HISTOIRE DE LA GAULE

TOME V. — LA CIVILISATION GALLO-ROMAINE. - ÉTAT MATÉRIEL.

CHAPITRE III. — LES GRANDES ROUTES[1].

 

 

I. — ORIGINE ET RÔLE DES GRANDES VOIES.

A mesure que naissaient ces villes nouvelles et que grandissaient ces villes anciennes, il fallait autour d’elles, pour leur permettre de mieux vivre et de travailler davantage, de recevoir et d’expédier plus de choses, de faire rayonner plus loin leur activité et leur influence, il leur fallait un réseau plus touffu de routes meilleures. Le chemin est pour une cité son moyen d’agir : c’est par lui qu’arrivent les matières et les idées dont elle se nourrit, et que s’écoulent les produits élaborés par elle. Si on a comparé les villes d’un pays aux organes d’un corps, on a pu dire des voies qu’elles servent à ce pays de veilles et d’artères. C’est pour cela que l’État romain, si fortement épris du régime municipal, se passionna également, et plus qu’aucun autre dans l’histoire ancienne, pour la construction de grands chemins. Il posa en principe que les routes lui étaient aussi nécessaires que les armées, et que nul citoyen, nul membre de l’Empire, fût-ce l’empereur lui-même, n’était dispensé d’y travailler, de ses mains ou de ses deniers : le devoir de collaborer aux grands chemins était presque plus impérieux que ceux de payer l’impôt et de s’acquitter du service militaire[2]. Les orateurs de Rome, ses tribuns, ses princes, parlaient de ses routes avec autant d’amour et d’orgueil que de ses colonies[3] ; ils s’apercevaient bien que c’était le même sang, la même énergie qui circulait sur les unes et s’étalait dans les autres ; route et ville étaient inséparables pour une pensée romaine : et les voies de la Gaule vont nous montrer les mêmes habitudes, les mêmes pratiques, et pour ainsi dire le même esprit que nous avons observés dans les bâtisses municipales.

La colonie, avec ses vétérans et ses remparts, fixait pour toujours sur un espace du sol la force militaire de l’État romain ; la route servait à renouveler cette force, par un rapport constant avec le centre de l’État. Pour commander aux peuples, Rome multiplia les routes[4]. Elles étaient indispensables à ses ambitions impériales : un empire universel, on le savait depuis le temps des Perses et de leur route royale[5], ne s’étend et ne dure que le long d’une puissante chaussée. Tantôt le chemin affermissait une province, comme cette voie Domitienne que le conquérant de la Narbonnaise traça entre l’Italie et l’Espagne[6]. Tantôt il préparait de nouvelles annexions, s’avançant en avant-garde vers des terres à soumettre, comme cette voie du Grand Saint-Bernard que Jules César voulut ouvrir à travers les Alpes du Nord, droit vers la Celtique et la Germanie.

Ce rôle stratégique et politique d’une route, pour la défense et pour l’attaque, est celui qui intéressa le plus les hommes d’État de la République, et il était rare qu’ils parlassent d’une voie d’Empire sans y ajouter l’épithète de militaire[7]. Ce fut également celui que les empereurs assignèrent d’abord aux chaussées qu’ils construisirent dans la Gaule de César. Quand Agrippa organisa ce pays, son premier soin fut de tracer, autour de la colonie centrale de Lyon, un réseau complet de longs chemins, qui unirent la grande place forte à l’Italie, à la frontière d’Empire et aux régions voisines[8]. Drusus, en même temps qu’il songeait à la Germanie, disposait pour l’atteindre de routes nouvelles s’enfonçant vers le Nord et l’Orient[9]. Plus tard, à l’époque où l’empereur Claude désira soumettre et garder la Bretagne, il prolongea jusqu’à la Manche, face à Pile menacée, les plus importantes des voies de l’Ouest[10].

Mais il en fut des routes de la Gaule comme de ses colonies : le rôle militaire lit rapidement place au rôle civil et économique. Elles servirent toujours à transporter beaucoup de soldats, cohortes changeant de garnison, recrues gagnant leur corps, troupes de secours envoyées aux frontières : et cela va de soi[11]. Mais elles servaient plus encore aux nécessités de la vie administrative, ordres à recevoir de Rome et nouvelles à y adresser, échange incessant de dépêches, de dossiers ou de numéraire : sans ces lignes de terre, les parties de l’Empire n’eussent été liées ni entre elles ni à leurs maîtres, et la volonté du souverain fût demeurée incertaine ou incohérente. Enfin, et surtout, elles se prêtaient aux mille besoins des campagnes et des villes, et des âmes aussi bien que des corps, au va-et-vient des denrées et des marchandises, à l’arrivée des dieux, à la diffusion des langues, des usages et des idées. Grâce à elles, une même vie se répandait d’un bout à l’autre de la terre romaine. Si les villes, en se multipliant sur cette terre, y avaient créé d’innombrables foyers d’existence collective, les routes faisaient que tous ces foyers recevaient leur chaleur de sources communes.

 

II. — RÉSEAU ROUTIER DE LA GAULE[12].

A l’exception des voies du Languedoc et de la Provence, les Anciens ont rapporté à Agrippa le mérite d’avoir dressé le système des routes gauloises et de les avoir aussitôt bâties. L’œuvre du gendre d’Auguste fut sans doute complétée par Claude[13], lui aussi grand bâtisseur de chemins. — Voici, quand l’essentiel fut fait, comment se présentait la carte routière de toutes les Gaules, depuis les Pyrénées jusqu’au Rhin.

Elle avait un centre, Lyon[14]. De là partaient cinq faisceaux de grandes routes.

1° C’était d’abord le faisceau des routes alpestres, celles qui menaient au cœur de l’Empire, qui gagnaient toutes Rome et l’Italie[15]. Il y en avait trois principales, œuvres[16] chacune d’un des trois conquérants qui avaient voulu donner les Gaules à l’Empire : — l’une, celle de Jules César[17] et des Alpes Pennines, par Genève[18], le Rhône et le Grand Saint-Bernard[19] ; — l’autre, celle de Pompée[20] et des Alpes Grées, par Vienne, l’Isère et le Petit Saint-Bernard[21] ; — la troisième enfin, celle de Domitius[22] et des Alpes Cottiennes, par Grenoble, la Durance et le mont Genèvre[23]. — Quant au mont Cenis, la route d’Hannibal, Rome méconnut toujours son importance et sa commodité : une sorte de discrédit pesa sur lui pendant tout l’Empire, et il fallut le Moyen Age et les temps modernes pour lui rendre son rôle prééminent parmi les seuils des Alpes[24].

2° Les routes de la frontière arrivaient au Rhin par les longues vallées que la nature avait ménagées des deux côtés des Vosges et du Jura : — la plus directe gagnait la vieille colonie d’Augst et le coude de Baie par la dépression des lacs helvétiques, et, à Augst[25], rejoignait le réseau des voies militaires du haut fleuve[26] ; — une autre[27], plus longue, mais plus facile, arrivait au même chemin par le Doubs, Besançon et le seuil de Belfort[28] ; — une troisième, celle-ci destinée au cours inférieur du Rhin et à la Grande Germanie, montait droit vers le nord, le long de la Saône, jusqu’à Chalon et Langres[29], et de là, le long de la Meuse et de la Moselle, descendait droit sur Toul, Metz, Trèves, Bonn et Cologne[30] : et de Lyon à Cologne, sur quatre cents milles d’étendue, c’était la voie la plus rectiligne et en quelque manière la plus franche, la plus forte et la plus rapide de l’Empire romain tout entier, le type achevé du grand chemin de guerre[31].

3° Les routes de l’Océan, qui ne servirent d’abord qu’au trafic commercial, prirent, avec l’annexion de la Bretagne, une importance impériale et militaire égale à celle des voies rhénanes et alpestres. — La principale et la plus ancienne, se conformant à un trajet traditionnel des peuples déjà utilisé par Jules César[32], se greffait à Langres sur la route du Rhin, et. s’adaptant d’abord au cours de la Marne, qu’elle traversait à Châlons, montait ensuite vers le nord par Reims, Soissons et Amiens, et arrivait enfin sur la Manche au port de Boulogne[33] : elle resta la voie d’Empire par excellence, le chemin des courriers, des princes et des armées. Mais il y avait bien d’autres chemins : car les innombrables rivières qui descendaient des seuils de Bourgogne se prêtaient également à des routes commodes et à des marches rapides[34]. — De ces routes, les unes, ayant toujours en vue le passage en Angleterre, finissaient par quitter les bords des rivières, pour rejoindre aux dernières étapes la chaussée de Boulogne, tête de ligne inévitable de toutes les voies de Bretagne[35]. Les autres, au contraire, négligeant la direction de la grande voie militaire, moins soucieuses de l’île voisine que des ports de la Gaule, suivaient jusqu’à la mer la ligne marquée par le cours des eaux : c’est ainsi que la route de la Seine quittait la Saône à Chalon, traversait les montagnes, desservait Autun, et puis, sans jamais dévier de son but, atteignait l’Yonne, traversait Auxerre et Sens, rejoignait la Seine, et, par Paris et Rouen, finissait avec elle sur l’Océan[36].

4° Le réseau de l’Ouest était un ensemble fort compliqué, disposé autour de Lyon comme des lamelles d’éventail que réuniraient sans cesse des trames transversales. Mais on y reconnaissait deux lignes principales. — Celle de la Loire[37], pardessus le mont de Tarare, arrivait sur le fleuve à Roanne, et ne quittant plus la rive droite, l’accompagnait jusqu’à Nantes[38] et au delà[39], non sans envoyer des deux côtés de nombreux rameaux qui, à droite, s’en allaient aboutir, en s’épanouissant, aux principaux ports de la Normandie[40] et de l’Armorique[41], et qui, à gauche, sous-tendaient par des lignes plus courtes la courbe démesurée de la Loire[42]. — Celle de la montagne, coupant toutes les grandes rivières de l’Ouest sans en suivre aucune. franchissait la Loire à Feurs, l’Allier en avant de Clermont[43], la Vienne à Limoges[44], la Charente à Saintes[45], la Garonne à Bordeaux[46], et là, tournant vers le sud, gagnait l’Espagne, l’Adour traversé à Dax[47] et les Pyrénées à Roncevaux[48] ou au Somport[49]. — Mais, encore que ce double réseau aidât aux relations de l’Empire avec l’Espagne et la Bretagne, il servait surtout à la circulation intérieure de la Gaule : car les affaires publiques de la Bretagne passaient, on l’a vu, par le port de Boulogne, et celles de l’Espagne, on va le voir, par le col du Pertus.

5° De Lyon[50], enfin, descendait, le long de la rive gauche du Rhône[51], la grande voie du Midi[52], destinée également aux rivages de l’Italie et aux provinces espagnoles. C’est à Tarascon[53] qu’elle se bifurquait pour répondre à sa double destination. A l’est, sous le nom de voie Aurélienne[54], elle traversait Arles et Aix[55], plaines et montagnes de la Provence, pour atteindre enfin à Fréjus le rivage de la Méditerranée, dont elle ne s’éloignait plus jusqu’à Rome[56]. A l’ouest, sous le nom de voie Domitienne[57], elle parcourait les plaines poudreuses du Languedoc, les terroirs de Nîmes, de Béziers, de Narbonne, puis gravissait le Pertus pour descendre, de l’autre côté des Pyrénées, vers la grande métropole espagnole de Tarragone. — En haut de ce réseau du Midi, il y avait Lyon, à droite Rome, à gauche Tarragone, et Narbonne au milieu : c’étaient les routes des capitales du monde occidental, les routes les plus battues de la Gaule[58], celles par où avaient passé tous les conquérants de la terre depuis l’Hercule de la légende, et Hannibal, Domitius, Marius, Pompée, César, et Auguste plus d’une fois.

Voilà les grands chemins qui se trouvaient rattachés à Lyon la capitale, qui recevaient de lui ou qui lui adressaient la plus grande part de leur vie, pour qui il était l’ombilic sacré où ils venaient se confondre. Mais ils ne constituaient pas, il s’en faut de beaucoup, tout le routier du pays. A sa périphérie, suivant les lignes de ses frontières ou le cours de ses vallées latérales, la Gaule possédait d’autres réseaux de voies, qui, d’une extrémité à l’autre, entretenaient le mouvement et l’échange sans recourir à Lyon. Chacun de ces réseaux correspondait aux directions principales de ses contours.

1° Voici d’abord le réseau du Midi, en direction générale de l’est à l’ouest. — Au centre une seule voie[59], que nous connaissons en partie, de Tarascon à Narbonne par le Languedoc, et de Narbonne à Toulouse par le seuil de Lauraguais. A droite et à gauche, il y a double ligne, pour ne parler que des voies essentielles. — A droite, au delà de Tarascon, c’est, le long de la Méditerranée, la voie Aurélienne, déjà mentionnée. Et c’est, en outre, la chaussée hardie qui remonte la vallée de la Durance pour franchir les Alpes au mont Genèvre[60]. — A gauche, en partant de Toulouse vers le nord-ouest, une voie principale descend la Garonne jusqu’à Bordeaux[61], et cette voie est la suite et la tin normales de la voie Domitienne du Languedoc, comme la plaine de la Garonne est le prolongement naturel de la vallée de l’Aude et du bas-fond des étangs. Et en partant de Toulouse encore, mais pour remonter le fleuve vers le sud-ouest, une autre route arrive en vue des Pyrénées, dont elle longe ensuite les dernières pentes, s’élevant et s’abaissant à chaque étape, et s’arrêtant enfin au niveau et aux abords de l’Océan, à Dax et à Bayonne[62]. — Mais bien d’autres chemins couraient entre la Méditerranée et l’Océan, à travers les coteaux de l’Armagnac[63] ou les terrasses des Cévennes[64].

2° A l’Ouest, un grand chemin, un instant fourni par le réseau lyonnais[65], mais le plus souvent indépendant de la capitale, partait du col de Roncevaux[66] pour traverser en diagonale toute la Gaule et unir par une ligne rapide les terres d’Espagne à celles de la Germanie. On le voyait à Dax sur l’Adour, à Bordeaux sur la Garonne, à Saintes sur la Charente, à Poitiers sur le Clain[67], à Tours et à Orléans sur la Loire, à Paris sur la Seine, coupant tous les fleuves qui se dirigeaient vers l’Océan, utilisant la fertile plaine que la nature de France a étendue à l’occident des montagnes centrales[68]. Après Paris, plus droit que jamais, il se dirigeait vers le Rhin par le seuil de Vermandois et les plateaux de Sambre-et-Meuse[69], et s’achevait enfin à Cologne, en face des pistes sauvages de la Grande Germanie. Pour le moment, ce chemin n’a dans la vie de la Gaule et de l’Empire qu’une importance secondaire[70]. Mais que les temps des invasions arrivent, celles du Nord ou celles du Sud, et c’est par cette route que Germains et Sarrasins chercheront la conquête de l’Occident[71].

3° Dans le Nord de la France, de faciles chemins sillonnaient le pays de part en part, unissant, de l’ouest à l’est, les bords de l’Océan à la frontière du Rhin. Les plus importants traversaient la Seine, venant de la Normandie et partant pour la Picardie ou la Champagne. — L’un d’eux, plus tard, dans les temps où Paris assumera la défense de la Gaule contre les invasions germaniques[72], devait prendre le rôle essentiel : de Paris, il arrivait droit à Reims, puis, à travers les gorges des Argonnes et des Hauts-de-Meuse, descendait à Verdun[73], où il passait la Meuse, à Metz, où il passait la Moselle, franchissait les Vosges au col de Saverne et, en Alsace, trouvait le Rhin à côté de Strasbourg[74]. — De Reims, une autre voie conduisait à Trèves par le gué de la Meuse à Mouzon[75], et, plus loin que Trèves, jusqu’à Mayence sur la frontière[76] : vieille route maintes fois suivie, jadis, par les cavaliers de César, et qui maintenant reliait entre elles les trois grandes métropoles des terres de la Belgique devenue romaine[77].

4° Une voie interminable suivait la rive gauche du Rhin et mettait en relation les camps, les redoutes et les colonies qui bordaient la frontière, depuis l’embouchure du fleuve jusqu’au lac de Constance[78], où elle rejoignait la route similaire des bords du Danube. De tous les chemins de la Gaule, celui-ci garda seul jusqu’au bout son rôle et son aspect militaires. Aucun n’était plus utile à la défense de l’Empire, à la sauvegarde du monde. A dire vrai, c’était moins une route d’échange qu’un immense chemin de ronde, un talus fortifié courant face à l’ennemi, bordé par le Rhin comme par un fossé.

5° Enfin, et ceci nous aidera encore à comprendre l’œuvre routière des Anciens[79], de longs chemins de montagnes coupaient du nord au sud toutes les Alpes françaises, en bordure de la chaîne principale, utilisant les cols transversaux pour franchir les contreforts, et ne reculant devant aucun effort afin de tracer une ligne droite et continue, le long de la frontière de la Gaule, depuis le lac de Genève jusqu’aux rives de la Méditerranée. — La plus basse et la plus large de ces routes, accessible même à de grandes armées, partait de Genève pour Grenoble le long du lac d’Annecy, de l’Isère et du Grésivaudan[80], puis montait de Grenoble pour Sisteron par-dessus le col de La Croix-Haute, de Sisteron pour liiez à la faveur de la Durance, de Riez pour Fréjus au travers des dernières Alpes[81]. — Les autres, plus près des hauts sommets, s’élevant souvent à plus de deux mille mètres, étaient des pistes de mulets plutôt que des voies charretières. Mais rien n’en interrompait la ligne imperturbable, depuis l’horizon du Grand Saint-Bernard jusqu’à celui de Monaco[82].

Nous n’avons énuméré ici que les grands chemins, ceux, étroits ou larges, qui s’allongeaient d’un bout à l’autre de la Gaule, et dont la surface continue desservait plusieurs provinces et de nombreuses cités. D’autres, qui les croisaient en divers sens, unissaient entre elles les villes voisines. Car on peut admettre comme un principe de la voirie romaine, que chaque métropole de peuple, si petite fût-elle, devait être mise en relations directes avec toutes les métropoles environnantes et, par elles, de proche en proche, avec tout l’Empire. La route, je le répète, fut surtout faite pour la ville. Bavai, chef-lieu des Nerviens, n’était qu’une bourgade, centre officiel d’un peuple obscur : sept grandes routes, cependant, partaient de son forum pour mener aux sept villes du voisinage[83], et, au delà, à toutes les provinces et à toutes les mers[84] de l’Empire romain et du monde :

Les mers feront la fin des sept chaussées Brunehault[85].

Autour de chacune des cités de la Gaule, nous retrouverons de même les rayons de l’étoile des routes, et, chose étrange ! presque toujours reparaît le chiffre de sept[86], comme si on avait voulu retrouver sur la terre les routes marquées par les sept planètes du ciel[87].

Tout chemin qui unissait deux capitales de cités appartenait, je crois, à la voirie d’État[88]. L’Empire en revendiquait l’administration et la surveillance, et, le cas échéant, l’entretien[89] ; et les bornes milliaires qui les jalonnaient portaient les noms et titres des princes, ce qui était le signe de la suzeraineté des Césars sur les grands chemins de la terre. De même que les colonies et les villes neuves, ils étaient marqués à l’empreinte impériale[90].

Le reste des chemins dépendait des cités ou des particuliers : sentiers communaux, qui réunissaient le chef-lieu aux bourgades de son territoire et celles-ci entre elles[91] ; sentiers privés, qui assuraient aux villas un débouché sur la voie publique[92].

 

III. — DE L’ORIGINALITÉ DES ROUTES ROMAINES.

Tel fut le réseau des routes romaines. Avec son nœud central, ses l’ayons, les arcs de ses circonférences, les étoiles de ses secteurs, il nous apparaît comme un ensemble géométrique d’une absolue symétrie ; et toutefois, il était si habilement tracé, conformant ses lignes aux directions des voies naturelles, qu’il conciliait à la fois les intérêts militaires de l’Empire et les besoins économiques des grandes cités.

Aussi devait-il survivre, pendant plus d’un millénaire, aux Césars eux-mêmes. De toutes les matières pétries par eux dans les Gaules, c’est celle des routes qui a servi le plus longtemps, qui a rendu le plus de bons offices. Leurs chemins ont suscité sur leurs parcours des milliers de bâtisses, de cultes et de légendes.

Ainsi qu’autrefois le mythe d’Hercule sur les sentiers du commerce grec, les légendes des saints chrétiens[93] et des preux de Charlemagne[94] se sont développées le long des vieilles routes romaines, propagées par les marchands et les pèlerins, s’épanouissant en floraisons plus drues aux gîtes d’étapes où ils s’arrêtaient. La colonie impériale elle-même n’a pas produit plus de faits, n’a pas apporté plus d’intensité dans la vie humaine que les chemins tracés par Agrippa. Et tous ceux qui ont réfléchi ou enseigné sur le passé de notre pays, depuis le clerc du Moyen Age jusqu’à nos maîtres d’écoles, ont vu dans la route romaine le chef-d’œuvre gaulois du régime impérial.

J’hésite aujourd’hui à les suivre dans leurs élans d’enthousiasme. Non pas que ce réseau de routes n’ait été une admirable chose, la création matérielle la plus bienfaisante de notre histoire antique : mais je ne crois plus qu’il faille en tirer de la gloire pour Rome seulement.

