I. — PROGRÈS DE LA VIE FAMILIALE. La famille retira de l’Empire romain les mêmes avantages que la cité. Les temps de la liberté ne lui avaient pas été très favorables. Un chef toujours prêt au départ et à oublier dans le combat les plus saintes joies du foyer, des mariages arrangés suivant les calculs de l’ambition, des haines sanglantes suscitées entre les plus proches par les rancunes politiques, voilà le spectacle qu’elle offrit alors chez les plus riches. Fraternité du sang, affections domestiques, amour du seuil et culte du tombeau, tout ce qui faisait la force de la parenté s’évanouissait à l’approche de la bataille ou dans la convoitise du pouvoir. En mettant fin à ces passions violentes, en contraignant les cités à la paix intérieure, Rome ramena les grandes familles à l’union, et invita leurs membres à séjourner les uns près des autres. On se connut mieux, on résida plus volontiers dans sa demeure, on l’embellit pour soi et ses descendants[1], on éleva à ses ancêtres des tombeaux de pierre, indice d’un culte qu’on voulut éternel. Alors, la famille gauloise prit sur le sol de plus profondes racines[2], elle unit plus étroitement sa vie à la vie de la terre, elle se rapprocha de l’idéal qu’avait tracé le monde gréco-romain : une société perpétuelle d’êtres vivants, qui communie autour d’un foyer avec les morts de son passé et les Génies de son domaine[3]. Les plus pauvres purent espérer une vie pareille. Eux aussi eurent moins souvent à battre la grande route. Il leur fut loisible de s’arrêter quelque part sur la terre : ce que les puissants seigneurs de l’ancienne Gaule, incorrigibles coureurs d’aventures, interdisaient souvent à la plèbe affamée qui mendiait leurs aumônes. La domination romaine a supprimé cette multitude de vagabonds que l’anarchie politique jetait sur les chemins de la Gaule. Elle a bâti partout des villes où ils peuvent se réfugier, chercher un métier, et, s’ils ont l’amour de l’ordre et la volonté du travail, se créer un foyer et un tombeau. Riches ou pauvres, les familles de la Gaule romaine se ressemblèrent en ceci, qu’elles prirent toutes des noms collectifs et héréditaires. Ces noms étaient illustres pour les unes, qui s’appelaient des Jules ou des Lucter ; ils étaient obscurs ou vulgaires pour d’autres, qui se nommaient des Severii ou des Secundinii, souvenir du surnom banal reçu par un misérable ascendant. Mais chez toutes, ces noms se transmettaient de père en fils, ils garantissaient aux plus humbles familles une continuité dans le temps, comme les foyers leur assuraient un asile sur l’espace. Assurément, qu’une famille de prolétaires forme une lignée de même vocable, qu’elle s’appelle la gens Secundinia ou la gens Severia, cela ne lui enlève rien de sa misère matérielle et de sa dépendance sociale : mais cependant, c’est pour elle s’éloigner du néant, c’est l’occasion d’un premier orgueil, que de porter un nom qui peut durer. Et cet orgueil avait été interdit aux Gaulois d’avant la cité romaine, chez qui les noms étaient individuels et la famille anonyme. Plus que jamais, cette durée de l’unité familiale s’étalait alors chez les riches et les nobles. La servitude politique ne leur avait rien fait perdre de leur amour-propre dynastique. De même que les cités de la Gaule, les maisons des grands gardaient la tradition de leur histoire et célébraient les mérites de leurs membres. L’usage des tableaux généalogiques persista sous les empereurs. On se glorifia toujours de descendre d’ancêtres fameux, chefs, rois ou druides[4]. Nul être humain ne peut se soustraire à ce désir de se survivre par son propre souvenir et par le nom de sa famille. Il germait obscurément dans les âmes de tous les Gaulois. Les temps romains lui permirent enfin son plein épanouissement, en répandant sur notre sol l’usage des tombes à figures et à inscriptions. Les plus riches se passionnèrent pour de somptueux mausolées à la façon romaine, qu’ils se plurent à orner de portraits et de bas-reliefs, à couvrir de noms et de titres : par là, ils imposaient à la postérité leur mémoire et celle de leurs ancêtres plus fortement que par des récits familiaux ou par des chants de cérémonies : à la parole et au discours succédèrent l’inscription et la pierre, gages plus sûrs d’immortalité[5]. Cela valait bien mieux que les poésies des bardes pour éviter à la famille cette rupture d’avec les ascendants, cette ignorance de son passé qui diminuait sa force morale et sa valeur religieuse. La plèbe, elle aussi, se laissa gagner par la coutume des tombes parlantes, je veux dire portant images et épitaphes elles devinrent l’ambition des plus pauvres[6]. Tous aspiraient à une éternité qui fût visible, ils la voulaient pour eux et leurs descendants, sibi et suis, et, de cette éternité, le monument de pierre, avec son indélébile formule, devait être le soutien à travers les âges[7]. Si la vie familiale se mesure au nombre et au culte des tombeaux, ce fut au temps des empereurs que, sur la terre de France, elle atteignit son apogée. Aucune période de notre histoire n’y est marquée par plus de vestiges funéraires. II. — DE L’ORGANISATION DE LA FAMILLE. De ces familles gallo-romaines, ce que nous connaissons le mieux, ce sont des noms, des tombes, des épitaphes. Il en est de leur vie comme de celle des cités : elle ne se montre à nous que par des inscriptions et des monuments, autrement dit par des formules et des façades de convention. L’infirmité naturelle de l’histoire l’oblige à s’arrêter devant