HISTOIRE DE LA GAULE

TOME IV. — LE GOUVERNEMENT DE ROME.

CHAPITRE VIII. — LA CITÉ[1].

 

 

I. — LES DIFFÉRENTES FORMES DE SOCIÉTÉS.

Ce système de compensations et de compromis était alors le propre de la politique romaine. Auguste avait eu l’habileté de le faire triompher partout. Il s’en servit pour organiser le pouvoir impérial[2]. Nous venons d’en suivre l’application clans les règles des droits et devoirs respectifs de l’État et de ses sujets[3]. Et c’est encore cette manière de gouverner, conciliante et traditionnelle, que nous retrouverons en étudiant les groupes politiques ou sociaux du monde gaulois, la façon dont les empereurs ont fixé leur rôle et ordonné leur existence.

Avant la conquête, un Gaulois appartenait, à raison de sa naissance, à trois sociétés humaines. Par le lien du sang, il était l’enfant d’une famille[4] ; par le lien politique, il était le citoyen d’une cité, Rèmes ou Éduens ; enfin, à ces deux puissances sociales, essentielles et nécessaires, s’ajoutait la Gaule ou u le nom gaulois », patrie nationale groupant toutes les cités, et qui, pour être le plus souvent lointaine ou méconnue, n’en exerça pas moins sur les âmes d’élite les séductions de son empire. — Peut-être faut-il rappeler une quatrième sorte de société, la confrérie, l’alliance libre entre les hommes de même condition ou de même croyance : car ce cadre d’une vie commune, qui tenait à la fois de la famille et de la cité, ne fut point, je crois, étranger aux habitudes celtiques.

Famille, collège, cité et nation même, ces quatre formes d’êtres collectifs furent maintenues à l’intérieur de l’Empire. Nous allons voir de quelle manière l’État romain les adapta à son droit et les fit servir à son gouvernement. — Commençons par les sociétés qui s’imposèrent le plus à lui par la nature des choses et la force des traditions, la cité et la famille.

 

II. — LA GAULE SOUMISE AU RÉGIME MUNICIPAL.

Le régime de la cité avait dominé de plus en plus la vie politique des Gaulois dans les dernières années de leur indépendance. J’entends par ce mot de cité, des tribus associées par un lien permanent pour former un seul peuple : au–dessus d’elles, des lois communes et des magistrats suprêmes ; au centre et comme au cœur de ce peuple, une ville maîtresse, résidence préférée de ses chefs et de ses dieux, lieu des rendez-vous de tous ses hommes, pour la résistance en temps de guerre, pour les foires en temps de paix, pour le culte d’alliance en temps de fête. Telles étaient la cité des Éduens et Bibracte sa ville, les Arvernes et Gergovie, les Bituriges et Avaricum, les Parisiens et Lutèce. Le spectacle qu’offrait aux contemporains de César un vaste peuple de la Gaule, groupant peu à peu ses tribus autour d’une puissante capitale, leur rappelait les dèmes de l’Attique venant fraterniser dans Athènes[5] ou les douze tribus d’Israël communiant dans l’enceinte de Jérusalem sur le seuil du temple national[6].

Rome, loin de combattre cette forme de la vie publique, mit tout en œuvre pour la fixer chez les vaincus. A favoriser en Gaule le régime municipal et urbain, elle ne trouvait que des avantages. Elle encourageait les habitudes que prenaient les peuples ; elle marchait avec eux dans la voie de leurs destinées naturelles[7]. Puis, inviter les hommes à se réunir dans une grande ville ou à lui confier leur vie politique, y concentrer les demeures et les intérêts de milliers de familles, faire de cette ville la tête d’un vaste corps, n’était-ce pas le moyen le plus sûr de régenter ce corps, de le transformer à la romaine ? Qu’on se figure, — au lieu de ces quatre-vingts capitales de cités, en rapport constant avec le prince et ses agents, recevant du peuple souverain des ordres ou des habitudes, et les recevant pour les transmettre autour d’elles, villes pareilles à des foyers, où la vie est plus intense, où pénètre plus profondément la chaleur venue de Rome, et d’où elle rayonne avec plus d’énergie sur le reste des hommes et des terres, — qu’on ‘se figure à leur place un demi-millier de districts ruraux, avec leurs bourgades nombreuses et médiocres, leurs familles isolées dans des fermes ou des châteaux forts : que de difficultés pour surveiller ces groupes incohérents et innombrables ! avec quelle lenteur ils se laisseraient amener à la culture latine ! La cité, la ville, la vie municipale, dans la pensée des Grecs et des Latins, s’associaient au gouvernement idéal, à la plénitude de la civilisation ; et l’expérience de chaque jour confirmait sur ce point les théories des philosophes. Si l’Espagne des hauts plateaux, si l’Afrique du désert et des montagnes demeuraient réfractaires à la civilisation romaine, c’est qu’elle ne s’y montrait pas encore sous l’aspect visible et séduisant de villes belles et durables, et qu’il avait fallu laisser Cantabres et Celtibères à leurs clans et à leurs tours des sierras[8], Maures et Numides à leurs tribus errantes et à leurs marchés des oasis[9]. Si au contraire la Gaule lombarde et la Ligurie piémontaise étaient arrivées à un degré étonnant d’obéissance et de richesse, c’est parce que les Cénomans, les Insubres et leurs voisins s’étaient rangés de bonne grâce sous la loi de leurs grandes villes, Brescia, Vérone, Côme, Milan et Turin[10].

Enfin, soumettre la Gaule entière aux pratiques municipales, c’était simplifier les choses pour tout le monde, chefs et sujets. Il n’était point besoin à ceux-là de chercher des règles nouvelles de gouvernement, à ceux-ci des manières particulières de vivre. Les uns et les autres n’avaient qu’à s’inspirer des modèles offerts, depuis un demi-millénaire, par les cent cités de l’Italie latine, ou par la plus grande d’entre elles, celle de Rome. L’histoire d’un peuple gaulois est toute pareille à celle des Gaulois eux-mêmes. Tandis qu’ils se transforment, noms et costumes, en citoyens romains, leur cité, capitale et tribus, se change en image du peuple et de la ville de Rome.

Cette adoption du type municipal romain ne se fit point partout en même temps ni de la même manière. Les empereurs et leurs jurisconsultes ignoraient nos procédés de discipline inflexible et d’uniformité rigoureuse. — Là où des colonies furent fondées, à Lyon, dans le Midi, près du Rhin, ce type s’implanta de force et dès l’origine, la colonie étant par définition la figure réduite de Rome. Encore faut-il remarquer que l’installation d’une ville neuve sur le territoire d’une cité gauloise n’entraînait pas la suppression immédiate de toutes les formes politiques de la société indigène, et qu’au lieu de les abolir Rome les accommodait au régime municipal de sa colonie. — Ailleurs, chez les peuples tributaires ou libres, les vieilles institutions survécurent longtemps à la conquête ; et si elles disparurent à la fin, ce ne fut point parce qu’on s’en débarrassa un beau jour, ce fut parce que, par dégradations lentes et continues, elles achevèrent peu à peu de se transformer et se travestir en copies réduites des formes romaines.

 

III. — LE TERRITOIRE MUNICIPAL.

Les quelques tribus isolées qui restaient au temps de César, n’existent plus dès la première génération de maîtres romains. Nous ne verrons jamais, entre le Rhin et les Pyrénées, de ces clans ou gentes comme il en persista si longtemps en Espagne et en Afrique. La civitas, depuis Auguste, est le cadre unique de la vie politique dans les Gaules[11], et il n’y a pas de contrée en Occident où elle ait pris une forme aussi parfaite, des contours aussi réguliers. Il fallait bien qu’elle répondît à la nature du pays et à la marche de son histoire, puisque, trois siècles après le grand empereur, rien n’était encore changé à l’ordre qu’il avait établi dans la géographie politique des Gaules. Aucun de ses successeurs n’eut le désir de mettre dans la carte des peuples gaulois plus de proportions ou d’équivalences[12]. L’idée ne leur vint jamais, de donner à tous les territoires municipaux une étendue ou une valeur pareilles. Ils laissèrent les hommes groupés suivant leurs habitudes, ici dans des cités médiocres, là dans des cités grandes comme des empires. On ne toucha plus aux Silvanectes, petit peuple de quelques milliers d’habitants, petit territoire de quelques dizaines de mille hectares, enfermés dans les forêts de l’Ile-de-France, serrés autour de leur bourgade de Senlis[13]. Et on ne toucha pas davantage aux Éduens, peuplade toujours énorme, où dix à douze tribus[14], près d’un million d’hommes, plus d’un million d’hectares, s’unissaient sous les ordres de la ville immense d’Autun. Même dans le Midi, où la fondation de colonies avait amené le morcellement de grandes peuplades et permis un peu plus de proportion entre les territoires municipaux, il resta encore de, singuliers contrastes. Chez les Volques du Languedoc, on put constituer sept communes coloniales, Toulouse, Carcassonne, Nîmes, Béziers, Lodève, Narbonne et Substantion, la mère de Montpellier[15] ; il y en eut jusqu’à cinq chez les Cavares du Vaucluse, Orange, Cavaillon, Apt, Carpentras et Avignon, qui tiennent aujourd’hui dans un seul département ; et en revanche, il n’y en eut qu’une seule, Vienne, chez les Allobroges, lesquels occupaient tout le Dauphiné et Genève même, la valeur de trois départements. Mais là encore, la tradition gauloise s’imposa aux empereurs : même en installant leurs villes neuves, ils ne voulurent point établir des frontières nouvelles et rompre les cadres séculaires. S’il y eut tant de colonies en Languedoc et dans le Vaucluse, c’est que Volques et Cavares étaient des peuplades fort peu homogènes, déjà prêtes, avant l’arrivée des Romains, au démembrement qu’entraîna l’établissement des colons[16]. Et si l’on ne brisa pas la nation des Allobroges, si on respecta son unité et sa grandeur avec un scrupule presque religieux, c’est qu’elle était la plus solide et la plus fière de toutes les cités celtiques du Midi.

En général, les petites cités étaient rares, sauf aux abords de la Méditerranée, dans les vallées des Alpes et des Pyrénées, dans la Belgique des grandes forêts, c’est-à-dire dans ces régions extrêmes de la Gaule où le sol se prêtait davantage au morcellement et où persistait avec plus de vigueur la tradition des temps ligures. Partout ailleurs, là où avaient passé les Celtes, les cités demeuraient des sortes d’États, grands en moyenne comme un de nos départements ou un beau comté de la France médiévale. Entre les Ardennes et la Garonne, il n’y en avait pas plus de soixante : Allobroges, Pictons, Santons, Éduens, Carnutes, chacun de ces peuples, comme population ou domaine, valait le Latium ou l’Ombrie. Avec quatre d’entre eux, on eût fait toute la Grèce.

Le régime municipal prenait donc en Gaule une allure différente de celle qu’il avait eue en Italie ou chez les Hellènes. Dans le monde classique, à Marseille, à Rome, à Athènes, le territoire de la cité était comme étriqué et écrasé à côté de sa ville vaste et somptueuse. Celle-ci manquait de domaines : du sommet de ses remparts, on pouvait apercevoir la terre de l’ennemi. Le municipe gaulois, au contraire, rayonnait de partout sur dix lieues de sol et davantage. Il reposait au centre d’un empire, riche en bois, en prairies, en cultures, en sources et en dieux. Devant lui, l’horizon était libre. Dix bourgades sujettes lui obéissaient, formant autour de lui une couronne de villes filleules, ayant chacune son rôle et sa beauté propres. Auprès d’Autun, souveraine de la cité des Éduens, c’est Nevers féconde en troupeaux, Chalon et son port, Mâcon et ses blés, Beaune et ses vins, Bourbon et ses eaux divines[17]. Sur ces immenses territoires où s’exerçait l’autorité d’une ville, rien ne manquait de ce qui donnait à la vie humaine plaisir ou profit. Et ces deux forces, la ville bâtie par les hommes, la région créée par la nature, pouvaient s’y entraider dans une œuvre commune. — Le malheur pour notre pays fut qu’il n’arriva à ce régime municipal qu’au temps de la servitude romaine. Il ne put appliquer à la pleine jouissance de la vie régionale les énergies variées que la liberté met seule en branle. Ces villes et leurs peuplades, façonnées sans relâche par l’exemple ou les ordres de Rome, finirent par se ressembler toutes, alors que la nature a mis entre elles des différences infinies. Il faudra attendre près d’un millénaire, au temps des communes et des grands évêques du treizième siècle, pour que chacune de ces régions de France s’épanouisse enfin autour de sa capitale, pour que Lyon ou Bordeaux, l’Auvergne des Arvernes ou la Champagne des Rèmes donnent toute la mesure de leurs qualités naturelles, comme Athènes la donna sous Périclès et Syracuse sous Hiéron. Encore ne suis-je point sûr que le passage sur notre sol de la loi et des mœurs romaines n’ait pas étouffé pour toujours quelques-unes des facultés propres de nos patries provinciales.

 

IV. - NOMS DE PEUPLES ET NOMS DE VILLES.

Deux noms dominaient donc l’existence de chacune de ces cités, celui de la cité elle-même, et celui de sa capitale : Parisiens et Lutèce, Allobroges et Vienne, Éduens et Autun, ce furent toujours deux noms pour désigner les deux êtres solidaires du peuple et de la ville. Ce qui, du reste, se voyait dans tout le monde antique, où l’on citait côte à côte Sparte et les Lacédémoniens, Rome et les Quirites, Jérusalem et les fils d’Israël. — Car, plus on analyse les institutions de la Gaule, plus on discerne des analogies avec celles des Méditerranéens, Hellènes, Italiens et Sémites.

Il était arrivé ceci en Grèce et en Italie, que la grandeur et la force des villes, la gloire de leur nom avaient fini par étouffer le nom des peuplades ou des régions placées sous leur dépendance. Qui parlait maintenant de l’Attique à côté d’Athènes ? L’histoire grecque et l’histoire romaine ne prononçaient plus guère que des noms de villes, Syracuse, Carthage, Marseille ou Rome.

Pareille chose se produisit en Gaule, à mesure que les villes grandissaient au milieu de leurs peuples.

En Narbonnaise, la création de colonies amena rapidement la fin des noms de peuples. Du jour où le vieux mot de Vienne ne fut plus seulement l’appellation d’une bourgade gauloise, mais le vocable d’une grande ville neuve, bâtie à l’image de Rome, il relégua celui des Allobroges dans l’ombre d’abord et ensuite dans l’oubli[18]. Du jour où les Cavares furent morcelés en cinq cités coloniales, et les Salyens partagés entre Arles et Aix, il ne fut plus besoin de parler de ces deux peuples : la ville fournissait désormais au territoire et le nom et la loi, C’est ainsi que jadis, au début de l’histoire de cette Provence, la tribu des Ségobriges avait perdu toute réalité et même toute apparence sous l’empire de Marseille colonie grecque.

Aussi bien, au point de vue du droit, ces noms de peuples, Salyens ou Cavares, devenaient inutiles ou incorrects, dès l’instant que le pays ne renfermait plus que des citoyens romains. Un citoyen volque, une nation des Allobroges, ne se comprennent point, puisque Volques et Allobroges font partie de la nation, de la civitas des Romains. Il ne peut être alors question que de districts municipaux ressortissant à une ville, Toulouse, Nîmes ou Vienne, et le territoire doit prendre le nom de son chef-lieu.

Dans la Gaule Chevelue, au contraire, le dualisme de noms persista longtemps encore ; et il ne pouvait en être autrement.

Chez un peuple de cette Gaule, tel que les Rèmes ou les Arvernes, la ville capitale n’avait point reçu d’ordinaire, comme Vienne chez les Allobroges, le titre de colonie[19]. Si importante qu’elle fût, il lui manquait le prestige attaché à ce mot. Souvent, c’était un chef-lieu d’occasion, récemment indiqué par l’autorité romaine : Trèves, Clermont, Autun, nés d’hier, n’exerçaient pas encore sur leur nation une influence souveraine. Qu’étaient leurs noms nouveaux, Augusta, Augitstonemetum, Augustodunum, à côté des noms, fameux depuis des siècles, de Trévires, d’Arvernes, d’Éduens ? Renoncer à ces derniers noms, pour les Gaulois, c’eût été comme un suicide de la patrie, la fin, cette fois irrévocable, de toute leur vie historique. Les temps n’étaient point venus pour cela.