D’abord, presque partout, c’était la nature elle-même qui en avait indiqué les lignes, marqué les carrefours et les étapes : le seuil de Bavai ou de Sambre-et-Meuse, le cours de la Moselle le couloir où se rapprochent Aude et Garonne, ne forçaient-ils pas les grandes routes à passer exactement où nous les avons trouvées ? Si leur réseau est un chef-d’œuvre de symétrie, c’est parce que la Gaule l’était, et qu’il s’est conformé à la structure de ce corps de nation.

Puis, je m’aperçois chaque jour davantage qu’il faut faire une part, dans cette œuvre, aux Gaulois de l’indépendance. Ces routes romaines unissaient les chefs-lieux des cités, mais la plupart de ces localités sont d’origine indigène, et, avant l’arrivée de César, des routes les rejoignaient déjà, directes et bonnes[95], puisque le proconsul put courir sur leur chaussée presque aussi vite que sur les dalles de la voie Appienne[96]. La fameuse voie de Domitius en Languedoc, le chemin d’Agrippa de Tarascon à Valence, recouvrent des pistes déjà suivies par Hannibal, qui y a fait de très bonnes étapes, parfois vingt-cinq milles à la journée, lui, ses éléphants, des milliers d’hommes et tout leur convoi. Suivez, en Artois ou en Picardie, ces vieux chemins de Brunehaut, qui filent en droite ligne, sans détour et sans courbe, sûrs et décidés comme le javelot d’un légionnaire, et qui sont bien des routes bâties par Rome : vous serez surpris de constater qu’ils s’en vont aboutir à quelque vieille forteresse des temps celtiques, abandonnée à l’époque impériale[97]. C’est donc la preuve que la direction de cette voie date d’un Diviciac et non pas d’un César, et que les Romains en ont approuvé le tracé.

Assurément, quand ils ont fondé Lyon, Autun, Clermont, Trèves, Angers, Tours ou Soissons, il leur a bien fallu détourner par endroits les vieilles routes pour desservir ces nouveaux centres. Mais ces villes neuves se trouvaient précisément à des carrefours naturels, à des endroits très passagers : je doute fort que bien avant Plancus et Agrippa il n’y eût pas à Lyon un croisement de routes importantes. Il a suffi souvent dune rectification locale pour adapter un ancien chemin à une capitale nouvelle[98]. Un tracé créé de toutes pièces, imaginé d’abord dans un cabinet d’ingénieur, la route romaine ne fut jamais cela. Si elle a eu la vie si longue, si elle a réussi si bien dans l’histoire, ce n’est point parce qu’elle fut l’œuvre scientifique d’un peuple conquérant, c’est parce qu’elle accepta les directions de la nature et l’expérience des peuples antérieurs. Elle innova moins encore sur le chemin gaulois, que nos voies ferrées n’ont innové d’abord sur les pavés du roi.

Ce que les Romains ont fait sur, les routes publiques de la Gaule, c’est ce que nous leur avons vu faire dans les cités. Ils n’ont pas fondé Narbonne, Nîmes, Paris ou Bordeaux, ni même, à dire vrai, la ville des Éduens ou la ville des Arvernes, ils ont rectifié les sites et transformé les bourgades en des bâtisses de pierre. De même, ils ont rectifié les routes, et transformé l’ancien chemin, jusque-là simple bande de terre naturelle[99], en une chaussée de sol bâti. L’originalité véritable de la route romaine, c’est dans la structure que nous la trouverons.

 

IV. — STRUCTURE DES ROUTES ROMAINES[100].

La surface d’une route romaine est toujours faite de matériaux très résistants[101], tantôt de larges dalles de pierre[102], tantôt d’un béton de cailloux et de ciment aussi dur que la pierre même[103]. Avec ce béton, il n’est à craindre aucun interstice dans lequel puisse filtrer et séjourner l’eau, la grande destructrice des routes[104]. Quant aux dalles, elles sont si parfaitement jointes, qu’on les dirait soudées l’une à l’autre[105]. Cela fait comme un plancher continu, uni et poli : les roues y tournent et les êtres s’y tiennent sans ces cahots, ces heurts ou ces précautions qui, sur les chemins à surface inégale, ajoutent tellement aux lenteurs et aux fatigues de la marche. A la longue, il est vrai, des ornières se creusent[106], et, sur ce dos de route solide et compact, il est alors difficile de porter remède par un simple chargement de matériaux : il faut ou refaire tout le système ou vivre avec le mal, ce à quoi le Romain se résigna le plus souvent. L’ornière, d’ailleurs, sur cette croûte résistante, n’offre pas les mêmes inconvénients que dans une route faite de terre ou de simple gravier : elle demeure d’ordinaire plane et régulière, quelque peu semblable à un rail de métal, et j’imagine que les conducteurs de véhicules s’en accommodaient volontiers comme de rainures conductrices[107].

Pour que cette surface bâtie ne pût ni glisser ni se crevasser, elle reposait sur un soubassement aussi compact et aussi solide qu’elle. Qu’on se figure, au-dessous du pavé ou du béton de la route, une muraille[108] invisible qui le porte ; cette muraille, constituée par des couches successives de matériaux très divers ; ces matériaux, tous choisis de manière à produire un blocage homogène, incapable de céder aux plus fortes pressions d’en haut[109] : — en partant du sol naturel, un fondement fourni, soit par le roc vif lui-même, soit par un massif de béton dressé en plate-forme[110] ; au-dessus, couché sur ce massif ou à même le roc, un hérisson de pierres larges et plates, posées à la main, soigneusement ajustées, et noyées dans un bain de ciment[111] ; au-dessus encore, une couche de remplissage, où entrent du gros gravier, de la pierraille, des tessons de poteries, même des scories de fer, le tout étendu à la pelle et tassé à la batte[112] ; pardessus encore, une nouvelle couche de béton, fine et attachante, égalisée au cylindre, servant comme de seconde fondation[113] : — et c’est là-dessus enfin, dernier et seul visible de quatre ou cinq étages de mortier, de pierres et de murs, que vient s’installer la couche de surface[114], étalée sans crainte sur un lit qui ne bougera plus[115].

Les choses, évidemment, ne se présentaient pas toujours avec la même perfection : on prenait moins de précaution dans les terrains rocheux de la montagne, on était plus sévère dans les terres meubles des régions marécageuses. Le sous-sol des routes romaines admettait des variétés nombreuses, lesquelles dépendaient de la nature du pays[116], des matériaux disponibles, de l’intensité de la circulation. Mais c’est partout le même principe, celui d’une route non pas seulement en surface, mais en profondeur, d’un mur souterrain qui descend et s’enfonce dans le sol, parfois à plus d’un mètre de la surface utile[117].

Il fallait empêcher cette masse de pencher ou de s’écrouler[118]. Pour cela, on l’encadrait de parements de soutien, faits de blocs et de gros matériaux, qui s’attachaient à ses flancs et qui les arc-boutaient en s’appuyant eux-mêmes sur le sol naturel[119]. A la rigueur, si la route passait à travers les rochers, on se dispensait de ces contreforts : il suffisait de creuser dans la pierre, à quelques pieds de profondeur, le large boyau où l’on encaisserait la bâtisse de la route, et le roc lui-même lui servirait de parois[120]. On renforçait au contraire ses côtés de toute manière, s’ils devaient s’adosser à du sable ou à de l’argile. Et si la route formait digue et levée à travers des bas-fonds ou des marécages, c’était alors, sur ses parties latérales, de véritables montants de pierre, flanquant et étayant sa masse[121].

Quelle différence d’avec nos routes modernes, si belles et si bonnes sans doute, mais si légères et si fragiles ! A quelques centimètres de la surface[122], c’est déjà le sol naturel, avec les hasards de son équilibre. Nos chemins, ce sont de minces écorces, que peu de chose suffit à percer ; une voie romaine, c’est le parquet d’une maçonnerie enterrée, pareil aux chemins qui courent sur les plates-formes des remparts[123].

Aussi ceux-là, à tout instant amollis ou crevassés, exigent chaque année un chargement nouveau, une provision de matériaux pour les maintenir en bon état[124]. La voie romaine, elle, tenait debout pendant de longues années, aussi longtemps qu’une muraille de ville[125]. — Il est vrai que, lorsqu’elle tombait en ruines, il fallait une réfection de fond en comble : et l’on comprend que les empereurs pussent se vanter d’une restauration de route comme d’une construction de temple[126].

Le corps de la route était complété, à l’extérieur, par des trottoirs où se réfugiaient les piétons[127], par des bornes ou des bouteroues qui servaient de marchepieds aux cavaliers ou de protection contre les voitures[128], par des accotements où l’on rejetait les matières usées[129], par des fossés où s’écoulaient les eaux[130]. Pour faciliter cet écoulement, la surface de la route se relevait sans doute en une légère convexité, telle que le dos d’âne traditionnel de nos chemins d’aujourd’hui[131]. Il n’est dit nulle part qu’elle fût plantée d’arbres : sur les routes comme dans les villes, l’État se souciait peu de cette forme de l’élégance et du bien-être que donne aux chemins leur bordure fraîche et verte de peupliers, d’ormeaux ou de platanes[132].

Ces routes n’étaient point très larges, du moins dans leur partie utile et empierrée. Je crois bien qu’elles s’étaient rétrécies depuis l’époque gauloise, qui ignora les complications des trottoirs ou les non-valeurs des bas côtés, et qui dut réclamer de vastes espaces en largeur pour la circulation de ses armées ou de ses troupeaux[133]. Une construction du genre de la route romaine, profonde. cimentée, faite de matériaux coûteux, devait être réduite à son minimum d’étendue, la dimension suffisante pour permettre aux plus grands véhicules de se croiser rapidement, et à cela seize pieds, quatre à cinq mètres, suffisaient, même dans les tournants difficiles[134]. Cette largeur n’était point toujours atteinte, et bien des voies publiques devaient s’en tenir à douze[135] et même huit pieds[136]. Mais le plus souvent elle était dépassée, et la règle, sur les grands chemins de la Gaule, parait avoir été de vingt pieds ou de cinq pas, sept mètres[137] : ce qui les rapprochait singulièrement de nos chaussées royales ou nationales[138]. — Il ne s’agit là que de la partie bâtie, de la chaussée charretière. Avec les accotements de pierre ou de terre, les délaissés, les fossés, on pouvait arriver, sur une voie de la Gaule romaine, à une largeur de soixante pieds, près de vingt mètres[139] ; et ce vaste espace libre était sans doute l’héritage des grandes pistes militaires ou agricoles de l’ancien temps[140]. Mais même aux abords de Lyon ou de Trèves, la voie romaine ne connut jamais l’amplitude majestueuse dont nos ingénieurs ont su revêtir, aux approches de nos capitales, les chemins du roi ou les routes nationales[141].

 

V. — TRACÉS ET ŒUVRES D’ART.

La route romaine recourait moins souvent que les nôtres à des œuvres d’art, ponts, tranchées ou viaducs. Elle suivait presque partout les tracés des chemins gaulois, qui se passaient volontiers de cette sorte de secours. — Dans les pays de montagnes, elle se tenait sur les croupes, ce qui lui épargnait les mille ponceaux nécessaires pour franchir les cours d’eau des vallées[142] ; comme elle ne craignait pas les pentes les plus rudes[143], elle s’interdisait d’ordinaire les tunnels ou les tranchées[144]. Quant à l’art des courbes savantes, où ont excellé nos plus récents ingénieurs, elle l’a ignoré ou plutôt négligé[145], ce qui l’a souvent dispensée des murs de soutien à flanc de montagne et des longs parapets[146]. — Dans les pays de plaine, elle évitait, sauf les cas de force majeure, les bas-fonds et les berges des fleuves[147] : de là, l’économie des longs viaducs ou des levées de terre contre les inondations[148].

La vraie voie romaine, semblable à la route gauloise dont elle dérive[149], est une chose droite, simple et franche[150]. Pour la comprendre, suivez celle qui, de Dax à Pampelune, traverse les Pyrénées, au delà de Saint-Jean-Pied-de-Port, par la montée de Château-Pignon, le col d’Ibañeta et, la haute plaine de Roncevaux : comparez-la au grand chemin moderne qui part du même point. Saint-Jean, pour aboutir à la même station, Roncevaux[151]. Celui-ci laisse à gauche, dès Saint-Jean, la croupe montagneuse qui s’élève vers le col ; il préfère demeurer en bas dans la vallée de la Nive, il en suit tous les replis, coupe vingt fois ruisseaux et ravins descendus des Pyrénées, et finit par buter au pied du col : alors, seulement, il en commence l’ascension, diminuant la raideur de la pente par de longs lacets, revenant six fois sur lui-même, et atteignant enfin, à la chapelle de Charlemagne, le point culminant de sa montée. L’autre route, aussi, arrive à la chapelle, mais de manière toute différente. A Saint-Jean-Pied-de-Port[152], elle a quitté les bords de la rivière, elle a commencé de gravir la croupe qui- ferme la vallée, et, depuis, elle n’a cessé de monter, tenant avec soin le milieu de cette croupe, dominant le bas—fond où coule la Nive et où serpente aujourd’hui la voie moderne[153] ; et, comme soulevée par l’échine de la chaîne à laquelle elle s’est cramponnée, demeurée presque rectiligne dans son ascension monotone et ininterrompue, elle atteint par en haut le sommet du seuil pyrénéen que le chemin d’en bas s’apprête à escalader par un prodige de travaux d’art. De ces travaux, il n’en faut pas à la vieille route : fixée à sa croupe, elle voit les eaux s’écouler naturellement à sa droite et à sa gauche, elle n’a ni ravins à traverser ni rampes à tailler ; elle fait corps avec le dos d’âne de la montagne, qui l’a, pour ainsi dire, portée au sommet à franchir.

L’affaire n’allait pas toujours aussi aisément dans ces capricieux pays de montagnes ; et il fallait parfois trancher profondément dans le vif du rocher, soit que l’on opérât une brèche, une coupée, pour faire passer directement une route d’un versant à l’autre[154], soit qu’on entaillât le flanc d’une colline pour y accrocher le ruban du chemin et l’y faire monter le long des parois escarpées. Mais partout où j’ai pu observer, le lacet est fort rare : la route, le plus souvent, chemine et s’élève à flanc de coteau sur les saillies ou les encoches du rocher, et elle garde l’allure régulière et uniforme de la piste muletière à laquelle elle a dû succéder.

Dans les bas pays, les difficultés venaient des rivières à franchir et des marécages à traverser[155].

Les Romains n’ont pas construit dans les Gaules autant de ponts qu’on est tenté de le croire. Sauf sur le Rhin, ils furent, chez nous, assez timides en ce genre d’entreprises[156] ; et même à la frontière, ils n’y ont recouru qu’en face des villes militaires, à Mayence, à Bonn, à Cologne, à Xanten, à Nimègue, aux points les plus utiles à leurs projets de conquête[157]. Dans l’intérieur du pays, il n’y eut pas, à cet égard, un réel progrès sur l’époque de l’indépendance[158] : le pont en bois fut remplacé par un pont de pierre, et ce fut tout[159]. Sur aucun de nos quatre fleuves, on n’entreprit de beaux travaux d’art au croisement des grandes routes[160]. Point de pont ni à Bordeaux sur la Garonne[161] ni à Tarascon sur le Rhône[162]. Je doute fort que le grand pont celtique de Pont-Saint-Esprit ait pu être conservé. A ces lieux de traversée, les plus importants de la France entière, il fallait s’arrêter, fréter bac ou barque. Même dans les villes aux fleuves moins larges, il n’y a, en fait de pont, que l’indispensable, ce qui existait déjà sous les Gaulois. Lyon, la métropole des Gaules, n’a qu’un pont sur la Saône, entre Fourvières et les sanctuaires du Confluent[163], et Paris se contente toujours des deux petits ponts de son île. Devant de moindres rivières, mi n’a pas renoncé au passage à gué[164] : on se borne à prolonger la route sous l’eau, en pavant l’endroit guéable[165]. Tout cela ne laisse pas que d’étonner. Aucun de ces grands ponts à faire n’était au-dessous de la richesse et de la science des Romains ; ils ont, en Gaule, pour construire des aqueducs, dépensé plus d’argent et d’efforts qu’il n’en eût fallu pour doter de ponts toutes les chaussées impériales ; et le Pont-du-Gard, qui est un pont destiné à l’eau de Nîmes, est une œuvre aussi puissante que l’aurait été le pont de Tarascon ou celui de Bordeaux[166]. A cette prudence des Romains, il faut certainement des motifs, lesquels nous échappent. N’ont-ils pas voulu rompre d’antiques traditions, religieuses ou autres ? Ont-ils craint de mécontenter les corporations des mariniers ou des passeurs de l’eau, turbulents ennemis de tous les ponts à bâtir[167] ? Quand les intendants ou les gouverneurs de l’Ancien Régime, moins timides encore que les Romains devant les préjugés populaires, voulurent créer les grands ponts de France, à Tarascon et à Bordeaux, ils se heurtèrent à de si fortes résistances, à tant d’objections saugrenues, qu’ils durent longtemps battre en retraite[168]. Il est possible que les ingénieurs de Rome aient rencontré de pareils ennuis.

Ils ont été plus hardis ou moins tracassés en ce qui concerne les travaux sur les marécages. En ces lieux, en effet, ils rendaient service à tous, ils ne lésaient aucun corps de métier ; au surplus, le marais ne laissait le choix qu’entre deux solutions, le traverser ou l’éviter. Les Romains, dans leur désir d’aller vite et droit, préférèrent volontiers la première[169]. On bâtissait sur le marécage un haut remblai avec plate-forme, tantôt en charpente, avec pilotis et tablier de bois de chêne[170], tantôt en remplissage de pierres et de terre[171] : et par-dessus on étendait le corps même de la route. Cela faisait des espèces de digues, de levées, que les Romains appelaient des longs ponts, et qui s’allongeaient parfois sur des distances de plusieurs milles[172]. La route de Bordeaux à Saintes traversait de cette manière les marais d’entre Garonne et Dordogne, ce qui lui faisait éviter le détour par les collines de l’intérieur : elle gagnait par la beaucoup de temps, qu’elle perdait du reste en s’arrêtant devant le cours des deux fleuves.

 

VI. — BORNES MILLIAIRES[173].

Le long des routes, tout ainsi que dans les grandes villes, il se bâtissait des édifices d’espèces variées, destinés aux besoins des êtres qui y circulaient, hommes ou bêtes.

Les plus humbles d’aspect étaient les bornes de pierre qui renseignaient lés voyageurs sur le chemin à suivre et sur la distance où ils se trouvaient d’une station voisine.

Mais le système de ces pierres indicatives, dans la Gaule romaine, fut beaucoup moins clair que celui que nous devons à nos agents voyers. Elles portaient tout au long les noms et les titres des empereurs qui avaient fait ou réparé la route : ce qui n’importait guère[174]. Pour le reste, qui était l’essentiel, elles étaient très sobres de détails et très peu explicites[175]. L’endroit d’où partaient les distances était rarement la station la plus voisine[176], le relais le plus proche (ce qui est la règle de nos jours) ; c’était en principe le chef-lieu de la cité, si éloigné qu’il fût[177], parfois aussi tantôt la frontière de cette cité[178], tantôt la métropole de la province[179], et même la ville de Rome[180]. D’ailleurs, ces noms de lieux ne se gravaient point nécessairement ; quand on le faisait, on s’en tenait volontiers aux initiales, ce qui rendait l’inscription assez énigmatique. En règle générale, l’indication se bornait à un chiffre de distance, sans rien de plus, et ne donnait aucun secours ni sur la direction à suivre ni sur le voisinage d’un gîte d’étape. Les bornes milliaires de l’Empire rappellent moins les poteaux indicateurs destinés aux passants que les jalons de cantonnement à l’usage des agents voyers.

Les distances furent d’abord marquées en milles sur toutes les routes de la Gaule. Mais les indigènes persistant, malgré les bornes, à compter en lieues celtiques, l’État finit par leur donner raison, et la lieue remplaça le mille sur les chemins des Trois Gaules ; on ne conserva la mesure romaine que dans la Narbonnaise, laquelle avait davantage rompu avec les traditions nationales.

Remarquons que les nouvelles bornes ne chassaient point toujours les anciennes. Les vieilles pierres au nom de Claude et à la marque des milles restaient en place. Sur certaines voies on trouve tour à tour, les unes près des autres, des pierres à lieues et des pierres à milles[181]. Et comme le chiffre de la distance n’était point toujours accompagné de la mention de la mesure employée, de tels monuments risquaient d’apporter aux voyageurs plus d’embarras que de secours. L’administration romaine eut de singulières incohérences.

Il est donc possible que ces fameuses bornes, si embarrassantes aujourd’hui pour les érudits, ne fussent qu’une minime partie des moyens indicatifs disposés sur les routes. Aux carrefours se trouvaient peut-être des écriteaux de bois avec inscriptions peintes. Dans les villes, des tables de pierre on de marbre, installées sans doute au forum, portaient en lettres gravées les différentes directions à prendre[182]. Ajoutez à cela une littérature routière assez importante : des guides postaux, marquant les distances, les relais et les gîtes[183] ; des cartes itinéraires, où les mêmes indications étaient écrites ou dessinées[184]. Somme toute, on pouvait voyager et passer partout sans avoir besoin de guide et sans risquer de s’égarer. La voie romaine facilitait toutes les tâches.

 

VII. — CONSTRUCTIONS QUI BORDENT LA ROUTE.

Les autres constructions qu’elle a provoquées sont de celles qu’on rencontre sur les chemins de tous les pays, même des plus sauvages.

