I. — LES DANGERS DE L’EMPIRE. C’est ainsi que, dans la Gaule romaine, les formes du passé se mêlèrent aux formules latines. Rien de ce qui avait servi à grouper les hommes, ne disparut dans le grand Empire. Familles, domaines, tribus et cités continuèrent leur existence déjà longue ; le collège se développa peu à peu ; et cette nation à demi flottante qu’avait été la Gaule, se fixa sous le nom ; de province autour de l’autel de Lyon. Toutes ces sociétés humaines s’adaptèrent au nouveau régime ; et l’édifice impérial se bâtit avec ces matériaux d’autrefois. — Cela, du reste, ne faisait pas moins solide : au lieu d’être composé d’éléments artificiels et récents, créés par l’intelligence inexpérimentée des théoriciens, il était formé de pièces très anciennes, dont l’usage avait depuis longtemps marqué la place et réglé les rapports. Quand elles s’opposaient l’une à l’autre, c’était souvent pour le profil de l’État. Dans la cité, collèges et familles se partageaient la tâche, sans qu’aucune de ces deux forces pût maîtriser l’autre. Dans la province, l’antique despotisme du gouverneur se heurtait à la liberté d’une nation reconstituée. Au-dessus de tout et de tous, l’empereur demeurait l’arbitre suprême. Mais il fallait bien cette autorité sainte et absolue pour dominer et modérer la vie publique de l’immense État[1]. Dès que manquait la direction unique et souveraine, il se disloquait dans les querelles et l’anarchie. Comme toutes les vastes sociétés politiques, il était un extraordinaire assemblage de choses disparates, d’idées contraires, d’êtres ennemis. L’Empire romain ne différa point de ceux des Achéménides et d’Alexandre, dont il était l’héritier. Ne nous laissons pas tromper par la solennité des formules épigraphiques et des textes de lois ; cela, c’est la façade consacrée de l’édifice, vaine et mensongère comme l’éloge d’un mort ou une harangue officielle : elle nous cache la vie réelle des hommes et des peuples qui occupaient cet édifice, leurs envies et leurs haines. Et les passions de cette sorte étaient alors d’autant plus nombreuses que l’Empire était plus étendu. Ne sortons point d’abord de la Gaule. Là, dans l’intérieur des cités, ce sont les luttes éternelles entre villes et campagnes, sénateurs et prolétaires, seigneurs et paysans, maîtres et esclaves, riches et pauvres ; et, comme les campagnes sont plus riches et les villes plus grandes, de plus fortes armées s’y préparent pour les jacqueries et les émeutes de l’avenir. De cité à cité s’échangent des propos malsonnants : et, si l’empereur n’y prend garde, la bataille recommencera entre Vienne et Lyon, Lingons et Séquanes, Rèmes et Trévires. Les régions voisines, Belgique et Celtique par exemple, ne s’accordent que faute d’occasions de querelles, et la rivalité des provinces se complique de l’émulation des gouverneurs. Il y a enfin, menaçant la Gaule entière, l’hostilité naturelle de l’armée du Rhin à l’endroit de la population civile. Hors de Gaule, c’est l’opposition entre les contrées de l’Empire. Tantôt, des concurrences d’intérêts séparent les provinces : et le vin d’Italie fait détruire les vignobles gaulois. Tantôt, l’esprit de corps soulève les armées l’une contre l’autre : et les légions rhénanes partent en guerre contre les cohortes romaines. Tantôt, l’ambition du pouvoir suprême surexcite les gouverneurs : et voici aux prises Vitellius de Germanie, Galba d’Espagne et Othon d’Italie. Enfin, par-dessus ces discordes, s’étend le conflit entre l’Occident et l’Orient, provoqué par le contraste des pays et par des siècles de vie séparée, aggravé maintenant par la jalousie des chefs et des armées. Le long de la frontière, la peur de l’ennemi ne cessait point de circuler. Qu’il s’agit sur le Rhin de bandes de pillards, ou sur l’Euphrate d’un royaume organisé, les voisins de l’Empire ne le respectaient que dans la mesure où il se faisait craindre. La Gaule, devenue romaine, demeurait comme autrefois à la lisière de la Barbarie et au péril de l’invasion. Si l’unité matérielle de l’Empire était compromise par la mêlée des passions humaines, son unité morale était troublée par des désaccords d’idées et de sentiments qui rendaient les âmes incertaines ou mécontentes. Les deux principes moraux qui s’imposaient le plus aux sujets de Rome, étaient la crainte des dieux et l’obéissance à l’empereur[2]. Mais il en était d’eux comme des règles politiques, ils se heurtaient sans cesse à l’obstacle des faits, et ces faits provenaient de l’immensité de l’Empire ou de l’exagération de l’autorité publique. Il fallait sans doute craindre les dieux. Le devoir était facile autrefois, quand on ne connaissait que les dieux de sa patrie. Mais le dévot vient de découvrir, dans l’horizon infini de l’Empire, des milliers d’autres dieux également dignes d’adoration. Son âme reste éperdue entre tant de maîtres, et elle erre, indécise dans son choix, depuis les sources du sol natal chères à ses ancêtres, jusqu’à l’invisible Père de l’univers que lui annoncent les amis d’Épictète ou les fidèles du Christ. Il n’est aucun de ces dieux qui n’aura son heure solennelle dans le monde, Apollon sous Auguste[3], Minerve sous Domitien[4], la Mère des Dieux sous les Antonins et les Sévères, le Soleil sous Aurélien, Jupiter et Hercule sous Dioclétien[5]. L’État ne réussira pas à lier à son existence l’hégémonie d’une divinité. Jupiter a beau trôner sur le Capitole, il est souvent indifférent à la majorité des hommes, et son autorité est soumise aux caprices de l’opinion publique. Les dieux ne se combattent pas encore, mais ils ne savent déjà plus se commander les uns aux autres. Et la vie religieuse de l’Empire est livrée à l’anarchie. Restera-t-il au moins, comme principe d’union morale, l’obéissance, la dévotion à l’empereur ? Or, à chaque changement de règne, les raisons de ne point obéir ont paru plus évidentes. Tout nouveau César, d’Auguste à Vitellius, a fait connaître au monde un vice de plus, une dégradation plus forte de l’autorité suprême. Si bien doué qu’un prince se soit montré avant son avènement, il a suffi du pouvoir pour le rendre pire que ses prédécesseurs. Le dernier nommé, Vespasien, semble un brave homme. Mais la médiocrité de sa famille fait un non-sens de ce titre d’augustus qu’il vient de recevoir. Ce fils de petit banquier italien[6] n’a pas l’étoffe d’un dieu, n’est point qualifié pour recevoir l’héritage des Jules et des Claudes, les plus anciennes et les plus saintes maisons de l’univers[7]. En vertu de quel droit, puisqu’il n’y a plus le fait de la naissance, un empereur va-t-il commander au monde ? On l’appelle le délégué du peuple romain : mais on sait bien que le peuple romain n’est jamais consulté, et que, depuis la mort de Néron, toute création d’empereur a été l’ouvrage de quelques conjurés ou le résultat d’un coup de force. Une fois acquis, aucune règle ne modère l’exercice de ce pouvoir : un essai de constitution tenté au début du règne de Vespasien, ne fut que la reconnaissance du fait accompli et l’amplification verbeuse du mot de despotisme[8]. Ce pouvoir impérial, qui partait d’une origine misérable ou criminelle, qui échappait à toute loi, et qui aboutissait à l’apothéose, était, vraiment, un défi à la raison, à la justice, à l’ordre des choses humaines et à l’harmonie des choses divines. Empire et monarchie paraissaient donc ne tenir que par des prodiges d’équilibre ou un jeu du hasard. Ceux qui les virent se rétablir à l’avènement de Vespasien, n’osaient croire à l’éternité de l’édifice[9]. Il dura pourtant, et, après la dernière crise, chaque génération le rendit plus solide. Depuis la mort de Vitellius, près d’un siècle s’écoulera sans déchirement à l’intérieur de l’Empire, sans rupture à la barrière extérieure. Les causes de discorde s’amortirent, les dangers furent écartés, le monde s’accommoda de tous les dieux et de tous les empereurs, l’entente s’établit entre les lois et les faits, les principes et les sentiments, l’obéissance et l’autorité[10]. C’est ce siècle extraordinaire qui mérite seul d’être appelé celui de la « paix romaine ». I1 faut entendre par ce mot célèbre[11] moins la sécurité des frontières que le calme de la vie publique, que l’union de toutes les volontés, la franche concorde entre des sujets absorbés par le travail et des maîtres dignes de commander. Nous allons trouver, dans le récit des faits qui ont suivi le triomphe de Vespasien, les causes de cette période unique dans l’histoire de la Gaule, où elle vécut sans batailles et sans colères. II. — VESPASIEN ; NOUVEAU CARACTÈRE DU POUVOIR IMPÉRIAL. La plus importante de ces causes fut que le hasard donna à l’Empire des maîtres excellents : l’autorité du prince cessa de paraître une forme monstrueuse de la divinité, pour ressembler à la plus efficace des magistratures. Vespasien[12], avant d’être empereur, avait parcouru toute la carrière des honneurs civils et militaires. Il arriva naturellement à la dignité d’Auguste, comme si elle devait être la conclusion et le couronnement d’une longue vie d’honneurs et de travaux[13]. Lui-même ne l’envisagea pas autrement que ses fonctions antérieures. Les devoirs d’un empereur étaient plus nombreux que ceux d’un légat ou d’un proconsul ; beaucoup plus d’êtres dépendaient de sa volonté : mais, empereur ou proconsul, Vespasien se sentit responsable envers ses sujets, tenu de travailler pour leur bien, l’homme d’affaires de l’État, et pas autre chose. Le monde se réconcilia avec l’idée d’un empereur. Cette attitude de Vespasien, cet esprit impérial de labeur et de conscience, sera, pendant le siècle qui va suivre, l’idéal constant de ses successeurs. Quelques-uns, comme Hadrien ou Marc-Aurèle, auront l’intelligence plus vaste ou une vertu plus haute. Aucun ne travaillera davantage[14]. Et le seul, durant ces cent ans, qui sera un mauvais homme, Domitien, fils de Vespasien, ressemblera au moins à son père par son application à la tâche d’empereur[15]. Vespasien accomplit la sienne pendant dix années (69-79). Les Germains, épuisés par leurs discordes[16], laissèrent la Gaule se reposer des guerres de Vitellius et de Civilis[17]. Elle reçut de très bons gouverneurs[18]. Instruits par l’expérience de la crise récente, les chefs de l’État éloignèrent des bords du Rhin les troupes d’auxiliaires indigènes, et s’efforcèrent de mêler davantage, dans tous les corps d’armée, les conscrits des diverses nations[19]. On se battait sur la frontière juste assez pour que les soldats fussent tenus en haleine. Du Rhin aux Pyrénées, le silence se fit partout, bon augure d’une nouvelle période d’actif labeur[20]. L’un après l’autre, tous les acteurs de la dernière révolte, tous ceux qui, à la vue des flammes du Capitole, avaient espéré la naissance de nouveaux empires ou le réveil d’antiques libertés, disparurent dans l’oubli ou l’humiliation. Velléda, la prophétesse des Germains, tomba au pouvoir des soldats de la frontière, et la plèbe romaine put la voir, captive et suppliante. Civilis le Batave, Classicus et Tutor les Trévires, vivaient et mouraient obscurément. Le Lingon Sabinus, qui avait voulu devenir César chez les Gaulois, s’était réfugié dans une caverne, et, pendant neuf ans, il put échapper à ses ennemis. Sa femme Éponine[21] l’avait rejoint ; deux enfants étaient nés et grandissaient dans leur retraite : délivrés de leurs premières ambitions, les deux époux s’étaient fait une nouvelle vie, n’existant plus que l’un pour l’autre et l’un par l’autre. Mais on les découvrit, on les amena à Vespasien. Éponine et ses fils se jetèrent à ses pieds, demandant la grâce du coupable. Sur le refus du prince, l’épouse invectiva fièrement contre lui. Il n’y avait point à espérer de pitié chez ce vieil Italien, sec et dur comme tous ceux de sa race, et il donna l’ordre d’envoyer au supplice les deux malheureux, Sabinus et Éponine, qui avaient offensé la majesté impériale (79). Leurs fils vécurent loin de la Gaule, l’un à Delphes, l’autre en Égypte, épaves d’un temps d’espérances et d’orgueil perdues dans la paix de l’Empire[22]. III. — OCCUPATION DE LA SOUABE[23]. Mais il y avait encore des Romains et des Gaulois à qui ces mots de paix et de travail étaient insupportables. Les choses n’avaient point changé depuis le siècle des Scipions. Beaucoup, grands ou petits, s’ennuyaient à ne point faire la guerre, qui rend l’avancement plus rapide et la richesse plus facile. Quelques–uns, moins intéressés, jugeaient les conquêtes conformes à la tradition romaine, nécessaires à la dignité et à la sécurité de l’Empire. Vespasien, sans risquer de grandes expéditions, n’interdit pas quelques marches en avant aux meilleurs de ses légats d’Occident[24]. En Bretagne, Cérialis et Agricola s’assurent la possession définitive du pays d’York[25] et une obéissance suffisante dans le pays de Galles[26]. Au delà du Rhin, quelques points sont occupés dans la plaine de Bade et les défilés de la Forêt Noire[27] ; et il est visible que l’Empire ne veut plus s’en tenir à la rive gauche. Sous les fils de Vespasien, Titus (79-81) et Domitien (81-96)[28], princes jeunes, ardents et ambitieux, les légats se permirent plus d’audace. Agricola entreprit délibérément de donner à Rome toute la Bretagne : sept années de campagnes le conduisirent jusqu’à l’isthme de la Clyde[29], tandis que les pilotes de ses navires, à l’exemple de Pythéas, faisaient le tour de l’île et cherchaient le chemin de Thulé (en 81)[30]. Le légat impérial reprenait en Occident l’œuvre des négociants marseillais. En Germanie, la rive droite du Rhin fut enfin solidement occupée, du moins en face de la province supérieure, des environs de Coblentz au lac de Constance. Domitien vint en personne (en 83) dompter les Chattes de la Hesse[31], ancienne et forte nation que tous les officiers de la frontière n’avaient cessé de combattre après Jules César. Au sud du Taunus, on eut moins de peine à soumettre les indigènes. Depuis la mort d’Arioviste, Souabe et Franconie n’étaient plus qu’un vaste champ de bataille où les tribus suèves s’entre-détruisaient[32]. Il ne fut point difficile d’y forcer les terres à devenir romaines[33]. Les légions s’installèrent dans la vallée du Neckar, remontèrent le Mein jusqu’à Miltenberg, et, vers Ratisbonne, rejoignirent le Danube et la bordure des provinces d’Illyrie[34]. Domitien n’alla pas plus loin. Il se borna à annexer les terres germaniques qui s’étendaient entre l’Alsace et la Bavière : la frontière fut marquée et défendue par une ligne ininterrompue de redoutes et de murailles, qui partait du Rhin en aval de Coblentz, et qui finissait au Danube en amont de Ratisbonne[35]. Si limitée qu’elle fût, la nouvelle conquête offrit à la Gaule de sérieux avantages. Elle protégeait sa frontière là où elle était le plus vulnérable. L’angle rentrant de Souabe, qui s’en va menacer la trouée de Belfort, est maintenant possession latine, et, sur toute la ligne de front, de Coblentz à Ratisbonne, une formidable demi-lune ferme l’entrée de la Gaule et de l’Empire. Cette Germanie romaine d’outre-Rhin faisait revivre une chose très ancienne. Elle n’était autre que l’ancien domaine des Helvètes, jadis conquis par Arioviste. Vespasien et Domitien, en le rattachant à l’Empire, l’ont restitué à l’Occident gaulois. Aux Suèves qui y demeurèrent, se joignirent nombre de Gaulois, qu’on y laissa venir en qualité de colons[36]. Romains, Germains et Celtes rapprochèrent leurs dieux, leurs langues et leurs usages dans ces vieilles et charmantes terres de Souabe, depuis si longtemps mêlées à l’histoire du monde ; et, comme au temps de Ségovèse, elles porteront l’avant-garde de la civilisation du côté de la grande Germanie. L’humeur ombrageuse de Domitien[37], une révolte de son armée de Mayence[38], les inquiétudes que lui donnèrent les Daces[39], l’empêchèrent de pousser plus loin les conquêtes occidentales. Agricola fut rappelé avant d’avoir pu soumettre l’Écosse ou l’Irlande[40], les anciens projets sur l’Elbe et la Bohême ne furent point repris, et les légats de la Germanie reçurent l’ordre de renoncer à l’offensive[41]. Domitien, rentré à Rome, obligea de nouveau l’Empire à la paix, en