I. — L’EMPIRE ROMAIN. L’État romain, dont la Gaule faisait partie, était devenu, au temps de César, le plus vaste que l’humanité eût encore connu : des empires qui avaient autrefois grandi parmi les hommes, aucun ne s’était efforcé avec une énergie plus tenace de régner sur toutes les terres et de grouper toutes les nations. Cette idée d’un empire universel était fort ancienne : l’origine s’en perdait dans les mystères de l’histoire primitive. Les temps des Ligures et peut-être, auparavant, ceux de la pierre polie et des cavernes même, avaient vu des millions d’hommes réunis par une langue commune et des institutions semblables. Hercule, Bacchus, Jason, les grands voyageurs de la mythologie hellénique, sont sans doute des souvenirs gravés dans l’imagination des peuples par des héros partis pour de lointaines conquêtes[1]. Si belle, si aimée que fût jadis la cité, elle ne resta jamais la seule forme de l’idéal politique. Au-dessus de la patrie municipale, de ses orgueils ou de ses égoïsmes, on laissa flotter des images d’empire, rêves de gloire chez les chefs, de fraternité chez les sages et les poètes. Dans les royaumes de l’Orient, dans les bourgeoisies marchandes de la Méditerranée, dans les peuplades barbares de l’Occident, partout il a existé des hommes qui ont voulu ou chanté des conquêtes mondiales : Carthage a eu ses Barcas, Rome ses Scipions, et la Gaule ses neveux d’Ambigat. Avec Cyrus en Asie[2], avec Alexandre en Grèce[3], ces images avaient pris corps ; et désormais le monde classique hésita, dans sa vie sociale, entre la tradition de la cité sainte et la majesté d’un empire souverain[4]. Rome, depuis l’époque de Scipion l’Africain jusqu’à celle de César, avait rendu toute sa force à l’idée d’empire. Jamais le mythe d’Hercule, conquérant universel, ne fut plus près de devenir une réalité. Le domaine de la ville italienne dépassait de beaucoup en étendue, en richesse, en variété, le royaume de Cyrus et celui d’Alexandre. Ils n’avaient compris que les terres de l’Orient et les rives extrêmes de la Méditerranée[5]. Rome possédait la meilleure partie de cet Orient, où elle se croyait l’héritière légitime du grand roi de Macédoine[6] ; elle était seule maîtresse sur les bords de cette mer Méditerranée, dont les marchands et les poètes de la Grèce avaient fait le centre de l’activité humaine ; et, en outre, bien au delà de cette mer, César venait de conduire les légions du peuple romain dans les terres les plus lointaines de l’Occident et du Nord, sur les rivages de l’Océan, par lequel finit le monde[7]. Si ce peuple avait réussi là où Alexandre eût peut-être échoué, ce ne fut pas, comme l’écriraient ses historiens, parce que les dieux avaient voulu sa prodigieuse fortune[8]. Les causes de son triomphe se trouvaient, non dans le ciel, niais sur la terre[9]. Rome était au milieu de l’Italie[10], et l’Italie était le pays central de la Méditerranée[11] : elle pouvait donc rayonner à la fois sur toutes les eaux, sur tous les rivages, sur toutes les terres qui dépendaient de ces deux noms ; elle faisait face a l’Afrique, et elle s’appuyait sur l’Europe ; elle était à égale distance de Cadix, l’antique métropole de l’Atlantique, et d’Alexandrie, la nouvelle conquérante de l’Océan Indien[12]. Par le port de Brindes, Rome et l’Italie regardaient l’Orient[13] ; par celui de Pise, elles menaçaient l’Espagne et la Gaule, par les cols des Alpes, elles maîtrisaient le Rhin et le Danube. Plus qu’aucun lieu du sol connu, Rome pouvait passer pour ce nombril de la terre, dont les Anciens cherchaient la place[14]. Grâce à sa situation, Rome s’était mise en rapports avec les nations les plus diverses, les monarchies théocratiques de l’Orient, les villes fortes de la Méditerranée, les peuplades guerrières de l’Occident ; et elle avait pu imposer son nom et ses lois aux formes les plus opposées de la vie humaine. Cette cité avait vraiment joué le rôle d’intermédiaire entre tous les hommes, corps et âmes. De ces contacts si différents, celui de la Barbarie occidentale, brutale et vigoureuse, et celui de l’Orient, subtil et raffiné, il était résulté pour Rome plus de puissance, plus de moyens d’action, plus de titres à devenir souveraine[15]. En face de l’hellénisme, elle se montrait comme une cité, aussi sainte que toutes les autres : les Grecs admiraient en elle des institutions pareilles aux leurs, elle s’était façonnée à l’école de leurs artistes, de leurs poètes, de leurs philosophes, elle avait transformé ses dieux suivant les images des dieux de l’Olympe, elle s’estimait tributaire de Delphes, et elle plaçait près de son berceau un héros chanté par Homère. — Mais, sous ces dehors classiques, l’État romain conservait des pratiques habituelles aux Barbares de l’Occident. Sa vie normale fut toujours de faire la guerre, de piller et de conquérir[16], et rien n’avait changé à cet égard depuis les temps reculés où le peuple de Rome sortait en armes, chaque printemps, pour voler les bestiaux et les moissons du voisinage, emmener des esclaves et prendre des terres : la fondation de l’Empire s’expliquait, en dernière analyse, par les passions qui remuaient sans cesse les nations gauloises et les tribus germaniques. Aussi ces Occidentaux devaient-ils reconnaître des maîtres de leur sang et de leur humeur dans les légionnaires invincibles et ensanglantés qui parcouraient la terre à la suite du génie des batailles. Les Grecs les avaient couronnés de fleurs comme des frères revenus au foyer[17] ; les Barbares se prosternèrent devant eux comme devant des dieux plus forts que leurs dieux. Des motifs très opposés de respecter et d’obéir maintenaient la communion des hommes autour du nom romain. On pouvait de plus en plus donner à ce nom le sens d’un nouveau nom du genre humain : car il embrassait, dès lors, tout ce qui avait compté dans l’histoire du monde par sa force ou par sa vertu[18]. Ce qu’on appelait l’Empire romain, au temps de César, ce n’était pas seulement Rome, son peuple, son Capitole et son imperator, mais c’était encore Carthage et les ruines de son domaine africain, la Gaule et le souvenir des terreurs celtiques, Cadix et ses routes de la mer, Alexandrie et le tombeau du grand roi, Athènes et la pensée de Socrate, Troie le plus riche foyer de la poésie, Delphes le plus fameux sanctuaire de la religion : ces noms de héros, de villes ou de temples, qui se sont imposés au culte de tous les hommes, Rome les domine et les protège maintenant, et ils collaborent avec elle à faire l’unité morale de son empire[19]. L’Empire romain parut donc, aux yeux des contemporains de César, la conclusion providentielle de l’histoire des mortels[20]. On se plut à négliger les peuples et les terres innombrables qui ignoraient ce nom de Rome : Bretons, Germains ou Scythes au delà du Rhin et de l’Océan, Éthiopiens au sud des déserts, et même ces Parthes et ces Indiens devant lesquels avaient reculé Alexandre et Pompée, tout cela, disait-on, ou ne valait pas son prix d’hommes, ou ne demandait qu’à obéir à la cité romaine[21]. Personne n’hésitait à voir dans le monde entier le lot et le domaine de cette cité, à confondre en une seule et même expression l’humanité et l’État romain : genus humanum, le genre humain, et orbis terrarum, la terre ou l’univers, signifieront désormais la même chose que le peuple romain et son empire[22]. II. — LA SOUVERAINETÉ DE ROME. Entre l’empire de Rome et ses deux plus célèbres précurseurs, celui de Cyrus et celui d’Alexandre[23], il existait cette différence essentielle, qu’il était l’empire d’une ville, et non point celui d’un homme. Alexandre fut roi de Macédoine. Mais combien peu la Macédoine, ses villes et leurs peuples, pesaient dans l’esprit des sujets, des ennemis et des dévots de l’empire ! Ce qui fit l’unité, la force et la majesté de cet État, c’étaient la fortune de l’homme qui l’avait fondé, la suite de ses victoires héroïques, les légendes de sa naissance surhumaine, son ascension graduelle à la divinité. Les peuples ne voulurent admirer dans l’empire d’Alexandre que le nom et la personne du nouveau dieu[24]. Tout autre se présentait l’Empire romain. Les chefs et les héros s’effaçaient derrière un peuple souverain[25]. Il était l’apothéose, non de l’homme, mais de la cité. Le régime municipal, sous lequel avait vécu le monde méditerranéen, recevait de cet Empire une formidable consécration. Ce qui commandait aux nations, c’était le nom d’une ville, les remparts qui marquaient son enceinte, la société politique que cette enceinte abritait, citoyens, sénat et magistrats, et c’étaient les dieux qui y séjournaient. Les quelques arpents de terre qui formaient cet enclos, étaient devenus le lieu maître du monde[26]. Cette souveraineté de la ville de Rome émanait tout à la fois des lois, de la religion, du prestige de sa grandeur, de l’attraction inhérente à sa masse. L’autorité suprême, dans l’Empire, avait pour principe une décision du peuple romain, prise au Forum ou au Champ de Mars, en vue ou près du Capitole[27]. Comme