Des auberges et des tavernes s’étaient installées aux bons endroits, aux carrefours ou aux relais[185]. De grands hôtels devaient se rencontrer à la fin des étapes quotidiennes, et, la Gaule étant fort peuplée, ces fins d’étapes correspondaient le plus souvent à des villes bourgeoises, accueillantes et confortables[186]. S’il s’est trouvé parfois, au Centre ou dans l’Ouest, des gîtes de routes, mansiones, qui fussent de simples caravansérails isolés en pleine campagne[187], ils n’ont pas tardé à devenir des centres importants de population, de vraies bourgades[188] : dans ce pays paisible, riche et hospitalier, la route, créée par la ville, créait d’autres villes à son tour.

Les relais[189], destinés aux changements d’attelages ou de montures, étaient, cela va sans dire, plus fréquents que les stations de gîtes. On en trouvait au moins tous les quinze milles (vingt-deux à vingt-trois kilomètres)[190]. En ces siècles romains où beaucoup voulaient voyager vite, où la sûreté de l’immense État dépendait de nouvelles promptes et de communications rapides, l’installation des relais dut être la première tâche des administrateurs de la Gaule ; et peut-être, si les Anciens ont fait d’Agrippa le fondateur de nos routes, c’est, non point parce qu’il les a tracées, mais parce qu’il les a jalonnées de services publics.

D’autres bâtiments servaient à la protection des voyageurs ou à la perception des droits de l’État et des communes : postes de gendarmerie, et je doute qu’il y en eût beaucoup, bureaux de douane, d’octroi ou de péage, et peut-être y en eut-il davantage[191]. Les pouvoirs publics, en ces temps-là ainsi qu’en tous les temps, songeaient plus à l’exercice de leur autorité qu’à la sécurité et au bien-être de leurs sujets.

Les constructions purement privées ne se montraient en nombre, comme de juste, que dans la traversée des agglomérations. Si les routes servaient de limite aux grands domaines[192], le château et les fermes se bâtissaient à l’écart du chemin public, poudreux, bruyant et mal fréquenté. Seul, le mausolée du maître se dressait parfois en bordure sur la voie.

Celle-ci enfin, à la manière des villes, avait ses temples et ses chapelles[193]. La religion marquait fortement les grands chemins à son empreinte inévitable : à chaque instant, la vie qui y circulait se teintait de dévotion[194]. Aux carrefours de toute espèce, étoiles ou fourches, pattes d’oies, cournaux ou croisées, on adorait, installées dans leurs niches, les déesses des routes conjuguées, Biviæ, Triviæ, Quadriviæ : pareilles à des confluents de rivières, les rencontres des chemins étaient devenues des lieux saints[195]. Lorsque la voie quittait le domaine d’une peuplade pour pénétrer chez le peuple voisin, on apercevait des autels ou des temples, on longeait des bois sacrés, on traversait des champs de foires ou de prières : la frontière, elle aussi, avait ses pierres sacrées et son Génie[196]. — Tous ces cultes de routes venaient du passé gaulois[197], mais Rome leur avait donné des figures et des noms nouveaux[198] ; et on les retrouvera bien plus tard encore, autour de la croix que le Christianisme plantera à son tour à tous les angles des chemins.

Un dernier trait que la grande route possède en commun avec la ville, c’est que le prince y déploie partout son nom et ses titres. On voit ce nom ou celui de sa lignée sur les .arcs de triomphe qui en marquent l’origine à la sortie des cités ; on le voit même sur des mausolées funéraires, élevés à de riches défunts pour le salut de l’empereur[199] ; on le voit sans relâche, à chaque mille ou à chaque lieue, inscrit sur les bornes qui jalonnent la Gaule entière. La route, plus encore que la colonie, semblait bâtie à la gloire des Césars[200].

 

VIII. — TRAVAUX SUR VOIES FLUVIALES.

Comme les grandes routes de la Gaule se soudaient partout au réseau général de l’Empire, qu’elles étaient d’abord des organes de l’État romain, les princes y appliquèrent une attention continue ; et depuis Domitius le proconsul jusqu’au dernier des Augustes, il n’est point de souverain qui n’ait voulu inscrire sur les pierres de ces chemins la gloire éternelle de son nom. Ils s’inquiétèrent beaucoup moins des voies fluviales : car elles s’adressaient surtout au commerce intérieur. Il en fut de ces voies militaires ainsi que de nos lignes de chemins de fer : l’État, absorbé par les gros avantages qu’il tirait du nouveau système de routes, s’intéressa médiocrement aux modestes services que rendaient au pays les vieux chemins naturels.

Mais le mal n’atteignit pas, ce qui est arrivé aujourd’hui, les proportions d’un désastre. L’initiative des villes, le bon sens des particuliers, l’activité des sociétés de transports fluviaux, suppléèrent à l’indolence et à l’égoïsme de l’État. Sur nos fleuves, sur nos cours d’eaux navigables, le mouvement de la batellerie demeura très intense. Les grands ports de rivières, tels que Bordeaux, furent dotés de havres intérieurs[201]. A Lyon, à Arles, à Nantes, de larges berges étaient disposées pour la manipulation et la garde des marchandises ou les ateliers de construction[202]. Partout, les chemins de halage étaient soigneusement entretenus.

Il n’en restait pas moins une œuvre capitale à entreprendre pour amener à sa perfection le système de nos voies fluviales : c’était de les réunir par des lignes ininterrompues de canaux, perçant les montagnes qui séparaient les vallées. Alors, le réseau des rivières eût doublé le réseau des voies romaines, et il eût été aussi admirable que l’autre. Mais l’Empire romain recula devant cette ouvre.

Ne disons pas qu’elle était trop grandiose pour la pensée de ce temps ou trop ardue pour sa science. Percer une montagne était un jeu pour les ingénieurs[203]. Les Romains s’entendaient fort bien à creuser des canaux[204], Marius l’avait montré en ouvrant celui de Fos pour améliorer les passes du Rhône, et il l’avait fait en quelques mois, entre deux campagnes. Il n’y avait qu’à profiter de la paix romaine pour l’imiter sur tous les fleuves. On y pensa un instant : sous le règne de Néron, un légat de Germanie entreprit de réunir l’une à l’autre la Moselle et la Saône, la Méditerranée et l’Océan : un canal devait rejoindre les deux rivières à travers le seuil des Faucilles, dont on avait sans doute reconnu la médiocre élévation. Mais des craintes politiques ou des jalousies de bureaux empêchèrent ce grand projet, et personne ne devait plus le reprendre[205]. En cela comme en tant d’autres tâches, l’Empire manqua de courage et de hardiesse. La régularité de la vie administrative, la sécurité des affaires quotidiennes tuait en lui l’esprit d’initiative ; les résultats acquis lui suffisaient, et il ne savait ni ne pouvait regarder vers l’avenir. Un siècle à peine après sa fondation, cet immense corps d’État paraissait trop essoufflé pour faire autre chose que de vivre.

Sur une seule voie fluviale, celle du Rhin, les Césars ne restèrent pas sans travailler[206]. On établit de vastes garages et des arsenaux pour la flotte[207]. Près de l’embouchure, Drusus creusa un large canal pour assurer au fleuve un débouché normal dans le Zuiderzee et la mer du Nord[208], et Corbulon réunit son cours inférieur à celui de la Meuse. Mais tout cela se fit avant Néron, et était d’ordre militaire, exécuté surtout pour la défense de la frontière. Et après Néron, ces canaux cessèrent d’être entretenus et de servir utilement[209], ce qui était depuis longtemps le sort de celui de Marius[210]. L’Empire ne savait même plus exploiter l’héritage du passé[211].

 

IX. — TRAVAUX SUR VOIES MARITIMES.

Nous n’apercevons pas davantage, sur les côtes de la Méditerranée ou sur celles de l’Océan, un effort sérieux des empereurs pour améliorer les routes maritimes, pour mettre en valeur l’extrême richesse en ports dont la nature avait doté la Gaule.

Nulle part les Romains ne se sont intéressés à nos ports secondaires[212]. C’est un sujet d’étonnement que de voir, sou s l’Empire, l’état d’abandon ou de médiocrité où végètent toutes nos stations des golfes du Midi, si vivantes au temps du commerce hellénique ou du cabotage ligure. Nice[213], Antibes, Hyères[214], ne comptent plus que comme lieux de plaisance et séjours de terre. Rien n’a été fait par l’État dans leurs ports, et pas davantage à Toulon[215], à Sanary[216], à La Ciotat[217] ou à Cassis[218]. De l’autre côté du Grand Rhône[219], aucun travail d’art[220] n’apparaît aux Saintes-Maries[221], à Lattes[222], à Maguelonne[223], à Cette[224], à Agde[225] ou à Port-Vendres[226] ; et on sent bien que l’État se désintéresse de leur vie maritime. Ainsi que tous les Empires trop puissants, il n’a cure des intérêts de petites bourgades, et les sacrifie aux besoins plus menaçants des grandes masses humaines[227].

Il s’occupa donc surtout, en Méditerranée, des centres importants, Fréjus, Marseille, Arles et Narbonne. Encore en vint-il assez vite à tout subordonner à cette dernière, qui était la métropole de la province. Je viens de dire que le canal de Fos, utile à la fois à Marseille et à Arles, ne fut point entretenu. A Arles, semble-t-il, l’État laisse faire les grandes compagnies plutôt qu’il n’agit par lui-même[228]. A Marseille, on ne trouve pas la moindre trace d’une entreprise du génie maritime[229]. Il est vrai qu’à Fréjus[230] Auguste fit exécuter une œuvre considérable : un chenal de plus de mille mètres, allant de la mer au pied de la colline qui reçut la nouvelle cité, et là, creusé de main d’homme en pleine terre, un port intérieur de cinq cents mètres en longueur et en largeur, flanqué de citadelles ou d’arsenaux, de phares[231], de quais, de môles, d’annexes de tout genre. Mais si l’on accomplit pareille chose en cet endroit, c’est que Fréjus était une colonie militaire, un port de guerre, une station de la flotte impériale : il en fut là comme sur les bords du Rhin, l’Empire travaillait surtout pour sa défense. Aussi, au second siècle, quand on jugea inutile de maintenir une escadre à Fréjus[232], on laissa le port s’envaser : car il ne servait plus qu’au trafic intérieur du pays, lequel était médiocre et n’intéressait pas l’État. La grande paix de l’Empire, loin de servir à ces rives de la Méditerranée, y apporta la solitude.

C’est donc à Narbonne que se portèrent les efforts publics, et je crois bien que la ville fut dotée de tous les ports et de toutes les jetées nécessaires pour faire d’elle le principal entrepôt de la Gaule méridionale. Et pourtant, même là encore, on n’a point trouvé jusqu’ici les prodiges de bâtisse dont étaient coutumiers les ingénieurs maritimes du service impérial[233]. Le port de la ville fut surtout constitué par le lit de l’Aude, plus ou moins élargi en forme de bassin[234] ; les replis des étangs voisins fournissaient des abris naturels qui furent sans doute améliorés ; des roubines ou canaux durent établir les jonctions nécessaires. Mais on eût pu faire bien davantage, et on ne toucha qu’à peine à ces petites mers intérieures, si propres à de grands travaux. Personne n’eut l’audace de copier en Gaule Ostie ou Alexandrie : il est vrai que Narbonne était moins utile que ces deux villes à Rome et à l’empereur.

Ce fut tout aussi mal sur l’Océan. Si nous partons de la Bidassoa, il faudra attendre jusqu’à la Gironde[235] pour rencontrer quelque œuvre d’art, le port intérieur de Bordeaux[236]. Ni l’îlot de Cordouan[237] ni la pointe de La Coubre[238] ne semblent montrer des feux ou des phares. Entre la Garonne et la Loire, sur les côtes plus tard si vivantes de la Saintonge[239] et de la Vendée[240], rien ne rappelle l’intervention intelligente de l’État : La Rochelle même ne fut point comprise de lui[241].

Et ce sera partout ainsi jusqu’aux caps de la Picardie. Sauf sans doute à Nantes[242] et peut-être à Rouen[243], les rivages de l’Armorique et de la Normandie n’attirent pas les architectes maritimes de l’Empire : celui-ci ne s’intéresse plus aux routes de cette mer, depuis que César en a chassé les Vénètes[244]. Tous les petits ports existent encore, Vannes[245], Locmariaquer[246], Quimper[247], Brest[248], Erquy[249], Aleth[250], Granville[251], Cherbourg[252], mais ce ne sont que ports de pèche, continuant dans leurs abris naturels des habitudes millénaires, ignorants des prestigieuses jetées et des confortables bassins que l’art gréco-romain savait établir sur ses rivages favoris. Ce n’est point à dire, d’ailleurs, que l’autorité publique les ait absolument méprisés : des voies directes les unissaient aux capitales de l’intérieur, ils pouvaient recevoir aussi vite que n’importe quelle métropole les ordres, les nouvelles et les modes de Rome[253]. Mais en agissant ainsi, on les traitait moins en ports de mer qu’en étapes de chemins, on les regardait trop du côté de la terre, et pas assez du côté de la mer, où étaient leurs véritables destinées. L’Empire avait beau s’être formé autour d’une mer, la Méditerranée : il céda toujours à l’obsession des routes continentales.

Aux abords du Pas de Calais[254], et là seulement[255], se manifeste la volonté de bâtir pour les gens de la mer : et cela se fait à Boulogne, où l’estuaire de la Liane fut adapté à la vie d’un très grand port, où il y eut des bassins, des quais, des arsenaux[256] et le plus beau phare de tout l’Occident[257]. Mais remarquons qu’à Boulogne, ainsi qu’à Fréjus, stationnait une flotte de guerre, et que c’était le lieu de passage de Gaule en Bretagne pour les armées, les courriers, les fonctionnaires et les empereurs. Boulogne formait le lieu d’attache de la province insulaire avec le reste de l’Empire, de la grande route des Gaules avec toutes les routes de l’île ; l’importance de son port lui venait, non pas des chemins maritimes qui longeaient ses rivages ou qui traversaient son canal, mais des chaussées militaires qui arrivaient derrière lui ou qui se présentaient en face de lui de l’autre côté du détroit. Les œuvres de mer, sur ce point encore, dépendaient surtout des voies de terre : en dernière analyse, ce fut comme station essentielle de la grande voie impériale de l’Occident que Boulogne ne cessa de croître et de plaire[258].

A Boulogne s’éleva donc le seul beau phare de l’Occident que l’on pût comparer à celui d’Alexandrie, cette gigantesque Tour d’Ordre[259], haute de douze étages et de deux cents pieds, qui resta pendant quinze siècles incrustée sur la falaise dominant la rivière et l’Océan : du Rhin à la Bidassoa, du cap Creux au rocher de Monaco[260], c’est la seule bâtisse impériale qui ait vraiment protégé les chemins maritimes de la Gaule. Il est vrai qu’il fallait éclairer, en ce lieu, la route des légions et des princes. Ainsi, la pensée du salut de l’Empire et de la puissance des Augustes s’imposait aux mers aussi bien qu’aux terres, et elle y primait toute autre pensée.

Le phare de Boulogne, d’ailleurs, portait le nom de l’empereur qui l’avait fait bâtir, et une inscription y rappelait pompeusement ses victoires. Il ne servait pas seulement à la sauvegarde des hommes et des princes, mais aussi, comme toutes les constructions des routes, à l’apothéose du régime impérial.

 

 

 



[1] Bergier, Histoire des grands chemins de l’Empire romain, parue en 1622 ; nouv. éd., 1728 (que je cite ; un des plus originaux travaux d’archéologie que l’on connaisse) ; A. Maury, Les Voies romaines en Italie et en Gaule, dans la Revue des Deux Mondes, 1er juillet 1860 ; Desjardins, Texte explicatif de la Table de Peutinger [inachevé ; rapport initial, 1er déc. 1866] ; le même, Géographie de la Gaule d’après la Table de Peutinger, 1869 ; le même, Géographie hist. et adm. de la Gaule romaine, IV, 1893 (posthume) ; Besnier, art. Via dans le Dict. des Antiquités (paru en 1915-6). Il manque un travail d’ensemble, et pour l’Empire et pour la Gaule : les cartes données par Desjardins et Longnon (Atlas, 2, parue en 1885) sont insuffisantes ; celle de Kiepert (Formæ, n° 25, janvier 1912) est une honte ; ce qu’il y a de meilleur est le résumé de Besnier. Je laisse de côté, sauf exceptions, les monographies locales, qui sont innombrables ; parmi celles qui intéressent le plus les conditions générales de la viabilité et de la construction, Quantin et Boucheron, Mém. sur les voies romaines qui traversent le dép. de l’Yonne, Bull. de la Soc. des Sc. de l’Yonne, 1864, XVIII (travail modèle). — On rencontrera des renseignements précieux dans les manuscrits de voyages de Dubuisson-Aubenav [milieu du XVIe s.] à la Bibliothèque Mazarine, n° 4101-8. Pour la manière de retrouver les routes romaines, remarques originales et justes de Matruchol, Comment retrouver les voies romaines, Bulletin de la Soc. des Sciences de Semur, 1905, XXXIV. Il y a de bons exemples d’observations topiques chez Pasumot, Dissertations, éd. Grivaud. 1810-3. Pour la comparaison avec les routes médiévales, Wilke, Die Franzœsischen Verkehrsstrassen nach den Chansons de Geste, 1910 (Beihefte de Grœber, XXII ; superficiel). — Pour les routes fluviales, L. Bonnard, La Navigation intérieure de la Gaule à l’époque romaine, 1913.

[2] C’est le principe que rappelle sans cesse le Code Théodosien, De itinere muniendo (XV, 3), et il est visible qu’il remonte très haut ; cf. Suétone, Auguste, 30. — L’analogie avec le service militaire peut être justifiée par l’expression de via militaris, et aussi parce que, de même que l’armée dépend de l’empereur, la route lui est dédiée (titulus magnorum principum dedicata, C. Th., XV, 3, 6) ; ce qui fait que le service des routes n’est pas en principe un sordidarn minus.

[3] Pour les orateurs, Cicéron, Pro Fonteio, 4, 8 ; De prov. cons., 2, 4 ; pour les tribuns, Plutarque, Caïus Gracchus, 6-7 ; pour les princes, voyez les inscriptions des milliaires (§ VI). Cf. Bergier, I, p. 92 : De l’affection du sénat et du peuple romain vers les auteurs des grands chemins.

[4] La victoire obtenue à l’encontre de tant de nations diverses à l’aide des grands chemins, Bergier, I, p. 107.

[5] Hérodote, V, 51-54.

[6] Autres, pour ce temps-là : le prolongement de la voie Aurélienne d’Italie en Provence et de la voie Domitienne de Narbonne vers Toulouse ; la route du Petit Saint-Bernard ouverte par Pompée ; peut-être la voie subalpestre de Munatius pour la surveillance des Alpes.

[7] Je crois bien que l’expression de via militaris a fini par ne plus avoir que le sens de voie d’intérêt général ou route d’État. On disait du reste aussi via publicæ, consulares, prætoriæ, βασιλικαί ; Digeste, XLIII, 8, 2, 22 ; XLIII, 7, 3. — L’expression de strata apparaît d’assez bonne heure sous l’Empire (C. I. L., X, 1885).

[8] Jusqu’ici aucune inscription milliaire ne fait allusion aux routes d’Agrippa. Le nom d’Auguste n’apparaît sur aucune des voies attribuées à Agrippa et ne se montre que pour la réparation des routes du Midi, et toujours après la mort d’Agrippa, notamment aux dates de 13-12 av. J.-C. (via Julia Augusta de Plaisance au Var, C. I. L., V, p. 953 et s. ; du Var à Aix, XII, 5441, 5451-5), 3 av. J.-C. (d’Aix à Arles, Nîmes, Narbonne et au delà), 13 ap. J.-C. (de Narbonne en Espagne et de Narbonne à Toulouse (XII, 5668 et 5671) : la succession des dates et des lieux, la récapitulation des milles dans certaines inscriptions extrêmes (XII, 5665, 5671 ; V, 5823) montrent que, pour ces routes du Midi. il s’agit de la réfection de tout un ensemble allant d’Italie, et même du Danube, en Aquitaine et en Espagne. On voit qu’elle a pris 26 ans, ce qui montre (et nous en avons bien d’autres exemples) avec quelle lenteur procédait souvent la vie administrative de l’Empire.

[9] Lui et ses successeurs : C. I. L., V, 8002-3 ; Florus, II, 30, 26. L’activité de Drusus en matière de voirie n’apparaît jusqu’ici que du côté de la frontière du Rhin.

[10] Il parait aussi s’être attaché aux routes conduisant au Rhin et le longeant. Il faut donc reconnaître que Claude parait avoir fait autant qu’Agrippa pour la grande viabilité de la Gaule. C’est à Claude que sont dues quelques-unes des routes les plus lointaines, les plus difficiles, les plus directes.

[11] Il m’a semblé, dans la direction des frontières, avoir constaté parfois des routes assez voisines, ayant a peu près les mêmes points de départ et les mêmes destinations. Si ces remarques sont justes, l’Empire romain se serait arrangé peu à peu pour doubler les voies militaires les plus importantes, de manière à rendre les transports de troupes ou de matériel plus rapides et moins encombrants.

[12] Voyez aussi, pour d’autres détails, t. VI, texte et notes des chapitres V-VII.

[13] Ici, note 14. Les plus anciens milliaires des Trois Gaules sont de l’empereur Claude.