dépit des courtisans qui glorifiaient les aventures[42]. IV. — L’ÈRE DES ANTONINS. Domitien fut un prince fort méchant, mais il ne fit souffrir que ceux qui l’approchaient[43]. La Gaule ne se trouva point malheureuse sous son règne[44] ; et ses provinces, confiées à de bons gouverneurs, ne virent chez les représentants de César que justice et modération[45]. C’est chose monotone que de rappeler ce fait. Mais il n’y a point lieu pour un récit vivant clans cette histoire d’une paix profonde. La révolution de palais (96) qui donna l’Empire à Nerva[46] et à Trajan[47], ne changea rien non plus à la vie intérieure de l’Occident : il y gagna ce seul avantage, que ses provinces eurent plus de liens avec la famille des nouveaux empereurs qu’elles n’en avaient eu avec celle de Vespasien. Trajan était d’origine espagnole, j’entends qu’il était un Romain d’Espagne[48]. Cela signifiait que toutes les régions du monde pourraient être appelées à leur tour à fournir le maître de l’Empire. Vespasien avait inauguré le triomphe de l’Italie sur les grandes gentes de la capitale ; Trajan marqua l’avènement de la province ; quarante ans après lui viendra Antonin, petit-fils de Nîmois[49], et c’est alors la Gaule qui donnera l’illusion de commander à l’univers. L’Empire accessible à tous les citoyens du monde, ce fait consacrait le caractère de magistrature que lui avait imprimé Vespasien. Il était devenu, comme le consulat, une ambition que personne ne pouvait s’interdire. La suite des évènements fit que la dignité impériale grandit encore en valeur morale. Aucun des quatre premiers empereurs qui suivirent Domitien, n’eut d’héritier naturel capable de lui succéder. Ils durent se chercher un successeur en dehors de leur maison, et ils furent assez intelligents pour choisir dans leur entourage le chef qui leur parut le meilleur. Il est vrai qu’ils le faisaient tout d’abord entrer dans leur famille, et qu’ils lui donnaient le titre de fils afin de lui assurer celui de César. Mais, dans cet usage de l’adoption, les peuples pouvaient ne voir qu’une seule chose, qui était la principale : c’est que le plus digne recevait l’empire de la volonté libre et réfléchie d’un empereur prêt à mourir[50]. Cette adoption même, je veux dire le rapport de parenté imposé aux princes qui se succédaient, ajoutait à leur prestige religieux. N’oublions pas que Grecs et Barbares, Gaulois et Germains, tous les sujets de Rome sortaient à peine d’un état politique où le pouvoir suprême était inséparable de l’existence d’une dynastie consacrée. Des siècles et des millénaires d’obéissance à des rois héréditaires, avaient mis pour longtemps dans l’âme des hommes le respect d’une telle forme de l’autorité. Aussi, à contempler cette lignée d’empereurs héroïques, de Nerva à Marc-Aurèle, qu’unissait la trame continue du lien familial[51], à songer qu’ils étaient également unis dans les espaces célestes en un cortège de dieux, tous les peuples de la terre se sentaient enveloppés de crainte et de respect. Enfin, les quatre derniers de ces empereurs, Trajan, Hadrien, Antonin, Marc-Aurèle, reçurent du destin le double avantage d’un long règne et de grandes vertus. Tous, avec des facultés différentes, furent des hommes de bien, d’intelligence et de volonté, et ils purent se montrer comme tels au monde chacun pendant près d’un quart de siècle[52]. Le monde sortit de ce siècle pénétré de l’idée que l’unité romaine et la monarchie impériale, que cette immense société d’humains régie par une famille éternelle, était enfin voulue et bénie des dieux[53], et qu’elle ne disparaîtrait plus. D’épouvantables malheurs pourront venir ensuite, un nouveau Néron succéder à Marc-Aurèle : l’humanité ne saura plus extirper de son âme la double confiance en Rome et en César qu’y a déposée le siècle des Antonins. V. — TRAJAN ET LES NOUVELLES CONQUÊTES[54]. Trajan reprit, en les élargissant dans des proportions grandioses, les plans formés sous Domitien pour l’extension de l’Empire. Ce fut, ont dit les Anciens, par amour de la gloire et pour ressembler à un Alexandre ou à un César[55]. J’en doute un peu. Le caractère de Trajan, ferme et droit, son intelligence politique, la finesse de son esprit et la modération de ses goûts[56] me font croire qu’il y eut, à ses entreprises guerrières, d’autres causes que l’excès de son ambition. Peut-être estima-t-il, comme tant d’hommes d’État depuis César, que la simple défensive était un mal pour l’Empire, qu’elle invitait ses voisins à l’insolence et ses légions à l’indolence, que, dans ce vaste corps de l’État romain, il fallait mettre de l’action, des espérances, des dangers, sous peine de le voir tomber dans une inertie délétère. Les dieux, depuis bientôt un millénaire, avaient porté Rome sans cesse en avant, et ne lui avaient permis de s’arrêter que le temps de refaire ses forces : elle devait revenir, après le siècle de paix que lui avait imposé la vieillesse d’Auguste, à ce qui était sa mission sur la terre[57]. Les deux grandes guerres de Trajan furent contre les Daces et contre les Parthes[58]. Celle-ci demeura inachevée ; celle-là aboutit aux résultats désirés. L’empire des Daces, qui avait failli compromettre celui de Rome, disparut pour toujours ; et les provinces romaines du Centre, franchissant le Danube, vinrent s’adosser à la solide barrière des monts Carpathes. C’était un des rêves de César qui se réalisait, cent cinquante ans après la mort du dictateur. L’histoire romaine continuait sa montée triomphale vers des destins toujours plus beaux. Ce qui avait été jadis le songe d’un vieillard ambitieux, devint l’acte définitif d’un sage politique. Et si Trajan a voulu, ce que je crois, inculquer aux hommes l’admiration inébranlable de la chose romaine, rien n’y était plus propre que la fin du grand empire de Burbista. Il ne restait plus de Barbares en Europe, en deçà de la Vistule, que sur la terre germanique, celle où s’était jadis agitée l’ambition d’Arioviste le Suève, le rival de Burbista. De ce côté, Trajan, occupé sur le Danube ou sur l’Euphrate, ne put ou ne voulut rien faire. Mais je n’affirmerai point qu’il n’ait pas songé, là aussi, à reprendre les desseins de César et de Drusus, et que sa pensée n’ait pas un instant bâti une grande Germanie romaine, et tracé une nouvelle frontière d’Empire, partant des Carpathes déjà atteints, pour descendre, le long de l’Elbe ou de la Vistule, jusqu’aux rivages de l’ambre, termes de l’Océan du Nord[59]. VI. —LES VOYAGES D’HADRIEN. La mort de Trajan marqua, comme le désastre de Varus, un arrêt dans la marche en avant. Ce fut, cette fois, la fin définitive des grandes entreprises. Sur le Rhin ou sur le Danube, les Romains ne feront plus que des guerres de protection. A chaque génération, ils avoueront plus nettement leur lassitude des conquêtes. — Nous verrons bientôt le danger que leur fera courir cet éternel recueillement. En ce moment, le nouveau maître de Rome, Hadrien[60], était l’homme prédestiné pour lui faire prendre l’attitude de la défensive. Il sut la rendre presque aussi superbe et glorieuse que les brillantes victoires de Trajan. Sur tous les points de la frontière, il voulut que l’Empire sentit, entretint, montrât ses forces sans relâche, et que les hordes de Barbares qui l’entouraient ne s’arrêtassent point de trembler devant lui, comme devant une forteresse imprenable pleine de menaces et prête aux sorties. On le vit voyager d’un bout à l’autre du monde, inspectant les garnisons, examinant les places fortes, passant les troupes en revue, les faisant manœuvrer sous ses yeux, multipliant les ordres du jour, et se dépensant autant, pour fortifier les provinces[61], que l’avait fait César pour les conquérir. Au delà du Rhin, on devine ses plans et ses ouvriers dans ces cent vingt-cinq lieues[62] de fossés, de palissades, de tours de garde, de redoutes et de murailles qui enfermaient la Germanie romaine dans l’enceinte de leurs lignes continues[63]. En Bretagne, il fit tracer, sur quatre-vingts milles de long, du golfe de Solway à l’embouchure de la Tyne, un mur large de huit et haut de seize pieds, bordé de fossés et de terrasses, hérissé de tours et de châteaux, flanqué de dix-sept citadelles[64]. Et ces formidables constructions signifiaient à la fois que les Barbares ne pourraient point ébrécher la barrière de l’Empire, et qu’il ne voulait plus s’étendre au delà. En se rendant aux frontières, Hadrien aimait à circuler à l’intérieur des provinces. Il traversa deux ou trois fois la Gaule (dans les années 121-122 ?)[65]. C’étaient des voyages lents et minutieux. Le prince s’informait longuement des besoins des cités[66]. Une multitude d’hommes l’accompagnaient, ouvriers et artistes de tout genre[67] ; et là où il passait, les vieilles bâtisses se réparaient, et de nouvelles s’élevaient[68]. A Nîmes, il apprit la mort de Plotine, la veuve de Trajan, et il ordonna aussitôt qu’on y construisît en sa mémoire un somptueux édifice[69]. Jamais l’Empire romain ne connut davantage son empereur. Hadrien imitait ensemble Auguste dans ses voyages et Vespasien dans son application aux affaires. Il fut, comme ce dernier, un excellent intendant de la chose publique, mais un intendant qui veut tout voir par lui-même et qui met partout la main à la besogne[70]. Cela ne l’empêchait pas d’être un homme d’esprit très fin et de culture très profonde. Ce grand inspecteur de l’Empire a été le plus curieux et le plus instruit de ses princes. Il recherchait les gens de lettres dans chaque province, et il se lia avec Favorinus d’Arles, un des bons écrivains de ce temps[71]. Tout l’intéressait dans ses voyages, les vestiges du passé, les monuments célèbres, les sites pittoresques, les hommes et la nature[72]. Quel dommage que nous ignorions les détails de ses promenades dans la Gaule ! quelle occasion pour nous de la mieux regarder, dans l’éclat de ses édifices récents, dans le mystère de ses ruines, dans le charme de ses paysages ! Hadrien passait ainsi à travers les pays de l’Empire, les obligeant à se connaître eux–mêmes, et, après cet examen de conscience, à vivre d’une vie plus intense, à se garder contre le double danger de la paresse et de la quiétude. Pour maintenir les hommes dans cette constante surveillance de soi, il sut se contraindre lui-même à une prodigieuse tension du corps et de l’esprit. Quand la vieillesse arriva, c’est alors seulement qu’il arrêta ses courses. Il se retira près de Rome : mais il ne cessa point de veiller à ce que rien ne se perdit des salutaires habitudes qu’il avait données au monde[73]. Les choses changèrent lorsqu’il mourut, et on commença à se reposer après tant de peine (138). VII. — ANTONIN LE PIEUX[74]. Son successeur, Antonin le Pieux, fut un homme parfait, travailleur, honnête, consciencieux, économe, doux et juste[75], patriarche aimable plutôt que grand empereur. Il détestait les voyages autant que les guerres, parce que les uns coûtent de l’argent et les autres des hommes ; et durant son règne, il ne bougea pas du Latium[76], comme s’il voulait faire contraste à la fois avec Hadrien et avec Trajan. Sa famille était originaire de Nîmes en Narbonnaise. Il s’abstint quand même de visiter la Gaule et de s’y montrer en empereur. C’est de loin qu’elle reçut ses bienfaits. Narbonne, détruite par un incendie, fut reconstruite à ses frais[77]. Il fit procéder à une réfection générale des routes du Midi[78]. Mais il y avait, dans cette manière d’être généreux et de bien gouverner, un peu de banalité administrative. Sur les frontières, depuis que l’Empire existait, jamais la vie n’avait été plus monotone. A la défensive active et menaçante, qui fut le mot d’ordre de son prédécesseur, succéda le laisser aller de la sécurité. Pas une seule fois les soldats ne reçurent l’ordre de franchir la muraille qui les séparait de la Germanie[79]. Il n’y a plus là que quatre légions, deux fois moins d’hommes que sous Auguste. Ce sont, d’ailleurs, toujours les mêmes, on ne les change plus de garnison, elles feront corps désormais avec le sol et le pays[80]. L’armée commence à ressembler à une milice, sans souplesse et sans ambition : maintenant, elle se recrute d’ordinaire parmi les enfants de troupes ou les indigènes de la région, nés et grandis près des camps mêmes[81]. Le soldat devient un être d’habitudes, ce qui est pour lui le pire des défauts. Le résultat de cette politique ne se fit pas attendre. Pour la première fois depuis que Vespasien a rendu la force à Rome, il est question, près du Rhin, de Germains qui menacent et qu’il faut chasser[82], et, à l’intérieur, de révoltes qu’il faut réprimer[83]. Cependant, tant que vécut Antonin, Barbares, légions et sujets demeurèrent assez tranquilles, encore sous l’impression de la crainte et du respect que leur avaient inspirés la gloire de Trajan et l’activité d’Hadrien. Ce fut Marc-Aurèle son héritier[84] (161-180), le plus grand des empereurs, le plus digne des chefs qui aient commandé aux hommes, ce fut Marc-Aurèle qui expia les généreuses imprudences d’un règne trop pacifique. VIII. — L’EMPIRE OUVERT AUX BARBARES. En l’an 166, sixième année du règne de Marc-Aurèle, il y avait plus de deux siècles que Jules César, par la défaite d’Arioviste, avait rejeté les Barbares au delà des grands fleuves. Depuis lors, contenus par la digue puissante des légions et des camps, on ne les vit jamais entrer par la brèche dans l’Empire, et c’est contre eux-mêmes qu’ils avaient tous, Germains et Scythes, Suèves et Daces, tourné leurs besoins de guerre et leurs désirs de querelles. Cette année-là, sans que rien eût fait prévoir la catastrophe, Marcomans, Quades et autres, derniers descendants des bandes d’Arioviste, franchirent brusquement le Danube comme une horde de furieux, et bientôt leurs avant-gardes, passant à travers l’Illyrie épouvantée, traversèrent les Alpes Juliennes, et se montrèrent aux portes de la colonie italienne d’Aquilée[85]. C’était, pour le monde romain, la plus terrible leçon qu’il eût reçue depuis l’invasion des Cimbres. Elle lui rappelait que, si fortes que fussent ses frontières, il fallait toujours y faire bonne garde, et que peut-être même elles seraient impuissantes contre une pesée de tous les Barbares. Car, à dire vrai, ce n’était pas le poids des seuls Suèves qui avait rompu la barrière : derrière eux, se hâtant vers l’ouest, se pressaient les Goths, les Vandales, les Burgondes, les Lombards, hommes de la Germanie lointaine ; derrière ceux-ci, d’au delà les rives de la Vistule, arrivaient d’autres bandes, des Roxolans et des Alains des steppes[86]. La poussée partait à la fois du fond de la Baltique et du fond de la mer Noire, pour finir sur le Danube multipliée par la force de millions d’hommes[87]. Là, elle frappait au point le plus vulnérable de la frontière, elle visait au cœur de l’Empire : une rupture du rempart, à Vienne ou à Carnuntum, c’était le monde romain coupé par le milieu, séparé de nouveau en Orient et Occident, et c’était l’ennemi sur le chemin le plus court et le plus facile qui menât en Italie. Par bonheur pour l’Empire, les autres régions ne furent point menacées et purent envoyer des contingents d’hommes à la délivrance des provinces danubiennes. Marc-Aurèle ne quitta plus la frontière, et il usa le reste de sa vie à réparer le désastre[88]. Son intelligence d’homme d’État lui montra la manière d’empêcher le retour d’un pareil malheur. Comme l’avait fait Trajan sur le bas Danube, il fallait avancer la frontière romaine jusqu’à la ligne des montagnes hercyniennes, annexer Moravie, Bohême, Thuringe, donner à l’Empire les terres des Suèves, et lui fixer comme limites à ce jour le massif des Carpathes et les rives de l’Elbe. Cette barrière à garder eût été moins longue et mieux protégée par la nature que la bordure assez fragile du Rhin et du Danube. On eût incorporé à l’État des soldats magnifiques, diminué de moitié la force de la Germanie, évité ces éternelles campagnes de défense, plus sanglantes qu’une guerre de conquête. Le monde romain aurait pu regarder l’avenir avec plus de confiance, et les philosophes espérer encore de réaliser l’unité humaine. — C’est ce que Marc-Aurèle pensa