La nature et le sol, je veux dire par là la structure profonde de ces cités, exigeaient qu’elles conservassent leurs anciens noms nationaux. Même sous la domination romaine, l’importance de la capitale chez un peuple gaulois ne fut jamais comparable à celle d’Athènes dans l’Attique ou de Rome sur sa campagne. L’Attique, l’ager romanus, ce n’était rien, comme population ou ressources, à côté de la force que faisait la ville maîtresse. Il en allait tout autrement dans les Gaules. Autour de Reims ou de Bourges, s’étendait l’immense région de la Champagne ou du Berry, dix ou vingt fois plus d’hommes et de richesses que dans le chef-lieu. Sur ces territoires de cités, il y avait souvent d’autres grandes villes que la capitale, à peine inférieures à elle : Orléans chez les Carnutes valait Autricum ou Chartres, leur métropole ; et, chez les Éduens, Mâcon, Chalon ou Nevers n’étaient point, même au regard d’Autun, de misérables bourgades. Traiter ces villes et leur territoire de banlieue d’Autun, t’eût été intervertir les rapports naturels des choses. Autour d’Athènes ou de Rome, l’Attique et ses dèmes, le vieux Latium et ses villes mortes, recevaient leur gloire, leur richesse, leur sécurité, de la ville superbe, énorme et populeuse qui les maîtrisait. A Autun, à Reims, à Bourges, à Chartres, la valeur de la métropole tenait à la grandeur du peuple assemblé autour d’elle : ce qui faisait quelque chose de Clermont, c’est d’abord qu’il était le centre de la cité des Arvernes.

De ces deux noms, celui de la cité et celui du chef-lieu, il n’y avait encore, dans les provinces de la Gaule Chevelue, aucun motif juridique à ce que l’un s’effaçât devant l’autre. Qu’un Autunois, devenu Romain, cessât d’appartenir à la cité des Éduens pour ne plus se considérer que comme un habitant d’Autun : cela, en théorie, allait de soi[20]. Mais le territoire municipal ne renfermait pas que des citoyens romains. Beaucoup de ses habitants, surtout dans les campagnes, conservaient leur antique nationalité : il était permis et naturel de les traiter, comme au temps de la liberté, de citoyens éduens. En droit romain, ils n’étaient pas autre chose[21].

 

V. — LES LOIS DES CITÉS.

La persistance de ces noms glorieux d’Arvernes ou d’Éduens, celle de ces titres imposants de cité ou de peuple, ne permettaient cependant aucune illusion. Une cité gauloise, malgré les souvenirs historiques que rappelaient titres et noies, n’est plus, tout comme Athènes ou Carthage, qu’un organe de l’administration romaine. Mais il en est (et c’est ce qui maintient la transition avec le passé) l’organe local et indigène.

On donnait à ces sociétés politiques différentes appellations, suivant leur origine. Celles qui avaient été créées ou transformées au profit d’immigrants, prirent le nom de colonies ; on s’habitua à désigner comme municipes celles qui avaient reçu le droit latin ou la bourgeoisie romaine sans être colonisées[22] ; les peuplades demeurées gauloises gardèrent le titre de civitas, sous lequel César avait parlé d’elles[23]. — Mais, colonies ou non, toutes les communautés politiques de la Gaule furent soumises peu à peu à des règles pareilles, qui firent disparaître les divergences initiales[24].

Elles sont toutes également des corps publics, des êtres civils et religieux, des personnes juridiques et morales. Chacune constitue une respublica[25]. Et cela veut dire, par exemple, qu’entre l’ancien État des Allobroges et la commune coloniale de Vienne, qui l’a remplacé, il n’y a pas de solution de continuité : c’est l’histoire d’une même société qui se prolonge sur le même sol et autour des mêmes sanctuaires, transmettant à ses membres, d’une génération à l’autre, les souvenirs communs de son long passé[26].

Ce qui, dans ces républiques, achève de rattacher leur présent romain à leur passé gaulois, c’est que rien n’est changé dans les cadres et les principes de leur vie intérieure. Elles ont, comme autrefois, un sénat, des magistrats, des prêtres, une assemblée, des biens qui leur sont propres, et le droit de prendre une décision collective. A l’origine de l’autorité publique, il y a uniquement le choix fait par des membres de la communauté. La formule fondamentale du droit municipal romain, — et ceci est la survivance de la liberté du monde avant la conquête, — est que le pouvoir local naisse sur place, Créé par ceux-là mêmes sur lesquels il doit s’exercer.

Un dernier avantage assurait à ces communes l’apparence solennelle d’un État. Chacune possédait sa loi, qui réglait les élections et les assemblées, les attributions du sénat et des magistrats, la procédure des jugements, l’organisation de la police et l’administration des biens ; et plus d’un détail, dans la loi d’une cité gauloise, devait être une coutume du temps de l’indépendance[27].

La déchéance par rapport à ce passé apparaissait, en revanche, profonde et irrémédiable, dès qu’on examinait, non plus les cadres et les titres, mais la nature et l’étendue des pouvoirs.

Ces lois municipales, c’est l’État romain qui les a rédigées. Aucune colonie ne s’est créée sans recevoir la sienne des mains de son fondateur. Quant aux cités gauloises, tributaires ou libres, César, Auguste ou Tibère sont intervenus, à un moment donné, pour mettre leurs coutumes indigènes en harmonie avec la souveraineté romaine.

Puis, au-dessus de ces lois particulières, il y a une loi municipale d’Empire, dont les prescriptions s’adressent également aux magistrats et aux sénats de tous les peuples[28] Cette loi rappelait les droits de Rome, les affaires qui étaient du ressort des gouverneurs, celles qui étaient assignées à la compétence des autorités communales, la forme et la limite de cette dernière juridiction[29]. Ces chefs de villes ont beau se parer des noms illustres d’autrefois, être des suffètes à Carthage[30], des archontes à Athènes[31], des vergobrets en Gaule : leur pouvoir à tous est maintenant semblable. Il se réduit à d’humbles offices locaux. Et la loi de la cité se ramène à un simple règlement de police intérieure, édicté ou contrôlé par l’État romain.

Cette histoire des cités antiques ressemble d’assez près à celle des communes de l’ancienne France. Chacune d’elles avait eu sa charte, ses établissements et sa coutume : jurats, échevins, capitouls, consuls, ces noms avaient désigné une autorité à peu près souveraine, Puis, la monarchie absolue était venue, et elle avait d’abord conservé ces lois et ces magistratures particulières. Mais elle les avait subordonnées à des règlements généraux d’administration publique, elle avait ramené les chefs traditionnels des communes à ne plus exercer que de misérables fonctions[32], partout les mêmes. Et quand la loi municipale de l’Assemblée Constituante supprima les chartes de bourgeoisie, et qu’elle unifia dans toutes les communes de la France les titres et les attributions des autorités locales, elle ne fit disparaître que l’ombre et la défroque d’un passé mort depuis longtemps[33]. — On va voir que l’Empire romain, lui aussi, se lassera de conserver les anciennes formes.

 

VI. — LE PEUPLE ET SON ASSEMBLÉE.

L’autorité et le droit, dans une cité, émanent de son peuple, populus, c’est-à-dire de ceux-là seulement qui y possèdent le droit de bourgeoisie, qui sont inscrits comme citoyens sur ses registres[34]. — A côté d’eux, il y a d’autres habitants de la cité qui n’ont aucun droit municipal, métèques ou étrangers, hôtes de passage, résidents de fraîche date[35].

La distinction que le droit impérial établissait entre citoyens romains et pérégrins, ne se retrouvait point dans les cadres des bourgeoisies municipales. Un habitant d’Autun qui est civis Romanus, conserve ses prérogatives de membre du peuple éduen. D’ailleurs, la loi n’interdit pas à un habitant de l’Empire de faire partie de deux cités : et Rome, pour un Romain d’Autun, est simplement une patrie d’adoption qu’il ajoute à sa patrie de naissance[36].

La réunion des citoyens ou du peuple formait, dans chacun de ces petits États, le corps souverain[37]. Elle continuait en principe l’assemblée générale qui, au temps de l’indépendance, avait réglé la vie publique de la cité.

En pratique, ces sortes de réunions disparurent au début de l’Empire. Remarquons que, même avant César, l’assemblée du peuple n’était convoquée que pour décider d’une guerre et élire son chef d’armée, et que, dans la vie courante, elle abandonnait au sénat la direction des affaires et le choix même des magistrats réguliers : le gouvernement d’une cité gauloise, disaient les Anciens, devenait la chose de l’aristocratie. Les empereurs confirmèrent cette tendance. Par suite de la conquête, le conseil du peuple a déjà perdu le droit de paix et de guerre. Il renonça bientôt à conférer n’importe quelle dignité. Je doute même qu’après Auguste un empereur ait jamais permis de le convoquer. Tous ses pouvoirs étaient passés au sénat du pays[38].

Il ne s’agit, en cela, que des cités de Celtes, de Belges ou d’Aquitains. Dans les colonies, et en particulier à Narbonne, l’assemblée du peuple garda plus longtemps ses droits en matière électorale[39]. Encore sous le règne de Vespasien, les élections, dans les villes italiennes[40], agitaient la population entière. Mais je ne sais si ce n’était pas la fin d’une vieille habitude. Au second siècle, l’intervention populaire a disparu pour faire place à la souveraineté sénatoriale[41].

Ce fut, dans toutes les villes de l’Empire, une réforme analogue à celle que Tibère avait imposée à Rome, en supprimant les comices et en déléguant leurs droits au sénat. Les institutions municipales du monde entier arrivaient à ressembler à celles de sa capitale.

 

VII. — L’ARISTOCRATIE LOCALE GOUVERNE LA CITÉ[42].

Comme le sénat de Rome, celui d’une cité gauloise était à la fois un corps privilégié et un conseil politique.

Faire des sénateurs locaux ou « décurions[43] l’ordre aristocratique de la cité, fut chose plus facile et plus rapide en Gaule que dans le reste de l’Empire. Ce que l’on avait appelé jadis le sénat des Arvernes ou des Éduens n’était pas autre chose que la réunion permanente des chefs de familles, des anciens magistrats, des plus nobles de la cité : il ressemblait à la curie patricienne de la Rome royale. Les empereurs l’ont conservé[44]. Il est probable qu’ils en ont élargi le cadre en y admettant les représentants des familles plébéiennes[45], comme les législateurs d’après les Tarquins l’avaient fait pour le sénat de Rome[46]. Mais ils n’ouvrirent jamais les curies gauloises à des pauvres, à des prolétaires, à tout ce qui signifie pure démocratie. Il fallut toujours, pour y entrer, un cens élevé[47], ce qui était devenu la règle dans le sénat de l’Empire. Les villes et l’Etat demeuraient au pouvoir d’une aristocratie.

On aimerait à savoir ce que pensait de ce régime le commun peuple, fort nombreux dans les grandes villes de la Gaule. S’est-il résigné à ne vivre, même dans sa cité natale, qu’à l’état de sujet ? Trouva-t-il, à l’absence de droits politiques, une compensation suffisante dans les jeux du théâtre ou de l’arène qu’on multiplia, dans les confréries qu’on lui permit d’organiser ? Était-il trop dépourvu d’intelligence et de courage pour comprendre sa servitude ? — J’hésite à rien croire de ce genre. Dans les colonies romaines, à Narbonne, Arles ou Lyon, issues du prolétariat du forum ou des légions de César, il est difficile qu’on n’ait point accordé sa part à la plèbe[48] ; et, de fait, on tenait parfois compte de ses votes ou de ses vœux dans le choix des magistrats. Mais même dans les cités gauloises, le temps des démagogues à la Dumnorix, chefs de bandes, orateurs populaires, fauteurs d’émeutes, ce temps-là n’était pas assez éloigné pour que la domination romaine en ait empêché le retour à tout jamais. A certains indices, on s’aperçoit que les cités de la Gaule ont été plus troublées qu’on ne le pense, par des discordes intestines et par des luttes sociales. On soupçonne chez elles, à toutes les époques, des essais de coalitions ou de jacqueries, des mouvements de colère contre les chefs locaux et l’aristocratie dominante[49]. Les décurions, aidés par les légats, rétablissaient l’ordre. Mais cela voulait dire que les noblesses locales s’entendaient avec Rome pour gouverner le monde : à elles leur cité, à Rome l’État, l’éternelle complicité qui avait permis la conquête assurait l’administration de l’Empire.

 

VIII. — ATTRIBUTIONS DES DÉCURIONS.

Les décurions assistaient les magistrats locaux dans l’administration de la cité. Aucune affaire importante, aliénation ou achat de biens, construction ou réfection d’édifices, concession de terrains, exemption de charges, érection de statues, ne pouvait être décidée sans un décret des décurions[50]. Eux seuls avaient qualité pour engager la fortune ou la personne du peuple. Leur assemblée était permanente, et, en face des administrateurs municipaux, elle formait un conseil souverain de gestion et de contrôle. Son rôle rappelait, en image fort réduite, celui du grand sénat romain auprès des consuls, ou des sénats gaulois auprès de leurs vergobrets. Les empereurs pouvaient être assurés que, sous la surveillance incessante de sa curie, un magistrat de Narbonne ou d’Autun n’aspirerait jamais à une tyrannie gênante pour l’État ou oppressive pour les siens.

A s’aider ainsi de l’aristocratie des villes pour les gouverner, Rome trouva un autre avantage, d’ordre financier, et plus précieux encore : un sénat municipal lui servait en quelque sorte d’otage pour le paiement des impôts d’Empire. L’État transmettait aux décurions le chiffre du tribut que leur cité devait acquitter. C’était à eux d’en dresser le rôle, d’en faire la répartition entre les différents contribuables, d’en diriger la perception. Ils avaient ensuite à verser la somme globale dans les caisses publiques : si le chiffre nécessaire n’était point atteint par les levées locales, il fallait que les sénateurs parfissent la somme à l’aide de leurs propres ressources[51]. Car, aux yeux de l’empereur, ils représentaient leur cité, ils en étaient, si l’on peut dire, le corps et les biens.

La classe des décurions finit, à ce régime, par perdre plus qu’elle ne gagna. Les premières générations, enrichies par la mise en valeur de la Gaule, supportèrent allégrement leur responsabilité fiscale, que la prospérité générale dut réduire au minimum[52]. Quand arrivèrent les mauvaises années, au milieu du second siècle, nous verrons les sénateurs municipaux se fatiguer tout à la fois de gouverner et de payer. Ils chercheront le moyen de s’évader de leur classe, et l’État interviendra pour les attacher de force à leur curie et à leur ordre. La crise du décurionat, qui compromettra les forces vitales des cités, sera la conséquence de ce système municipal, qui confondit noblesse et pouvoir, sénat politique et classe sociale, autorité publique et gestion fiscale.

Ce qui achevait de faire de ce sénat l’arbitre souverain de sa ville, c’est qu’il ne dépendait que de lui-même et de l’État. Il recrutait ses membres, il désignait les magistrats chargés des affaires courantes[53].

 

IX. — MAGISTRATS.

Le chef d’un peuple gaulois avait été ou un roi viager ou un vergobret annuel, celui-ci assez semblable à un dictateur romain ou à un consul sans collègue. Les rois ont disparu à l’établissement de la province[54], et sans doute pour la plus grande joie des sénateurs indigènes, qui partout se lassaient de ce genre de maîtres. Les vergobrets sont restés, et vont devenir, avec une autorité restreinte, les administrateurs des cités dont ils avaient été les souverains. Même sous Auguste et sous Tibère, il y a encore des magistrats de ce nom dans les nations de l’ancienne Celtique[55].

Ce n’est que longtemps après la conquête, au moins trois quarts de siècle, que l’institution du vergobret se modifia pour se rapprocher des formes romaines. Il y eut peut-être, dans quelques cités, deux vergobrets, comme il y avait à Rome deux consuls[56]. Puis, on traduisit ce mot par celui de préteur, prætor, que les consuls avaient aussi porté à l’origine. Et dès lors, la marche vers les habitudes italiennes fut plus rapide encore.

Car ce titre de préteur, vieux nom latin de la magistrature suprême[57], les colons de Narbonne, peut-être ceux d’Aix ou d’Avignon, l’avaient apporté avec eux[58]. C’est ainsi que s’appelaient alors les chefs des cités romaines du Midi[59]. Toute différence s’effaçait entre leurs cadres municipaux et ceux des peuples gaulois.

