HISTOIRE DE LA GAULE

TOME V. — LA CIVILISATION GALLO-ROMAINE. - ÉTAT MATÉRIEL.

CHAPITRE V. — L’EXPLOITATION DU SOL.

 

 

I. — CONDITIONS NOUVELLES DE LA VIE AGRICOLE.

La Gaule, ont dit les contemporains d’Auguste, reçut des Romains deux inestimables bienfaits : ils ont construit des routes, et ils ont fait mettre le sol en culture[1]. — C’était pousser bien au delà des limites de la vérité l’admiration nécessaire de la gloire impériale les Romains n’ont souvent fait que consolider de vieux chemins ; et, sur le fait de l’agriculture, ils eurent autant de leçons à prendre qu’à donner.

Riche ou pauvre, le Gaulois n’avait jamais détesté le travail des champs ; les paysans abondaient sur les terres, toujours pareils aux âpres laboureurs qu’avaient été les Ligures leurs ancêtres ; un grand seigneur de la Celtique ou de la Belgique ne dédaignait pas de vivre sur ses domaines et de les exploiter en bon père de famille. Le service que l’Empire leur rendit à tous, ce fut de les éloigner des camps, de les renvoyer à la terre[2]. Ils purent, à la faveur de la paix, tirer un meilleur emploi de leurs facultés rurales : mais ce n’est point Rome qui les leur a données

Les conditions nouvelles de la vie sociale rendirent plus facile le travail des champs. Nul décret de conscription ne venait arracher à son labeur l’ouvrier agricole[3]. Les bras ne manquaient plus à la terre : à défaut de domestiques ou de bordiers libres, on avait des esclaves à foison. Des lois sévères réglaient les pratiques du bail à ferme ou du métayage[4]. La petite propriété, dont l’existence avait été si précaire sous le régime aristocratique de l’indépendance, reprit vigueur au temps des premiers Césars, et les gouverneurs de provinces eurent entre autres devoirs celui de la protéger contre les empiétements des grands.

Le sol croissait en richesse : non pas que les épis fussent plus drus et la glèbe plus féconde, mais bien des plantes qu’il avait ignorées jusque-là furent révélées par les hommes du Midi, vigne, olivier, légumes et arbres fruitiers. Et comme il se trouva merveilleusement propre à ces cultures étrangères, plus de terres reçurent leur emploi, plus d’hommes s’y occupèrent, et les agriculteurs varièrent davantage leurs moyens de travail et leurs sources de fortune. 

Grâce aux routes, aux grandes villes et à la suppression de frontières, de nouveaux marchés s’ouvrirent aux grains, aux vins, au bétail. La Gaule acquit des clientèles dont les demandes étaient insatiables, par exemple le peuple de Rome et ses empereurs. Aucun droit prohibitif n’entravait la libre circulation des produits du sol[5], et ce qu’ils payaient à la douane de Gaule, deux et demi pour cent sur la valeur, n’était qu’un impôt de passage, sans portée économique.

Je ne crois pas, en revanche, que les procédés et l’outillage agricoles se soient perfectionnés sous la domination romaine. Les Gaulois, en cette affaire, étaient déjà en avance sur les Méditerranéens. Ils gardèrent les bénéfices du passé. La seule chose peut-être qu’aient développée les Romains, fut le système de l’irrigation pour les prairies et les cultures maraîchères. Ces innombrables aqueducs qu’on bâtit en Gaule ne demeuraient point inutiles aux domaines qu’ils traversaient : des prises d’eau habilement calculées permettaient aux propriétaires riverains d’en tirer parti pour leurs champs, et d’assurer à certaines portions du sol’ une fertilité plus régulière, moins soumise aux caprices du ciel[6].

 

II. — MARÉCAGES ET FORÊTS.

Tous ces avantages firent que le Gaulois échangea avec moins de regret l’épée contre la charrue. Il pouvait d’ailleurs livrer d’autres batailles, conquérir du terrain sur la forêt ou le marécage.

C’est le marécage qui fut le plus souvent attaqué. Aux approches des villes, il cédait peu à peu au sol envahisseur des maisons, des villas et des jardins[7]. Les îlots palustres qui avoisinaient les estuaires de l’Océan[8], ceux qui émergeaient des terres basses de la Saintonge, de la Vendée[9] ou de la Flandre[10], étaient devenus chacun le centre d’un grand domaine ; autour du noyau solide qui portait les bâtisses du maître ou de ses fermiers, la boue disparaissait pour faire place à de bon terrain[11], et si le propriétaire ne supprimait pas sur toute leur étendue les marécages voisins, il savait cependant obtenir d’eux d’utiles services, de la tourbe pour engrais ou combustible[12], et les produits des aunaies, des roselaies, des jonchères, des saussaies et des oseraies, dont d’industrieux ouvriers tiraient mille emplois différents[13].

La forêt résistait mieux, ou, plutôt, subissait de moindres attaques. Demeurés grands chasseurs, les Gaulois aimaient follement les bois de leurs Ardennes[14], de leurs Guises[15] ou de leurs Layes[16]. Pour bâtir ses villes et ses navires, la Gaule romaine avait besoin de ne point frapper à mort les futaies de ses provinces. Beaucoup faisaient peut-être partie du domaine impérial[17], et les intendants du prince en imposaient le respect. Les forêts du Bas Languedoc, où s’approvisionnaient les armateurs d’Arles, n’ont point perdu de leur importance[18]. Landes et Médoc sont couverts de leurs pinèdes, où l’industrie des résiniers découvre déjà presque autant de profit que de nos jours[19]. Les splendides forêts de l’Île-de-France se retrouveront intactes au début du Moyen Age[20] ; et les voleurs de grand chemin se cacheront, pour détrousser les pèlerins, aux mêmes endroits qui avaient abrité les embuscades des Belges contre Jules César[21]. Quantité de noms de lieux d’origine latine, les Luc, les Sauve, les Silve ou les Selve, rappellent des bois, aujourd’hui disparus, encore debout à l’époque romaine[22].

Évidemment, il y eut çà et là dans les forêts d’énormes entailles. Des villas[23] et des sanctuaires[24] nouveaux se bâtirent à l’orée des bois, ou même, près d’une source, dans des clairières intérieures ; et une bâtisse de ce genre, qui étend sans relâche ses communs, ses parcs, ses prairies, ses vergers et ses potagers, est une cause de ruine pour les taillis environnants. Mais si profondes que fussent ses blessures, la forêt n’en mourait point, et le maître lui-même de la villa n’avait garde de la supprimer : car c’était d’ordinaire la fraîcheur, le calme et le gibier du voisinage qui l’avaient attiré en ces lieux[25].

Rome transmit donc au Moyen Age, à peu près entier, l’héritage de forêts que lui avait laissé la Gaule celtique[26]. Si, sur quelques points, les brèches étaient sensibles, elles seront vite réparées lorsque les invasions auront détruit tant de villes, de châteaux et de cultures[27]. On verra alors la forêt revenir à la charge contre l’homme, et les ombrages de ses hêtres ou de ses chênes recouvriront en maint endroit les ruines de chapelles ou de villas romaines[28].

Le marécage, lui aussi, prendra alors sa revanche. Dès le troisième siècle, lorsque les cités se seront resserrées dans leurs nouvelles enceintes, il réoccupera autour d’elles ses antiques positions, au pied des fossés qui bordent les murailles. Le Marais à Paris[29], les eaux croupissantes de Paludate, des Chartrons et de Pont-Long à Bordeaux[30], menacent ou investissent les vieilles villes. Dans les campagnes, les îlots palustres sont revenus à leur misère isolée[31]. Il faudra, pour revoir la lutte victorieuse contre la forêt et le marécage, les efforts patients des moines, l’énergique volonté des ingénieurs royaux. Rome, du reste, même dans les temps de sa plus grande prospérité, n’a rien tenté en Gaule qui soit comparable à ce que feront ces hommes, n’a rien laissé sur notre sol qui soit il mettre en regard de l’œuvre française des dix derniers siècles.

 

III. — CÉRÉALES, LIN, CHANVRE, OLIVIER.

Le blé était devenu la principale richesse de la Gaule. Elle en produisait assez pour nourrir les siens, et, s’il le fallait, pour aider à la subsistance des pays voisins[32] ; et, comme elle s’était appauvrie en métal précieux, sa fortune et sa gloire venaient alors de la fécondité de son sol, de biens naturels plus constants et plus nobles que l’or et l’argent. Désormais, sa renommée agricole ne cessera de croître et laissera de plus en plus dans l’ombre le renom de ses ressources minières[33].

Limagne[34], Beauce[35] et Bourgogne[36] au centre, Brie[37] et Soissonnais[38] en Belgique, Comtat[39] et Toulousain[40] dans le Midi, étaient, comme autrefois, les régions de la France qui montraient les plus vastes emblavures. Les domaines, là et ailleurs, valaient surtout par la masse de grains qu’on y engrangeait, par le nombre de sacs qui sortaient des moulins[41]. Je cherche ce que les empereurs ont pu, à cet égard, apporter de nouveau dans les Gaules, et je ne trouve rien[42] lorsque les géographes de l’Empire voulaient décrire les richesses fromentières de la Gaule, ils se servaient de traits fournis par les voyageurs contemporains de la conquête[43].

Au-dessous du blé, la principale culture était celle du lin, elle aussi bien antérieure à la vie romaine et au nom celtique. De celle-ci du moins, il est probable que l’Empire a développé l’importance : car c’était une culture industrielle, on en tirait des toiles à voiles, des tissus de tout genre, qui pouvaient s’exporter dans le monde entier ; et pour satisfaire à une clientèle grandissante, la Gaule accrut le nombre de ses linières. Chaque cité, chaque grande ferme devait avoir les siennes. Les plus anciennes, les plus fameuses, étaient au Midi, dans les bonnes terres du Quercy. Mais le ;Nord se laissa rapidement entraîner à ce genre de culture, facile en ces terres humides et largement rémunérateur, et, dès le premier siècle de l’Empire, la Flandre et l’Artois s’étaient en partie transformés pour le recevoir[44].

D’autres cultures, moins importantes pour l’ensemble, prenaient le premier rang dans certaines régions : l’orge, surtout en Belgique, restée fidèle à la bière[45] ; le chanvre, grosse richesse pour les nations de tisserands, telles que celles du Quercy et du Dauphiné ; le millet, toujours populaire en Gascogne ; l’olivier enfin, celui-ci à peine arrivé en Gaule, mais qui avait aussitôt atteint, vers Valence et vers Carcassonne, les limites assignées par la nature, et qui, grâce à la popularité de l’huile dans les usages romains, devait devenir pour nos agriculteurs de Provence et de Languedoc une source de revenus à jamais intarissable[46].

 

IV. — LA VIGNE[47].

Il faut s’occuper à part de la vigne : car, seule de toutes les cultures de la Gaule, celle de la vigne fut soumise à un régime d’exception, et nous ne reconnaîtrons plus, en faisant son histoire, le libéralisme économique de l’Empire romain.

La conquête du Midi, sous le proconsul Domitius, avait fait connaître la vigne à toutes les terres du Languedoc et du Dauphiné[48] ; et comme elle y réussissait fort bien et que les Gaulois ne pouvaient se passer de vin, ce fut l’espoir de fortunes nouvelles pour les cultivateurs de Narbonnaise, indigènes ou colons. Mais ce qu’ils gagnaient, les marchands et les vignerons d’Italie le perdirent. Ceux-ci se plaignirent, et un décret du sénat interdit aux Transalpins de constituer des vignobles[49]. César ou Auguste abrogèrent ou laissèrent péricliter le décret[50]. Alors, la vigne conquit la Gaule entière.

Dans le Midi elle s’étala sans mesure sur la plaine du Languedoc, et aussitôt elle y prit Béziers pour capitale[51]. En même temps, elle remontait le Rhône sur ses deux rives, mieux accueillie d’ailleurs par les côtes rôties du bord occidental, et elle s’installa pour l’éternité sur les flancs des coteaux dauphinois[52] et sur les terrasses du Vivarais[53]. La Bourgogne fut envahie à son tour, et là aussi la vigne préféra les terres du couchant, la Côte d’Or désormais fameuse[54]. De Béziers à Dijon, un monde nouveau s’agita sur la grande route de l’Est : vignerons, vendangeurs, courtiers, amphores et barriques donnèrent au vieux chemin une physionomie imprévue.

Mais la vigne, en quelque sorte appelée par la terre de Gaule, ne se contenta pas du versant méditerranéen.

Par delà les montagnes centrales, elle descendit dans toutes les vallées de l’Océan. Trois d’entre elles lui furent surtout favorables : celle de la Garonne, où elle affectionna à la lin les graves blanches ou dorées du bas pays, Médoc et Bordelais[55] ; celle de la Seine, où elle recouvrit les revers ensoleillés des plateaux parisiens, à Suresnes, Argenteuil ou Chanteloup[56] ; plus au nord, celle de la Moselle, sur les coteaux des deux rives, réchauffés du soleil et abrités contre la brise[57]. Trois cités, chacune dans sa vallée, allaient devenir des reines de vins, Trèves, Paris et Bordeaux. L’orge et la bière reculèrent devant Bacchus, ainsi que chantera plus tard le César Julien, qui fut empereur à Paris et en célébra les vignobles[58].

De nombreuses causes décidaient partout les propriétaires à substituer la vigne au blé traditionnel. Ses produits apportaient des gains plus considérables : denrée de luxe et d’exportation, le vin atteignait des prix qui étaient interdits au blé[59]. La conquête de la Bretagne, de bonnes relations avec la Germanie, assuraient de nouveaux débouchés. Il fallait du vin pour la grande armée installée à la frontière, officiers et soldats. Les gourmets de Rome demandaient aux crus gaulois de leur révéler des sensations inconnues[60] On ne sépara plus l’usage du vin d’un certain confort dans la vie : il n’avait été jadis accessible qu’aux plus riches, chacun maintenant put avoir son vin à sa table, sa vigne dans son champ, les morts eux-mêmes voulurent leur vignoble à côté de leurs tombes, et les libations de vin à leurs anniversaires. Des tavernes s’ouvrirent partout, dans les villes et sur les routes, et le populaire s’y empressa, demandant à grand cri du béziers ou du vienne[61] à l’hôtelier affairé.

Il arriva donc à notre pays ce qui lui est advenu à toutes les époques où de grands marchés se sont ouverts dans le monde, où les progrès du bien-être ont fait désirer à tous la boisson joyeuse : ce fut une fureur de planter des vignes, comparable à celle du temps de Louis XV ou du lendemain du Second Empire. Mais il en résulta aussi un double inconvénient : l’un qui n’intéressait pas la Gaule, de léser les importateurs d’Italie et d’Orient ; l’autre, de réduire la culture du blé, indispensable tout à la fois à la nourriture du pays[62] et à l’approvisionnement de Rome.