à la fin de sa vie : car il projeta de transformer en provinces les terres barbares du Nord, et ce grand sage, au contact des réalités et au maniement des hommes, se laissa séduire par les desseins de Drusus et les rêves de Jules César[89]. IX. — SIGNES DE DÉCADENCE. La Gaule, sans être atteinte par l’invasion, en subit les contrecoups. Des légats eurent à guerroyer sur le Rhin, pour Ôter aux Germains de l’ouest la tentation d’imiter les Suèves. Il y eut des batailles livrées à de très vieux ennemis, les Chattes des montagnes de la Hesse[90] et les Chauques des rivages du Hanovre[91]. Ces guerres de sûreté, ces dangers imprévus, l’embarras où l’on fut un instant pour trouver des hommes[92], la détresse du fisc[93], l’absence prolongée de l’empereur toujours aux prises avec l’ennemi[94], une peste effroyable qui décima les provinces[95], tout contribuait sous ce règne à laisser plus de champ aux forces latentes qui menaçaient la paix romaine. On vit en Gaule des faits étranges, sur lesquels nous sommes mal renseignés. Il est question, chez les écrivains, de graves désordres en Franche-Comté[96]. Çà et là, dans le Centre et l’Est de la Gaule, nous trouvons trace de monuments détruits, de trésors enfouis[97]. Je doute que les Barbares aient alors pénétré jusque dans ces régions : il faut y supposer quelque jacquerie, quelque révolte, des troubles profonds, comme la Gaule n’en avait plus connu depuis l’avènement de Vespasien. Il était partout visible que le siècle de la paix allait finir avec le plus noble des empereurs. La richesse déclinait dans les Gaules. Après la mort d’Hadrien, les belles constructions y devinrent plus rares. A Nîmes même, Antonin s’épargna la dépense de grands édifices[98]. Marc-Aurèle est détourné des affaires de l’intérieur par les pénibles soucis de la frontière. Quelques-unes des entreprises industrielles qui avaient le plus contribué à la fortune des pays celtiques, sombrent ou périclitent, par exemple la fabrication des poteries rouges à figures, dont la Gaule avait inondé l’Occident[99]. L’État s’occupe moins de réparer les routes[100], et il parait que, de loin en loin, des troupes de brigands s’y sont installées[101], ce qui est le signe le plus net de mauvais temps qui commencent. On dirait même que la valeur intellectuelle des hommes s’est affaiblie. Cette trop longue sécurité qui a amorti les courages aux frontières, a diminué la force créatrice des esprits. Plus de guerres, point de révolutions, une marche paisible des affaires, l’État fermé aux querelles, une sorte de lassitude pesant sur le monde, les hommes manquaient de l’énergie personnelle qui fait sortir les grandes œuvres. A vivre toujours d’accord, à mettre sans cesse en commun les pensées et les sentiments, on finit par s’en tenir à des désirs, à des actes modérés, à un état d’âme moyen et médiocre[102]. Je ne vois plus, dans les sculptures et les monuments de la Gaule, une seule chose qui ne soit banale, et, ce qui est plus fâcheux, d’une facture incertaine[103]. Il n’est pas jusqu’à la gravure des inscriptions latines qui ne trahisse dès lors des mains indolentes[104] Après Hadrien, il serait impossible de citer un nom de mérite dans l’histoire littéraire de la Gaule. Pendant plus de deux générations d’hommes, entre les voyages du grand empereur et les guerres civiles du temps de Septime Sévère (122-193), on ne fit, au delà des Alpes, que de la besogne courante. X. — MYTHOLOGIE CLASSIQUE ET DIEUX ORIENTAUX. Toute l’énergie de cette époque se portait vers les questions religieuses. Le cas de Marc-Aurèle, dissertant avec lui-même sur l’âme, les dieux et le monde, écrivant ses pensées, cherchant son destin et vivant son idéal même dans son camp, à côté des soldats qui s’agitent, en face des Barbares qui s’approchent, le cas de l’empereur est celui de milliers et de millions d’êtres dans le monde romain. Bien des causes expliquent cette extraordinaire passion qui entraînait alors les hommes au culte intensif des devoirs de la piété. — Il y a la monotonie de la vie publique, et que ce régime d’obéissance et de régularité interdisait les luttes intérieures et les grandes ambitions : si le Gaulois s’enferma dans la vie dévote, ce fut à la manière du frondeur sous Louis XIV, pour y employer son action et y apaiser ses dépits. Il y a l’afflux de dieux et de prêtres, se précipitant de tous les points de l’Empire à la curée des âmes : si la Gaule s’est livrée tout entière à la folie religieuse, ce fut parce que la contagion était inévitable en cette foire mondiale qu’on appelait l’Empire romain. On verra aussi que certains cultes orientaux la réveillèrent de ses pratiques coutumières, tantôt en lui présentant des séductions inconnues, tantôt en ravivant en elle les lointaines sensations de son passé. Au temps d’Antonin et de Marc-Aurèle, l’accord était depuis longtemps achevé entre les dieux des anciens Celtes et ceux du panthéon officiel. L’échec de l’Empire gaulois, le silence définitif des druides et des bardes, avaient laissé la voie libre à Jupiter, Mercure ou Minerve. Ils s’étaient emparés des sanctuaires indigènes, et, sans en expulser à vrai dire les dieux primitifs, ils les avaient absorbés dans leur propre image. A part les divinités et les pratiques de la campagne, à l’ordinaire plus tenaces, croyances et cérémonies étaient passées au service des dieux de l’Olympe et du Capitole. Mais la Gaule ne pouvait tarder à sentir l’ennui profond qui se dégageait alors de ces dieux, de leur culte et de leurs légendes. Que les colons venus d’Italie, les marchands venus de Grèce, les riches bourgeois et les personnages officiels aient multiplié dans les villes statues et bas-reliefs, images et scènes tirées de la mythologie classique, je le comprends, mais je doute que tout cela fit grande impression sur les yeux du populaire ou sur les pensées de l’élite. Dans le grand temple de Champlieu en Valois, bâti en pleine campagne à la lisière des forêts du Nord, une longue série de sculptures représentaient les épisodes les plus fameux des fables helléniques, Icare et ses ailes, Jupiter et Léda, Prométhée et son rocher, Thétis trempant son fils Achille dans les eaux du Styx[105]. Ces noms et ces gestes pouvaient paraître plaisants ou graves à quelque Gaulois lettré, gagné au culte d’Homère ou de Virgile. Mais quelle vertu mystérieuse, quelle espérance ou quelle crainte y attachaient ces milliers de paysans qu’attiraient à Champlieu les jeux et les dévotions, laboureurs du Valois, bûcherons de la forêt de Compiègne ? et quel goût, d’autre part, prenaient à ces récits et à ces figures bizarres les âmes inquiètes des hommes épris d’idéal ? Dépaysées loin des cieux et des terres où elles avaient pris naissance, ces divinités perdaient ici tout leur sens, vides et mensongères comme des défroques de Saturnales. En Gaule plus que partout ailleurs, la religion classique s’usa dans le temps même où elle triompha[106]. Les dieux orientaux y arrivèrent à point nommé pour leur faire concurrence. C’est après Trajan, le glorieux ministre de Jupiter Capitolin[107], qu’ils purent s’installer librement dans les Gaules. Je pense que son successeur Hadrien, qui venait d’Égypte et de Syrie, en amena quelques-uns dans son cortège[108]. Marc-Aurèle, au plus fort du danger de l’Empire, fit appel à toutes les divinités : par condescendance pour la foule ou par raison d’État, et peut-être par désarroi de son âme pieuse, il crut bon de ne mépriser aucun des dieux et de les convier en masse au salut de Rome[109]. L’Isis égyptienne s’était établie à Marseille, où elle possédait ses prophètes[110]. Elle dut compter de nombreux dévots à Nîmes, à demi fille d’Alexandrie[111]. Le dieu des Perses Mithra se répandit dans les camps des frontières[112], et, j’imagine, dans les colonies de vétérans[113]. Mais la mieux accueillie, la plus populaire de ces divinités orientales, ce fut la Grande Mère des Dieux, que l’on vit, au temps d’Antonin et de Marc-Aurèle[114], faire son entrée triomphale dans les villes les plus saintes de la Gaule, à Die chez les Voconces[115], à Lectoure chez les Aquitains[116], à Narbonne dans le Midi[117], à Lyon près du Confluent[118]. Ces dieux étaient-ils vraiment, pour un Gaulois, des êtres nouveaux, de purs produits de l’Orient ? Que la Mère et Mithra apportent de l’Asie ou de la Perse les règles de leur sacerdoce, leurs formules de prières, leurs cérémonies et leurs mystères, ce n’en sont pas moins des divinités que la Gaule et l’Occident connaissent depuis des millénaires, celle-là est la Terre, celui-ci est le Soleil. Leur religion est enracinée dans le pays dès l’âge du bronze et de la pierre polie. Les succès de Jupiter, de Mercure et de Minerve ne les ont point fait oublier, et à la faveur des rites orientaux, elles reprennent vigueur sur le terroir natal. Ces cultes de l’Asie permirent aux plus vieilles religions de l’Occident une demi-revanche sur la mythologie classique : c’est pour cela que la Mère des Dieux prospéra si vite sur le sol des Celtes, des Aquitains et des Ligures, tout imprégné de dévotions chthoniennes. Comme autrefois Bélénus ou Teutatès, la Terre ou Mithra faisaient une part secondaire à l’image, qui était l’essentiel pour Jupiter ou Mercure. Tous deux, et Isis, et leurs congénères d’Orient, représentaient des formes et des forces de la Nature, vivantes et efficaces, ce qu’avaient été aussi les divinités de la Gaule primitive. Leur culte voulait des symboles, des emblèmes, le mystère des initiations, le secret des entretiens, la sainteté de la prêtrise[119] les Celtes et les druides d’avant la conquête avaient également cru que telle était la meilleure manière d’honorer les dieux. Ce fut un peu de l’esprit de ces Celtes que fit à nouveau fermenter l’action du Soleil et de la Terre-Mère, venus de l’Orient au temps des Antonins[120]. XI. — LES PREMIERS CHRÉTIENS DE GAULE[121]. En même temps qu’eux, parti des mêmes terres, suivant les mêmes routes, le Christianisme pénétra dans les Gaules[122]. Il y entra par Marseille, apporté dans la ville grecque par quelque disciple des apôtres, peut-être par saint Paul lui-même, désireux de révéler la bonne nouvelle aux cités de l’Occident[123]. De là, le nom du Christ monta vers l’intérieur, cherchant à se faire entendre dans les villes les plus riches et les plus populeuses. Ce fut surtout à Lyon qu’il trouva bon accueil, grâce à la nombreuse colonie de Grecs et d’Orientaux qui y faisaient le commerce. Mais ses progrès furent alors d’une extrême lenteur. C’est peut-être sous Néron (vers 63) que le premier évangéliste s’arrêta dans Marseille[124]. Un siècle plus tard, on ne trouve d’églises constituées qu’à Vienne et à Lyon[125]. Encore n’étaient-elles ni très nombreuses ni très anciennes : c’est à peine, je crois, si elles réunissaient un millier de fidèles[126], et je doute qu’ils aient pu se grouper en assemblées avant le règne libéral d’Hadrien[127]. Qu’était cette poignée d’hommes à côté des multitudes qui se pressaient autour de l’autel du Confluent ? N’était l’avenir de ces deux mots, l’histoire de la Gaule pourrait encore passer sous silence les églises et les Chrétiens. Elle le pourrait d’autant mieux que ces églises ne comptent pas plus par la dignité que par le nombre de leurs membres. Les principaux sont des Orientaux, étrangers à la cité[128] : le grec est leur langue courante[129]. Il n’y a peut-être que la moitié d’entre eux qui soient des citoyens romains[130]. Un avocat, un riche Asiatique, un médecin de Phrygie, une dame romaine, beaucoup de prolétaires et d’esclaves, de très jeunes gens des deux sexes[131], un évêque nonagénaire assisté de quelques prêtres[132], voilà l’église de Lyon au temps de Marc-Aurèle. C’était bien peu de chose, et il n’y avait pas là de quoi arrêter un seul instant l’attention de l’autorité publique. Ni les propos ni les désirs de ces hommes n’étaient d’apparence dangereuse[133]. Ils se disaient frères[134], ils adoraient un Dieu suprême et son fils Jésus-Christ[135] : celui-ci avait un instant paru sur la terre d’Israël, pour révéler la puissance de son Père, pour faire communier ensemble ceux qui croiraient en ce Dieu. Le vœu le plus ardent du Chrétien était de les retrouver tous deux après sa mort, de revivre dans le rayonnement de leur gloire[136]. Une première initiation, accompagnée d’un baptême, le préparait à ce bonheur d’une nouvelle vie[137] ; la foi en Dieu, des mœurs pures et la charité l’en rendaient à jamais digne[138]. C’étaient là préceptes et pratiques de vertu, d’une vertu légèrement innocente et banale, dont un philosophe pouvait sourire, et qu’un politique pouvait dédaigner. Mais les hommes qui réfléchissaient plus fortement et qui, comme disaient les Anciens, fouillaient les souterrains des âmes[139], auraient pu trouver les mystérieuses raisons qui assuraient l’avenir à ce nom de Chrétien. Il s’opposait aux deux modes de croyances qui se partageaient alors le monde, et que nous venons de voir se disputer les Gaules ; ou, plutôt, il les rapprochait et les conciliait en une religion à la fois plus humaine et plus divine. — Comme la mythologie classique, le Christianisme racontait la naissance, la vie, la mort, la résurrection d’un héros, fils de Dieu ; les entretiens des fidèles étaient pleins des paroles et des souvenirs du Christ : ils revivaient sans cesse entre eux la courte et douloureuse épopée qu’avait été son existence sur la terre[140]. Mais ce héros, à la différence d’Hercule ou d’Achille, était celui de la pureté et de la souffrance : c’était pour les hommes et pour leur salut, et non pour lui-même et sa gloire, qu’il avait vécu les journées d’angoisse dont on faisait le récit[141]. — Comme les dieux orientaux, le Christ et son Père voulaient un culte mystérieux et profond, fait de symboles et de prières. Mais leur baptême était d’eau pure[142], et non pas de sang d’animal ; leurs emblèmes, leurs images favorites, poissons, oiseaux, ancres, palmes ou couronnes, n’avaient pas la laideur du couteau et du bucrane de la Mère ou du scorpion de Mithra, et leur grande prière, toujours la même, était celle d’un fils qui demande à son Père le pardon de ses fautes et le courage de la vertu[143]. — Voilà ce Qui faisait du Christianisme la religion la plus belle, la plus simple et la plus complète qui ait jamais pénétré dans l’âme des hommes. Elle unissait au charme des récits humains la splendeur de la souveraineté divine. L’empereur qui commandait alors au monde, Marc-Aurèle, avait en lui tout ce qui était nécessaire pour comprendre cette beauté. Je lis et relis ses Pensées : à chaque instant, je sens un souffle qui me semble venir des Chrétiens de Lyon. Lui aussi a vu en son dieu un maître souverain, qu’il adorait dans son âme comme dans un temple[144] ; lui aussi a placé sa vraie patrie dans une cité céleste[145] ; lui aussi a voulu vivre sa vie suivant le modèle laissé par les héros de sa foi[146], et a rêvé sans cesse de vertu, de pureté, d’amour, de pardon et de courage[147]. Pourtant, il est arrivé ceci d’extraordinaire, que l’admirable empereur a, le premier de tous les Césars, persécuté jusqu’à la mort les églises des Chrétiens gaulois[148]. XII. — DES CAUSES DE LA PERSÉCUTION. Historiens et philosophes se sont efforcés de justifier Marc-Aurèle : aucun n’a encore trouvé la raison décisive qui l’a fait agir. On a dit qu’il ignora la persécution[149]. Tout montre au contraire qu’il la connut, et qu’il approuva les poursuites jusque dans leur dernière conséquence, c’est-à-dire jusqu’au massacre[150]. Il lui fallait, pense-t-on, appliquer les édits de Néron ou de Domitien, qui punissaient du dernier supplice le fait de se dire Chrétien[151]. Mais Marc-Aurèle n’était point homme à observer une volonté des anciens Césars, s’il la jugeait injuste ou cruelle. Les empereurs qui l’avaient précédé, et dont il faisait ses modèles, s’étaient bien gardés d’exécuter la loi de persécution c’est lui qui la remit en vigueur. En voulut-il aux Chrétiens de ne point sacrifier à la divinité impériale[152] ? Mais il n’est pas prouvé qu’on obligeât alors tout le inonde à ce sacrifice[153], et on peut