des apparences. A ne juger que par l’extérieur de ces tombes et le texte de ces épitaphes, la famille gauloise ne différait plus de la famille romaine : je ne parle ici que de l’organisation intérieure et des situations juridiques. Degrés de parenté, mariages, rapports entre les proches, testaments, affaires de succession ou autres, tout semble s’exprimer et se régler, dans la Gaule Chevelue comme en Narbonnaise, d’après les formes et les mots traditionnels du droit latin[8]. Si les Celtes ont conservé quelques coutumes nationales en matière de famille, elles ne visent que des cas exceptionnels ou des détails de procédure, en dehors de la vie courante : celle-ci se déroule suivant des usages pareils aux usages de Rome. J’ai déjà dit que la Gaule ne dut éprouver aucune peine à les accepter. Voici, par exemple, la puissance paternelle et l’autorité maritale : au temps de César, elles étaient assurément plus étendues chez les Celtes que chez les Romains. Il n’est point douteux que la domination impériale les a peu à peu ramenées en Gaule aux limites qui les enfermaient en Italie, limites naturelles dans une civilisation plus douce et nécessaires dans un État plus fort. Mais qui sait si le droit gaulois ne serait pas venu de lui-même à restreindre ces antiques pouvoirs domestiques ? Rome ne les avait-elle point transformés chez elle au temps des consuls, sans aucune intervention étrangère[9] ? Le changement qu’elle impose maintenant à la famille celtique, soyons sûrs qu’il se serait produit tôt ou tard, sous l’influence de mœurs plus faciles et d’une vie moins agitée. III. — LES ESCLAVES. Comme par le passé, la famille comportait des esclaves : mais en ce qui concerne l’esclavage, il me semble que les choses ont changé davantage. La domesticité d’un riche Gaulois avait consisté moins en esclaves qu’en serviteurs libres, clients, vassaux, débiteurs, mercenaires et parasites : et il est probable que ce genre de dépendance ne disparut jamais du pays[10]. Mais un des premiers effets de la conquête fut de le réduire fortement. Il était incompatible avec la discipline d’un État régulier, dangereux pour l’ordre public, gênant dans les procédures juridiques ; les lois romaines ne le connaissaient pas, et il échappait à tout contrôle. Les nobles eux-mêmes ne durent point tenir outre mesure à se faire servir par des hommes libres, qu’aucun contrat rigoureux ne pouvait lier à leur personne. Il fallut peu de peine, Rome aidant, pour que l’esclavage prit la place du prolétariat salarié : il était d’un emploi commode, sanctionné par la loi, soumis à des règles minutieuses, où le maître et l’État trouvaient chacun son compte ; puis, dans ce vaste Empire, lés esclaves étaient devenus si nombreux sur tous les marchés, d’aptitudes si variées, de prix si divers[11] ! Si les riches en acquirent des centaines[12], le pauvre put posséder le sien : l’on vit refleurir dans les provinces celtiques la vieille coutume romaine de l’esclave familial, le verra, uni de père en fils à la lignée du maître, vivant comme lui près de la flamme du foyer et de la pierre du tombeau[13]. Il y eut des esclaves affectés au service personnel du chef de la famille, d’autres à la culture de ses terres. On eut parmi eux des domestiques, des laboureurs et des bergers, attachés, ceux-là à la maison[14], ceux-ci à la glèbe[15] ou au bercail[16]. Les cités, les confréries, les dieux[17], tout être et toute société qui possédaient des biens, purent aussi posséder des esclaves. En un mot, la servitude des pays gréco-latins, avec ses espèces infinies, ses avantages et ses tares, se développa librement chez les Gaulois : et il est impossible, dans les milliers d’inscriptions qui se rapportent à elle, de trouver la moindre trace d’une particularité locale. IV. — LES AFFRANCHIS. Les progrès de l’esclavage dans les Gaules ont eu pour conséquence d’y multiplier une catégorie d’hommes que nous n’y avons point rencontrée au temps de l’indépendance, celle des affranchis. Lorsque les esclaves achetaient ou obtenaient leur liberté — ce qui arrivait fort souvent dans ces siècles de rapide enrichissement et de mœurs faciles —, ils ne rompaient pas les liens légaux et moraux qui les unissaient au maître et à sa famille. Eux, sous le nom d’affranchis (liberti), lui, sous celui de patron (patronus), continuaient à être tenus par des droits et des devoirs réciproques de déférence, d’assistance et de protection[18]. Cette sorte de serviteurs, à la fois dévoués à un patron et jouissant de leur liberté, devait rappeler aux Celtes les clientèles d’autrefois : et peut-être, si nouvelle qu’elle paraisse en Gaule, l’institution classique de l’affranchi n’a-t-elle fait que s’adapter à l’institution indigène du client, en prendre les usages et lui ménager une survie[19]. Dans la vie familiale, les affranchis tiennent plus de place que les esclaves, presque autant que les parents eux-mêmes. Ce sont eux, bien souvent, qui élèvent le mausolée de leur ancien maître[20] ; la garde, leur en est d’ordinaire confiée[21], et plus d’une épitaphe de grand seigneur ne renferme point d’autres noms que celui du défunt et ceux de ses affranchis[22]. Beaucoup d’entre eux furent, après leur décès, rapprochés les uns des autres et réunis à leur patron dans une seule tombe[23]. Il semble qu’il existât, entre les affranchis d’un même homme (colliberti)[24] et entre eux et leur seigneur, un accord éternel ou sacré dont la mort faisait apparaître toute la force[25]. Je ne dis