles (Julineihiæ ?, XIII, 7882).

[87] Ici la forme est visiblement d'emprunt italiote : Dominæ (XII, 2446, etc.), Parcæ (XII, 3111, etc.), Fata ou Fatæ (par exemple C. I. L., XII, 1281, 3045 = Esp., n° 444). Une des inscriptions les plus caractéristiques de ce groupe est une dédicace Deæ Dominæ, à la fée protectrice d'une jeune fille, monument élevé par sa mère, avec consécration d'un bois sacré et cérémonies anniversaires (XIII, 8706) : mais ici le rapport est étroit avec le monument funéraire. — A ce groupe se rattachent peut-être les Sanetæ Virgines des Allobroges (XII, 1838).

[88] Les Proxumæ en Narbonnaise et surtout à Nîmes (C. I. L., XII, p. 927 ; Esp., n° 331, 445). Le mot doit traduire une expression celtique. — Du même genre, dans les pays gaulois : Sulevæ ou plutôt Suleviæ (Sulevia est aussi une épithète de la Minerve celtique, celle des sources ?), XII, 1180-1, 2974 ?, XIII, 3561 (avec l'épithète de Junones), 5027 (avec l'épithète de suæ et l'explication qui curam vestram agunt), 12056 (domesticæ suæ), 11740 (sorores), etc. Le mot est certainement l'équivalent absolu de Matres ou Matronæ. — Casses, mot certainement celtique, XIII, 6668, 6116, etc. ; l'expression n'apparaissant qu'au datif, dis Cassibus, bonis Cassubus, on a supposé qu'il s'agit de dieux [du chêne ?] et non de déesses. — Dans les régions rhénanes, avec ou sans Matrones : Gabiæ, certainement synonymes de Junones, XIII, 7037 et s., 7856, 8612 ; cf. n. suivante (celles qui donnent ?, en celtique ?), et leurs voisines, Ollogabiæ [cf. Mars Olloudius à Antibes. XII, 166-7], Gavadiæ (XIII, 7885 et s.), Gesahenæ (XIII, 7889 ; cf. Gesacus) ; Veterahenæ, très fréquentes (= Vicirices ?), Aufaniæ (XIII, 1766, 8213-4). Je n'indique ici que des Mères dont les noms paraissent avoir un caractère général, être analogues à ces épithètes de Victrices ou Conservatrices qu'on trouve ailleurs. Il n'est pas du tout démontré que ces mots n'aient pas tous une origine celtique.

[89] Virodacti sine Lucenæ, XIII, 6761. Les figurines de Déesses-Mères en terre cuite sont souvent des Jupons en fonction maternelle. — La dea Uncia de Juliers (XIII, 7870) offre de singulières analogies avec la vieille divinité italiote des indigitamenta, Unxia, qu'on invoquait dans les mariages au passage du seuil conjugal (Martianus Capella, II, 149). De même genre, Quartana à Nîmes, la déesse de la fièvre (XII, 3129).

[90] (Matres) Campestres, XIII, 6470, etc.

[91] La déesse des savonniers ? (Espérandieu, n° 4892, bas-relief de Grand) ; autre, Espérandieu, n° 2215. — Les Lugoves, que j'avais songé un instant à rapprocher de Lucina, paraissent plutôt des Mères de collège ou de métier (XIII, 5078 ; II, 2818).

[92] Ce sont peut-être des Mères à fonctions limitées que les suivantes : Caiva, déesse isolée (XIII, 4149), Arvagasiæ (XIII, 7855), Hamavehæ (XIII, 7864 ; on les a aussi rapportées aux Chamaves), Octocannæ (8571-7), Textumeæ (7849), Vatuiæ (7883-4 ; parfois avec Nersihenæ comme seconde épithète, celle-ci, je crois, topique et de source : 7883), etc. — Les Matres et divinités de cette sorte équivalent absolument aux dii certi des indigitamenta dans l'ancienne religion latine ; et je ne serais pas surpris si quelques-uns de ces noms mystérieux pouvaient être rapprochés des indigitamenta. Rappelons les analogies de la religion gallo-romaine avec celle de la vieille Italie.

[93] Je crois qu'Épona a souvent joué ce rôle, et, d'une manière générale, le même rôle que toutes les Mères. Sa fonction initiale de déesse des chevaux s'est, je suppose, perdue peu à peu dans une allure de fée domestique.

[94] Il suffit de parcourir le Corpus et le Recueil d'Espérandieu pour voir les innombrables variétés dans les modes de groupement de dieux.

[95] Mercure, bien souvent, avec son coq, sa bourse, son bouc et sa tortue, n'a dû être adoré qu'en fonction de gardien domestique, comme l'équivalent d'un Lare, d'un Sylvain ou d'un dieu au maillet, d'Épona ou de Mères. Et ceci du reste est banal dans toutes les religions.

[96] Il faut toutefois remarquer que la célébration du culte impérial n'était pas plus obligatoire que celle de n'importe quel autre culte : cela ne changea que lors de l'édit de Decius en 250 ; Mommsen, Strafrecht, p. 568. Il est toutefois évident qu'on tendit de bonne heure à suspecter ceux qui s'abstenaient de rendre au prince un hommage religieux (Pline, Ép., X, 96).

[97] Numea ou Numina Augusti ou Augustorum.