le pouvoir s’enveloppait alors de formes sacrées, ce sol dominateur fut saint pour le monde entier, et on vit celui-ci se courber devant Rome, déesse éternelle et forte[28] : Jupiter, le dieu du Capitole, parut le père commun de mille nations obéissantes[29]. Les villes sujettes copiaient Rome, à la façon dont les hommes imitaient Hercule ou Alexandre. On voulut partout parler sa langue, bâtir des édifices sur le modèle de son Capitole[30], et bien des cités provinciales prétendirent à s’appeler de petites Romes[31]. Centre politique et moral des hommes et des terres, Rome attirait à elle leurs énergies de tout genre. Des millions d’êtres y élurent domicile[32]. Pour loger, nourrir, occuper cette multitude, il fallut recourir aux ressources des pays soumis. Le blé de l’Égypte[33] et de la France même[34] servaient à la plèbe romaine. Dès le jour de la conquête, la Gaule sentit la force irrésistible qui enchaînait sa vie à celle de la grande cité : l’or de ses temples fut destiné à l’embellir, et les bêtes de ses forêts iront bientôt distraire les loisirs du peuple-roi[35]. Le régime de la cité, combiné avec l’idée d’empire, aboutissait à la formation d’un être monstrueux, détruisant ou absorbant tout. Rome n’en demeurait pas moins une simple ville. Ses chefs se rendaient compte que le meilleur de sa puissance résidait en un foyer de cité[36]. Ils n’avaient jamais consenti à modifier le principe municipal de l’Empire. Quand le sénat eut conquis le Latium, il le maintint comme une ligue de bourgades dont Rome serait la tête[37]. Quand l’Italie fut soumise, la péninsule resta une société disparate de villes sous les ordres d’une ville souveraine[38]. Maîtresse de l’Occident et de l’Orient, Rome se déclara la cité qui commande à des rois et à des peuples, et ce furent ses magistrats qui leur portèrent ses ordres[39]. Certes, le nombre de ses citoyens s’était accru démesurément : Latins et Italiens avaient reçu ce titre, et déjà quelques Gaulois le prenaient. Mais le principe d’autorité ne s’était point détaché Au sol sacré de la ville : tout citoyen romain, fût-il domicilié à Narbonne, n’avait d’autre patrie que Rome ; il était inscrit sur les registres de ses tribus, et il ne votait qu’au Champ de Mars[40]. Et si les citoyens romains, dispersés dans l’univers, se comptaient par millions, les remparts de la ville ne s’étaient point agrandis, et les lieux saints n’avaient point bougé. C’était, pour la domination de Rome, une nouvelle cause de durée. Œuvre d’un homme, l’État d’Alexandre avait disparu avec lui. Lié au sol d’une ville, aux dieux et à la gloire de ce sol, l’Empire romain n’avait jamais fait que croître. Son histoire ressemblait, écrivait-on, à celle d’un être vivant, conquérant sans relâche[41] : mais cet être était un héros dont le foyer restait sur la terre et qui ne la quitterait pas, à la différence d’Hercule et d’Alexandre. Rome ne devait point périr : elle était la Ville Immortelle par excellence, Urbs Æterna[42]. L’éternité du rocher où trônait le Jupiter du Capitole annonçait l’éternité de l’Empire. III. — LA SOUVERAINETÉ DE CÉSAR. Mais, à mesure que l’empire de la ville brandissait sur le monde, l’empire d’un seul grandissait sur Rome. Le premier magistrat qui soit sorti de l’Italie pour une conquête lointaine, Scipion l’Africain, est le premier qui se soit affranchi des lois de la cité, et qui ait peut-être rêvé de lui imposer un maître[43] ; et le proconsul qui venait d’achever cet empire par la soumission de la Gaule, Jules César, ne cachait pas son dessein de devenir un nouvel Alexandre. La monarchie, à Rome, fut en effet la conséquence des conquêtes. Elles lui donnèrent le pouvoir sur de nombreux peuples, barbares ou civilisés, qui ne comprenaient pas une autre autorité que celle d’un monarque[44]. Il ne s’agit pas seulement de l’Orient, où la royauté était la seule forme de la souveraineté que les hommes connussent de temps immémorial. Mais l’Occident avait partout, lui aussi, cette manière de commander et d’obéir. En Espagne, Scipion l’Africain fut salué du titre de roi par les indigènes vaincus[45]. Et j’imagine que les Gaulois, chez lesquels le prestige de la royauté demeurait vivace, acceptèrent en César moins le magistrat de Rome que le héros vainqueur. Le principe monarchique demeurait également au fond des magistratures de toutes les cités, et surtout de celles de Rome, dépôt laissé dans les lois et les coutumes par les âges les plus anciens[46] : et, à chaque révolution, ce principe se réveillait dans l’une ou l’autre de ces magistratures. Caïus Gracchus comme tribun[47], Marius comme consul[48], n’avaient pas été autre chose que des monarques : ce qu’était maintenant César sous le titre de dictateur[49]. Ce qui, dans les institutions de Rome, ressemblait le plus à la puissance absolue d’un seul, était précisément l’autorité qui commandait aux peuples sujets, celle du gouverneur, imperator, proconsul dans les provinces et chef des légions. Dans les magistrats qui leur parlaient au nom de Rome, les provinciaux ne pouvaient voir que les égaux des rois. Maître pendant dix ans de ses soldats et des Gaules, César inaugura comme imperator son pouvoir souverain sur le monde. Des germes de royauté se trouvaient aussi dans les institutions sociales du monde antique. Le père de famille était pour les siens, pour ses esclaves, ses affranchis, ses enfants même, un maître et un patron, et, plus que cela encore, une manière de demi-dieu, de Génie protecteur[50]. Quand la conquête et l’exploitation du monde mirent entre les mains de quelques chefs de maisons, comme Crassus, Pompée ou César, un nombre immense d’esclaves et d’affranchis, ce furent autant de familles qui s’épanouirent en royautés. La coutume de la clientèle ou du patronage, en passant de Rome sur le monde, amena des résultats pareils[51]. Pompée, patron des rois, des villes et des peuples, parut gouverner un instant toute la terre par la seule influence de ses clients, de ses hôtes et de ses amis. Que ces divers éléments se rapprochent et se combinent : et la monarchie qui en résultera deviendra la plus absolue et la plus complète dont l’humanité ait jamais souffert. Car elle disposera de tous les moyens de commander que le monde ait connus : royauté, magistrature, paternité, patronage et divinité. L’autorité de César et de ses héritiers sera, en dernière analyse, l’exagération inouïe du pouvoir et du culte d’un homme, de même que l’État romain avait poussé jusqu’à la merveille le pouvoir et le culte de la cité. Comme monarchie et comme domaine municipal, l’Empire romain est bien la suite quasi fatale de l’histoire des temps antiques. IV. — MAINTIEN DES TRADITIONS NATIONALES. Si absolue que fût l’autorité d’une ville ou celle d’un homme, elle n’allait pas jusqu’à abolir tous les vestiges du passé. La Gaule, lorsqu’elle entra dans l’Empire romain, y conserva d’abord la plupart des anciennes pratiques de sa vie nationale. Que les guerres, les victoires et les conquêtes des hommes d’autrefois, fils de l’Arès grec ou du Mars latin, aient presque toujours abouti à des atrocités, ruines de choses, carnages de multitudes, esclavages d’êtres, nul ne peut en douter, et les luttes militaires des temps modernes n’ont jamais offert rien de pareil. Le dieu du combat ou le dieu du triomphe étaient, par nature, des agents de destruction. Mais, l’œuvre de mort achevée, il était rare que le vainqueur supprimât les sociétés humaines, nations, cités, tribus, peuplades ou ligues, encore qu’il eût anéanti les édifices et les familles qui les constituaient. Pour un Grec ou un Romain, ces sociétés n’étaient pas seulement des réunions d’hommes, elles étaient encore des personnes religieuses. Elles avaient leurs dieux propres, leurs lieux saints, leurs fêtes communes, leur nom collectif, magique et sacré[52] Ces choses, vieilles et divines, le vainqueur ne se sentait point toujours le droit, le courage ou le pouvoir de les abattre[53]. Dix fois vaincu, le nom ou la ligue étrusque survivait sous les lois de Rome, avec ses cités fédérées, ses assemblées périodiques, ses dieux et ses chefs nationaux[54]. — Cela, bien entendu, n’était plus qu’une image sans force, un cadre sans vie, comme les ombres des hommes qui s’agitaient aux enfers. A cette pratique, le peuple romain trouvait un double avantage. D’abord, il respectait les formes religieuses qui avaient une fois pris naissance sur la terre, et les dieux des vaincus, ainsi caressés, s’attachaient à le servir[55] Puis, ces groupes politiques, cités, tribus ou peuplades, étaient des cadres naturels prêts pour recevoir les lois du nouvel empire : il gouvernerait mieux et plus vite en s’aidant des habitudes anciennes qu’en créant des règles nouvelles. — Il est vrai qu’un danger restait à craindre : ces cadres, ces sociétés, ces chefs, pouvaient servir, dans une heure de colère, à assembler des conjurés et à organiser des révoltes. Mais la politique de l’État romain allait sans cesse veiller à écarter ce danger, à