pas que ce fût particulier à la Gaule : mais en Gaule, cette habitude ressembla à l’antique coutume de la dévotion, qui associait le chef et ses fidèles dans de communes funérailles. Jadis, tous mouraient ensemble. Maintenant que la vie est plus aimable, chacun part à son heure : mais tous, au delà du tombeau, ne s’en retrouveront pas moins dans une patrie nouvelle. V. — LE DOMAINE[26]. A chaque instant, dans le cours de cette histoire de la Gaule romaine, nous apercevons une transition ou une ressemblance entre les institutions qu’elle quitte et celles qu’elle reçoit : rien ne diffère plus d’une révolution sociale que la manière dont elle est passée au droit nouveau. Des écrivains récents nous ont représenté ce droit comme ayant transformé de fond en comble les conditions du sol et le système de la propriété dans le monde celtique. Avant la conquête, ont-ils dit, point de propriété foncière pour l’individu ou la famille : c’est le régime de la communauté des terres, et la cité est seule maîtresse du sol, de ses forêts et de ses cultures. Après l’arrivée des Romains, c’est le lotissement du sol entre les Gaulois, et ce sont des milliers de domaines qui se forment dans toutes les régions de notre pays[27]. Une opération de ce genre, embrassant soixante-dix millions d’hectares, changeant cent mille hommes en propriétaires, serait peut-être le fait le plus important de notre histoire nationale, la révolution là plus complète et la plus rapide qui aurait jamais bouleversé d’un seul coup la vie des familles, la structure de la société et la condition de la terre. — Il n’est plus besoin de réfuter cette théorie : contraire à tous les textes et à la marche normale des choses dans le passé de la Gaule, je ne la rappelle ici que pour regretter le mal qu’elle a fait en dénaturant la façon d’envisager l’histoire : car elle a mis une sorte de cataclysme social et politique là où nous ne devons apercevoir qu’une lente évolution du droit et des mœurs. Les riches Gaulois, au temps de César, possédaient de vastes domaines ; le régime du sol ne différait point alors, sur ce versant des Alpes, de ce qu’il était en Italie, où dominait la grande propriété. Que beaucoup d’entre ces hommes aient été expropriés par Jules César, et leurs terres confisquées au profit de ses compagnons[28] ou de l’État romain[29], c’est fort probable. Mais, pour passer à de nouveaux maîtres, un domaine n’en continuait pas moins sa vie propre. Je crois qu’il avait reçu, bien avant la conquête, ses éléments essentiels[30] : la demeure seigneuriale au centre[31] et non loin de la source, les communs près d’elle, en avant les terres de culture, en arrière et tout proche les parcs et les bois. L’influence des mœurs latines changera bien des choses au château du maître : à la charpente des murailles succéderont la pierre et la brique ; les façades s’orneront de marbres, les parois, de peintures, et les sols, de mosaïques[32]. Mais il gardera sa place sur le terrain, il commandera toujours aux mêmes terres, comme la ville commande à sa cité. Et si un grand domaine se morcelle, s’il se constitue de nouvelles propriétés, elles répéteront le type consacré, imposé par la nature des choses. De même que la famille, le domaine a son nom propre, qui dure à travers les âges, passant, avec la terre, du père au fils ou du maître au maître. On a dit que ces noms de terres, dont beaucoup nous sont connus, datent tous de l’époque romaine. Je n’en suis point convaincu. Voici un domaine qui s’est appelé Brinnacus, ce qui signifie bien de Brennus[33] : c’est le nom gaulois d’un ancien propriétaire, et rien ne prouve que ce Celte ait vécu après le passage de Jules César. L’habitude dans les temps gallo-romains, comme en tous les temps, fut que le domaine prît le nom de son maître. Il existe encore, sur le sol de l’ancienne Gaule, une très grande quantité de noms de lieux qui remontent à l’époque latine, et qui sont des noms d’hommes transformés en noms de terres[34]. Les innombrables localités, par exemple, qui s’appellent aujourd’hui Fleury, Floirac, Florac, s’appelaient alors Floriacum ou Floriacus, bien de Florus[35] ; les Soulac ou Soulan de maintenant sont d’anciennes terres d’un Solus[36] ; Juilly, Juilly, Juillac, Juilhans et autres lieux de ce genre ont appartenu à un Julus, un Jullus ou un Julius[37]. On pourrait, si l’on voulait donner tous les noms formés de cette manière, arriver à un total de plusieurs milliers[38]. Assurément, toutes les périodes de notre histoire ont laissé des empreintes semblables sur le sol rural. Il présente des noms de propriétaires remontant à chacun des vingt siècles de notre passé connu ; et, autour de nous encore, nous voyons à tout instant des noms de ce genre qui se fixent sur une portion de la terre pour la déterminer dans l’avenir. Mais aucune époque, dans cette liste indéfinie, n’aura fourni plus de noms que celle des Gallo-romains. Cela tient d’abord à la manière dont ces hommes vécurent, et ensuite, aux évènements qui suivirent les temps impériaux. — Pour les Latins, le domaine, comme la famille, devait porter un titre. Une terre avait ses dieux, ses autels, ses limites sacrées : pourquoi n’aurait-elle pas eu son nom ? Tout ce qui durait dans le temps, tout ce qui se filait sur l’espace recevait un vocable qui servait à le définir. Les Gaulois, qui n’avaient pas ignoré l’usage des noms de terres, s’y habituèrent de plus en plus sous l’influence des coutumes romaines, et ils finirent par le répandre