Les empereurs finirent par s’inquiéter, et, comme les intendants de Louis XV, prirent une mesure énergique. On remit en vigueur l’ancien décret : défense fut faite aux Gaulois, sous Domitien, de planter de nouvelles vigiles, et ordre fut donné d’arracher une partie des anciens vignobles[63].

Jusqu’à quel point ce redoutable édit fut-il appliqué, nous ne le savons pas. D’un côté, j’ai peine à croire que les empereurs aient privé la Gaule de tous ses vignobles[64] : trop d’intérêts étaient désormais liés à la vigne pour qu’une proscription absolue fût possible[65], et les mesures les plus despotiques, dans cet Empire très vaste et difficile à surveiller, comportaient toujours mille tolérances[66] et des négligences plus nombreuses encore. D’autre part, cependant, en regardant les innombrables bas-reliefs où les Gaulois ont sculpté les détails de leur vie populaire, je suis frappé d’en voir un si petit nombre consacrés aux besoins de la vigne et du vin : vendanges, pressurages, écoulages, mises en fût, tonnellerie ou dégustation, j’aperçois rarement l’image d’un de ces actes, dont vivent aujourd’hui en France des centaines de milliers d’hommes[67]. Et si la mention du vin et de ses marchands reste si constante dans nos inscriptions, rien ne nous dit qu’il ne s’agisse pas de vins importés.

La mesure prise par Domitien et observée par ses successeurs ne détruisit donc pas le vignoble gaulois : mais elle eut en tout cas sur lui des effets désastreux[68]. On vit en revanche le blé revenir à sa place traditionnelle, et les champs de la Gaule reprirent l’aspect un peu monotone que donne une culture dominante.

Les malheurs du pays au troisième siècle provoquèrent une politique plus libérale. Afin de réparer les maux causés par l’invasion germanique, l’empereur Probus abrogea l’édit de Domitien, et les vins de Trèves, de Paris et de Bordeaux commencèrent de nouvelles destinées[69].

Les vignerons gaulois retrouvèrent d’ailleurs sans peine le souvenir des excellentes leçons que leur avaient données leurs maîtres d’Italie. Car rien n’était laissé au hasard dans cette culture de la vigne, qui exige parfois les mêmes soins minutieux, la même application savante et attentive que la production d’une œuvre d’art. On reconnut ou on créa une grande variété de plants ou de cépages, les uns pour terres froides, les autres pour sol humide, d’autres pour terrains secs[70] ; on propagea de préférence ceux dont la floraison s’achève très vite, ce qui est une garantie contre la coulure et pour des grains plus stables ; on essaya en Gaule des plants d’Italie[71] et en Italie des plants de Gaule[72]. Dans certaines localités on laissait grossir le bois de la vigne jusqu’à pouvoir y tailler une coupe[73]. Ailleurs, on permettait aux sarments de ramper sur le sol pour s’abriter contre le vent[74]. Un travail incessant d’observations et d’expériences s’imposait aux viticulteurs. Souvent, la maladie menaçait ces corps d’arbustes, délicats comme des êtres humains. Il fallait alors les surveiller d’instant en instant[75]. Le vignoble faisait de son maître un véritable combattant. Aucune culture n’était moins vulgaire, ne développait davantage les facultés de l’esprit[76].

 

V. — FRUITS, LÉGUMES ET FLEURS.

Au prix de ces grandes cultures d’intérêt vital, les autres n’étaient que des hors-d’œuvre dans la vie générale du pays. Pourtant, elles n’étaient point à dédaigner, elles apportaient leur part à la richesse de la terre et au bien-être des hommes[77]. Fruits de dessert, légumes de table, fleurs de parure, tout cela avait sa valeur humaine, donnait de lions profits au travailleur, mettait plus de variété et de gaieté dans les heures du jour.

Les pommes[78] et les noisettes[79] étaient, depuis les temps les plus lointains, les fruits les plus aimés de la Gaule. Elles le demeurèrent, et, malgré cent découvertes nouvelles, le peuple vit toujours en elles son dessert préféré. Aucun verger ne pouvait se passer de pommiers, et, dans tous les taillis qui avoisinaient les villages, des noisetiers abaissaient leurs fruits à la portée des enfants[80].

La conquête romaine ajouta d’abord la cerise, qui devint tout de suite aussi populaire, on peut presque dire aussi familière et aussi familiale, que ses deux devancières, la joie des petits, la compagne des beaux jours du printemps[81]. Puis on eut la pêche, à la culture plus délicate, aux allures plus aristocratiques[82]. La poire multiplia ses variétés orgueilleuses et savantes[83], pendant que figuiers[84] et châtaigniers[85], les arbres plébéiens de l’Italie primitive, s’installaient sur les sols à la suite des colons et des soldats du Midi[86].

Des légumes, la maîtrise ne put être enlevée à l’ail et à l’oignon, qui l’avaient sans doute reçue dans des siècles très reculés : c’étaient eux qui valaient alors à la Champagne son principal renom alimentaire, car le vin ne l’avait pas encore ennoblie[87]. Mais ils ont eu à résister à la concurrence des choux, des courges et surtout des fèves, les légumes essentiels de l’Italie, dont l’usage a dû se vulgariser clans les Gaules au lendemain de la conquête[88]. Au-dessous, ce n’étaient plus que ressources secondaires, vogues locales ou produits spéciaux[89], comme cette absinthe de Saintonge que les médecins gréco-romains finirent par imposer à l’univers entier.

Parmi les fleurs qui ornaient les statues des dieux[90] ou les jardins des thermes, des villas et des tombes, le premier rang était aux roses, et le second aux violettes[91] : et je ne saurais dire encore si ce fut une mode importée d’Italie, ou si ce n’était  pas plutôt un héritage venu des plus anciens peuples de l’Europe[92].

Les Anciens, du reste, nous ont assez peu parlé des fruits et des fleurs de la Gaule : c’étaient de minces détails, étrangers il l’ordonnance des grands faits historiques, et on croirait volontiers, à lire les vieux historiens, qu’elle ignorait ces agréments de la vie quotidienne. Les tombes et les autels, les images des dieux et des défunts, nous permettent de rendre au tableau de cette vie ses traits les plus aimables[93]. Fleurs et fruits avaient, dans les joies d’une famille, une place privilégiée. Aux déesses protectrices des champs, des sources et des foyers, on donnait pour attributs des corbeilles de pommes ou des grappes de raisins[94]. Pour égayer les pauvres petits-enfants, morts trop tôt, pour les distraire dans leur vie d’outre-tombe, on enterrait avec eux une bonne provision de noisettes. Une femme ou une jeune fille se faisaient figurer tenant à la main un fruit ou une fleur, afin de rappeler en un gracieux symbole leur rôle prédestiné sur cette terre[95]. Aux anniversaires des défunts, parents et amis ornaient les tombes et se couronnaient eux-mêmes de guirlandes de roses et de violettes[96], et ces deux fleurs exerçaient dès lors sur les âmes humaines le mystérieux prestige de leur parfum et de leur éclat.

 

VI. — ÉLEVAGE, PÊCHE ET CHASSE.

L’élevage continuait à progresser[97], sans que rien fût changé aux habitudes gauloises. Aucune espèce nouvelle ne fut acclimatée[98]. Nous nous trouvons en présence du même bétail, mais peut-être plus abondant[99], et en tout cas d’un rendement plus sûr.

Car, maintenant, c’est l’Occident tout entier, et Rome surtout, qui réclament de la Gaule ses cuirs, ses chevaux de guerre[100], ses chiens de chasse, les oies de Flandre ou d’Artois[101], les mulets de Dauphiné, et puis les lainages de Bourgogne, de Champagne, de Flandre, de Berry et de Saintonge, et encore les conserves de porc de Provence, de Franche-Comté, de Flandre et d’Alsace, les fromages de Lozère et de Savoie, et peut-être aussi le miel de Narbonne ou du Mans. Il faut, pour satisfaire aux exigences croissantes du commerce international, des pâturages plus étendus[102], des éleveurs et des nourrisseurs plus attentifs, des règlements plus précis sur les usages de pâture, et de transhumance.

Il ne semble pas d’ailleurs que ces usages aient été transformés. La vie de la terre suivait toujours les règles que lui imposaient la nature et de très anciennes coutumes humaines. Chaque domaine devait avoir ses troupeaux, qu’on surveillait de près pendant, hiver et qui partaient l’été pour la montagne sous la garde d’un maître berger[103]. Je parle du bétail au pied fourchu : les porcs ne s’éloignaient pas de la ferme et des sous-bois voisins[104].

Où le progrès fut plus grand, c’est dans l’exploitation des eaux. On y atteignit le dernier degré de la perfection ; et cette fois, il y eut bien des leçons données à la Gaule par les Romains, passés maîtres dans le fait des pêcheries, parcs, viviers et barrages[105] Car ceux-ci se montrèrent, au delà même des bornes de la dignité humaine, d’extraordinaires gourmets en matière de coquillages et de poissons : si on eût laissé faire les plus riches, ils auraient transformé les eaux de la Gaule en un immense réservoir au service de leurs tables[106].

C’est alors que se développa sur nos rivages la culture de l’huître alimentaire[107], autour de Marseille[108], en Languedoc, en Roussillon[109], à l’embouchure de la Gironde[110], en Saintonge, en Vendée, en Armorique[111], c’est-à-dire partout où faire se pouvait. Il n’importait que la clientèle habitât très loin, à plusieurs journées de transport des parcs producteurs[112] : les ostréiculteurs de la Gaule devaient connaître, aussi bien que les nôtres, l’art d’entraîner les huîtres à vivre hors de l’eau et à conserver leur fraîcheur[113].

Les peuples ne se battaient plus, comme autrefois, pour la possession des pêcheries méditerranéennes : mais ils profitaient de la paix pour les exploiter avec une intensité inlassable : les madragues de la Provence livraient leurs thons énormes[114] les étangs du Languedoc engraissaient des myriades de muges, les barques de Marseille ou de Fréjus lançaient leurs filets à la recherche des rougets[115] ou des loups[116], devenus les délices rivales des cuisines méridionales[117]. Sur l’Océan, de grandes entreprises explorèrent la mer du Nord, et, de même qu’a l’époque de Cadix et de Carthage, les témoignages les plus audacieux, les preuves les plus lointaines de l’activité des hommes, nous sont fon mis par des randonnées de pêche sur les rivages de la Frise[118]. Je dis sur les rivages : car, malgré la hardiesse habituelle aux pêcheurs, ils ne paraissent pas avoir eu, dans les siècles romains, l’envie ou le courage de poursuivre au loin sur l’Océan les troupeaux de cachalots qui se montraient parfois en Tue des côtes atlantiques[119]. Les temps des plus grandes pêches n’étaient point encore venus.

Sur les fleuves, au contraire, où tout était sécurité et profit, les Romains s’en donnèrent à cœur joie[120]. La lotte de la Saône alimenta sans doute les marchés de Lyon[121], le muge de la Gironde ceux de Bordeaux[122], et l’esturgeon du Rhin ceux de Mayence et de Cologne. Il y avait à Rayonne la foire aux langoustes de Maremne[123], et les gourmets de Trèves faisaient leur choix entre les quinze espèces de poissons[124] que ramassaient dans la Moselle les lignes on les filets de pécheurs innombrables[125], Car c’était alors le bon temps pour eux : nos rivières n’avaient rien perdu de leurs richesses poissonneuses[126], Bordeaux conservait encore ses esturgeons[127], et la clientèle ne faisait jamais défaut. Il faut thème supposer qu’on ramassait déjà les colimaçons de Provence, qu’on engraissait déjà les escargots de Bourgogne[128] : les Romains connaissaient en effet l’usage des parcs à coquillages[129], et on raconta qu’ils purent en certains endroits de l’Empire produire des escargots aussi gros que des citrouilles[130].

Je ne rapporte point cela comme un détail anecdotique, mais comme un exemple de ce que les Romains purent faire quand ils voulurent s’appliquer, comme. un exemple aussi des objets oit ils consacrèrent leur application. Eux qui ne firent aucune découverte en matière de science[131], qui ne dotèrent les beaux-arts d’aucune forme nouvelle[132], arrivèrent à créer des prodiges pour amuser les caprices de leur luxe ou les appétits de leur gourmandise. Et ceux des Italiens que n’aveuglait pas le spectacle du monstrueux Empire, s’affligeaient de voir tant d’efforts humains aboutir à quelques misérables jouissances de sénateurs en délire[133].

La chasse ne provoquait pas autant de colères chez les moralistes, encore qu’elle entraînât de singulières fantaisies.

Les forêts du Nord et des Alpes renfermaient toujours une extraordinaire variété de gibier, depuis l’aurochs gigantesque[134] jusqu’à l’élégante perdrix de neige. Ainsi que les rivières, les bois n’avaient point vu diminuer leur richesse originelle. Les chasseurs de tout pays y trouvaient la matière d’exploits nouveaux, de récits sans fin, d’une gloriole inespérée. De Rome et d’Italie, sans parler de la Gaule, on s’en venait vers les forêts celtiques pour chasser la bête rare aux cornes mystérieuses, le bel oiseau aux couleurs éclatantes[135].

Les genres de chasse les plus variés étaient connus, à l’arc, à la fronde, au piège, à courre, sans doute même au faucon[136]. On avait des meutes bien dressées avec des chiens de toute aptitude[137], des arsenaux remplis d’armes et d’engins de cent sortes[138]. Pour se mettre en garde contre les braconniers, les plus riches faisaient enclore d’immenses portions de forêts, les enfermaient derrière des murs impénétrables de pierre, de terre ou de brique : et c’étaient, à l’intérieur, des réserves ou des parcs grands comme des domaines, où le maître était bien chez soi, lui, ses gens et ses bêtes.

A dire vrai, l’existence de ces parcs transformait les jeux dramatiques de la chasse en une besogne de garde-ménageries. Car il y avait là, en plus du gibier à poil et du gibier à plume, des volailles soumises à un engraissement méthodique[139], des escargots dans des abris spéciaux, des ruches artificielles, des tonneaux où l’on nourrissait des loirs, tout ce qui pouvait livrer aussitôt, sur demande du seigneur, une nourriture fraîche, extraordinaire et sans défaut[140].