[98] Outre celles que nous allons indiquer ici, en voici quelques autres. Autel ou temple Augusto servant à tous les empereurs successivement, cela surtout dans les cultes provinciaux et municipaux. Culte du Genius des empereurs. Culte de leur Numen. Culte de telle divinité comme gardienne des empereurs, Diana Augustorum par exemple (XIII, 1495), sans doute à propos de chasses impériales. Monuments élevés à d'autres dieux, même à un empereur, pour le salut d'un prince, par exemple Divo Augusto pro salute Claudii Augusti (XIII, 1642) : il y a même des tombeaux élevés à des parents pro salute imperatoris (XIII, 1446) ; dans la même catégorie, monuments innombrables in honorem domus divinæ : le plus ancien est l'autel de Naix (XIII, 4635) à Tibère et pro perpetua salute divinæ domus. Le nom de l'empereur dissimulé sous celui d'une divinité symbolique : chez les Vellaves (XIII, 1589), Saluti generis humani parait désigner Galba. Etc.

[99] Comme plus anciens monuments : près de Neuilly-le-Réal chez les Arvernes, bustes d'Auguste et de Livie, élevés sans doute de leur vivant, avec l'inscription Cæsari Augusto et Liviæ Augustæ et la formule cultuelle votum solvit libens merito (XIII, 1368) ; monuments, autels ou bas-reliefs, à Tibère, à Périgueux (à Jupiter Optimus Maximus et au Genius Tiberii, XIII, 941), à Paris (à Tibère et à Jupiter O. M., 3026).

[100] A Lyon, monument élevé Mercurio Augusto et Maiæ Augustæ, avec l'image de Tibère (XIII, 1769) : Mercure et Maia ne peuvent guère être que les équivalents de Tibère et de Livie. Empereurs en Hercule. Julia Domna assimilée à Dea Cælestis, XIII, 6671.

[101] Entre des centaines d'inscriptions, la plus ancienne, contemporaine d'Auguste, parait être celle d'un petit autel de Bordeaux, Jovi Augusto, XIII, 569. On trouve même Nemausus Augustus (XII, 3102), quoique d'ordinaire le nom de Augustus ne s'applique à un dieu local que lorsque celui-ci est désigné par des noms romains, Mercurius, Tutela, Nymphæ, etc.

[102] Il est très difficile, dans les cas où les animaux sont figurés isolés, de savoir si le dévot a voulu les honorer pour eux-mêmes ou comme attributs de dieux : par exemple le cheval (avec l'inscription Augusto Rudiobo, XIII, 3071) ; les sangliers et le cerf du trésor de Neuvy-en-Sullias ; le serpent (Esp., n° 1195, etc. ; à tête de bélier, n° 2072) ; la tortue (Esp., n° 441) ; les grues de l'arbre d'Ésus ; le corbeau (XIII, 4542) : j'incline cependant à croire que, par delà l'animal, on pensait à son dieu. Les animaux qui ont le plus gardé une valeur sacrée pour eux-mêmes sont peut-être l'ours (XIII, 5160 et 4113) et le loup (notez le nombre d'individus s'appelant Luperci), c'est-à-dire les deux bêtes essentiellement malfaisantes. Je ne sais s'il faut attribuer un caractère religieux au lion et au sanglier de l'inscription Belliccus Surbur (XIII, 4554).

[103] Et aussi du cavalier porté par l'anguipède.

[104] À Alésia on a trouvé des moules pour fabriquer des rouelles de métal. Le nombre de rayons, jusqu'ici, ne me paraît rien signifier.

[105] L'ascia (ou la hachette du tailleur de pierre), telle qu'elle est figurée sur les tombes, ne peut être qu'un signe protecteur de ces tombes et de leurs morts, destiné à écarter les mauvais esprits, un phylactère dans le genre de la tète de Méduse. Comme telle, elle remplace la hache des temps primitifs (peut-être parce que la hache, en celtique, s'appelait d'un mot similaire à ascia, la similitude de mot aura entraîné, dans les temps romains, le changement de forme). Mais d'autre part, il est possible que cette superstition originelle, de la hache protectrice des tombes, se soit adaptée à un usage funéraire d'autre sorte : donner au mort un monument fait exprès pour lui, fait avec un instrument (l'ascia) n'ayant servi que pour le monument : sub ascia dedicare, qui est la formule courante en Gaule pour les tombes, signifierait dédier la tombe sous l'outil et avec l'outil qui l'a taillée, mettre le mort dans une demeure pure de tout contact antérieur et étranger, et lui consacrer l'instrument qui a servi à construire celte demeure. Il y aurait donc, à l'usage de l'ascia funéraire, une double explication, simultanément valable ; il est rare d'ailleurs que les croyantes religieuses n'aient qu'un seul fait à leur origine. Cette croyance encore, que le mort veut une demeure neuve, nous rapproche, comme la sauvegarde par la hache, des temps ligures, où les monuments funéraires étaient des pierres brutes, détachées pour les défunts. — La présence, au lieu ou à côté de l'ascia, d'autres instruments de maçon et en particulier du niveau triangulaire, peut avoir dans certains cas la même signification.

[106] Cf. Esp., n° 1525, etc.

[107] Sur des tombes, des autels, des objets de culte : Esp., n° 851, 853-4, 859-61, 803, 871, 1220 ?, 1508 ; C. I. L., XII, 1207 ; XIII, 5234. — Remarquez que le svastika se retrouve en Belgique (XIII, 3610 ; Saint Germain, Cat., p. 87, 130), où tant de choses rappellent les usages des temps ligures.