à profusion : on peut admettre qu’il né déplut pas à leur orgueil de propriétaires. — Si, plus tard, tant de ces noms gallo-romains se sont refusés à disparaître et sont venus jusqu’à nous, c’est parce que les domaines qui les ont reçus n’ont cessé de grandir en importance. A chaque génération de l’Empire, la vie y était plus intense, les maîtres y séjournaient plus fréquemment, et à la fin, devant les Barbares qui approchaient, le château s’est fortifié, les habitants se sont abrités plus nombreux sous sa protection, une communauté s’est formée dans le cadre d’une villa gallo-romaine : comment aurait-elle pu oublier ou perdre son nom, alors que sa personnalité morale et politique s’était développée sans relâche ? C’est qu’en effet les domaines dont nous parlons étaient assez vastes et assez riches pour déterminer et nourrir à eux seuls une petite société humaine. Si nous jugeons de leur étendue d’après celle des paroisses ou communes qui les ont remplacés, ils devaient s’étendre chacun sur un millier d’hectares et le plus souvent davantage[39]. C’était de quoi faire très bien vivre au moins un millier d’hommes[40]. Ceux-ci n’y manquaient d’aucun des éléments essentiels à leur vie : ils y trouvaient l’eau des sources, le blé ou le millet des terres, le poisson des étangs, les bestiaux des pâturages, le bois et le gibier de la forêt, la forge, le four et l’autel. Avec le château du maître qui servait de capitale[41], les communs qui concentraient les services, les fermes qui se partageaient l’exploitation, les bois qui bordaient ses frontières, un grand domaine prenait l’allure d’une cité minuscule, d’un État domestique et seigneurial. VI. — DIVERSES ESPÈCES DE PROPRIÉTAIRES. Le maître de ce domaine pouvait être un étranger aussi bien qu’un homme du pays. Car aucune loi ne défendit aux Gaulois de vendre leurs biens-fonds à des Italiens ou à d’autres provinciaux[42], et eux-mêmes avaient le droit d’acquérir des terres dans toutes les cités de la Gaule et de l’Empire[43]. Il est à croire, cependant, que cette circulation des grands domaines de la Gaule a été, pendant les premiers siècles de l’ère chrétienne, une chose assez rare, et qu’ils restèrent longtemps entre les mains d’une seule famille, et d’une famille du pays[44] : ce qui était conforme aux règles posées par les agronomes latins de l’ancienne école[45]. Cela ne veut point dire que cette famille fût regardée comme maîtresse du sol : la loi ne la connaissait point à ce titre. Un domaine appartenait, non pas à une famille, mais à son chef ou à l’un de ses membres. La propriété privée était strictement personnelle. Parmi ces noms de terres dont nous avons parlé, il ne doit y avoir que des noms d’individus, et non pas de gentes[46]. La propriété individuelle ne fut point, du reste, la seule que l’on connût. Quelques-uns de ces domaines appartenaient à des confréries ; d’autres, à l’empereur. Des cités étaient propriétaires, non pas seulement sur leur territoire, mais sur celui d’une cité voisine ou lointaine[47]. Mais la plus curieuse de ces variétés d’autorité foncière fut celle qu’on octroya à des dieux. Un dieu pouvait devenir maître de domaine en Gaule, à la condition d’élire domicile en un endroit déterminé : j’entends par là d’y avoir son temple. Le temple du dieu était alors, comme le château du grand seigneur, une résidence de propriétaire et un centre de biens-fonds. Donations, legs, héritages mêmes, faisaient le dieu très riche, car les plus hautes divinités, par exemple le Mars des Gaules, reçurent des empereurs la capacité d’hériter. Autour du sanctuaire se multipliaient les demeures et les bâtiments d’exploitation : des champs, des bois, des sources, des aqueducs, dépendaient de lui ; des droits ou des amendes étaient perçus à son profit[48]. Un prêtre ou un collège administrait tous ces biens, assisté de nombreux serviteurs[49]. Ces principautés religieuses ne furent point très rares en Gaule[50], et il est probable qu’elles remontaient à des temps très anciens. Mais elles n’y atteignirent jamais l’étendue et la prospérité des grands sanctuaires d’Asie, où un prêtre de Cybèle faisait figure de roi. VII. — LE DOMAINE EN FACE DES POUVOIRS PUBLICS. Sur ces vastes domaines, replaçons par la pensée les chefs de famille avec leurs parents, leurs amis, leurs hôtes, leurs affranchis et leurs esclaves ; représentons-nous toutes ces terres et tous ces hommes dépendant d’un seul maître : et nous comprendrons que ces domaines et ces maîtres pourront acquérir un jour une puissance politique avec laquelle devront compter et la cité voisine et l’État romain. Je dis acquérir, il faudrait peut-être dire recouvrer : car domaines et propriétaires existaient dés l’époque gauloise, et leurs richesses et leur pouvoir avaient souvent compromis l’ordre public dans les nations. Pour le moment, l’autorité impériale est tellement supérieure, qu’elle n’a rien à craindre des chefs de l’aristocratie foncière. Qu’ils n’aient pas maintes fois abusé de leur pouvoir pour torturer leurs esclaves, exploiter leurs serviteurs, tracasser leurs voisins, piller même ou marauder à main armée, cela est très vraisemblable[51]. Parfois, ainsi qu’au temps de l’indépendance, les plus hardis de ces grands seigneurs se croyaient assez puissants et assez riches pour mépriser la loi romaine, traiter leur municipe ou leur province en pays conquis, et, au besoin, tenter d’acheter et corrompre les soldats qui gardaient la frontière[52]. On se trompera sur ce