Outre les chasseurs et les quêteurs de provende, la forêt recevait la visite des pourvoyeurs de spectacles populaires. Elle leur livrait ses ours[141], ses cerfs et ses sangliers. Pour les capturer, le prince prêtait souvent ses soldats de la frontière[142] : car il s’agissait de satisfaire aux plaisirs impériaux de l’univers. Si l’on s’emparait de bêtes plus rares, par exemple d’élans, on les réservait à la plèbe romaine[143]. Les riches et la populace de l’Empire trouvaient également leur compte dans l’exploitation des forêts de la Gaule.

 

VII. — MINES ET SALINES.

En revanche, le sous-sol minier de la Gaule infligea aux Romains un bon nombre de déceptions.

La richesse métallique du pays avait été célébrée par leurs écrivains ; elle fut un des motifs principaux de la conquête[144]. Derrière les légions[145] s’installèrent les prospecteurs de mines et les acquéreurs de gîtes. On introduisit dans l’industrie extractive les procédés scientifiques en usage chez les Grecs[146] : puits profonds[147], longues galeries suivant le filon pas à pas aérées et bien soutenues[148], emploi judicieux de l’hydraulique[149], broyages et lavages perfectionnés[150], coupellation du minerai[151], fours à chaleur intensive[152], les Manières rapides et sûres d’atteindre et d’isoler le métal furent mises en pratique par les ingénieurs venus d’Italie ou d’Orient. La méthode succéda à l’empirisme[153]. Et ce furent cependant de multiples déconvenues.

C’est dans les mines d’or qu’elles furent le plus nombreuses et le plus cuisantes. La Gaule, lorsque les Romains la prirent, passait pour la terre nourricière du précieux métal, et ce qu’on avait ramassé de lingots dans les trésors sacrés ou royaux justifia d’abord ce renom légendaire. Mais il est probable que, dès le temps de César, les mineurs et les orpailleurs[154] de la Gaule touchaient, déjà au terme des recherches productives. Ils n’abandonnèrent pourtant pas la place à l’époque impériale : en Limousin, en Auvergne, en Dauphiné, dans les Pyrénées, dans les Cévennes, on continua à travailler les vieilles mines[155]. Mais il est visible qu’elles rendent peu de chose[156]. La Gaule ne donne pas les filons qu’elle a promis : monnaies et bijoux d’or deviennent plus rares[157], et aucune inscription ne mentionne un travailleur de terrains aurifères. Il faudra donc que les empereurs cherchent ailleurs en Occident les ressources métalliques que la Gaule leur refuse : Auguste les trouvera en Norique et en Dalmatie, Trajan en Dacie ; la conquête des pays du Danube est venue au bon moment compenser les échecs de Gaule[158].

La surprise fut aussi pénible en ce qui concerne le cuivre : car le monde d’autrefois, pareil d’ailleurs au nôtre, eut besoin de lui autant que de l’or : c’était fortune faite, pour un grand de Rome, que d’acheter un riche gisement de ce métal[159]. La Gaule, là-dessus, donna un instant de belles espérances : la famille Livie, la femme d’Auguste, acquit une mine de cuivre au delà des Alpes[160], je ne sais où ; celle du proconsul Salluste en acquit une autre en Tarentaise[161] ; et l’on parla beaucoup de toutes deux, l’on rêva même un instant qu’elles remplaceraient les fameux gisements de Chypre. Mais elles se ressemblèrent en ceci, qu’elles cessèrent bientôt de valoir quelque chose[162]. D’autres tentatives furent fuites ailleurs, en particulier du côté de la Lorraine[163] : je doute qu’elles aient réussi davantage[164] et il fallut en fin de compte s’adresser à l’Espagne[165]. Pour le cuivre ainsi que pour l’or, la Gaule ne compta pas dans l’Empire.

On y fut plus heureux avec l’argent : d’abord, parce que les mines d’argent étaient eu Gaule fort nombreuses et fort disséminées ; ensuite, parce que le minerai étant très difficile à atteindre, les Gaulois avaient dû reculer devant des problèmes d’extraction dont se tirait plus aisément un ingénieur romain[166]. Les argentières iront donc se multipliant dans les Gaules, et il est même possible que chaque cité ait fini par avoir la sienne[167].

On citait, parmi les plus importantes, celles des Cévennes et en particulier du Rouergue. Ces dernières appartenaient à l’empereur, qui s’était réservé la propriété des principales exploitations minières du monde romain : le bureau central était près de Villefranche, sous la direction d’un régisseur, affranchi du prince[168].

Malgré cela, ne croyons pas que l’argent de Gaule ait jamais été pour l’Empire et pour le pays même l’origine de grandes fortunes. Une sorte de discrédit y frappa toujours ce genre d’exploitation, et je ne sais s’il n’a point persisté jusqu’à nos jours. Les argentières de la Gaule souffraient de voisinages trop célèbres : qui pouvait s’occuper d’elles, à côté des prestigieuses richesses de l’Espagne, de ces mines de Tartessus ou de Carthagène pour lesquelles Rome avait lutté vingt ans contre les Barcas[169] ?

Sans doute les mines d’argent donnaient un double bénéfice, puisque le métal v est d’ordinaire fortement amalgamé avec le plomb, et que l’industrie gallo-romaine réclamait de ce dernier métal pour de nombreux usages. Mais la malchance voulut que Claude conquit la Bretagne, où les empereurs rencontrèrent aussitôt les plus riches mines de plomb de l’Occident : et on exploita ces dernières d’une façon si intense, et sans doute à si bon compte, que la concurrence fut impossible aux plombs argentifères de la Gaule[170]. Argentières et plombières de nos pays ne pouvaient avoir qu’un mince débit, à l’usage d’une petite clientèle municipale[171]. Les grands entrepreneurs et les régisseurs des bâtiments publics avaient tout profit à s’adresser aux mines impériales de l’île voisine[172].

C’est cette île, également, qui fournit à la Gaule presque tout son étain. Si l’on en retire encore du Morbihan ou du Limousin, c’est fort peu, de quoi satisfaire à peine les étameurs de carrefours[173]. A côté de l’Espagne et de l’Angleterre, exploitées maintenant à fond par les ingénieurs romains, la Gaule n’est plus qu’une terre minière de second ordre[174].

Ce qui la préservait d’un moindre rang, c’étaient ses mines de fer. En cette matière, il y a progrès depuis la conquête. Aux antiques mines du Berry[175], du Périgord, du Condomois, il s’en est ajouté bien d’autres. Des inscriptions nous font maintenant connaître aussi[176] celles du Bigorre[177] et des Corbières[178] dans les Pyrénées, celles du Velay[179] et celles des Cévennes nîmoises[180]. Les ferrières sont devenues si nombreuses en Gaule qu’elles y constituent, au même titre que des vignes ou des terres à blé, une source de revenus nécessaire et universelle. L’État a les siennes, sous la direction d’un intendant impérial, dont les bureaux sont à Lyon. Mais les villes ont également les leurs,  et aussi le conseil provincial des Gaules et encore les simples particuliers[181]. On dirait même, à voir les innombrables amas de scories laissés sur notre sol par l’époque romaine (dans certains pays il y en a presque un par commune), on dirait que chaque domaine possédait sa petite exploitation locale, et qu’une villa bien organisée devait trouver sur place son minerai pour alimenter sa forge, comme elle récoltait ses blés pour nourrir ses hommes, et filait ses laines pour les vêtir[182].

La Gaule conservait enfin ses puissantes mines de sel de l’intérieur, qui depuis tant de siècles attiraient et groupaient les hommes. Trois nations surtout leur devaient leur gloire, les Séquanes de Franche-Comté, avec les gisements de Salins et du Jura[183], les Médiomatriques de Lorraine, avec ceux de la Seille, la rivière du sel[184], les Tarbelles de Dax, avec ceux de la Chalosse[185]. Mais en cela, je pense, l’exploitation industrielle des rivages fit alors concurrence aux pratiques traditionnelles des sauniers de l’intérieur. Les salines les plus actives furent celles de la mer : on eut d’abord celles qui s’installèrent dans les parages des étangs du Languedoc, si propices à une industrie de ce genre[186] : puis, on en vit le long des côtes[187] atlantiques, jusqu’à Boulogne, jusqu’en Flandre, où de puissantes sociétés de saunage[188] partageaient avec les entrepreneurs de pêche la maîtrise des bas pays.

 

VIII. — CARRIÈRES.

Rien de cela, ni salines ni ferrières, n’était chose nouvelle. Ce qui le fut, ce que les Romains apprirent vraiment à la Gaule, ce fut l’art d’extraire des matériaux à bâtir. Vignobles et carrières, voilà les nouveautés qui s’offrent à notre pays. Se transformer à la romaine, pour lui, c’était se couvrir de bâtisses : la route, la ville, la ferme, le temple, la tombe et l’image, on va les demander à la terre et à la pierre[189]. Jamais, sauf depuis cent ans, les ressources intérieures du sol n’ont été plus exploitées, et avec une science plus consommée[190].

La terre était destinée aux briques, aux figurines, aux poteries. Depuis les plus grossières jusqu’aux plus fines[191], on utilisa tous les grands gisements d’argiles plastiques : la terre blanche de la Limagne ou des plaines arvernes[192], la terre rouge du Gévaudan et du Rouergue[193], la terre grise du Grésivaudan allobroge, reçurent chacune son emploi. Mais toute cité eut ses tuileries et ses poteries propres, ne fût-ce que pour les briques à bâtir et les ustensiles les plus ordinaires, et elle s’arrangea de manière à s’approvisionner sur place de matières premières[194]. Puis, on eut la découverte de carrières de marbre[195]. L’une après l’autre, chacune des grandes vallées des Pyrénées révéla les siennes[196]. Aucune n’en montra de plus riches que la haute vallée de la Garonne, avec ses bancs inépuisables de Saint-Béat ; et ce fut un événement dans la Gaule, lorsque les ingénieurs romains parvinrent à détacher du flanc de la montagne un bloc énorme de vingt pieds, d’où l’on fit sortir une colonne d’un seul jet, prête pour un péristyle de temple : de quoi l’on remercia les dieux ainsi que d’une victoire[197]. Mais les Pyrénées ne suffirent pas aux exigences des marbriers que le luxe des édifices municipaux faisait pulluler dans les villes. Ils exploitèrent à fond toutes les Alpes[198], ils explorèrent en détail toutes les Ardennes[199], et ils arrivèrent à de tels succès qu’ils purent réaliser en marbre de Gaule les cent couleurs de la nature.

D’autres pierres, moins belles mais aussi curieuses, attirèrent certains spéculateurs. On utilisa la stéatite et la serpentine[200], le schiste noir[201], l’ardoise[202], la pierre tendre de Maëstricht, qui se découpait en fines lamelles pareilles à des plaques de métal[203]. Mais on eut sans doute le regret de constater la pauvreté de la Gaule en pierres dures et précieuses, si recherchées des artistes et des amateurs de Rome : ce dont le cristal de roche[204] et le grenat almandin des Alpes et des Maures ne purent suffire à les consoler[205].

En revanche, le travail sur matières communes fut inimaginable. Pendant trois siècles, on ne cessa de ramasser par tombereaux les produits ordinaires du sol, la pierre à chaux, le sable et le plâtre, destinés à ce mortier de muraille ou à ces bétons d’aires dont les Romains faisaient une prodigieuse consommation pour leurs édifices ou leurs voies[206], le gravier et les cailloux, qu’on entassait également dans le sous-sol des routes, la marne, qui était en ce temps le principal engrais et dont on fit un ample et intelligent usage pour l’entretien des cultures[207].

Enfin, et plus importante encore que le reste pour l’histoire du sol gaulois, ce fut l’ouverture des carrières de pierre à bâtir. Songeons à ce qu’il fallut de tonnes de blocs pour construire les Arènes de Nîmes : on les trouva dans les carrières voisines de Barutel, où l’on peut, dit-on, voir la brèche de géant qu’ont taillée les empereurs[208]. Bordeaux demanda les assises de ses monuments aux calcaires de Bourg, et surtout à ceux de Saintonge, ces belles pierres d’une blancheur éblouissante qui finirent par devenir les plus estimées de la France entière[209]. Dans l’Est, on travaillait déjà les bancs de Sampans en Franche-Comté[210], de Seyssel et de Villebois aux bords du Rhône[211]. Paris savait le moyen de tirer le calcaire de son sous-sol[212]. D’ailleurs, la France était constituée de telle manière, que toute ville qui se bâtissait avait à sa portée les matériaux de ses gros œuvres.

Jamais, dans le cours de sa vie, cette terre de France n’a été plus fouillée, étudiée, analysée que dans les siècles de l’Empire romain. Rien n’était laissé au hasard. Construisait-on un grand édifice, on utilisait différentes carrières, chacune pour un rôle spécial : celle-ci fournissait les pierres de façade, celle-là la maçonnerie des voûtes, une autre le blocage intérieur[213].

Pendant trois siècles, le pic du carrier ne cessa de se faire entendre d’un bout à l’autre de la Gaule. Avec les rouliers, les maçons étaient les maîtres du sol. A défaut d’ouvriers civils, on recourait à l’armée. Les soldats ouvrirent les carrières de Norroy en Lorraine et de Brohl sur le Rhin. Ils ne manquaient pas, au milieu de leur besogne, d’honorer l’Hercule patron des tailleurs de pierre[214].

La Gaule celtique, assurément, n’avait pas ignoré le bénéfice qu’on peut tirer de l’argile et de la pierre. Mais, mettant ailleurs son idéal, elle s’était intéressée médiocrement à ce genre de ressources et aux œuvres qui en sont formées. Au temps des Césars, la pierre retrouva l’empire qu’elle avait exercé sur le monde dans les siècles des menhirs et des dolmens.

 

 

 



[1] Pour les routes, ch. III ; pour les champs, Strabon, IV, I, 2 ; IV, 1, 5 ; pour l’un et l’autre, Dion, XLIV, 42, 4 et 5 ; de même, Josèphe, De bello Judaico, II, 16, 4.

[2] Strabon, IV, 1, 2 et 5.

[3] Sauf exceptions.

[4] Fustel de Coulanges, Recherches, p. 9 et s. (Le Colonat romain).

[5] Il faut cependant rappeler ici les mesures contre les vignes.

[6] L’enquête, très difficile, sur le rôle agricole des aqueducs en Gaule n’a pas été faite. J’incline cependant à croire à ce rôle, étant donné que nous avons en Gaule trop d’aqueducs dans les petites localités, vici ou villæ, pour qu’ils n’aient pas servi aux champs autant qu’aux hommes. Cf. Germain de Montauzan, Les Aqueducs de Lyon, p. 346-9. — L’aménagement des torrents par des prises latérales, des terres marécageuses par des fossés d’écoulement ou de drainage, doit être de beaucoup antérieur aux Romains. — Peut-être certains travaux de barrage, qu’on leur a attribués sur quelques rivières, ont-ils eu pour but des canaux d’irrigation ; la région de la basse Durance et le Vaucluse seraient à étudier particulièrement à ce point de vue.