Ce nom de préteur finit à son tour par disparaître de partout. Il ne convenait guère à ces magistrats locaux, ombres de pouvoirs abolis ; il risquait de leur donner un orgueil ou de leur prêter une importance qui eussent fait contraste avec la réalité. Dès le cours du premier siècle, on voit paraître à la place[60] le titre de duumvir[61] ou, plus rarement, celui de quatuorvir[62], titres infiniment plus modestes, et qui ne rappellent et ne signifient rien. Ces noms vont désormais s’appliquer, en Gaule et dans tout l’Empire, au type consacré de la magistrature municipale Marseille elle-même s’est ;résignée à Ies accepter, abandonnant pour ces mots latins les formes huit fois séculaires de ses institutions helléniques[63].

Le duumvir, comme le vergobret d’autrefois, est un chef de justice, et il peut ajouter à son titre la formule de juredicundo[64]. Mais la déchéance de ces juges municipaux est aussi profonde que celle des consuls romains. Ils ne connaissent, au civil, que des moindres sommes[65] ; au pénal, que des moindres délits. S’ils peuvent incarcérer des coupables, interroger des prévenus[66], au besoin même faire fustiger des esclaves ou des gens de peu[67], il ne leur appartient plus de décider de la fortune, de la liberté et de la vie des hommes.

Ils n’en demeurent pas moins les plus hauts personnages de leur cité. C’est à eux qu’il incombe d’y assurer le bon ordre et la marche des affaires publiques[68]. Leur nom, comme celui des consuls dans l’Empire, sert à dater les fastes de l’histoire municipale[69]. Un solennel décor encadrait leur vie et leur actes : ils siégeaient sur une chaise curule[70], ils étaient revêtus d’une robe bordée de pourpre[71], des faisceaux annonçaient leur présence[72], et c’était autour d’eux un long et bruyant cortège de licteurs[73], de hérauts[74], d’appariteurs[75], de greffiers[76], de courriers[77], d’aruspices[78], de musiciens[79] et d’esclaves[80]. Tandis que les lettrés de Rome raillaient volontiers ces honneurs locaux[81], ils en imposaient toujours aux gens du pays. Les empereurs, jugeant sainement des choses, estimaient qu’il n’y avait pas là de quoi rire, qu’il était bon d’honorer et d’admirer la magistrature municipale, la plus ancienne et la plus bienfaisante de toutes les dignités publiques ; et, pour accroître son prestige, ils ne dédaignaient pas de l’accepter eux-mêmes, et de se faire nommer archontes à Athènes[82] ou duumvirs à Béziers[83].

Ces consuls municipaux, comme ceux de Rome, n’étaient désignés que pour une année. Tous les cinq ans, dans une cité, le consul faisait place au censeur : je veux dire par là qu’à chaque lustre les duumvirs, pourvus alors chacun du titre de quinquennalis[84], procédaient aux grandes opérations nécessaires pour régler la vie matérielle de la cité, recensement de la population et des fortunes, adjudication des taxes, location des immeubles, établissement du budget[85].

Les deux juges municipaux avaient pour collègues deux édiles, ædiles[86], inférieurs à eux et leurs subordonnés. Ceux-ci surveillaient les rues, les places et les marchés, les poids et mesures, l’approvisionnement de la ville, les jeux et les fêtes, la construction et l’entretien des routes et des bâtiments publics : la sanction de leur pouvoir était le droit d’infliger des amendes et même de faire battre de verges[87]. En cela encore, l’antique constitution de Rome servait de modèle aux lois municipales de l’Empire.

Ce qui complétait cette analogie, c’est que ces magistrats locaux étaient, eux aussi, assistés[88] de questeurs, quæstores[89], faisant office de receveurs de finances, de trésoriers et chefs comptables[90].

Justice, police et finances, les trois fonctions naturelles d’une administration municipale donnaient donc lieu à trois groupes de magistratures distinctes. Mais si les règles que nous venons d’indiquer furent constantes par toute la Gaule, il resta, dans le détail des titres et des attributions, de fort nombreuses variantes. De ville à ville, les habitudes changeaient, et la loi romaine le permettait : elle ignorait cette tyrannie de l’uniformité qui s’est imposée aux États modernes. — Ici, les édiles sont presque les égaux des juges[91] ; là, ils sont au dernier rang, près des questeurs[92]. — A Nîmes, à côté des magistratures ordinaires, on trouve une sorte de préfet de police, præfectus vigilum et armorum[93], qui s’occupe de l’arsenal, des incendies, de la sûreté générale[94]. On a dit que l’institution avait été apportée par les premiers colons, venus d’Égypte, où la ville d’Alexandrie obéissait à un préfet de ce genre[95]. C’est possible. Mais il y a une fonction semblable dans la cité libre des Voconces : et ceux-ci ne peuvent l’avoir reçue que de coutumes celtiques. — A Nîmes, à Vienne, à Sens, à Trèves, il existe un contrôle général des finances, dont les titulaires, duoviri ærarii[96] ou quatuorviri ab ærario[97], sont presque les égaux des juges, supérieurs comme eux aux édiles et aux questeurs[98]. — A Vienne encore, auprès des magistrats ordinaires, fonctionne un collège de triumvirs, chargé surtout de la gérance des domaines publics[99]. Or Nîmes et Vienne, malgré leur titre de colonie, sont les héritières de vieilles et grandes peuplades, Volques et Allobroges : l’importance qu’y prennent les magistrats de finances, ne peut être qu’une tradition du temps où les cités gauloises étaient des royaumes ou des républiques riches en biens de tout genre. Le passé seul nous fournira la raison de ces usages locaux, que les empereurs ont trouvé malséant de proscrire.

 

X. — PRÊTRES[100].

Une cité faisait plus de place encore au service des dieux qu’à celui des hommes, et les prêtres y étaient plus nombreux que les magistrats. La vie religieuse n’avait pas diminué d’intensité depuis la conquête, bien au contraire. Bâtir des temples, célébrer des sacrifices et des fêtes, organiser des confréries, revêtir un sacerdoce et parader comme pontife, c’était alors, pour un Gaulois, une façon d’employer son temps, de dépenser son activité, de faire parler de lui. Le culte distrayait ces énergies que la liberté ne réclamait plus.

Il y eut dans la Gaule romaine toutes les espèces possibles de la prêtrise, et, malgré une apparence latine, elles ne contrastaient point avec les sacerdoces de l’ancien temps. Voici les principales. — Chaque cité possédait son prêtre souverain, préposé aux sacrifices publics, contrôleur des cultes, surintendant des affaires religieuses[101]. Les Romains pouvaient le comparer à leur grand pontife, et c’est pour cela qu’ils lui donnaient le nom de pontifex[102]. Mais les Gaulois pouvaient également voir en ce prêtre l’héritier ou le continuateur de leurs druides municipaux[103]. — Quelques peuples possédaient aussi des augures[104] publics. Mais s’ils ont emprunté ce nom au peuple romain, est-il à croire qu’ils lui doivent aussi l’institution ? Les druides, eux aussi, avaient fait fonction d’augures. — Augures et pontifes, partout où on les rencontre, étaient choisis dans la noblesse de l’endroit, parmi les sénateurs les plus riches ou les plus considérés[105]. C’est ce que Rome faisait chez elle pour les prêtres de ces noms. Mais c’est aussi ce que les Celtes avaient fait pour leurs druides[106]. Toutes ces coutumes se ressemblaient tellement chez les peuples antiques, qu’il est impossible, au sujet de leur origine, de décider entre l’imitation de Rome ou la tradition gauloise.

Les grands sanctuaires des dieux municipaux continuèrent à être desservis par un prêtre attitré, haut personnage le plus souvent. Dans les cités qui furent fidèles à la tradition, ce prêtre garda le note celtique de gutuater[107]. Mais, comme le vieux dieu gaulois, Ésus ou Teutatès, avait pris partout le nom romain de Mars ou de Mercure, le desservant imita son dieu, et il se donna les titres latins de flamine, flamen[108], ou de sacerdos[109].

Les principaux de ces flamines étaient ceux qui officiaient dans les temples des divinités impériales, qui se consacraient au culte local de Rome[110], d’Auguste[111], des empereurs morts ou vivants[112], des princes de la maison divine. Le nombre de ces temples et de ces prêtres ne grandit point, d’ailleurs, en proportion de celui des souverains. Au début, la ferveur étant plus forte et les princes plus populaires, Auguste, Germanicus[113], Drusus le jeune[114], Caïus et Lucius César[115], chacun d’eux eut son sanctuaire et son ministre. Depuis Tibère, on enraya. Un même prêtre s’occupa de plusieurs divinités de ce genre, et il n’y eut plus à la fin, pour desservir le culte impérial, que des flamines d’Auguste[116]. — Toute cité gauloise, colonie ou autre, possédait son prêtre impérial. Il était le représentant religieux de l’autorité souveraine[117]. Aucun sacerdoce ne fut plus recherché, plus considéré, donné à de plus dignes. Celui qui l’exerçait marchait l’égal des plus hauts magistrats ; il prit rapidement le rang ou les fonctions d’un grand pontife. De la religion des Augustes il résulta, dans les municipes gaulois, un pouvoir religieux et moral qui rappelait celui des anciens druides[118].

Les temples et les dieux pouvaient être également desservis, au lieu de prêtres individuels, par des sociétés de confrères. Sous ce mode encore, le culte des empereurs passa au premier rang. Il amena la création, dans chaque ville[119], d’une confrérie, celle des sévirs Augustaux, seviri Augustales[120]. — Elle était composée de six membres seulement[121]. On les prenait d’ordinaire parmi les affranchis ou les gens de la plèbe[122]. C’était ce qui distinguait le service de cette confrérie d’avec celui du flamine impérial : le flamine sacrifiait au nom de la cité tout entière, corps public et être moral ; les Augustaux représentaient la plèbe devant ses dieux souverains[123] Ils n’en avaient pas moins leur place dans les cérémonies officielles[124] ; des faisceaux solennels les précédaient[125]. Et la plèbe municipale, exclue du gouvernement, reparaissait à son rang dans la vie religieuse[126].

Ces confréries augustales furent sans doute instituées sur le modèle des collèges romains : mais elles ne détonnaient point dans les Gaules, habituées de longue date à ce genre de sociétés religieuses.

Au-dessous de ces pontifes, augures, flamines et sévirs, c’est un nombre incalculable de prêtres de tout genre : sacerdotes supérieurs pour la Mère des Dieux[127], prophètes d’Isis[128] ou confréries d’Isiaques[129], pères des sacrifices de Mithra[130], ministres de Bacchus[131] ou de la Bonne Déesse[132], aruspices publics[133], et, plus bas dans la hiérarchie des serviteurs de dieux, maîtres et portiers de temples[134], maîtres des cérémonies[135], musiciens[136] et autres officiants, sans parler des sorciers, devineresses et devins des campagnes, auxquels le vulgaire continuait de donner le nom de druides et de druidesses. — Mais il est difficile, entre tous ces prêtres, de distinguer ceux qui s’acquittaient d’un office public et ceux qui servaient leur dieu pour le compte de sociétés particulières.

 

XI. — CHARGES MUNICIPALES OU MUNERA.

Du reste, entre ces deux choses, fonction administrative et société privée, le droit municipal d’autrefois n’établissait pas une différence aussi profonde que le nôtre. Magistrats, sénat et prêtres ne suffisaient pas à assurer la vie publique de la cité. Il arrivait souvent, comme dans les communes du Moyen Age[137], qu’un service officiel[138] fût confié à des particuliers, individus ou confréries.

Tel était, par exemple, le service des fêtes et des jeux. On choisissait, pour la circonstance, un président ou un curateur de la cérémonie, avec mission de l’organiser et de la diriger[139]. L’honneur comportait de lourdes charges, perte de temps, soucis et dépenses. Aussi le réservait-on aux plus riches. — Ils ne s’en plaignirent pas tout d’abord. C’était pour eux une occasion de se rendre populaires, de poser leur candidature aux fonctions publiques[140].

La magistrature elle-même et le décurionat, à les regarder de près, étaient des charges autant que des honneurs, des corvées autant que des dignités. Nous venons de voir que les sénateurs furent rendus responsables de la rentrée des impôts. L’édilité entraînait et la célébration de jeux et les soins de l’approvisionnement, l’un et l’autre aux risques et périls du titulaire[141]. Nul ne parvenait à la magistrature sans offrir à sa cité quelques milliers de sesterces comme don de joyeux avènement[142]. Il n’était pas jusqu’aux sévirs Augustaux qui ne dussent reconnaître par un présent l’honneur qu’on leur avait conféré[143]. Un Marseillais, à l’occasion de sa nomination comme augure perpétuel, donna à sa ville cent mille sesterces, vingt-cinq mille francs[144]. Que recevait-il en échange ? Des honneurs, et rien de plus : car les fonctions municipales étaient gratuites[145].

Tout alla bien, tant que les Gaulois furent riches, que la vie municipale garda son prestige. Viennent les temps de misère ou l’ennui des plaisirs et des renoms provinciaux : l’aristocratie locale cherchera à se débarrasser de ses prérogatives onéreuses, elle fuira ses villes, leurs charges et leurs dignités[146]. Ce ne fut pas toujours un avantage, dans une cité antique, que d’avoir de la fortune : en abandonnant le pouvoir et la gloire aux riches, on réclama d’eux plus encore qu’on ne leur accordait[147].

D’autres services publics incombaient aux confréries[148]. Les unes desservaient les autels des dieux municipaux, d’autres participaient à la célébration des jeux publics. Celles qui réunissaient les ouvriers du bâtiment, étaient requises pour le service des incendies[149]. — Ce n’était point, d’ailleurs, sans recevoir en échange quelques honneurs et privilèges.

L’existence d’une cité, dans la Gaule impériale, comportait donc pour ses habitants plus de devoirs[150], et, à certains égards, plus de profits que dans la France moderne. Les plus riches y commandaient : mais que de dépenses on exigeait d’eux ! Les plus pauvres y obéissaient : mais c’était pour eux, pour leur pain ou leurs jeux, que se faisaient ces dépenses. Tous les habitants d’une ville vivaient encore de cette vie commune et solidaire, dont les temps de la liberté leur avaient imposé l’habitude.

 

XII. — L’ADMINISTRATION DU TERRITOIRE PAGI ET VICI[151].

Nous avons insisté jusqu’ici sur les organes centraux de la cité gauloise, sénat et magistratures. Mais cette cité était un corps fort complexe, plus qu’une république grecque ou un municipe italien, réduits pour la plupart à l’enceinte d’une ville et à une maigre banlieue. C’est un petit Etat qu’une civitas de Gaule, avec sa capitale, ses cantons ruraux ou papi, les grosses bourgades qui s’y développent. A chacun de ces groupes de familles ou de demeures il faut son administration distincte, son édilité et sa police.

Le chef-lieu avait sans doute ses chefs de quartiers, placés sous les ordres directs des magistrats de la nation[152]. Mais il pouvait arriver que la ville dépendît d’un maître de police, édile[153] ou préfet[154], à compétence limitée par l’enceinte des murs ou la surface de la voirie urbaine. — Pour chaque district rural, il existait un administrateur, préfet, édile ou maître du pays, præfectus[155], ædilis[156], magister pagi[157], assisté d’un conseil[158]. Les gros bourgs et les villages, vici[159], jouissaient d’une petite administration municipale, où le pouvoir exécutif était figuré par un édile[160], aidé parfois d’un intendant ou d’un curateur[161], le pouvoir législatif par une commission locale, composée de dix ou vingt membres, propriétaires dans le pays[162]. — Tous ces magistrats se ressemblaient en ceci, qu’ils étaient surtout des officiers de police, des commissaires voyers ou des juges de paix, et qu’ils étaient subordonnés au duumvir, magistrat suprême de toute la cité.