faire que ces cités ou ces nations eussent plus de motifs d’obéir que de s’insurger, de s’adapter au présent que de s’attacher au passé. Quelques crimes que César et les Romains aient commis dans la Gaule, ils s’épargnèrent celui de la supprimer elle-même, j’entends par là de supprimer son nom, les formes présentes de sa vie, les mots et les lieux où étaient fixés les souvenirs de son passé. Tous ces êtres que le récit d’une histoire déjà longue nous a rendus familiers, villes populeuses telles que Bibracte, peuplades séculaires telles que les Éduens, antiques dynasties de chefs, vastes domaines de l’aristocratie, sociétés de grands prêtres et dieux éternels du sol, et le nom même et la personne de la Gaule, nous allons les voir continuer leur vie, comme si le temps de la conquête en avait été un simple épisode. Et si, après le passage du proconsul, cette Gaule n’était plus qu’un corps épuisé, sans énergie et sans souffle[56], il n’en subsistait pas moins, toujours vivant, pourvu de ses organes traditionnels. V. — DU MÉLANGE ENTRE VAINQUEURS ET VAINCUS. Cette Gaule resterait-elle soumise aux Romains ? et si elle le restait, serait-ce toujours à l’état de nation sujette d’une ville ? A la première de ces questions, la réponse pouvait être indécise. Assurément, pas un des sujets du peuple romain n’avait pu recouvrer l’indépendance. Mais aucune des nations vaincues, ni Carthage, ni la Grèce, ni les peuplades de l’Espagne n’étaient comparables à la Gaule pour l’étendue, la richesse du sol, le nombre des habitants. Puis, au moment même où César achevait cette conquête, l’Empire romain, tiraillé par le sénat et lui, allait peut-être se rompre pour toujours. Nul ne savait s’il serait assez fort pour garder la Gaule, ou la Gaule assez courageuse pour reprendre sa liberté. .Mais, si elle devait demeurer partie intégrante de l’Empire, on pouvait affirmer que ce ne serait pas toujours à titre de nation tributaire. Jamais, dans l’histoire de Rome, ces situations respectives de vainqueurs et de vaincus, de ville souveraine et de peuple sujet, n’avaient été de très longue durée. Elles étaient depuis longtemps disparues du Latium ou de l’Italie, et César venait de les supprimer dans la Gaule Cisalpine, où il n’y avait plus guère que des citoyens romains[57]. Ce qui s’était passé chez les Gaulois du Pô, faisait présager le sort de leurs frères transalpins. Ceux-ci, lors des campagnes de César, s’étaient indignés du sort misérable des Insubres et des Cénomans, esclaves des Romains[58] La vérité était différente. Les Insubres, par exemple, avaient été le peuple le plus puissant de l’Italie gauloise, où son rôle avait ressemblé à celui des Arvernes parmi les Celtes. Mais au temps de César, on commençait, et chez eux et dans leurs villes même, à oublier ce nom d’Insubres, et ce ne sera bientôt plus qu’un souvenir d’érudit[59]. En son lieu et place, on nomme et on connaît surtout la ville de Milan, Mediolanum, capitale de la nation. Milan est un nom celtique : mais la ville, places, rues et monuments, rappelle Rome et non Bibracte[60]. Ses habitants sont d’origine gauloise, mais César les a faits citoyens romains, et ils vont à Rome pour voter au Champ de Mars ou siéger au sénat[61]. Ils ont toujours leur grande déesse nationale, mais ils l’appellent maintenant Minerve, et ils l’adorent sans doute sous la figure de la déesse du Capitole, fille de Jupiter[62]. Le sol, les hommes, les dieux, les noms, les pierres et les pensées étaient devenus également romains[63]. Pour comprendre cette fusion des vainqueurs et des vaincus en un seul corps social, cet accord accepté avec joie par les uns et les autres, il faut nous dégager de nos idées traditionnelles sur le monde antique. Nous nous le figurons volontiers comme un amas incohérent de villes solidement murées, de peuples toujours rivaux, de dieux égoïstes et jaloux, de patries étroites et féroces, pour qui tout étranger était un ennemi[64]. Il est bien vrai que ces sentiments existaient, de même qu’ils existent dans le monde d’aujourd’hui, litais ils n’empêchaient point les sentiments contraires, et les hommes et les dieux, plus souvent que ceux des temps modernes, trouvaient mille raisons de s’entendre. Il n’y avait pas entre les peuples ces questions ou ces sophismes de races que notre temps a imaginés. Asiatiques et Grecs, Gaulois et Romains ne se croyaient pas d’une nature spéciale, et ne pensaient pas que des ancêtres différents les eussent engendrés[65]. La plupart d’entre eux se disaient également les fils de la Terre[66]. D’étranges généalogies affirmaient l’unité de la race humaine[67], et les fondateurs d’empires parlaient de la rétablir. Les légendes grecques, l’épopée d’Hercule et celle de Troie, s’étaient répandues jusqu’aux extrémités de l’Occident[68]. Des peuples barbares eux-mêmes les acceptaient comme articles de foi : Éduens et Arvernes se prétendaient issus d’Ilium et par là frères des Romains[69]. On faisait venir Hercule à Alésia[70], les Argonautes sur les lacs des Helvètes, les Dioscures aux rivages de l’Océan[71], et Ulysse le long du Rhin[72]. Je sais bien que c’étaient là propos d’école, et non pas croyances du vulgaire. Mais c’est de l’école que naissent les légendes et les fables, et les moissons les plus drues de la flore populaire viennent de semences jetées par le maître ou le poète. Or, en ce temps-là, poètes et maîtres ne s’inspiraient que d’Homère, et convertissaient l’univers entier à la foi qui inspirait ses poèmes[73]. Les dieux ne se traitaient pas d’ordinaire en ennemis, comme le dieu de saint Martin devait traiter Mercure et Jupiter[74]. Car la vérité était, non pas dans l’amour d’un seul dieu, mais dans la crainte de tous[75]. Le peuple romain prodiguait ses offrandes à l’Apollon de Delphes[76], les Gaulois de Provence vénéraient les divinités de Marseille, et l’empereur Auguste élèvera un temple au dieu ligure du Mistral[77]. Tandis que les dieux acceptaient tous les hommages, leurs peuples ne refusaient aucune amitié. On avait imaginé des formules et des titres très divers pour les unir entre eux. Alliance, fédération, amitié, fraternité, clientèle, hospitalité, pouvaient faire de plusieurs villes une seule et grande famille. L’étranger était accepté sur le sol et dans les murs de la patrie : les Ligures laissèrent les Grecs fonder Marseille, et celle-ci admettait sans crainte les services des Gaulois et les séjours des Romains. Il n’existait pas de belle ville maritime, Cadix, Carthage, Syracuse, Alexandrie, qui ne parût un mélange de cent nations[78]. Sauf de rares exceptions, les cités finissaient par ouvrir au grand nombre les rangs de leur bourgeoisie[79]. Et si Rome, à cet égard, fut plus accueillante que les autres États du monde antique, si elle adopta des citoyens de partout et depuis son origine même[80], cela ne tient point au caractère propre de ses institutions, mais à sa situation sur la terre et aux évènements de son histoire. Placée, dès le temps de sa fondation, au point de rencontre de peuples rivaux, Latins, Sabins, Étrusques et gens de la mer, elle ne se débarrassa d’eux qu’en les absorbant en elle, et elle finira par faire du monde entier ce qu’elle a fait de ses voisins d’Italie[81]. Ce qui aida le plus à ce mélange des hommes, c’est que, tout bien pesé, les ressemblances entre leurs lois ou leurs pensées étaient plus fortes que les divergences. Une peuplade gauloise, avec son vergobret annuel à puissance royale, ses sénateurs aux aguets sous la menace d’une tyrannie, sa plèbe prête à se faire acheter par les largesses d’un grand, avec sa ville souveraine devenue le lieu de ses assemblées et le centre de ses résistances, cette peuplade gauloise, qu’elle s’appelât les Éduens ou les Arvernes, ressemblait singulièrement au peuple romain de Publicola ou à l’Attique de Solon[82]. Et s’il y avait des contrastes, ils venaient de l’étendue du territoire et des mœurs des hommes : c’étaient des différences d’aspect et non pas de nature[83]. Au reste, un homme de ce temps, Barbare ou Gréco-romain, voyait plus volontiers les analogies que les oppositions. Il avait l’invincible désir de retrouver chez l’étranger des coutumes et des croyances pareilles aux siennes. Les géographes qui décrivirent l’Occident, crurent reconnaître le bouclier des Grecs chez les Ligures et le mariage hellénique chez les Ibères[84]. Lorsque Jules César exposa, dans ses Commentaires, la religion des Gaulois, il appela leur dieu Bélénus du nom d’Apollon, et il supposa qu’ils adoraient, sous des vocables indigènes, Mercure, Minerve et Jupiter[85]. Et bien avant l’instant de la conquête, quelques Gaulois, sur ce point, pensaient sans doute comme César. Chez ces peuples de l’Empire, Ligures, Gaulois, Ibères ou Germains, Italiens, Hellènes ou Phéniciens, toutes les institutions semblaient conformes à un modèle commun. Il suffira de peu d’efforts au peuple romain pour les adapter au type qu’il leur imposera, et qui sera celui de ses institutions propres. Mais pour que cette