croire que Marc-Aurèle ne fut point dupe de sa divinité[154]. — Condamna-t-il les églises comme assemblées de collèges illicites ? Mais il n’est pas sûr que les juristes d’État les aient alors définies de la sorte[155]. On préférera peut-être les raisons suivantes, tirées de l’organisation des églises chrétiennes. Nous avons vu qu’elle différait profondément de celle des autres confréries. Celles-ci restaient isolées, chacune dans sa cité. Les assemblées chrétiennes du monde entier, au delà comme au dedans des frontières romaines, ne formaient qu’une seule et même société, cité de Dieu ou Empire du Christ. Dans chacune de ces assemblées, à côté de leurs espérances célestes, les fidèles étaient dominés par deux puissants désirs, qui visaient le temps de leur vie terrestre : l’un. de demeurer en communion avec leurs frères dispersés dans les contrées les plus diverses ; l’autre, d’accroître le nombre de ces frères en propageant le nom de Chrétien. Chacune de ces églises n’était pas seulement un foyer de vie intérieure, mais aussi un organe d’expansion et de combat, le point de départ de relations et d’ambitions universelles[156]. La propagande, surtout, était dangereuse pour le calme de l’Empire et le bon ordre des grandes villes. Le monde n’avait jamais vu une pareille religion, d’attaque et de conquête. A chaque instant, dans les places publiques, les lieux de spectacle, aux jours de jeux, de foire ou de marché, surgissait un orateur chrétien, ardent, tenace, obstiné à convaincre, agressif, intolérant à force de foi[157]. Cet esprit d’union et de combat tout ensemble, l’amour et la solidarité qui unissaient les églises, leur fidélité unanime et simultanée à la loi d’un seul maître, leur besoin presque fou d’élargir leur domaine et de provoquer des adversaires, cet internationalisme militant et insatiable, — voilà, plus encore que la nature de leur dieu, de leur culte ou de leur confrérie, voilà, je crois, ce qu’on poursuivait sous le nom proscrit de Chrétiens. Qu’on suppose ce nom s’étendant sur tout l’Empire et groupant la majorité des hommes, il devient le maître des choses, et il peut, au nom de la foi, diriger ou suspendre le cours de la vie publique. Il est en tout cas certain que Marc-Aurèle, au moment même où la frontière lui donnait les pires ennuis, redouta une crise intérieure presque aussi grave. Le principal de ses généraux essaya de soulever l’Orient[158]. Il y eut des émeutes dans les grandes villes, et on dut interdire à leurs habitants les assemblées et les spectacles[159]. Peut-être, comme au temps de Vitellius, des prophètes de malheur se levèrent pour annoncer la chute de l’Empire : car le prince promulgua un édit rigoureux contre ceux qui agitaient le peuple au nom de la divinité[160]. — Je n’accuse pas les Chrétiens d’avoir pris part à ces troubles. Cela, cependant, n’est pas impossible, et Marc-Aurèle a pu le croire. De toutes manières, les craintes du moment expliquent les erreurs de sa pensée et de sa conduite[161]. XIII. — LE MARTYRE DES LYONNAIS[162]. Lyon se trouvait alors à son apogée. Aucune ville de Gaule n’était plus riche ni plus célèbre. Il attirait, aux fêtes de l’autel, une multitude incroyable[163]. Tous les dieux et toutes les nations de l’Empire se donnaient rendez-vous à Fourvières ou au Confluent. Nulle part en Occident, sauf à Rome et à Carthage, l’autorité publique n’avait davantage le devoir de surveiller les émotions du populaire. Défense fut faite aux Chrétiens de paraître dans les endroits publics[164] : l’État acceptait leur existence, à la condition qu’elle fût silencieuse. Les plus violents n’obéirent point[165]. Aussi suffit-il de leur présence, au forum ou dans les lieux de promenade, pour déchaîner un grand tumulte[166]. Les magistrats municipaux durent intervenir, firent saisir les délinquants[167], et procédèrent à un premier interrogatoire[168]. Ceux qui nièrent appartenir au nom proscrit, furent aussitôt relaxés, et on ne chercha pas à en savoir davantage sur leur compte[169]. Les autres, ceux qui s’affirmèrent Chrétiens, furent renvoyés au gouverneur, juge suprême en matière de crime contre l’État[170]. L’affaire fut conduite suivant une procédure à la fois très simple et très longue. Elle était très simple : point d’enquête administrative, d’instruction judiciaire, d’audition de témoins, de confrontation ; on se bornait à prendre l’identité des accusés, et à recevoir l’aveu de leur nom de Chrétiens ; cet aveu suffisait à les prouver coupables[171]. Mais elle était très longue : car les représentants de l’empereur redoutaient cet aveu qui les obligeait à prononcer la peine capitale ; par mille artifices de langage, par des promesses insinuantes, par la menace, par la torture même[172], ils voulaient amener le Chrétien à renier son nom, à retirer son aveu ou la confession publique de sa foi ; les juges de ces affaires mettaient autant de passion et d’insistance à faire des innocents que les magistrats d’autres temps en ont mis à trouver des coupables. Alors[173] s’engageait ce que les Chrétiens appelaient la grande bataille entre Dieu, dont ils se disaient les athlètes, et le Diable ou l’éternel Tentateur, dont le juge était l’instrument[174]. Quelques-uns succombaient, c’est-à-dire qu’ils reprenaient leur aveu, et on leur rendait aussitôt la liberté. Mais la plupart des Lyonnais triomphèrent, et affirmèrent leur nom et leur foi au milieu des tourments : on dut, à la fin, leur appliquer la loi, et envoyer à la mort ces sublimes entêtés[175]. Ils ne périrent point tous de la même manière. Les citoyens romains, sur avis exprès de Marc-Aurèle[176], furent décapités ; les autres, livrés aux bêtes, et on profita, pour les derniers supplices, des jeux du Confluent[177]. Le nombre des exécutions dut dépasser la quarantaine[178]. Chacun, dans cette petite église, parla, souffrit, mourut suivant sa nature. Ce fut un drame d’une variété infinie[179], où chaque acteur sut jouer à sa manière son rôle de combattant et de victime, et acquérir sa part d’une gloire éternelle. Celui-ci, jeune et ardent, invectivait contre ses juges, exaltait sa foi, exposait sa doctrine, cherchait à faire des conquêtes parmi ceux qui assistaient aux débats[180]. Celui-là souffrait dans une joie intime et muette, perdu en une extase enivrante qui faisait de ses blessures une atroce volupté[181]. Attale, le riche grec de Pergame[182], Alexandre le médecin[183], Pothin l’évêque nonagénaire[184], des femmes, des adolescents, périrent ainsi l’un après l’autre[185]. Avais nul ne sut mieux lutter qu’une humble esclave, Blandine[186]. C’était un corps frêle et une âme délicate, un être caressant comme son nom[187]. Elle aida d’abord les plus jeunes à mourir, leur portant l’appui de ses espérances[188]. On la jeta aux bêtes[189], elles la déchirèrent sans pouvoir l’achever. L’âme respirait toujours dans ces pauvres membres mutilés, et le mot de Dieu, aussi léger qu’un souffle, semblait suffire à leur donner la vie. A la fin le bourreau l’égorgea, au milieu de la pitié de tous[190]. Jamais, dirent les assistants, on n’avait vu chez une femme de pareilles souffrances[191]. Ce qui se fit ensuite dépassa pourtant en horreur le spectacle de ces morts. Tous les corps des martyrs, têtes coupées, lambeaux informes, membres déchiquetés, furent réunis en un seul monceau et, pendant six jours, exposés aux railleries immondes de la populace. Des soldats gardaient l’amas sanglant, autour duquel hurlait la foule. Le septième jour, on brûla ces débris, et les cendres furent jetées dans le Rhône[192]. Il restait encore, de l’église de Lyon, assez de fidèles pour qu’elle continuât à vivre. L’autorité n’avait frappé qu’un petit nombre d’adhérents, ceux qu’elle n’avait pu éviter de saisir et de condamner. Ceux qui survécurent se rassemblèrent à nouveau et choisirent, pour remplacer Pothin comme évêque, un de leurs frères d’origine grecque, le prêtre Irénée[193] On les laissa faire, on n’alla pas au delà dans la persécution[194]. L’État tenait moins alors à supprimer les Chrétiens coûte que coûte, qu’à leur donner de terribles leçons : les scènes de Lyon suffiraient comme exemple, elles les retiendraient dans l’ordre et le silence, elles empêcheraient leur nom de se propager. Telle fut, je crois, la pensée de Marc-Aurèle. On verra l’étendue de sa nouvelle erreur. Ces hommes-là se riaient de la mort. Ils la voulaient toujours plus proche, afin de rejoindre plus tôt leur Dieu. Celui qui périssait pour le Christ, était assuré de la gloire dans le ciel. Et cette gloire, il l’aurait aussi sur la terre, au même titre qu’un imperator vainqueur des Barbares. Son nom était célébré dans toutes les églises du monde. Les fidèles l’inscrivaient dans leurs archives, le gardaient dans leur mémoire, le transmettaient d’âge en âge. Du martyre des Lyonnais, les frères survivants firent un long récit, qu’ils adressèrent aux membres des plus lointaines assemblées. Une épopée de luttes, de souffrances et de morts naquit dans la cité des Chrétiens, épopée presque aussi belle que celle de son fondateur. La religion naissante, à chaque génération, créait de nouveaux héros et de nouveaux poèmes, qui, comme le Christ et comme l’Évangile, glorifiaient la force des croyants et la victoire de leur Dieu. Toute persécution, en mettant dans la vie du Christianisme plus de faits, de noms, de récits et d’épisodes[195], le confirmait dans ses tendances originelles, ajoutait à sa force, à sa richesse, à sa variété, à la puissance de ses séductions. Qu’étaient maintenant, en face des scènes véritables du Calvaire ou de Lyon, les vieilles et fausses histoires de Jupiter ou de Minerve, les monotones rituels de Mithra ou de la Mère[196], également vides de drames réels et d’actions humaines[197] ? XIV. — MORT DE MARC-AURÈLE. L’histoire du monde n’offre peut-être pas d’épisode plus émouvant que cette rencontre, dans l’amphithéâtre du Confluent, entre la souffrance de l’esclave Blandine et la puissance de l’empereur Marc-Aurèle : car, à regarder de près la scène du martyre, elle était bien la lutte entre deux forces, la foi d’une âme d’esclave et la volonté d’un maître souverain[198]. Et ce qui ajoute à la grandeur de ce spectacle, c’est que ce maître était fait pour comprendre la vertu de cette souffrance et la beauté de cette foi. Blandine et Marc-Aurèle auraient pu, s’ils avaient connu leurs sentiments, se regarder comme des frères dans la douleur et la piété. Avec les deux livres qui reflètent leurs croyances, les Évangiles et les Pensées, les hommes bâtiront un jour l’édifice définitif de la morale humaine. En ce moment, du contact de ces deux livres, il ne sortait que colères et massacres. La raison d’État et le métier d’Auguste firent oublier au vertueux empereur son devoir de philosophe et l’exquise bonté de son âme. Ni lui, du reste, ni aucun de ses contemporains n’attachèrent une grande importance aux incidents de Lyon. Sans le récit qu’en écrivirent les fidèles, nous les ignorerions tout à fait. Ils passèrent inaperçus au milieu des dangers sans nombre qui menaçaient la paix romaine. Le Christianisme n’en était pas moins alors un danger de plus pour cette paix. Être Chrétien, les martyrs de Lyon venaient de l’avouer, c’était préférer à tout le service du Christ, se détacher de l’Empire dans le, silence, savoir désobéir jusqu’à la mort. Ces sourdes menaces des églises s’ajoutaient, contre l’unité impériale, aux invasions des Barbares, aux ambitions des armées et de leurs chefs, aux grondements du populaire, aux rivalités des provinces. Marc-Aurèle eut cependant raison de tous ces dangers, et, quand il mourut, trois ans après Blandine, l’Empire avait recouvré son calme et sa grandeur (180)[199]. |
[1] Immensum imperii corpus stare ac librari sine rectore (non potest) ; Tacite, Hist., I, 16.
[2] Ici, ch. I, § 3.
[3] Suétone, Auguste, 94, 4.
[4] Suétone, Domitien, 15, 3 ; cf. Gsell, Domitien, p. 76.
[5] Tome VI.
[6] Son père fænus apud Helvetios exercuit, où il mourut (Suétone, Vespasien, 1, 3).
[7] Auctoritas et quasi majestas... deerat (Suétone, Vespasien, 7, 2).
[8] C. I. L., VI, 930 ; cf. Tacite, Hist., IV, 3.
[9] Cf. Tacite, Hist., I, 2.
[10] Tacite, Agricola, 3.
[11] Immensa Romanæ pacis majestate, Pline, Hist. nat., XXVII, 3 ; cf. Velleius, II, 126, 4 : Pax augusta omnis terrarum orbis angulos... servat immunes.
[12] T. Flavius Vespasianus, empereur sous le nom de imp. Cæsar Vespasianus Augustus.
[13] Cf. Tacite, Hist., II, 77.
[14] Suétone, Vespasien, 8 et s.
[15] Cf. Suétone, Domitien, 7-9.
[16] On suppose qu’il y eut vers 78, dirigée par C. Rutilius Gallicus, sans doute légat de la Germanie Inférieure, une expédition contre les Bructères, qui amena la prise de la fameuse Velléda (Tacite, Germanie, 8 ; Stace, Silves, I, 4, 89-90). Mais il est possible que celle-ci ait été livrée par ses compatriotes.
[17] Après la répression de la révolte, les garnisons furent ainsi constituées avec les légions amenées par Cérialis. — Dans la Germanie Inférieure la Xe Gemina à Nimègue, la XXIIe Primigenia à Vetera ?, la VIe Victrix à Neuss ?, la XXIe Rapax à Bonn. — Dans la Germanie Supérieure : la XIe Claudia à Windisch, la VIIIe Augusta à Strasbourg, la IIe Adjutrix et la XIVe Gemina à Mayence. — C’est sans doute alors que fut constitué, sur la voie de Genève ou du Grand Saint-Bernard à Langres, le camp de Mirebeau [à 1 kil. à l’est ?], chez les Lingons (par conséquent en Germanie Supérieure), mais à portée à la fois des Séquanes et des Eduens : les trois territoires se rencontraient près de là au sud. Et ce fut sans doute pour contenir cette partie de la Gaule, plus ou moins excitée depuis l’affaire de Civilis. — Ritterling a émis très ingénieusement l’hypothèse que ce camp daterait seulement de Domitien, 83, et pour ces motifs : on y trouve ensemble des vexillationes des cinq légions, Ire (Adjutrix), VIIIe, XIe, XIVe et XXIe, réunies par lui de 83 à 86 dans la Germanie Supérieure ; puis, si la IIe n’est plus représentée dans la garnison, c’est qu’elle partit vers 86 pour le Danube ; puis, sans doute après l’affaire d’Antonins et le départ des XIVe, XXIe et XIe, à partir de 89, on ne constate plus que la VIIIe. Cela est fort possible. Mais je ne vois pas pourquoi, avant 83, même en restant dans la Germanie Inférieure, la XXIe de Bonn, assez voisine de la Germanie Supérieure, n’aurait pas fourni une vexillatio à un camp de cette dernière province : il n’est pas absolument prouvé que les vexillationes d’un camp ne pussent pas être empruntées à des armées ou des provinces différentes. Enfin, Ritterling ne tient pas compte du fait qu’il existe des briques au nom de la IIe (Augusta), de Bretagne, qui a pu envoyer un détachement à la guerre de 70, et dont on ne s’expliquerait pas l’intervention dans des évènements ultérieurs de la Germanie : il est vrai, pour tout dire, que l’inscription de ces briques est de facture différente et mauvaise (Cab. des Méd., n° 3858-60). — Les soldats de la VIIIe, de là, ont été souvent envoyés assez loin, pour former des postes, construire des routes ou des bâtisses : par exemple près de Dijon, à Pontailler, à Néris, à Viviers. — Tout cela, d’après la découverte des briques marquées au nom des légions ; cf., en sens divers, Mowat, Bull. épigr., III, 1883, p. 221 et s., p. 303-7 ; IV, 1884, p. 22-26, 65-68 ; Mommsen, Hermès, XIX, 1884. p. 437-441 ; Ritterling, De legione Romanorum X Gemina, 1885, Leipzig, p. 75 ; Lejay, Inscr. antiques de la Côte-d’Or, n° 218-9 ; Wolff, Archiv für Frankfurts Geschichte, IIIe s., IV, 1893, p. 337-8 ; Héron de Villefosse, Bulletin arch., 1908, p. 131-137 ; etc. — Quelques détachements militaires installés à l’intérieur de la Gaule datent, je crois, de Vespasien. Et je crois qu’en effet il eut, à l’endroit des Gaulois, moins de confiance que les premiers Césars. — La cohorte urbaine de Lyon, fut alors la Ire Flavia (XIII, 1853).
[18] Magni daces, dit Tacite, Agricola, 17. Notamment, en Aquitaine, de 74 à 76, Agricola (Cn. Julius Agricola), né à Fréjus (Tacite, Agricola, 9).
[19] Cela n’est point certain, mais Mommsen (Ges. Schr., VI, p. 59 et 97-99) a eu raison de le supposer.