[108] Sur les tombes en particulier (XII, p. 966, etc.), mais sans doute d'emploi général.

[109] Sans parler de quantité d'objets ou de figures servant également de talismans, et dont l'emploi provient tout ensemble d'habitudes classiques et de traditions indigènes : têtes de Méduse, masques de tout genre, clochettes ou sonnettes (voyez le Mercure à sonnettes du Cabinet des Médailles, lequel n'est point du reste spécifiquement gallo-romain, Bronzes, n° 363 ; il a été découvert à Orange et les 7 clochettes peuvent répondre aux sept jours de la semaine ; remarquez aussi la quantité trouvée à Mandeure, pieds, mains, etc. — Sans parler non plus des symboles introduits par les cultes orientaux et par le Christianisme.

[110] De même, les druidesses mentionnées au IIIe siècle. Il est possible d'ailleurs que recettes et pratiques aient fait jadis partie des rituels druidiques.

[111] Peut-être est-ce à propos de ce genre de prêtrise qu'il est dit des Éduens (chez lesquels il se rencontre), qu'ils sacrifiaient tectis capitibus (Commenta Bernensia, I, 427 ; cf., sous réserves, Esp., n° 1602, 427).

[112] Dès Auguste ; cf. XIII, 939.

[113] Dès Auguste.

[114] Même changement dans les mots : nemeton, ternemetis, qui ont dû signifier primitivement endroit ou bois consacré, doivent prendre maintenant le sens de temple bâti, fanum, fanum ingens (Fortunat, Carm., I, 9, 9-10). Il reste toujours possible qu'il y ait eu encore bon nombre de bois ou de lieux sacrés sans temple, et que ces bois se soient appelés nemeta, cf. silvæ quæ nimidæ vocant (Capitulaires, éd. Boretius, p. 223).

[115] De Vesly, Les Fana de la région normande, 1909. Cf. n. précédente.

[116] La tête de statue découverte en même temps paraît celle d'un Apollon. Le calendrier cultuel du sanctuaire du lac d'Antre (culte de Mars ? ; C. I. L., XIII, 5345), regardé d'abord comme latin, a été plus justement jugé celtique (Rev. épigr., III, p. 545).

[117] Muneris publici curator ad Deam (Die) ; XII, 1529.

[118] Il est de même probable que c'était continuer un usage celtique que d'offrir aux dieux des chasses et des combats de bêtes ; XII, 533, 1590 (à Die, Dea, ce qui montre bien le caractère religieux). — Comme presque tous (et peut-être tous) les théâtres de la Gaule avoisinent des temples ou font partie de lieux saints, il me semble certain que les représentations, quelles qu'elles fussent, étaient affectées au dieu de l'endroit.

[119] Scènes de sacrifices : Esp., n° 290 (taureau et bouc), 1100 (porc). Libations (thus et vinum, C. I. L., XII, 4333) et offrandes de fruits : Esp., n° 529, 535. Toutes ces sculptures sont la figuration et la commémoration de sacrifices qui ont eu lieu ; elles sont une manière d'éterniser le fait. — Guirlandes de fleurs pour orner les sanctuaires et statues : C. I. L., XII, 533. — Victimes pour inaugurer un sanctuaire, XIII, 509 ; à des anniversaires, XII, 4333, etc. — Fulgur conditum, fulgur divom, à la manière classique, XII, p. 928, et ailleurs.

[120] Vœux pro salute sua, ou de parents, ou amicorum ; pro itu ac reditu ; etc. Toutes les formules de vœux sont conformes aux habitudes latines, ex voto, votum solvit libens merito (cf. XII, p. 959, etc.).

[121] Ce qu'il y a peut-être de plus conforme à la tradition celtique, ce sont les offrandes d'armes et d'ornements de dimensions démesurées ; colliers à Auguste (Quintilien, VI, 3, 79), à Tibère et Jupiter ; armes et instruments à Némétona (C. I. L., XIII, 7253). Inversement, des haches en miniature (chez les Helvètes, XIII, 5158, etc.). — Têtes (d'ennemis ?) trouvées sous un autel consacré à Mars (près d'Apt, XII, 1017) ; les images de têtes coupées qu'on reconnaît sur un certain nombre de monuments gallo-romains doivent être parfois des simulacres de ce genre d'offrandes. — Le reste appartient aux séries d'offrandes banales, temples, édifices ou portions d'édifices, colonnes, autels, bas-reliefs, statues ou figurines, bijoux (bracelets à Hercule, XIII, 10027, 208-12), armes, monnaies, étoffes, vaisselle de toutes sortes, depuis l'aiguière d'argent à bas-reliefs ou le vase de bronze (Apollini Granno, XIII, 10038, 60) jusqu'à la simple tasse en terre cuite (Héron de Villefosse, Revue épigr., 1903, V, p. 9 et s.). — Tout cela, le plus souvent déposé dans le temple ou ses dépendances, maintes fois aussi confié aux sources, lacs, mares, puits, avoisinant le temple (XIII, 1498-7 ; un certain nombre de ces puits ayant pu servir après coup de favissæ ou lieux de débarras pour objets sacrés).

[122] Rien non plus qui ne rappelle Rome dans la manière de recevoir les communications des dieux, le songe ou l'apparition étant, semble-t-il, la principale en ce temps-là (visu monitus, Hécate, XIII, 3843 ; imperio, jussu, etc.), la prophétie, si populaire jadis chez les Celtes, ne reparaissant guère qu'avec les cultes orientaux (ex vaticinatione archigalli ; XIII, 1752 ; XII, 1782), sans aucun doute parce que l'autorité impériale a toujours été très dure pour les prophètes.