[14] Strabon, IV, 6, 11 : Table de Peutinger : Lugduno caput Galliarum.

[15] Strabon (IV, 6, 11) ne rapporte pas celles-ci à Agrippa, mais il les mentionne en même temps que le réseau de ce dernier, ce qui montre que leur achèvement date également d’Auguste.

[16] Projetées sinon achevées.

[17] Elle n’était pas encore carrossable au temps de Strabon (IV, 6, 11). Décimus Brutus y a passé, mais sans doute avec peu d’hommes.

[18] De nombreuses routes menaient de Lyon à Genève : les itinéraires indiquent de préférence la voie détournée par le bas pays, le long de la rive gauche du Rhône, par Vienne et Aoste (Augustum), en connexion avec la route du Petit Saint-Bernard, qui s’en détachait à Aoste (n. 21). Mais la route directe et primitive était au nord, à travers la montagne, par Nantua et le pas de l’Écluse (cf. J. Hannezo, Les Voies... de l’Ain, dans le Bull. de la Soc. des Nat. de l’Ain, 1913, p. 5, 21). Claude s’occupa de cette route (C. I. L., XIII, 9033), en songeant sans doute surtout à son prolongement vers le Rhin, ce qui faisait d’elle la voie la plus directe de Genève au fleuve. C’était encore la direction suivie par la poste, entre Lyon et Genève, sous l’ancienne Monarchie. Au pas de l’Écluse elle emprunte l’ancien sentier des Helvètes, qu’elle suit d’ailleurs depuis Nantua.

[19] Genève, Nyon, Lausanne, Vevey, le nord du lac, Martigny. — Les voyageurs venant d’Italie à destination du nord et de l’est de la Gaule ou de la Bretagne quittaient cette route à Lausanne (il y avait un raccourci par Vevey, Moncton, Yverdon ; XIII, 9068), pour traverser le Jura (par le col de Jougne et Pontarlier, C. I. L., XIII, 9078), et par Besançon et le vieux port de Seveux sur la Saône (Segobodium) rejoindre à Langres le réseau gaulois (Strabon, IV, 6, 11). C’était sans doute la grande route d’Italie en Bretagne. — Ceux à destination du Rhin la quittaient à Vevey, et, par Moudon, Payerne, Avenches et la vallée de l’Aar, gagnaient Augst ou Windisch (route de Cecina). — Le Valais (Alpes Pennines) était sans doute réuni à la Tarentaise (Alpes Grées) par une route de montagnes à travers la vallée de Chamonix.

[20] Complètement achevée et entièrement carrossable sous Auguste (Strabon, IV, 6, 11).

[21] De Lyon à Vienne et Aoste, comme la précédente (n. 18) : de là dans la haute vallée de l’Isère par la vallée du Guiers et Chambéry. — Il y avait, bien entendu, un important compendium qui évitait Vienne, de Lyon à Bourgoin : c’est ce raccourci que les textes lyonnais du Moyen Age appellent le chemin de Rome (Guigue, Les Voies antiques du Lyonnais, [1877], p. 69). — Vers Montmélian les voyageurs venus des Alpes à destination du Midi quittaient la route de Lyon pour descendre l’Isère sur Grenoble et Valence. — A Conflans, les voyageurs d’Italie à destination ou du Nord et de l’Est de la Gaule ou de la Bretagne, gagnaient Genève par Les Fins d’Annecy (Boutræ), et de Genève, par Poulailler et Mirebeau, Langres, où ils rejoignaient le réseau d’Agrippa. Cette dernière route, qui est, avec celle du Grand Saint-Bernard à Langres, la plus directe pour aller d’Italie en Bretagne, qui est connue par des textes, qui fut jugée assez importante pour recevoir les postes militaires les plus considérables, est à peu près complètement ignorée des itinéraires. Elle a été, ce qui était naturel, l’objet des soins de Claude (XIII, 9044). — Il est probable que d’autres routes se greffaient sur celle-ci vers la Gaule centrale, par exemple de Genève et Mirebeau à Troyes par Thil-Chatel, de Genève par les environs de Dôle à Dijon et au delà vers Alésia et Sens.

[22] Cf. Strabon, IV, 1, 3.

[23] De Grenoble à Briançon sur la Durance, il fallait traverser le col de l’Autaret, altaretum (cf. Table, s. 2, 1-2). C’était une des plus rudes voies de la Gaule, et cependant, elle parait avoir été fréquentée, puisqu’on en trouve trace, outre la Table, dans l’Anonyme de Ravenne (IV, 27). Une description très exacte de cette route, une des plus intéressantes de la Gaule, vient d’être faite par H. Ferrand (Bull. arch., 1914, p. 23 et s.). C’est sur cette route que se trouve la Porte Romaine de Bons près de Mont-de-Lans, un des vestiges les plus curieux de la viographie romaine en Gaule : un trajet en encorbellement sur une paroi rocheuse, puis une entaille formant tunnel, large de 3 m. 10, voûtée à partir de 3 m. 04 de hauteur. — Mais une route plus longue et plus facile rejoignait la voie Domitienne et la Durance par Valence, Luc, Die, le col de Cabre et Gap : c’était celle qu’on faisait suivre aux convois de troupes (Valens et Vitellius en 69 ; César en 58 av. J.-C.). — Je ne vois pas qu’on ait utilisé pour une route, par exemple de Grenoble à Gap, le passage intermédiaire par le Champsaur et le col Bayard.

[24] Je ne crois cependant pas qu’il ait été complètement négligé ; mais il ne devait plus servir aux services publics et aux messageries du commerce, et peut-être a-t-il été remis en honneur au Bas Empire.

[25] Ou à Windisch, la bifurcation étant vers Oensingen, la route d’Augst traversant ensuite le Jura par Klus.

[26] Quoique cette route ne soit pas mentionnée par les textes, il fallait l’indiquer ici, parce que, je crois, c’est la route la plus ancienne comme elle est la plus directe : elle est jalonnée par les trois colonies primitives de la Gaule de César, Lyon, Nyon et Augst, et son parcours sur le terrain est très aisé à reconnaître, même de Lyon à Genève. Ce parcours (de Lyon à Nyon) lui est commun avec la route de Lyon au Grand Saint-Bernard. D’Avenches (ou plutôt de ses abords, Payerne) au Rhin, la route de Lyon se confond avec la route du Grand Saint-Bernard à la Germanie.

[27] Cette route a dû être substituée ou ajoutée à la route par Genève et Nyon (ici, n. 26). Elle se détache de la voie d’Agrippa on de la Moselle (n. 31) à Chaton et atteint Besançon par Pontoux et Dôle. Vers la trouée de Belfort elle se bifurque : un tronçon rejoint directement le Rhin et sa route riveraine à Kembs près de Mulhouse ; l’autre, à travers l’Alsace, aboutit eu face de Brisach sur cette même route rhénane. Le trajet, au delà de Besançon, est très difficile à retrouver dans les textes : on croit à deux voies (au moins en partie, sillon sur tout le parcours), l’une, sur la rive droite du Doubs par Loposagium (Luxiol ?), l’autre, sur la gauche, par Vellatodurum (Vellerot-lès-Belvoir) : remarquez alors le doublement, que les empereurs ont pu vouloir dans un but militaire. Quant à la station de Gramatum, dans l’Itinéraire Antonin (p. 348), elle doit être déplacée, et cherchée à l’ouest sur une route détournée, sans doute celle prise par César, par Villersexel et Arcey.

[28] Il y avait, outre la route par Chalon (n. précédente), une importante route directe de Lyon à Besançon par Bourg.

[29] De Langres, il est probable qu’une route rapide, destinée aux voyageurs de Boulogne, menait au Rhin supérieur par portus Abucini (Basini ?), Port-sur-Saône, le principal port des Séquanes, rejoignant vers la trouée de Belfort les routes de Besançon (n. 27).

[30] A mon sens, la route primitive d’Agrippa, menant au port de Bonn, était par Marmagen (Marcomagus) et par Belgica (Billig), où elle quittait la Belgique. Sur Billig on dut greffer une route vers Cologne. Sur Marmagen une route vers Neuss (Novæsium), par Zulpich (Tolbiacum), route suivie par Civilis dans sa retraite. Sur Zulpich enfin, une autre route vers Cologne, devenue principale, aujourd’hui encore visible.

[31] Elle fut, sans aucun doute, l’œuvre d’Agrippa (Strabon, IV, 6, 11). Voyez la marche de Valens. — Elle a dû être doublée par endroits.

[32] Dans sa grande campagne de Belgique en 57.

[33] Ceci est proprement la route d’Agrippa dont parle Strabon (IV, 6, 11), avec cette différence que Strabon lui fait faire (comme le fit César) le détour de Beauvais : mais le trajet direct par Soissons, Noyon, Roye, Amiens est si naturel et marqué par tant de vestiges, qu’on peut croire à une erreur du géographe. — On peut à la rigueur supposer qu’il a voulu parler d’un trajet, de Langres à Beauvais et Amiens par Bar-sur-Auhe (Segessera, où il se détache du précédent), Troyes, Meaux et Senlis, trajet qu’on retrouve en partie sur le terrain et dans les itinéraires. — D’autres hypothèses sont possibles pour expliquer le texte de Strabon, par exemple un trajet par la route de Soissons à Beauvais, soit la route détournée (Senlis), soit la route directe (Compiègne).

[34] Il est probable que le principal trajet de Gaule en Bretagne, parmi les trajets concurrents de celui d’Agrippa (par Langres et Châlons), passait par Chaton, Autun, Auxerre, Sens, Meaux, où il traversait la Marne (et où il rejoignait la route indiquée tout à l’heure à propos de Strabon, n. précédente), Senlis, Beauvais. Ce trajet avait dû être, dès les temps de l’indépendance, préconisé par les Éduens et les Bellovaques (remarquez que César, II, 14, 2, note leurs relations de fides et amicitia), dont il traversait les terres. et utilisé surtout par les marchands grecs, venant de Marseille ; l’autre trajet, celui d’Agrippa (en liaison directe avec le Grand Saint-Bernard), devait être préféré par les Italiens, et profitable surtout aux Lingons et aux Rèmes. Chaque chemin avait ses protagonistes parmi les cités gauloises, et les conserva parmi les villes gallo-romaines. Mais que la vraie route militaire et postale d’Italie en Bretagne fut, non pas celle de Lyon et d’Autun, comme l’indiquent les cartes modernes, trop influencées par les itinéraires, mais celle de Langres et Chiliens, c’est ce que montrent bien le texte de Strabon, l’installation .à Langres des corps venus de la Bretagne (Tacite, Hist., I, 59), le rôle stratégique de Châlons, les camps du voisinage de Langres.

[35] J’ai nommé l’une de ces variantes de la grande route de Boulogne. En voici d’autres. — Au nord de la voie d’Agrippa : de Reims à Boulogne par Bavai et Thérouanne (les itinéraires font faire à la route le détour par Tournai et Cassel) ; de Soissons à Cambrai, puis à Arras et Thérouanne (route admirablement conservée entre ces deux villes dans sa direction rectiligne). — Au sud : de Thil-Chatel (sur la route de Langres à Lyon) à Troyes par Latisco (le mont Lassois) ; de Dijon (même situation) à Sens et Meaux par Alésia et Tonnerre ; l’un et l’autre trajets faisant suite à des routes venant de Genève. — Enfin, l’Itinéraire Antonin (p. 356-363) indique comme la grande voie principale d’Italie et Lyon à Boulogne et en Bretagne une route par Chaton, Autun, Auxerre, Troyes, Châlons, Reims et Amiens : ou bien c’est un trajet officiellement fixé très longtemps après Agrippa, ou bien, ce que je crois, c’est un parcours artificiellement combiné par le compilateur de l’Itinéraire et fait à l’aide de la première partie de la route que nous avons appelée route de la Seine (Chalon-Auxerre, ici, n. suivante) et de la dernière partie de la vieille voie d’Agrippa (Châlons-Boulogne), réunies par une voie transversale d’Auxerre à Châlons par Troyes. — Tout ce que nous savons des routes et des marches militaires au premier siècle fait ressortir l’importance de Langres, et elle ne peut guère s’expliquer que par la convergence vers ce point des routes de Bretagne (par Lyon, par Genève, par Besançon) et leur rencontre en cet endroit avec la route de Germanie.

[36] La station terminale est à Caracotinum (Harfleur). — Ces réseaux de Bretagne, de la Saône et de la Seine étaient soudés à celui de la Loire et de l’Ouest par un très grand nombre d’excellents et très anciens chemins. De Mâcon à Charolles et Digoin, et de Mâcon à Toulon et Decize. D’Autun à Toulon et Digoin. D’Autun à Bourbon-Lancy, Vichy, Clermont : cette route, très fréquentée par les baigneurs, a dû remplacer le chemin gaulois entre Bibracte et Gergovie si souvent parcouru par Jules César ; c’est sur cette route qu’on devait montrer les camps de César, hiberna legionum  Julia  narum (Sid. Apoll., Ép., II, 14). De Besançon à Autun par Beaune (plutôt que par Dijon : c’est peut-être le chemin qu’a dû prendre Constantin en 311, Panég., VIII [V], 7) ; ce chemin va ensuite d’Autun à Decize (ou Nevers) et de là vers Bourges : c’est une des grandes voies centrales de la Gaule. De Châlons, Troyes, Auxerre à Bourges par Entrains (en partie connu par C. I. L., XIII, 2681). De Troyes et Sens à Orléans. De Bavai et Paris à Orléans, ce qui est la grande route de l’Ouest. De Paris à Chartres et de là vers Le Mans et vers l’Armorique. De Paris à Dreux. Une grande voie du Nord partant, soit de Tournai et Arras, soit de Bavai et Cambrai (ici admirablement conservée), vers Amiens. Beauvais, Mantes, Dreux, et de là, sans aucun doute, vers Séez, Avranches, la Normandie et l’Armorique. De Rouen et Lillebonne (en deux voies) à Évreux, Dreux et Chartres. De Lillebonne à Lisieux, et ensuite à la côte normande par Vieux, Bayeux, Cherbourg. Remarquez ’importance du carrefour de Dreux.

[37] Cette ligne n’est pas indiquée par Strabon et n’a peut-être été sérieusement entreprise que par Claude, et pour faciliter les relations avec la Bretagne (cf. n. 39, 40 et 42).

[38] Je la reconstitue, sans aucune difficulté, d’après les éléments fournis par la Table, l’Itinéraire Antonin et l’Anonyme de Ravenne (IV, 26).

[39] Par Vannes à Carhaix (Vorgium, Vorganium) et, en fin de ligne, à Gesocribate (Brest ou plutôt Castel Ac’h, près duquel nous trouvons un milliaire de Claude, XIII, 9016 : la lecture Nlvii, qui me parait certaine, indique la distance en milles de l’endroit, Kerscao, à Vorgium ou Carhaix).

[40] D’Orléans à Chartres (manque dans les textes) et Dreux, puis d’une part à Rouen ou à Lillebonne, d’autre part à Lisieux et sans aucun doute au delà vers Vieux (milliaire de Trajan, 8990) et Bayeux. De Tours au Mans, à Séez, à Vieux, Bayeux, Valognes, Coriallum (Cherbourg) : route fort importante, réparée par Claude près de Bayeux (XIII, S976). Du Mans à Avranches par Jublains (passage de la Mayenne, soit au pont de Brives, soit au gué de Saint-Léonard : C. I. L., XIII, 8975 et du Mans à Rennes par Jublains ou directement. D’Angers à Rennes, et de là à Avranches, Coutances, Valognes, Cherbourg. — Route transversale de Chartres (venant de Paris) au Mans.

[41] De Rennes (cf. n. précédente) à Corseul (Fanum Mollis) et Erquy (Reginca) une des plus connues de Bretagne dans ce dernier trajet (la route moderne s’y est simplement superposée). De Vannes à Rennes. De Vannes à Corseul. De Carhaix à Castel (n. 39), à Erquy, à Brest : Carhaix était alors, comme aujourd’hui, le centre routier de la Bretagne française.

[42] De Decize à Bourges et Tours. De Roanne à Vichy, Néris, Argenton, Poitiers, Nantes, route très importante pour les cités du Centre. A Argenton, arrivée de la route de Troyes, Auxerre, Bourges, vers Poitiers et Saintes. — Je ne serais pas étonné que Claude, dont on trouve des milliaires sur la route de Lyon à Clermont, peut-être de Clermont à Bourges (XIII, 8908 ?, attribué à la route de Vichy), ait eu l’idée d’une grande route postale par Lyon, Clermont, Bourges, Tours, et de là sur Cherbourg, (milliaire au voisinage de Bayeux) et vers la fin de l’Armorique (milliaire de Korscao), complétant ainsi le réseau d’Agrippa.

[43] La route directe de Lyon à Clermont par Fours et la montagne a été réparée par Claude (XIII, 8910, 8909 ?, près de Billom).

[44] De Limoges à Saintes, outre la voie directe par Germanicomagus, il me semble reconnaître sur le terrain une route qui rejoint à Aulnay (par le théâtre de La Terne près de Luxé ?) la voie de Poitiers à Saintes, mais qui continue au delà vers la nier, dans la direction de La Rochelle : c’est cette route (de Limoges à Aulnay) dont les archéologues limousins font d’ordinaire la route principale d’Agrippa, de Limoges à Saintes ; cf. en dernier lieu Ducourtieux, Les Voies romaines en Limousin, 1909 (Bull. de la Soc. arch.), p. 59 et s.

[45] C’est la voie d’Agrippa, et j’indique le tracé de Strabon (IV, 6 ; 11 : milliaire de Claude près de Clermont, 8920). — Comme elle n’est pas directe, elle comportait des compendia fort importants, et tout particulièrement les chemins, d’ailleurs très connus, de Clermont (par Ussel et le sanctuaire de Tintiniac) et de Limoges à Périgueux et de là à Bordeaux, de Clermont à Mauriac, le pont de Drive, Périgueux. — Quant à établir, comme on le fait d’ordinaire d’après la Table (C. I. L., XIII, p. 636 et 646), que la route de Lyon à Clermont passait par Roanne et Vichy, celle de Lyon à Bordeaux par Cahors et Agen, c’est une manière puérile de suivre servilement un très médiocre document. La route bizarre notée sur la Table, par Lyon, Feurs, Saint-Paulien des Vellaves, Javols des Gabales, Rodez, Cahors, Agen, n’est en effet qu’une combinaison artificielle de tronçons de routes, présentée de manière à réunir par un seul chemin tous les chefs-lieux des cités de la montagne. — Pour aller de Lyon à Cahors et Agen, il y avait sans doute une voie directe par le pont de Saint-Rambert sur la Loire, Saint-Bonnet-le-Château, Craponne, le pont de Brioude sur l’Allier, Aurillac. — De Craponne sur ce chemin part la route de Lyon, Saint-Paulien, Javols, Rodez, vers Toulouse.

[46] C’est le trajet normal à l’époque romaine, conservé par le Moyen Age : le détour par Saintes s’explique par l’importance de la cité. Mais je crois à une route directe de Poitiers à Bordeaux par Angoulême (cf. Aimoin, V. Abbonis, Migne, P. L., CXXXIX, c. 497) et Coutras. — En outre, on peut supposer, pour les voyages rapides à destination du Somport, un chemin rectiligne se détachant du précédent à Montmoreau, passant par Aubeterre. Francs, Castillon, La Réole ou Langon (c’est celui qu’a suivi jusque-là Ablon, c. 408-9), Bazas (de Langon à Bazas, cf. Sidoine Apollinaire, Ép., VIII, 12, 1 et 3), Aire et Lescar (cf. Ausone, Epist., 23, 121-6). — Une route de port assez importante (sans doute pourvue de milliaires, cf. le lieu de Cartelégue, Quartaleuca) allait d’Angoulême à Blaye.

[47] Deux voies de Bordeaux à Dax, l’une sans doute par le pays de Huet et le voisinage des étangs, l’autre par Belin et les Grandes Landes (It., p. 455-7).

[48] Vers Pampelune.

[49] It., p. 455 et 4523 : Dax, Benearnum (Lescar), vers Saragosse. — Les voyageurs de Lyon trouvaient sans doute dans le val d’Aran ou dans la vallée d’Aure d’autres passages des Pyrénées dans la même direction de Saragosse ou dans celle de Lérida et Tarragone : ils gagnaient ces vallées par la voie directe de Rodez et Toulouse.