[20] Comme faits de détail, les suivants. — Vespasien, sans doute en souvenir de son père, autrefois établi et mort chez les Helvètes, en dédommagement aussi de ce qu’ils avaient souffert de l’armée de Vitellius, accorda le titre de colonie aux Helvètes, colonia Pia Flavia Constans Emerita Helvetiorum fœderata (C. I. L., XIII, 11, p. 5). La tradition faisait de lui et de Titus les fondateurs d’Avenches (Frédégaire, II, 36, p. 60-1, Krusch), peut-être à cause de ce bienfait. — On retrouve la même tradition à Bordeaux (Livre des Coutumes, p. 382), et elle doit également s’y expliquer par quelque bienfait. — Feurs, Forum Segusiavorum, reçut peut-être de lui le titre de colonia Flavia (C. I. L., XIII, 1, p. 221). — Peut-être, de même, Noviomagus ou Spire chez les Némètes (C. I. L., XIII, 11, p. 161), sans doute pour les récompenser de leur abstention lors de la révolte de 70. — Il est curieux de remarquer que Vespasien est demeuré un des empereurs les plus populaires dans la France médiévale, faisant ainsi contraste avec Aurélien, le persécuteur attitré des Chrétiens. Entre autres choses, on racontait qu’il était venu en Gaule pour habito consilio principes Gallorum inter se discordantes concordasse (Liber de compos. castri Ambaziæ [Amboise], dans Chron. des comtes d’Anjou, 1871, p. 9-10). Il faudrait chercher l’origine de cette tradition.
[21] Epponina chez Tacite, Πεπονίλα chez Dion, Έμρονή chez Plutarque.
[22] Tacite, Hist., IV, 67 ; Dion, LXVI, 3, 2 ; 16, Plutarque, Amatorius, 25.
[23] En dernier lieu : Fabricius, Die Besitznahme Badens durch die Rœmer, Heidelberg, 1905 ; Haug et Sixt, Die rœm. Inschriften und Bildwerke Württembergs, 2e éd., 1912, en particulier p. 137 et s. ; Gœssler, dans Bericht über die 13. Hauptversammlung des Südtwestdeutschen Verbandes für Altertumsforschung in Würzburg [1912], 1913, p. 15-22.
[24] Cf. Tacite, Agricola, 17.
[25] Les Brigantes soumis par Cérialis, entre 71 et 74 ? (Tacite, Agricola, 17). Toutes ces dates sur les campagnes de Bretagne sont incertaines.
[26] Les Silures soumis par Sextus Julius Frontinus entre 75 et 77 ; les Ordovices, par Agricola en 78 ; Tacite, Agricola, 17-18.
[27] D’après le célèbre milliaire de Vespasien, à Offenburg (C. I. L., XIII, 9082), daté de 74 : Iter de[rectum ab Arge]ntorate in R[ætiam. Il s’agit d’une route de Strasbourg, par la vallée de la Kinzig, à Rottweil (Aræ Flaviæ), où elle a dû rejoindre la route, plus ancienne, de Windisch et Juliomagus. Peut-être ces Aræ datent-elles de ce temps. Toute cette affaire ne parait pas avoir exigé une vraie campagne. On a cependant supposé l’arrivée, pour cette occasion, de la VIIe légion, celle d’Espagne ; Ritterling, R.-C. Korr., IV, 1911, p. 37-41.
[28] Imp. Titus Vespasianus Augustus (Titus Flavius Vespasianus avant son avènement) ; imp. Cæsar Domitianus Augustus (T. Flavius Domitianus avant son avènement). — Gsell, Essai sur le règne de l’empereur Domitien, 1893.
[29] De 78 à 84 ; Tacite, Agricola, 18-38.
[30] Agricola, 10 et 38.
[31] Suétone, Dom., 6 ; Dion, LXVII, 3, 5 ; 4, 1 ; Frontin, Strat., I, 1, 8 ; 3, 10 ; II, 3, 23 ; II, 11, 7 [lire Usipiorum ou Cattorum] ; etc. D’ailleurs, il n’annexa pas la Hesse, et dut se borner à réunir à l’Empire les Mattiaques de Wiesbaden (Tacite, Germ., 29), et sans doute les Usipii de la Wisper. Un traité conclu avec les Chattes les rejeta au nord du Taunus (Frontin, I, 3, 10), et permit l’installation d’un mur ou limes au nord du Mein. — Le mur d’Empire qui nous a été conservé, et d’ailleurs de construction postérieure à Domitien, partait de la rive droite du Rhin au sud de Hœnningeft, face au cours d’eau du Vinxtbach [fines], qui marquait la frontière entre les deux Germanies. De là, par Ems, Heftrich, Saalburg, Arnsburg, il rejoignait le àlein à Gross-Krotzenburg. Il y eut, en outre, une série de castella en arrière de la rive nord du Mein, depuis Wiesbaden et Castel (en face de Mayence) jusqu’à Gross-Krotzenburg ; et d’autres encore le long de la Nidda vers Friedberg et la Hesse. Voyez les n° 1-31 de la grande publication Der Obergermanisch-Rælische Limes [commencée en 1894] ; et le résumé, C. I. L., XIII, Il, p. 406-456, 468-480, 496-503. — Il est probable que c’est à ce tracé que correspondent les 120 milles indiqués par Frontin (I, 3, 10) comme nouvelle frontière de l’Empire.
[32] Je le suppose pour les motifs suivants : il ne s’est jamais formé là de grandes peuplades, dans le genre des Chattes ; l’Empire, depuis Auguste, ne paraît avoir éprouvé aucun ennui sur cette frontière ; Domitien ne rencontra là aucune résistance, comme si le pays était à demi désert (cf. ή τών Έλουητίων Έρημος de Ptolémée, II, 11, 6) ; et ce qui prouve bien que c’était la réalité, c’est qu’on l’appela Agri Decumates, champs qui payent la dîme ?, autrement dit terres acquises à l’État, qu’on le traita de dubiæ possessions solum (Tacite, Germ., 29), et qu’on l’ouvrit aux immigrants. Cf. Koepp, 2e éd., p. 65-6.
[33] Aucun texte sur ces guerres, si même il y a eu guerre.
[34] A l’occasion de cette conquête, la XXIe Rapax fut appelée de la Germanie Inférieure à Mayence, où elle resta d’ailleurs après la guerre, remplaçant alors la Ire Adjutrix, envoyée vers 86 sur le Danube. — La XXIe fut remplacée à Bonn par la Ire Minervia. — Cf. Ritterling, De leg. X, p. 72-76 : Gsell, p. 179 et 185.
[35] Tacite, Germ., 29 : Limite acto promotisque præsidiis. — Nous avons vu la ligne de défense au nord du Mein jusqu’à Gross-Krotzenburg. Au delà vers le sud, le Mein, garni de castella sur sa rive gauche ou méridionale, forme limite depuis Gross-Krotzenburg jusqu’après Miltenberg, soit jusqu’à son dernier coude méridional. De là partaient deux lignes de défense. L’une (limes interior), de Wœrth sur le Mein à Wimpfen sur le Neckar et au delà, le long du Neckar, jusqu’à Rottweil. L’autre, à l’extérieur de celle-ci (limes exterior), de Bürgstadt sur le Mein à Welzheim droit vers le sud, de là, presque droit vers l’est, à Hienheim en amont de Ratisbonne sur le Danube. Limes, n° 32 et s. ; C. I. L., XIII, 11, p. 237 et s., p. 261 et s. Ni l’une ni l’autre de ces deux lignes, dans les détails essentiels de leurs ruines actuelles, n’appartiennent sans doute à Domitien : mais je crois bien qu’il faut lui attribuer le tracé de la frontière marqué par le limes exterior, sans quoi Tacite n’eût pas écrit trans Rhenum Danuviumque (Germ., 29).
[36] Levissimus [dans le sens de vagabond, nomade, peu encombré de bagages ?] quisque Gallorum et inopia audax dubiæ possessionis solum occupavere ; Tacite, Germanie, 29.
[37] Cf. Gsell, p. 317 et s.
[38] En 88-89 : révolte provoquée par le légat, L. Antonius Saturninus, aidé par les Barbares (avec les XIVe et XXIe ?). — Elle fut réprimée très vite par L. Appius Maximus Norbanus, légat (de la VIIIe légion à Strasbourg ? et commandant, avec elle, des troupes du camp de Mirebeau ? ; ou, moins probablement, des troupes surnommées plus tard Piæ Fideles, de la Germanie Inférieure ?). — Domitien vint alors sans doute jusqu’à Mayence (Suétone, Dom., 6 et 7 ; Aurelius Victor, Ép., 11, 9-10 ; Dion, LXVII, 11 ; Stace, Silves, I, 1, 6-7 ; Plutarque, Paul-Émile, 25 ; etc.). — Cf., sur ces questions encore très obscures, Gsell, p. 249 et s. ; Weynand ap. Wissowa, Real-Enc., VI, c. 2567-70 ; von Rohden, ibid., II, c. 243-4.
[39] A partir de 85 ? Suétone, Dom., 6 ; cf. Gsell, p. 209 et s. ; Weynand ap. Wissowa, VI, c. 2361-2. — C’est lors de la seconde guerre dacique, en 89, et à la suite de la révolte d’Antonins, que la garnison de Mayence fut réduite à une légion, la XXIIe, enlevée à la Germanie Inférieure, les deux légions rebelles, XVe et XXIe, les plus fameuses de l’Empire, furent envoyées sur le Danube, où les suivit, peut-être dès Domitien, la XIe de Windisch.
[40] En 84 ou plutôt 85 ; Tacite, Agr., 38 et 39. Il est certain qu’il a préparé la conquête de l’Irlande (Tacite, Agr., 24).
[41] Il ne rente plus alors (depuis 89) : en Germanie Inférieure, que les Ire, VIIe, et Xe ; en Supérieure, que les VIIIe, XIIe, XXIIe. — Aucune entreprise ne fut tentée en Germanie Inférieure. La Germanie indépendante était alors complètement disloquée. Voyez les Bructères, les Chérusques.
[42] Stace, IV, 1, 39 et s. ; etc. Gsell, p. 234. — Un signe du prestige de l’Empire chez les Barbares de Germanie est la visite à Rome, vers 92, de Masyos, roi des Semnons, et de Ganna, sans doute prêtresse chez les mêmes (Dion, LXVII, 5, 3, p. 180, Boissevain). Et si les Semnons avaient conservé leur place sainte, ce devaient être les personnages les plus sacrés de toute la Germanie.
[43] J’imagine que Tacite pensait à lui en disant : Sævi proximis ingruunt (Hist., IV, 74). Cf. Gsell, p. 262 et s.
[44] Sauf (en 92 ?) l’arrachement de la moitié au moins des pieds dans les vignobles, et cela, en vue de rendre les terres à la culture du blé : mais il semble bien que l’édit ne fut pas rigoureusement exécuté (Suétone, Dom., 7, 2 : 14, 2 ; Stace, Silves, IV, 3, 11-12 ; Jérôme et Eusèbe, année d’Abraham 2108). Cf. Weise, Beiträge zur Geschichte des rœm. Weinbaues in Gallien, Hambourg, 1901, p. 8 ; S. Reinach, Cultes, II, p. 360 et s. [1911]. — En Gaule, il put vouloir appliquer un règlement antérieur.
[45] Neque modestiores unquam neque justiores ; Suétone, Dom., 8, Gsell, p. 141 et s. — On attribue à Domitien la constitution des deux Germanies en provinces proprement dites. Car c’est dès lors qu’on trouve, au lieu de legatus pro prætore exercitus, le titre de legatus consularis provinciæ (en Germanie Supérieure, C. I. L., III, 9960). Mais je crois que ce fut simplement un changement de titre, et que la condition des pays ne s’en trouva point modifiée.
[46] M. Cocceius Nerva, puis imp. Nerva Cæsar Augustus.
[47] M. Ulpius Trajanus, puis imp. Cæsar Nerva Trajanus Augustus.
[48] Dion Cassius, LXVIII, 4.
[49] Pio paternum genus e Gallia Transalpina, Nemausense scilicet ; Hist. Auguste, Pius, 1, 1 : il s’agit sans doute de son grand-père T. Aurelius Fulvus.
[50] Optimum quisque adoptio inveniet, phrase écrite sans doute par Tacite pour justifier l’adoption de Trajan (Hist., I, 16).
[51] Dessau, n° 356, 359, 361, 371 ; etc.
[52] C’est le mot de Jupiter chez Julien, Convivium, p. 311, Sp. : Après Nerva, j’en enverrai beaucoup et de bons.
[53] Cette pensée était venue déjà sous Auguste et Tibère, tant qu’avait vécu Germanicus. Les incertitudes et tyrannies qui ont suivi sa mort, ont dû alors arrêter toute espérance de ce genre.
[54] De La Berge, Essai sur le règne de Trajan, 1877.
[55] Dion, LXVIII, 17, 1 ; 29, 1.
[56] Cf. Tillemont, Trajan, art. 2-3.
[57] Cf. Ammien, XXIV, 3, 9.
[58] Schiller, Geschichte der rœm. kaiserzeit, I, p. 543 et s.
[59] Il est en tout cas certain qu’il consolida très fortement l’œuvre transrhénane des Flaviens, surtout lorsque, du vivant de Nerva, il gouverna la Germanie Supérieure (96 ?-98 ; Hist. Auguste, Hadr., 2, 5), et pendant les mois où il y resta après son avènement à Cologne (98 ; Eutrope, VIII, 2 ; Orose, VII, 12, 2 ; Sidoine, Carmina, 7, 414 et s.). — C’est lui qui constitua en cités, au delà du Rhin : Lopodunum ou Ladenburg, ville des anciens Suèves, devenue colonia Ulpia Sueborum Nicretum (C. I. L., XIII, 11, p. 230-1) ; Heddernheim, enlevé aux Chattes, civitas Ulpia Taunensium (C. I. L., XIII, 11, p. 425-6). Ladenburg et Heddernheim étant en somme, comme métropoles, les ancêtres de Mannheim et de Francfort, on voit l’importance de ces fondations de Trajan. On a également conjecturé qu’il organisa en cuitas Wiesbaden, civitas Ulpia [?] Aquæ Mattiacorum (XIII, 7061). Un autre v(icus) U(lpius) U... à Dieburg, entre le Neckar et le Mein (XIII, 6433). — C’est à ces cités transrhénanes que font allusion Eutrope et Orose (id.), Ammien (XVII, 1, 11), le texte énigmatique du Laterculus Veronensis (p. 253, Seeck) ; cf. encore C. I. L., XIII, 6298, 9120. — C’est également à Trajan qu’est due la création d’une colonie romaine à Xanten, près de Vetera, colonia Ulpia Trajana (C. I. L., XIII, 11, p. 602), d’une cité à Nimègue, Ulpia Noviomagus (id., p. 620). — Les garnisons du Rhin furent alors affaiblies par suite des guerres lointaines. Le camp de Neuss est abandonné. La fameuse XXIe Rapax s’était déjà éloignée sous Domitien, après un siècle de séjour en Gaule ; puis partirent la Ire Adjutrix, la XIe Claudia, (ces deux dernières revenues peut-être un instant en Germanie Supérieure, XIII, 6298), la Xe Gemina, la VIe Victrix. — Désormais, ce sont : en Germanie Inférieure, la XXXe Ulpia à Vetera, la Ire Minervia à Bonn ; en Germanie Supérieure, la VIIIe à Strasbourg et la XXIIe à Mayence. Il n’y a plus de légion à Windisch. En outre, depuis l’établissement du limes, toutes ces troupes étaient fort morcelées, au moins en Germanie Supérieure, et il n’y a sans doute plus que les dépôts à Mayence et à Strasbourg. — Tout cela suppose que Trajan ne craignait absolument rien du côté de la Germanie. Jamais elle ne fut moins dangereuse, jamais peut-être la conquête n’en eût été plus facile, menée à la fois par la mer, le Rhin, le Danube et, maintenant aussi, par les Carpathes. Quelles qu’aient été d’ailleurs les intentions de Trajan, aucun empereur ne poussa plus loin au delà du Rhin l’œuvre de la civilisation romaine.
[60] P. Ælius Hadrianus, puis imp. Cæsar Trajanus Hadrianus Augustus. — Dürr, Die Reisen des Kaisers Hadrian, Vienne, 1881 ; von Rohden, Real-Enc., I, 1394, c. 493 et s.
[61] Hist. Auguste, Hadr., de 10, 2, à 11, 1, et 12, 6-7 (se rapporte à l’armée de Germanie) ; Dion, LXIX, 9.
[62] Je donne la longueur de la frontière des Champs Décumates, du Rhin au Danube par le Taunus : mais on a vu que la muraille était interrompue sur 50 kil. le long du Mein.
[63] Hadr., 12, 6 (pour la Germanie ? cf. 12, 7) ; Dion, LXIX, 9 (général). L’attribution à Hadrien des constructions du limes exterior est encore incertaine, car les plus anciennes inscriptions sont d’Antonin ; de même, en ce qui concerne le limes interior ; C. I. L., XIII, II, p. 259 et 237. En dernier lieu, Koepp, 2e éd., p. 73-78. — Il est question d’un roi qu’il imposa aux Germains (Hadr., 12, 7).