[123] XIII, 7350 : nomina data ad inferos ; XII, 5367 : invocations de malades sur lamelles de plomb trouvées dans la fontaine chaude d'Amélie-les-Bains ; XIII, 5338 : imprécation magique sur lamelle d'argent, thermes de Badenweiler ; XIII, 7550-5 : tablettes de plomb avec inscriptions de même genre, trouvées vers Planig près de Kreuznach, et sans doute en rapport avec les eaux salines ; XIII, 11340 : tablettes d'argent ou de plomb avec imprécations dans l'amphithéâtre de Trèves ; etc. Audollent, Defixionum tabellæ, 1904.

[124] Pour la bibliographie : Cumont, Les Religions orientales dans le paganisme romain, 1907 ; le même, Les Mystères de Mithra, 3e éd., 1913. En dernier lieu, l'excellent livre de Graillot, Le Culte de Cybèle, Mère des Dieux, 1912.

[125] Nous devons ajouter ici : Bellona, sous sa forme orientale, qui a dû certainement être connue en Gaule outre sa forme gallo-romaine et latine (C. I. L., XIII, 7281) ; la Bona Dea, qui est, elle, d'origine romaine, mais qui est à rapprocher de la Mère, à cause du caractère chthonien, panthée et mystique qu'avaient son culte et sa personne (sa religion n'est organisée qu'à Arles, XII, 854). — A titre exceptionnel, le ίερεύς Λευκοθέας à Marseille (Inscr. Gr. Sic., 2433) : mais il peut s'agir d'un ancien culte ionien.

[126] Jovi Sabasio (XIII, 1498) : inscription et images de Jupiter sur des lamelles d'argent trouvées à Vichy près d'un puits ; le dévot de l'inscription est un Gaulois.

[127] Sous le nom de Liber pater : sacerdos à Die en 245 (XII, 1567) ; à Nîmes, dédicace de la compagnie dionysiaque (XII, 3132) ; à Lyon. Sans parler de manifestations de culte purement individuelles. Le caractère universel de ce dieu se révélait dans certaines de ses statues ayant omnium deorum argumenta (Ausone, Epigr., 30). — Il est également probable que le culte d'Hercule se réorganisa, à côté de celui de Bacchus, sous des influences orientales.

[128] A Marseille (XII, 403-4, si les monuments sont bien de là). Sans parler des régions militaires (notamment Heddernheim, XIII, 7341-5), où l'on trouve également deus Casius (7330), le dieu du Casius près d'Antioche ?, Jupiter Olbius (7346), le dieu d'Olba en Cilicie. Mais il doit s'agir souvent, pour ces trois dieux, d'étrangers se faisant suivre en Gaule par les dévotions de leur pays. De même, le Jupiter d'Héliopolis (Baalbek) est adoré à Nîmes et près du Rhin par des Syriens de Beyrouth (XII, 3072 ; XIII, 6058). Le sacerdos Jovis Ammonis [?], dans le locus religieux de Mandeure (XIII, 5415), me paraît être un étranger venu en pèlerinage.

[129] La chose est en tout cas certaine pour la Mère.

[130] C. I. L., XII, 1003 : Soli invicto ; deo Soli, XIII, 2341.

[131] Isi myrionymæ et Serapi, Soissons (XIII, 3461).

[132] Isis mater, Isis regina, dans les inscriptions de Gaule.

[133] Voyez, dans le recueil d'Espérandieu, le nombre si restreint d'images d'Isis, de la Terre, de Mithra ; et comparez avec la multitude des Mercures ou des Jupiters.

[134] C'était souvent un simulacre de grotte que le mithræum : Bourg-Saint-Andéol ; Lyon (Allmer, Musée, II, p. 304-5) ; Heddernheim (XIII, 7381 et s.) ; Strasbourg. — Cf. le rôle des cavernes dans l'enseignement des druides. — Ne pas oublier le lien étroit de ces cultes avec les sources (à Lectoure pour la Mère ; pour Mithra à Sarrebourg et à Bourg-Saint-Andéol ; à Baden des Helvètes pour Isis, XIII, 5233), ce par quoi les cultes orientaux s'en viennent retrouver les plus anciens lieux sacrés de la Gaule.

[135] Le pin de la Mère ; Esp., n° 83, 180, 181, etc. ; arborem pinum, qua Fano erat proxima, Sulpice, V. Mart., 13.

[136] Le lion de la Mère, etc.

[137] Cf. les castissimi à Lyon. Agathyrsus à Lyon, homo sanctissimus, est un adepte de Bacchus (XIII, 2099). Bonis bene, dans l'épigraphie lyonnaise (XIII, 1893), doit s'entendre d'initiés. — Il y a hiérarchie d'initiés et catégories de fidèles : pour le culte à Isis, cf. note plus bas ; de Mithra, ob gradum Persicum à Vaison (XII, 1324).

[138] Magna Mater, Isis mater, Liber pater (XII, 4138 ; XIII, 5384), chez les dieux ; chez les prêtres, pater ou mater sacrorum.