Mais l’antagonisme que nous avons jadis constaté entre la cité gauloise et ses cantons ruraux, ou, si l’on préfère, entre le régime de la nation et celui de la tribu, cette lutte ou cette concurrence n’était point disparue sous la domination romaine. Il faut, à l’intérieur d’une grande cité, se représenter chacun de ces cantons comme un petit peuple[163], vivant de sa vie particulière[164], ayant son chef-lieu[165], son nom plusieurs fois séculaire[166], ses assemblées[167], ses biens propres[168], ses dieux, ses prêtres, ses patrons et ses traditions[169]. Regardons par exemple chez les Éduens, autour d’Autun leur métropole : voici, parmi les pagi de la nation, celui des Mandubiens, l’ancienne tribu d’Alésia, et, pour tête à ce pays, Alésia elle-même, demeurée grande ville et sanctuaire vénéré, étalant sur son vaste plateau son théâtre, ses temples, ses portiques, ses somptueux édifices et ses boutiques innombrables[170]. Les habitants d’un pays donnaient des jeux et des fêtes dans leur bourgade principale[171]. Ils pouvaient y tenir des réunions, prendre des résolutions, députer directement à l’empereur, à l’insu ou à l’écart des chefs de la cité[172]. Je me demande même si leur vie n’était pas plus libre que celle des gens de la capitale, Autun ou Arles, surveillés de plus près par la curie et les magistrats.

Quelques-uns de ces chefs-lieux de districts pouvaient rivaliser de richesse et de population avec la capitale de leur peuple. Il s’est passé dans les cités de la Gaule un phénomène assez semblable à celui qui se produit dans nos départements, où deux villes se disputent parfois la primauté, Rouen et Le Havre, Narbonne et Carcassonne, Pau et Bayonne. Chez les Voconces, Luc et Die étaient à peine inférieurs à Vaison, le centre officiel[173] ; chez les Carnutes, Autricum ou Chartres, la capitale, n’avait pas l’importance de Genabum ou Orléans[174] ; Saintes, métropole des Santons, voyait grandir Angoulême à l’extrémité de son territoire[175] ; et en face de Vienne, la maîtresse des Allobroges, Grenoble et Genève croissaient sur le sol de ce peuple[176].

Entre les capitales et les villes subordonnées, entre les duumvirs de cités et les édiles de pays, conflits et jalousies ne devaient point manquer. Plus d’un pagus aspira à devenir peuple, et son chef lieu, métropole. Les nations gallo-romaines demeuraient trop étendues pour ne point souffrir souvent de rivalités de ce genre, et ne point risquer parfois d’y perdre leur unité.

Si l’État romain intervenait dans ces conflits, c’était surtout, je crois, au profit de la ville maîtresse et des institutions traditionnelles. En dehors des nécessités coloniales, il ne permit qu’un seul démembrement de peuplade : ce fut chez les Voconces, où il toléra d’abord deux capitales, Vaison et Luc[177], et où il accepta ensuite la division en deux cités[178]. Partout ailleurs[179], il renforça l’autorité du centre municipal : il obligea Genève et Grenoble à se dire du territoire de Vienne ; les habitants de la métropole arrivaient plus vite que les autres au droit de bourgeoisie romaine[180] ; on leur ouvrait plus volontiers l’accès des légions[181]. Appuyées sur la domination latine, les nations celtiques et leurs capitales surent défendre longtemps leur unité et leur pouvoir contre les forces hostiles des tribus sujettes et des bourgades jalouses.

 

XIII. — DES FINANCES MUNICIPALES.

Une cité, comme celle des Eduens ou des Viennois, demeurait donc un corps, je ne dis pas très puissant, mais très riche, capable de faire beaucoup par lui-même.

Ses ressources financières étaient autonomes, c’est-à-dire ne provenaient pas d’une allocation de l’État. — La majeure partie en consistait dans des propriétés communales[182], biens-fonds, pâturages, forêts, salines, mines, carrières et manufactures même[183]. Un peuple gaulois possédait, je crois, d’immenses domaines, riche patrimoine formé par les siècles et auquel Rome conquérante n’avait point voulu toucher. Or, ce genre de revenus municipaux, si du moins il est bien administré, est celui qui grève le moins les particuliers et qui fait la vraie richesse d’une cité : il ne tenait qu’aux Gaulois de garder cette richesse. — Puis venaient les taxes locales[184], amendes[185], concessions d’eau[186], péages et octrois, droits de marché, de port, d’ancrage, de stationnement, de contrôle sur les poids et mesures, toutes choses sur lesquelles nous sommes mal renseignés[187]. — Il faut ajouter, comme source extraordinaire de bénéfices publics, les dons en espèces ou en nature que les villes recevaient de leurs bienfaiteurs : dans cette Gaule au sol inépuisable, aux grandes fortunes, aux vastes domaines, à l’aristocratie généreuse et vaniteuse, les donations et les legs affluèrent longtemps vers les caisses municipales[188].

Les dépenses pouvaient être groupées en trois chapitres essentiels : travaux publics, ou construction et entretien des voies et des édifices[189] ; cérémonies du culte, ou sacrifices, fêtes et jeux[190] ; salaires des agents et nourriture des esclaves[191]. — De très faibles sommes allaient à l’instruction publique, du moins au début de l’Empire. Il est toutefois possible que, dans les deux grands centres urbains de Marseille et d’Autun, les municipalités aient fait quelques sacrifices pour entretenir de bonnes écoles[192] : à Marseille, c’était coutume qu’inspirait l’esprit hellénique ; à Autun, c’était peut-être tradition qui venait des Celtes et des druides. — Enfin, l’assistance publique coûtait fort peu aux cités gauloises : elle se bornait, semble-t-il, à l’installation d’un médecin municipal[193].

Tout cela, en fin de compte, faisait un gros budget de dépenses. Mais n’oublions pas que les plus riches contribuaient aux bâtisses et aux jeux, et que le budget des recettes n’était ni moindre ni moins varié. Avec un peu de prudence, il n’était point difficile aux cités gauloises de satisfaire à tous leurs besoins.

Le malheur fut que, chez elles comme en Orient, le régime municipal donna lieu à de mauvaises gestions. Dès le règne de Tibère, Éduens et Trévires étaient criblés de dettes[194] : il est possible que ces peuples aient voulu bâtir trop de choses, et de trop belles, et que la contagion du luxe citadin leur ait ôté toute sagesse. Un siècle après, il faudra donner des curateurs financiers à d’autres de ces cités. Je croirais volontiers qu’une cité gauloise n’a jamais eu le temps de faire son éducation financière. Aux siècles de sa liberté, ses revenus étaient confisqués par les nobles. Sous la domination romaine, n’ayant plus de responsabilité militaire et politique, elle laissa sa fortune aller à la dérive au gré de ses caprices du moment.

 

XIV. — L’ÉTAT ET LA CITÉ.

En apparence, c’étaient des nations redoutables que ces Éduens ou ces Allobroges, grandes comme le Latium, peuplées de près d’un million d’êtres, dont la capitale, Autun ou Vienne, s’abritait derrière une enceinte immense de quatre milles de tour[195], dont le territoire se hérissait des inexpugnables refuges du Morvan ou des Alpes, cités fortes aussi par leurs richesses, par l’opulence de leurs grands seigneurs, et, ce qui valait son prix, par l’orgueil de leur nom historique et le souvenir d’un passé que rien n’avait aboli. Mais ni cette force ni cet orgueil ne devinrent pour l’Empire un motif de sérieuses inquiétudes. Une cité et ses magistrats servaient moins à perpétuer le passé de la Gaule qu’à faciliter l’œuvre de Rome, de ses lois et de ses mœurs. Les magistrats ont pris des noms latins, et leurs titres, pareils à ceux de l’ancienne Rome, font de leur peuple l’image du peuple des premiers consuls. Les capitales, elles aussi, sont des copies de Rome, mais de la Rome actuelle[196] : elles ont des édifices publics qui s’appellent capitoles, forums et basiliques ; c’est en vain qu’on y chercherait des images ou des noms rappelant la gloire de la Gaule : les statues qui se dressent sur les places, ce sont celles des héros de l’Italie, Scipion, Pompée ou les Césars[197]. Tout ce qu’on a laissé de liberté aux Éduens ou aux Allobroges, ils l’emploient à imiter les maîtres du jour.

Loin de mettre en péril l’État romain, ces libertés municipales ont été sa sauvegarde dans les journées de crise. Qu’une cité se mette en état de révolte, l’intervention d’une cité voisine peut suffire à la réduire à l’impuissance. Lorsqu’en 70 les nations gauloises ont délibéré sur l’insurrection, la presque unanimité vota l’obéissance.

Les historiens anciens nous parlent de colères d’empereurs contre des cités gauloises[198]. Mais s’il y en eut qui déplurent au souverain régnant, ce fut pour avoir, non pas provoqué Rome, mais soutenu un prétendant. Leur conduite n’avait été qu’une maladresse politique ou une erreur d’obéissance.

Les Césars, dans des cas de ce genre, ne se privaient pas de punir durement les cités coupables. On confisquait une partie de leurs domaines ou de leurs revenus ; on leur enlevait quelque territoire pour l’attribuer à une peuplade voisine ; les villes perdaient leurs remparts, antique parure dont elles étaient fières ; les nations alliées ou libres se voyaient réduites à l’état de tributaires. Mais ces peines atteignaient des avantages matériels ou des privilèges honorifiques ; rien n’était changé au gouvernement intérieur des communes, et les règles traditionnelles du régime municipal ne souffraient aucune atteinte.

L’intervention de l’État était plus profonde quand il fallait rétablir la discipline, c’est-à-dire le calme dans la rue, l’accord dans la curie ou l’équilibre dans les finances.

Tantôt, le gouverneur agissait de lui-même, comme délégué permanent du pouvoir souverain, tuteur et curateur des autorités et des fortunes municipales[199]. Il envoyait des troupes pour assurer l’ordre, il se faisait montrer les registres des comptes[200], il assistait lui-même aux séances du sénat[201], et il recommandait les candidats à élire comme magistrats[202]. En cas de conflit entre deux cités, il jugeait au nom du prince[203].

Tantôt, l’empereur expédiait surplace un commissaire spécial, avec mandat déterminé et pouvoirs en conséquence[204]. Cela ne manquait pas de se produire quand il fallait contrôler et restaurer les finances. Il arrivait alors dans les cités un curateur de la commune, curator reipublicæ, avec l’autorité la plus étendue sur la fortune municipale ; et, comme il avait été désigné par le prince, et que son contrôle financier n’allait pas sans quelque droit de justice, il pouvait paraître une sorte de podestat, de gouverneur local. Mais les empereurs se sont bien gardés de lui donner ce caractère. Ils choisissaient, pour exercer cette mission dans une cité gauloise, un haut personnage d’une autre cité de la province : ce qui excluait l’analogie avec un proconsul. Cette mission était temporaire, et, quand elle prenait fin, le curateur rendait la cité à sa vie normale[205].

 

XV. — L’ESPRIT MUNICIPAL.

Les cités gauloises continuaient donc à vivre de leur vie propre et personnelle ; et, quoique à chaque génération elles échangeassent une ancienne tradition pour une pratique nouvelle, ce n’en étaient pas moins les mêmes êtres qui poursuivaient, à la lumière de l’Empire romain, une existence commencée dans la nuit des temps ligures. Et de tous les spectacles offerts par la Gaule latine, aucun n’est plus étrange, plus riche en leçons pour l’historien et le philosophe, que celui de ce peuple arverne ou de ce peuple éduen, adaptant ses organes gaulois à des fonctions romaines, et conservant au travers de destinées disparates la conscience de son identité nationale.

Car, malgré toutes ces transformations, en dépit de leurs erreurs et de leurs faiblesses, le patriotisme municipal ne mourait point dans ces cités de la Gaule. Qu’on lise Tacite, qui s’occupe d’elles plus de cent ans après la conquête : Helvètes, Éduens, Lingons, Rèmes et Trévires connaissent toujours leur histoire et parlent fort haut de l’antiquité de leur origine ou de l’éclat de leur gloire. Peu importe que leur vanité tire honneur de faits inexacts ou contradictoires, de l’amitié de César ou des gestes d’un roi : l’essentiel est qu’elles se souviennent de leur passé et qu’elles le racontent avec amour[206].

Les pires de leurs erreurs, après tout, sont venues de l’excès de leur amour-propre. Une nation transalpine, au temps des empereurs, n’a abdiqué aucune de ces rancunes qui firent jadis la faiblesse du nom gaulois. Y a-t-il plusieurs candidats à l’Empire, chaque cité patronnera le sien, le plus souvent afin de tracasser la cité voisine. Quand il y a guerre civile, Dèmes et Trévires, Lingons et Séquanes, Lyon et Tienne ne veulent point se rencontrer dans le même camp. Si, en 70, la plupart d’entre elles restent fidèles à l’Empire, c’est parce que la suzeraineté de l’une leur coûte plus que la domination d’un maître étranger. Cela, certes, n’est point beau : mais la jalousie n’en demeurait pas moins un ferment utile de l’esprit municipal.

Des sentiments et des actes plus nobles nous montrent que cet esprit survivait avec une rare vigueur à la chute de la liberté. Marseille et Bordeaux ont beau ne plus être que des villes d’Empire : leurs citoyens ne cessent de les aimer dans leur sol, leurs monuments, leurs dieux familiers. Je ne trouve rien, dans la Gaule romaine, qui ressemble à une émigration des indigènes. Arlésiens et Nîmois peuvent arriver au sénat de Rome : ils n’oublient jamais le chemin de leur ville natale et de leurs domaines paternels. Les vieilles familles de l’aristocratie celtique n’ont point déserté leurs bourgades ou leurs villas ; quelque réduite que soit la magistrature locale, elles ne dédaignent pas de l’exercer ; et les descendants des rois et des vergobrets qui avaient combattu César, acceptent l’humble duumvirat municipal[207]. Un Gaulois se fait volontiers gloire d’avoir revêtu toutes les dignités dans sa patrie[208]. Il se complaît à la servir, à l’orner : si tant de villes de la Gaule romaine sont devenues riches et belles, c’est parce que les principaux de ses habitants ont partagé leur fortune avec elles.

Une excellente institution était alors celle des patrons de cités[209]. Les curies municipales décernaient ce titre à tous ceux qui avaient bien mérité de leur commune, grands personnages de la cour[210], fonctionnaires impériaux[211], sénateurs romains propriétaires dans le pays[212], anciens magistrats de la cité[213], officiers en retraite au passé glorieux[214]. On mettait leurs noms en tête de la liste des décurions, on leur dressait des statues[215].

Certes, à ces flatteries des villes il se mêlait beaucoup d’intérêt, et beaucoup de vanité à la générosité de leurs patrons[216]. Mais enfin, dans ces échanges de paroles et d’actes, il ne s’agissait que de la patrie municipale, et l’orgueil de ses citoyens ne faisait que s’en accroître.

Qui sait même si, tout compte fait, cet esprit municipal n’a point gagné plutôt que perdu à la domination romaine ? Avant la conquête, l’amour d’un Gaulois pour sa cité natale était tellement pénétré d’ambitions et de haines personnelles, qu’il l’entraînait souvent dans les pires dangers : qu’on se rappelle, chez les Éduens, Dumnorix soudoyant les Helvètes et Diviciac implorant César. Sous le régime des empereurs, le patriotisme local, débarrassé des chimères politiques et des entreprises lointaines, s’affina et s’humanisa. Il devint un sentiment plus fixe, plus précis, plus intime et plus tendre ; il s’attacha davantage au sol natal, aux dieux qui y séjournaient, aux villes qui en étaient l’ornement. Patriotes ou ambitieux mettaient leurs espérances ou leur gloire dans des édifices qui porteraient leur nom et qui rendraient service à tous, dans des fêtes où se réjouirait la foule, dans des sacrifices qui seraient agréables aux Génies de la nation. Les meilleurs d’entre eux célébraient avec émotion les beautés ou les grâces de leurs villes, la douceur des paysages au milieu desquels ils avaient vécu, les légendes et les héroïques souvenirs qui restaient liés au nom de leur peuple[217]. Il en advint du sentiment municipal comme des institutions de la cité et de l’aspect de ses bourgades : il se modela sur l’idéal classique, il revêtit cette forme religieuse, paisible et poétique, qui avait donné tant de charmes à la vie des cités de Grèce et d’Italie.