[50] Outre la voie d’Agrippa, les relations entre Lyon ou le Centre et le Midi étaient assurées par les routes ou sentiers suivants, très anciens et demeurés très populaires. 1° La voie du pays de Lozère décrite par Sidoine Apollinaire (Carm., 24) : Clermont, Brioude, la traversée de la Margeride, le passage de la Truyère, Javols (sublimem urbem in puteo), Trevidon (Saint-Laurent-de-Trèves), et de là vers Nîmes, soit par Saint-Jean-du-Gard et Anduze (la voie normale au Moyen Age ; cf. vallis Francisca), soit par Alais où elle rejoint la voie suivante (cette dernière direction indiquée par Sidoine, si l’on place son Vorocingus à l’ancien lieu de Brocen près d’Abois). 2° La voie Rejordane, de Saint-Paulien à Nîmes par Alais ; d’Alais et d’Anduze une route, au pied des Cévennes, s’en allait rejoindre par l’Hérault (Saint-Guilhem) la via Domitia à Béziers. 3° La route du Pal, de Clermont d’un côté et de l’autre de Feurs sur Saint-Paulien (c’est, dans ce dernier trajet, la fameuse voie Bolena ou la Bolène [route des Bornes ?] ; cf. XIII, 8871), et à la fin aboutissant d’un côté à Aps et Viviers, de l’autre à Uzès et Nîmes (XII, 5573-83) ; c’est cette route, aux vieilles bornes des Césars, qu’indique Sidoine, Carm., 21, 5-7. 4° La route de la rive droite du Rhône, faite ou refaite par Antonin (XII, 5559 et s.). 5° La route ancienne des Marseillais, qui continue vers le sud la voie du Pal (n° 3) par Pont-Saint-Esprit, Orange, Cavaillon, Salon et rejoint vers Rognac la route marseillaise d’Arles sur la rive orientale de l’étang de Berre : c’est, je crois, à cette voie qu’appartiennent les milliaires d’Orgon (Auguste et Antonin, XII, 5499, 5500, si du moins ils n’ont pas été déplacés) ; elle a dû en effet attirer l’attention des empereurs, car, d’Orange à Salon, elle évitait le détour par Avignon, Tarascon, Arles. 6° La voie subalpestre de Munatius, de Grenoble à Fréjus, que nous allons retrouver.

[51] De Lyon à Vienne la voie principale passait par la rive droite pour retrouver le pont a Vienne et passer ensuite sur la rive gauche : mais il y avait un compendium sur la rive gauche, que l’on gagnait en traversant en bac le Rhône à Lyon.

[52] Strabon, IV, 6, 1 : c’est la voie d’Agrippa, que le géographe fait arriver έπί τήν Μασσαλιωτικήν παραλίαν, ce qui peut signifier aussi bien jusqu’à Tarascon que jusqu’à Fréjus, et peut aussi viser une des routes directes de Marseille à Arles.

[53] Un chemin direct, évitant à la fois Tarascon et Arles, partait d’Avignon, passait à Saint-Gabriel (Ernaginum), et de là allait rejoindre à Fontvieille la route montant d’Arles.

[54] Ce nom (via Aurelia... Arelatum usque, It. Ant., p. 289) s’explique parce qu’elle était le prolongement de la route de ce nom, construite sous la République, de Rome vers la frontière d’Italie par le littoral, mais il est évident que c’est par abus ou par erreur que l’on a étendu ce nom du Var à Arles, puisque la vraie via Aurelia s’arrêtait avant Pise et que la route du littoral s’appelait ensuite via Scaura et, depuis Vada Sabatia jusqu’au Var, via Julia Augusta (celle-ci construite en 13-12 av. J.-C.) ; mais l’extension graduelle du nom de via Aurelia vers le nord n’en est pas moins certaine dans l’Antiquité (per Aureliam usque ad Alpes Maritimas, V. Aureliani, 48, 2). Cette route de Provence a dû être construite par les Romains bien avant Agrippa.

[55] La route directe est par Arles et Aix (Marseille est réunie à Aix par une très vieille route particulière). Remarquez qu’aucun des itinéraires ne donne ce parcours, si facile à reconnaître par les vestiges et les milliaires : la Table fait même faire à la route le détour de Saint-Remy, par le nord des Alpines ! Et que ce trajet direct d’Arles à Aix fût la vraie route postale, et non pas le trajet par Marseille, c’est ce que prouve bien l’abondance de milliaires sur cette route, alors que celles de Marseille à Arles en sont complètement dépourvues. Et c’est ce qui résulte aussi du texte de Strabon, IV, 1, 3. — Mais de Marseille partaient aussi deux routes directes vers Arles : 1° l’une à l’ouest de l’étang de lierre, par Fos, qui devait être la voie antique des Marseillais et de Marius ; 2° l’autre à l’est de l’étang, par le pont Flavien (sur la Touloubre, à Saint-Chamas). — Les itinéraires écrits, d’ailleurs concordants (Table, Antonin, Anonyme de Ravenne), ont complètement perturbé la route normale : de Marseille ils font aller à Calcaria (14 milles, vers Vitrolles), ad Vicensimum (20 milles, de Marseille [?], au passage de l’Arc), colonia Maritima (le port de Miramas ou Saint-Chamas ?), Fossæ Marianæ (Fos) et Arles : on fait donc faire tout le tour de l’étang à la route, ce qui est d’impossibilité absolue, les voyageurs n’ayant aucune peine à trouver un bon chemin direct de Miramas à Arles par la Crau.

[56] Cf., pour cette route, t. VI, ch. V.

[57] Ici se place le passage du Rhône à Tarascon.

[58] La route de Tarascon à Narbonne est, de beaucoup, celle de toute la Gaule qui a livré le plus de milliaires (C. I. L., XII, p. 666 et s.).

[59] Κοινή όδός, dit Strabon, IV, 1, 3. — Je crois à l’existence d’un chemin direct, évitant le coude de Nîmes, pour les voyageurs de Rome à Narbonne, compendium allant d’Arles à Sextantio par le pons Ærarium sur le Petit Rhône, et c’est ce chemin qui explique la différence de 19 milles indiquée sur ce trajet dans certaines bornes.

[60] Strabon, IV, 1, 3 et 12. La route partait, soit de Tarascon, soit d’Arles, les deux tronçons se soudaient à Saint-Gabriel, Ernaginum, un des carrefours les plus importants de la Provence. Puis, elle passait la Durance à Cavaillon, coupait par Apt à travers les pentes du Lubéron et ne rejoignait la Durance que vers Lurs.

[61] Quoique le parcours de Toulouse à Agen manque sur les itinéraires, j’hésite à ne pas mettre une grande voie romaine sur toute la Garonne (rive droite jusqu’à Agen, rive gauche ensuite jusqu’à Bordeaux). — Mais cette route a dû être fortement concurrencée, soit par le fleuve, soit par les routes de l’Armagnac : 1° de Toulouse à Agen par Lectoure ; 2° de Toulouse à Bordeaux par Auch, Eauze et Bayas ; voyez sur cette route, outre la Table, l’Itinéraire de Jérusalem, p. 549-550 : c’est la dernière partie de cette route, de Bazas à Bordeaux, dont on aperçoit les vestiges, connus sous le nom de chemin Galien. — Quoique non marquée par les itinéraires, je crois à l’existence d’une route diagonale de l’Aquitaine par Agen, Sos, Tartas et Dax, route suivie jadis par Crassus.

[62] Pour la plus grande partie, Itin. Ant., p. 457 ; hypothétique de Dax à Bayonne. Il est possible qu’on allât plus rapidement à Bayonne par une route directe partant de Benearnum (Lescar). — Je crois qu’il y avait, plus au sud encore, une très ancienne piste de montagnes allant de Roussillon ou d’Elne à Oyarzun par les cols latéraux.

[63] Cités ici, note 61.

[64] Le principal chemin de ce côté (point toujours marqué dans les textes), qui est un chemin du bas de la grande montagne, part de la voie Domitienne au pont de l’Hérault (Cessero, Saint-Thibéry), traverse les Cévennes au delà de Lodève (jonction avec un chemin venant de Nîmes par Le Vigan), passe. à Rodez, Cahors, rejoint la Dordogne au gué de Lalinde et la suit sur sa rive droite jusqu’au port de Blaye. — De Cahors un embranchement menait aussi à Périgueux et à Saintes.

[65] Dans le secteur de Roncevaux à Bordeaux et Saintes.

[66] Ou du Somport, les deux voies se réunissant à Dax.

[67] Sur le trajet de Saintes à Poitiers, les itinéraires font, vers Melle, abandonner à la route le trajet direct sur Poitiers et lui font rejoindre vers Rom, Raraunum (C. I. L., XIII, II, p. 662-3), la ligne droite unissant Bordeaux, Angoulême, Poitiers : mais une grande voie allait certainement droit de Melle sur Poitiers, et c’est le chemin des pèlerins de Saint Jacques, le chemin des Charrois du XVIIIe siècle (Lièvre, Mém. de la Soc. des Ant. de l’Ouest, IIe s., XIV, 1891, p. 471). — La ligne Melle-Rom se continuait vers le nord-est pour atteindre Argenton et Bourges : et cela formait ainsi un chemin droit entre Bourges et Saintes (on a proposé d’autres tracés pour la communication directe entre ces deux villes).

[68] T. VI, ch. VI.

[69] T. VI, ch. VI. De Paris à Bavai par Senlis la route manque dans les textes ; mais il est facile de la retrouver sur le terrain, en particulier de Vermand (elle ne passe pas par Saint-Quentin) à Bavai, où son tracé rectiligne est peut-être le plus curieux qu’ait laissé en Gaule une route romaine ; tout indique d’ailleurs que ce tracé remonte aux temps celtiques. De Bavai elle conduit à Cologne par Tongres, et là encore c’est une très vieille route fort connue de César. Louis Guichardin (vers 1567) a très bien reconnu la direction et le tracé de la voie a Tungris recto itinere Lutetiam usque (Omnium Belgii, éd. de 1613, p. 306). — Des embranchements menaient, au delà de Tongres, à Xanten, et sans doute de Tongres et de Bavai vers Bois-le-Duc et Nimègue (Table, 1, 4).

[70] Son principal rôle international est, sur le secteur Cologne-Bavai, continué par la route Bavai-Boulogne, d’assurer les relations entre la Germanie Inférieure et la Bretagne.

[71] Il devait y avoir, à gauche de cette voie, un chemin direct de Saintes à Nantes par la Vendée. — Alors comme aujourd’hui, cette route diagonale du Nord vers les Pyrénées (sur Roncevaux d’un côté et sur le Somport de l’autre) était doublée par d’autres voies parallèles : 1° en partant d’Orléans, vers Bourges. Limoges, Périgueux, Eysses, Agen, Auch, et au delà vers Saint-Bertrand-de-Comminges : je crois qu’à Lannemezan un chemin montait vers la vallée d’Aure (très profondément romaine), pour franchir les Pyrénées au col du Rioumajou (la direction est presque rectiligne depuis Orléans) ; mais de Saint-Bertrand la route devait continuer sur Ludion et peut-être l’Espagne par le val d’Aran ; 2° en partant de Limoges, par le pont de Brive vers Cahors (manque sur les itinéraires) et Toulouse, et peut-être au delà dans la vallée de l’Ariège ; 3° en partant de Brive, à Albi (où l’on devait croiser la route de Lyon à Toulouse par Rodez), Castres, Carcassonne. — Les voyageurs de Clermont rejoignaient ces réseaux en passant par Mauriac et de là sur Rodez par Aurillac ou sur Cahors par Gramat (remarquez l’importance de Mauriac comme carrefour). — Les voyageurs venant de la France centrale à destination du Pertus devaient, à Carcassonne, prendre un compendium qui, par le Val-de-Daigne (vallis Aquitanica) et Lagrasse, les menait à Roussillon.

[72] Dès les campagnes de Julien, par exemple en 357 (Ammien, XVI, 11, 11 ; XVII, 1, 1-2).

[73] Très facile à suivre de Reims à Verdun. De Paris à Reims, l’existence de la route est certaine, quoique non attestée par les itinéraires.

[74] Au delà du Rhin, route de la Souabe. — Un autre chemin, doublant celui-ci vers le sud, menait de Reims à Toul, et sans aucun doute au delà à Colmar (Horbourg) par le col du Bonhomme.

[75] Très facile à suivre de Reims à Mouzon, Mosamagus :  c’est l’un des plus beaux, des plus hauts et des plus entiers qui soit en toute la Gaule Belgique, Bergier, p. 524. Au delà, par Moyen et Arlon vers Trèves. — A Moyen (Meduantum) près de Mouzon, une route directe partait vers Cologne, route qui devait rejoindre à Tolbiacum (Zulpich) le réseau rhénan ; j’avais songé, comme d’autres, à un parcours direct par Mézières, Marche, Aix-la-Chapelle et Juliers (Juliacum), à cause d’Ammien (Remos per Agrippinam et Juliocum petens, XVII, 2, 1) ; mais il s’agit ici de la route de Cologne, Juliers, Tongres, et de là à Reims par Mouzon ou directement. — De Mouzon, en effet, un chemin devait partir sur Marche et Tongres par les Ardennes (XIII, 9158 ?). — On peut songer, en outre, à une route directe de Tongres à Reims par Marche et Mézières, et de Tongres à Metz par Marche et Arlon. — L’importance de ces routes et de Mouzon comme carrefour a été jusqu’ici complètement méconnue, soit dans l’étude des campagnes de César, soit dans celle des itinéraires. — Marche est également un carrefour qui mériterait d’être mieux étudié.

[76] Par Bingen, Belginum et Biol.

[77] Une question assez importante est celle des communications rapides de Mayence et Trèves avec Boulogne et la Bretagne : il semble qu’il y ait eu deux ou trois routes : 1° par Trèves, Arlon, Moyen (route de Reims déjà citée ici, n. 75), puis Mézières, Vervins, Saint-Quentin et la chaussée, si visible encore, de Saint-Quentin, Vermand, Amiens ; 2° de Trèves à Bavai à travers les Ardennes, par Bastogne et le passage de la Meuse à Dinant : 3° entre les deux, peut-être de Trèves à Thérouanne et Boulogne par Mézières, Hirson, Le Coteau, Cambrai, Arras.

[78] Point terminal au nord, Leyde ou Lugdunum, caput Gemaniarum (It., p. 368). — Deux routes menaient ensuite de Leyde à Nimègue, l’une par le sud du Wahal, l’autre par le nord (C. I. L., XIII, p. 610). — De Nimègue à Mayence, route unique (milliaire de Claude, XIII, 9145). — De Mayence à la région de Bâle, deux routes parallèles (voir la carte de Schumacher ap. Koepp, 1912, p. 137) : l’une près du fleuve, et celle-là, œuvre sans doute des Romains ; l’autre, plus ancienne et réunissant les vieilles localités de l’Alsace, suivant le bas de la côte (Landau, Wissembourg, Brumath ou Brocomagus, Argentovaria (ou Horbourg près de Colmar) ; l’une et l’autre, réunies maintes fois par des chaussées transversales, par exemple de la région de Belfort vers Kembs d’une part et vers le passage de Brisach de l’autre. Peut-être le système devenait-il un instant unique entre Seltz et Brumath. — De la région de Bâle au lac, voie unique, par Augst et Windisch. — Les principaux points d’accès, sur cette route, des voies de l’intérieur sont : Nimègue et Xanten, venant de Tongres ou de Bavai ; Neuss, Cologne et Bonn, venant de Trêves et de Lyon ; Cologne, venant de Tongres et de Bretagne ; Coblentz, voie fluviale venant de Trèves par la Moselle ; Bingen, voie de Trèves sur Mayence : Strasbourg, voie de Reims ; le passage de Brisach d’un côté et Kembs de l’autre, voie de Besançon ; Augst d’un côté et Windisch de l’autre, voies de Lyon et d’Italie. — Deux routes importantes se greffaient sur cette voie frontière, destinées aux terres romaines de la rive droite : de l’ouest à l’est, partant de Strasbourg vers la Souabe et la vallée du Danube, construite par Vespasien ; du nord au sud, partant de Windisch dans la même direction, et commencée peut-être par Drusus.

[79] Je dis des Anciens, car toutes ces routes sont antérieures aux Romains.

[80] Ce sont des secteurs de voies partant du Petit Saint-Bernard pour aller sur le Rhône.

[81] C’est la voie de Munatius, si complètement oubliée dans l’étude de la viabilité gallo-romaine. — De Sisteron, une route, je crois, desservait les petites capitales alpestres, par Digne, Senez, Castellane, Vence et Cimiez (c’est cette route que les éditeurs du Corpus, XII, p. 632-4, après bien d’autres, fout partir, tout à fait à tort, de Riez).

[82] Voici la ligne, à peu près certaine, de la piste muletière qui suivait la direction de la chaîne frontière. En partant de Martigny sur le Rhône dans le Valais (débouché du Grand Saint-Bernard) : 1° col de Balme, par où l’un sortait des Alpes Pennines pour entrer dans les Alpes Grées chez les Ceutrones (cf. l’inscription de La Forclaz, C. I. L., XII, 113), puis vallée de Chamonix, vallée de Montjoie ; 2° col du Bonhomme, débouché dans la Tarentaise à Bourg-Saint-Maurice (C. I. L., XII, 107), au pied du Petit Saint-Bernard ; 3° de là, vallée et col d’Iseran et passage en Maurienne ; 4° de la Maurienne à la Durance, on devait emprunter le mont Cenis d’abord et le mont Genèvre ensuite (ce à quoi fait peut-être allusion Ammien Marcellin, XV, 10, 4-7) ; 5° de la Durance au Queyras par le col d’Izoard (inscription des Escoyères, C. I. L., XII, 80) ; 6° par le col de Vars dans la vallée de Barcelonnette ; 7° par le col de La Cayolle dans la vallée du Var ; 8° passage à Glandève, col du Buis, Briançonnet, et, au delà, route de Sisteron à Cimiez ; 9° on pouvait rejoindre cette même route à Castellane par le col de La Foux et la vallée du Verdon. — Cette route, par laquelle communiquaient toutes les provinces alpestres, pourrait être appelée la route des intendants impériaux, préfets ou procurateurs, chargés spécialement de la police des Alpes.

[83] Les 7 chemins me paraissent les suivants : 1° Cambrai, vers Amiens. Rouen, la Normandie et l’Armorique ; 2° Le Cateau, vers Vermand, Paris et l’Espagne ; 3° Pont-sur-Sambre, vers Vervins, Reims et l’Italie ; 4° Maubeuge, vers Dinant, Trèves, le Rhin et le Danube ; 5° Binche, vers Cologne ; 6° Mons, vers Bois-le-Duc, et de là vers Nimègue, Utrecht ou Vechten, passages du Rhin vers la mer du Nord ; 7° Tournai, vers Cassel, Boulogne et le Pas de Calais ; et aussi, je crois, un vieux chemin de port, de Tournai vers Oudenbourg et Ostende ; il devait y avoir un 8e chemin, se détachant de celui de Cambrai près de Bavai, allant vers Valenciennes, ce qui indique Thérouanne et Boulogne comme direction rectiligne. — L’exemple de Bavai montre bien que toute ville chef-lieu était rattachée à tous les chefs-lieux voisins et à toutes les mers. Voyez, sur ces chemins de Belgique, quelques détails utiles au milieu de données hétéroclites, chez Gauchez, Topogr. des voies romaines de la Gaule-Belgique (Ann. de l’Ac. d’Arch., XXXVIII, 1382).

[84] Viæ militares exitum ad mare... habent, définit le Digeste, XLIII, 7, 3.

[85] Inscription du monument élevé sur la place de Bavai (Desjardins, Géogr., IV, p. 27). — La tradition des sept chemins de Brunehaut à Bavai remonte au moins au XIIIe siècle, puisqu’elle se trouverait chez Nicolas Rucler, qu’on peut supposer de ce temps : mais la manière dont il en parlerait semble indiquer qu’elle existait déjà, et aussi une inscription la mentionnant : il attribue d’ailleurs les chemins à Bavo, troyen, roi des Belges ; après lui, Lucius de Tongres et d’autres les attribuaient à Branehaldus ou Brunehuldis, l’archidruide, petit-fils ou descendant de Bavo ; voyez toutes ces histoires chez l’extravagant Jacques de Guyse [mort en 1398], éd. Fortia d’Urban, I, 1826, p. 233, 338, 364. Le nom de la reine Brunehaut, comme auteur de voie romaine, apparaît pour la première fois, à ma connaissance, dans la Chronique de Saint-Bertin (XIVe siècle, Jean Le Long d’Ypres, apud Pertz, Scriptores, XXV, p. 759-760), appliqué uniquement à la chaussée de Cambrai à Arras et Sangatte [et non Wissant, comme le dit par erreur la Chronique] ; mais la Chronique en parle comme d’un fait déjà connu. Je n’arrive donc pas à démêler à coup sûr si c’est la reine Brunehaut ou le roi mythique des Belges dont le nom est à l’origine de cette appellation ; mais j’incline de plus en plus à croire qu’on a songé d’abord à la reine, vu que, dès les derniers temps de l’époque carolingienne, son nom commençait déjà à être appliqué par les érudits aux ruines de l’Antiquité (Aimoin dès l’an 1000, Hist. Franc., IV, I). — De toutes manières, l’appellation de chaussée Brunehaut est une fantaisie d’érudit, de poète ou d’écolâtre, postérieure à la renaissance carolingienne, et sans le moindre rapport avec la réalité, la reine franque n’ayant jamais rien fait pour les routes (cela a été très bien vu par Bergier, p. 104).

[86] Bergier (qui était de Reims) compte sept chaussées autour de la ville (p. 518). Il est possible d’en retrouver sept autour de Paris (Chartres, Orléans, Sens rive gauche, Sens rive droite, Reims, Senlis et Rouen ; d’autres combinaisons sont possibles) ; de même autour de Sens, de Troyes, etc., mente de localités moindres, Blain, etc. Les sept routes partant de Cassel sont bien visibles. Mais il faut reconnaître que ce sont là surtout jeux d’érudits, facilités par le fait que, toute métropole de cité étant unie aux métropoles voisines, la chose entraînait nécessairement de six à huit grandes routes. — Pourtant, il est possible que les Romains aient cherché à réaliser ce chiffre de sept : le monument de Tongres (XIII, 9158) est à huit côtés, dont sept devaient porter des itinéraires. Et peut-être, surtout en Belgique, ont-ils subi en cela l’influence des cultes planétaires.