transformation se produise dans la Gaule, il faut qu’elle se résigne à obéir, il faut que ses traditions nationales soient moins fortes que l’attraction vers les choses romaines. — La perte graduelle et de son amour pour la liberté et des souvenirs de son passé va former une nouvelle période dans son histoire ; et si ces temps sont moins riches en épisodes dramatiques que ceux de ses victoires et de ses défaites, la tristesse qui accompagne le déclin des nations leur donne pourtant de la grandeur et de la beauté. VI. — LA GAULE FIDÈLE À CÉSAR. La preuve la plus décisive de sa volonté d’obéir, la Gaule la fournit au lendemain même de la conquête. Marseille soumise, César quitta la Gaule (octobre 49), pour n’y plus revenir qu’en passant[86]. Désormais, il sera le plus souvent séparé d’elle à la fois par les montagnes et par la mer. Ses ennemis les plus dangereux sont d’abord en Orient, buis en Afrique. Même si la Gaule se révolte, ce n’est pas César qui pourra la combattre. Si elle n’a plus à redouter l’homme, elle a des raisons de ne pas respecter encore Rome et l’Empire. Rome n’apparaît plus au monde que comme une sentine de vices, le sénat est dispersé aux quatre vents du ciel, le peuple sans magistrats légitimes, et l’Empire morcelé entre plusieurs armées, chacune avec son imperator[87]. Pourtant, la Gaude demeura fidèle à Rome et à César. Pas une seule fois le dictateur n’eut à craindre de la voir s’insurger ou passer à ses rivaux[88]. Un seul peuple prit un instant les armes, celui des Bellovaques (en 46). Mais sa révolte fut étouffée par Décimus Brutus, alors en Gaule[89] ; et, comme la nation du Beauvaisis avait été récemment, et la dernière de toutes, battue et décimée par César, comme, du reste, elle avait l’habitude d’agir par elle-même, à ses risques et périls, il est probable que cette prise d’armes fut fort peu de chose, courte et isolée, juste suffisante pour mériter le titre d’imperator au lieutenant préféré de César[90]. Partout ailleurs, du Rhin aux Pyrénées, c’est déjà, ainsi que le diront les Anciens, la paix immuable des temps impériaux[91]. Cette obéissance de la Gaule complétait l’œuvre qu’avait préparée sa défaite. En la conquérant, Jules César avait donné à Rome la domination incontestée de l’Occident ; et cette même conquête, en accroissant la force de César, avait amené son usurpation. Maintenant, la fidélité de la Gaule à son vainqueur permet à celui-ci de garder le pouvoir absolu et de rétablir l’unité impériale. Elle est la plus récente des provinces, et c’est celle qui contribue le plus à consolider la grandeur de Rome et à fonder la monarchie. Cette extraordinaire fidélité de la Gaule dut étonner les contemporains[92], et elle nous étonne encore. — Que, pour obéir, elle ait préféré César à Pompée, cela s’explique sans peine Pompée n’avait pu multiplier au delà des Alpes, comme il le fit en Espagne et en Orient, ses clients, ses amis, ses hôtes et ses obligés. César l’avait fait : en sa qualité de créateur de la province de Gaule, il était devenu son patron naturel. — Mais c’est précisément ce que je n’arrive pas à comprendre, que cette Gaule ait voulu demeurer une province. Certes, j’aperçois bien des motifs à son obéissance : la détresse où dix ans de guerre l’ont laissée ; son impuissance invétérée à s’entendre dans des résolutions communes ; le départ forcé des principaux chefs à la suite de César ; la présence de bonnes garnisons[93] et de gouverneurs énergiques, tels que Décimus Brutus ; la précaution prise par le proconsul de donner le pouvoir, dans les cités, à des familles dont il soit sûr[94] ; un espionnage sévère exercé dans- tout le pays par les marchands, qui l’ont déjà envahi[95] ; peut-être le plaisir, nouveau chez les Gaulois, de vivre enfin sans querelles et sans partis[96]. Mais tout cela ne suffit pas à expliquer l’abdication de la Gaule pendant la dictature de César, pendant les quinze ans de guerres civiles qui suivirent le passage du Rubicon. Et je me demande si la nation n’a pas eu, pour se résigner à être romaine, des raisons plus nobles et plus profondes que la crainte et la misère : le respect sacré du héros qui l’avait maîtrisée, ou la fidélité religieuse à des paroles solennelles de soumission prononcées devant Alésia. Lorsque César, après la mort de Pompée et de Caton, put enfin célébrer à Rome son triomphe sur la Gaule[97] (juin 46[98]), l’attitude de la vaincue avait donc montré à l’univers que ce triomphe serait, non pas une formalité d’apparat, mais la consécration solennelle de faits décisifs. — Autour du char du triomphateur, des écriteaux résumaient ces faits eux-mêmes, trois cents tribus soumises, huit cents gilles prises, trente batailles gagnées, trois millions d’ennemis combattus, un million d’esclaves, un million de cadavres : rien de cela n’était un mensonge. La figure de Marseille domptée rappelait aux Romains qu’ils avaient écarté la Grèce de l’Occident pour se le réserver[99]. Et enfin, enchaîné au-devant du char de César[100], Vercingétorix était l’image de la Gaule entière, que l’Arverne avait commandée et que César avait réduite en lui[101]. Le soir du triomphe, tandis que César, à la lueur des flambeaux, montait au Capitole pour remercier les dieux du peuple romain[102], Vercingétorix fut ramené dans la prison pour y être exécuté de la main du bourreau[103] : son seul crime avait été de vouloir, contre Rome, la liberté de la Gaule. Trois mois auparavant, Caton s’était tué de sa propre main[104], parce qu’il ne pouvait plus défendre contre César la liberté de sa patrie. L’une et l’autre morts marquaient que les temps nouveaux étaient venus pour la Gaule et pour le peuple romain. VII. —LES GAULOIS DANS L’ARMÉE DE CÉSAR. Déjà, avant ce triomphe, les Gaulois avaient joué leur partie dans l’histoire de l’Empire. On a vu que César en avait emmené un grand nombre au sud des Alpes, et qu’il ne cessa d’en appeler de nouveaux au cours de ses guerres[105]. Après ses vieux légionnaires, c’étaient les Gaulois qu’il préférait comme soldats : il connaissait de longue date ce genre d’hommes, leur bravoure, leur hardiesse, leur fidélité au chef[106] ; et, dans la lutte impie qu’il soutenait, il lui fallut exiger, avant toute qualité, une obéissance irréfléchie. Il fixait lui-même, semble-t-il, l’effectif et la nature des troupes qu’on devait lui expédier[107]. Parfois, il indiquait les noms des chefs indigènes qu’il désirait voir à son service[108] : ce qui prouve que, comme Napoléon, il savait bien garder la mémoire des hommes[109]. Toutes les armes utiles de la Gaule fournirent leur appui à son armée : contre les frondeurs baléares et les archers crétois, il eut les tireurs d’arc du Rouergue[110] ; contre les fantassins espagnols, il eut ceux de l’Aquitaine et ceux des Alpes[111] ; contre les cavaliers de l’Orient et de la Numidie, il lança les escadrons de la Celtique[112]. Ces troupes étaient organisées, non pas à la romaine, mais suivant les traditions indigènes[113]. Des hommes de leur pays les commandaient, et il n’est pas sûr que César les ait nommés lui-même. Car ils étaient pris d’ordinaire parmi les chefs naturels des nations[114] : le contingent des Allobroges, par exemple, obéissait à deux frères, sénateurs ou anciens magistrats de leur peuple[115]. Un corps gaulois ressemblait moins à un détacheraient de soldats groupés d’office qu’à l’armée nationale d’une cité, suivant ses princes à la défense d’un général allié. — Toutefois, les pratiques précises et uniformes de l’administration latine se faisaient aussi sentir dans ces troupes étrangères : elles recevaient une solde ; leurs chefs, qui touchaient la somme globale à la caisse militaire, étaient chargés de la répartir entre leurs hommes ; et l’imperator veillait à ce qu’aucune fraude ne fût commise[116]. Ces chefs gaulois prenaient déjà des habitudes d’officiers de cavalerie romaine. Celtes et Belges accomplirent des merveilles sur tous les champs de bataille qu’on leur montra. Près de Lérida, en Espagne, deux cents archers rutènes se firent tuer pour sauver un convoi[117]. A Thurium près de Tarente, une garnison de Gaulois massacra le Romain qui lui parlait de trahir[118]. Dans Alexandrie révoltée, une garde de quelques cavaliers transalpins aida le dictateur à attendre son armée de secours[119]. En Afrique, non loin d’Hadrumète, un peloton de trente Gaulois fit peur à une petite armée de deux mille cavaliers maures[120]. Et à la fin du règne de César, des Celtes combattirent encore à Munda, à quelques lieues de Cadix[121]. — Comme au temps de Bellovèse et de Ségovèse, toutes les grandes cités et toutes les vieilles nations les virent passer et entendirent parler de leur gloire. Sous les ordres de Rome et de César, la Gaule reprit sa place victorieuse dans l’histoire du monde. La seule exception dont se soit plaint César, est une marque, non pas de lâcheté ou de mauvaise foi, mais de l’indécision où l’émoi des guerres civiles jetait les hommes de ce temps. Pendant la campagne de Dyrrachium, quelques