[139] La palme et la feuille de lierre, par exemple, dans l'inscription d'Agathyrsus ; ailleurs, XIII, 1893 ; XII, 218 ; XIII, 657. Au surplus, dans bien des cas, elles se sont stérilisées en signes de ponctuation. Contrairement à ce que l'on répète, la palme n'est nullement propre aux Chrétiens. — Oreilles : XIII, 1737 (Isis) ; XII, 654 (Bona Dea).

[140] Cf. n. 137 : bonis bene.

[141] Cf. Agathyrsus (culte de Bacchus) ; autres, n. suivante.

[142] Je crois qu'à étudier de près les sarcophages, en particulier les cercueils de plomb, on reconnaîtrait assez aisément les adeptes de ces religions, beaucoup plus éprises de symbolique funéraire que les dévots des cultes classiques. Voyez à Arles le célèbre sarcophage de Tyrannia et Autarcius (noms caractéristiques), avec les emblèmes de la Mère (C. I. L., XII, 832 ; regardé à tort comme chrétien) ; les images d'Attis, du bonnet phrygien, du lion, de la panthère, etc., sur les cercueils de plomb, toujours recherchés par ces adeptes, sans doute par survivance d'usages orientaux (Espérandieu, n° 3033, 3924, 3956, 4385).

[143] Actes de saint Symphorien. — A Arles et à Nîmes, les pausarii, pastophori, Anubinei, dans le culte d'Isis, sont les confrères qui, dans les processions, portaient châsses et images. — Cf. les processions antiques de la Terre-Mère chez les Barbares, Tacite, Germ., 40.

[144] Sanctissimus, castissimus. Natalici viribus, autel élevé après un taurobole à la Grande Mère, XIII, 573.

[145] N. précédente. Je crois que, si le taurobole était effectué pour la santé d'un tiers, la vertu réconfortante du sang pouvait passer du fidèle qui le recevait à ce tiers : de là, le très grand nombre de tauroboles offerts pro salute de l'empereur et de sa famille (XII, 1782, etc., cf. ibid., p. 928 ; XIII, 511, 1751-5, etc.). Et il est fort possible que bien des tauroboles faits ou acceptés par les particuliers (fecit, accepit hositis suis ; XIII, 506-525) dissimulent également, quoiqu'il n'en soit pas fait mention, une dévotion à l'empereur. — La totalité des tauroboles mentionnés ici paraissent avoir été célébrés dans les sanctuaires gaulois de la Mère : le culte de Mithra en fournit infiniment moins.

[146] Ex vaticinatione archigalli, en 184 (XII, 1782), en 190 (XIII, 1752). Il s'agit sans doute d'un oracle spécial, révélant que le moment était venu (avènement, mariage, maladie, expédition du prince, etc.) de procéder à des cérémonies de ce genre, ce qui explique que les tauroboles soient datés, et datés de quelques dates seulement : à Lectoure, sur une vingtaine d'inscriptions tauroboliques (XIII, 504-525), 8 sont datées de 244 (mariage de Gordien), 1 de 239, 3 de 178 (retour de Marc-Aurèle). Le culte de la Mère était, par ces proclamations prophétiques, le plus mêlé de tous à la vie officielle de l'Empire. — Prophètes d'Isis à Marseille.

[147] Probable d'après l'ensemble des faits.

[148] Prophètes d'Isis, à Marseille : C. I. L., XII, 410 ; Inscr. Gr. Sic., 2433.

[149] Confrères isiaques à Nîmes : XII, 3224 (une femme, sacerdos Isidis), 3001 (ornatrix fani ?). Temple d'Isis et Sérapis, 3458.

[150] Confrères isiaques à Arles : XII, 734 (pausarii), 714 (pastophori).

[151] Le culte d'Isis a pu être organisé dans d'autres villes du Midi, sans doute chez les Allobroges (Anaboforus à Vienne, XII, 1919 ; Isidis ædituus à Grenoble, XII, 2215), peut-être à Lyon (XIII, 1737-8). Ailleurs, et jusqu'à nouvel ordre, il ne paraît y avoir qu'autels et statuettes isolées, résultat d'une dévotion accidentelle : par exemple à Soissons, XIII, 3481, autel élevé par la femme d'un esclave impérial ; à Melun, XIII, 3010 (Serapi deo) ; autres monuments, Guimet, Rev. arch., 1900, I, p. 75 et s. Je laisse de côté les régions militaires.

[152] En dehors de Lyon les traces de Mithra sont très disséminées en Gaule : à Arles (Esp., n° 142), à Bourg-Saint-Audéol, à Vienne chez les Allobroges, qui paraissent avoir aimé ce culte (Cumont, Mon., n° 277-8), Lucey chez les Allobroges (XII, 2441), Genève (XII, 2587), Vieux, Venetonimagus, sans doute chez les Allobroges, lieu de pèlerinage (XIII, 2540-1, mithræum important), Montsaléon (XII, 1535), Vaison (XII, 1324, ob gradum Persicum), Substantion (XII, 4188, pater sacrorum) : voilà pour la Narbonnaise, et encore y a-t-il des réserves à faire sur certains de ces textes. En Aquitaine, les très rares monuments (Éauze, Saint-Aubin dans l'Indre ; Esp., n° 1047 et 2737) et inscriptions (Bordeaux, 79* ; Éauze, 542) doivent être discutés. En Celtique et Belgique, hors Lyon, Mithra ne prend nulle part de fortes racines, sauf peut-être à Entrains et Néris, également vieilles localités pleines d'eaux saintes, au lieu sacré de Mandeure et dans les pays de Trêves, de Metz et de Boulogne, en rapport avec les armées. A peu près partout, d'ailleurs, il est possible de trouver les traces d'un Apollon local, qui attira Mithra, par exemple à Genève l'Apollon du lac. Et s'il est allé à Alésia, c'est Apollon qui l'y a appelé.