monde gallo-romain, si on se l’imagine tel qu’une société toujours régulière et partout policée, où la vie se déroulerait dans la paisible ordonnance des disciplines administratives. Il y avait beaucoup d’imprévu, des abus et des violences sans nombre qui restaient impunis, parfois de véritables coups de force : à quoi se prêtaient ces grands domaines ruraux, éloignés des villes et des routes, isolés par d’immenses forêts, où d’intraitables seigneurs vivaient à leur guise, insouciants du reste des hommes, presque toujours en armes, et il n’importe que ces armes fussent de chasse[53] et non de guerre. Mais leurs violences, toutes passagères, ne causaient d’autre tort à l’État que celui d’occuper sa justice et sa police. Et jamais, dans les beaux temps de l’Empire, on ne constatera chez eux un acte de rébellion durable, ou une usurpation persistante des droits publics[54]. L’État les surveillait avec soin, eux et leurs terres[55] ; et on a vu qu’il s’arrogea même le droit de contrôler les cultures. Ces domaines étaient plus gênants pour l’autorité municipale. On ne sait si la police locale s’y exerçait sans entraves, ou si la surveillance n’en était point laissée aux gardes-chasses ou aux gardes champêtres du seigneur. Celui-ci, du reste, fait d’ordinaire partie du sénat de la cité. Il peut aisément devenir flamine, édile ou juge ; et, par suite, il usera, sur tous les hommes du pays, de la double influence que lui donnent son titre officiel et sa force de propriétaire. Les affaires d’une cité risquent de devenir la chose d’un seul homme, celle du plus riche de l’endroit. Il est probable que cela est advenu souvent, même sous le régime des meilleurs empereurs, et que, comme au temps de Celtill ou de Dumnorix, les nations des Arvernes ou des Éduens marchaient souvent à l’attache d’une grande famille[56]. Mais l’État et ses gouverneurs regardaient les faits d’assez près pour arrêter à temps les abus les plus dangereux. VIII. — CE QUI FAIT CONTREPOIDS AUX GRANDS DOMAINES. Outre ce fait d’ordre politique, — la présence d’un Etat fort et vigilant, — un fait d’ordre économique enrayait les progrès des grands domaines et les usurpations des familles qui les détenaient : c’est que ces domaines et ces familles n’étaient plus, ceux-là, le seul mode de la richesse, et celles-ci, la forme unique des sociétés privées. A côté des grands domaines, les petites propriétés peuvent maintenant se former et rester. Les temps de la liberté avaient été durs pour elles : cultivateurs libres et biens de terre médiocres se laissaient vite asservir et conquérir par quelque puissante seigneurie du voisinage. La loi romaine empêcha ces empiétements tyranniques de l’aristocratie foncière : elle assura contre elle une vie indépendante aux plus humbles possesseurs de champs[57]. Diverses circonstances aidèrent les empereurs à reconstituer et à favoriser la classe des menus propriétaires : le lotissement des terres dans les colonies du Midi[58], la concession permanente d’arpents labourables aux soldats sortant du service, le défrichement des forêts, le desséchement des marécages, la construction de routes nombreuses, qui étaient autant de brèches faites à travers les vastes domaines. Puis, à la propriété foncière, grande ou petite, s’oppose la concurrence de la richesse mobilière. Banquiers, armateurs, commissionnaires en denrées ou en produits manufacturés, industriels, entrepreneurs de transports, marchands de vin, d’huile, de draps, de poteries et d’esclaves, débitants enfin de mille sortes, — les progrès de la vie urbaine, les facilités de communication, l’extension des échanges avec tout l’Empire, font croître chaque jour la quantité des travailleurs de cette sorte, de ceux qui demandent la fortune, non pas à la terre, mais à l’argent et à la marchandise. Ajoutez enfin à ces hommes ceux des professions libérales, médecins, philosophes, avocats, juristes, maîtres de grammaire ou de rhétorique, sculpteurs, peintres, architectes, ingénieurs, tous personnages de plus en plus estimés et nombreux dans les Gaules, eux aussi habitant dans les villes[59]. Et cette double bourgeoisie, d’affaires et de capacités, sera désormais assez forte pour tenir tête à la noblesse terrienne de l’endroit. En outre, par-dessous propriétaires et marchands, le prolétariat libre ne cesse de s’accroître. Pour se rendre compte de son importance, il suffit de voir, dans toutes les villes de la Gaule, immenses ou humbles, ces énormes bâtisses pour spectacles, théâtres et amphithéâtres, qui s’y sont dressées en moins de deux siècles : plusieurs milliers de spectateurs prenaient place dans les plus petites, vingt-cinq mille dans les plus grandes[60]. Cela oblige à supposer, dans la population urbaine, bien d’autres gens que des riches, des bourgeois et des esclaves. Il faut, sur ces gradins à perte de vue, loger une multitude redoutable de commun peuple, ouvriers, gagne-petit, pauvres gens ou assistés ; auxquels les cités, comme les empereurs à Rome, accordaient l’aumône de jeux publics. Voilà encore de quoi faire équilibre à la force de la grande propriété familiale. Enfin, ce qui donnait alors une énergie nouvelle à ces prolétaires ou à ces bourgeois des villes, c’est qu’ils ont le droit de s’unir en sociétés permanentes, et qu’en face des familles de propriétaires se dressent les confréries de petites gens et les collèges de marchands. |
[1] C’est la formule de certaines épitaphes : sibi, ...omnibus suis posterisque ; C. I. L., XII, 88.