 

 

 



[1] Herzog, Galliæ Narbonensis historia, 1866, p. 149 et s. ; Marquardt, Staatsverwaltung, I, 2e éd., 1881, p. 69 et s. ; Houdoy, Le Droit municipal, 1876 ; Mommsen. Die Stadtrechte, etc., 1855 [Ges. Schr., I] ; Gesammelte Schriften, V, p. 352-443 ; Staatsrecht, III, p. 645 et s. ; Rœm. Geschichte, V, p. 81-4 ; Karlowa, § 77-79 ; Maurin, L’Admin. de la colonie nîmoise, dans Nemausa, II, 1884-5, p. 125-151, 171-183 ; Morel : 1° Notes sur les Helvètes, etc. (Jahrbuch für Schweizerische Geschichte, VIII, 1883) ; 2° Genève et la Colonie de Vienne, 1888 ; Liebenam, Städteverwaltung im rœmischen Kaiserreiche, 1900 ; Clerc, Aquæ Sextiæ, Ire p., Aix romain, dans les Annales de la Faculté des Lettres d’Aix, IV, juillet-décembre 1911 ; Fabia, La Municipalité de Lugudunum, dans la Revue d’Hist. de Lyon, X, 1911, p. 5-42 ; etc.

[2] Ch. VI, §1.

[3] Ch. VII.

[4] On pourrait, à la rigueur, ajouter ici le lien de la clientèle, qui unissait, sans doute héréditairement, les familles pauvres à une famille noble ou riche.

[5] Plutarque, Thésée, 21.

[6] Le peuple s’assembla à Jérusalem, comme si ce n’eût été qu’un seul homme, Esdras, 3, 1. — J’ai tenu à parler ici d’Israël et de Jérusalem, parce que le monde antique n’a pas offert un exemple plus saisissant de l’empire d’une ville sur son peuple : le type idéal de la cité antique, c’est là, ou c’est à Tyr et à Carthage, que nous le trouverons, plus peut-être qu’à Rome ou à Athènes.

[7] Il y a, là-dessus, de très fines remarques chez Chambellan, par exemple I, p. 736 : Ainsi les cités gauloises facilitaient l’application des formes municipales romaines ; et ces formes, en s’appliquant aux villes chefs-lieux, contribuaient puissamment à maintenir tel quel le vieux fond même de la société gauloise.

[8] Strabon, III, 3, 7-8 ; 4, 19 ; gentes et gentilitates dans les tables du Corpus, II, p. 1161 (Suppl.).

[9] Strabon, XVII, 3, 1 ; tables du Corpus, VIII, p. 1100.

[10] Strabon, V, 1, 12.

[11] L’expression de civitas s’entendait surtout des cités indigènes. Mais on ne tarda pas à l’appliquer en Gaule, et d’assez bonne heure, aux colonies, sinon dans le style officiel, du moins dans la vie courante (cf. C. I. L., XII, 3184, 9920). A partir des Antonins, l’expression est courante partout pour désigner le groupe municipal (Narbonne, XII, 4355 ; Vienne, 1827 ; Valence, 1567 ; etc. ; cf. Hirschfeld, id., p. 939).

[12] Du moins jusqu’au IIIe siècle et sauf des mesures locales.

[13] Elle n’est pas nommée par César, elle apparaît sous Auguste (Ulmanectes pour Silvanectes, Sulvanectes. Pline, IV, 106 ; Ptolémée, II, 9, 7 ; C. I. L., XIII, I, p. 543). La cité des Silvanectes serait plutôt inférieure que supérieure à l’arrondissement actuel de Senlis, dont la superficie est de 134.277 hectares.

[14] Supposé d’après l’étendue de leur territoire.

[15] Encore faut-il remarquer que le démembrement a porté surtout sur les Volques Arécomiques, les Volques Tectosages n’ayant donné lieu qu’à Toulouse et Carcassonne. — Deux colonies chez les Salyens de la Provence, Arles et Aix.

[16] Remarquez du reste, ce qui est une nouvelle preuve de respect à l’endroit de la tradition nationale, que les colonies du Vaucluse paraissent correspondre chacune à une tribu primitive de la fédération des Cavares.

[17] C. I. L., XIII, I, p. 400 et s. Je parle de Bourbon-Lancy (cf. Pan. vet., VII [VI], 21-2 ; C. I. L., XIII, p. 430).

[18] Il ne se trouve mentionné dans aucune inscription (C. I. L., XII, p. 931), si ce n’est peut-être (XII, 1531) comme nom de dieu, Allobrog. (deo ?). Il ne se trouve pas dans les Notes Tironiennes comme nom politique (cf. t. 84, l. 43-60). Et ce n’est plus qu’un souvenir populaire (Tacite, Hist., I, 66) ou une expression géographique (Pline, III, 36 ; XIV, 26 ; XVIII, 85 ; Ptolémée, II, 10, 7). L’inscription de La Forclaz (C. I. L., XII, 113) montre bien que l’expression de Viennenses s’étendait dès le temps de Vespasien jusqu’à l’extrémité du territoire. — Même remarque pour tous les autres peuples de la Narbonnaise, sauf les exceptions suivantes. — Chez les Voconces, le nom a persisté même après le dédoublement en cités de Vaison et de Die, et on a dit aussi bien Vasienses Vocontii (XII, 1357, 1362, 1363, 1374, 1379, 5842, inscriptions des premiers temps) que Dea Augusta Vocontiorum (XII, 690) : le nom de Vocontii a fini, je crois, par se fixer sur Die (XII, 690, 1367, 1589 ; Itin. Ant., p. 357, N. ; Itin. de Jérusalem, p. 554, W.). — Chez les Tricastins, le nom de la ville, Augusta Tricastinorum (Pline, III, 36), a fini par s’effacer devant celui de la peuplade et est devenu Tricastini (C. I. L., XIII, 1913 ; cf. Holder, II, c. 1948-9), Saint-Paul-Trois-Châteaux. Le fait est unique en Narbonnaise. — Il est possible que le nom des Helvii ait persisté quelque temps contre celui d’Aps, Alba (Pline, III, 36 ; XIV, 43) : mais il a disparu au IIIe siècle (C. I. L., XII, 1567). — Dans ces trois cas, l’exception se justifie par l’absence de colonisation. — En ce qui concerne Riez (C. I. L., XII, p. 49 et 936), qui fut colonia, que Pline appelle Alebæce Reiorum Apollinarium (III, 36), que d’autres textes et les inscriptions appellent Reii ou colonia Reiorum, il serait possible que Reii fût le nom de la tribu ou de la peuplade indigène : en ce cas, le maintien de ce nom pour une colonie serait un fait unique dans le Midi. Toutefois, la chose n’est point certaine, car je croirais plus volontiers que le peuple de Riez était celui des Albici. Il est possible, mais non certain, qu’il y ait un rapport entre ce nom et celui d’Alebæce.

[19] J’excepte Lyon, Augst et Nyon, et je ne fais pas état des colonies honoraires ou nominales, pour lesquelles le titre de colonia demeura d’ordinaire accolé au nom du peuple.

[20] Je dis, en théorie ; car, en fait, ils ne perdaient pas la cité éduenne.

[21] Remarquez que, dès Tacite, dans le langage courant, on n’appelle déjà plus Trèves de son nom de ville, Augusta, mais du nom de son peuple, Treveri ou colonia Treverorum (Tacite, Hist., IV, 62, 72, 73). Elle est colonie, mais latine et honoraire.

[22] Et, en Gaule, plus particulièrement les cités de droit latin : C. I. L., XII, 94-5 ; Tacite, Hist., I, 66 : Lucus, municipium Vocontiorum (cf. I, 67) ; Aulu-Gelle, XVI, 13, 6.

[23] Tacite, Ann., III, 41, 43, 44 ; Hist., I, 63 (où civitas est employé simultanément dans le sens de commune et de ville chef-lieu) ; C. I. L., XIII, 566, 1129, 1918, 3076-7, etc. — Populi, chez Pline (IV, 105). — Gentes, chez quelques écrivains (Tacite, Ann., III, 43 ; Hist., I, 67). — Natione Æduus (C. I. L., XII, 3325), sans doute avec le sens de natus apud Æduos.

[24] Cf. Aulu-Gelle, XVI, 13, 9 : ce qui explique, dit-il (1-3), pourquoi l’expression de municipium s’est étendue de son temps à toutes sortes de cités. Il en fut de même de celle de civitas.

[25] C. I. L., XII, 410, 697.

[26] Tacite, Hist., I, 65-67, par exemple 67 : Helvetii, Callica gens, olim armis virisque, mox memoria nominis clara ; id., IV, 69 : Vetustatem originis ; voir le souvenir de Diviciac et de son temps chez les Éduens, Pan. vet., VIII [V], 3, 14, etc.

[27] Leges cujusque civitatis, Digeste, L, 4, 1, 2 ; legibus patriæ suæ, L, 4, 3, 1 ; L, 4, 18, 25 ; L, 2, 11 (longa consuetudo) ; etc. ; Dessau, n° 6086-9. — Il n’existe d’autre mention d’une loi de cité gauloise que l’allusion, sur l’inscription de l’autel de Narbonne, à un règlement d’Auguste.

[28] Si la Table d’Héraclée est une loi de ce genre (n. suivante), elle n’a dû d’abord s’adresser qu’aux municipes et colonies ou aux villes romaines de l’Italie. Et ce n’est que peu à peu qu’elle a pu s’appliquer aux cités de la Gaule, sans doute par l’intermédiaire de l’octroi du Latium (majus ?).

[29] Cicéron, Ad fam., VI, 18, 1 ; C. I. L., V, 2864 ; Digeste, L, 1 (Ad municipalem) ; id., L, 9, 3 (lege municipali) ; id., L, 4, en particulier 11 ; L, 5 ; II, 1, 12 ; Code Just., VII, 9, 1 ; etc. On croit posséder dans la Table d’Héraclée (C. I. L., I, 206 = Dessau, n° 6085) le fragment d’une loi municipale de Jules César. La thèse contraire a été soutenue à la fin de sa vie par Mommsen, qui, cependant, est bien obligé de reconnaître qu’à défaut d’une loi il y eut un commentaire général des lois municipales, Eph. epigr., IX, p. 5 [1903 ; Ges. Schr., I]. En dernier lieu : Besnier, Rev. des Ét. anc., 1912, p. 40-52 ; Mitteis, Ueber die sogenannte lex... municipalis, dans la Zeitschrift der Savigny-Stiftung, R. Abl., XXXIII [XLVI], 1912.

[30] Cf. Müller, Num. de l’anc. Afrique, II, 1861, p. 149-150 ; Marquardt, p. 473 ; Audollent, Carthage romaine, p. 325-6.

[31] Hist. Auguste, Hadrianus, 19, 1 ; Gallieni, 11, 3 ; cf. Real-Enc., II, c. 577-8.

[32] Cf. Jullian, Histoire de Bordeaux, p. 609.

[33] Voyez le résumé donné dans Béquet, Répert. du droit administratif, V, au mot Commune, p. 419-420.

[34] C. I. L., XII, 5687, 44 ; 1188. Il est toutefois à remarquer que populus, dans les inscriptions, s’emploie le plus souvent dans un sens restreint, s’opposant aux décurions, par conséquent plus ou moins synonyme de plebs (XII, 3236, 3185, 1585). — Il ne me paraît pas douteux que, dans les colonies, les indigènes, au moins les principaux, ne fussent considérés, au même titre que les colons, comme faisant partie du populus (je ne dis pas de la plebs) de la cité ; cf. Tacite, Hist., IV, 65 : Deductis olim et nobiscum... sociatis..., hæc patria est, disent les décurions de Cologne. — Parmi les colons ou les citoyens, on pouvait distinguer les différents groupes d’immigrants : à Riez, c. v. = coloni ou cives veteres ? les indigènes assimilés aux colons ? (C. I. L., XII, 360) ; à Narbonne. Peut-être chacun de ces groupes eut-il quelques cérémonies propres.

[35] Hospes, C. I. L., XII, 2462 ; incolæ, XII, 4333, 3, 178, 1585, 1748, 1864, 4189 ; XIII, 5042, 5072, 5073, 5091 ; etc. ; advenæ, XIII, 4324 ; peregrini dans le sens d’incolæ ? XII, 94, 4444. — Je crois bien que, dans les colonies, par une sorte d’inversion du sens initial, les incolæ comprenaient également tous les indigènes non admis à la dignité de colons (situation semblable à celle des habitants de Capoue ; Tite-Live, XXVI, 16, 8-9) ; cf. C. I. L., XIII, II, p. 18. — En ce qui concerne les incolæ, ils paraissent former un groupe distinct, avec la possibilité de réunions et de cultes particuliers (voir les textes cités ici).

[36] C’est ce que Mommsen appelle Rom als suppletorische Heimath ; Staatsrecht, III, p. 787.

[37] Si du moins on peut appliquer aux civitates de la Gaule les règles suivies dans les colonies et municipes romains ou latins : Table d’Héraclée, l. 83 et s., 129 et s. ; loi de Malaga, LII et s. ; etc.

[38] Tout ceci est supposé, avec quasi certitude, d’après l’absence de toute trace de comices populaires dans les Trois Gaules, et d’après les analogies avec le reste de l’Empire et le passé du pays.

[39] C. I. L., XII, 697 : Candidatus Arelatensium. Encore cela peut-il signifier, non pas un vote du peuple, ou, si l’on préfère, de la plèbe, des non décurions, mais un vœu, une simple proposition. — Id., 3185, 3236, à Nîmes : Ex postulatione populi. Même remarque. — De même, à Lyon ; XIII, 1921. — Autel de Narbonne, XII, 4333 : Auguste, en 11 ap. J.-C., judicia plebis decurionibus conjunxit, c’est-à-dire qu’il fit admettre en ligne de compte, dans les élections, les votes ou peut-être seulement les vœux de la plèbe : ce qui prouve, au surplus, que, même à Narbonne, elle n’eut pas ce droit à l’origine. — Cuq (Mél. de l’École de Rome, I, 1881, p. 364) suppose qu’Auguste, dans les colonies romaines, élargit les cadres des tribunaux pour admettre les plébéiens comme juges à côté des décurions.

[40] Willems, Les Élections municipales à Pompéi, 1887 ; loi de Malaga, LI et s. ; cf. Marquardt, p. 145-8.

[41] A Vienne, par exemple, mention de deux questeurs nommés ab ordine ; C. I. L., XII, 5864.

[42] Sur les sénats municipaux, en dernier lieu Kübler, Decurio, dans la Real-Enc., IV, c. 2314 et s.

[43] On ignore le nom gaulois des decuriones : peut-être les senani de l’autel des nautes de Paris (C. I. L., XIII, 3026). On trouve l’expression grecque de buleuta à propos d’un sénateur des Tongres (C. I. L., III, 14416). Tacite dit senatores pour les Trévires (Hist., V, 19).

[44] La manière dont Tacite parle des sénateurs trévires, fait songer moins à des décurions de villes romaines qu’à des principes comme ceux qu’avait connus César (Hist., V, 19 : Senatorum Treverorum).

[45] Chez les Allobroges, César a fait nommer des sénateurs extra ordinem, et les a rendus locupletes ex egentibus (César, De b. c., III, 59, 2).

[46] Willems, Sénat, I, p. 35 et s.

[47] Le chiffre de cent mille sesterces est attesté pour certaines villes d’Italie (Pline, Lettres, I, 19 ; cf. Pétrone, Satyr., 44), et parait avoir été le plus répandu.

[48] Tout au moins à la plebs urbana, celle du chef-lieu : je crois, notamment, qu’elle était, sinon une personne politique, du moins une personne morale et religieuse, comme autrefois celle de Rome, ayant son culte, ses représentants religieux (XII, 368, 4333 ; surtout les sévirs Augustaux), pouvant recevoir des dons (XII, 372 ?), prendre certaines décisions (1875). Il n’y a pas, dans une cité, d’hommes absolument isolés ; tout être se rattache à un groupe au moins religieux. — Il est probable que cette plèbe, dans les colonies, comprenait à la fois des indigènes et des immigrés.

[49] La révolte de Maricc ; les émeutes de Vienne, accensas plebis Viennennsium dissensiones (Velleius, II, 121, 1).

[50] C. I. L., XII, 2610, 4190, 1590, 3179, 3233, 4399, 5413, etc.