[153] Je n'insiste pas sur les inscriptions et sanctuaires des voisinages du Rhin. Parmi les mithræa qui peuvent le plus nous intéresser, celui de Sarrebourg chez les Médiomatriques (Espérandieu, VI, p. 28 et s.), celui de Schwarzerden, celui de Strasbourg (à Kœnigshofen ; Forrer, Das Mithra-Heiligtum, Stuttgart, 1915).

[154] XIII, 1771-2 ; Allmer, Musée, II, p. 304-5.

[155] Inscription commémorative d'un taurobole à Lyon, 9 décembre 160 (C. I. L., XIII, 1751) : certains détails (vires excepit et a Vaticano transtulit, le sacerdoce perpétuel accordé par le sénat municipal à l'auteur de la cérémonie) laisseraient supposer que c'est bien à cette date que le culte fut organisé à Lyon.

[156] Note précédente. Je n'énumère pas les villes et vici où l'on rencontre le culte de la Mère : car il semble bien qu'il ait pénétré dans toutes les cités, et que le hasard seul soit cause qu'il n'apparaisse pas dans quelques-unes ; cf. Graillot, p. 446 et s. A côté de sanctuaires municipaux, il y avait aussi, je crois, nombre de chapelles rustiques : exemple, aux Pennes près de Marseille (Esp., n° 83). La date de son introduction officielle, dans les, villes, était sans doute soigneusement notée et conservée : voyez à Lectoure l'inscription, d'une femme quæ prima Lactoræ taurobolium fecit (XIII, 504).

[157] Lyon, XIII, 1751-6 : toutefois, il n'y a pas d'indices nets que le culte ait été ici autre chose que municipal, et les monuments ont été découverts à Fourvières, non au Confluent. A Narbonne (XII, 4323) il y a nettement touropolium provinciæ.

[158] C. I. L., XII, 1567 : à Die, le 30 septembre 245, pour le salut de l'empereur Philippe, taurobole célébré par le pontife perpétuel de Valence sous les auspices (præeuntibus) de prêtres d'Orange, Die, Aps, d'un prêtre de Bacchus et d'autres prêtres (ceteris adsistentibus sacerdotibus).

[159] A Autun : Actes de saint Symphorien, 22 août, IV, p. 496.

[160] Il y a évidemment un rapport étroit entre les monuments cosmogoniques dont nous allons parler et la théologie de Mithra, qui, elle aussi, connaît la lutte de Mithra contre les ténèbres, son cours à travers le zodiaque, les saisons et les vents, etc. Mais je crois qu'il y a eu, non pas emprunt à Mithra, mais développement parallèle d'idées concordantes.

[161] Les traces des pratiques astrologiques sont assez faibles en Gaule, et se manifestent uniquement par des expressions classiques : iniqua stella, C. I. L., XII, 2039 ; cas d'un soldat dans la vie duquel tous les événements importants se sont passée die Martis, XIII, 1908 ; etc. — Mais j'ai peine à croire que la religion des druides ait ignoré l'astrologie.

[162] Les sept planètes et les sept jours figurés par Apollon, Diane, Mars, Mercure, Jupiter, Vénus et Saturne. — L'imagerie et le culte de la semaine se présentent en Gaule de deux manières (je laisse de côté les objets portatifs ne renfermant que les noms des dieux, XIII, 2869). 1° Des autels ou des bas-reliefs dont les sept figures sont simplement celles des divinités gréco-romaines : Espérandieu, n° 412, 2337, 4848 ; C. I. L., XIII, 6130, 6728 a ; etc. 2° Les vases en terre cuite fabriqués en Belgique (pas avant Marc-Aurèle ? et surtout chez les Tongres et les Nerviens ; Revue des Études anciennes, 1908, p. 173 et s.), représentant les sept bustes de ces dieux, mais avec ces particularités que ces bastes ont l'aspect barbare de divinités indigènes et qu'à la place de Mars, pour le troisième jour, on trouve le tricéphale. Cela m'amène à croire, contrairement à l'opinion courante, que les Gaulois avaient, avant les Romains, l'équivalent de la semaine planétaire des sept jours. Voyez également le vase d'argent de Gundestrup, où les sept dieux sont interprétés par des types différents de ceux de la semaine classique : car il n'y a pas à douter que ce vase ne doive être assimilé aux vases belges en terre cuite ; le huitième compartiment de ce vase, où l'on ne voit pas la tète d'un dieu, devait être réservé à quelque buste d'empereur ou de Génie, comme sur d'autres monuments gallo-romains (Esp., n° 412 ; C. I. L., XIII, 6795). — Cf. de Witte, Gazette archéologique, 1879 ; Haug, Westd. Zeitschrift, IX, 1890 ; etc.