hommes de l’escadron des Allobroges, chefs en tête, abandonnèrent le dictateur pour rejoindre Pompée[122]. — Mais ces Allobroges appartenaient à la Gaule du Midi, jadis conquise par Cneius Domitius : les descendants de ce Domitius avaient été leurs patrons ; son petit-fils Lucius était le principal auxiliaire de Pompée, et le sénat l’avait substitué à César dans le gouvernement des Gaules. En se rangeant sous les ordres d’un Domitius, les Allobroges revenaient à leur chef naturel. Et s’ils avaient hésité, cela prouve qu’ils imitaient beaucoup de Romains[123]. Le parti légal, d’ailleurs, put recruter dès le début un certain nombre d’auxiliaires transalpins. Il dut en recevoir de la Narbonnaise, où Pompée et Domitius s’étaient fait jadis des amis et des clients[124] Mais la Gaule de César lui en envoya aussi quelques-uns, Celtes, Belges ou Germains[125] : car Labienus avait suivi Domitius dans le camp du sénat, et, comme les Gaulois lui avaient obéi autant qu’au dictateur ; il trouva sans peine le moyen d’attirer à lui des hommes, amis ou mercenaires[126]. Il arrivait parfois que les Gaulois des partis rivaux se rencontrassent aux avant-postes, entre deux batailles. Cela advint, un jour, durant la guerre d’Afrique. Celtes et Germains de César et de Labienus firent alors trêve d’eux-mêmes, et s’entretinrent de propos d’amitié[127]. Il n’en fallut pas moins, quelques jours après, que les deux troupes se combattissent. Elles se chargèrent avec leur ardeur naturelle, et, des deux côtés, les morts furent nombreux. Le dictateur, selon son habitude, vint ensuite regarder le champ de bataille, et il fut émerveillé à la vue de ces corps de guerriers, grands et beaux, dont la plaine était jonchée, et qui s’étaient entre-tués au nom de Rome ou de César[128]. VIII. — LE GOUVERNEMENT DE CÉSAR EN GAULE. Ce n’était pas seulement par la guerre civile que les Gaulois faisaient leur apprentissage des besognes romaines. Déjà, dans leur pays, César avait introduit quelques-unes des institutions qui tendaient à les rendre semblables à tous les sujets de l’Empire. — Nous avons signalé les deux principales : le tribut et le service militaire. Comme domaine du peuple romain, la Gaule conquise par César ne forma point d’abord une province distincte, allant des Cévennes à l’Océan : elle fut simplement rattachée à la Gaule soumise par Domitius au sud des Cévennes, c’est-à-dire que la province primitive de Gaule Transalpine ou Ultérieure fut prolongée par César jusqu’au Rhin et à l’Océan[129]. C’était, dans un cadre romain, reconstituer la nation de Luern et de Bituit : les deux tronçons séparés par Domitius se trouvaient rejoints, et le premier effet de la conquête fut de rendre à la Gaule son ancienne unité[130]. — Je doute cependant que César ait cherché cette manière de flatter l’amour-propre des Gaulois. Il s’inspirait surtout, dans l’administration provinciale, des conditions du moment et de son intérêt personnel[131]. Quand il jugea utile de diviser à nouveau les terres de Gaule, il n’hésita pas à le faire : en 44, l’année de sa mort, la Gaule transcévenole formait une province distincte, et la Gaule Narbonnaise était attribuée au gouvernement de l’Espagne Tarragonaise[132]. Les contrées ne furent pour lui que des districts d’administration, et il n’était pas homme à s’embarrasser de souvenirs nationaux. Il envoya à la Gaule de bons gouverneurs, et qui connaissaient le pays. Elle fut, après lui, administrée par Décimus Brutus[133], celui des anciens légats de César (Labienus mis à part) qui avait le plus longtemps séjourné au delà des Alpes, et qui s’était trouvé aux prises avec le plus d’affaires diverses, la guerre d’Armorique, Alésia, le siège de Marseille. Actif, industrieux, plein d’audace, c’est sans doute à Brutus qu’il faut rapporter le mérite du calme extraordinaire que nous avons admiré dans la Gaule de César[134]. A l’intérieur de la Gaule qu’il venait de conquérir, César ne toucha point aux peuplades, grandes ou petites : Arvernes et Éduens conservent leur vaste territoire, et l’Aquitaine reste morcelée entre ses nombreuses tribus[135]. — En cela encore, je doute qu’il faille voir le dessein réfléchi de respecter les traditions nationales. S’il accepta la géographie politique du pays vaincu, ce fut d’abord pour se conformer à l’usage ordinaire du peuple romain, et aussi parce qu’il avait un trop grand besoin de la Gaule pour lui imposer de nouvelles habitudes ; et c’est encore parce que, dans sa très courte vie de dictateur (49-44), il eut à penser à bien d’autres choses. Dans le Midi, il se montra au contraire fort dédaigneux du passé : il est vrai que, rompue depuis quinze lustres à l’obéissance, la Gaule de Domitius ne demandait peut-être pas mieux que de se transformer à la romaine. Après ses triomphes au Capitole, César eut à pourvoir ses soldats de terres et de domiciles. Cinq de ses légions[136] (ou du moins ce qui restait d’elles) furent envoyées en Narbonnaise afin d’y fonder chacune une colonie[137]. La Xe, la plus fameuse de toutes, obtint la meilleure part, et fut installée à Narbonne même[138] ; la VIIe, celle de la bataille de Paris, eut Béziers chez les Volques Arécomiques[139] ; la VIIIe, celle de Gergovie, reçut Fréjus chez les Ligures du littoral[140], et la VIe, moins célèbre que les autres, Arles chez les Salyens[141]. D’autres colons, légionnaires ou soldats auxiliaires, occupèrent Orange chez les Cavares du Comtat Venaissin[142], Vienne chez les Allobroges[143] Valence chez leurs voisins les Ségovellaunes[144]. Sauf à Fréjus, qui fut une cité neuve, bâtie tout entière sur un sol rural et sous le nom même de César (Forum Julii[145]), les légionnaires n’eurent point à créer des villes, mais à en transformer. A Narbonne, vieille cité romaine, les hommes de la Xe vinrent simplement grossir le nombre des colons envoyés là par le sénat au temps des Gracques. A Béziers, à Arles, à Vienne, à Orange, les vétérans trouvaient d’antiques bourgades gauloises, déjà riches et peuplées : elles gardèrent leur site, leur nom, leurs habitants indigènes. Mais les vrais maîtres du pays furent désormais les colons romains ; les villes doublèrent d’étendue, s’ornèrent d’édifices et s’entourèrent de remparts qui les firent ressembler à des images de Rome[146]. A côté de leur nom traditionnel, elles prirent des titres d’honneur qui rappelaient leurs fondateurs, César et ses soldats : Arles, par exemple, fut désormais la colonie Julienne de la VIe légion, colonia Julia Sextanorum[147]. Chacune des villes colonisées par César appartenait à une peuplade différente, Arles aux Salyens, Béziers aux Volques, Vienne aux Allobroges. Dès lors, ces colonies vont servir de centres à ces nations[148]. Les grandes peuplades gauloises auront pour capitale une ville romaine, qui dirigera la vie du pays et de ses hommes, de la même manière qu’Athènes avait fini par concentrer sur son Acropole et dans ses murs toute l’histoire de l’Attique. L’ancien territoire des Salyens ne sera bientôt plus que le domaine d’Arles, colonie romaine[149], et ce nom même de Salyens, et celui des Allobroges, et les autres, seront oubliés pour faire place à ceux du peuple d’Arles et du peuple de Vienne. Toutes les peuplades importantes du Midi reçurent leur colonie[150]. Il n’y eut, en dehors du nouveau système municipal, que les nations excentriques des montagnes alpestres et cévenoles[151]. Le Midi de la Gaule, sur la route languedocienne d’Hannibal, sur la voie maritime de la Provence, sur le chemin du Rhône cher aux Phocéens, se présentera désormais au monde sous les formes consacrées de la cité classique et de la colonie romaine : César y achevait l’œuvre continuée tour à tour par les légendes d’Hercule, les marchands de Marseille et les soldats de Domitius[152]. Je ne suis point sûr que César, en construisant ces villes à son nom, n’ait pas eu le désir d’éclipser, sur ce sol battu par l’histoire, tous ces noms glorieux d’autrefois, Domitius, Marseille, Hannibal et Hercule, et de passer un jour pour le vrai fondateur de la Gaule Narbonnaise. Mais je pense qu’il a voulu aussi, par ces fondations, rendre certains services au peuple romain. Cette ligne de colonies, Narbonne, Béziers, Arles, Fréjus, Orange, Vienne, se déroulait sur les grandes voies naturelles du Midi. Chacune occupait un des points essentiels de ces routes : Fréjus est l’endroit où le chemin d’Italie quitte le rivage pour gagner le haut pays de Provence ; du sommet de robustes mamelons, Béziers surveille les plaines dd Languedoc et Orange celles du Comtat ; Vienne assiste, sur les bords du Rhône, aux arrivées des routes alpestres ; Arles et Narbonne dominent les deux plus grands carrefours de la région maritime. Et, comme ces villes furent réunies par des chaussées solides, l’ensemble formait un boulevard infranchissable, pareil à celui des colonies du Latium, devant lequel s’était arrêtée jadis la fortune d’Hannibal. C’était l’Italie, évidemment, que ce boulevard devait protéger. Rome n’oubliait