[2] Cf. domum æternam (une tombe) vivus sibi curavit ; C. I. L., III, 4123.
[3] Fustel de Coulanges, La Cité antique, p. 39 et s.
[4] Tacite, Hist., IV, 55 ; Annales, III, 40 ; Ausone, Professores, 5, 7-9 ; 11, 24-28.
[5] Mausolées de Saint-Remy (C. I. L., XII, 1012 ; Espérandieu, n° 114), de Lanuéjols (XIII, 1567 ; Espérandieu, n° 1733), d’Igel (XIII, 4206), et bien d’autres, dont les débris mutilés apparaissent dans les musées.
[6] Voyez le Recueil général des bas-reliefs de la Gaule romaine d’Espérandieu, 4 v. parus, 9907-1911 ; C. I. L., XII, 2319 ; etc.
[7] Memoriæ æternæ ; cf. Hirschfeld, C. I. L., XII, p. 963-4.
[8] Cf. C. I. L., XII, p. 963 (parentelæ et necessitudines), 966 (testamentum), 963 et s. (sepulcra eorumque jura) ; ces mêmes rubriques, C. I. L., XIII [à paraître].
[9] Cf. Fustel de Coulanges, La Cité antique, p. 302 et s., 363 et s.
[10] Tacite, Hist., I, 4 ; Ulpien, Digeste, IX, 3, 5, 1 ; Paul, Digeste, XLVII, 2, 90 (parle même de cliens vel mercenarius). Fustel de Coulanges, Les Origines du système féodal (Institutions, V), p. 225 et s. — En fait, sous le nom d’hôtes, amis, affranchis ou colons, le riche Gaulois conserva autour de lui l’équivalent de sa suite ou de sa clientèle d’autrefois. L’expression de cliens, sans être proscrite de l’épigraphie (C. I. L., XII, 2208, 3911), y peut désigner un affranchi (XII, 3773 comparé à 3296 ; cf. Wissowa, Real-Enc., IV, c. 53-4). — Dans une série d’inscriptions de Dijon, l’ensemble des membres de deux corporations d’artisans se disent clientes d’un grand seigneur du pays, mais qui est leur patron (C. I. L., XIII, 5474-5).
[11] Pour tout cela, t. V. Cf. Wallon, Hist. de l’esclavage dans l’Antiquité, II et III, 2e éd., 1879.
[12] Cf. C. I. L., XII, 1025, 4887 ; XIII, 1747.
[13] C. I. L., XII, 3628, 3781 (vernacula) ; voyez la touchante épitaphe hic est sepultus cum suo vernione (XII, 5012) ; et l’autel, de facture et de pierre très communes, d’un Bordelais à Jupiter pro f(ilio) et vern(a) (XIII, 568).
[14] Familia urbana (XII, 1025) ; cf. XIII, 1147.
[15] Columelle, I, 9. Peut-être Digeste, XXXIII, 7, 3 ; cf. Fustel de Coulanges, L’Alleu (Inst., IV), p. 50-57.
[16] Columelle, I, 9 ; César, De b. c., I, 24, 2 ; Digeste, XXXII, 1, 66.
[17] C’est-à-dire de temples : Mercuri et Cereris ser(vus), XII, 2318.
[18] Cf. Fustel de Coulanges, L’Invasion (Inst., II), p. 107-115 ; Leist, Das rœm. Patronatrecht, 1879, § 61 et s. Par exemple, affranchis qui ont leurs patrons pour héritiers (XII, 1583) : c’est cette qualité d’héritier qui explique pourquoi, si souvent, le patron élève le tombeau de son affranchi (XII, 1583, etc.).
[19] Cliens se disait d’un affranchi, C. I. L., XII, 2208, 3911.
[20] C. I. L., XII, 741-2, 1581, 3483, 3935, et cent autres.
[21] Voyez, en particulier, le testament du Lingon (C. I. L., XIII, 5708).
[22] C. I. L., XII, 741-2, 1581, 3483, 3935, et cent autres.
[23] Viva sibi et suis libertis libertabusque natis nascentibus, XII, 3702 ; cf. XII, 4422, etc.
[24] XII, 289 ; 4887 : familia libertorum d’un tel, l(ocus) s(epulturæ) ; colliberto, XII, 1898 ; XIII, 2027, etc.
[25] XII, 3702 ; cf. XII, 4422, etc.
[26] Fustel de Coulanges, L’Alleu, 1889 (Institutions, IV) ; His, Die Domänen der r. Kaiserzeit, 1896 ; Schulten, Die rœm. Grundherrschaften, 1896 ; Beaudouin, La Limitation des fonds de terre, 1894 ; le même, Les grands Domaines dans l’Empire romain, 1899.
[27] La division de la Gaule en propriétés immobilières individuelles date de l’époque romaine ; d’Arbois de Jubainville, Recherches sur l’origine de la propriété foncière, 1890, p. 125.
[28] César, De b. civ., III, 59, 2 (agros ex hostibus captos).