[163] Je songe aux autels isolés, ou aux socles des colonnes à l'anguipède, où sont figurés quatre ou (moins souvent) trois dieux, d'ordinaire Mercure, Hercule, Minerve, Junon : l'on a supposé qu'il s'agit des divinités des saisons, les peuples du Nord possédant également une année à trois saisons (Tacite, Germ., 26). Mais, si séduisante que soit cette hypothèse, elle se heurte encore à beaucoup d'objections. De toutes manières, je crois possible que ces divinités se soient rattachées à quelque conception cosmogonique : ce qui explique que ces monuments, comme ceux des sept jours, soient placés d'ordinaire sous une dédicace Jovi Optimo Maximo. Remarquez que, sur le socle de la colonne à l'anguipède de Merten, il y avait bien figurées les quatre saisons. Cf. Haug, Westd. Z., X, 1891. — La symbolique funéraire a également utilisé, dans cet ordre d'idées. les dieux des vents ou des quatre côtés de l'horizon (monument d'Igel, etc.).

[164] Je ne crois pas souvent sous la forme de figures de dieux, mais plutôt sous celle des signes du zodiaque ; C. I. L., XIII, 6703, etc. Signes du zodiaque groupés par saisons dans un monument de Mithra (Esp., n° 142). — Culte de la dea Januaria, XIII, 5619. Monument à l'annus novas, Esp., V, p. 21.

[165] C. I. L., XIII, 4206, monument d'Igel = Esp., VI, p. 437 et s.

[166] Trévires et Médiomatriques principalement. Ce type de monument n'est guère représenté hors de la Belgique, si ce n'est un peu en Armorique (Esp., n° 3036-7, 3039), dont je crois les populations apparentées aux Belges.

[167] Je ne pense pas qu'il en existe d'antérieurs à Marc-Aurèle.

[168] On a dit plus, des profondeurs de la terre, et ce n'est pas non plus impossible, le lien étant très étroit entre ténèbres et régions souterraines. Ad. Reinach a supposé, non sans apparence de vérité, un lien entre ces monuments et le culte des sources, la source jaillissant, sous l'action du soleil, des profondeurs de la terre où la retenait le monstre à queue de serpent : mais je doute que cette idée, qui a pu parfois se manifester (voyez le monument de Luxeuil, Espérandieu, Rev. arch., 1917, I, p. 72-86), puisse expliquer l'ensemble des monuments à l'anguipède. — Que le cavalier soutenu par le géant anguipède se rattache à une croyance cosmogonique, qu'il soit le symbole de quelque phénomène naturel, c'est ce que je ne peux mettre en doute, encore que la preuve décisive ne soit point faite. La colonne qui porte ce groupe est l'emblème des colonnes sur lesquelles repose le ciel dans les cosmogonies primitives ; cf. Valerius Flaccus, Argon., VI, 91 (chez des Galates), truncæ Jovis simulacra columnæ ; Festus Aviénus, 646 (dans les Alpes), salis columna ; Pseudo-Scymacus, 188-190 ; etc. — L'opinion la plus opposée à celle-ci, parmi celles qui ont été émises, est que tout, dans ce genre de monument, est classique, sans aucune influence indigène : la colonne serait imitée des colonnes votives du Capitole, et le dieu équestre foulant le géant serait imité des scènes figurant la lutte des dieux contre les Titans, et symboliserait les victoires de l'empereur contre les Germains. A quoi je répondrai : 1° s'il s'agissait de monuments à signification politique, nos colonnes porteraient les inscriptions in honorem, pro salute Augusti ; le culte d'Auguste est celui qui se résigne le moins à être anépigraphe et anonyme ; or il n'y a pas, dans toute l'archéologie gallo-romaine, un genre de figuration qui recoure moins à l'épigraphie, qui soit plus muet que celui dont nous parlons, et les très rares monuments de ce genre qui portent des dédicaces (cf. celui de Heddernheim, 7352) sont consacrés aux deux divinités souveraines du ciel, Jupiter et Junon reine ; 2° la plupart de ces monuments sont d'ordre privé, élevés dans des villas ou des villages ; 3° le cavalier ne foule pas le géant, il est porté par lui, il dépend de lui dans une certaine mesure, ce qui ne convient en rien, ni aux luttes entre Germains et Romains, ni aux combats entre Titans et dieux ; 4° pourquoi ces monuments seraient-ils localisés dans certaines cités de la Gaule, étrangers au reste de l'Empire, s'ils ne comportaient pas une part de traditions indigènes ? 5° se rencontreraient-ils si souvent dans des endroits ruraux ou forestiers, s'il n'y avait pas là quelque tradition du terroir ? 6° pourquoi se rattacheraient-ils, par les images des socles, au culte des dieux de la semaine, s'ils ne comportaient pas une part d'éléments cosmogoniques ? Tout s'explique, au contraire, s'il s'agit de l'arrangement lie scènes et de figures classiques au profit de croyances gallo-romaines : car il se trouve précisément, comme le montrent les monnaies de l'indépendance, que les régions en question, et spécialement le pays de Trèves, ont été fidèles aux cultes astraux. — Comme bibliographie récente : Riese, dans le Jahrbuch der Gesellschaft für Lothr. Geschichte, XII, 1900, et dans les Einzelforschungen du Museum de Francfort, I, 1908 ; Toutain, Beiträge zur alten Geschichte, 1902, p. 202 et s. ; Gassies, Rev. des Ét. anc., 1902, p. 287 et s. ; Hertlein, Die Jupitergigantenstuden, Stuttgart, 1910 ; Halkin, dans les Mélanges Cagnat, 1912 ; Cumont, Annales de la Soc. d'Arch. de Brucelles, XXIV, 1910 ; Cumont, Comment la Belgique fut romanisée, 1914, p. 104 ; Ad. Reinach, Le Klapperstein, le Gorgoneion et l'Anguipède, Mulhouse, 1914 (excellentes conclusions) ; Haug et Sixt, Die Rœm. Inschr. und Bildw. Wärttembergs, 1913, n° 235 ; les ouvrages sur la Germanie ; ceux de Fuchs et de Forrer. — Une variété de ce type représente les Dioscures, eux aussi divinités du ciel, sur un plateau que tient à bras tendus le géant anguipède (Esp., n° 5758).