[51] À quel moment apparaît ce procédé ? Au moins dès le temps de Sévère : Papinien, Digeste, L, 1, 17, 7. Mais la peur de la curie, qu’on constate dès Trajan (Pline, Lettres, X, 113), le désir des décurions, sous Antonin, de se recruter parmi les plus riches pour alléger munera decurionatus paucis onerosa (C. I. L., V, 532), laissent supposer qu’il est bien plus ancien, et peut-être primitif. — Voyez surtout les textes, sous Alexandre Sévère, relatifs à la responsabilité des decaproti ou icosaproti, dix premiers et vingt premiers : c’étaient, semble-t-il, les commissaires financiers de la curie, et il est vraisemblable que ce n’étaient pas toujours les mêmes (Digeste, L, 4, 18, 26 ; cf. L, 4, 1, 1 ; L, 4, 3, 10-11). Il n’est pas impossible que les undecimviri de Nîmes (XII, 3179) ne soient de ces commissaires (area per XIviros adsignata) ; il me parait impossible de les rapprocher des ένδεκα d’Athènes (cf. Hermann, Lehrbuch, I, 6e éd., 1889, p. 567-570).

[52] Sauf l’exception indiquée lors de la révolte de 21 : les dettes contractées sous prétexte d’impôts l’ont été peut-être par des sénateurs, et comme conséquence de leur responsabilité.

[53] Sauf l’intervention du gouverneur par voie d’arbitraire ou, plutôt, de recommandation (César, De b. c., III, 59). — Le sénat se recrute, soit en nommant directement un decurio (C. I L., XII, 1585, honoraire ?), soit en conférant une magistrature (honoraire aussi bien qu’effective ? cf. XII, 5864), ce qui donne au nouveau magistrat l’entrée dans la curie. — Il peut conférer le décurionat honoraire (decurio ornamentarius) à des citoyens ou incolæ de sa cité ou à des sénateurs d’autres cités (XII, 3058, 4068, 3219, 3200, 3288). — Il semble bien que, dans les colonies, il pût y avoir des sénateurs indigènes d’origine Tacite, Hist., IV, 64-65, où les sénateurs indigènes parlent des colons romains). — Il est possible que le nombre moyen des décurions ait été de cent, mais Tacite parle de 113 sénateurs chez les Trévires (Hist., V, 19). — Contrairement à un ancien usage gaulois, des frères pouvaient être décurions ensemble (C. I. L., XII, 5864 ; 522 : pater trium decurionum ; cf. César, De b. c., III, 59, 2) : ce qui accentuait le caractère aristocratique de l’assemblée.

[54] Il semble bien, sans que la chose soit prouvée, que l’État romain n’ait pas admis ce titre de roi dans la province.

[55] Chez les Santons (C. I. L., XIII, 1048) : C. Julio] Marino, quæstori, verg[obreto] ; chez les Lexoviens (Cabinet des Médailles, n° 7159-68) : Cisiambos Cattos vercobreto.

[56] Si l’on admet, sur les monnaies des Lexoviens (n. précédente), que les deux noms soient ceux de deux collègues. — Le mot disparut sous Claude ?

[57] Mommsen, Staatsrecht, 2e éd., II, p. 71 ; 3e, p. 74.

[58] A Bordeaux, sous Claude ? (C. I. L., XIII, 596-600) : sur ce point, l’origine indigène de ce titre n’est pas douteuse. De même, dans la cité alliée des Voconces, où la préture, contrairement à l’usage, paraît être demeurée très longtemps la principale magistrature (C. I. L., XII, 1369, 1371, ceux-ci à Vaison, et peut-être faut-il lire præfectus ; 1584, 1586, 1589, ceux-ci à Luc et à Die). — On peut hésiter entre une origine latine et une origine indigène dans les colonies suivantes. Avignon plutôt que Nîmes : XII, 1028, où il faut lire, non pas pr(ætor) Volcar(um), mais Volc(ano) ar(am). Aix : XII, 517 ; 4409 : IIvir prætor. Carcassonne 5371. — A Narbonne, il ne peut s’agir que d’un titre latin (XII, 4338, 4428, 4429, 4431 : pr. duomvir).

[59] Note précédente : soit seul, soit associé à celui de duumvir. — Sur ce titre : Herzog, De quibusdam prætoribus Galliæ Narbonensis municipalibus, Leipzig, 1862 ; Hirschfeld, Gallische Studien, dans les Sitzungsberichte de l’Académie de Vienne, phil.-hist. Classe, CIII, 1883, p. 308-310.

[60] Sauf chez les Voconces, cité fédérée.

[61] En Narbonnaise : à Arles, Orange, Béziers, Narbonne, Fréjus, Valence, colonies de César. — A Vienne, le titre de duumvir a remplacé celui de quatuorvir (cf. Hirschfeld, C. I. L., XII, p. 218), peut-être lorsque la cité obtint : la pleine bourgeoisie. — Peut-être un changement pareil à Avignon (cf. 1029 et 1031 à 1120), à Antibes (XII, 176, add. ; cf. 175 et 179), à Aix (cf. 524 à 529). — Dans les Trois Gaules, il y a des duumvirs à Nyon, à Lyon, vieilles colonies romaines. — Mais il y en a aussi dans les cités tributaires ou libres, Dax, Périgueux, Eauze, Oloron, Saintes, Autun, le Velay, Trèves, ou de droit latin, Auch. — Le titre est constant dans les Alpes : on le trouve à Briançon, Briançonnet, Embrun, Castellane, Vence, chez les Nantuates. — Bien qu’on puisse songer à un caractère romain pour le duumvirat, je ne peux exclure, dans ces villes gauloises, une origine indigène. Les inscriptions sont d’ailleurs trop peu nombreuses pour affirmer qu’il ait été partout la forme par laquelle a débuté la magistrature à la romaine. — Le duumvirat s’est même installé à Marseille (C. I. L., V, 7914), au lieu et place des triumvirs helléniques.

[62] Se trouve surtout en Narbonnaise : à Aps des Helviens, Riez, Toulouse, Nîmes, Vienne au début, Avignon, Aix ?, Apt, Cavaillon, Antibes. On en a conclu que ce titre a caractérisé les colonies latines. Mais il faudrait être sûr, d’abord que ces colonies ont été colonies latines : ensuite, qu’il y a un lien entre le jus Latii et l’existence de quatuorvirs (ce qui est fort douteux, cf. Liebenam, p. 255-6) ; enfin, qu’il n’y ait pas eu à l’origine une institution indigène expliquant ce titre de quatuorvir.

[63] L’époque de cette substitution est fort difficile à indiquer. Au plus tard sous les Sévères (cf. C. I. L., XII, p. 55).

[64] Duumvir juredicundo ou jurisdicundi, notamment à Vienne (C. I. L., XII, p. 938), quattuorvir etc., notamment à Nîmes (id., p. 935).

[65] Dix à quinze mille sesterces dans certaines villes ; lex Rubria, XXI-XII ; fragment d’Este ; Digeste, II, 1, 20 ; etc.

[66] Digeste, XLVIII, 3, 6, 1.

[67] Digeste, II, 1, 12.

[68] Pline, Lettres, IV, 22.

[69] C. I. L., XIII, 10008, 3 ; cf. Real.-Enc., art. Duoviri, c. 1816.

[70] C. I. L., XII, 1029 (Espérandieu, n° 119).

[71] Togas prætextas, loi d’Osuna, LXII.

[72] XII, 1029, 3210 : faisceaux sans hache, pour un quatuorvir.

[73] Lictores, viatores, lictores viatores, XIII, 3572 : XII, 4447-8 ; accensi, loi d’Osuna, LXII.

[74] Præcones, XII, 4505.

[75] Apparitores, XII, 3062, XIII, 1632 (apparitores liberi ?) ; statores (c’est l’appellation courante), XII, 3309, 1920 ; XIII, 1549. — Un præfectus statorum à Metz (XIII, 4291). — Strat[ores avec un præfectus à leur tête : police à cheval ? (XIII, 5414, de Vienne ?, où l’on interprète aussi strat[æ, les routes).

[76] Scribæ, XII, 524, 2212 ; librarii, loi d’Osuna, LXII.

[77] Tabellarius coloniæ Sequanorum (C. I. L., V, 6887).

[78] Aruspices, loi d’Osuna, LXII.

[79] Tibicines, loi d’Osuna, LXII.

[80] Sur les esclaves des villes, Halkin, Les Esclaves publics chez les Romains, 1897 (Bibl. de la Fac. de Phil. de l’Univ. de Liège), p. 137 et s., p. 239-240.

[81] Horace, Sat., I, 5, 34-6.

[82] Hist. Auguste, Hadr., 19, 1.

[83] C’est le cas de Caïus César, petit-fils d’Auguste. Le prince se faisait alors remplacer par un præfectus pro IIviro (C. I. L., XII, 4230), qui, dans ce cas, gouvernait sans collègue (loi de Salpensa, XXIV). Il ne serait pas impossible que ce fût une manière détournée, pour les empereurs, d’examiner de plus près les affaires de la cité. — En cas d’absence de duumvir (ou de quatuorvir), le sénat municipal désignait un præfectus pro duumviro, lequel était d’ordinaire un autre magistrat en charge (l’édile à Narbonne, où, pour un motif qui nous échappe, le duumvirat fut souvent vacant ; XII, 4396, 4401, 4420). — En cas d’une vacance générale des magistratures supérieures, le sénat devait désigner un interrex (à Narbonne, XII, 4389 ; à Nîmes, XII, 3138). — Le dictator in ju[ve]niliciis de Narbonne (XII, 4378) est le président de quelque fête de la jeunesse. — Pour tout ce qui concerne les duumvirs, Liebenam, art. Duoviri ap. Wissowa, R.-Enc., V.

[84] Au moins dans les colonies d’origine romaine : duumvir quinquennalis, à Narbonne (XII, 4371, 4433-4), à Arles (XII, 697). — Il est possible qu’à Nîmes et à Vienne les magistrats ab ærario ou les triumvirs aient exercé les fonctions des quinquennaux. — Chez les Sénons ou à Sens, où il y a également des ab ærario, ces fonctions appartiennent, peut-être sous leur direction, à des actores publici quinquennales (C. I. L., XIII, 2949 ; cf. actor publicus chez ces mêmes Sénons ? XIII, 1684). — Quinquennalis, à Trèves ? (XIII, 4030). — Duumvir quinquennalis à Marseille même (V, 7914).

[85] Tout cela, sans être directement prouvé, surtout pour la Gaule, est fort vraisemblable ; cf. Marquardt, p. 157-162 ; Houdoy, p. 329-334.

[86] C’était la règle dans les villes d’origine ou de condition romaine. Mais ce chiffre de deux n’apparaît jamais nettement en Gaule. — Nulle part, non plus, on n’y trouve l’expression de ædilis accolée à celle de duumvir (ce qui faisait, dans la cité, un collège de deux duumvirs édiles et un collège de deux duumvirs juges), pas davantage à celle de quattuorviri (ce qui faisait un collège de quatre magistrats, deux juges, deux édiles), à moins d’interpréter, dans une inscription de Narbonne (XII, 4389), duomvir ædilis. Et telles étaient les règles en Italie et dans le droit municipal latin (cf. Marquardt, I, p. 150 et s. ; Kubitschek, R.-Enc., I, c. 458 et s.). Mais ces règles, ou sont étrangères à la Gaule, ou y ont été moins strictement appliquées qu’on ne le croit. Et cela confirme l’hypothèse de l’infériorité de l’édilité dans les cités gauloises.

[87] C. I. L., XII, 1377, 3273 ; loi de Malaga, LXVI ; d’Osuna, LXXI ; Digeste, XVI, 2, 17 ; XVIII, 6, 13 et 14 ; L, 2, 12.

[88] C’est, comme à Rome, la moins importante des magistratures, celle qui donne accès au sénat (XII, 5864).

[89] Il est possible qu’il n’y en eut qu’un dans certaines cités. Je crois cependant, pour l’ordinaire, à la pluralité (cf. C. I. L., XII, 5864). — La questure est le type de magistrature le plus constant dans les communes de la Gaule, quelle que soit leur condition (cf. C. I. L., XII, p. 941 ; XIII, 3573, etc.).

[90] La chose est, pour la Gaule, plutôt vraisemblable que prouvée. — J’imagine que quæstor tabularii publici curator (à Aix, XII, 525) forme une redondance, car les questeurs devaient être, dès l’origine, préposés aux archives fiscales et autres mais peut-être s’agit-il d’une cura spéciale formant munus, d’un quæstor munerarius.

[91] Surtout dans les colonies romaines. Cela résulte de ce fait, que l’édile paraît avoir souvent fait l’intérim du juge, præfectus pro duumviro (à Narbonne, XII, 4396, 4401, 4420 ; cf. 4389 ; à Aix ? XII, 529).

[92] Surtout dans des villes où la tradition celtique s’est conservée. A Nîmes (Strabon, IV, 1, 12 ; Hirschfeld, XII, p. 382), où il n’y a aucune trace d’édiles parvenus à une charge supérieure. Chose également étrange ! les édiles de Nîmes se disent presque tous ædilis coloniæ, ce qui me ferait croire que leur pouvoir était limité aux quartiers de la ville.

[93] C. I. L., XII, 3002, 3166, 3210, 3223, 3232, 3259, 3274, 3296, 3303. La magistrature paraît unique. Elle est inférieure à celle des quatuorvirs, supérieure à celle des édiles et des questeurs. Le titre de præfectus semble indiquer qu’elle résulte moins d’une élection que d’une délégation émanant du sénat ou des magistrats municipaux (cf. loi d’Osuna, CIII).

[94] Supposé d’après le titre de la fonction.

[95] Hirschfeld (Sitzungsb. de l’Ac. de Vienne, hist. phil. Classe, CV1I, 1884, p. 239 et s.) la compare au νυκτοστρατηγός d’Alexandrie (cf. Jouguet, La Vie municipale dans l’Égypte romaine, 1911, p. 193) et aux στρατηγοί έπί τά όπλα de villes grecques comme Athènes (cf. Hermann, I, 6e éd., p. 791-2). — Un préfet de même genre à Metz et à Vienne ?

[96] A Vienne, XII, p. 938. Lorsque, avant les duumvirs, Vienne était administrée par des quatuorvirs, il est probable que deux d’entre eux furent ærarii. —A Sens, duumvir ab ærario ; XIII, 2949, 1684 ? — A Trèves, duumvir ærarii publici ; XIII, 3693.

[97] A Nîmes : XII, 3166, quattuorvir ad ærarium ; ailleurs, quattuorvir ab ærario, 2794, 3184, 3190, 3212, 3213, 3214, 3222, 3232, 3235, 3272, 3275. Il est possible qu’il y eût un seul collège de quatuorvirs, deux juges et deux ab ærario.

[98] Ce sont, évidemment, sinon comme fonction, du moins comme rang et situation, les équivalents, dans les cités à tradition indigène, des édiles des colonies romaines.

[99] Triumviri locorum publicorum persequendorunt, fonction qui parait supérieure à la magistrature des duumvirs mêmes, ou, en tout cas, qui n’a pu être conférée qu’à des hommes susceptibles d’être duumvirs, et qui est peut-être une sorte de censure municipale. Elle n’apparaît jamais au temps des quatuorvirs de Vienne. XII, 1783, 1869-70, 1897, 2249, 2337, 2359, 2606-8, 2618. — Peut-être à Aix (note de Clerc, d’après une inscription inédite).

[100] Je n’ai pu lire le livre (en russe) de Krascheninnikoff, Les Prêtres et Prêtresses municipaux romains, Saint-Pétersbourg, 1891.

[101] C’est du moins ce que l’on peut supposer, en s’aidant du rôle des pontifes à Rome ; Marquardt, Staatsv., I, p. 172 ; C. I. L., XII, 1782, 1839-40, 3134.

[102] Par exemple à Nîmes, où il semble qu’il y ait eu un collège de trois pontifices (XII, 3142) : ce qui est le chiffre primitif du collège des pontifes romains (remarque de Marquardt, I, p. 172). Ils paraissent nommés à vie, et je ne crois pas que le pontifex perpetuus parfois rencontré (XII, 1567, 1782 ; XIII, 1921) indique une exception. Hirschfeld cependant (XIII, p. 253) semble faire du pontifex perpetuus une fonction différente, rattachée au culte de la Mère ; il est d’ailleurs possible que l’introduction de ce culte comme culte public à la fin du second siècle, ait amené dans les villes une transformation de l’ancien pontificat.