pas sa terreur des Cimbres et des Teutons. Depuis l’affaire d’Arioviste, elle pressentait d’autres invasions de Germains[153]. Contre ce monde instable du Nord, les colonies de la Provence et du Languedoc pourraient être la sauvegarde suprême de l’humanité gréco-romaine. — Peut-être cette zone militaire fut-elle aussi organisée pour être une menace éternelle contre la Gaule de Vercingétorix. Si celle-ci se révoltait, elle serait prise comme dans un étau entre les garnisons de l’armée active qui campait sur les bords du Rhin, et les colons qui se tenaient en réserve aux approches de la Méditerranée[154]. Tout cela marquait chez César la volonté de consolider partout l’Empire romain et d’y arranger les choses à sa guise. Le sort de la Narbonnaise montrait que les Gaulois n’avaient pas à espérer de cet homme un long respect des formes de leur passé. S’il n’établit des colonies que dans le Midi, c’est parce que le temps lui manqua d’en fonder ailleurs. Qui voudrait affirmer que sa pensée n’ait point poussé jusqu’au Rhin la ligne dominatrice des villes romaines ? Il est possible qu’il en ait bâti une, Nyon sur le lac de Genève[155], pour surveiller à la fois les routes du grand fleuve et les tribus des Helvètes. Une tradition rapportait qu’il rêva de transformer Bibracte, la ville la plus célèbre de la Gaule, en une colonie à son nom de Jules César[156]. Très peu de temps après sa mort, des hommes qui s’inspirèrent de ses actes et qui avaient vécu avec lui dans les Gaules, fondèrent la colonie romaine de Lyon : or, César était passé souvent par le confluent de Fourvières, c’était près de là qu’il avait dressé son premier camp sur le sol à conquérir[157], et il avait cherché à ouvrir la route du Grand Saint-Bernard, à laquelle Lyon commande. Il fut trop bon observateur du terrain pour ne pas voir la prééminence de ce lieu de la terre gauloise : je n’hésite pas à supposer qu’il a préparé la fondation de la colonie et fixé les destinées de Lyon, capitale romaine[158]. L’avenir seul l’intéressait de plus en plus. Traditions, souvenirs, coutumes, la défroque historique des peuples vaincus et de sa patrie même importait fort peu à ce briseur de nations et d’hommes. Il distribua le titre de citoyen romain à tous ceux qui le désirèrent. Les Gaulois de la Transpadane le reçurent de lui. Des milliers de soldats venus de Narbonnaise l’obtinrent d’un coup, au moment où il forma la légion des Alouettes[159]. Il l’accorda même aux officiers celtes qui le suivaient, gens de Poitou ou d’ailleurs[160] : et, moins de dix ans après la fin de l’indépendance de leur nation, les rois et fils de rois de la Gaule s’apprêtèrent, comme membres du peuple souverain, à exploiter le monde à leur tour. Quelques-uns de ces nouveaux citoyens arrivèrent presque d’emblée à la dignité de sénateurs[161], et ils furent invités à entrer dans cet étrange sénat créé par César, ramassis d’hommes accourus de tous les points de la terre[162]. On se moquait d’eux à Rome, quand ils demandaient le chemin de la Curie[163]. Sur le passage de César, pendant son triomphe, les soldats chantaient en ricanant : Il mène les Gaulois derrière son char, mais c’est pour les conduire au sénat[164]. — C’était rompre du même coup les peuplades gauloises et la patrie romaine, et remplacer, sans transition, une cité maîtresse et des nations sujettes par un peuple miraculeux, embrassant le genre humain. IX. — LES DESSEINS DE JULES CÉSAR[165]. Car, autant qu’on peut le connaître, il eut la vision de l’humanité tout entière, ayant une seule ville pour capitale et un seul homme pour chef[166]. Aucun Ancien (je ne parle pas des poètes ou des philosophes) n’aspira davantage à transformer en réalités les formules dont on désignait l’Empire romain, genus humantim, orbis terrarum. La propagation inconsidérée du titre de citoyen romain[167], un grand nombre de règlements communs à tous les habitants de l’Empire[168], le cadastre minutieux de toutes les parties de cet Empire[169], le projet d’un code de lois unique et universel[170], l’administration, entière de César, logique, uniforme, précise, je dirais volontiers rationnelle et scientifique, témoigne de son désir d’assigner à tous les hommes les mêmes droits et les mêmes devoirs. — Mais il pourrait se faire que les plus beaux de ces plans de réforme fussent l’œuvre de jurisconsultes philosophes, admis à conseiller César[171]. L’empreinte de sa volonté est plus nette dans sa manière de traiter la ville de Rome. Il fallait qu’elle devint, à tous les égards, la cité maîtresse, plus belle qu’Athènes, plus riche qu’Alexandrie. Et ce fut, chez le dictateur, une folie continue de construire et d’assembler, temples, basilique, théâtre, forum, livres et statues[172]. — Mais César, bien avant sa dictature, avait déjà déployé ce zèle de bâtisseur, et tout imperator romain tenait pour aussi glorieux de dédier des édifices à son nom que de fonder des colonies ou de célébrer des triomphes[173]. C’est ailleurs que se montre l’originalité de César, chef d’empire. Elle est d’abord dans la façon dont il envisagea son pouvoir. Dictateur, imperator, souverain pontife, consul, ces titres romains, anciens et respectés, cumulés l’un sur l’autre, suffisaient à lui assurer l’autorité la plus absolue[174]. Mais ils ne satisfirent pas son âme, avide également de réalités tangibles et de grandioses fantasmagories[175]. Puisqu’il commandait à tous les peuples, et que chez tous les peuples le titre de roi était le plus redouté, il désira ardemment ce titre, et en voulut au peuple romain de ne pas faire de lui le roi de la terre[176]. Puisqu’il commandait à tous les humains et que tous les humains plaçaient au-dessus d’eux des héros et des dieux, il se laissa appeler héros, dieu et Jupiter même[177]. Et, par une étrange revanche du sort, cet homme, qui avait jadis traité les dieux avec une telle désinvolture, finit par se complaire en sa propre divinité, pour dominer du plus haut possible les êtres et les choses. Ce qui, enfin, porte le plus la marque de sa nature, c’est le rêve final au milieu duquel la mort vint le surprendre. À peine débarrassé de la dernière des grandes armées pompéiennes, sans prendre le temps de consolider partout son autorité[178], il se prépara à la guerre contre les Parthes. Joueur incorrigible et toujours heureux[179], il ne doutait pas d’une victoire qui lui donnerait tout l’Orient au delà de l’Euphrate. De là, remontant vers l’Occident, il enlèverait aux Daces l’empire de la Scythie et aux Suèves l’empire de la Germanie. Il reviendrait par le Rhin dans cette Gaule[180] d’où il était parti, et il y reviendrait plus fameux sur la terre qu’Alexandre, hercule et Bacchus. Et l’histoire des guerres et des conquêtes aurait trouvé sa fin avec Rome et César[181]. César vit-il, à ce moment, le mirage radieux d’une humanité nouvelle, famille unique de frères égaux ? C’est possible, étant donné l’entourage de rhéteurs et de philosophes qui lui faisaient la cour et qui devaient lui conter leurs songes[182]. Mais César était de ces vieillards[183] qui s’écoutent surtout eux-mêmes, qui excitent à plaisir leur passion maîtresse : et je croirais plutôt que son rêve fut le dernier élan et comme la poussée sénile d’une nature qui ne se démentit jamais, et qui voulut jusqu’à la fin agir et conquérir, prendre des terres, vaincre des hommes et gagner en gloire. Mais son dessein suprême répondait aux traditions des siècles gréco-romains, lesquelles avaient formé son âme. Ce rêve du dictateur continuait jusqu’au terme logique et divin l’histoire d’autrefois. Le monde antique n’avait cessé de vivre et de parler de cités saintes, de héros souverains, d’empires universels[184]. Et ces pensées séculaires venaient de s’exaspérer, dans l’esprit de César, en un désir prodigieux qui ressemblait à un accès de folie. |
[1] Cf. Justin, XLII, 3, 2 ; Tacite, Ann., III, 61 ; Hist., V, 5 ; etc. Je ne vise ici que l’un des éléments qui ont constitué leurs mythes.
[2] Justin, I, 8, 1, pour ne pas remonter plus haut dans l’histoire des empires orientaux ; cf. Justin, I, 1, 5 ; Emilius Sura ap. Velleius, I, 6, 6.
[3] Radet, La Déification d’Alexandre, 1895 (Revue des Universités du Midi) ; Kampers, Alexander der Grosse, 1901 (Gœrres-Gesellschaft).
[4] Cf. Kærst, Geschichte des hellenistischen Zeitallers, I, 1901, p. 219 et s., 376 et s.
[5] Voyez chez Polybe (I, 2) la comparaison entre l’empire d’Alexandre et celui de Rome.
[6] Emilius Sura ap. Velleius, I, 6, 6 ; Tite-Live, XLV, 7, 3.
[7] Cette marche des Romains vers l’Occident est déjà indiquée par Polybe, I, 2, 6.
[8] Tite-Live, I, 16, 7 ; 55, 6.
[9] Ad incrementum urbis natum unice locum, Tite-Live, V, 54, 4 ; Cicéron, De republica, II, 5, 10 ; 6, 11.
[10] Tite-Live, V, 54, 4.
[11] Strabon, VI, 4, 1.
[12] Strabon, II, 5, 12. — Les Romains indiquaient eux-mêmes ces deux termes, ab Gadibus ad mare Rubrum (Tite-Live, XXXVI, 17, 15).
[13] Pline, III, 101.
[14] Plutarque, De defectu oraculorum, I, p. 409 ; Cicéron, De div., II, 56, 115.