[169] Esp., n° 4639 (ruines de thermes), 4425 (colonne de Merten).

[170] Wendling, Die Keltisch-Rœm. Steindenkindler des Zaberner Museums, Saverne, 1912, n° 63. Il est remarquable qu'on en ait trouvé en assez grand nombre dans les bois, n° 4514, 4521, 4527, 4530, 4533, 4557, etc.

[171] La colonne de Merten, haute de 15 mètres, offrant sur son socle les figures des quatre saisons et des sept dieux de la semaine.

[172] Esp., n° 5034, 5228.

[173] Il semble qu'il agisse de ces colonnes dans XIII, 6397 : J. O. M. aram et columnam pro se et suis. — Il faut évidemment rapprocher de nos colonnes à l'anguipède la célèbre colonne élevée à Mayence par les canubarii pro salute Neronis, dédiée à Jupiter, et portant l'image de vingt-sept dieux romains (Riese, 33 ; Reinach, Cat. ill., p. 21-22) : d'abord à cause du caractère architectonique du monument, puis à cause de la dédicace à Jupiter, qui annonce un élément cosmogonique. Mais pour le reste, le culte astral ou météorologique est absent. — Même rapprochement, sans doute, pour la colonne de Cussy (Esp., n° 2032).

[174] Il est deux genres de monuments très différents, mais qu'il faut rappeler ici, parce qu'ils représentent, aux mêmes époques, l'apothéose du jour, du soleil et de la lumière. Ce sont les monuments où Mithra est figuré surgissant hors des replis du serpent qui l'enserrent, maintenant sa vie et sa grandeur à travers les signes des saisons et du zodiaque (Esp., n° 142) : et l'image traduit exactement la même idée que les monuments à l'anguipède. Et ce sont les monuments funéraires, comme celui d'Igel (XIII, 4206), où sont figurés Ganymède monté au ciel, l'apothéose d'Hercule ait milieu des signes du zodiaque, les quatre vents (ou les quatre pointa cardinaux) rapprochés des astres : et voilà encore une traduction différente de l'idée qui a fait ériger les monuments à l'anguipède. — Dans tout cela, la pensée de la destinée immortelle de l'âme ravie au ciel a pu se mêler à celle du jour éternellement renaissant. Un certain nombre de colonnes au cavalier et à l'anguipède semblent avoisiner des tombes familiales.

[175] Le prototype classique de la scène, que je sache, n'a pas été retrouvé.

[176] Évangile de Mathieu, ch. 6, § 9.

[177] Θεοΰ πατρός et ό κύριος (Eusèbe, V, 1, 3 et 27), à rapprocher de Mater Deum, Magna Mater.

[178] Marc, 1, 11 ; etc.

[179] Tertullien, Apol., 15 ; etc. Au surplus, tandis que le Chrétien insiste sur le Christ et néglige volontiers Dieu, il semble que le dévot de la Mère fasse l'inverse et néglige le plus souvent Attis : ce qui d'ailleurs complète le caractère humain du Christianisme. — La virginité de la Mère était également un dogme des initiés (Julien, 5e discours, p. 166, Sp.).

[180] Ovide, Fastes, IV, 223 et s. ; Firmicus Maternus, De err., 3 (Migne, P. L., XII, c. 987-8).

[181] Eusèbe, V, 1, 6 ; 1, 27 ; 1, 28 ; 1, 51.

[182] Remarquez comme il y a peu d'images de la Mère ; les monuments qui lui sont consacrés révèlent son culte par les figures du pin, du lion, des instruments de sacrifice, de musique ou de culte, à peine quelquefois par le buste d'Attis (cf. Esp., n° 1267, etc.).

[183] Pour les feux, cf. la Vie de saint Vincent, 9 juin, Acta, II, p. 103. Voyez l'importance des instruments de musique dans les bas-reliefs des autels à la Mère, crotales, lyre, guitare, orgue, syringe, flûte (Esp., n° 180-2, 1, 1207, etc.).

[184] Mathieu, 26, 26-8.

[185] Le contraste est bien marqué par l'Histoire Auguste, V. Aureliani, 20 : Quasi in Christionorum ecclesia, non in templo deorum omnium tractaretis (lettre au sénat).

[186] Par exemple la lutte de Mithra contre le taureau (Esp., n° 325, 422, etc.).

[187] La lettre des Lyonnais (Eusèbe, V, 1, 5, 6, 14, 16, 23, 25, 27, 35, 42, 57 ; V, 2, 6).

[188] Mathieu, 4.

[189] Plus haut, § 4 et 5.

[190] Eusèbe, V, 1, 5, 6, 14, 16, 23, 25, 27, 35, 42, 57 ; V, 2, 6.

[191] Plus haut, § 1, 2 et 3.

[192] Eusèbe, V, 1, 5.

[193] Eusèbe, V, 1, 6.

[194] Eusèbe, V, 1, 23.

[195] Eusèbe, V, 1, 23.