[64] Ici le témoignage est formel, Hadr., 11, 2 (dont je garde le chiffre). Je donne les dimensions du mur de pierre qui a dû remplacer, sous Sévère, un mur de terre ; cf. Sagot, La Bretagne romaine, 1911, p. 146-165. Voyez la grande publication de Bruce, The Roman Wall, 3e éd., 1867 ; en dernier lieu, Haverfield, Eph. epigr., II, 1913, p. 580 et s. — Ce mur était en retrait de la frontière d’Agricola.
[65] En 120-1 d’après Tillemont ; en 121-2, Dürr, p. 34-35, que je suis, sans du reste regarder ses arguments comme définitifs. — En 121 : d’Italie en Gaule par la via Domitia et Apt ; montée du Rhône ? Lyon ? le Rhin ; du Rhin à Boulogne. Adventus Auguste Galliæ, Cohen, 2e éd., n° 31-35. — En 122 : après avoir visité la Bretagne, de Boulogne à Nîmes, en faisant un détour par l’Ouest de la Gaule ?, de Nîmes à Tarragone en Espagne. — Hadr., 10, 1 ; 11, 2 ; 12, 1-3.
[66] Reditus quoque provinciales sollerter explorans, ut si alicubi quippiam deesset, expleret ; 11, 1 : passage qui s’applique à l’itinéraire de 121, de Gaule en Germanie (cf. n. précédente). — Il est possible qu’il ait achevé de répandre en Gaule le jus Latii (Hadr., 21, 7). — Avignon déclarée colonie ? — Organisation de Forum Hadriani, à Voorburg près de la Have à côté du camp d’Arentsburg ; le lieu est, ce me semble, en dehors des Bataves proprement dits ; C. I. L., XIII, II, p. 637.
[67] Ad specimen legionurn militarium fabros, perpendiculatores, architectos, genusque cunctum exstruendorum mœnium seu decorandorum in cohortes centuriaverat ; Aurelius Victor, Ép., 14, 5. Il ne peut s’agir que d’ouvriers l’accompagnant dans ses voyages. Mais il y a dans cette mesure le prélude d’une organisation militaire des collèges.
[68] Aurelius Victor, Epit., 14, 4 ; Dion, LXIX, 3, 3 ; 10, 1 ; C. I. L., XII, 365, 6024 ; monnaies avec restitutor Galliæ, Cohen, n° 1247-57. Il est possible que des arcs aient été élevés pour commémorer son passage, surtout dans les Trois Gaules : il faudrait étudier à ce point de vue les débris conservés dans nos musées. — Il semble que le cheval favori d’Hadrien, Borysthène, soit mort au cours de son voyage d’arrivée en Gaule, à Apt (C. I. L., XII, 1122, si l’inscription est authentique ; cf. Hadr., 20, 12 ; Dion, LXIX, 10, 2). Hadrien aura-t-il voulu chasser dans les forêts du Lubéron ? — On peut lui attribuer (ou à Trajan ?) le remplacement, à Lyon, de la cohorte urbaine I Flavia par la XIIIe (cf. C. I. L., XIII, I, p. 250).
[69] Hadr., 12, 2 (basilica) ; Dion, LXIX, 10, 3. Plotine vivait encore en 121 (Dessau, n° 7784), ce qui fait incliner à placer en 122, non en 121, le passage d’Hadrien à Nîmes.
[70] Hadr., 13, 10 : Circumiens quidem provincias procuratores et præsides pro factis supplicio adfecit ; 10, 1 : Omnes causarios liberalitatibus sublevavit (s’applique spécialement à la Gaule).
[71] Hadr., 15, 12-3 ; 16, 10 ; Philostrate, Vies des sophistes, I, 8, 12 ; etc. Cf. Marres, Diss. de Favorini Arel. vita, Utrecht, 1853 ; Colardeau, De Fav. Arel. stadiis, Grenoble, 1903 ; W. Schmid ap. Wissowa, VI, c. 2078 et s.
[72] Hadr., 26, 5 (provinciaram et locorum celeberrima nomina).
[73] Ut domum privatam paterfamilias, dit très exactement de lui son biographe (Hadr., 20, 11).
[74] T. Aurelius Fulvus Boionius Arrius Antoninus, empereur sous le nom de imp. Cæsar T. Ælius Hadrianus Antoninus Augustus Pius. — Lacour-Gayet, Antonin le Pieux, 1888.
[75] Hist. Auguste, Pius, 2, 1 ; etc.
[76] Pius, 7, 11-12.
[77] Avant 149 : Pius, 9, 2 ; C. I. L., XII, 4342, 4393. — On a supposé que Himes a alors remplacé Narbonne comme métropole (Hirschfeld, XII, p. 521). Je ne vois d’autre motif à cette opinion que le fait de compter les milles, sur les routes, depuis Nîmes (XII, 5603, etc.) : ce motif ne me semble pas suffisant.
[78] Via Aurelia et dépendances (XII, 5477, 5501), via Domitia et dépendances, en 145 (5499, 5603, 5604, 5616, 5625, 5626, 5629, 5639), voie d’Agrippa d’Arles à Lyon, en 145 (5541, 5544) ; en outre, en 144-5, construction de routes dans le Vivarais, le long de la rive droite du Rhône, et du Rhône et d’Uzès à Aps (5564-70, 5573-83), et de là, je crois, vers les Cévennes. C’est d’ailleurs Nîmes qui bénéficiait le plus de ces routes. Autres réparations de voies en Saintonge et en Poitou (XIII, 8899, 8931, 8938, 8942-5).
[79] Il semble même qu’Antonin ait songé à un retour en arrière de la frontière des Champs Décumates, si c’est dans ce dessein qu’il a porté toute son attention à fortifier le limes interior (C. I. L., XIII, II, p. 237). — Il n’y eut progrès qu’en Bretagne, où on établit un mur au nord de celui d’Hadrien, entre Edimbourg et Glasgow (Pius, 5, 4) : ce qui était un retour à la frontière d’Agricola ; cf. Sagot, Bretagne, p. 165-173 ; Macdonald, The Roman Wall in Scotland, 1911 ; en dernier lieu Haverfleld, Eph. epigr., IX, 1913, p. 620 et s.
[80] Les VIIIe, XXIIe, Ire, XXXe (Dion, LV, 23-4).
[81] Cela s’est fait dès le temps d’Hadrien pour la légion d’Afrique (cf. Cagnat, Armée romaine d’Afrique, 2e éd., p. 288 et s.), et Mommsen, qui a constaté le fait le premier, a supposé qu’Hadrien a appliqué la mesure à toute l’armée (Ges. Schr., VI, p. 39). L’armée d’Afrique étant dans une situation particulière, il est possible qu’Hadrien n’ait vu là que des avantages à ce système. Pour celle de Germanie, rien ne prouve que ce ne soit pas un abus, progressivement installé après lui (voyez, notamment pour la XXXe légion, Eph. epigr., V, p. 231). — C’est également à cette époque que se développent les corps appelés numeri : ce sont des troupes assez semblables aux auxiliaires des premiers temps de l’Empire, formées surtout de Barbares, soit des provinces frontières, soit même des pays d’au delà, recrutées uniquement, semble-t-il, parmi des hommes de même origine (Hygin, 19, 29, 43, les appelle nationes) : ce sont, évidemment, des milices nationales, d’ailleurs appelées à servir hors de leur province d’origine. Du même genre sont les cunei de Germains, peut-être grosse cavalerie, par exemple le cuneus Frisiorum (Eph. epigr., VII, n° 1040-1), le cuneus Frisionum, peut-être le même (C. I. L., VII, 415-6 = Eph. epigr., III, p. 130). Du même genre, les exploratores, corps de cavalerie légère, par exemple exploratores Triboci et Boi (C. I. L., XIII, 6448). C’est, avec plus de prudence dans le choix de la garnison, le retour à l’état de choses d’avant Vespasien. Cf. Mommsen, Ges. Schr., VI, p. 103 et s. ; VI. Bericht, 1910-11, p. 145-6.
[82] Pius, 5, 4. Peut-être faut-il rattacher à ce texte un rassemblement militaire dans la Germanie Supérieure : C. Popilius Pédo, vers 152, est dit legatus pro prætore Germaniæ Superioris et exercitus in ea tendentis (XIV, 3610). Ce sont sans doute les prodromes de l’invasion de 166.
[83] Pius, 12, 2.
[84] M. Annius Verus, ou imp. Cæsar M. Aurelius Antoninus Augustus. Règne conjointement, de 161 à 168 ou 169, avec son frère adoptif, imp. Cæsar L. Aurelius Verus Augustus. — Noël des Vergers, Essai sur Marc-Aurèle, 1860 ; Barron Watson, Marcus Aurelius Antoninus, 1884.
[85] Dion, LXXI, 3, 1 ; Ammien, XXIX, 6, 1. Cf. von Rohden, R.-Enc. Wissowa, l. c. 2295.
[86] Hist. Auguste, Marcus, 22, 1.
[87] Pulsæ a superioribus Barbaris ; Marcus, 14, 1.
[88] Cf. von Rohden, c. 2295 et s.
[89] Le mot du biographe (Marcus, 24, 5) est très net : Vol sit Marcomanniam provinciam, voluit etiam Sarmatiam facere, et fecisset, nisi Avidius Cassius, etc. Ce projet se place donc au printemps de 175. — Sur ces faits, voyez surtout la belle publication Marcus-Säule, 1896.
[90] D’abord, vers 162-5, incursion des Chattes, vers le sud à travers le limes, repoussée par Aufidius Victorinus (Marcus, 8, 7-8 ; Dion, LXXI, 3, 2 ? ; LXXII, 11, 3) : ils ont dû longer le limes et le rompre vers Ratisbonne. Puis, vers 172-4, Didius Julianus, légat de la Belgique, Cattos debellavit : incursion du côté de Trèves, à l’autre extrémité du limes ? (H. Auguste, Julianus, 1, 7-8). Il faut que les Chattes aient été fort pressés du côté de l’est pour essayer ainsi par deux fois de pénétrer dans l’Empire, sur deux points très éloignés. Il dut y avoir également, du cote du haut Danube, une poussée des Hermundures de Thuringe ; Marcus, 22, 1 ; 27, 10.
[91] Vers 172-4, incursion de Chauques erumpentibus en Belgique, repoussée par Julianus (tumultuariis auxiliis provincialium Jul., 1, 7-8) : cela parait bien signifier une descente de pirates entre la Seine et l’Escaut, prélude de celles des Saxons. On a attribué à cette descente quantité de trésors enfouis en Belgique. Et cette question de l’invasion des Chauques et de ses rapports avec les ruines romaines du pays, est une de celles qui occupent le plus les érudits de la Belgique (cf., entre autres, Schuermans, Bull. des Comm. roy. d’Art et d’Arch., XXIX, 1890, p. 189-206).
[92] Marcus, 21, 6-8 : il envoya même acheter des hommes en Germanie.
[93] Marcus, 21, 9.
[94] Cf. R.-Enc., I, c. 2293 et s.
[95] En 166 (on peut aussi supposer 167) ; Marcus, 13, 3 ; 17, 2.
[96] Vers 170 ? Marcus, 22, 10 : Res etiam in Sequanis turbatas censura et auctoritate repressit. L’Histoire Auguste peut, du reste, entendre par Séquanes la province de Sequania d’après Dioclétien, qui comprenait les Helvètes de la Suisse, la Haute-Alsace et la Franche-Comté.
[97] Pro Alesia, I, p. 189 [juin 1907] ; Blanchet, Trésors, n° 128 (p. 136), 291 (p. 173), 331 (p. 183) ; cf. p. 33-4.
[98] Aucun n’y est signalé sous son nom.
[99] Cf. Déchelette, Vases, I, p. 190 et s. ; Forrer, Die Rœm. Terrasigillata-Töpfereien, 1911, p. 186 ; etc. Leur disparition complète doit être, d’ailleurs, postérieure d’une ou deux générations à Marc-Aurèle (cf. Rœmisch-German. Korrespondenzblatt, 1912, p. 1-2). Mais je ne peux pas faire descendre la date de cette disparition jusque vers 250, comme on le fait d’ordinaire, et rattacher la chose aux invasions du milieu du IIIe siècle : elle a dû être la conséquence de causes internes, changements d’habitudes, perte de certains procédés techniques, et peut-être surtout modifications dans la législation industrielle.
[100] On peut seulement citer la réparation, en 163, de routes et monuments de la Tarentaise aux frais de L. Verus et sans doute de Marc-Aurèle (XII, 107, Bourg-Saint-Maurice) ; autres travaux de ce genre, XII, 5530 ; XIII, 9153, 9165.
[101] Marcus, 21, 7. — Diminution des capitaux dans l’aristocratie gauloise.
[102] Cf. tome V.
[103] Voyez les bas-reliefs du temple d’Yzeures (Indre-et-Loire) ; Bossebœuf, Le Temple gallo-romain de Minerve à Yzeures, Bull. de la Soc. arch. de Touraine, X, 1895, p. 335-353 ; Espérandieu, IV, p. 126-137. Il est probable que le monument date de 166-169, et que la gigantomachie y rappelle les luttes de Marc-Aurèle contre les Barbares. Yzeures (Iciodurum) devait être un grand temple de frontière, chez les Turons, près des Pictons et des Bituriges.
[104] Voyez les inscriptions reproduites par Hübner, Exempla, p. 204 et s.
[105] Espérandieu, Bas-reliefs, V, p. 96-100 ; Cauchemé, Descr. des fouilles arch. exéc. dans la forêt de Compiègne, 4e fasc., 1912.
[106] Cf. t. V.
[107] Voyez le Panégyrique de Pline, 1, 8, 14, 16.
[108] L’introduction de la Mère en Gaule, sous son règne, correspondrait assez à sa politique religieuse ; cf. Graillot, Culte de Cybèle, p. 148-9. La tradition voulait qu’il eût établi dans toutes les cités templa sine simulacris (Hist. Auguste, Alex., 43, 6), et cela répond en partie aux cultes orientaux.
[109] Tantus terror ut undique sacerdotes acciverit, peregrinos ritus impleverit, Romain omni genere lustraverit (Marcus, 13, 1).
[110] C. I. L., XII, 410 (inscription du temps de Marc-Aurèle) ; Inscr. Gr. Sic., 2433 (de Marc-Aurèle au plus tôt).
[111] C. I. L., XII, 3043, 3058, 3059, 3060, 3061, 3224, 4069 (aucune de ces inscriptions ne parait ancienne). A Arles, XII, 714, 734. Chez les Voconces, 1532, 1562. Chez les Allobroges, 1919. 2215, 2217. A Substantion, 4184. A Lyon, XIII, 1737-8. A Soissons, XIII, 3461. Etc. Cf. Lafaye, Hist. du culte des divinités d’Alexandrie, 1883, p. 162-4.
[112] Cumont, Textes relatifs aux mystères de Mithra, I, 1896, p. 423-432, 434-6 ; II, 1899, p. 255-8, 266-8. Voyez comme il a peu pénétré en Narbonnaise (C. I. L., XII, p. 926) et dans les villes gauloises de la Gallia Comata.
[113] Cumont, id. A Lyon, XIII, 1771-2 ; Allmer, Musée, Il, p. 304-5.
[114] Le premier taurobole daté (XIII, 1751) est de l’an 160, antérieur d’un an à l’avènement de Marc-Aurèle. Il semble bien qu’Antonin ait systématiquement protégé le culte de la Mère (Graillot, p. 159-3).
[115] C. I. L., XII, 1567-9. Ajoutez peut-être Aoste en Dauphiné chez les Allobroge3 (III, 2391-2), à coup sûr Riez en Provence (XII, 357-9), Vaison (1311), Valence (1744-5), etc.
[116] C. I. L., XIII, 504-525. A Bordeaux, XIII, 572-3. A Périgueux, Espérandieu, II, n° 1267. Etc.
[117] XII, 4321-9.
[118] XIII, 1751-62. — Il y eut, je crois, un rapport très étroit entre ce culte et le culte impérial. Et c’est ce qui explique peut-être que, seul de ces cultes, il ait pu fonder une sorte d’église universelle, avec hiérarchie et accord de prêtres. — Le relevé des monuments gallo-romains de la Mère, chez Graillot, p. 445-452.
[119] Voyez les discours (Orat., 4 et 5) de Julien sur le Roi-Soleil et la Mère des Dieux. Renan, Marc-Aurèle, p. 561 et s. ; Réville, La Religion à Rome sous les Sévères, 1886, p. 47 et s. ; Cumont, Les Religions orientales dans le paganisme romain, 1907 ; Toutain, Les Cultes païens dans l’Empire romain, 1re p., II, Les Cultes orientaux, 1911.
[120] De même, Graillot, Culte de Cybèle, p. 456-464.