[103] Ici se pose le problème le plus difficile à résoudre des institutions gallo-romaines. Comment s’est faite la transition du druide municipal au pontife et à l’augure romains ? Il faut poser la question : on ne peut encore y répondre, comme nous avons pu le faire à propos du passage du vergobret au duumvir. Et je crois qu’à ce problème se rattache celui de la suppression des sacrifices humains ou des exécutions rituelles.

[104] En collège de deux ou trois membres (viagers ?) ; cf. XII, 2378. Leurs fonctions ne paraissent pas toujours très différentes de celles des pontifes. Augur perpetuus, à Marseille, XII, 410. Cette expression de perpetuus apparaît toujours à une époque tardive, depuis Marc-Aurèle.

[105] C. I. L., XII, 410, 1783, 983, 4232.

[106] A cela près, que, chez les Gaulois, druides et magistrats n’étaient pas les mêmes personnages, et que c’est le contraire dans les cités gallo-romaines.

[107] A Mâcon chez les Éduens (XIII, 2585) : Gutuater Martis ; chez les Vellaves (XIII, 1577) : Gutuater ; autres à Autun (Revue des Ét. anc., 1900, p. 410). — Du même genre ?, le p... ogen... dei Moltini de Mâcon (XIII, 2585).

[108] Flamen Martis, à Vienne (XII, 1899, 2236, 2430, 2536, 2600, 2613). — Flamen Leni Martis, à Trèves (XIII, 4030). Il est possible que ce Mars Lenus, ou, plutôt, son temple soit celui dont il est question chez Ulpien, XXII, 6, car il est visible qu’il s’agit, dans ce passage, d’un temple de Mars déterminé. — Peut-être un flamen de ce genre à Die (XII, 1185). — Le Flamen Juventutis, à Vienne, (XII, 1869-70, 1902-3, 1906, 1783, 2245) est peut-être un flamine d’Hercule, étant donné les liens étroits du culte de ce dieu avec celui de la Jeunesse (cf. Dict. Saglio, aux mots Juvenes et Juventas, p. 783 et 785). Et il est possible qu’il y ait, à Vienne, quelque rapport entre ces deux flaminats et les temples de Mars et d’Hercule bâtis par Fabius.

[109] Assez rare, d’ailleurs, pour les vieilles divinités municipales, et surtout réservé pour les divinités étrangères. — Peut-être aussi pontifex (C. I. L., XII, 1371). — Dans la même catégorie, le præfectus tempuli deæ Segetæ, à Feurs chez les Ségusiaves (XIII, 1646), le præfectorius maximus [ancien præfectus Maximus] tempuli Dunisiæ, chez le même peuple (id.).

[110] Je ne trouve pas de flamen Romæ seul, mais de sacerdos Romæ ; cf. sacerdos Urbis Romæ Æternæ ? (C. I. L., XII, 1120). — Flamen Romæ et Augusti, à Aix ou Arles (XII, 513), Arles (647), Narbonne (4435 ?), Riez (983), Vienne (2600, 2458 ?), Orange (1236). — Flamen Romæ et divi Augusti, à Apt (1121), Béziers (4233), Nîmes (3180, 3207). — L’expression de Augusti pourrait signifier, à la rigueur, que le culte a été organisé du vivant d’Auguste, celle de divi, après sa mort. Mais il est possible que divi ait été souvent oublié dans le premier cas, ou ajouté après coup dans le second. Les inscriptions de ces deux groupes paraissent fort anciennes.

[111] Flamen Augusti, qui peut, du reste, être le titré abrégé du flamen Romæ et Augusti (n. précédente), à Béziers (4230), Aps (2676), Aix (527), Vienne (2249, 2349, 2608). Vaison, Die et Voconces (1368, 1372, 1529). Inscriptions contemporaines d’Auguste ou postérieures à son règne, peut-être d’assez peu. — Sacerdos Augusti, sous Claude, à Feurs (XIII, 1642). — Flamen divi Augusti, à Nîmes ? (XII, 3304), Vienne (1872, 2603), à Die et Vaison chez les Voconces (1585, 1373, 1371). — Etc.

[112] Flamen Augustorum (duorum ?), à Narbonne (XII, 4323, Sévère et Caracalla). — Flamen divorum, à Die (XII, 1577).

[113] Flamen Germanici Cæsaris, à Vienne (XII, 1872), Narbonne (4363 ?) ; flamen Drusi et Germanici Cæsarum, à Nîmes (3180, 3207).

[114] Le fils de Tibère (n. précédente).

[115] Inscription de la Maison Carrée.

[116] Voyez C. I. L., XII, 3180, 3207, 1585 ?, 1872, où le même personnage a exercé plusieurs flaminats impériaux : ce qui marque peut-être la transition vers le flaminat unique. — Cette conclusion, que le flamine desservait tous les cultes impériaux, s’impose, puisqu’il y a eu beaucoup de divi après Auguste et qu’aucun n’est mentionné à propos du flaminat.

[117] L’identité des flamines impériaux avec ceux qui s’intitulent seulement flamen ou flamen civitatis, sans être évidente, résulte du fait que, très peu de cités mises à part, il n’y a mention pour le service du flaminat d’aucun autre culte que du culte impérial, et qu’en droit romain le flaminat est inséparable d’un culte et d’un dieu. Comparez, d’ailleurs, aux flamines provinciaux.

[118] Voyez, par exemple, le taurobole célébré à Narbonne sous Septime Sévère par le flamine des Augustes (XII, 4323). — Il est probable qu’il était, dans un certain nombre de villes, annuel et non renouvelable (XII, 3275, 521, 690, 2675). Mais je doute qu’il en ait été ainsi partout. — On peut, pour les flaminicæ, par exemple à l’aide de nombreuses inscriptions de la Gaule Narbonnaise, arriver aux mêmes conclusions que pour les flamines : on trouve tantôt flaminica Juliæ Augustæ (Béziers, XII, 4249 ; Vaison, 1363), tantôt divæ Augustæ (Nîmes, XII, 3302 ; Vaison, 1361), tantôt Augustæ (Apt, 1118 ; Aix, 519 ; Nîmes, 2823, 3175, 3216, 3194, 3211, 3225, 3268-9, 3279 ; Vienne, 2311), tantôt flaminica simplement, avec ou sans mention municipale (Béziers, 4241, 4244 ; Nantuates, 150 ; Sion, 140 ; Narbonne, 4411 ; Nîmes, 3260 ; Vienne, 2241, 2244, 1868, 1904, 1366 ; Vaison, 1362). — La flaminique, épouse du flamine : XII, 140, 150-1 ; peut-être non : XII, 2244, 3175, 3211. I1 est à peu près certain que c’était toujours une femme mariée.

[119] Aucune différence, à ce point de vue, entre colonies et cités gauloises ; cf. C. I. L., XII, p. 941. Et il y en a aussi bien à Metz (XIII, 4325) qu’à Marseille (XII, 400, 409). — Tandis que le flamine est toujours pour la cité entière, pour toute la communauté, il est possible qu’il y ait eu des Augustaux dans des villes qui étaient simples vici ou chefs-lieux de pagi, comme Genève (XII, 2617), Grenoble, Aix-les-Bains, Uzès (XII, 2930). Et cela se comprend si l’on songe au rôle plébéien des Augustaux : la plèbe, dans les villes de province comme dans l’ancienne Rome, s’assemblait en groupes topiques.

[120] Seviri (sexviri) seul ou avec Augustales ; Augustales seul ne se trouve jamais en Gaule (Hirschfeld, C. I. L., XII, p. 941), ou, plutôt, presque jamais (cf. C. I. L., III, 4133, où c’est évidemment une formule abrégée, voyez XIII, I, p. 584).

[121] On a pu se demander (cf. Egger, p. 381-2) s’il ne fallait pas distinguer entre les seviri, dignitaires en exercice (cf. XII, 2617, XIII, 4325), et d’autres confrères, par exemple les dignitaires sortis de charge et des membres honoraires, les uns et les autres réunis en ordo (l’expression ne se trouve pas en Gaule) ou en corpus, corporati (XII, 700, 1005, 3236, 400, 409, etc.), ou bien si ce corpus ou ordo n’était pas simplement le groupe des six sévirs. J’incline vers la première hypothèse, qui permet de mieux comprendre ces expressions de corpus et ordo.

[122] Omnes, ni fallor, libertini, dit Hirschfeld pour la Narbonnaise ; je crois qu’il généralise trop tôt (XII, p. 941). — La désignation parait avoir été faite par le sénat local ; R.-Enc. Wissowa, II, c. 2352-3.

[123] C’est pour cela que, malgré l’opinion courante, je ne peux (de même que Beurlier, p. 234) m’empêcher d’accepter une entière analogie entre les sévirs Augustaux et les six délégués de la plèbe qui, à Narbonne, desservaient l’autel d’Auguste sur le forum (XII, 4333), tres equites Romani a plebe, c’est-à-dire non décurions, et tres libertini. Et e’est la condition habituelle des sévirs : car, s’ils étaient presque toujours des affranchis, l’affranchi, souvent, entrait de plain-pied, par la concession de l’anneau d’or, dans l’ordre équestre (Lemonnier, p. 228 et s.).

[124] R.-Enc. Wissowa, II, c. 2356-7.

[125] Cf. Hirschfeld, XII, p. 941.

[126] Sur l’ensemble des prêtres impériaux : Beurlier, Le Culte impérial, 1891 ; Beaudouin. Sur les Augustaux : Egger, Examen critique des historiens anciens de la vie et du règne d’Auguste, 1844 ; Mourlot, Essai sur l’histoire de l’Augustalité, 1895 ; Krascheninnikoff, Les Augustaux et le Magistère sacré [en russe, n. v.], Saint-Petersbourg, 1895 ; Neumann apud Wissowa, Real.-Encycl., II, 1896, c. 2349 et suiv.

[127] Ce sont les principaux de cet ensemble, et assimilés à des prêtres publics, au moins depuis la fin du second siècle. Les prêtres qui s’intitulent sacerdotes simplement, doivent être d’ordinaire ceux de la Mère (remarque de Hirschfeld, XII, p. 929 ; cf. 1567). A Aps (1567), Narbonne (4322), Lyon (1751-4,1782), Valence (1745), Vaisoa (1311), Die (1569, 1567), Vence (1), Lectoure (XIII, 505-519, 521), etc., tous, semble-t-il, du temps d’Antonin au plus tôt. — La prêtrise de la Mère est d’ordinaire unique : il est très rare qu’elle soit confiée à deux prêtres (Lectoure, XIII, 505-6), l’un d’eux étant sans doute supérieur à l’autre. Parmi ces prêtres municipaux de la Mère des Dieux, il faut distinguer ceux qu’on appelait quindecimvirales, c’est-à-dire auxquels le collège romain des Quindécimvirs avait concédé les insignes rituels, occabus (bracelet ?) et corona (XII, 1567 ; XIII, 1751). Au-dessus du prêtre se trouvait parfois le prophète, l’archigallus, mais seulement à Lyon (XII, 1782 ; XIII, 1752) et peut-être à Narbonne (XIII, 4325), c’est-à-dire dans les plus grandes métropoles de la Gaule : et tout cela est à noter en vue de l’organisation ultérieure de l’Eglise chrétienne. Le culte de la Mère est le seul culte païen qui présente alors l’ébauche de ce que sera plus tard la hiérarchie chrétienne. — On trouve assez rarement une prêtresse, sacerdotia (XIII, 1751). — Cf. Graillot, Culte de Cybèle, 1912 [1913], p. 226 et s. (excellent).

[128] A Marseille, avec rang officiel sans doute, sous Marc-Aurèle et plus tard, XII, 410 ; Inscr. Gr. Sic., 2433 (qui semble y mentionner également un ίερεύς Λευκοθέας). Une sacerdos Isidis ?, à Nîmes ; XII, 3224.

[129] A Arles, pausarii Isidis (XII, 734) et pastophori (714), ceux-ci à rang officiel.

[130] Pater sacrorum, à Substantion ?, sous les Sévères ? (XII, 4188).

[131] Sacerdos Liberi patris, à Die en 245, prêtre officiel ? (XII, 1567).

[132] Antistita, antistis ou ministra Bonæ Deæ, à Arles (XII, 654, 703, 708).

[133] A Nîmes, XII, 3254. Un haruspex campanien, chevalier romain, sui temporis singularis, mort à Poitiers (XIII, 1131).

[134] M(agister) f(ani) L(arum) A(ugustalium) ?, dans la campagne de Nîmes (C. I. L., XII, 2807) ; antistes du dieu du lieu (C. I. L., XIII, 919) ; ædituus Isidis, à Grenoble (XIII, 2215) ; curator templi de la Mère (XII, 53î4) ; autres curatores (XII, 1566) ; mater sacrorum pour Mercure, à Bordeaux (XIII, 575) ; Beleni ædituus, Ausone, Prof., 5 41, 9 ; 11[10], 24. Cf. gutuater.

[135] L’apparator du culte de la Magna Mater, qui devait diriger les sacrifices (XII, 405 ; XIII, 1754).

[136] Tibicen, dans le culte de la Mère ; XII, 1-145 et 1782 ; XIII, 1752-4.

[137] Cf. Luchaire, Les Communes françaises, 1890, p. 165-6.

[138] L’expression technique était munus, munera, munerarius, peut-être munificus (C. I. L., XII, 1917).

[139] Agonothet. agonis Jobiani, à Marseille (C. I. L., XII, 410, p. 812) ; curator muneris gladiatorii Villiani, à Die (1585) : ce sont les noms des fondateurs des jeux (cf. gymnicus agon, à Vienne, Pline, Lettres, IV, 22). Ædilis munerarius, 522, 701 ? ; duumvir munerarius, XIII, 2949 ; curator ludi, XII, 3290. Flamen Augusti munerarius, XIII, 2940.

[140] Voyez, par exemple, C. I. L., XII, 697.

[141] Voyez l’expression de ædilis munerarius ; un même personnage, édile et curator frumenti ? (XII, 4363) ; un duumvir ab ærario munerarius de Sens est præfectus annonæ designatus (XIII, 2949). Un magistrat ou ancien magistrat legatum munere functus (délégué à Rome ; XIII, 412) ; autre, XII, 1750. Il est possible que les autres préfectures municipales fussent souvent des munera. Et on doit en dire autant des fonctions des curatores. Ce sont sans doute des munera que les charges de l’allectus aquæ, du præfectus templi.

[142] C’était ce qu’on appelait la summa honoraria, qui était sans doute un minimum fixé, mais dont le chiffre, en fait, devait varier suivant la fortune de l’élu ; cf. C. I. L., XII, 697.

[143] Cela résulte de ce qu’un individu se dit parvenu au sévirat à Lyon, Narbonne, Orange, Fréjus, ubique gratuitis honoribus (C. I. L., XII, 3203).

[144] C. I. L., XII, 410 ; autres, XIII, 1670, 1921.

[145] Honor municipalis est administratio reipublicæ cum dignitatis gradu sine cum sumptu sive sine erogatione contingens ; Callistrate, Digeste, L, 4, 14.

[146] Le règlement de Marc-Aurèle pour restreindre les frais de gladiateurs, règlement qui vise surtout la Gaule, marque qu’il a été fait pour restituere labentent civitatium statum et præcipitantes jam in ruinas principalium virorum fortunas (C. I. L., II, 6278).

[147] On trouvera la liste complète des munera dans le Digeste, L, 4, surtout 18. Cf. Kuhn, Die stüdt. ... Verfassung, I, 1864, p. 35 et s. ; Houdoy, p. 451-481 ; Ohnesseit, Philologus, XLIV, 1885, p. 518-556 (Das niedere Gemeindeamt in den rœmischen Landstädten) ; Kornemann, R. Enc., IV, c. 1800 et s.

[148] Digeste, L, 6, 6, 12.

[149] On a supposé que les præfecti fabrum de résidence municipale ont eu (bien que le titre leur vienne de l’empereur) le munus de surveiller et de diriger ces corporations dans l’exercice de leurs attributions publiques (surtout d’après C. I. L., V, 545-6) ; Maué, Der Præfectus fabrum, Balle, 1887, p. 83 et s.

[150] Les incolæ ou domiciliés étaient astreints aux munera (Digeste, L, 1, 34 ; 4, 3, 1).

[151] Schulten, Die Landgemeinden im rœmischen Reich (Philologus, LIII, 1894) ; le même, Die peregrinen Gaugenteinden (Rh. Mus., L, 1895), en particulier p. 522-531.