[87] Note précédente. C’était l’idée de Jacques de Guyse, I, p. 238, 338.

[88] En outre, c’était par des voies militaires que ces capitales communiquaient avec leurs ports : de là, la présence en Gaule de tant de voies romaines menant aux rivages, et la présence de milliaires impériaux par exemple sur les routes de Carhaix Castel Ac’h (9016), de Corsent à Erquy (8991 et s.), de Carhaix à Erquy (9013).

[89] Sauf exceptions. Cf. C. I. L., XII, 107 et 365 (où il s’agit peut-être aussi de chemins autres que la grande route, réparés par une générosité exceptionnelle du prince) ; etc. Dans les Alpes Cottiennes, Auguste laissa les frais et le soin des routes au roi Cottius, sans doute à la fois comme attribut de son autorité royale et obligation de sa vassalité (Ammien, XV, 10, 2). — Le gouverneur représentait l’empereur en cette circonstance. — Il n’y a aucune distinction à faire, en ce qui concerne les routes, entre provinces du sénat et provinces de César : la route, où qu’elle soit, est, comme le soldat, l’affaire de l’empereur. — Par exception, la voie du Somport, entre Gaule et Espagne, qui ne pouvait pas ne pas appartenir à la grande voirie impériale, est dite refaite, sans mention de l’auctoritas impériale, par un duumvir d’Oloron (XIII, 407). — On a supposé que la présence du nom de l’empereur au nominatif, avec ou sans restituit, indique son intervention directe ; s’il est au datif (très rare avant Trajan : XIII, 9055, Claude), avec nom de la civitas au nominatif, cela signifierait l’initiative des municipalités. J’en doute ; je crois que ce sont surtout des variantes de rédaction, locales ou temporaires : voyez par exemple, en Gaule, les bornes au nom de Maximin, où les deux formes se rencontrent sur les mêmes routes, et à la même date (XIII. 8861-4, 8866-7, 8874-8887), le nominatif chez les Vellaves, le datif chez les Ségusiaves). — En ce qui concerne les frais de la route, je pers4Ste à croire à l’intervention du fisc impérial, et, si elle n’est pas mentionnée directement, c’est qu’elle allait de soi. Cela n’exclut pas, cela va sans dire, contributions, prestations ou dons spontanés des communes et des particuliers. Il devait y avoir en cette matière des espèces infinies suivant les circonstances et les lieux (Siculus Flaccus, Grom. vet., p. 146).

[90] La grande route a pour symbole le milliaire au nom du prince ; C. Théod. ; Sidoine, Carm., 24, 5-8.

[91] Viæ vicinales (Digeste, XLIII, 7, 3) : XIII, 5166 (traversée du Jura à Pierre-Pertuis, de Bienne vers Porrentruy et l’Alsace, via ducta par un magistrat d’Avenches) ; XII, 4190 (aux frais de la municipalité, chemin de réservoir ou de lavoir) ; 1188 (aux frais d’un particulier, chemin de fontaine) ; 2555, 1524 (aux frais d’un particulier) ; XIII, 7252 (chemin de temple formant servitude sur un domaine) ; XIII, 4549, inscription du Donon : D(eo) Mer(curio), L. Fatini. Fel. miliaria a vico Saravo l(eugis) XII c(onstilui) j(ussit), v. s. l. m. (cf. t. VI, ch. VI) : c’est une des très rares mentions de milliaires sur des routes non militaires (il s’agit ici d’une route de pèlerinage vers un sanctuaire ; cf. Bechstein, Les Antiquités du Donon, trad. Baldensperger, Bull. de la Soc. philom. Vosgienne, XVIII, 1852-3, p. 348-354). Etc. — Je crois qu’on peut diviser ces routes vicinales en deux groupes, celles qui étaient assimilées aux publicæ, et celles qui servaient uniquement à des usages ruraux. — Les viæ vicinales étaient administrées par les chefs des pagi, sans doute sous l’autorité supérieure des chefs de cités : Gromat., p. 146. — Les viæ lignariæ sont les chemins de servitude forestière. — Toutes ces voies vicinales et privées étaient, non pas stratæ, mais terrenæ (Digeste, XLIII, 11, 1).

[92] Chemin marqué par l’inscription iter privatum, suivi sans doute parfois du nom du propriétaire. Il y en avait de sortes différentes, suivant qu’ils appartenaient à un seul propriétaire ou à plusieurs.

[93] Grégoire de Tours, In gloria confessorum, 5 (saint Martin, sur la route romaine de Néris à Clermont). Voyez le transport des reliques de saint Germain à Auxerre, sur la route d’Autun : (virgines) in itinere divinitus evocatæ... in publico aggere nobilem accepere sepulturam ecclesiis superstructis ; Héric, Miracula s Germani, § 33, dans les Acta, 31 juillet, VII, p. 272. Il y a mille autres exemples.

[94] Jullian, Romania, XX, 1896, p. 161 et s. ; cf., dans le même sens, Bédier, Les Légendes épiques, IV, 1013, p. 403 et s.

[95] La presque totalité des tracés suivis par les routes romaines se retrouvent avant la conquête.

[96] Cinquante milles en vingt-quatre heures ; trente milles en vingt-quatre heures.

[97] Voyez aussi le chemin d’Arras à Sangallo, celui qui mène de Doullens ou plutôt d’Arras à l’oppidum de Tirancourt, etc.

[98] Il y aurait à cet égard une étude à faire : rechercher si les routes romaines de l’Autunois ou de l’Auvergne eurent pour objectif, au début, Bibracte ou Autun, Gergovie ou Clermont. Au cas où ce seraient Bibracte et Gergovie, cela prouverait que leur construction est antérieure à celle des nouvelles villes. Dans la Belgique, je suis assez frappé du fait qu’une grande route du Nord, de Cambrai à Soissons (au delà, vers Sens ?), vise l’oppidum de Pommiers et non pas Soissons ou Augusta ; du fait aussi que la grande voie de Bavai à Paris vise l’oppidum de Vermand et non pas Saint-Quentin ou Augusta.

[99] En supposant que les Gaulois n’aient pas déjà préparé leurs routes par battage, cailloutage ou empierrement, chose qui serait après tout fort possible.

[100] Outre les remarques capitales de Bergier : Gautier, Traité de la construction des chemins, oit il est parlé de ceux des Romains, 3e éd., 1755 ; de Matty de Latour, Voies romaines, système de construction et d’entretien, 1865, 7 vol. ms. à la Bibliothèque de l’Institut (nombreux et intéressants relevés de coupes).

[101] La distinction entre routes empierrées et routes pavées s’est continuée jusqu’à nos jours et demeure classique dans l’enseignement des Ponts et Chaussées. Les unes et les autres étaient des stratæ.

[102] Silex, lapis ; Digeste, XLIII, 11, 1 ; Tibulle, I, 7, 60 ; Tite-Live, XLI, 27 ; C. I. L., XII, 365 (aux environs de Riez sous Hadrien, vias silice sternendas). — Surtout dans le Midi (ici, n. 105) et dans la traversée des grandes villes (ici, n. 105) : mais le pavage doit avoir été l’exception en Gaule.

[103] Glarea ; Digeste et Tite-Live, l. c. ; Tibulle, I, 7, 59 ; iteratarum glarea trita viarum, dit Ausone de la grande route de Bordeaux à Blaye (Epist., 10, 15). Surface de gravois dans un ciment mêlé de chaux, qui estoit de très bon alliage, dit Bergier, I, p. 218, 251. — Ce cailloutage de surface donne lieu à trois problèmes : 1° d’où proviennent les matériaux, du voisinage ou de gisements lointains ? 2° du choix de leur forme et couleur : à les prendre en gros, ils tirent à la couleur de fer (p. 250) ; 3° du mode de construction : on les espandoit à la pelle ; puis on les en fonçoit et affermissait à coups de batte (p. 251). — C’est la couverture habituelle des routes romaines en France.

[104] Et de cela se faisait une crouste de telle fermeté et retenement, que nous les voyons avoir resisté à la pluye, aux neiges, aux bruines, aux gelées et autres humidités du temps : et qui plus est, au froissement continuel des pieds des chevaux et du charroy, par l’espace de quinze et seize cents ans continuels ; Bergier, p. 252.

[105] Voyez les vestiges de la voie Aurélienne dans le Midi, surtout entre Aix et Arles (Gilles, Les Voies romaines et massiliennes dans le département des Bouches-du-Rhône, 1584, p. 59, 72 : il faut contrôler tous ses renseignements), aux abords d’Aix (Clerc, Aquæ Sextiæ, p. 362 et s.). Voici un exemple topique de l’excellent ajustement de ces dalles dans la traversée d’Aix (Clerc, p. 366) : lorsqu’on creusa les caves de certaines maisons, on éprouva de telles difficultés pour démolir les dalles de la voie, que l’on creusa les caves par-dessous, laissant les dalles comme plafond. — On aurait trouvé des dalles (avec ornières) dans les Vosges. — H. Ferrand m’en signale sur les grandes voies des Alpes. Etc.

[106] On peut en signaler dans les parties conservées de la voie Aurélienne et de certaines routes de montagnes directement taillées dans le rocher. Les plus significatives sont celles de la route de l’Autaret du côté de Mont-de-Lans, larges de 0 m. 06, avec écartement de 1 m. 44, ce qui est encore la voie normale de nos chemins de fer (Ferrand). Ornières à Aix, Clerc, Aquæ Sextiæ, p. 363, 367 ; à Alésia (1 m. 54 d’écartement), Espérandieu, Bulletin arch., 1914, p. 175 ; autres exemples de voies à rainures, Caillemer, Congrès arch. de Vienne, 1879, p. 277 et s. ; sur les chéraux ou rainures des vieux chemins dans la région rocheuse de la Meuse, de Loë et Rahir, Ann. de la Soc. d’Arch. de Bruxelles, 1907, XXI, p. 355 et s.

[107] La question est même de savoir si, dans certains cas, les ornières des routes de la Gaule n’ont pas été préparées de main d’homme, comme les voies à rainures des anciens Grecs.

[108] Relevés sur hautes terrasses, Bergier, I, p.248 ; véritable mur horizontal solidement maçonné, Debauve, Guide du constructeur, II, p. 501 (2e éd. ; 1re, p. 499). C’est l’impression que veut donner Stace, Silves, IV, 3, 40-53 (saxa ligant, etc.).

[109] Voyez la description de Stace (Silves, IV, 3, 40 et s.) : on commence (dans certains cas) par creuser un fossé profond, qui va servir de lit à la construction, et dans ce lit on bâtit, comme une muraille, le corps de pierre qui porte la route, et summo gremium parare dorso, ne nutent sola, ne maligna sedes det pressis dubium cubile saxis.

[110] Ce béton, qui manque s’il s’agit d’un sol rocheux, est nécessaire dans les parcours marécageux, par exemple aux abords d’Auxerre (Quantin et Boucheron, p. 21) ; c’est le ciment de chaux et d’arène à la traversée des marais de la Vesle (Bergier, I, p. 181) ; etc. Le béton n’exclut pas le hérisson, qui suit, mais le complète et le fortifie dans ces cas-là.

[111] Bergier, I, p. 181 ; Gautier, p. 7 ; Quantin et Boucheron, p. 56 ; de Fontenay, p. 53 : à la grande rue d’Autun, assise de moellons de grés houiller posés sur champ. C’est sans doute le statumen de Vitruve, VII, 1, 1-3.

[112] Id. ; voyez, à la grande rue d’Autun, le massif de béton formé de cailloux roulés et de terrain sableux fortement comprimé. C’est sans doute le rudus ; Vitruve, VII, I, 1 et 3 ; Pline, XXXVI, 186 et 188.

[113] C’est, dit Bergier (p. 182-3), ce que l’on appelle en Champagne crouin [cf. Godefroy, Croion]. Sans doute le nucleus ; Vitruve, VII, 1, 3 ; Pline, XXXVI, 187 ; cf. Virgile, Georg., I, 178-9.

[114] Laquelle couche de surface peut avoir jusqu’à un demi-mètre d’épaisseur.

[115] Voyez les expressions de Stace, n. 109.

[116] Le hérisson peut disparaître dans les endroits solides ; mais le remplissage de pierraille n’y atteint pas moins, parfois, jusqu’à un mètre.

[117] Trois pieds, disait Bergier (p. 183) ; mais on a trouvé beaucoup plus.

[118] Cf. Stace, ici, n. 109 ; Vitruve, VII, 1, 1.

[119] Bergier, I, p. 251 : Es grands chemins de nostre Gaule Belgique... les fondations sont munies de part et d’autre de grosses pierres, dont les moindres pèsent vingt ou trente livres, et aucunes plus de cent. Ces gros cailloux sont arrangés au cordeau, sans que l’un passe ou desborde l’autre ; et sont tellement alliez ensemble, qu’ils tiennent en état, non seulement lesdites fondations, auxquelles ils sont plus particulièrement affectez, mais aussi... autres couches. I, p. 602 : La plus basse [des couches] est bordée de part et d’autre de grosses pierres, disposées à ligne droite, et comme tirées au cordeau, qui servent de lissiere et de retenue aux matières desdits chemins.  Ces lisières  intérieures n’ont pas encore été assez étudiées. Je crois que ce sont elles que désigne Stace par gomphi, et qu’il appelle umbones les grandes pierres de la lisière extérieure, surélevées et formant trottoirs (Silves, IV, 3, 47-8) : Umbonibus hinc et hinc coactis et crebris iter alligare gomphis. Bergier (I, p. 143) interprète gomphi par agrafes de fer joignant les pierres de trottoir ou umbones.

[120] Gautier, p. 7 ; etc.

[121] Ici, n. 119. Voyez l’excellente description de la route romaine, déjà faite au milieu du XVe siècle par Louis Guichardin à propos de celles de Belgique : Vestigia continuati et cohœrentis muri, qui et viam utrimque muniverit, et quo marginata ipsa, pulvilli seu aggeris speciem obtinuerit (Omnium Belgii, éd. latine de 1613, p. 306).

[122] L’épaisseur moyenne de nos routes nationales est tombée de 0,134 à 0,131 ; Chambre des Députés, VIIe lég., n° 601, Rapport du Budget, 1899, Travaux publics, p. 61.

[123] De là, l’expression de agger, agger viæ, pour désigner le corps même, le centre de la route (Virgile, Énéide, V, 273, et bien d’autres).

[124] C’est le principe du point à temps ; cf. là-dessus Berthault-Ducreux (l’inventeur du système), De l’art d’entretenir les routes, Paris, 1834, etc. ; Debauve, Guide du constructeur, 2e éd., II, 1883, p. 516 et s. (1re éd., p. 514) ; Baron, Cours de routes, 1873-4 (autographie du cours professé aux Ponts et Chaussées), p. 34 et s. ; etc.

[125] Aucune trace de réfection générale de la voie Domitienne entre 145 et Tetricus (si la borne appartient à cette route, Dessau, 567).

[126] Voyez les inscriptions des milliaires. Gela explique en partie le temps qui fut mis sous Auguste à refaire la route du Midi.

[127] Margines, erepidines, umbones : ils doivent saurent former l’étage supérieur des murs de soutènement, et contribuer par là à tenir le corps de la route, dont ils étaient la lisière extérieure. — Les trottoirs de la voie Appienne avaient, dit-on, deux pieds de large. Mais je doute fort que tontes les routes de la Gaule en aient reçu, encore qu’on signale çà et là de grands accotements en dalles, par exemple sur la voie Aurélienne entre Aix et Arles (Gilles, p. 63).

[128] La chose demeure incertaine pour la Gaule ; cf. Gilles, p. 72.

[129] Supposé d’après les chiffres des largeurs.

[130] Même remarque, et chose d’ailleurs naturelle.

[131] Isidore, XV, 16, 7, si du moins on interprète dans ce sens media stratæ eminentia : cf. l’expression de putvillus, coussin, imaginée par Louis Guichardin. Pasumot a constaté (p. 31) que la voie romaine présente une éminence qui facilite l’écoulement des eaux à droite et à gauche. Voyez la coupe d’une voie à Autun (Soc. Éduenne, n. s., I, 1872, pl. de la p. 354).

[132] Henry II est le premier qui ait ordonné de planter des arbres le long des chemins ; Continuation du Traité de la Police (Delamare, IV), p. 505.

[133] Certaines pistes, se dirigeant vers le Beuvray, certainement d’origine gauloise (par exemple la route venant de Toulon), m’ont frappé à certains endroits par leur extrême largeur.

[134] Gaius, Digeste, VIII, 3, 8 : 16 pieds, ubi flexum est, mais il ne s’agit sans doute pas des grandes voies d’Empire. On exige davantage aujourd’hui : la largeur de 6 m. est à peu près nécessaire pour que deux voitures puissent se rencontrer sans risquer d’accrocher et sans être obligées de ralentir (Baron, p. 24).

[135] Gromatici vet., p. 196, encore que le passage doive être interprété que la via publica militaris a nécessairement plus de 12 pieds.

[136] Gaius, l. c., dans le cas des sections droites, in porrectum (mais je doute que ce texte puisse s’appliquer aux routes impériales). Ce devait être la largeur dans les routes de montagnes. Voici le principe actuel : en général, les chaussées se composent d’une chaussée centrale variant de 3 m. à 8 m., de deux accolements de 1 m. 50 à 6 m. 50, de deux fossés ayant chacun 1 m. à 3 m. de large (Baron, p. 24).

[137] 20 pieds de pavé, Bergier, I, p. 602 ; 7 mètres d’empierrement sur la route de Sens à Orléans (Quantin et Boucheron, p. 29), laquelle n’est pas une voie maîtresse ; 5 mètres de pavage sur la voie Aurélienne entre Aix et Arles (Gilles, p. 72). — Cela répond assez aux largeurs constatées pour les rues principales des villes.

[138] Notes 136 et 139. Je me demande même si le principe de la largeur totale de 60 pieds, fixé par l’ancienne Monarchie, ne résulte pas, en dernière analyse, de la constatation faite sur les voies romaines (ici, n. 139).

[139] Dimensions déjà données par Philippe de Beaumanoir, Coutume de Beauvaisis, § 719, éd. Salmon : Li chemin que Juliens Cesars fist fere... de LXIIII [var. LX] piés de large. Bergier, I, p. 602 : 20 pieds de pavé et 20 pieds de chaque pente. 20 mètres mesurés entre fossés sur la route de Sens à Orléans (Quantin et Boucheron, p. 29). — L’arrêt du Conseil du 3 mai 1720, fixait la largeur des grands chemins à 60 pieds (Traité de la Police, IV, p. 476).

[140] Dans ce cas, la comparaison peut se faire avec nos routes nationales habituelles (ici, n. 139 et 139).

[141] Le chemin de Paris à Saint-Denis était évalué à 108 pieds, 15 toises (Traité de la police, IV, p. 476). Aux approches de Bordeaux, la route nationale de Paris atteint 21 m. entre trottoirs et 42 m. entre fossés.

[142] Ces chemins parcouraient ordinairement la crête des montagnes, pour n’être point traversés par aucune ravine ; Gautier, p. 7. De là, la raideur des pentes, n. 143.

[143] Au Cenis (Ammien, XV, 10, 4) ; au Genèvre (id., 6) ; au Grand Saint-Bernard (Strabon, IV, 6, 11). Voyez la description de la traversée des montagnes centrales, je suppose de Beaune à Autun : militares vias ita confragosas et alternis montibus arduas atque præcipites ut vis semiplena carpenta, interdum vacua, transmittant (Panég., VIII [V], 7). — Plus de dix pour cent, même dans les villes. Ils admettaient des déclivités excessives, jusqu’à 0 m. 15 et 0 m. 20 par mètre, non seulement en montagne, mais aux rampes d’accès des ponts (Leger, Travaux publics, p. 163).

[144] Sauf exceptions ; tranchée de 13 m. à Pierre-Pertuis près de Bienne (Leger, p. 166 ; C. I. L., XIII, 5166) : il est vrai qu’on a soutenu que l’ouverture avait été produite naturellement par les eaux (de Saussure, Voy. dans les Alpes, II, 1787, § 331), et tout au plus élargie par les Gallo-Romains. — De toutes les œuvres d’art que comportaient les routes, les tranchées, qui rendent la marche plus rapide, étaient de beaucoup les plus familières aux Romains ; en Gaule, XII, 1524 (viarum usum cæsis utrimque montium lateribus), 2555 (ici, n. 146).

[145] Les ingénieurs romains savaient, dès l’origine, qu’une route devait être beaucoup plus large aux tournants.

[146] Tout ceci ne peut être une conclusion absolue. Sur la voie de Vienne à l’Isère, M. Ferrand me signale au col d’Aiguebelette une montée en 7 lacets doubles, la route étant portée par un mur de soutien haut parfois de 8 m., avec énormes parapets du côté du vide ; cf. sur la route de l’Autaret . D’une manière générale, quand il faut que le chemin revienne sur ses pas, le retour est brusque, en zigzags à angles aigus, comme dans une piste muletière (sur la route de Roncevaux, Colas, p. 18). Leger (p. 163) cite près d’Annecy, au pont Saint-Clair, une tranchée en rocher de 3 m. 25 de largeur, en rampe de 0 m. 15, et en courbe de 7 à 5 m. de rayon ; ce qui devait être extrêmement dangereux ; je pense qu’il s’agit de la tranchée mentionnée par l’inscription de Dingy-Saint-Clair (XII, 2555 ; cf. Revue Savoisienne, 1903, p. 282-3).