[7] Voyez les découvertes faites à Bordeaux dans les marais de l’Archevêché (Inscr. rom., I, p. 438). — Toutefois, l’extension principale du Bordeaux romain parait se porter vers les hauteurs de Saint-Seurin, en dehors de la zone marécageuse (id., II, p. 553 et s.). Même remarque pour Lyon (Allmer, Musée, II, p. 332-3). Et également pour Paris (de Pachtère, p. 36-8). L’effort contre les marécages suburbains, qui devait être si intense au Moyen Age et surtout depuis le XVIe siècle, fut donc faiblement poussé par les Romains. Et cependant aucune œuvre n’était plus utile. Ce que dit Vitruve des marécages urbains (I, 4, 11 et s.) montre tout à la fois qu’on en comprenait le danger et qu’on ne prenait pas contre eux de très énergiques mesures.

[8] D’après les noms donnés aux communes voisines de la Gironde, Pauillac (cf. Ausone, Ép., 5, 16), Soulac, Dignac dans l’île de Jau, Valeyrac, etc., noms qui remontent tous à des villas gallo-romaines.

[9] Voyez l’excellente carte de Clouzot, Les Marais de la Sèvre Niortaise, 1904. On pourrait peut-être retrouver la trace des habitats en s’aidant des amas d’huîtres, comme ceux des Chauds près de Saint-Michel-en-l’Ilerm, ou des amas de cendres végétales, comme ceux de I’Ilot-les-Vases près de Nalliers, du Langon, de Marans, etc.

[10] Cumont, Comment la Belgique, etc., p. 34, qui rappelle les beaux ou les nombreux objets trouvés dans les tourbières.

[11] Cf. les plaintes des soldats romains, uligines paludum... accipiant (Tacite, Ann., I, 17).

[12] Ajoutez l’usage auquel ont pu servir les énigmatiques amas de cendres de Vendée.

[13] Caton, De agri cultura, 9 ; 33, 5 ; etc.

[14] Je rappelle que c’est un nom commun.

[15] Ancien nom (Cotia, Cuise, Guise) de la forêt de Compiègne, nom qui semble avoir été commun à d’autres forêts.

[16] Ancien nom (Lida, Laye) de la forêt de Saint-Germain, que je crois aussi un nom commun.

[17] Hypothétique.

[18] Supposé d’après l’importance des constructions navales à Arles.

[19] Rappelons-nous aussi le rôle joué par les forêts dans les deux industries, importantes en Gaule, de la savonnerie et de la verrerie : ce sont leurs bois qui fournissaient les potasses ou, comme on disait autrefois, les cendres ou salins : je crois que c’est cela que signifie le mot de Varron (Res. r., I, 7, 9), ex quibusdam lignis combustis carbonibus salsis.

[20] La forêt de Compiègne, silva Cotia ; Greg. de Tours, H. Fr., IV, 21 ; V, 39 ; etc.

[21] Pour se rendre de Bingen à Trêves, Ausone traversera, près de Bingen, une vaste région désertique et forestière (Mos., 5-6) qu’on retrouve exactement aujourd’hui.

[22] Voir à ces mots le Dictionnaire des Postes, 4e éd., 1905.

[23] La villa gallo-romaine est toujours inséparable de son horizon de bois (sub radicibus montis silvestris, Varron, R. r., I, 12, 1) ; et c’est pour cela que la majorité de nos anciennes communes ou paroisses rurales, héritières de villas gallo-romaines, sont encadrées de bois ou de forêts.

[24] Le sanctuaire rural étant une manière de domaine, on peut en dire autant que des villas. Voyez la situation de l’habitat sacré de Champlieu à quelques mètres de la forêt de Compiègne, celle des fana normands décrits par de Vesly (Les Fana, p. 15, 21, 73, 78, 84, etc.), etc.

[25] La conquête de la Gaule a dû y introduire de nouvelles essences forestières. La principale fut sans nul doute le platane, recherché du reste uniquement pour son ombre, et qui se répandit jusque dans le Nord à Boulogne ; on le planta en assez grande quantité pour que les pieds en fussent recensés pour l’impôt foncier : ad Morinos osque pervecta.... ut gentes vectigal pro umbra pendant (Pline, XII, 6).

[26] Il est de mon devoir de dire que cette opinion, que cent faits justifient, est absolument contraire à l’opinion courante.

[27] J’entends dès les invasions du IIIe siècle, et peut-être cela commence-t-il dès le temps de Marc-Aurèle.

[28] De Vesly, Les Fana, p. 84 : au village des Essarts dans la forêt de Rouvray, les ronces croissent sur les ruines. Orose (VII, 15, 5) signale le fait en Italie dès le temps de Marc-Aurèle, oppida in ruinas silvasque.

[29] Grégoire de Tours, H. Fr., VI, 23 ; cf. de Pachtère, p. 17, 145.

[30] Drouyn, Bordeaux, p. 131, 119, 137, etc. ; les marais versaient, du côté de Pont-Long (rue d’Arès), jusqu’a la Cathédrale (Revue des Ét. anc., 1899, p. 241).

[31] Supposé d’après l’ensemble des faits, et d’après ce que le panégyriste de Constantin dit du pays de Beaune, dont les terres basses, jadis recouvertes continua cultura, sont maintenant transformées in voragines et stagna (Pan., VIII [V], 6).

[32] L’exportation de blé de Gaule en Italie est attestée en particulier pour Arles, et, dans l’ensemble, par des inscriptions et des textes (Romam invehuntur, Pline, XVIII, 66). — L’exportation en Espagne est attestée pour les derniers temps de la République.

[33] Cf. Pline. XXXVII, 203 ; Mela, III, 17 : Terra est frumenti præcipue ac pabuli ferax.

[34] Peut-être Ammien, XVII, 8, 1 (ex Aquitania anima) ; en tout cas Sidoine, Ép., IV, 21, 5 (æquor agrorum, etc.) ; Carm., 7, 41 et s. ; et Salvien, De gub. Dei, VI I, 2, 8 (crinita messibus, etc.).

[35] Aucun texte en dehors de l’époque celtique (choix d’Orléans, par César, connue centre du ravitaillement en blé de son armée, De b. G., VII, 3, I).

[36] Claudien, De cons. Stil., III, 94 (comere Lingonico, sans doute du pays de Dijon). La richesse en blé du terroir de Dijon est longuement décrite par Grégoire, Hist. Franc., III, 19.

[37] Moins célébrée que la Limagne, mais déjà, je crois, excellente terre à blé, si j’en juge par l’abondance, sur ces plateaux, de villas romaines, toutes aux mêmes points que les communes actuelles. Il serait possible que la richesse de la Brie datât seulement des temps romains. Peut-être y trouve-t-on une allusion dans les Panég., VIII, 6 (à propos des Rèmes) et chez Claudien (l. c., III, 92, ligones Senonum, le pays de Melun appartenant aux Sénons), Toutefois le pays de Brie proprement dit était sans doute partagé entre la cité de Meaux et celle de Soissons (à qui appartenait le pagus Otmensis, ou de Château-Thierry).

[38] Fortunat, Carm., VII, 4, 14 (seges des bords de l’Aisne). — Sans doute aussi sur les plateaux du Hainaut (Nerviens) et de la Hesbaye (Tongres).

[39] Décidément, je crois que Pline (XVIII, 85) parle des Mem[in]i, ou du pays de Carpentras. Car il indique dans un passage que l’espèce supérieure de froment, siligo (triticum hibernum, gros blé blanc), ne peut convenir qu’aux terres humides de la Gallia Comata [les Trois Gaules] et qu’à celles trans Alpes [la Narbonnaise ou la Transalpine primitive, expressions désuètes qui s’expliquent parce que Pline copie une source ancienne, Varron ?] des Allobroges [Grésivaudan, Valloire] et des Memini [Carpentras] (et ce sont en effet des terres fort arrosées) : partout ailleurs, dit-il, ibi [les terres plus sèches du reste de la Narbonnaise], il dégénère au bout de deux ans en froment ordinaire.

[40] Je pense que les blés expédiés de la Narbonnaise venaient de là. Cf. la note suivante.

[41] Dans la grande villa de Chiragan, dans la Haute-Garonne (Joulin, p. 153), on a pu supposer un grenier à blé pour 4.000 hectolitres. Chaque domaine avait, outre ses granges, ses moulins propres (Digeste, XXXIII, 7, 18, 5).

[42] Mentionnons ce fait de fécondité du sol cité par Pline (XVIII, 183) chez les Trévires : il y a 3 ans [en 74 ?], dit-il, cum hieme prægelida capta segetes essent, reseverunt etiam campos mense Martio uberrimasque messes habuerunt. Il s’agit de l’utilisation pour blés de printemps de terres où le blé d’hiver, semé peut-être trop tôt, avait été détruit par la gelée.

[43] Aussi, pour les différentes espèces de céréales, n’aurions-nous qu’à répéter ici ce que nous avons dit aux temps gaulois. — C’est évidemment une question à résoudre, si les Romains n’ont pas introduit en Gaule de nouvelles variétés de blé : mais je ne vois pas encore la manière d’en faire l’étude ; J. et Ch. Cotte (Étude sur les blés de l’Antiquité classique, 1912, p. 34) font justement remarquer la difficulté qu’il y a à serrer la question de près.

[44] Pour tout ceci, Pline, XIX, 8 : Cadurci, Caleti, Ruteni, Bituriges ultimique hominum existimati Mirini vero Galliæ univeræ vela texunt. De la Gaule, la culture gagna la Germanie, jam quidem et Transrhenani hostes. Le recensement des linières entrait dans l’impôt foncier des Gaules, Galliæ censentur hoc reditu.

[45] Forum hordiarium à Cologne.

[46] Je crois qu’il y avait trois centres de culture : autour de Narbonne, autour d’Aix, autour de Nice et d’Antibes (C. I. L., V. 7905, 7920 ; etc.), peut-être autour de Riez (cf. XII, 372), d’Orange (cf. XII, 1236) et d’Arles (Digeste, XIV. 3, 13, s’il ne s’agit pas d’huile importée). Il nous manque un répertoire et une étude archéologique des moulins et pressoirs à huile de la Gaule (cf. Bull. de la Soc. préhist. franç., 1910, p. 376 et s., et ailleurs). — La restriction que la République apporta à la culture de l’olivier, ne put sans doute tenir devant les besoins énormes de l’Empire.

[47] Curtel, La Vigne et le Vin chez les Romains, 1903 (très sagace) ; Billiard, La Vigne dans l’Antiquité, Lyon, 1913. A titre de comparaison, le livre d’A. Jullien, Topographie de tous les vignobles connus, 3e éd., 1832.

[48] Il est d’ailleurs fort possible que les Marseillais aient fini par la propager aux abords de leurs colonies. Ils l’avaient plantée, disait-on, près d’Aix, Plutarque, Marius, 21. — J’ai eu peut-être tort d’insister sur le peu d’étendue des vignobles marseillais. Jusque dans le cours du XIXe siècle le vin du pays était une fortune pour le terroir de Marseille : « les environs de cette ville contiennent de nombreux vignobles » et presque tous les villages de son territoire actuel produisaient leurs vins, vins rouges ou blancs, dont on expédiait à Paris, même en Allemagne, en Hollande, en Russie (A. Jullien, Topographie, p. 251-3). Et les statuts municipaux montrent qu’il eu a été ainsi durant tout le Moyen Age. Pour Marseille comme pour Paris, les choses ont changé depuis un siècle, par suite du développement de la vie industrielle, des bâtisses urbaines, des propriétés d’agrément. — Outre les vignobles des terroirs de Marseille et d’Aix, on doit citer, comme datant peut-être de la colonisation marseillaise, ceux des Alpes Maritimes, dont le cépage, appelé dans le pays la vigne rétique, Rætica, donnait de très mauvais vin, mais de l’excellent raisin de table (Pline, XIV, 41).

[49] Il est possible que l’interdiction ne vise que les indigènes.

[50] Cela résulte de l’abondance de textes que le premier siècle nous a laissés sur les vins de la Gaule.

[51] Beterrarum inter Gallias consistit auctoritas, Pline, XIV, 68 [il y a inter et non infra, Pline parle peut-être de la réputation de Béziers hors de Gaule aussi bien qu’en Gaule]. Aujourd’hui encore Béziers est le marché régulateur des vins. — Nous ignorons les cépages qui furent utilisés à l’origine dans cette région. Ils sont arrivés peut-être par la colonie grecque d’Agde.

[52] Le cépage dit allobrogique était à grains noirs et convenait aux terres froides, Allobrogica frigidis gela maturescens (Pline, XIV, 26 et 18), et il devait se rencontrer en Dauphiné, rive gauche. Mais je crois que ce n’était pas exactement celui qu’un avait fini par cultiver sur les côtes du Rhône, rive droite. Il rendait beaucoup, copiam præstant. Le cépage allobrogique, sans doute de première catégorie, ne réussissait pas au dehors (Columelle, III, 2, 10 ; Pline, XIX, 26). — Les plus célèbres plantations devaient être sur la rive droite, à la Côte Rôtie (Billiard, p. 82), laquelle dépendait du territoire de Vienne. C’est saris doute de ces vignobles qu’il est question chez Pline (XIV, 18) : Viennensem agrum nobilitans Taburno [var. Aburno], Sotanoque et Ellinco generibus non pridem hæc illustrata [les corrections Arverno, Sequano, Helvico, semblent contraires à l’ensemble du texte, il s’agit de crus ou de localités chez les Viennois]. — C’est le plant qui donnait, sur place, le vin de Vienne, vinera picatum ; Pline, XIV, 18 et 26 ; Martial, XIII, 107 ; Plutarque, Qu. conv., V, 3, 1 ; Columelle, III, 2, 10 ; XII, 23. — A ce plant devaient se rattacher les vignobles des Voconces dans la Drôme (Pline, XIV, 83) et du Lyonnais (vignobles célèbres du vicus ou pagus Antonins (Sidoine, Carm., 17, 17-8).