[29] Domaines impériaux : encore avons-nous soupçonné leur peu d’importance en Gaule.
[30] Ce qui suit, d’après Caton et d’après l’aspect ordinaire des domaines en -acus, qui doivent être d’anciens domaines de Gallo-romains. Comparez, par exemple, les expressions de Caton (De agri cultura, 1) à la situation de la villa de Taverny (Taberniacus, diplôme de 754, Dipl. Karolina, p. 11) en Seine-et-Oise, adossée au nord à la forêt de Montmorency (sub radice montis), précédée au sud (in meridiem spectet) par les terres de culture qui finissent à la voie romaine de Pierrelaye (de Paris à Rouen, via bona celebrisque). Varron, Res rust., I, 11-12.
[31] Je ne serais pas étonné que le mot de mediolanum (= caput ou centre), qui a formé tant de noms de lieux en France (Holder, II, c. 497-521), eût parfois désigné le centre d’un très grand domaine, l’équivalent gaulois de la villa urbana ou du prætorium des temps romains, du capmas, cammas médiéval ; cf. Du Cange, au mot caput mansi et mots similaires, et Mistral, au mot Cap-mas.
[32] Cf., entre autres, Grenier, Habitations gauloises et Villas latines dans la cité des Médiomatrices, 1906, p. 122 et s. Voyez aussi Blanchet, Étude sur la décoration des édifices de la Gaule romaine, 1913.
[33] Variante, Brannacum ; Berny-Rivière dans l’Aisne ; Grégoire de Tours, Hist. Franc., IV, 22 (Longnon, Géographie, p. 401) ; etc. D’Arbois de Jubainville, p. 495-6.
[34] Les deux principales désinences indiquant le domaine d’un tel sont : dans les régions les plus romanisées, Narbonnaise et Aquitaine méridionale, surtout le suffixe, latin d’origine, -anum ou -ianum ; dans les pays les plus fidèles à la langue celtique, surtout le suffixe gaulois, avec désinences latines, -acus ou -acum, -iacus ou -iacum. De ce dernier suffixe, on trouve trace dès le début de l’Empire (Gesoriacum), et je ne mets pas en doute qu’il n’ait été employé à l’époque indépendante. — Le nom du propriétaire s’est également indiqué, et je crois aussi aux deux époques, sans suffixe : on a dit Brannus [Brennus], Catulus, Celtus, en sous-entendant villa (d’Arbois, p. 500 et s., exemples tirés de sources médiévales), comme on dit en France Michon, Michons, les Michons, à côté de La Michonnière (Dict. des Postes, éd. de 1885, p. 1217). — Je crois, contrairement à l’opinion courante, qu’il faut dire noms d’hommes et nullement noms de familles, cognomina et non gentilices : car, la plupart du temps, le propriétaire donne son cognomen à son domaine (c’était l’opinion de Quicherat) ; et, si l’on trouve tant de Juliacum, cela ne prouve nullement qu’il s’agisse du gentilice Jullus, ce nom, et ceux de Julus, Jullus, étant aussi usités comme cognomina.
[35] D’Arbois de Jubainville, p. 163.
[36] D’Arbois de Jubainville, p. 328-9 : il fait venir Soliacus des gentilices Solius ou Sollius.
[37] D’Arbois de Jubainville, p. 140-2.
[38] Voir le livre cité de d’Arbois de Jubainville, et Holder, I, c. 20-31 ; III (supplément), c. 483-496 ; auparavant, Quicherat, La Formation française des anciens noms de lieu, 1867, p. 34-41. — La question est de savoir si quelques-uns de ces noms en -acum ou -anum ne désignent pas autre chose que des noms de propriétaires : Soliacus, la maison seule, Floriacus, la villa des fleurs, Nemetacum, la villa du sanctuaire. Ce n’est pas absolument impossible, mais n’est point encore prouvé ; cf. d’Arbois de Jubainville, p. 173-8. — La question est aussi de savoir si dans ces localités, Fleury par exemple, le nom n’a pas été apporté au Moyen Age ou dans les temps modernes par un propriétaire de ce nom : le Fleury de Saint-Cloud, par exemple, doit son origine à un Jean Fleury, secrétaire du roi en 1435 (Lebeuf, Hist. ... de Paris, III, éd. de 1883, p. 37). Toute étude toponymique exige d’abord de bien arrêter l’histoire de chaque localité, les vicissitudes de son nom : ce que l’on peut faire à l’aide des dictionnaires topographiques de départements (27 volumes parus, le dernier est le Dict. topogr. du départ. de l’Aude, de Sabarthès, 1912) et des tables de cartulaires (cf. Stein, Bibliographie générale des cartulaires français, 1907).
[39] La commune de Floirac, près de Bordeaux, a 953 hectares ; celle de Cadéac, dans la vallée d’Aure, 614 ; celle de Vitry, près de Paris, 1179. Je cite, dans trois régions différentes, des communes qui ont visiblement remplacé des villas romaines. Et s’il y a eu différence d’étendue, c’est évidemment la villa qui était plus grande que la commune. — L’archéologie amène aux mêmes conclusions (n. suivante).