[147] Voyez par exemple la route de Paris à Sens par la rive gauche, laquelle partait de la rue Galande, gravissait la montagne Sainte-Geneviève par la rue de ce nom, vicus Magnus au Moyen Age (plutôt que par la rue Lhomond), la descendait par la rue Mouffetard et gagnait ensuite, pour s’y tenir, la ligne du plateau depuis Villejuif (Dubuisson-Aubenay, Itinéraire de Brie, 1646 et 1017, ms. de la Bibl. Maz., 4111, f. 123 r°) : depuis Villejuif jusqu’à Juvisy, chemin tres droict, puis par Essonnes et Ponthierrv au-dessus de la vallée. — C’est pour cela que les routes latérales à la Garonne et à la Loire ont été toujours concurrencées par des chemins d’intérieur.

[148] Même réserve qu’à la note 146.

[149] J’entends, bien entendu, des routes romaines sur sol gaulois.

[150] Cela fut remarqué dès l’origine (de Beaumanoir, § 719 : rectissimurn iter. Carolus Bovillus [de Bovelles], De hallucinatione Gallicanorum nominum, 1533, p. 103, etc.) : et les chaussées belges dites de Brunehaut sont les meilleurs exemples qu’on puisse trouver de chaussées rectilignes. Toutefois, en cela comme dans le reste, il faut se garder d’établir un principe absolu. On pourrait citer nombre de déviations, provoquées, soit par le désir de prendre et de garder la croupe des montagnes, soit par celui d’éviter certains bas-fonds ou marécages, soit peut-être par la nécessité de rejoindre certaines villes.

[151] Voyez, de même, le départ de la route du Somport à Oloron et sa montée par la croupe de Sainte-Croix.

[152] On a eu tort de croire, pour interpréter d’anciens documents, que la route romaine entrait dans la montagne, non pas par Saint-Jean-Pied-de-Port, mais par Saint-Michel-de-Beherobie. Le Saint-Michel en question, de ou in pede monis, pedis portuum, est un quartier de Saint-Jean-Pied-de-Port ; cf. Colas, La Voie romaine de Bordeaux à Astorga, Biarritz, 1913, p. 14 ; de Jaurgain, Revue des Ét. anc., 1916, p. 52-4.

[153] Il y avait du reste là un ancien sentier qui a précédé la route moderne.

[154] En cas de pentes infranchissables : cæsis utrimque montium lateribus, sur une voie rurale près de Sisteron (C. I. L., XII, 1524) ; à Dingy-Saint-Clair près d’Annecy, sur un chemin rural (XII, 2555) : peut-être à Escot sur la roule du Somport (C. I. L., XIII, 407) ; peut-être à Pierre-Pertuis. La brèche dite la Porte Taillée à Besançon est bien de l’époque romaine, mais elle a été faite pour l’aqueduc.

[155] Strabon (IV, 1, 12) signale les ennuis que, sur la route du Genèvre au Pertus, on rencontrait, au printemps et en hiver à cause de la boue des marais voisins des rivières (à Cavaillon sur la Durance ? à Tarascon sur le Rhône ?), en été à cause des débordements des torrents.

[156] Mêmes remarques chez Leger, Travaux publics, p. 251 et s. ; Leger est justement très dur pour l’incurie de l’État romain en matière de ponts.

[157] Sans doute surtout en bois et d’abord ponts de bateaux. Cf. les pilotis du pont de Mayence (Koepp, 2e éd., p. 140-2). Il pouvait y avoir dans certains cas des piliers de pierre ou des pilotis de bois renforcés de pierre, sur lesquels on disposait un tablier de bois facile à rompre : ce fut sans doute le cas du pont de Cologne sous Constantin (Panég., VII [VI], 13 ; cf. Westd. Zeitschrift, V, 1880, p. 238 et s. ; Klinkenberg, p. 315 et s.).

[158] Voyez ce que les Gaulois ont fait comme ponts, t. II. Des constatations semblables, qui ne sont pas à l’honneur de l’Empire, ont été faites en Grèce et en Asie (Mommsen, R. G., V, p. 209 et 330), et je ne crois pas qu’il faille en incriminer seulement le gouvernement du sénat.

[159] Encore remarquons que, sous Julien, les deux ponts de Paris sont toujours en bois (p. 340, Sp.) : il est vrai que les ponts de pierre ont pu être détruits par précaution lors des invasions de 275-6. Strabon mentionne des ponts en bois sur la grande route du Genèvre au Pertus (IV, 1, 12).

[160] Les restes authentiques de ponts de pierre sont sur rivières secondaires : piliers du pont de Trèves sur la Moselle (190 m. ; on a supposé qu’il ne date que de Constantin, ayant alors remplacé un pont en bois : c’est douteux) ; les restes du pont de Coblentz sur la Moselle (Westd. Zeitschrift, XVII, 1808, p. 236) ; le pont des Esclapes près de Fréjus (via Aurelia, sur une dérivation de l’Argens ?) ; à Vaison sur l’Ouvèze : à Ambrussum (Pont-Ambroix, via Ramifia, C. I. L., XII, 5648) sur le Vidourle ; le pont dit de Battant sur le Doubs à Besançon (aujourd’hui enfermé dans l’ouvre du pont moderne) ; le pont Flavien de Saint-Chamas (C. I. L., XII, 617) sur la Touloubre, passage d’une route directe d’Arles à Marseille, avec un arc à chaque extrémité ; le pont Julien, près d’Apt, sur le Calavon (route du Genèvre) ; à Jaulnes, les massifs en maçonnerie du pont, sur la Seine, de la route de Sens à Meaux ; à Sommières sur le Vidourle (8 arches sur 17), direction de Nîmes à Lodève ; le pont de Montignies-Saint-Christophe en Hainaut (route de Trèves à Bavai). La presque totalité des ponts romains qu’on montre en France sont médiévaux ou royaux. Ajoutez, connus par les textes, le pont de Genève, le pont, près d’Arles sur le Petit Rhône, les ponts de Paris, le pont de la Sarre à Konz (Ausone, Mos., 92), le pont sur l’Aude à Narbonne, le pont de l’Argens, et tous ceux que révèlent les noms de lieux, Pons, Brive ou Brives, Brioude, etc. — Ponts et routes sont souvent rapprochés dans les inscriptions qui rappellent des travaux de voirie (XII, 5430-2, 5534, etc.) ; mais il ne s’agit encore dans ces inscriptions que de ponts secondaires.

[161] Le passage avait lieu à Trégey, Trajectus (Rôles Gascons, n° 970, II, p. 280 ; n° 1032, II, p. 312, Bémont), sur la rive droite, en face la gare du Midi, là où précisément le chemin de fer traverse aujourd’hui le fleuve : ce qui s’explique par la possibilité de gagner plus vite la ligue des coteaux de la rive droite, en évitant le plus possible les marais de La Bastide. C’est bien la route romaine qui est décrite dans le premier document : magnum iter quo itur a porta de Treget ad nemus de Cipresso [le Cypressat]. — Pas de pont non plus sur la basse Dordogne vers Cubzac.

[162] Le passage devait se faire à peu près où est le pont actuel, à la hauteur de l’église Sainte-Marthe. C’est à ce passage que fait allusion Strabon (IV, 1, 12).

[163] À la hauteur pont Saint-Vincent, et, là même, peut-être seulement un pont en bois (Allmer, Musée, II, p. 290). Les archéologues lyonnais ne croient pas à l’existence d’un pont sur le Rhône, la traversée devait se faire ici en bac, le passage par pont ayant lieu sans doute à Vienne. Et cependant, à Vienne même, l’existence d’un pont romain n’est pas absolument certaine, bien que l’importance des ruines sur l’autre rive rende cette existence très vraisemblable. A Arles, pont de bateaux, pons navalis, au IVe siècle (Ausone, Urb., 77).

[164] Il y a un gué près de Bordeaux sur l’Eau Bourde, mentionné au Moyen Age, mais qui a dû servir à l’Antiquité, sur la route de Toulouse (vadus de Petra Longa ; Rôles Gascons, II, n° I, p. 2, Bémont). Gué de Saint-Léonard sur la Mayenne, près de Mayenne : l’utilisation de ce gué à l’époque romaine (route du Mans et Jublains à Avranches), n’est d’autant plus remarquable qu’il a dû y avoir à côté, à Brives, un très ancien pont gaulois ou gallo-romain (Bull. des Antiquaires de France, 1865, p. 146). Le rôle des gués, même sur les plus grandes routes, est indiqué par Sidoine (Epist., 5, 3, vada commoda, sur la route postale d’Arles à Ravenne par le Genèvre).

[165] Voyez les recherches de Chaume sur le gué de la Dordogne en amont de Lalinde (route d’Agen à Périgueux) ; le pavage était encaissé par deux rangées de poutres ; Chaume, Le Trajectus de la Dordogne, Périgueux, 1908 (extr. du Bull. de la Soc. hist. du Périgord).

[166] 269 m. de long à 48 m. 77 de hauteur (la route qui le flanque est moderne, 1743-7). Voyez aussi, mais en charpente, le pont de César à Cologne (500 mètres de longueur). Le pont actuel de Bordeaux a 486 m. 68, celui de Tarascon 450 m.

[167] Utricularii ou autres ; l’importance des utricularii, dans toute cette région, à Cavaillon, à Ernaginum, à Arles, s’explique à la fois par l’existence de passages et par l’absence de ponts sur le Rhône et la Durance.

[168] Pour Tarascon, Rev. des Ét. anc., 1907, p. 21 et s. ; pour Bordeaux, Arch. départ. de la Gironde, C, 3715 [Inventaire sommaire, p. 140], 4265 [p. 105] (communications de P. Courteault).

[169] Toutefois, on a remarqué (Quantin et Boucheron, p. 30) certains détours faits par les routes pour contourner des marécages. — Il est d’ailleurs possible que bien de ces routes sur marais aient déjà été tracées et bâties sur pilotis par les Gaulois ; cf. César, VII, 57, 4 (sur la route de Sens à Paris, aux marais de l’Essonne : les Gaulois ont dû, pour arrêter les Romains, couper la route à cet endroit).

[170] Chemin de la Vie [via] dans les marais de Monferrand entre Garonne et Dordogne : sur un banc très épais de tourbe, qui forme le sol du marais, les Romains avaient enfoncé, de distance en distance, des pilotis de chêne sur lesquels ils avaient couché, perpendiculairement à la voie, des troncs de chêne brut de moyenne grosseur (15 à 20 centimètres de diamètre) ; sur cette espèce de plancher, ils avaient étendu une couche de gravier, épaisse au milieu d’un mètre environ (Drouyn, Arch. hist. de la Gironde, III, p. 477). Remarquez que, malgré ce sous-sol en charpente, le corps de la route conserve encore un mètre de hauteur. — Sur la route de Sens à Meaux, entre Jaulnes et Peugny, au delà de la Seine, les prairies marécageuses sont traversées par une chaussée de 3 à 4 m. de hauteur (Quantin et Boucheron, p. 31).

[171] Dans le marais de Barenton, entre Chambry et Chéry (route de Reims à Saint-Quentin), on a jeté des quartiers énormes de grès, qu’on retrouve aujourd’hui sous 30 à 50 centimètres de tourbe (Lemaistre, Mém. de la Soc. des Ant., IV, 1823. p. 44). Autres exemples de chaussées à travers des étangs, Ducourtieux, Les Voies romaines en Limousin, p. 87, 103. Etc. Il est probable que ce terrain rapporté était soutenu par des charpentes ou des boisages, les murs de soutènement étant un principe constant dans la construction des routes romaines et de tout édifice ; cf. Vitruve, VII, I, I et s. C’est par endroits, je crois, le cas des chaussées de Brunehaut, que l’on voit se dresser comme des levées à travers champs : ces champs ont dû remplacer d’anciens marécages ; cf. Bovillus (Charles de Bovelles), De hallucinatione Gallicanorum verborum, 1533, p. 100 : Hæ viæ... sublimiores sunt vicinis utrinque agris.

[172] Longi pontes ; Tacite, Ann., I, 63. Voyez les nombreuses localités dites Pont-Long et surtout  Long-Pont.

[173] En dernier lieu, Hirschfeld, travail cité, et réimprimé dans ses Kleine Schriften, 1913, p. 703 et s. Aussi, Mommsen, Ges. Schr., V, 63 et s. [écrit en 1877] ; G. J. Laing, Roman Milestones und the Capita viarum (Trans. and Proc. of the American Phil. Ass., 1908, XXXIX).

[174] On ajoutait parfois le nom du magistrat, le gouverneur, chargé de la réfection de la route ; C. I. L., XII, 5130-2 ; XIII, 9082, 9031.

[175] D’ailleurs, fort souvent, le nom de l’empereur et ses titres n’étaient accompagnés d’aucune autre indication, ni de lieu ni de distance : l’inscription se borne à les faire suivre de restituit, sans plus (XII, 5471-6, etc., surtout au premier siècle), peut-être, il est vrai, parce que des bornes d’autres empereurs, à côté, donnaient les indications de distances.

[176] Cela se trouve cependant, mais alors la mention de la station est accompagnée de celle d’un chef-lieu (XIII, 8911, 8922). Par exception, le milliaire d’Allichamps (8922), au croisement de la route de Néris à Bourges et d’un chemin vers Châteaumeillant, indique la distance à Bourges, le chef-lieu, à Néris et à Châteaumeillant. Ceci, dis-je, est exceptionnel : car en principe le milliaire n’appartient qu’à une route.

[177] Sur le territoire de laquelle on se trouvait. Ce n’est pas une règle absolue : les distances sont parfois marquées d’un chef-lieu voisin, plus important et tète de ligne (n. 179). Distance marquée depuis Marseille sur le territoire d’Arles ? Distance marquée depuis un simple vicus, Blaye.

[178] Fines (XIII, 8927 et s.). C’est une habitude propre, semble-t-il, aux Pictons. — Milliaire de Prégilbert chez les Éduens, 9023.

[179] Sur la via Domitia, dans la direction de Tarascon à Narbonne, les milliaires sont marqués depuis Nîmes sur le parcours de Nîmes à Tarascon, depuis Narbonne sur le trajet de Narbonne à Mmes (sauf à partir de la réfection de la route par Antonin en 145, où Nîmes fut, au moins sur son territoire, tête d’itinéraire).

[180] Sur la via Julia Augusta, de Plaisance au Var (C. I. L., V. p. 953 et s.). Sur la via Domitia entre Narbonne et le Pertus (XII, 5668), et sur la route de Narbonne à Toulouse (XII, 5671), la distance de Rome est marquée en plus de celle de Narbonne. Comme ce sont des milliaires d’Auguste, on peut croire qu’on s’y sera conformé à une tradition des temps républicains. Il est même à remarquer qu’on donne sur chacun de ces milliaires deux chiffres pour cette distance de Rome (différents de 19 milles). J’ai peine à croire qu’il ne s’agisse pas de la route la plus courte, par la via Domitia et la via Aurelia. — Il n’y a pas lieu de s’arrêter à l’hypothèse (Hirschfeld, C. I. L., XII, p. 667), que la mention de cette distance de Rome signifie l’intervention du trésor public dans la construction de cette partie de la route.

[181] Milliaires de Claude et de Gordien (XII, 8900 et 8901). Bornes de Claude, Nerva et Trajan à côté, 9145-7. Les bornes d’âges si différents qu’un trouve pêle-mêle dans les remparts des villes (Rennes, 8952-69 ; Bayeux, 8979-89), ont dû être enlevées en même temps des routes et s’y trouver par conséquent ensemble.

[182] Encore sont-ce moins des inscriptions indiquant les directions des chemins que récapitulant les routes qui traversaient les cités : milliaire d’Autun, antérieur à 200 (XIII, 2631), qui parait indiquer la route de Boulogne par Auxerre (avec embranchements) et celle de Cologne par Langres ; milliaire de Tongres, postérieur à 200 (XIII, 9158), indiquant la route de Tongres en Italie par Cologne et Strasbourg, de Tongres à Reims et de là à Boulogne, peut-être aussi de Tongres à Boulogne par Bavai et Arras ; autre fragment de ce genre, trouvé dans le pays de Trèves, XIII, 4085.

[183] Itinéraire dit d’Antonin. C’est un extrait, fort incohérent, d’un routier officiel contemporain d’Antonin Caracalla, extrait fait très tardivement, pour marquer (en ce qui concerne la Gaule) surtout les routes d’Italie en Bretagne et au Rhin, et de ces trois régions en Espagne ; mais même en se plaçant à ce point de vue, il y a des lacunes incompréhensibles, comme d’Orléans à Poitiers, de Chaton à Besançon, de Chaton à Langres (cf. Desjardins, IV, pl. 8). C’est un des documents les plus médiocres que nous ait laissé l’Antiquité. — De routiers semblables à celui qu’a utilisé l’Itinéraire Antonin dérivent : 1° un très grand nombre d’indications de noms (datant, je crois, du IIIe ou du IVe siècle) dans l’Anonyme de Ravenne, écrit vers 700 (Ravennalis anonymi Cosmographie, Pinder et Parthey, 1860) ; 2° les inscriptions citées n. 181 ; 3° les itinéraires (de Cadix aux Aquæ de Vicarello par la via Domitia et le Genèvre) tracés vers l’an 100 sur les quatre vases de Vicarello (C. I. L., XI, p. 496 et s. ; Desjardins, IV, p. 1 et s.) ; 4° et, à une époque bien plus tardive, en 333, l’Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem par le Genèvre (édité à la suite de l’Itinéraire Antonin, Itin. Antonini Aug., Parthey et Pinder, 1848, et par Geyer, Itinera Hierosolymitana, 1898, dans le Corpus Scr. Eccl. Lat. de Vienne, XXXIX), — Voyez en particulier Kubitschek, Eine Rœmische Kerte, dans les Jahreshefte des Œst. Arch. Inst., V, 1902 : il a le tort, je crois, de ramener tous ces documents à une carte ; le texte de Végèce (III, 6, viarum qualitas, etc.), montre qu’il y avait des routiers écrits, et suffisamment descriptifs.

[184] Table dite de Peutinger. — En principe, également contemporaine de Caracalla : mais il s’agit encore d’une copie tardive et très arbitrairement faite. Le motif qui a présidé au choix des routes échappe plus encore que pour l’Itinéraire (cf. Desjardins, IV, pl. 10) : je ne peux que rappeler l’importance qui y est donnée aux villes d’eaux. — Le document originel devait être une carte routière, allongée, peinte sous portique, comme celle du portique de Pola (Pline, III, 17), celle du portique des Scholæ Mænianæ d’Autun (situs, spatia, intervalla), et peut-être les itineraria dont on se servait à l’armée (Végèce, III, 6), ceux-ci d’ailleurs plus rigoureusement picta que les cartes allongées. — Les déformations invraisemblables que, dans la Table, cette disposition et les négligences des copistes successifs ont infligées au dessin des cours d’eaux, mers, montagnes et routes même, font que nous ne devons pas accorder à ce dessin la moindre importance : noms et chiffres importent à peu près seuls.

[185] Tabernæ, cantines ou auberges ; mansiones, gîtes d’étapes ; deversoria, hôtels plus relevés, pour plus longs séjours ; prætoria, villas pour personnages officiels, et peut-être aussi casernes de passage (voyez la station de Prætorium près de Limoges, XIII, 8911 ; le Prætorium Agrippinæ). Cf. C. I. L., III, 6123 ; XIII, II, p. 212. On a supposé que la grande salle de la construction de Thésée (le Tusciaca de la route de Bourges à Tours) faisait partie d’un édifice l’usage des voyageurs.

[186] Voici les gîtes  d’étapes de Bordeaux à Arles par la route de l’Armagnac : mansio à Bazas, Lauze, Auch, Toulouse, Elusione (Font d’Alzonne), Carcassonne, Narbonne, Béziers, Cessarone (Saint-Thibéry), Nîmes, Arles ; sauf deux, ces gîtes correspondent à des villes, et toutes chefs-lieux de cités. Cela fait 11 mansiones pour environ 550 kilomètres (Itin., p. 549-553).

[187] Par exemple, les Prætoria cités n. 185.

[188] Par exemple les Tabernæ, à 11 lieues (31 kil.) de Strasbourg, aujourd’hui Saverne, sur la voie romaine de Metz et Reims (It., p. 240 ; ce sont les Tres Tabernæ d’Ammien, XVI, II, 11 ; XVII, 1, 1) ; les Tabernæ, Rheinzabern, sur la route entre Strasbourg et Spire.

[189] Mutationes. Les stabula sont en principe des écuries pour chevaux, en particulier de la poste : le mot a pu signifier aussi auberge. La mention de stations Ad Horrea (par exemple sur la voie entre Antibes et Fréjus [vers La Napoule ? ou plutôt dans le bas pays de Mougins, campus de Orreis, Cartulaire de Lérins, p. 96 et 156], Itin., p. 297) indique la présence sur ces routes de grands greniers publics, peut-être comme dépôts de concentration de blés, de vins ou d’huiles achetés par l’État.

[190] L’Itinéraire de Jérusalem est précieux à consulter à cet égard, car il marque tous les relais : départ de Bordeaux, premier relais à La Brède (7 lieues, 10 à 11 milles), second au passage du Ciron (9 lieues, 13 à 14 milles), troisième à Bazas (même distance).

[191] Le pons Erarium, sur la route directe de Nîmes à Arles (It., p. 552), était peut-être un pont à péage (le pont de Saint-Gilles [?] sur le Petit Rhône), où on payait soit un droit de passage soit un droit d’entrée à la frontière des pays d’Arles et de Nîmes.