[53] L’attribution d’un cépage distinct et de vignobles importants aux Helviens du Vivarais résulte, sans certitude absolue, de mentions chez Pline : 1° d’un cépage, sans doute de seconde catégorie, découvert, il y avait sept ans (sous Néron), Alba Helvia [les manuscrits ont Albo Olvia ou Oliva, Olivia] (XIV, 43), c’est-à-dire à Aps, cépage à floraison très rapide, uno die deflorescens, ob id tutissima, et qu’on répandit pour cela dans toute la Narbonnaise et ailleurs ; on l’appelait (vitis) carbunica ; 2° d’un vin qui avait naturellement goût de poix et qui portait à la tête, fabriqué Helvenc[o] in pago (XXIII, 47) : mais il peut s’agir ici de l’Ellinco du terroir viennois mentionné XIV, 18 ; 3° il est vrai que dans ce dernier passage il peut s’agir de cépages helviens cultivés en Viennois ; 4° de l’existence d’un cépage de troisième catégorie, appelé Helvennaica, Helvennaca, Helvenacia (Pline, XIV, 32-3 ; Columelle, III, 2, 25 et 20, d’après Celsus ; V, 5, 16) ; on en citait trois variétés (appelées, l’une en celtique marcum ou marcus, emarcum, une autre, longa ou cava), cépage convenant aux sols maigres, aux terroirs maritimes, donnant du vin très abondant, médiocre et ne se gardant pas ; 5° de l’inscription (texte très douteux) Helvior, sur une amphore à Vechten (XIII, 10004, 8) ; 6° de l’importance de la tonnellerie sur les bords du Rhône, à Rochemaure. — C’est du reste aux abords du fleuve que devaient se trouver ces vignobles. — Le cépage helvien était sans doute quelques-unes des espèces cultivées aujourd’hui dans nos provinces centrales (Curtel, p. 77) : mais j’imagine que les Helviens avaient dû implanter sur leurs terres des bords du Rhône le bon cépage allobrogique. — J’ai à peine besoin de rappeler les vins célèbres du Vivarais, Cornas, Mauves, Limony, Saint-Péray (vins blancs) ; mais il serait possible que dans l’Antiquité cette région ait dépendu de Valence.

[54] Chez les Eduens : Panég., VI [V], 6 : vignobles sans doute sur les coteaux [la correction infinio loco est absurde] du pagus Arebrignus (pays de Beaune et de Nuits ; cf. le dieu au tonneau de Cussy-le-Châtel, Esp., n° 2025). Chez les Lingons, à Dijon : Grégoire de Tours, H. Fr., III, 19 : Occidentes montes sunt uberimi viniisque repleti, qui tam nobile incolis Falernum porregunt ; cf. Espérandieu, n° 3253 (Langres), 3469 (Dijon), 3608 (Thil-Châtel), avec cette réserve qu’il peut s’agir, dans ces figures, de vins importés (j’en doute fort cependant) ; le dieu au tonneau de Mâlain (n° 3168).

[55] Outre les textes d’Ausone et de Pantin de Pella, on peut, je ne dis pas on doit, rapporter au Bordelais le fameux cépage, recherché de très bonne heure, que les Italiens appelaient (vitis) Biturica, Biturigiaca, Bituriaca, car il parait bien difficile de l’attribuer aux Bituriges de Bourges. C’était un excellent cépage, et peut-être le meilleur de seconde catégorie, dont les qualités dominantes étaient : grains moins serrés, fleurs non sujettes à couler, précocité, résistance à la pluie et au vent, convenance aux terrains froids et humides, un grand rendement, vin se conservant longtemps ; Pline, XIV, 27-8 ; Isidore, Orig., XVII, 5, 22 ; Columelle, III, 2, 19 et 28 ; 7, 1 ; 9, 1 et 3 ; 21, 3. Tonnelier à Bordeaux (Esp., n° 1112). — Vignes en Limagne (Sidoine Apollinaire, Ép., IV, 21, 5) ; dieu au tonneau à Gannat (Esp., n° 1620), à Vichy (n° 2750) : remarquez que ce dieu se rencontre surfont dans les pays à vignobles. — Tonneliers à Nantes (C. I. L., XIII, 3104) : on peut douter ici qu’il s’agisse de vins, à moins qu’on ne pense aux vins blancs communs du pays ou à ceux d’Anjou et de Touraine.

[56] Pline n’en parlant pas, l’introduction du vin dans la vallée de la Seine fut peut-être postérieure. — Jusqu’à nouvel ordre, aucun document des temps romains pour le vin de Champagne, mais il y en a de l’époque mérovingienne, je ne parle pas d’ailleurs du vin mousseux, qui est très récent.

[57] Ausone, Mos., 21. Pline, qui a été dans le pays, n’en parle pas, mais les monuments funéraires (Neumagen ; Esp., n° 5184, 5193, 5198) représentent souvent, bien avant Probus, des transports de barriques : il est vrai que ce peut être (j’en doute cependant) du vin importé. Découverte de serpettes de vignerons et d’essettes de tonneliers dans une nécropole en amont de Coblentz, du IIe siècle ? (Weise, Beiträge, Hambourg, 1901, p. 31 et s.).

[58] Julien, Epigr., I, p. 611, Hertlein.

[59] Voyez les remarques de Pline (XIV, 46 et s.). Pline (XIV, 57) rappelle que les Viennois ont vendu entre eux, par amour-propre national, amore proprio, leurs vins à plus de mille sesterces l’amphore (210 francs les 26 litres), ce qui met le tonneau [4 barriques de 228 litres] à plus de 7.000 francs, prix des premiers grands crus bordelais des très bonnes années.

[60] Pour le vin de Vienne, Martial, XIII, 107 ; Pline, XIV, 18, 26, 57 ; pour celui de Marseille, Pline, XIV, 68.

[61] C. I. L., XIII, 10018, 135 : Parce picatum, da Amineum : ce buveur ne veut pas du vin du Midi gaulois, mais de l’italien supérieur, du falerne ; il est d’ailleurs probable, puisque la Gaule importait des cépages d’Italie, qu’on fabriquait, par exemple dans le Bordelais ou plutôt en Bourgogne, du faux aminéen. — Mais beaucoup de ces inscriptions dites bachiques peuvent être postérieures à Probus.

[62] Stace (à propos de l’édit de Domitien), IV, 3, 11-2 ; cf. S. Reinach, Cultes, II, p. 364.

[63] En 92 ?

[64] Ce qui eût été le cas, si on n’avait plus replanté.

[65] Outre les intérêts matériels, les intérêts religieux, puisque l’usage se répandait d’installer pris des mausolées un arpent de vignes, dont les produits servaient aux libations funéraires : je ne pense pas que l’édit ait rien changé à cet égard (C. I. L., XII, 1657, Die chez les Voconces ; 3637, Nîmes ; XIII, 2165 et 2494, Briord et Gélignieux dans le pays de Belley).

[66] Il est possible que certaines cités, comme peut-être les Trévires, les Lingons, les Allobroges, aient été privilégiées à cet égard, d’autres, au contraire, sacrifiées, comme peut-être celle de Bordeaux. Le texte si difficile des Pan. Lut., VIII [V], 6, sur les vignes du pagus Arcgrignus dans la cité d’Autun, peut s’expliquer par le fait que ce pagus avait conservé le droit d’avoir des vignobles in uno loco [in uno dissimule peut-être un nom de lieu, Belino, Beaune ?] : en tout cas les vignes dont il est ici question sont décrites comme extraordinairement vieilles, bien antérieures à Probus. — Il est encore possible qu’on ait autorisé un arpent de vigne par concession funéraire (cf. ici, n. précédente) : car je crois que le vin destiné aux libations funéraires ne pouvait être que du vin pur et authentique de vin tenant lieu de sang ; cf. Kircher, Die sakrale Bedeutung des Weines, Giessen, 1910, p. 86), et que ces plantations de vignes près des tombes étaient faites à cette intention. Peut-être, également à cet effet, eut-on des vignes de serre jusqu’en Belgique.

[67] Les figurations les plus importantes sont les bas-reliefs funéraires représentant des transports de tonneaux chez les Lingons et chez les Trévires, les mosaïques représentant des scènes de vinification à Saint-Romain-en-Gal dans le voisinage des fameux crus des Allobroges. A Bordeaux, les inscriptions et représentations relatives au vin sont au contraire très rares.

[68] Il faut d’ailleurs bien l’admettre, puisqu’on fit à Probus un mérite de l’avoir abrogé.

[69] Il est certain que l’édit de Probus a eu de fortes conséquences pour le commerce des vins. C’est après son règne que se placent, dit-on, les vases à inscriptions bachiques si nombreux dans le Nord-Est (C. I. L., XIII, III, p. 532 et s.). Mais je ne sais si l’affirmation peut être absolue.

[70] Voyez les trois principales catégories de cépages gaulois, l’allobrogique dans la première classe des cépages connus, le biturige en tête de la seconde, le cépage d’Aps ou carbunica dans la seconde, l’helvennaque ordinaire dans la troisième, bien hiérarchisées. Ce besoin de hiérarchie dans les choses de la vigne et du vin existait donc dès l’Antiquité. — L’existence de ces cépages, bien définis et bien classés dès les premiers temps de l’Empire, soulève un problème très difficile à résoudre : comment se sont-ils constitués ? est-ce par importation de plants grecs ou de plants italiens ? et ensuite par influence graduelle du sol ? est-ce par greffage ou travail sur plants sauvages indigènes ?

[71] Pline, XIV, 39 : Trans Alpes vero Picenam : il s’agit de plants venus des bords de l’Adriatique et en particulier des environs d’Ancône (Pline, XIV, 37, 63 ; édit de Dioclétien, 2, 1). Je crois cependant possible que la viticulture et la vinification bordelaises et bourguignonnes, cépages et vins, soient d’origine ou d’imitation, non pas adriatique, mais campanienne ou aminéenne.

[72] Pline, XIV, 39 : In Italia Gallicam placere : je n’hésite pas à croire que, des trois principaux cépages gaulois, ce fut le biturige qu’on planta le plus en Italie : cela résulte de tous les renseignements que les agronomes ont fournis sur lui, et de ce qu’on essaya vainement d’y acclimater l’helvennaque, nulla vitium minus Italiam amat (XIV, 33) et l’allobrogique.

[73] On montrait à Marseille une patera faite d’un bois de vigne (Pline, XIV, 11) : mais s’agissait-il d’une vigne du pays ?

[74] Col., V. 5. 16-17 ; etc. C’est ce qu’on appelle une conduite ultra-basse, (Cartel, p. 51 : Billiard, p. 357), peu recommandable et n’est guère admissible que dans les climats chauds et secs (Cartel). — Une variété de vigne ainsi rampante était celle (cépages de l’Helvennaca) dont les sarments étaient d’abord enterrés, et ensuite redressés le long de roseaux : ces sortes de sarments étaient appelés, d’un mot celtique, candosocci (= ?  souches ?) ; Col., V, 5, 16. Lorsque Pline parle de plants helvennaques dont les sarments étaient soutenus par des fourches (Pline, XIV, 32), il doit faire allusion aux candosocci. — Il n’est question, à propos de la Gaule, que de vignes rampantes ou courantes. Mais il est bien probable que l’on connaissait toutes les autres espèces de conduites et de tailles, car précisément ces façons rampantes ne conviennent guère aux climats humides.

[75] Paulin de Pella, parlant de la maladie et de la réfection de ses vignes bordelaises au début du Ve siècle (Euchar., vers 193 et s.) : Protinus et culturam agris adhibere refectis et fessis ceterem properari impendere curam vinelis, comperta mihi ratione novandis.

[76] Je dis dès les temps anciens : il n’est guère de conseil, d’enseignement donnés par les agronomes latins qu’on ne puisse répéter aujourd’hui ; Curtel, p. 77. — Et ce caractère de la viticulture se continuera dans la vinification. — II est un autre caractère de la viticulture et de la vinification qu’on ne retrouve, du moins au même degré, pour aucun des produits agricoles ou industriels de la Gaule, c’est le caractère municipal (qu’on reverra au Moyen Age), je veux dire par là que les cités mettaient leur amour-propre et leur gloire dans l’excellence de leur vin : de là, les noms municipaux qu’on donnait aux cépages ; de là, les réclames que les habitants faisaient aux prix marchands de leurs vins ; de là, peut-être, une législation spéciale pour les vignobles des différentes cités ; cf. Ausone, Urb., 129, insignem Baccho (Bordeaux).

[77] La variété des productions de la Gaule est reconnue sous l’Empire, et n’apparaît pas dans les textes contemporains de la conquête (Mela, III, 16, source ancienne).

[78] Pline en parle très peu pour la Gaule, mais les bas-reliefs prouvent surabondamment l’importance de la pomme dans la vie de ce temps : Esp., n° 616, marchand de pommes (on a supposé, à tort ce me semble, des grenades) à Narbonne, avec l’inscription mala, mulieras mea : n° 10 (dans une sculpture funéraire, la mère tient une pouline, la fille des épis), 107, 2185, etc. ; n° 360 (motif de décoration monumentale). Espèces mentionnées par Charlemagne : Malorum nomina : gozmaringa, geroldinga, crevedella, spirauca, dulcia, acriores, omnia servatoria : et subito comessura ; primitiva.

[79] On a trouvé des noisettes dans les tombes, par exemple aux fouilles de Martres-de-Veyre. — Amandes ? Esp., n° 2349.

[80] Tout cela, d’après ce qu’on a toujours constaté en France. — Noix et noisettes, Esp., n° 5151. — On peut ajouter les prunelles, prunella, pruna nigella (Fortunat, Carm., XI, 18).

[81] D’après Pline, XV, 103-4, et les monuments. Pline : In Belgica [la Belgique de Pline peut aller jusqu’au Rhin] (principales) Lusitanis [plants importés du Portugal], in ripis etiam Rheni ternis [à trois couleurs ? texte très corrompu] : iis colos e nigro ac rabenti viridique si nilis maturescentibus semper [merises ou cerises à kirsch d’Alsace ?] ; on les faisait souvent sécher ou confire : septentrione frigidisque gaudet, siccatur etiam conditurque ut oliva cadis. Ceresarios diversi generis, dit Charlemagne.

[82] Pline, XV, 30 : Persicorum palma duracinis. Nationunt habent cognomen Gallica et Asiatica. Les duracina de Gaule sont les pèches alberges, aux noyaux adhérents ; Olivier de Serres (éd. de 1646, p. 618) semble les identifier avec les alberges si prisées, à teinte jaune dorée. Je crois qu’on en faisait dès lors des conserves (XIII, 10008, 50, persica, sur un vase trouvé à Saintes).

[83] Hypothétique : d’après ce que dit Pline dans l’ensemble (in piris superbiæ, XV, 53 et s.), et la présence de poires dans les représentations figurées (Esp., n° 2349, 515t). J’imagine qu’on devait connaître dès lors les espèces citées par Charlemagne : Perariciis servatoria triam et quartum genus [?], dulciores et cocciores et serotina. Mais je ne vois dans les textes anciens aucune variété qui puisse s’appliquer à la Gaule.