[152] Les quatre platiodanni (magistri viarum) pour le vicus novus de Mayence, tout en remarquant que Mayence ne formait pas alors une civitas (C. I. L., XIII, 6776). Cf. C. I. L., XIII, II, p. 303.

[153] Peut-être à Nîmes. — Je ne peux interpréter que dans le sens d’édile de ville ou mieux d’édile d’un seul quartier de Sens [celui de l’ancienne ville gauloise. Agiedincum ?] le magistrat appelé ædil. vikan. Agied. dans une inscription de Sens, datée de 250 (XIII, 2949).

[154] Peut-être à Vaison : præfectus Vasiensium ou Juliensium (C. I. L., XII, 1357, 1375) : l’expression de préfet semble indiquer un fonctionnaire délégué par le sénat ou les magistrats des Voconces. — Peut-être de même genre, le præfectus coloniæ [la ville chef-lieu ?], chez les Vellaves (XIII, 1577), à Sens (1684).

[155] L’expression (ordinaire en Narbonnaise) indique une délégation de l’autorité centrale de la cité : et c’est sans doute le cas lorsqu’il s’agit de pagi plus étroitement soumis, dès l’origine, à cette autorité. C’est peut-être à cette catégorie que pense Pline (III, 37), lorsqu’il parle d’oppida Nemausiensibus adtributa. Préfets de pagus, chez les Allobroges, XII, 2558, 2346 ; chez les Voconces, 1307, 1371, 1529. — Une institution du même genre est l’έπίσκοπος que Marseille envoyait pour gouverner Nice, demeurée ville dépendante (C. I. L., V, 7914, episcopus Nicænsium).

[156] Ædilis pagi Aletani (Taulignan chez les Voconces, XII, 1711 ; autre dans la même cité, 1377). Même remarque peut-être que pour magister.

[157] L’expression indique peut-être une nomination sur place, et cela a pu être le cas dans les pagi autonomes, égaux en droit à la capitale, ceux qui étaient dits contributi cum civitate. C. I. L., XIII, 604, 1670.

[158] L’existence d’un conseil de pagus résulte du fait que les pagi prennent des décisions collectives (XII, 594, 2, 342, 512, 1114 ; XIII, 5110). — C’est sans doute un conseil de ce genre que les vigintiviri pagi Deobensis chez les Voconces (XII, 1376). Les fonctions de ce conseil me paraissent avoir été surtout religieuses (XII, 2, 342, 512, 2561, 2562 a ; XIII, 1670) : le præfectus vigintivirorum pagi Deobensis paraît être, vu son âge de treize ans, quelque dignitaire religieux, délégué du conseil local (XII, 1376). — C’est d’un conseil de ce genre, et non du magister pagi (n. précédente), qu’il faut rapprocher les quatre magistri pagi du fanum des environs de Moux (XII, 5370).

[159] L’expression de vicus pouvait s’entendre même de vraies villes, comme Genève (XII, 2606-7, 2611). On disait aussi locus, même pour ces villes (Grenoble, XII, 2250 ; cf. 594).

[160] A Genève (XII, 2611). Il est impossible de savoir quel était le rapport administratif de cet édile avec le préfet du pays.

[161] Actor, à Grenoble (XII, 2250). — Également chez les Sénons, pour tout un pagus (actor publicus pagi Tout., XIII, 2949). — Curator peculi, à Saint-Remy ou Glanum (XII, 1005). — Curato]r ? Cenab. à Orléans (XIII, 3067). — Deux curatores vici à Béda chez les Trévires (XIII, 41 :32). — Chez les Helvètes, il semble qu’il y eut un curator dans chaque grand vicus, Lausanne, Soleure (XIII, 5026, 5170). Mais je me demande si presque tous ces curateurs ne sont pas postérieurs à 200 et ayant remplacé les édiles. — Un quæstor de vicus ?, à Belginum (XIII, 7555 a). — On trouve à Mayence curator vici, quæstor, actor (XIII, 6676) : ces divers fonctionnaires y semblent simultanés.

[162] Decemlecti, à Aix-les-Bains chez les Allobroges (XII, 2461), paraissant les délégués des possessores Aquenses (XII, 2459-60, 5874) : ces possessores semblent une sorte de collège, à caractère moitié administratif, moitié funéraire.

[163] Populus, à Albinnum, Albens, vicus des Allobroges (XII, 2496). Respublica, à Glanum (XII, 1005). Etc.

[164] Convicani, à Genève, XII, 2611 ; cf. 2492-6, 594, etc.

[165] Par exemple r(es)p(ublica) pag(i) II.M [nom du pagus] Autessioduri (C. I. L., XIII, 2920) ; pagani pagi Lucreti qui sunt loto Gargario (XII, 594).

[166] Par exemple, les Boïens, les Mandubiens. Quelques noms, qui sont de date récente (pagus Lucretius, dans le pays d’Arles ; Minervius, Orange, XII, 1243), ont dû être substitués à des noms anciens. Il y a une étude à faire sur ces noms. — Il est possible que l’État, surtout dans les cités coloniales, ait remanié quelques-unes de ces circonscriptions.

[167] C. I. L., XII, 594.

[168] Ærarium ? (XII, 2370) ; peculium (1005). Don de figlinæ à Aix-les-Bains, 2461 ; 3058, etc.

[169] Seviri dans les grands vici ; sacerdos (pagi ?), XII, 2558. — Genius pagi, XIII, 412 ; etc. — Ruines de temples dans tous les chefs-lieux connus de pagi, Alésia, etc., et dans les grands vici. — Patrons et bienfaiteurs, XII, 2461, 2492-6.

[170] Voir la revue Pro Alesia, depuis 1906.

[171] C’est ce qui explique la présence de jetons ou tessères de plomb aux noms de bourgades (C. I. L., XIII, 40029, 216, 221-4) : Alésia, Naix, Soulosse, Perthes, Ricciacum (cf. Longnon, Atlas, texte, p. 114, n. 11), toutes chefs-lieux de pagus. D’autres jetons de ce genre se trouvent peut-être dans la Collection Récamier, mais l’interprétation des lettres demeure douteuse (Dissard, Catalogue des plombs, 1905, p. XXI-XXIII). C’était sans doute la jeunesse du lieu qui était préposée à ces fêtes.

[172] C. I. L., XII, 594 : il semble même que ce soit un recours du pagus directement contre le proconsul.

[173] Pline, H. n., III, 37 ; Tacite, Hist., I, 66. Il n’est cependant pas hors de doute, malgré l’importance des ruines de Vaison (cf. Mela, II, 75), qu’il ait été aux temps gaulois le centre de la cité. Et il est fort possible qu’il y ait eu chez les Voconces de l’indépendance un chef-lieu administratif, Vaison, un centre religieux, Luc, le bois sacré. De même, peut-être les Arvernes, à côté de Gergovie, possédaient-ils leur sanctuaire ou bois sacré à Clermont, Νεμωσσός, sans doute équivalent de Nemetum.

[174] Cf. C. I. L., XIII, p. 472-5.

[175] Cf. C. I. L., XIII, 1112-6 ; Ausone, Epist., 15, 22 ; Notice des Gaules, 13, 4. — L’existence d’un grand marché et d’un sanctuaire important à la frontière de l’Angoumois et de la Saintonge, montre que les populations de ces deux pays ont formé dès l’origine deux groupes distincts.

[176] Cf. C. I. L., XII, p. 217-336. Genève est mentionnée dès 58 av. J.-C., Cularo ou Grenoble, dès 43 av. J.-C.

[177] En supposant que le texte de Pline ne signifie pas déjà le dédoublement Vocontiorum civilatis fœderatæ duo capita Vasio et Lucus Augusti (III, 37) ; Tacite appelle Luc (Hist., I, 66) municipium Vocontiorum.

[178] Il est impossible de fixer la date de ce dédoublement : je crois seulement qu’il n’est guère postérieur au premier siècle, et qu’il est contemporain de l’octroi du titre de colonie à Die (XII, 690), celle-ci étant alors substituée à Luc comme caput (n. précédente) : il y a très peu d’inscriptions latines à Luc (C. I. L., XII, p. 161).

[179] Sauf les dédoublements ou morcellements provoqués par les fondations coloniales : dans la Narbonnaise, chez les Rauraques, Ségusiaves, Helvètes, dédoublements qui ont été facilités par l’existence, dans ces civitates, de tribus à demi indépendantes.

[180] Cela n’est point prouvé pour la Gaule, mais je le conclus volontiers du fait qu’il y a, dans les chefs-lieux, une proportion plus grande de cives Romani que dans les pagi. — Il est probable que les principaux oppida ou vici, dans les territoires des colonies romaines, avaient le droit latin (cf. Pline, H. n., III, 36-7), c’est-à-dire que leurs habitants recevaient la bourgeoisie romaine lorsqu’ils arrivaient à l’édilité de leur canton ou à la curie de leur cité (cf. C. I. L., V, 532). Cela me paraît résulter de Pline pour les territoires d’Arles, Fréjus, Béziers, Narbonne et Orange. Et ce sont les cinq colonies formées par César de soldats romains. — En ce qui concerne Nîmes, il semble bien que, tant qu’elle fut latine, 24 oppida qui lui étaient attribués (Pline, III, 37 ; Strabon, IV, 1, 12), que ces oppida restèrent ignobilia, c’est-à-dire sans le jus Latii (cf. Pline, III, 37), et qu’ils passèrent à ce droit lorsque leur métropole arriva à celui de colonie romaine : toutefois, il y eut d’autres oppida nîmois égaux en droit à la colonie, comme les Samnagenses de Nages, qui eurent le Latium. — Chez les Allobroges, si l’on s’en tient à la liste de Pline, les oppida, comme Grenoble ou Genève, n’avaient pas encore le jus Latii, ce qui ne laisse pas que d’étonner. — Il y eut, évidemment, bien des variétés particulières se rattachant à la situation politique des pagi par rapport à la civitas : mais je crois qu’elles disparurent très vite en Narbonnaise, par l’extension à tous les pagi du Latium d’abord et de la civitas ensuite.

[181] Probable, sinon certain.

[182] L’importance de ces biens peut être tirée de l’existence, chez les Voconces, d’un præfectus... privat(is) (XII, 1368 : interprétation douteuse), de la confiscation des reditus de Lyon faite par Galba (Tacite, Hist., I, 65).

[183] Ferrariæ (municipales ?) pour Nîmes, XII, 3336 ; pour Narbonne, 4398 (conductor ferrariarum ripæ dextræ, de l’Aude ?) ; peut-être pour les Vellaves (XIII, 1576-7). — Pour les figlinæ, cf. C. I. L., XII, 2161. Il est fort possible que les potiers appeles Arvernus, Biturix, Rutenus, Tribocus, etc., aient été des esclaves municipaux chargés des figlinæ de la ville.

[184] Vectigalia (cf. Tacite, Hist., IV, 65 ?) ; peut-être le præpositus vectigalium de Lyon (XIII, 1799).

[185] C. I. L., XII, 1377 (ex multis et ære fracto, faux poids brisés et confisqués) ; XII, 2426, 2462.

[186] Soit pour l’eau amenée dans les maisons, soit pour les bains pris aux thermes publics (XII, 3179, bain gratuit accorde à un vétéran ; 594.

[187] Cf. XII, 1377 ; poids étalons à Nîmes, XII, 5699, 3 ; Tacite, Hist., IV, 65 ? ; les noms de lieux qui viennent de telo, teloneum, et qui sont à des frontières de cités, font songer à des octrois municipaux.

[188] Il est souvent question de pecunia offerte par les cités ou imposée à elles (Tacite, Hist., I, 57, 64, 66).

[189] C. I. L., XII, 4190 ? En particulier l’exploitation des bains publics (cf. XII, 594, 3179).

[190] C’étaient sans doute les achats et entretiens de gladiateurs qui, dans ce chapitre, coûtaient le plus.

[191] Les villes devaient avoir des réserves de blé (XII, 3179) pour distributions gratuites ou en cas de disette.

[192] Dès Tibère. Marseille : Strabon, IV, 1, 5 ; Tacite, Agr., 4 ; Ann., IV, 44 ; Autun : Ann., III, 43. Un texte formel de Strabon (IV, 1, 5) indique à coup sûr que les villes gauloises voulaient dès lors contribuer au traitement de leurs maîtres.

[193] Medicus co[loniæ ?, à Nîmes, XII, 3342. Et d’une manière générale, Strabon, IV, 1, 5.

[194] Hypothèques sur les biens des villes ? gravitate fænoris, Tacite, Ann., III, 40. — Il semble cependant que, sous Claude et Néron, elles se soient retrouvées fort prospères. Il y a eu, en cette matière comme en toutes les autres, bien des vicissitudes.

[195] Pour Vienne, Blanchet, Enceintes, p. 145.

[196] Ce désir de ressembler à Rome a dû se manifester dans toutes les villes ; cf. Panegyrici, VII [VI], 22 ; et t. V.

[197] A Besançon, C. I. L., XIII, 5380-1.

[198] Je laisse de côté les affaires de 21 et 70.

[199] Digeste, I, 18 (De officio præsidis) ; Pline, Lettres, X, ad Trajanum ; Strabon, III, 4, 20 ; etc.

[200] Pline, X, 47.

[201] Surtout aux séances d’élection (Digeste, XLIX, 4, 1, 4).

[202] Digeste, XLIX, 4, 1, 3-4. La nomination de l’empereur ou d’un prince comme magistrat municipal, a pu être une façon à intervenir. Et de même, par exemple à Narbonne, la fréquence d’un præfectus, résulte peut-être d’interventions du gouverneur.

[203] Frontières entre Viennois ou Allobroges et Ceutrons de la Tarentaise, délimitées par un légat do la Germanie Supérieure (C. I. L., XII, 113), légat dont l’autorité supérieure a pu s’étendre sur les provinces des Alpes.

[204] Pas avant Vespasien, je crois. Un sénateur romain (de Riez ?), curator à Avignon (C. I. L., XII, 366) ; un chevalier romain et magistrat nîmois, curator à Aix, sous Trajan ou Hadrien ? (3212) ; un Nîmois de même qualité, curator à Avignon, Cavaillon, Fréjus, peut-être Apt (3275) ; un ancien magistrat des Pictons, chez les Bituriges Vivisques (XIII, 1697) ; un Sénon, curator à Orléans ? ? (XIII, 3067).

[205] Voir Kornemann ap. Wissowa, R.-Enc., IV, c. 1806 et s. — Une intervention d’un genre particulier parait être la substitution, sur Nice et son territoire, à l’episcopus marseillais, d’un procurator impérial (ducenarius) episcepseos choræ inferioris, le pays d’en bas ou le rivage (peut-être y compris les îles d’Hyères), par opposition aux Alpes Maritimes (C. I. L., V, 7870). Cette mainmise sur l’antique domaine marseillais, qui se place peut-être sous Caracalla, a dû être provoquée par quelque trouble local ou quelque manifestation intempestive des Marseillais.

[206] Tacite, Ann., III, 40, et surtout Hist., I, 67 ; IV, 55, 69.

[207] Pour ce qui précède : Tacite, Hist., IV, 55 et 67 ; Ann., III, 40 et 46 ; C. I. L., XIII, 1048 ?, 1541.

[208] C. I. L., XIII, 1541 (omnibus honoribus in patria functus), 1695, 1703, 2873 ; XII, 3273 ; etc.

[209] L’usage de prendre un prince pour patron a dû cesser de très bonne heure.

[210] Afranius Burrus a été patron de Vaison, dont on le suppose originaire (C. I. L., XII, 5842) ; autres, 366, 1748, 1853, 1856.

[211] C. I. L., XII, 3275, et les mêmes que dans la note précédente.

[212] C. I. L., XII, 366, 1853.

[213] XII, 59, 701, 1868, 2608, 3275.

[214] XII, 368, 516.

[215] Cf. les cinq notes précédentes, et Dessau, II, p. 537-9. — Funérailles et tombe publiques à un princeps de la cité (XIII, 1645). Statues à un ancien magistrat (XIII, 2585). Etc.

[216] D’autant plus qu’il arrivait que le bénéficiaire fit les frais de la statue, une fois votée par le conseil, honore contentus impendium reipublicæ remisit (XII, 701 ; cf. XIII, 1900 ; etc.).

[217] Ausone, Ordo urbium, 128 et s. ; Panegyrici, VIII [V], 3 et 14, Bahrens.