[15] Tout ce qui suit est inspiré par Strabon, VI, 4, 2.
[16] Virgile, Énéide, VI, 847-53 ; César, De b. G., VII, 77, 15.
[17] Tite-Live, XXXIII, 33, 2 ; Strabon, V, 3, 5.
[18] Idée développée en partie par les Anciens : Polybe, I, 2 ; Tite-Live, XXXVI, 17, 14-15 ; Strabon, XVII, 3, 24 ; VI, 4, 2.
[19] La lecture de Strabon est significative à cet égard.
[20] Cela se montre dès Polybe, I, 2 ; Tite-Live, XXXVI, 17, 15 : Florus, I, pr., 2 : Qui res illius legunt, non unius populi, sed generis humani fata condiscant.
[21] Strabon, VI, 4, 2 ; Florus, II, 34 [IV, 12].
[22] Polybe, I, 3, 7-10 ; Tite-Live, XXI, 30,10 ; XXXVI, 17,15 ; XXXVII, 25,5 ; 45,8 ; Florus, I, pr., 2 ; II, 33-34, 64 ; et cent autres. Cf. Mommsen, Staatsrecht, III, 1re édit., p. 826-7.
[23] Cf. Tite-Live, IX, 17, 5 et 6.
[24] Voyez la célèbre comparaison de Tite-Live (IX, 17-19) entre Rome et Alexandre : Unus fuit, etc. (17, 5).
[25] Cf. Tite-Live, IX, 18, 9 et s. (note précédente).
[26] Arcem et caput Italiæ, Tite-Live, XXI, 35, 9 ; XXI, 30, 10 ; etc.
[27] Cf. Mommsen, Staatsr., III, Ire édit., p. 378 et s.
[28] Tacite, Ann., IV, 56 ; etc. Cf. Preller, 3e éd., II, p. 353 et s.: Fr. Richter ap. Roscher, art. Roma.
[29] Tite-Live, VII, 38, 2 ; XLIII, 6, 6 ; XLV, 13, 17 ; etc. Epictète (Arrien, Entretiens, I, 7, 33) assimile l’acte d’incendier le Capitole à un parricide.
[30] Real-Enc. Wissowa, III, c. 1538 ; Toutain, Les Cultes païens, 1re p., I, p. 181-190 ; etc. Cf. t. V.
[31] Ausone, Urbes, 74 ; Aulu-Gelle, XVI, 13, 9 ; etc.
[32] Je doute qu’il faille, comme le fait Beloch (Die Bevölkerung, 1886, p. 392 et s.), descendre au-dessous d’un million. Cf. Mommsen, Rœm. Geschichte, III, p. 510 et s. ; Friedlænder, Darstellungen, I, 8e éd., 1910, p. 61-72.
[33] Aurelius Victor, Epit., 1, 5-6.
[34] Revue épigraphique, n° 1351 = C. I. L., III, 14165, 8 ; C. I. L., XII, 672.
[35] Hist. Auguste, Gordien, 33, 1. Cf. t. V.
[36] Voyez le discours de Camille chez Tite-Live (V, 51-54), discours qui doit refléter la pensée des contemporains d’auguste. De même, Cicéron, De republica, II, 2, 4 et s.
[37] Cf. Mommsen, Staatsr., III, Ire éd., p. 608 et suiv.
[38] Cf. Mommsen, ibid., p. 645 et suiv.
[39] Tite-Live, XXXVII, 25 ; XLV, 13, etc.
[40] Cf. Mommsen, Staatsr., III, Ire éd., p. 388, sauf le cas prévu par Auguste (Suétone, Auguste, 46).
[41] Populum Romanum, quasi unum hominem ; Florus, I, pr., 4.
[42] Voir les textes dans le Thesaurus linguæ Latinæ, s. v. Æternus, c. 1147.
[43] Tite-Live, XXII, 53, 6-13 ; XXIV, 9, 9-11 ; XXXVIII, 56, 12-13 ; 58, 7 ; etc.
[44] Cf. Kærst, Studien zur Entwickelung der Monarchie im Altertum, Munich, 1898 (thèse de Leipzig).
[45] Tite-Live, XXVII, 19, 3-4.
[46] Cf. Mommsen, Staatsr., I, 2e et 3e éd., p. 27.
[47] Plutarque, Caïus, 6.
[48] Plutarque, Marius, 28 ; Tite-Live, Ép., 80.
[49] Vim regiæ potestatis, Cicéron, Phil., I, 1, 3. cf. Mommsen, II, 2e éd., p. 701 ; 3e éd., p. 722.
[50] Cf. Fustel de Coulanges, La Cité antique, p. 97 et s.
[51] Fustel de Coulanges, Origines du système féodal (Institutions, V, p. 206 et s.).
[52] Fustel de Coulanges, La Cité antique, p. 248 et s.
[53] C’est ce que les écrivains appelaient, en appliquant le mot aux pratiques de Rome, vetustissimum morem victis parcendi (Tite-Live, XXXIII, 12, 7).
[54] Textes chez Mommsen, Staatsr., III, Ire éd., p. 666-7. Cf., pour l’Égypte, Strabon, XVII, 1, 5 ; pour la Bithynie, XII, 3, 2 ; etc.
[55] Tite-Live, VIII. 14, 2. — Peut-être est-ce dans ce sens qu’il faut interpréter la parole de César, refusant de reprendre son épée, enlevée par un Gaulois et suspendue dans un temple du pays : car il la jugea sacrée (Plutarque, César, 26).
[56] C’est le mot d’Orose, VI, 12, 1-2.
[57] A l’exception des tribus alpestres. Dion, XLI, 36, 3 (en 49 av. J.-C.).
[58] César, De b. G., VII, 77, 13-6 (il peut du reste s’agir de la Narbonnaise aussi bien que de la Cisalpine).
[59] Il est encore assez vivant chez Strabon (V, 1, § 6, 9, 10 et 12). Pline s’en préoccupe évidemment moins (III, 124, 125, 130 ; VI, 218). Chez Ptolémée, les noms de ce genre n’apparaissent qu’à titre de documents (III, 1, 27, 29). Aucun texte ou aucune inscription de l’époque impériale ne les montrent jouant un rôle dans la vie courante (sauf Pline, X, 77, si Pline ne se borne pas à copier une source ancienne).
[60] Cf. Strabon, V, 1, 6 ; Hirtius, De b. G., VIII, 50, 1 ; 51, 3. Romussi, Milano nei suoi monumenti, Milan, 1875, p. 23 et s. [3° éd., 1912, n. v.].
[61] Dion Cassius, XLI, 35. 3 ; Strabon, V, 1, 6 et 10 ; De b. G., VIII, 50, 1 ; Tacite, Annales, XI, 23.
[62] Polybe, II, 32, 6 ; C. I. L., V, 5771.
[63] Strabon, V, 1, 10 ; cf. Corpus, V, p. 634.
[64] Cf. Fustel de Coulanges, La Cité antique, p. 226 et suiv.
[65] Hérodote, I, 7, Diodore, IV, 19, 1 ; V, 24, 2-3 ; Justin, XLIV, 3, 2 et 3 ; Pline, III, 130.
[66] Varron, De l. L., V, 61 ; Ovide, Mét., I, 400-13.
[67] Bibliothèque d’Apollodore ; Jérôme, Comm. in Epist. ad Galatas, II, 427-8, Migne, P. L., XXVI, c. 353-5. Cf. Bouché-Leclercq, Atlas pour sertir à l’histoire grecque, 1883, p. 3 et s.
[68] Ammien, XV, 9, 3 et 5 ; Diodore, IV, 19, 1 et s. ; etc.
[69] Adnotat. super Lucanum, I, 427, p. 27, Endt : Arvernique] : De his Cicero ait in Scauriana : Inventi sunt, qui etiam fratres populi Romani nominarentur.
[70] Diodore, IV, 19, 1 et 2.
[71] Diodore, IV, 56, 4.
[72] Tacite, Germ., 3. En Écosse, Solin, XXII, 1.
[73] Voyez l’importance prépondérante d’Homère, de Troie et de la géographie homérique dans l’œuvre de Strabon (tables de l’éd. Didot, p. 824-7).
[74] Sulpice Sévère, V. Mart., 22.
[75] Cf. t. V.
[76] Tite-Live, 1, 56, 9 ; V, 15, 3 ; 16 ; 28, 1-4 ; XXII, 57, 5 ; XXIII, 11, 1 ; XXVIII, 45, 12 ; XLV, 27 ; etc.
[77] Sénèque, Quæst. nat., V, 17, 5.
[78] Cicéron, De republica, II, 4.
[79] Clerc, De la Condition des étrangers (Revue des Universités du Midi, IV, 1898), p. 273-4.
[80] Inde a majoribus traditum morem, Tite-Live, XXVI, 24, 3.
[81] Tite-Live, IV, 3 ; XXVI, 24, 3 ; Tacite, Ann., II, 24.
[82] Fustel de Coulanges, La Cité antique, surtout liv. IV, ch. 3, liv. III, ch. 4.
[83] Différences quantitatives plutôt que qualitatives ; cf. Mommsen, R. G., p. 81-4.
[84] Strabon, IV, 6, 2 ; III, 3, 7.
[85] De b. G., VI, 17.
[86] Lors de la guerre de Munda en Espagne : à l’aller, en novembre 46 ; au retour, en septembre-octobre 45.