[84] Strabon (IV, 1, 2) fait encore finir le figuier aux Cévennes : mais il écrit d’après une source antérieure à Auguste ; Julien (Mis., p. 351, Sp.) signale la culture du figuier à Paris, les arbres étant enveloppés de paille pendant l’hiver. — Cf. l’article Feige dans la Real-Enc. (Olck).

[85] Hypothétique ; mais la châtaigne étant un fruit cher au populaire italien, je doute que l’arbre ne se soit pas très vite acclimaté en Gaule, où il trouve des terrains si propices. En outre, il semble que la tonnellerie gauloise utilisât le bois de châtaignier.

[86] On trouvera, je crois, un tableau des fruits essentiels de la Gaule dans le capitulaire de villis de Charlemagne (§ 70, p. 90, Boretius) : car je ne suppose pas qu’une acclimatation de nouvelles espèces se soit produite après la chute de l’Empire. Ce tableau correspond à peu près complètement à l’état actuel.

[87] Pline, XIX, 97 : Bulbi... nascuntur sine modo etiam in Remorum arvis ; X1X, 105 : Genera (cepæ)... Gallica. Peut-être le bulbus des Rèmes, qui mérita d’être connu même à Rome, a-t-il quelque rapport avec l’ail de Gandelu (dép. de l’Aisne), vanté dans les proverbes du Moyen Age (Le Grand d’Aussy, Hist. de la vie privée, I, éd. de 1815, p. 174). — On parlait couramment dans l’Empire de l’ail gaulois, alium ou alum Gallicum (Scribonius Largus, 83 ; Marcellus, X, 6S ; XX, 91 ; XXVI, 18 ; XXXI, 29 ; etc. ; cf. le Thesaurus, à ces mots) : mais s’agissait-il d’une espèce particulière ?

[88] Cf. la représentation de la culture des fèves dans les mosaïques de Saint-Romain-en-Gal (Inv., n° 256 : Lafaye, Rev. arch., 1892, I, p. 329) ; fabarius à Narbonne (C. I. L., XII, 4472), où il est fort possible qu’il s’agisse d’un marchand de toutes sortes de légumes. Ajoutez sans doute lentilles, haricots, pois, laitues, car l’Antiquité a connu à peu près tous nos légumes, mais ces derniers me paraissent alors moins populaires ; cf. l’édit de Dioclétien, 1 et 6. L’abondance de légumes en Gaule résulte de l’existence de corporations de maraîchers (à Metz, XIII, 4332, holitores).

[89] Asperges, panais, chervis comme légumes ; plantes d’assaisonnement ; plantes médicinales ; plantes industrielles (surtout le pastel). Le grand raifort de Germanie, qui atteignait, dit-on, infantiam puerorum magnitudinum (Pline, XIX, 83), peut-être la betterave, et je ne sais si ce n’est pas à tort qu’on a cru celle-ci arrivée d’Italie (Olivier de Serres, p. 483, éd. de 1640).

[90] Novo tempore veris floribus intextis refovent simulacre deorum (XII, 533).

[91] Rosaria auprès d’un mausolée, XII, 3537 ; convives couronnés de roses aux repas funéraires, V, 7906 ; roses, violettes, narcisses et marjolaines. XII, 4015. L’usage funéraire des roses doit s’expliquer, comme pour le vin, par le désir de fournir aux morts l’équivalent du sang.

[92] La même question se pose pour les fameuses Rusalkas ou rosaria des Slaves (Leger, La Mythologie slave, p. 177 et s.).

[93] Remarquez la présence ordinaire des fruits comme caractéristique des repas funéraires ; Espérandieu, n° 5154, etc.

[94] Tome VI, ch. I.

[95] Tome VI, ch. III.

[96] D’après ce qui est constaté à Rome et dans tout l’Empire.

[97] Mela, III, 17 : Terra est frumenti prœcipue ac pabuli ferax.

[98] Du moins à notre connaissance.

[99] Sans pouvoir l’affirmer, je crois que l’élevage du bétail, bœufs et surtout hèles à laine, a dû se développer dans d’assez fortes proportions en Gaule, vu l’extraordinaire vogue des lainages et cuirs du pays. Remarquez que l’on caractérisait parfois le pays moins par ses blés que par ses troupeaux, pecuaria Gallus (Sid. Apoll., Carm., 5, 45).

[100] Nous n’avons aucun renseignement sur les haras et l’élève des chevaux dans la Gaule romaine, sauf ceux qu’on peut tirer de l’abondance des images d’Épona, la déesse des chevaux et de la vogue des esclaves palefreniers de la Gaule. On peut, sans qu’il y ait beaucoup à en tirer, étudier les figurations des chevaux attelés. Je ne sais que penser des juments hermaphrodites découvertes in agro Treverico et envoyées à Néron (Pline, XI, 262).

[101] Recherchées, non seulement à cause de leurs foies, mais aussi de leurs duvets : celles du Boulonnais et de l’Artois préférables au premier point de vue, celles de la Germanie [romaine] au second (Pline, X, 53).

[102] Je ne peux l’affirmer : les inscriptions et monuments funéraires relatifs à l’élevage du bétail sont en Gaule d’une extrême rareté.

[103] Tel est peut-être le pecuarius, affranchi d’un M. Terentius, qui a été assassiné par son esclave à Mayence (le tombeau le représente avec un fouet, un chien et un troupeau de moutons, XLII, 7070). — Il est probable que les petits propriétaires s’associaient pour envoyer leurs bêtes ensemble au pacage après les avoir marquées. On possède des fers à marquer le bétail, lesquels indiquent des noms de familles ou d’individus (Aproniorum, Ocusiorurn, XIII, 10023, 3 et 12 ; etc.).

[104] Il est cependant possible que, dans les vastes espaces longtemps déserts des Champs Décumates, il se soit formé, sur des concessions de l’État, de grandes entreprises d’élevage, à allure industrielle, en dehors de la vie domaniale. Et il est également possible que la chose ait existé en Gaule sur des terres confisquées aux cités. Mais jusqu’ici, il n’y a pas de traces bien nettes de ces entreprises. A côté d’elles, on doit rappeler les pâturages, troupeaux et pecuarii des armées du Rhin (cf. Tacite, Ann., XIII, 51-5, agros vacuos et militum usui sepositos.... pecora et armenta militum).

[105] C’est bien là, en effet, une initiative romaine ; Pline, IX, 168 et s. Viviers pour les muges en Languedoc, Pline, IX, 59. Lapsus, canal ou poche de dérivation naturel ou préparé pour la prise des poissons dans les rivières ; Grégoire de Tours, H. Fr., VIII, 10 ; V. patr., 17, 4 ; In gl. conf., 5. — Une recherche archéologique s’impose à ce sujet.

[106] C’est ce que reconnaît Pline, invasit singulorurn piscium amor, etc., IX, 172.

[107] La consommation des Gallo-romains en fut prodigieuse. On trouve des écailles, et en nombre considérable, dans n’importe quelle ruine du pays. Une étude s’en impose au point de vue des espèces.

[108] Ausone, Epist., 9, 27. Peut-être s’agit-il de celles de l’étang de Berre.

[109] Ausone, Ép., 9, 27-8 : Portum quæ Narbo ad Veneris nutrit : c’est Port-Vendres en Narbonnaise. Mais on ne peut exclure (communication de Rouzaud) l’élevage des huîtres dans l’étang de Vendres.

[110] Ausone (Ép., 9, 18 et s.) les appelle nourrissons de l’Océan médocain (Medulorum) ; de même, Sidoine, VIII, 12, 7 : le centre de culture devait être à La Grave. Ausone vante leur chair, tendre, grasse et blanche, leur saveur douce relevée d’un goût de mer : c’est cette suavitas que signale aussi Pline (d’après Mucien, XXXII, 62). En sa qualité de Bordelais, il leur accorde le premier rang : mais le texte de Pline montre que dès le premier siècle quelques-uns pensaient déjà ainsi. Les textes indiquent qu’on les appelait tantôt huîtres de Médoc, tantôt huîtres de Bordeaux.

[111] Ausone, Ép., 9, vers 31. 35, 39. Pour la Vendée, qu’on songe aux énormes amas (plusieurs milliards d’écailles) des Chauds près de Saint-Michel-en-l’Herm (Bégouen, Institut français d’arch., 1913, p. 206 et s.). — On a récemment supposé que ces dépôts avaient une origine cultuelle (Baudouin, Bull. de la Soc. préhist., 1916). De toute manière, ce sont des dépôts faits de main d’homme, de coquilles d’huîtres ayant servi ou pu servir d’aliments, et, pour une bonne part, de l’époque romaine (Bégouen, p. 211).

[112] Les huîtres du Médoc allaient jusqu’à la table des Césars, à Trèves ou en Italie (Ausone, Ép., 9, 20). A l’endroit de la Gaule le plus éloigné des centres ostréicoles de la Gaule, à Clermont, on découvrit une couche d’huîtres de 10 à 12 centimètres d’épaisseur, sur une surface d’environ 80 mètres carrés (Mathieu, Des colonies... en Auvergne, Clermont, 1857, p. 194). Comme ces amas ont été trouvés, semble-t-il, clans les vestiges du principal temple, je me demande parfois, comme on l’a supposé pour les aillas de Vendée (ici, n. précédente), s’il n’y avait pas quelque acte cultuel dans le dépôt de coquilles d’huîtres.

[113] On les élevait, comme aujourd’hui, sur des tuiles (très intéressantes observations de Lafaye, Bull. des Antiquaires, 1915, p. 218-221).

[114] Comme centre de pêche, on ne citait alors qu’Antibes (Martial, XIII, 103 ; IV, 88, 5), mais il devait y en avoir bien d’autres. Les textes de Pline (XXXI, 194) et de Martial nous montrent que les Grecs d’Antibes tiraient du thon une espèce de saumure, qui était assez recherchée à Rome, sans faire cependant une concurrence sérieuse au garum d’Espagne.

[115] Je pense au mot de Milon exilé à Marseille (Dion, XL, 54, 3). Le rouget marseillais est le mullus barbatus, et c’est probablement cette espèce de rouget que désignent le plus souvent les textes anciens.

[116] Autrement dit le bars (labrax lupus ; voyez les textes réunis par Cuvier, Hist. nat. des poissons, II, 1828, p. 41 et s.). On en préparait à Fréjus une saumure (allex), qui n’était pas d’ailleurs d’espèce supérieure (Pline, XXXI, 95).

[117] Le loup et le rouget semblent bien avoir été les poissons de mer qui aient atteint autrefois les plus hauts prix : ce que l’on constate aujourd’hui encore sur nos marchés.

[118] Inscription des conductores piscatus trouvée près de Leeuwarden (XIII, 8830), l’inscription la plus septentrionale connue. Il est bien difficile de savoir quelle pèche provoquait ces entreprises. Pline, indépendamment du saumon, qu’on devait pécher surtout dans les fleuves, ne parle (IX, 64) que du surmulet ou rouget de l’Océan, et il est certain que les Romains l’ont particulièrement recherché : il doit s’agir chez Pline de celui de la Normandie et de la Bretagne française (septentrionalis tantum hos et proxima occidentis parte gignid Oceanus). Et il est également à noter que c’est le seul poisson de mer cité par Ausone (punicei mulli, Mos., 117). Cf. Cuvier, H. nat. des poissons, III, p. 319. — Il est cependant difficile de penser que les pécheurs de Frise ne ramassassent pas des poissons plus médiocres, harengs et autres.

[119] Pline (IX, 8-10) mentionne sur l’Océan gaulois : 1° les cachalots, in Gallico Oceano physeter, ingentis columnæ modo se attollens altiorque nervium velio diluviem quamdam eruetans ; 2° les néréides, complures in litore apparere exanimes nereidas (sous Auguste, bêtes dont il est impossible de rien supposer) ; 3° sur une île d’Armorique, trecentas belluas, miræ varietatis et magnitudinis, abandonnées par l’Océan : 4° de même, sur le rivage de Saintonge, néréides et autres, elephantos, arietes ; candore tantum cornibus ad simulatis : Cuvier supposait que éléphant était le morse, tout en doutant qu’on ait pu le voir sur nos côtes, et que le bélier pouvait être cette espèce de dauphin qui a sur l’œil une tache blanche. Pline signale l’arrivée de baleines en Méditerranée (IX, 14). — Il est cependant possible, si le texte de Pétrone est exact (balænaccam tenens virgam, Sat., 21), qu’on devait déjà rechercher la baleine pour des usages industriels ; de même, on a trouvé une vertèbre de baleine [?] travaillée dans une villa de Carnac (Miln, Fouilles faites à Carnac, p. 84).

[120] Ausone parle de trois espèces de pèches en Moselle : la pèche au filet en eau profonde (243-4), la pèche au filet de surface retenu par des flotteurs de liège (245-6), la pèche à la ligne (247 et s.), qui parait avoir été chère aux riverains de la Moselle (Metz, Esp., n° 4313). Piscator à Trèves (XIII, 3613).

[121] La lotte du lac de Constance, renommée pour son foie, devait s’exporter pour les gourmets de Rome.

[122] Sidoine, Ép., VIII, 12, 7 (Garunnicis mugilibus).

[123] Sidoine, Ép., VIII, 12, 7 : Copias Lapardensium lucustarum. Il peut s’agir de Bayonne, Lapurdum, où l’on aurait concentré le marché des langoustes ; il peut aussi s’agir du pays de Labourd, dont la côte, de Biarritz à Hendaye, est assez riche en langoustes. Aujourd’hui, la pêche la plus importante est à Capbreton. — Sidoine oppose aux langoustes les crabes à bon marché ; et on en peut toujours dire ainsi.

[124] Jusqu’à quel point les gourmets et, pour leur compte, les pécheurs et les rédacteurs de traités culinaires avaient étudié et classé les poissons de rivières, on peut le voir par la Mosella, où Ausone décrit (v. 85 et s.), sans doute d’après un manuel de spécialiste, les quinze espèces de poissons de cette rivière : le meunier ou la chevaine (ou chevanne), capito, à la chair très tendre, et qu’il faut servir moins de six heures après ; la truite, salar ; la loche, rhedo ; l’ombre, umbra ; le barbeau, barbus, à manger vieux ; le saumon, salmo, qui peut se conserver ; la lotte, mustela ; la perche, perca, au goût relevé et à la chair ferme, le lucius des auberges populaires, ou le brochet ; la tanche, tinea, consolation des cuisines pauvres ; l’ablette, alburnus ; l’alose, alausa, ces trois dernières également de goût populaire des choses ont changé pour l’alose, du moins en Gironde (nous reviendrons là-dessus, t. VI, ch. VI, Bordeaux) ; sario ou truite saumonée ; le goujon, gobio ; et enfin l’énorme silurus (le silure plutôt que l’esturgeon ? voyez les objections au silure chez Cuvier, Hist. nat. des poissons, XIV, p. 252). Sur les variétés d’identification, de La Ville de Mirmont, p. 60 et s. de son édition de la Moselle, 1889 (riche bibliographie).