[40] A la villa de Chiragan, près de Martres-Tolosanes, il y a deux hectares et demi de surface bâtie pour la demeure du maître, et l’on a pu supposer trois à quatre cents personnes pour les services généraux de la résidence, 1000 hectares et 500 laboureurs pour la surface arable ; Joulin, Les Établissements gallo-romains de la plaine de Martres-Tolosanes, 1900, p. 155 (Acad. des Inscr., Mém. p. p. divers savants, I, XI, I). — A la villa de Téting, près de Faulquemont, les ruines des constructions bâties s’étendent sur plus de deux hectares, et on n’en connaît pas la fin (Grenier, p. 159). — Voyez aussi les grandes villas de Belgique, en particulier Anthée (del Marmol, Ann, de la Soc. arch. de Namur, XIV-XV, 1877-81). — Etc. Sur les villas, en dernier lieu : la bibliographie de Kropatscheck, VI. Bericht der R.-G. Komm., p. 51-78 ; Schumacher, Materialien zur Besiedelungs-Geschichte Deutschlands, 1913 (catalogues du Central-Museum de Mayence), n° 83-89.
[41] On peut prononcer le mot, si on n’y attache pas le sens de forteresse. Il y a, entre ces villas et nos anciennes demeures seigneuriales, plus d’analogies de disposition qu’on ne croit. A Téting, la villa est précédée d’une cour d’honneur, large de 88 mètres et profonde de 60, bordée de deux ailes de bâtiments, menant à une façade concave formant galerie.
[42] Pline, XXXIV, 3.
[43] Voyez le cas de Valerius Asiaticus, de Vienne, grand propriétaire à Rome (Tacite, Ann., XI, 1).
[44] La construction d’immenses tombeaux en pleine campagne, c’est-à-dire sur les domaines, permet de supposer que l’on prévoyait le maintien de ces domaines dans la famille.
[45] Caton, De agri cultura, I, 4.
[46] Assignantur viritim nominibus, disent les Gromatici veteres, p. 154.
[47] Cicéron (Ad fam., XIII, 7 et 11) cite des villes d’Italie dont le principal revenu consistait in iis vectigalibus quæ habent in provincia Gallia (la Cisalpine). — Qui sait si ce n’est pas, parfois, l’origine de ces curieuses enclaves que certains diocèses de l’ancienne France possédaient à l’intérieur de diocèses voisins ? Tel, par exemple, le doyenné de Champeaux (7 paroisses), du diocèse de Paris, enclavé dans le diocèse de Sens (Lebeuf, Hist. de Paris, V, éd. de 1883, p. 409).
[48] Cellæ construites ex reditu fani (C. I. L., XII, 5370) ; allectus aquæ tempuli Dunisiæ chez les Ségusiaves, XIII, 1646 ; Gromatici, p. 56-7, 117, 162-3 ; Code Théod., X, 1, 8, p. 415, Godefroy-Ritter.
[49] Ou encore l’administration dépendait des magistrats du lieu, C. I. L., XIII, 1646 (præfectus pour le temple, allectus pour le service des eaux). — Les noms de lieux comme Martiacus ou Martianum, Mercurius ou Mercuriacus (d’Arbois de Jubainville, p. 270-5, 446-8), peuvent, à la rigueur, s’interpréter comme la villa d’un dieu, encore qu’on les explique d’ordinaire par des noms d’hommes, Martius et Mercurius. C’est affaire d’espèces.
[50] Cf. les deux notes précédentes. Étant donné que Lectoure est une des villes saintes de la Gaule (C. I. L., XIII, 502-527) et qu’elle a un procurator spécial, je me demande s’il n’y a pas eu là une principauté religieuse, alliée de très bonne heure avec les Romains, comme il est arrivé si souvent pour les royautés sacerdotales.
[51] Histoire Auguste, Proculus, 12, 1 : Domi nobilis sed majoribus latrocinantibus.
[52] C’est le cas du Viennois Valerius Asiaticus, en 47, que Claude soupçonnait de vouloir, multisque et validis propinquitatibus subnixus, parare iter ad Germanicos exercitus et turbare gentiles nationes ; Tacite, Ann., XI, 1.
[53] Bas-reliefs de Déols (Espérandieu, 1560), de Cahors (1648) ; testament du Lingon (C. I. L., XIII, II, 5708, p. 113-5) ; etc.
[54] Sauf la part prise dans les révoltes générales.
[55] Digeste, I, 18, 6. 2 (Ulpien) ; etc.
[56] Voyez, par exemple, l’importance des Pompeii à Périgueux, lesquels paraissent bien se rattacher à un même clan (XIII, 939, 950-4, etc.). Un citoyen d’Aix est pater trium decurionum (XII, 522). Dans le pays de Dijon, un riche propriétaire a pour clientes les fabri ferrarii et les lapidarii (XIII, 5474-5). Les Valerii Asiatici devaient évidemment être tout-puissants à Vienne (cf. Prosopogr., III, p. 352-3) : l’un d’eux fut légat de la Belgique, et leur train de maison était tel, qu’il comportait une nombreuse troupe d’acteurs, scænici Asiaticiani (C. I. L., XII, 1929).
[57] Digeste, I, 18, 6, 2. Il semble difficile que les possessores d’Aix-les-Bains ne soient pas de petits propriétaires, groupés en syndicat ou société.
[58] Le peu qu’on devine dans la matrice cadastrale d’Orange (C. I. L., XII, 1244), laisse entrevoir de très petits domaines.
[59] L’importance de cette catégorie de citoyens était d’autant plus grande, que philosophes, médecins, grammairiens, rhéteurs, étaient exempts de certaines charges (Digeste, XXVII, 1, 6 ; L, 5, 9).
[60] Cf. Friedlænder, II, 1910, p. 585-603.