[192] Viæ publicæ in fibinus incidunt (Gromatici veteres, p. 147) ; cf. Revue des Et. anc., 1911, p. 420.

[193] Autres stations dénommées d’après des lieux sacrés : Arbos Felix (Itin., p. 251), Fanum Minervæ (p. 364), etc.

[194] Cela se continuera sous les premiers temps chrétiens.

[195] T. VI, ch. I. De même aussi les ponts, les gués (voyez l’expression de Augustoritum), les trajectus.

[196] Finibus et Genio loci (XIII, 7732, frontière des deux Germanies et de deux cités) ; XII, 75, deo Mercurio finitimo [?] ; XIII, 6127, Concordiæ duarum stationum, à la frontière des Némètes et des Vangions ; remarquez la station de Concordia à la frontière des Triboques et des Némètes (Itin., p. 253). — Il est possible que, au passage de la frontière par une route, chaque civitas eut sa statio, lieu de prières, gîte à étapes, villa pour hôtes ou poste d’octroi ou de police.

[197] Même au Grand Saint-Bernard on a trouvé quantité de monnaies celtiques aux abords du temple de Jupiter Pœninus ; E. Ferrero, Le Moncte Caniche del Medagliere dell’ Ospizio, dans les Memorie della R. Accad. ... di Torino, IIe s., XLI, 1891.

[198] La consécration au Mercure du Donon d’une route et de ses milliaires est très significative. De même, une route municipale, chez les Helvètes, est consacrée Numini Augustorum (XIII, 5166). Dans un certain sens, on dira que les milliaires au nom de l’empereur lui consacrent également la route.

[199] C. I. L., XIII, 1446 (réserves à faire).

[200] Les empereurs n’ont fait d’ailleurs, en cela, qu’exploiter le principe de la République : les routes perpétuent et glorifient les noms de leurs fondateurs, publice muniuntur et auctorum nomina optinent (Grom. cet., p. 140). C’est en partie pour cela que, de très bonne heure, le folklore a appliqué le nom de César aux routes romaines (via Cæsaris, Sidoine, Epist., I, 5, 5 ; via Cæsarea, en 533, testament de saint Remi, Pardessus, p. 87).

[201] Si du moins la chose ne s’est pas faite après la construction des murailles au IIIe s. Paulin de Pella, 16-7 : Navigeram per portam, quæ portum spatiosum nunc etiam maris spatiosis includit in urbe : spatiosus est d’ailleurs relatif, le port intérieur devant dépasser à peine un hectare. — Il faudrait étudier à ce point de vue les autres ports fluviaux de la Gaule, et notamment Lyon et Chalon. A Chalon le port de débarquement principal devait être sur la rive gauche : c’est là, près du Petit-Creusot, que la dragage à amené la découverte d"un des plus curieux gisements d’antiquités gallo-romaines (21.000 pointes d’amphores par exemple) ; on a constaté l’existence d’une construction sur pilotis (Déchelette, La Collection Milon, 1913, p. 156 et s.). Cf. sur le Rhin chez les Némètes (Symmaque, Orat., Laudatio in Valentinianum, 28 : à Altripp ?).

[202] Pour Lyon, les canabæ. Pour Arles, supposé d’après l’existence des fabri navales, d’un architectus navalis (C. I. L., XII. 723). Pour Nantes, supposé d’après l’importance du culte de Vulcain dans le vicus Portus (C. I. L., XIII, 3105-7). Peut-être aussi à Paris, où l’on sait l’importance des nautes.

[203] Cf. la percée de l’émissaire du lac de Crotel près de Groslée (XIII, 2188). Il ne manque pas en Gaule d’aqueducs souterrains percés à travers les collines ; cf. en particulier à Besançon.

[204] Jusqu’au IVe siècle, l’Etat eut sous la main artifices periti aquariæ rei, et, pour les travaux, copiosa militis manus (Ammien, XXVIII, 2, 2).

[205] Tacite, Ann., XIII, 53.

[206] On travaille encore en 369 sur tout le cours du Rhin (Ammien, XXVIII, 2, 1-3) ; voyez chez Ammien la description des barrages faits à l’aide de pilotis et charpentes.

[207] Garages, arsenaux et chantiers étaient surtout du côté de Nimègue et de l’île des Bataves (Tacite, Ann., II, 6) et de Mayence (vicus Navaliorum, Riese, 2138).

[208] Mille naves... fossam ingressus, etc. (Tacite, Ann., II, 6 et 8).

[209] C’est à peu près certain pour la fossa Drusi, moins sûr pour la fossa Corbulonis. De même en Orient, Mommsen, Rœm. G., II, p. 270.

[210] Strabon, IV, 1, 8, parle des difficultés du canal. L’Itinéraire maritime (It. Ant., p. 507) indique comme route, de Marseille à Arles, le Grand Chêne (ad gradum Massilitanorum) ; de même, Ammien, XV, 11, 18. Toutefois, l’importance que conserve la localité de Fos (Fossæ Marianæ) au débouché du canal, sa mention constante dans les itinéraires, la présence à cet endroit, sur la Table de Peutinger, d’une image singulière (portique ou même pont ?), peuvent faire supposer que le canal n’a jamais été complètement abandonné ; l’importance d’Arles, comme centre de navigation, exigeait d’ailleurs le maintien de ce canal. — Le canal de dérivation de l’Argens dans le port de Fréjus, s’il est prouvé, se rattache également aux nécessités du port militaire.

[211] Il est bon cependant de rappeler qu’au point de vue de la navigation, de l’usage des eaux, de l’entretien des bords, il y avait une législation minutieuse et sans doute tracassière, Digeste, XLIII, 12-15. — On signale des ports privés ou de domaines (XII, 3313), et, il devait par suite y avoir des ports municipaux et peut-être aussi des ports d’État.

[212] Cf. t. VI, ch. VIII.

[213] Les itinéraires maritimes énumèrent comme petits ports à l’est de Nice, Monaco (Hercle Manico), Avisio (Beaulieu ?), Anao (Saint-Jean ?), Olivula (Villefranche ?). Entre Nice et Antibes, Melaconditia (= Micalo colonia Diceorum, Anon., IV, 28 ; V, 3), qui parait dissimuler, soit le port de Cagnes, soit l’oppidum des Déciates. Il est remarquable que Nice est appelée plagia [la grève des deux côtés du Paillon] et non portas ; Itinéraire Antonin, p. 503-4 ; Anonyme de Ravenne, IV, 28 ; V, 3 : ce sont des documents extraits de guides pour caboteurs.

[214] Ou, plutôt, Olbia, qui est aux ruines de La Manarre ; cf. de Gérin-Ricard, Revue des Ét. anc., 1910, p. 73 ; de Poitevin de Maureillan, Pomponiana, 1007. — Entre Fréjus et Toulon, la plagia du Sambracitanus sinus (le golfe de Grimaud ?), le port d’Heraclia Caccabaria (Saint-Tropez ?), portas ou plagia Alconis (Cavalaire ou Le Lavandou ?), Pomponianæ (dans la rade d’Hyères ?).

[215] Telo Martius ; n’est cité que comme station de cabotage (Itin., p. 505 ; Anon., IV, 28). Le nom, en apparence, indique un péage ; mais je ne vois ni la route ni la frontière ; et puis, pourquoi cette épithète militaire ? Toulon servait peut-être d’annexe extrême à Arles, à la civiles de laquelle il appartenait. — Il y aura plus tard là un procurator bafii, autrement dit un administrateur impérial des teintureries de pourpre (Not., Occ., 11, 72) : ce nom de Telo rappellerait-il un monopole de l’Etat sur les pêcheries de pourpre de la rade ?

[216] Tauroentum ?

[217] Citharista.

[218] Portas Æmines ? Casici étant Bandol ?

[219] Entre Marseille et le Grand Rhône ou Rhône des Marseillais, il y avait sans doute une circulation plus intense que sur n’importe quelle autre traite de la Méditerranée gauloise. Le principal relais de mer était Fos. Sur l’étang de Berre, les deux principaux ports étaient sans doute Les Martigues (Mastramela) et Maritima (vers Miramas ; voyez le voisinage du pont Flavien, C. I. L., XII, 647) dont les cartographes ont, je suppose, fait à tort une colonia (Ptolémée, II, 10, 5 [κολωνία apparaît une addition] ; Anonyme, V, 3). — Toutefois, je ne peux cependant exclure absolument l’hypothèse d’une colonie Maritima, créée sous Auguste ou César, à l’aide de marins de la flotte de Brutus, mais qui aurait été de bonne heure incorporée au territoire d’Arles ; et je n’exclus pas davantage l’hypothèse qu’elle serait aux Martigues, sur le terroir desquelles on a trouvé d’assez importantes inscriptions du début de l’Empire (XII, 651-2 ; L’Année épigr., 1906, 144) : encore que la disparition complète d’une civitas dans cette région serait bien insolite.

[220] Il faut toutefois signaler aux embouchures du Rhône les tours des Marseillais, qui servaient de jalons ou de balises.

[221] Ratis.

[222] Latara (Anonyme, IV, 28 ; V, 3).

[223] Le nom, Megolona, Magulona, apparaît dans l’Anonyme (l. c.), dont la source doit être un routier maritime du Haut Empire.

[224] C’est peut-être le Calum [lire Citium ?] de l’Anonyme.

[225] Absolument déchue comme ville maritime à l’époque romaine.

[226] Même remarque. Port-Vendres n’apparaît plus dans les textes, et à sa place on trouve Collioure (Caucholiberi, Anon., IV, 28).

[227] Remarquez le mal que la centralisation française, depuis Richelieu, a fait à tant de nos ports secondaires.

[228] Ceci est une impression résultant de l’ensemble des inscriptions arlésiennes ; voyez les démêlés des corporations avec l’État. — Je ne sais dans quelle mesure il faut croire à l’existence d’un phare à Arles : il s’agissait peut-être tout au plus d’une lanterne pour éclairer le port (dessin de Peiresc apud Leger, pl. 8, fig. 9 ; j’ai vainement cherché l’original de ce dessin).

[229] Ni même, à vrai dire, la moindre trace d’inscription ou de monument relatifs aux choses de la mer. Cf. t. VI, ch. V. — Si l’expression de Pharo, qui est certainement très ancienne, se rattache à l’existence d’un phare sur la colline de ce nom, à l’entrée du port, de l’autre enté de la ville, il ne parait point douteux que ce phare ne soit de l’époque grecque, des temps de l’indépendance.

[230] Bibliographie, t. VI, ch. V.

[231] Au phare de la hutte Saint-Antoine (destinée à la haute mer), dont les ruines ont été vues hautes jusqu’à 25 mètres (près de 32 au-dessus du niveau de la mer) ; à la lanterne de l’entrée (sur une hase circulaire une tour octogonale couverte en pyramide) ; il faut ajouter le phare de mer, situé sur l’îlot du Lion-de-Mer, en face de Saint-Raphaël (on en voit la base circulaire ; Aubenas, p. 535-6).

[232] La dernière trace, très vague, de la flotte de Fréjus est une inscription qui peut être contemporaine de Marc-Aurèle (C. I. L., XII, 258) ; mais il est possible qu’elle ait disparu beaucoup plus tôt. Elle existe en tout cas à l’avènement de Vespasien.

[233] Remarquez que Sidoine Apollinaire, parlant des monuments de Narbonne, ne dit presque rien se référant à ses ports (insulis, salinis, stagnis, flumine, merce, ponte, ponto, et c’est tout ; Carmina, 23, 43-4).

[234] Rouzaud, dans ses minutieuses recherches, les premières vraiment sérieuses (Note sur les ports antiques de Narbonne, 1917, Bull. de la Commission arch. ; documents, travaux et mémoires qu’il a bien voulu me communiquer) n’a constaté aucun très gros travail d’ingénieur, mais seulement l’utilisation de sites naturels : 1° un grand port des arrivages maritimes à Cauquène (Caucana, île Sainte-Lucie, sur l’étang de Sigean) ; 2° un port des allèges sur l’Aude à Narbonne même près du pont ; 3° un port d’étang à Capelles au fond de l’étang de Bages ; 4° un très grand port, peut être le principal, au fond de l’étang de Campignol, joignant l’étang de Gruissan ; 5° un canal de jonction (robina antiqua) entre les étangs de l’Ayrolle et de Sigean ; 6° sans doute des quais le long de l’Aude. Ce sont peut-être des constructions navales de Narbonne, quai et lanterne (ou tour à machine de déchargement), qui sont figurées, d’ailleurs assez grossièrement, sur la mosaïque des Narbonenses à Ostie (Notizie degli Scavi, 1916, p. 327).

[235] Ni à Hendaye, ni à Saint-Jean-de-Luz, ni à Capbreton, ni à Arcachon, je n’ai trouvé la moindre trace d’un travail quelconque des Romains. Jusqu’à nouvel ordre, Bayonne n’offre rien de plus ancien que sa muraille du Bas Empire. Ce qu’il y a de plus curieux sur ce rivage est encore la villa maritime d’Andernos, au fond du bassin d’Arcachon.

[236] Comme dépendances du port de Bordeaux : Blaye ou Blavia, qui appartient à sa cité, et peut-être Royan (Novioregum ? Itin., p. 459), qui appartient aux Santons (n. 239).

[237] Cité d’ailleurs par les itinéraires maritimes : Cordano, Anon. de Ravenne, V, 33. Les plus anciens feux mentionnés sont au XIe siècle.

[238] Ptolémée, II, 7, I.

[239] Après bien des hésitations, j’accepterai l’existence d’un Σαντόνων λιμήν (voyez certains manuscrits de Ptolémée, II, 7, 1), et je le placerai à Royan (ici, n. 236) et à la rigueur à La Rochelle. J’ai d’ailleurs peine à croire que le peuple des Santons, très adonné aux choses de la mer, très intelligent, très industrieux, n’ait pas utilisé l’admirable rade de La Rochelle, la vraie maîtresse de cette mer ; et ce qui achève de me le faire croire, c’est que le grand chemin de Limoges à Aulnay, prolongé en direction rectiligne, menait à La Rochelle. Châtelaillon et surtout Fouras sont encore possibles comme anciens ports.

[240] La Vendée dépendait des Pictons, dont César utilisa les services maritimes. Ptolémée fait connaître un port picton qu’il appelle Σικόρ (II, 7, 1) et qui doit être Les Sables, le meilleur port de la Vendée, à la rigueur Saint-Gilles-sur-Vie (Pornic me semble impossible).

[241] Cf. note 239.

[242] L’annexe maritime de Nantes était le Brivates portas (Ptolémée, II, 8, 1), qui ne peut être que Saint-Nazaire au voisinage du Brivet. On a placé à un château Granon [le nom est-il ancien ?], près de Guérande, le port de Grannona : je doute fort du fait.

[243] On sait peu de chose sur Rouen comme port. — Rouen était accompagné, sur l’estuaire de la Seine, du port de Lillebonne (Juliobona) et d’Harfleur (Caracotinum), ces deux derniers chez les Calètes. Le Gravinum de la Table doit être écrit pour Caracotinum, ou en tout cas cherché près d’Harfleur plutôt que de Fécamp.

[244] T. VI, ch. VI.

[245] Darioritum, sans doute moins important comme port que comme métropole des Vénètes.

[246] C’est certainement un des endroits du rivage armoricain où on a trouvé le plus de ruines intéressantes, notamment un des très rares théâtres de l’Armorique. On peut donc placer là le portus Vidana de Ptolémée (II, 8, 1), plutôt qu’à Port-Navalo et surtout qu’à Audierne.

[247] Ou plutôt son faubourg de Loemaria, l’ancienne civitas Aquilonia.

[248] On y place d’ordinaire Gesocribate, point terminal de la grande route de Nantes, Vannes, Carhaix. Mais l’importance et l’antiquité de la route de Carhaix à Castel A’ch me ferait pencher vers cette dernière localité, qui du reste parait avoir livré moins de ruines romaines que Brest. — On est convenu de placer le portus Saliocanus de Ptolémée (II, 8, 2) à la baie de Pors-Liogan entre le cap Saint-Mathieu et Le Conquet (mais cette identification ne va pas sans réserves, J. Loth). On y aurait trouvé trace de quais [?]. — Ce sont les ports connus des Osismiens.

[249] Le Reginca de la Table de Peutinger, très important alors, et peut-être le port principal des Coriosolites (Corseul).

[250] C’est la partie nord de Saint-Servan (Aletum, Not. dign., Occ., 37) ; Aleth devait servir de port aux Bedons (Rennes). — Il résulte de tout cela que l’Armorique était le pays de l’Atlantique le plus riche en ports, ce que confirme l’éventail de routes partant de Carhaix pour desservir les rivages. Tous ces rivages d’ailleurs sont extrêmement riches en raines romaines ; cf. de La Borderie, Hist. de Bretagne, I, 1890, p. 78 et s.

[251] Le principal port de la Normandie, en dehors de Rouen, parait avoir été la mystérieuse Grannona (Not., Occ., 37), qu’on a placée à Portmail ou près de Guérande, ou encore, très loin de là, à Étaples. J’hésite à croire, vu l’importance de la situation et le nom, qu’il ne faille pas accepter l’hypothèse de Granville.

[252] Coriallum, chez les Unelles. — Ptolémée (II, 8, 2) et la Table mentionnent Crouciatonnum, qui parait être Carentan. — Il semble que la Normandie eut alors une importance maritime inférieure aux autres régions du Nord, Armorique ou Flandre.

[253] Mais il est probable que les tracés de ces routes sont antérieurs à Rome (cf. note suivante).

[254] Il semble même qu’il y ait eu un peu plus, sinon d’activité maritime, du moins d’intervention publique dans les petits ports au nord de la Seine, si du moins la situation, au IVe siècle, se rattache à un état antérieur ; Notitia Occ., 38 : Classis Sambrica [la Somme et non la Sambre] in loco Quartensi sive hornensi [vers Saint-Valéry, le cap Hornu et le Crotoy ; c’est le port des Ambiens] ; portu Epatiaci [Étaples ? qui a dû être d’ailleurs une station navale ; on a songé aussi au Tréport]. — De la même manière, à l’est de Boulogne. il est visible qu’il y a nombre de ports assez importants, soit à cause des pêcheries (C. I. L., XIII  88301, soit à cause des paysages en Angleterre :  Ambleteuse : Sangatte, qu’un vieux chemin Brunehaut réunit à Arras ; Wissant (plus douteux) ; Mardyck, qui doit être le Marcis [ablatif pluriel ?] portus où la Notitia dignitatum place une garnison (Occ., 38), et qu’une très vieille route réunit directement à Cassel, le chef-lieu des Ménapes, dont Mardyck a dû être le port. — Nous continuons donc à constater, sur toute la ligne de l’Océan, que chaque civiles a son port, réuni à son chef-lieu par une route directe et militaire. Et cette situation comme ces routes doivent remonter plus haut que la conquête : d’autant plus qu’aucun de ces petits ports n’a livré de ruines monumentales ou épigraphiques de l’époque romaine. — Au contraire, plus à l’est, dans la Germanie inférieure, nous sommes en présence de ports qui doivent être en partie l’œuvre de Rome, et qui ont livré bon nombre de textes lapidaires : Domburg dans l’île de Walcheren (XIII, 8703), qui est d’ailleurs un relais de mer ou un pèlerinage maritime (sanctuaire de Néhalennia) plutôt qu’un port d’embarquement ; et surtout Fectio (Wiltenburg près de Vechten) sur le Rhin, le lieu de passage pour la Bretagne le plus important après Boulogne (8811, 8815).

[255] Les archéologues belges parlent de pilotis à Zeebrugge et de constructions en pierre à Oudenbourg près de Bruges (route de Tournai et Bavai ?) ; je ne sais s’il s’agit de travaux romains et de travaux spécifiquement maritimes.

[256] Les autres phares de l’Atlantique étaient beaucoup moins importants : le phare de Cépion à l’entrée du Guadalquivir (Strabon, III, 1, 9 ; Mela, III, 1, 4), la tour d’Hercule à La Corogne, haute de 120 pieds (C. I. L., II, 2559) ; les deux phares de Douvres.

[257] Encore devons-nous ajouter que, si l’existence de ces travaux résulte de tout ce que nous savons de l’histoire de Boulogne, il n’en a pas été constaté de traces sensibles par les recherches d’archéologie et de topographie locales. En dernier lieu, Hamy, Boulogne dans l’Antiquité, p. 28 et s., dans la grande publication Boulogne-sur-Mer, I, 1899.

[258] Voyez ici, t. VI, ch. VI. Elle devait fournir des stationnaires dans les petits ports du voisinage. Voyez le travail de Hamy sur les briques estampillées au nom de la flotte.

[259] J’ai déjà dit que la Tour d’Ordre ne me paraissait pas le phare bâti par Caligula. — Le livre de Thiersch, Pharos, 1909, est insuffisant. Remarques utiles dans le manuel d’Allard (qui était un spécialiste), Les Phares, 1880, p. 23 et s.

[260] Je ne peux parler, à propos des ouvrages de mer, du trophée d’Auguste à La Turbie, dont il est cependant possible qu’il eût été fait pour être vu de très loin de la haute mer et servir de balise : mais il ne pouvait pas guider les navigateurs plus que n’importe quelle construction du rivage. En dernier lieu, voir les travaux de C.-J. Formigé, Ac. des Inscr., C. r., 1910, p. 76 et 309.