[125] Voyez les passages de la Moselle. Les pèches miraculeuses de la Moselle reviennent chez les écrivains chrétiens (Grégoire, V. patrum, 17, 4 ; etc.).

[126] Si le mot de esox désigne dans ces passages l’esturgeon, on le pêchait dans la Loire près de Tours (au filet, Sulpice, Dial., II [III], 10, 3-4) et dans l’Allier (Grégoire de Tours, In gl. confess., 5). Toutefois, il est fort possible que dans ces passages esox désigne déjà le saumon : car il ne me parait maintenant plus faire de doute que le mot, après l’époque romaine, soit passé de l’esturgeon (acipenser sturio) au saumon, sur lequel il est resté. — Sidoine rappelle les poissons de l’Adour (Ép., VIII, 12, 7).

[127] La pèche en dura jusqu’au XVIIe siècle ; elle se faisait aussi en Dordogne près de Libourne (cf. Bémont, Recueil d’actes, p. 12, où creacus signifie creat, mot méridional qui désigne l’esturgeon). — On préparait avec l’esturgeon ce qu’on appelait isicia (esocia), c’est-à-dire le caviar (Isidore, XX, 2, 30).

[128] Les débris de cuisine des ruines gallo-romaines devraient être étudiés à ce point de vue.

[129] Cochlcarum vivaria, cochlearia : il semble bien qu’il y en eut dans la réserve de chasse de T. Pompeius.

[130] Ce sont les solitannæ d’Afrique, dont certaines atteignirent, dit-on, 80 quarts de setier, soit 11 litres (Varron, III, 14, 4 ; Pline, IX, 173-4).

[131] Cf. t. VI, ch. II et VIII.

[132] Cf. t. VI, ch. III et VIII.

[133] Pline, IX, 101-5 : Populatio morum atque luxuria... e concharum genere.... Ex tota rerum natura damnosissimum ventii mare est tot modis, tot mensis, tot piscium saporibus.... Parum fuerat in gulas condi maria, etc.

[134] Chasseur d’élans à Langres, C. I. L., XIII, 5708 (il mentionne dans son testament stellas omnes ex cornibus alcinis, trophées de chasse en forme d’étoiles).

[135] Pline, qui nous donne tant de détails sur le gibier à poil et à plume des Alpes, doit les tenir de quelque préfet, sans doute grand chasseur (Egnatius Calvinus ?).

[136] Ou à l’épervier ; speciosus accipiter à Bordeaux au Ve siècle (Pantin de Pella, Euch., vers 144-5.

[137] Nous n’avons pas à revenir sur les genres de chasse et les chiens de Gaule, les choses n’ayant pas changé sous la domination romaine, et aucune trace ne s’étant rencontrée, à notre connaissance, de l’introduction d’espèces nouvelles.

[138] Testament du Lingon (C. I. L., XIII, 3708) : Omne instrumenturn meum, quod ad venandum et aucupandum paravit, mecum cremari cum lanceis, glandiis, cultris, retibus, plagis, laqueis, kalamis [roseaux enduits de glu], tabernaculis [pièges en forme de tente, ou postes portatifs où se dissimulait le chasseur pour guetter l’oiseau], formidinibus [appareils pour effrayer le gibier], balnearibus [pièges en forme d’auge ou de baignoire où sans doute on faisait tomber le gibier], lecticis [je crois qu’il s’agit également de postes de chasse, ou de pièges en forme de litière ou de nid à ponte] ; ce n’est qu’ensuite que le chasseur indique ses véhicules de chasse : sella gestatoria et omni medicamento [dans le sens de drogue ou préservatif de chasse : cf. C., XII, 533 : Sæpe feras lusi, medicus tamen (h)is quoque vixi] instrumento illius studi et navem liburnam et scurfo [on a corrigé en ex scirpo ; il s’agit en tout cas de barque ou d’appareil destiné à la chasse sur étang ou marais].

[139] L’élevage de la volaille a dû se développer grandement sous la domination romaine, surtout dans le Nord-Est. Nous avons parlé des oies des Morins. Fortunat, dans une propriété d’élevage sur la Meuse (près de Verdun ?), cite gras, ganta, anser olarque (Carm., VII, 6, 11) : on élevait la grue pour la manger, ganta est l’oie blanche du Nord (anser segetum), anser l’oie grise ordinaire (anser cinereus). Remarquez dans ces mêmes régions la très fréquente représentation de volailles cuites servies aux repas et en particulier aux repas funéraires (à Metz, Esp., n° 4313 ; à Neumagen chez les Trévires, n° 5155, etc.) : je crois bien que l’élevage des volailles était dès lors une des spécialités des pays lorrains.

[140] Varron, R. r., III, 12, et en particulier § 2 : sæptum venationis de T. Pompeius en Gaule Transalpine, 4000 pas de pourtour, 200 hectares. De même, si le chasseur lingon s’occupe autant à capturer qu’à chasser les bêtes, c’est sans doute à destination d’un parc de ce genre. Sur ce sujet aussi, on doit désirer une enquête archéologique. Cf. le vivier de la Langmauer dans la région rhénane (attribution supposée ; cf. Bonner Jahrb., LXXVIII, 1884, p. 19 et s.).

[141] C’était de beaucoup la bête la plus demandée, puisque l’expression de ursarius avait fini par désigner, soit les chasseurs de bêtes sauvages, soit les combattants libres de l’arène (à Aix, C. I. L., XII, 5 :13 ; à Zurich, XIII, 5243 ; ici, n. suivante). L’ours était du reste infiniment. plus abondant que de nos jours, sa vogue populaire ayant amené en partie sa disparition ; C. I. L., XIII, 5160, inscription à Berne Artioni, à la déesse des ours, à la Diane de la chasse aux ours [?] ; chez les Trévires, Artioni Biber, XIII, 4113 ; tris nombreuses représentations dans tous les pays de Gaule (Esp., n° 43, 44, 362, 404, 411, etc.) ; à Cologne, un centurion se vante d’avoir capturé 50 ours en 6 mois (Riese, 556) ; etc. Il servait à des combats ou à des chasses dans les amphithéâtres, mais aussi, comme dans nos foires, à des jeux de baladins, ursos mimum agentes (H. Aug., Car., 19, 2) : un commentaire très exact de ce dernier texte nous est fourni par une tablette gravée de Narbonne (Esp., n° 609), où sont représentés la lutte d’un ours avec un bateleur assis dans une cuve pleine d’eau, un autre bateleur faisant rouler un tonneau par un ours, un arbre où on fait grimper l’animal, etc.

[142] N. précédente. L’ursarius d’une légion est plutôt un chasseur de forêts qu’un combattant de jeux (C. I. L., XIII, 8639). — A Cologne, les soldats construisent un vivarium, dépôt de bêtes capturées (8174).

[143] Dix élans expédiés à Rome sous Gordien pour son triomphe sur les Perses en 244 ; Gord., 33, I. On conduisit des élans dans la procession triomphale d’Aurélien en 273, Aurel., 33, 4. Cf. Calpurnius, VII, 59.

[144] On trouvera d’utiles renseignements dans le recueil de Gobet, Les anciens Minéralogistes du royaume de France, 2 v., 1779.

[145] Et quelquefois avec les légions mêmes, puisqu’on occupait les soldats à ouvrir des milles (Tacite, Ann., XI, 20).

[146] Ceci et ce qui suit est très probable, sans pouvoir être encore définitivement prouvé, faute d’une étude minutieuse, d’ailleurs très difficile, des galeries, ruines et déchets de l’époque gallo-romaine. Attribuer telle mine, telle exploitation aux temps impériaux plutôt qu’aux Gaulois ou au Moyen Age est toujours sujet à caution. Cf. A. Leger, Les Travaux publics aux temps des Romains, p. 687 et s. (médiocre) ; Blümner, Terminologie, IV, p. 1 et s. ; Ardaillon, Dict. des Ant., VI, p. 1856 et s. (l’article a paru en 1903).

[147] Cf. la cinquième note ci-dessous. En outre, l’extraction par tranchées à ciel ouvert, par exemple pour l’étain du massif Central, mais il s’agit, semble-t-il, d’une mine préromaine (de Launay, La Nature, XXIX, 1901, II, p. 44).

[148] Rivos... infra hunium (Tacite, Ann., XI, 20 ; il s’agit de mines d’argent dans le Nassau, creusées par les légionnaires en 47). Voir les galeries d’Alloue en Charente (plomb argentifère) avec piliers de soutènement (Annales des Mines, IIe s., VII, 1830, p. 174-5, pl. 4) ; traces de boisage hors de Gaule (id., Ve s., XIV, 1858, p. 569). Voyez aussi les chambres d’extraction aux mines de plomb argentifère de Pontgibaud dans le Puy-de-Dôme (Annales des Mines, IXe s., I, 1892, p. 442, pl. 19).

[149] Il serait intéressant de rechercher si quelques-uns des aqueducs de la Gaule n’ont pas servi à l’exploitation de mines. — On attaquait aussi les roches par le feu.

[150] Voyez par exemple la table de lavage, en charpente de chêne, de Seix dans l’Ariège (Daubrée, Rev. arch., 1881, I, p. 269).

[151] Pline se plaint cependant de la manière dont on fondait le cuivre en Gaule : si on procédait à une Seconde fusion en y mêlant du plomb, la proportion était trop faible, 8 au lieu de 10 p. 100 ; on avait en outre le tort, au lieu de répéter l’opération, de s’en tenir à celte seconde fusion ; et enfin, de la faire au charbon (et non au bois) entre des pierres rougies au feu : le cuivre en sortait noirci et cassant (XXXIV, 95-6). Le meilleur procédé pour traiter le cuivre était en Campanie : d’où la supériorité de la chaudronnerie de ce pays. — Le texte de Pline n’en montre pas moins que la Gaule conservait une certaine importance et des habitudes propres dans ce genre de travail. Et il est possible qu’elle se soit mise plus tard aux bonnes pratiques de la métallurgie campanienne.

[152] Cf. n. précédente. Sur les améliorations successives apportées aux fourneaux, surtout exhaussement des bords du creuset, Quiquerez, De l’âge du fer, recherches sur les anciennes forges du Jura bernois, Porrentruy, 1866, p. 33 et s. ; voir aussi Mahieu, De la fabrication du fer à l’époque romaine, Ann. de la Soc. de Namur, XXI, 1895. Je crois qu’il faut voir une allusion à des puits ou des galeries plutôt qu’à des cheminées dans Rutilius (I, 353) : Biturix largo potior strictura camino. — On a cru constater l’existence de briques réfractaires pour usages métallurgiques.

[153] Dans la mesure où l’on accepte que les Gaulois n’avaient point fait de recherches scientifiques, ce qui reste toujours à prouver.

[154] Ausone parle du Tarn aurifer (Mos., 465) : car il va de soi que l’orpaillage continuait dans nos rivières du Midi.

[155] Ceci, plutôt supposé que prouvé directement.

[156] Remarquez le contraste, à propos des mines d’or de la Gaule, entre le silence de Pline et les dithyrambes des plus anciens écrivains.

[157] C’est l’impression qui me parait résulter de la comparaison entre l’époque romaine et l’époque antérieure. — Toutefois, la Monnaie de Lyon a frappé des pièces d’or (Strabon, IV, 3, 2) ; de même, au IIIe siècle, celle de Trèves.

[158] Ardaillon, p. 1869.

[159] Cela résulte des allusions de Pline, XXXIV, 3.

[160] Livianum in Gallia, Pline, XXXIV, 3 : je crois bien que c’est dans la région des Alpes.

[161] Sallustianum in Ceutronam Alpium tractu, Pline, XXXIV, 3.

[162] Non longi et ipsum ævi... velocis defectus quoque, Pline, XXXIV, 3.

[163] Voyez l’inscription de Vaudrevange (XIII, 4238), où il s’agit d’une exploitation de cuivre (Daubrée, Rev. arch., 1868, I, p. 304). Les textes de Pline (XXXIV, 3) semblent indiquer des gisements plus nombreux, peut-être ceux de Gascogne et des Pyrénées (cf. n. suivante). Il est possible que la présence d’ærarii à Entrains (XIII, 2901), de loricarii à Monceaux-le-Comte ou plutôt à Brèves (XIII, 2828), permette de supposer l’existence de mines de cuivre dans la Nièvre. On signale aussi des débris ou des souvenirs romains dans des mines de cuivre de Cabrières (Hérault), Le Coffre (commune de Cadarcet, Ariège), Chessy-les-Mines (Rhône), Rosières près de Carmaux, etc. : mais il faudrait absolument reprendre l’examen de ces gisements au point de vue de la date de leur exploitation. La science de nos antiquités, en cet ordre de faits, n’en est qu’à ses débuts.

[164] S’il est vrai qu’on n’ait trouvé dans les mines de Baigorry (Meuron de Châteauneuf chez Gobet, I, p. 219) que des monnaies antérieures à Auguste, elles auraient été abandonnées de bonne heure. Et il semble bien que ce qui domina alors pour le cuivre, ce fut le nombre et le peu de durée des essais. — Il est certain que l’Empire fit tout pour en trouver en Gaule ; Pline (XXXIV, 2) rapporte le bruit qu’on venait de découvrir (sous Vespasien) des mines de cadmea, lapis ærosus, dans la Germanie romaine. Il doit s’agir ici de calamine (oxyde de zinc carbonaté natif) et des mines de Gressenich près de Stolberg, (hypothèse de Willers, Neue Untersuchlungen über die Rœm. Bronzeindustric, 1007, p. 39).

[165] Pline, XXXIV, 4.

[166] Construction dans le Nassau de galeries souterraines, vici quærendis venis argenti (Tacite, Ann., XI, 20). Les difficultés n’en demeuraient pas moins très grandes, et Pline y fait allusion à propos du plomb, laboriosius cruto totas per Gallias (XXXIV, 164).

[167] Totas per Gallias, dit Pline à propos du plomb (XXXIV, 164). — Je suis étonné du peu d’importance, dans les documents, des mines de plomb argentifère de Melle, si fameuses sous les Mérovingiens : il n’y a pas de doute d’ailleurs qu’elles n’aient été exploitées sous les Romains ; Annales des Mines, IIe s., VII, 1830, p. 176 et s.

[168] C. I. L., XIII, 1550, à La Bastide-l’Évêque : la région mériterait d’être étudiée de près à cet égard.