[121] Aubé, Hist. des persécutions de l’Église jusqu’à la fin des Antonins, 1875 ; Renan, L’Église chrétienne (Hist. des origines du Christianisme, VI), p. 467 et s. ; Marc-Aurèle (Hist., VII), 1882, p. 289 et s. ; Allard, Hist. des persécutions pendant les deux premiers siècles, 2e éd., 1892, p. 397 et s. ; Hirschfeld, Zur Geschichte des Christenthums in Lugudunum, dans les Sitzungsberichte de l’Académie de Berlin, ph.-hist. Cl., 1895, XIX ; Duchesne, Hist. anc. de l’Église, I, 1906, p. 254 et s. ; le même, Fastes épiscopaux de l’ancienne Gaule, 1re éd., 1894-1900 ; 2e éd., 1907-1910 ; Scott Holmes, The Origin ... of the Christian Church in Gaule, 1911 ; Harnack, Die Mission und Ausbreitung des Christentums, 1902, p. 506-512. Je ne cite que les livres les plus récents et les plus généraux. — Et je laisse de côté toutes les discussions, inutiles en l’état actuel de la documentation, sur les traditions des églises de Gaule. Cf., pour l’époque ancienne, les attaques du dénicheur de saints, de Launoy, mort en 1678 (Opera, surtout II, I, 1731), et les plaidoyers de Faillon, Monuments inédits sur l’apostolat de sainte Marie-Madeleine, 1848 ; Arbellot, Diss. sur l’apostolat de saint Martial, 1855 ; le même, Documents inédits sur l’apostolat de saint Martial, 1860 ; etc. ; parmi les dernières défenses de la tradition, la plus scientifique est Bellet, Les Origines des églises de France, nouv. éd., 1898. — Et que tout ne soit pas fantaisie ou supercherie dans la tradition, c’est ce que je crois. Il y a une raison à bien des détails qu’elle rapporte. Lorsque, par exemple, on fait aborder à les saintes amies du Christ au village des Saintes-Maries sur un radeau, ratis (cf. Mombritius, Sanctuarium, II, éd. de 1910, p. 234, l. 39), ce mot dissimule le vieux nom du village, oppidum Ratis ; cf. Gazay, Ann. du Midi, 1910, p. 293-299. Mais tant d’erreurs de ce genre sont venues gâter le souvenir de quelques faits peut-être réels, qu’il n’y a pas à tenir compte de la tradition dans un récit historique.
[122] Je ne puis faire état du fameux texte de saint Paul envoyant Crescens είς Γαλλίαν (Ép. à Timothée, II, 4, 10 ; texte authentique ; cf. Novum Testam. Sinaiticum, p. 97 *, etc.). II est fort probable qu’il s’agissait de la Galatie, comme on l’a soupçonné dès le IVe siècle (Eusèbe, III, 4, 8, Schwartz : il y a Galatie dans la traduction en syriaque ; Épiphane, LI, 11 ; Théodoret, Ad Tim., II, 4, 10, Migne, P. Gr., LXXXII, c. 853 ; etc.). Toutefois, la preuve n’est pas faite en faveur de la Galatie, et l’envoi d’un missionnaire aux colonies gréco-asiatiques de Marseille, Vienne et Lyon, ne me parait contraire ni à l’ensemble de ce document ni à la politique de saint Paul. Songeons aux rapports commerciaux entre l’Asie et Lyon et à l’attraction qu’ont pu exercer sur les évangélistes les colonies juives de Vienne et de Lyon.
[123] Marseille étant un lieu d’arrêt habituel sur la route de Rome en Espagne, il est fort probable, si saint Paul est allé dans cette dernière province (et ce n’est pas impossible : Epître aux Romains, 15, 24 ; Clément Romain, Première aux Corinthiens, 5, 6 et 7 ; Canon de Muratori, f° 10 v°, il est fort probable qu’il a séjourné un instant à Marseille, et je ne me représente pas Paul s’abstenant de prêcher. D’autant plus que Marseille, ville grecque, et très célèbre, centre d’enseignement, centre d’un culte fameux d’Artémis, résidence de nombreux Orientaux, Marseille était un de ces beaux champs de propagande comme Paul les aimait. — Or, la plus ancienne inscription chrétienne de la Gaule, et peut-être du monde, est de Marseille, trouvée, je crois bien, au bassin de Carénage (cf. Clerc, Annales du Midi, 1904, p. 495-500), l’épitaphe de A]trias ? Volusianus et Fortunatus, qui vim [igni]s ? passi sunt (C. I. L., XII, 489 ; Revue des Ét. anc., 1908, p. 194). Et elle fait peut-être allusion à un martyre sous Domitien, date que la forme des lettres n’interdit pas. — Autre inscription chrétienne primitive dans les environs de Marseille, XII, 611 [je l’ai vainement recherchée]. — Le sarcophage de La Gayole dans le Var (Revue des Ét. anc., 1910, p. 16 et s.) est peut-être de la seconde moitié du second siècle, et c’est bien, ce semble, le plus ancien sarcophage chrétien connu. — Tous ces faits concourent à donner au Christianisme gaulois une très ancienne origine, quasi apostolique. Je dis origine, et non progrès. — Dans le même sens, Renan, Saint Paul, p. 106-8.
[124] Note précédente. Il est fort possible qu’une persécution, sous Domitien, ait enrayé le mouvement.
[125] Tous les renseignements sur ces églises proviennent uniquement de la lettre des Chrétiens de Vienne et de Lyon aux églises d’Asie et de Phrygie, lettre qu’on peut attribuer à Irénée, et qui a été, en partie seulement, reproduite par Eusèbe (Hist. ecclés., V, 1, éd. Schwartz, 1903). Les martyrologes montrent qu’il circula de nombreuses copies de cette lettre, plus complètes que celle d’Eusèbe.
[126] Hypothèse d’après l’ensemble du récit de la lettre. — Aucun des indices de foi chrétienne qu’on a cru retrouver sur les tombes de Lyon (Hirschfeld, Zur Geschichte, etc., p. 406-8), n’est incontestable (C. I. L., XIII, 1893, 1880, 22763 2076, 1856). D’ailleurs, tous ces textes ne sont pas antérieurs à Marc-Aurèle.
[127] Eusèbe, Hist. ecclés., IV, 3-9. Pothin, l’évêque de Lyon, ayant en 177 plus de 90 ans (V, 1, 29), étant donc né vers 87, a donc pu organiser l’église vers 122, au temps du voyage d’Hadrien. Cf. Renan, L’Église chrétienne, p. 31 et s.
[128] Attale de Pergame, Eusèbe, V, 1, 17 ; Alexandre le Phrygien, V, 1, 49 ; le jeune Ponticus, au nom caractéristique, V, 1, 53.
[129] Eusèbe, V, 1 et s.
[130] Grégoire de Tours et les martyrologes paraissent indiquer au moins 24 citoyens romains exécutés, sur 48 martyrs (ceux qui furent sans doute décapités).
[131] V, 1, 10 (en supposant que Vettius Épagathus ait été avocat), 17, 18, 43,1 49, 53.
[132] On ne mentionne que Sanctus, diacre de Vienne, et il est possible, comme on l’a supposé (Duchesne, Hist. anc. de l’Église, I, 1906, p. 256), qu’il ait gouverné l’église de Vienne en qualité de diacre (V, 1, 17 ; cf. 29). Cf. V, 1, 13.
[133] Cf. Harnack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, I, 3e éd., 1894, surtout p. 140 et s.
[134] V, 1, 3.
[135] V, 1, 3.
[136] V, 1, 56.
[137] V, 1, 17 ; Évangile de Jean, 3, 5 ; Didaché, 7. Cf. Windisch, Taufe und Sünde im ältesten Christentum, 1908, surtout p. 398-411 (d’après Irénée).
[138] Saint Paul, Aux Corinthiens, I, chap. 13. Cf. Renan, Marc-Aurèle, p. 547 et s.
[139] Marc-Aurèle, II, 13 (cf. Pindare chez Platon, Théétète, 24, p. 173 e).
[140] Cf. Eusèbe, V, 1, 9, 10, 15, 22, 48 (emprunts surtout à Luc et à Jean).
[141] Évangile de Marc, 10, 45. Cette idée de salut, chose étrange ! n’apparaît pas dans la lettre des Lyonnais.
[142] Évangile de Jean, 3, 5.
[143] Évangile de Mathieu, ch. 6, § 6-13.
[144] Pensées, III, 4.
[145] IV, 23.
[146] Pensées, livre I.
[147] I, 15 ; III, 4 ; VI, 39 ; VII, 31 et 33 ; X, 1.
[148] Il est impossible de placer ailleurs que sous Marc-Aurèle l’affaire de Lyon. La date résulte de tout ce que nous savons de la chronologie de la vie d’Irénée, fait évêque après la persécution (V, 4, 1 ; V, 5, 8) ; Irénée était un évêque trop illustre, et ses œuvres trop connues, pour qu’une erreur s’établit sur la date d’une persécution qui le touchait de très près. Le témoignage d’Eusèbe est d’ailleurs formel pour placer la persécution sous Marc-Aurèle (178 année du règne, 177, Eusèbe, V, pr., 1 ; cf. Sulpice Sévère, Chr., II, 32, 1). Je ne suis frappé par aucun des arguments qui ont été invoqués pour reculer jusque sous Aurélien la persécution (Westfall Thompson, The alleged persecution of the Christians at Lyons, extrait de The American Journal of Theology, XVI, juillet 1912). — Sur les difficultés que présente le texte de la lettre, et qu’on a eu le tort d’exagérer, voyez surtout Guignebert, Tertullien, 1901, p. 103-111.
[149] La responsabilité de l’empereur était très faible ; Renan, Marc-Aurèle, p. 59.
[150] Eusèbe, V, 1, 47. De même, V, pr., 1, qui semble indiquer un mouvement de persécution, non pas général, mais assez étendu ; (cf. Sulpice Sévère, Chr., II, 32, 1).
[151] Tertullien, Apologétique, 5. — Reste à savoir pourquoi Néron ou Domitien ont porté un édit déclarant crime capital le fait de se dire Chrétien (nomen ipsum ; Pline, Lettres, X, 96, 2). Le crime d’ensemble indiqué par Tacite (Ann., IV, 44), odium generis humani, ne peut signifier, vu le sens de ces deux derniers mots, qu’état d’hostilité continue contre l’Empire romain. Et cela a dû embrasser (flagitia cohærentia nomini ; Pline, X, 96, 2) : 1° fait de conjuration entre tous les fidèles de l’Empire, ce que sans doute les païens ont appelé factio Christiana (Tertullien, Apol., 39) ; 2° mépris de la divinité impériale (Pline, X, 96, 6) ; 3° mépris des dieux de l’Empire (id.) ; 4° sacra nocturna (Pline, X, 96, 7) ; 5° sacramentum in scelus (id.), c’est-à-dire toutes opérations magiques. Et cela revenait aux crimes de perduellio, majestas et impiété (cf. Mommsen, Strafrecht, p. 537 et s., et, avec plus de détails, Der Religionsfrevel, 1890, Ges. Schr., III). Du jour où les juristes, sous Néron ou Domitien, eurent décidé que le nom de Chrétien signifiait tous ces crimes, il suffit de promulguer un édit déclarant ce nom illicite et crime capital : de même, le sénatus-consulte des Bacchanales (C. I. L., I, 196) avait simplement interdit ce dernier nom et les sacra de ce genre, sans explication du crime.
[152] Cf. Pline, Lettres, X, 96, 5-6 ; 97.
[153] Cf. Tertullien, Apologétique, 5.
[154] Cependant, à l’appui de l’hypothèse qu’on poursuivit alors les Chrétiens comme contempteurs du culte impérial, on peut faire cette remarque. — Il y eut un peu partout dans les Gaules, en 176, peu de mois avant la persécution, une série d’actes religieux, tauroboles, constructions de temples, érections d’autels, sans doute pro salute du prince, et peut-être à l’occasion de son retour à Rome et de son triomphe (C. I. L., XII, 2391-2 ; XIII, 505-9). Cette année 176 est certainement une de celles où la Gaule vit les plus grandes manifestations de loyalisme impérial : or, en ce temps-là, le loyalisme s’exprimait surtout par le culte de la Mère, et il allait de soi que les Chrétiens n’avaient pour ce genre de culte que colère et mépris (cf. Tertullien, Apol., 25, 30 et 35). Lyon étant le principal centre de ce culte, on comprend alors l’hostilité de la plèbe contre les Chrétiens et les mesures de police prises à ce sujet.
[155] Pline, X, 96-97, où il n’est pas question de ce chef d’accusation. On peut dire que les Chrétiens n’étaient un collège illicite que parce que leur nom était proscrit. Cf. Tertullien, Apol., 39 ; religionis causa coifre non prohibentur, Digeste, XLVII, 22, 1, 1. D’autant plus que Marc-Aurèle a toujours eu, à l’endroit des collèges, une attitude fort libérale (cf. Liebenam, p. 43-6).
[156] Dans l’ensemble, voyez Harnack, Die Mission und Ausbreitung des Christentums, 1902, surtout p. 230 et s.
[157] Cf. Eusèbe, V, 1, 9.
[158] Révolte d’Avidius Cassius en 175.
[159] Hist. Auguste, Cassius, 9, 1 ; Marcus, 25, 9.
[160] Digeste, XLVIII, 19, 30 (Modestin) : Si quis aliquid fecerit, quo leves hominum animi superstitione numinis terrentur, divus Marcus hujusmodi homines in insulam relegari rescripsit ; cf. Paul, V, 21 ; Collatio, XV, 2, 5. Et qu’il s’agisse là de mesures prises à propos des Chrétiens, soit contre leurs missionnaires, soit contre leurs adversaires, cela me parait résulter du rapport qu’il y eut sous Marc-Aurèle entre la persécution et les mouvements populaires (Eusèbe, V, pr., 1). Il est possible que les Chrétiens aient alors ouvertement protesté contre les tauroboles.
[161] De toutes manières, il n’y eut sous Marc-Aurèle qu’applications locales, provoquées par des incidents locaux, de l’édit contre les Chrétiens, toujours en vigueur et que le prince ne rapporta pas (Tertullien, Apol., 5). Il n’y eut pas de poursuites nouvelles ordonnées par l’État, ou, si l’on préfère, un édit de persécution générale. Cf., en dernier lieu, Bouché-Leclercq, L’Intolérance religieuse [en réalité, sous ce titre, Histoire religieuse de l’Empire], 1911, p. 247-260.
[162] En dernier lieu, Germain de Montauzan, Du forum à l’amphithéâtre, dans la Revue d’Hist. de Lyon, IX, 1910, p. 321-362.
[163] Eusèbe, V, 1, 47.
[164] La lettre (V, 1, 5) mentionne : 1° les bains ; 2° le forum ; 3° οίκιών, qu’il est bien difficile de traduire autrement que par ædes, dans le sens d’ édifices publics ; 4° et n’importe quel lieu, έν όποίω δηποτε τόπω, et là encore j’interprète loca publica. Le rédacteur grec de la lettre a traduit le latin de l’édit à sa manière. Cf. loca publica vel templa (Digeste, XLVII, 22, 2). — L’édit de Marc-Aurèle a dû faire partie d’un ensemble de mesures.
[165] 1, 6.
[166] Eusèbe, V, 1, 6-7.
[167] La lettre associe (1, 8) aux magistrats municipaux le tribun de la cohorte de Lyon. C’était sans doute cette cohorte qui fournissait le service de la prison (optio karceris, C. I. L., XIII, 1833). — On a cru avoir découvert la prison dans les caveaux du soi-disant palais impérial, sur l’emplacement de l’hospice de l’antiquaille (Allmer, Musée, II, p. 294-5) ; mais des doutes judicieux ont été émis là-dessus (Germain de Montauzan, p. 345-352).
[168] Au forum même.
[169] Cela n’est point dit explicitement dans la lettre ; mais voyez 1, 8, et Pline, Lettres, X, 96, 2.
[170] Lettre, 1, 8. Le gouverneur était alors absent. — On n’a pu retrouver le nom de ce gouverneur.
[171] Dès l’enquête municipale du forum (1, 8).
[172] C’est de cette torture ou de ces supplices de l’enquête que moururent les plus faibles, comme Pothin l’évêque (1, 29-31).