[169] In Hispania pulcherrimum, dit Pline (XXXIII, 96), qui n’a pas un mot à ce sujet sur la Gaule.

[170] La surproduction fut telle en Angleterre, qu’on dut la limiter par une loi ; Pline, XXXIV, 164.

[171] Voyez le mot de Pline pour le plomb de Gaule, XXIV, 164. J’insiste sur le caractère municipal de toutes ces exploitations : car je crois de plus en plus à une étroite solidarité entre la production économique d’une cité et sa vie municipale.

[172] La seule trace d’une exploitation un peu intensive de plomb en Gaule est un lingot de 49 kilos, originaire du Forez et trouvé en Vaucluse, marqué Segusiavie(a) ; XII, 5700, 1 : les gisements étaient peut-être du côté de Boën et de Saint-Germain-Laval, où existent des hameaux appelés L’Argentière et Argentière.

[173] Stannatores, stagnatores.

[174] Cf. Pline, XXXVII, 203.

[175] Celles-ci paraissent avoir conservé dans l’Empire une célébrité à demi légendaire.

[176] Il reste toujours possible, comme celles de l’Armorique et de toutes les régions, qu’elles datent en principe des temps gaulois.

[177] Inscription rapportée par Oihenart (Not. utr. Vasc., dans la 2e édit. seulement, 1656, p. 507 ; C. I. L., XIII, 384, pagani ferrarienses) et qui aurait été trouvée à Asque : je l’y ai vainement cherchée, et je crois plutôt qu’elle aurait été à Asté près de Bagnères-de-Bigorre.

[178] Ripa dextra de l’Aude (XII, 4398). On a supposé le Vivarais et la rive droite du Rhône : mais le personnage est un Narbonnais, conductor de ferrariæ municipales.

[179] XIII, 1576-7 ; hypothétique.

[180] Servus ferrariarum de Nîmes, XII, 3336.

[181] Outre la note suivante, voyez C. I. L., XIII, 1811, inscription mentionnant le splendidissimum vectigal massæ ferrariarum de Memmia Sosandris, vectigal affermé à une societas. On a supposé (Hirschfeld, Verw., 2e ed., p. 158) que c’était une parente des Sévères ; il est possible que massa ferrariarum désignât un ensemble de ferrières possédées par cette très riche propriétaire dans tout l’Empire.

[182] Tout ceci, 1° d’après de nombreux relevés des dépôts de scories constatés par toute la Gaule, dépôts qui atteignent parfois d’extraordinaires proportions ; on en cite en Belgique qui représentent 8500 mètres cubes de scories (Talion, Les Origines de la métallurgie au pays d’entre Sambre-et-Meuse, Revue universelle des Mines, XXI, 1887, p. 296), et il y en a sans aucun doute de bien plus considérables ; de Tryon-Montalembert m’écrit à ce sujet que, dans l’Yonne (région d’Otite, de Touer, etc.), les ferriers de 20.000 tonnes et au-dessus sont très fréquents, et les gisements de Tonnerre-en-Puisaye, par exemple, doivent être évalués par centaines de milliers de tonnes ; 2° d’après l’abondance des lieux-dits dénommés La Ferrière ou Ferrières : il y en a à peu près dans chaque département. Voyez par exemple en Armorique l’extraordinaire fréquence des habitats servant à la métallurgie du fer, pour lesquels on a du reste proposé une origine gauloise (Kerviler, Bull. arch. de l’Assoc. bretonne, Congrès de Châteaubriant, 1882, p. 55 et s.). On peut faire des remarques semblables pour le Jura bernois (200 forges relevées par Quiquerez), la Lorraine, le Périgord, la Belgique, et, je crois bien, pour presque toute la Gaule.

[183] En dernier lieu, Congrès préhistorique de France, tenu à Lons-le-Saunier en 1913, p. 630 et s. (excellentes remarques de Piroutet).

[184] Fortunat, VII, 4, 16 ; traces très connues des sauneries dans les fameux briquetages de la Seille. Le centre de vente on d’entrepôt devait être à Marsal, vicani Marosallenses (XIII, 4565, Marosollum = magnæ salinæ ?), les principaux vestiges sont aux sources salées de Vic et de Burthecourt. L’exploitation en remonte d’ailleurs certainement aux temps ligures. Le sel s’obtenait, croit-on, en faisant évacuer l’eau sur des bâtonnets d’argile chauffés à très haute température. En dernier lieu, Déchelette, II, p. 715-6 ; dans l’ancienne littérature, de La Sauvagere, Recueil, p. 1.81 et s. (travail datant de 1740).

[185] Probable plutôt que prouvé. — II devait y avoir en Gaule, comme on peut s’en rendre compte par les noms de lieux, bien d’autres exploitations de sel, par exemple à Salinæ, Castellane, dans les Alpes Maritimes.

[186] C. I. L., XII, 5360 (à Peyriac-de-Mer sur l’étang de Sigean) ; cf. XII, 1506. L’étang de Salces, Strabon, IV, 1, 6 ; Mela, III, 82.

[187] Les énormes amas de cendres de Vendée (dues surtout à des bois légers, aulnes, peupliers, trembles), à Nalliers, etc., paraissent se rapporter, dit-on, plutôt à des marais salants qu’à des fabrications de potasse pour verres ou savons : on y a trouvé en effet des briquetages assez semblables à ceux de la Seille (cf. Fillon, Nalliers, Fontenay-le-Comte, 1865). J’hésite beaucoup à accepter cette hypothèse.

[188] Inscriptions des salinatores des cités des Morins et des Ménapes (C. I. L., 390-1). Il peut évidemment s’agir de fermiers d’un monopole d’État. Mais je crois plutôt que ce sont des corporations de trafiquants libres, indigènes et romains. Il n’est nullement prouvé que le fisc se fût réservé toutes les exploitations de sel.

[189] Tome V, ch. II et III ; tome VI, ch. I et III.

[190] Il a dû se passer alors quelque chose de semblable à la recherche et à la mise en valeur de nos gisements houillers après 1815.

[191] Il semble cependant que l’on se soit plus inquiété de l’abondance des gisements que de la finesse ou de la pureté de l’argile. Je doute que le kaolin limousin ait été exploité : c’est cependant possible, vu que les Anciens ont abordé les gîtes d’étain adhérents aux dépôts de kaolin.

[192] Sorte de terre de pipe fine, d’un blanc terne, tirant sur le jaune clair ; Déchelette, Vases, I, p. 49. Par exemple à Vichy, Gannat, Saint-Rémy-en-Rollat, pour les vases ; près de Moulins pour les figurines (puits des Segauds signalés par Tudot, Figurines, p. 58 et 76).

[193] Par exemple à La Graufesenque chez les Rutènes (Aveyron), à Banassac chez les Gabales (Lozère), à Montans chez les Rutènes albigeois (Tarn). Et, aussi, pâte rouge de Lezoux chez les Arvernes, etc.

[194] En ce qui concerne en particulier les amphores et gros récipients à terre commune, dont les marques paraissent le plus souvent locales. Mais même pour les faux arrétins en terre rougeâtre, je crois bien que chaque cité a eu ses figlinæ locales.

[195] Il nous manque une étude d’ensemble sur les marbres romains de la Gaule. Il n’y a que des indications éparses dans nombre de travaux, depuis le Rapport d’Héricart de Thury (Annales des Mines, VIII, 1823) jusqu’à la thèse de Ch. Dubois (Ét. sur l’administration des carrières, etc., 1908, p. 21 et s.). — Le texte d’Ulpien (Digeste, XXIV, 3, 7, 14) semble une allusion à une richesse presque légendaire des carrières de marbre de la Gaule, ut lapis ibi venaseatur.

[196] Outre Saint-Béat (n. suivante), les marbres de Sarrancolin dans la vallée de la Neste d’Aure, ceux de Campan en Bigorre, toutes les variétés des marbres de l’Ariège, très répandus dans l’Aquitaine, en particulier à Bordeaux. Dans les ruines de Chiragan, Joulin (p. 58-60) a reconnu les marbres gris de Saint-Béat, ceux de Sarrancolin, ceux de Caunes en Languedoc et, entre autres variétés ariégeoises, les griottes rouges, vertes et isabelle de Seix. Les fulmenta Aquitanica (Sidoine, Ép., II, 10, 4) doivent être des marbres des Pyrénées.

[197] C. I. L., XIII, 38 (inscription près de Saint-Béat) : Silvano deo et Montibus Numidis [= sanctis ?] Q. Jul. Julianus et Publicius Crescentinus [ce sont des Italiens ?] qui primi hinc columnas vicenarias calaverunt et exportarverunt. On a cru reconnaître les traces de l’exploitation gallo-romaine dans de profondes excavations creusées verticalement dans le roc vif ; Barry, Bull. de l’Institut de Corresp. archéol., 1862, p.112. — Marmorarias mentionné à Ardiège dans la même région (XIII, 122).

[198] Cæduntur in mille genera marmorunt, dit Pline (XXXVI, 2). Et on put en dire de même du Jura et des Vosges. — Paul le Silentiaire (vers 637 et s.) mentionne à Sainte-Sophie de Constantinople du marbre des montagnes celtiques, noir avec des veines blanches courant çà et là. L’expression grecque fait aussitôt penser aux Alpes (Caryophilus, De antiquis marmoribus, 1738, p. 131) : mais il n’y a pas de marbre de ce genre dans les Alpes. S’agit-il des Ardennes avec leur célèbre marbre de Sainte-Anne ? ou bien plutôt, des Pyrénées, avec leur marbre grand deuil, de style admirable, d’Aubert en Ariège, qu’on retrouve à Hume et à Saint-Marc de Venise (Frossard, Mém. sur les marbres des Pyrénées, 2e éd., 1896, p. 19) ?

[199] Dans les villas de Belgique on a reconnu notamment le marbre rouge du pays entre la Sambre et la Meuse, et je doute fort qu’on n’ait pas utilisé le marbre noir des Ardennes. — Ausone parle des marbres des bords de la Ruwer près de Trèves (Mos., 359 et s., marmore clarus Erubris). Je ne sais si on les a retrouvés (on a supposé qu’Ausone voulait parler, ou des scieries de marbre importé, ou des ardoisières du pays).

[200] En particulier pour les cachets d’oculistes (cf. Espérandieu, C. I. L., XIII, III, p. 590 et s.). Je ne sais s’il est possible de retrouver l’origine locale de la matière de ces cachets.

[201] Comme cubes de mosaïques (Blanchet, Décoration, p. 131), cachets d’oculistes (n. précédente), plaques sculptées (Blanchet, p. 16-7).

[202] Comme dallages, en particulier du côté d’Arradon en Morbihan (Blanchet, p. 72-1) ; comme toitures, sans nul doute en Belgique et bien ailleurs. C’est sans doute aux ardoises que songe Pline, XXXVI, 159 : Mollitiæ trons Alpis præcipua sunt exempta. Je ne sais si l’on a étudié de près l’histoire ancienne des ardoisières de Renazé ou d’Angers et des Ardennes.

[203] Pline, XXXVI, 159.

[204] Pline signale le cristal de roche dans les Alpes, où on allait le chercher à flanc de rocher à l’aide de cordes (XXXVII, 24 et 27).

[205] Pline semble aussi parler des pierres à aiguiser de la Gaule, passernices ; XXXVI, 165. S’il s’agit des pierres à aiguiser les rasoirs, il doit penser aux fameux gisements de Viel-Salm en Belgique. Pour les outils communs, on a dit utiliser entre autres les grès des Vosges.

[206] On allait parfois les chercher très loin : à Fréjus, les pierres à chaux venaient du côté de Fayence, à 20 kilomètres de là (Texier, 3e mém., p. 251).

[207] Dès l’époque gauloise.

[208] On les montrait déjà au Moyen Age : A Lavardi [dissimule Barutel], où la pierre fu trête dont les toreles de Nymes furent fêtes (Charroi de Nymes, éd. Jonekblœt, Guill. d’Orange, I, 1854, v. 1037-8). Voyez les recherches de Mazauric, Recherches, année 1909, p. 10 et s.

[209] Inscr. rom. de Bord., II, p. 492-3.

[210] Renseignements de J. Feuvrier. Le sampans, qui a fourni des matériaux aux façades de l’Opéra et du Trocadéro, s’exporte jusqu’en Amérique et en Orient.

[211] Remarque d’Allmer et Dissard, Musée, III, p. 28 : les plus anciennes inscriptions sont sur pierre de Seyssel, d’un grain fin favorable à la sculpture, mais que son manque de résistance aux injures de l’air a fait abandonner de bonne heure pour le calcaire de choin de [du ?] Fay, plus grossier et beaucoup plus dure ; il doit s’agir des carrières de Villebois dans l’Ain.

[212] Toutes les inscriptions parisiennes sont gravées sur calcaire grossier, la pierre parisienne par excellence (de Pachtère, p. 98).

[213] Pour les Arènes de Nîmes, les pierres de Barutel (à 7 kil., sur la route d’Alais), belles d’aspect et d’un grain fin, ont servi au gros œuvre extérieur ; on a utilisé celles de Mauvalat (Sommières) pour la maçonnerie des voûtes, celles de Roquemaillère (commune de Nîmes) pour les parties moins en vue (voyez des relevés un peu différents chez Grangent, etc.. Descr. des mon. antiques, p. 63-4). Les pierres de la Maison Carrée auraient été extraites des carrières de la montagne des Lens dans Moulézan. — A Autun, on a relevé (de Fontenay, p. 83-4), comme pierre de taille, le grés de Prodhun (Antully), le calcaire oolithique de Mont-Saint-Jean et de Bar-le-Régulier ; comme moellons, le gneiss des environs immédiats d’Autun ; pour les entablements et chapiteaux, la pierre blanche de Germolles (Méconnais) et de Tonnerre. — Parfois, pour produire un effet artistique à l’aide de pierres à nuances diverses, on recourait pour un même monument à des carrières très différentes, voire très éloignées (cf. les remarques de Germain de Montauzan, Aqueducs, p. 279). — Même intelligence dans le choix des petits matériaux : à Fréjus, ils ont préféré au sable boueux de l’Argens, le sable du Rayran, formé par les débris de roches très dures, et fort estimé pour les mortiers (Texier, 3e mem., p. 250). — Tout cela suppose de nombreuses comparaisons et des organisations industrielles assez compliquées.

[214] Herculi Saxsano, C. I. L., XIII, 4623-5 (carrières de Norrov), 7692 et s. (carrières de Brohl). C’est tout à fait à tort que l’on a considéré cet hercule comme un dieu germanique : on l’adorait à Tibur (XIV, 3543), ville qui avait d’importantes carrières, et peut-être était-ce là le centre de son culte.