[173] C’est cette procédure que raconte la lettre, de 1, 9 à 1, 35. — Contrairement à ce que Trajan avait écrit à Pline (conquirendi non sunt, Pline, Lettres, X, 97), le gouverneur, par un édit, avait prescrit une recherche des Chrétiens (1, 14) : et je doute qu’il n’ait pas pris cette mesure avec l’assentiment du pouvoir central. — C’est à propos de cette enquête que se présente la principale difficulté juridique de cette histoire. Elle amena l’arrestation de Chrétiens des deux églises de Lyon et de Vienne, notamment de tout leur clergé, et la réunion de tous ces prévenus en un seul groupe (V, 1, 13). Or, Vienne dépendait du proconsul de la Narbonnaise, et le légat de la Lyonnaise n’avait rien à voir sur son territoire. Si l’on suppose que les fidèles de Vienne étaient venus à Lyon pour partager le sort de leurs frères, et qu’on les a arrêtés à Lyon, il n’y a plus aucune difficulté : c’était le gouverneur de Lyon qui avait à les juger tous, quelle que fût la province du délinquant (Digeste, I, 18, 3 et 13 ; XLVIII, 13, 4). Si l’on suppose que le légat de la Lyonnaise a fait saisir les délinquants à Vienne par son collègue de la Narbonnaise et les a fait venir à Lyon aux fins d’enquête, la chose est possible (Code Justinnien, III, 15, 1). Mais si l’on admet que c’est par le légat de la Lyonnaise qu’ont été jugés les Viennois et que c’est à la suite d’une arrestation à Vienne que le diacre viennois Sanctus a été exécuté à Lyon, la difficulté juridique est plus grande, le principe étant qu’un tribunal provincial ne jugeât que les crimes commis dans sa province. Il n’est pourtant pas impossible d’admettre que le légat de la Lyonnaise ait réclamé les Viennois comme complices dans l’affaire des premiers troubles lyonnais (Digeste, XLVIII, 3, 7 ; XLVIII, 2, 7, 5 ; XLVIII, 2, 22). Il est également possible que l’empereur, en cette affaire, ait confié une délégation extraordinaire au légat de la Lyonnaise. Le droit criminel et surtout la cognitio sont choses trop mal connues de nous pour que nous puissions rien affirmer (ce que répète justement Mommsen, Strafrecht, p. 357-358), et ce serait bien hardi que de tirer de ce fait aucune conclusion contre l’authenticité de la lettre. D’ailleurs, les Romains, même en matière de droit, n’avaient point les habitudes de réglementation absolue que nous leur prêtons : neque enim in universum aliquid quod quasi certam formam habeas constitua potest (Trajan à Pline, X, 97).
[174] Cf. V, 1, 36.
[175] Marc-Aurèle, XI, 3.
[176] Lettre de Marc-Aurèle au gouverneur, provoquée par une demande de ce dernier, et relative surtout au cas des citoyens romains (1, 44 et 47). Le mot grec άποτυμπανισθήναι doit traduire le latin animadvertere, ce qui signifiait la peine capitale. Marc-Aurèle spécifiait de relâcher ceux qui retiraient leur aveu : c’était ce qu’espérait, jusqu’à la fin, l’autorité impériale ; sa lettre, sur ce point, était conforme à celle de Trajan à Pline (X, 97).
[177] Il y eut, semble-t-il, deux séries de sentences et d’exécutions. L’une (1, 36 44), en juin ou juillet, avec supplices, je crois, dans l’amphithéâtre municipal (près de l’hospice de l’Antiquaille) : mais peut-être n’y eut-il là encore qu’exposition et torture publiques. L’autre (à partir de 1, 47), aux fêtes d’août, avec supplices peut-être dans l’amphithéâtre des Gaules (au Jardin des Plantes).
[178] Grégoire de Tours (In gloria martyrum, 48 ; Historia Francorum, 1, 29) donne le chiffre de 48 et en nomme 45, dont 16 morts en prison, 24 sans doute décapités, 5 livrés aux bêtes. — Autres listes dans les Martyrologes Hiéronymiens (début du VIIe s. ; Mart. Hier., p. 73, de Rossi et Duchesne), d’Adon (IXe s. ; 2 juin, Migne, P. L., CXXIII, c. 275-9), de Notker (Xe s. ; Mine, P. L., CXXXI, c. 1096-7), de Velser (VIIe s. ; Krusch, éd. de Grégoire, p. 878). — Sur la critique des noms, Hirschfeld, p. 386-9.
[179] 1, 36.
[180] Vettius Épagathus, 1, 9-10. Renan (Marc-Aurèle, p. 307 et 339) suppose qu’il a survécu : mais l’expression ήν καί έστιν γηήσιος Χριστοΰ μαθητής s’applique à sa place dans le ciel ; et si la lettre ne décrit pas le martyre, c’est qu’il a été décapité (Grégoire, H. Fr., I, 31). — Ce Vettius a pu être l’évangéliste attitré de la troupe.
[181] Alexandre le médecin, phrygien d’origine (1, 49-51).
[182] 1, 17, 37, 43-4, 50-2 ; 3, 2 : Attale fut d’abord condamné aux bêtes, puis, reconnu citoyen romain, réservé pour un nouveau jugement, et cependant (la preuve de sa bourgeoisie n’ayant peut-être pas été faite) condamné encore et cette fois livré aux bêtes.
[183] 1, 49-51.
[184] 1, 29, 31.
[185] Autres victimes nommées par la lettre : Sanctus, diacre de Vienne (1, 17, 20-4, 37-8) ; Maturus, qui parait avoir été un propagandiste (1, 17, 37-38) ; Biblis [?], une femme (1, 25-6) ; la domina de Blandine (1, 18) ; un jeune Ponticus, âgé de 15 ans (1, 53) ; Alcibiade, connu comme ascète (V, 3, 2-3).
[186] V, 1, 17-19, 25-26, 37, 41-42, 53-56 : elle parait avoir été une évangéliste de la communauté.
[187] 1, 17-19, 42.
[188] 1, 42 et 54.
[189] Elle fut livrée aux bêtes une première fois, lors de la première série (1, 37, 41-2), mais aucune ne la toucha. Elle ne fut suppliciée qu’à la fin de la seconde série (1, 53-6).
[190] V, 1, 56.
[191] V, 1, 56. — Le lieu du martyre est appelé par Grégoire de Tours Athanacum, qui est Ainay (In gloria mart., 48) : mais il n’y avait point là d’amphithéâtre. Il est probable (si la tradition rapportée par Grégoire a quelque fondement) qu’Ainay fut, non le lieu du supplice, mais l’endroit où les corps furent réunis, exposés et brûlés. Ainay étant alors une sorte d’île, peut-être en partie terrain vague, en tout cas en dehors de l’agglomération, on comprend qu’on y ait exposé et brûlé les corps. — Je ne puis accepter encore l’hypothèse que ce nom à Ainay ait pu s’étendre, dès le temps de Grégoire, sur la partie de Lyon voisine de Fourvières, c’est-à-dire sur une partie de la cité proprement dite (Reverat, Fourvière, Ainay et Saint-Sébastien, Lyon, 1880, p. 17 ; Germain de Montauzan, p. 360-2).
[192] Eusèbe, V, 1, 57-63, Grégoire, l. c. Le Rhône semble avoir joué un certain rôle en matière de procédure pénale dans les coutumes de Lyon.
[193] Grégoire, In gloria mart., 49.
[194] On tend à placer également sous Marc-Aurèle le martyre de saint Symphorien d’Autun, quoique sa Vie dise nettement sub Aureliano (22 août, Acta, IV, p. 496). Rien ne me parait confirmer cette hypothèse. Mais je n’affirme pas davantage que la date d’Aurélien soit exacte ; je croirais plutôt à l’époque de Sévère. La vie du saint est évidemment ancienne (cf. Grégoire, In gloria confess., 76), et ce qu’elle dit du culte de la Mire des Dieux et de la lutte soutenue contre elle par les Chrétiens, parait authentique. J’hésite pourtant fort à la croire antérieure au IVe siècle. L’ouvrage de Dinet, Saint Symphorien et son culte (Autun, 1361), est de pure édification. — Il n’y a aucun motif d’accepter les traditions qui joignent aux compagnons de Pothin saint Epipode, saint Alexandre et leurs compagnons (22 avril, Acta, III, p. 8 ; cf. Grégoire, In gloria mart., 49). — Et pas davantage celle qui place alors les martyres de saint Marcel à Chalon (4 sept., II, p. 196 ; Grég., ibid., 12), de saint Valérien à Tournus (13 sept., V, p. 24 ; Greg., ibid., 53). — Tous ces actes n’ont aucune autorité, encore qu’ils renferment des détails intéressants (cf. Tillemont, III, p. 30-7). — Mêmes remarques pour sainte Paschasie de Dijon, connue de Grégoire (In glor. mart., 50 ; In glor. confess., 42 ; 9 janvier, I, p. 366-7). — La chronique hagiographique, du reste, n’a cessé d’ajouter de nouveaux noms au groupe des martyres de Marc-Aurèle.
[195] Cf. Eusèbe, V, proœmium, 4.
[196] Cumont, Les Mystères de Mithra, 3° éd., p. 154 ; Graillot, Culte de Cybèle, p. 150 et s.
[197] Mithra... n’a pas pied sur terre, dit très finement Duchesne (Hist. anc. de l’Église, I, p. 545-6).
[198] Cf. le mot de Marc-Aurèle dans ses Pensées, XI, 3, et sa lettre au sujet des poursuites, I, 44 et 47.
[199] Suite des gouverneurs :
I. Narbonnaise. — Vers 76 ? [plutôt qu’après 100 ?]. C. Julius Cornutus Tertullus (C. I. L., XIV, 2925). —Vers 118 ? L. [Ca]ninius Sextius Florentinus (C. I. L., III, 87 = 14148, 10). — Hadrien ? A. Larcius Priscus (VIII, 17891). — Après 133. Cn. Cornelius Aquilius Niger (XIII, 8006). — En 146 ? L. Novius Crispinus Martialis Saturninus (VIII, 2747, 18273). — Avant 174. L. Aurelius Gallus (VI, 1356). — Vers 169. L. Cestius Gallus Cerrinius Justus Lutatius Natalis (X, 3722). — ?? (C. I. L., VIII, 2754). — ?? (Inscr. Gr. Sic., 750).
II. Lyonnaise. — 77 ? T. Tettienus Serenus (XII, 2602). — 83 ? C. Cornelius Gallicanes (XII, 2602). — Entre 83-88 ? L. Minicius Rufus (XII, 2602). — Vers 109-111. T. Prifernius Pætus Rosianus Geminus (Pline, Lettres, IX, 11, 2). — Trajan. C. Julius Proculus, legatus Augusti pro prætore ad census provinciæ Lugdunensis (X, 6658). — Trajan. Inconnu (XIII, 5089). — Hadrien ? M. Acilius Priscus Egrilius Plarianus (XIV, 155). — Vers 136-137. T. Pomponius Proculus Vitrasius Pollio (Digeste, XXVII, 1, 15, 17). — Antonin ? L. Æmilius Carus, consulaire, leg. Auguste pr. pr. censitor prov. Lugd. (C. I. L., III, 1153, 1415, 7771). — Époque inconnue. L. Æmilius Front... (XIII, 1679). — Époque inconnue. Douteux comme gouverneur. L. Clodius Fronto (VI, 1382). —Antonin ?? Un inconnu, Latin... pi... ? (XII, 1857). — 150 ? T. Flavius Longinus Quintus Marcius Turbo (Arch.-epigr. Mitth. d’Autriche, VIII, p. 21 ; cf. Prosopogr., II, p. 70). — Antonin. Pacatus (Collatio legum, XV, 2, 4). — Peut-être au début de Marc-Aurèle. L. Dasumius Tullius Tuscus (VI, 1526). — A la même époque, et dans une des Trois Gaules. M. Flavius Postumus, ordinatus in Gallia at quinque fasces (VIII, 7044). — Le légat de la persécution de 177.
III. Aquitaine. — En 74-76. Agricola. — Vers 100 ? Senecio Memmius Afer (XIV, 3597). —Vers 110 ? C. Julius Cornutus Tertullus, consulaire, legatus pro pr. prov. Aquit. censuum accipiendorum (XIV, 2925). — Sous Hadrien. Salvius Julianus (Digeste, XLVIII, 3, 12). — Sous Antonin. Licinianus (C. I. L., XIV, 2927). — Vers 166. Q. Cæcilius Marcellus Dentilianus (Dessau, n° 1096 ; C. I. L., VIII, 14291). — Date incertaine. L. Julius Julianus (X1, 4182). — Même remarque. C. Servæus Fuscus Cornelianus ?? (VIII, 11028).
IV. Belgique. — Domitien. Un inconnu (C. I. L., VI, 1548). — Fin de Domitien ? L. Licinius Sura (VI, 1444). — Nerva. Q. Clitius Atilius Agricola (V, 6974). — Hadrien. Claudius Saturninus (Fragm. Vatican, 223). — Antonin ? L. Calpurnius Proclus (C. Inscr. Græc., 4011). — Vers 161 ? T. Varius Clemens, procurator faisant sans doute fonction de præses (III, 5215). — Vers 162 ? A. Junius Pastor Lucius Cæsennius Sospes (VI, 1435). — Entre 161-169. C. Junius Faustinus Postumianus (VIII, 597 ; Pros., II, p. 236-7). — Entre 172-174. M. Didius Severus Julianus (VI, 1401).
V. Germanie Supérieure. — En 70. Annius Gallus (Tacite, Hist., V, 19). — 74. Ch. Pinarius Cornelius Clemens (XII, 113, etc.). — 82. Q. Corellius Rufus (C. I. L., III, Suppl., p. 1960). — 88-9. L. Antonius Saturninus. — 90. C. Octavius Tidius Tossianus Lucius Javolenus Priscus (III, Suppl., p. 1965 ; Prosop., II, p. 428). — 96 ?-98. Trajan. — 98. L. Julius Ursus Servianus (Pline, Lettres, VIII, 23, 5). — 116. Kan... (C. I. L., III, p. 870). — Trajan. M. Appius Atilius [?] Bradua (Die Inschriften von Olympia, n° 620 ; cf. Pros., I, p. 116). Peut-être en Germanie Inférieure. — Fin de Trajan. Inconnu, legatus ad census accipiendos (XIII, 5089). — 134. Ti. Claudius Quartinus (C. I. L., III, Suppl., dipl. 50, p. 1979). — 150. T. Cæsernius Statius Quintius Statianus Memmius Macrinus (XIII, 5609). — 151-152 ? C. Popilius Carus Pedo (XIV, 3610). — Vers 162-5. C. Aufidius Victorinus (Dion, LXXII, 11, 3). — Marc-Aurèle. L. Dasumius Tullius Tuscus (XI, 3363). — Cærellius (XIII, 6806).
VI. Germanie Inférieure. — 70. Cérialis. — 72 et s. ? L. Acilius Strabo (XIII, 7709). — Vers 78. C. Rutilius Gallicus. — On a supposé, je crois à tort, L. Appius Maximus Norbanus vers 88-89. — Au plus tard en 97. Vestricius Spurina (Pline, Lettres, II, 7, 2 ; cf. Pros., III, p. 409). — 101 ou après. Q. Acutius Nerva (C. I. L., XIII, 7697, 7715-6). — 120-123 ? A. Platorius Nepos Aponius Italicus Manilianus Caïus Licinius Pollio (V, 877). — ..al.. ...Gran.... Grattius... Geminius R.... (II, 6084). — Hadrien ?? (III, 2732). — Hadrien ? Un inconnu aux noms martelés (XIII, 8150 ; Brambach, n° 453). — ??? [leg. Auguste pr. pr. ad census] accipiendos [pr. Ge]rm. Infer. (III, 10804). — 136-138 ? Q. Lollius Urbicus (VIII, 6706). — 143-144 ? Tiberius [Julius ?] Severus (C. I. Gr., 4033-4 ; Pros., II, p. 212). — 161 au plus tard. L. Octavius Cornelius Salvius Julianus (Mommsen, Ges. Schr., II, p. 1-5). — 160. Claudius Julianus (XIII, 8036). — Marc Aurèle ? [C. ?] Fulvius Maximus (C. I. L., XIII, 8007). — ?? (VI, 1546). — 180. P. Salvius Julianus ? (Dion, LXXII, 5, 1 ; C. I. L., XIII, 7791 ?, 8159 ? ; cf. Pros., III, p. 166). — Marc-Aurèle, après 164. Q. Antistius Adventus Postumius Aquilinus (XIII, 8812).
VII. Alpes Maritimes. — Fin d’Hadrien ? L. Valerius Proculus (II, 1970). — C. Junius Flavianus (VI, 1620). — M. Julius Ligur (XII, 174). — Marc-Aurèle au plus tôt. T. Porcius Cornelianus, procurator et præses (Inscr. Gr. Sic., 2433).
VIII. Alpes Cottiennes. — L. Dudistius Novanus (XII, 408).
IX. Alpes Grées et Pennines. — Trajan. Ti. Claudius Pollio (VI, 3720 ; Pline, Lettres, VII, 31) — ...s Gratus (XII, 5717). — P. Vemmius Clemens (Théod. Reinach, Un nouveau Sous-Préfet romain de la Tarentaise, 1911). — Marc-Aurèle ? T. Pomponius Victor (C. I. L., XII, 103). — [Ælius ?] Malli[anus] (XII, 102).