[87] Cf. le début de la Pharsale de Lucain, I, 1 et s.
[88] Cela résulte de l’ensemble des faits.
[89] Tite-Live, Ép., 114 : Brutus legatus Cæsaris Bellovacos rebellantes prœlio vicit. Le fait était raconté par Tite-Live entre la mort de Caton, février 46, et le triomphe de César, juin 46.
[90] Cicéron (Phil., III, 15, 37-8) lui donne ce titre. Mais il peut l’avoir obtenu seulement en 44, lors de sa guerre contre les peuplades des Alpes (Cicéron, Ad fam., II, 4).
[91] L’empereur Claude ap. Tacite, Ann., XI, 24 : Continua inde ac fida pax.
[92] Les adversaires de César avaient escompté son soulèvement (Cicéron, Ad fam., XVI, 12, 4).
[93] Aucun détail précis là-dessus, sauf à Marseille. On dut envoyer en Gaule des légions de conscrits. Au moment de la mort de César, il semble qu’il y avait trois légions dans la Gallia Comata (Appien, III, 47, 190), légions déjà anciennes (Cicéron, Ad fam., X, 24, 3), auxquelles s’en ajoutèrent bientôt deux autres de nouvelles recrues (id., X, 8, 6 ; 24, 3) ; cf. von Domaszewski, Neue Heidelberger Jahrb., IV, 1894, p. 182.
[94] C’était un usage constant chez les Romains : Romanorum fautores soli tum in magistratibus (Tite-Live, XLV, 31, 5) ; cf. Fustel de Coulanges, Polybe (Questions historiques), p. 160-1. Un exemple de ce fait en Gaule, De b. civili, III, 59, 2.
[95] De b. G., VII, 3, 1 ; 42, 3 ; 55, 5.
[96] Cf. Strabon, IV, 4, 2.
[97] Suétone, César, 37, 1-2 : ce fut le premier de ses quatre jours de triomphes, primum et excellentissimum triumphum Gallicum ; Fastes triomphaux (C. I. L., I, 2e éd., p. 62) : De G[alleis] ad Oceanu[m ; Velleius, II, 56, 2 ; Florus, II, 13, 88 ; Dion, XLIII, 19, 1.
[98] Calendrier rectifié ; cf. Drumann et Grœbe, III, p. 551.
[99] Cicéron (Phil., III, 63 18) parle longuement de la pénible impression que le spectacle fit aux Romains : Populus Romanus ingemuit. Quanquam proprios dolores suarum rerum omnes habebant, tamen hujus civitatis fidelissimæ miserias nemo erat civis qui a se alienas arbitraretur. Il en parle également dans le De officiis, II, 8, 28.
[100] Dion Cassius ne donne pas ce détail pour Vercingétorix (XLIII, 19, 4), mais il était alors de règle (Dion, 19, 3 ; cf. Marquardt, Staatsverw., II, 2e éd., p. 584-5).
[101] On montra également les images du Rhin, du Rhône et de l’Océan (Florus, II, 13, 88), celle du Rhône sans doute à cause de la campagne du Valais.
[102] Suétone, César, 37, 2.
[103] Dion, XL, 41, 3, XLIII, 19, 4. Il fut sans doute étranglé (cf. Histoire Auguste, Trig. tyr., 22, 8 ; Josèphe, De b. J., VII, 5, 6 ; Eutrope, IV, 27).
[104] Plutarque, Caton, 65 et s.
[105] Cicéron, Ad Att., IX, 13, 4.
[106] Gallos, homines apertos..., qui per virtutem... dimicare consuerunt ; De b. Afr., 73, 2.
[107] De b. c., I, 39, 2.
[108] Nominatim ex omnibus civitatibus nobilissimo quoque evocato ; De b. c., I, 39, 2.
[109] Cf. De b, c., III, 59, 3.
[110] De b. c., I, 51, 1 et 6.
[111] De b. c., I, 39, 2. — Et aussi, sans doute, des Germani levis armaturæ (De b. c., I, 83, 5 ; III, 52, 2), faits pour les courses rapides.
[112] De b. c., I, 39, 2 ; 51, 1. III, 23, 3 ; De b. Alex., 17, 3 ; De b. Afr., 23, 1 : 34, 4. — Et aussi des cavaliers germains : De b. Alex., 29, 4 ; De b. Afr., 29, 1 ; 40 3 et 5 ; cf. Florus, II, 13, 5. — Ajoutez les marins et vaisseaux gaulois : De b. C., III, 29, 3 (pontones, quod est genus navium Gallicarum) ; 42, 3 ; De b. Afr., 20, 1. — Sur les Germains dans les armées romaines des guerres civiles, Bang, Die Germanen im rœmischen Dienst, 1906, p. 26-28.
[113] Cela va de soi, puisque nous retrouverons la chose plus tard.
[114] De bello civ., III, 59, 1-3.
[115] De b. c., III, 59, 1-3.
[116] De b. c., III, 59, 3-4 ; 60, 1.
[117] De b. c., I, 51, 6 (en mai 49).
[118] De b. c., III, 22, 3 (au début de 48).
[119] De b. Alex., 17, 3 ; 29, 4 (à la fin de 48).
[120] De b. Afr., 6, 3 (en octobre 47).
[121] De b. Hisp., 32, 3 (en mars 45).
[122] De b. c., III, 59-61 ; 79, 6 (en mai 48).
[123] César explique leur désertion par la découverte de fraudes qu’ils auraient commises (De b. c., III, 59-61). Mais il rappelle plus loin les liens qu’ils avaient avec les soldats de Domitius, una in Gallia bella gesserant (III, 79, 6).
[124] De b. c., II, 40, 1 : cavaliers gaulois formant la garde de Juba ; III, 79, 6 : exploratores Domitii, qui ont servi en Gaule ; Lucain, VII, 2 :31 : dans l’armée de Pompée à Pharsale. Cf. note précédente.
[125] En outre, peut-être, ceux que César avait envoyés en Orient lors de son proconsulat (Suétone, César, 28, 1) : ce serait le cas des Galli Germanique Cabiniani que Gabinius, en 53, avait installés à Alexandrie pour la garde du roi d’Égypte (De b. c., III, 4, 4) ; sur ceux-ci, cf. Ad. J.-Reinach, Revue des Ét. anc., 1911, p. 60 et s. — Ajoutez les transfuges (De b. Afr., 40, 5 ; Macrobe, II, 3, 8).
[126] Germains et Gaulois, De b. Afric., 19, 3 et 4 ; 29, 1 ; 40. Ad. J.-Reinach (p. 63) croit que ces soldats de Labienus venaient en partie du corps de Gabinius.
[127] Nonnunquam etiam Germani Gallique Labieniani cum Cæsaris equitibus fide data inter se colloquebantur (De b. Afr., 29, 1). A la fin de 47.
[128] Horum corpora mirifica specie ampliludineque, cæsa toto campo oc prostrata diverse jacebant (De b. Afr., 40). A la fin de 47.
[129] Cela résulte de ce que : 1° César, comme proconsul, avait gouverné toute la Transalpine jusqu’au Rhin ; 2° il la donne ensuite, sans doute avec les mêmes limites, à Décimus Brutus ; 3° le sénat de même, à la fin de 50, la donna à Domitius (De b. c., I, 6, 5 ; Suétone, César, 34 ; Cicéron, Ad fam., XVI, 12, 3).
[130] Cf. t. II, ch. XV.
[131] Cf. Willems, Sénat, II, p. 723-6.
[132] Lorsqu’il régla le sort des provinces avant l’expédition parthique, au début de 44, l’Espagne et la Narbonnaise furent données au consulaire Lépide, sans doute en qualité de proconsul (Dion, XLIII, 51, 8).
[133] Que Décimus Brutus, qui a gouverné certainement la Gaule récemment conquise (Appien, De b. c., II, 48, 197 ; Tite-Live, Ép., 114), ait aussi gouverné la Narbonnaise (opinion de Herzog, p. 102-3), cela résulte du fait que nous le voyons installé dans cette région dès 49, et du fait que Dion mentionne, à la date de 44, la séparation des deux contrées (XLIII, 51, 8). Contra, Zumpt, Studia Romana, p. 91. — Comme titre, n’étant qu’ancien questeur, ce fut sans doute celui de legatus [cf. Tite-Live, Ép., 114] pro prætore ; Willems, Sénat, II, p. 725. — Comme date, peut-être dès 49, en tout cas de 48 à 46 (Appien, II, 48, 197 ; III, 465 ; Tite-Live, l. c.). Il dut exercer la préture à Rome en 45 (Willems, I, p. 575).
[134] Comme successeur de Brutus, c’est à tort qu’on a pensé (Desjardins, III, p. 26) à Tibère Néron. — Après Brutus, directement ou non, vient Hirtius, Aulus Hirtius, peut-être dès 45 et alors, sans cloute, dans toute la Transalpine (il est à Narbonne en avril ; Cicéron, Ad Att., XII, 37, 4), en tout cas au début de 44 dans la Nouvelle Gaule (Cicéron, Ad Att., XIV, 9, 3). Hirtius, comme Brutus, connaissait le pays. Il avait été préteur en 46 (Willems, I, p. 530). Cf. Strack, Aulus Hirtius, p. 149-150 (Bonner Jahrbücher, CXVIII, 1909). — Vers la même date, mars 44, Plancus (Lucius Munatius Plancus), prétorien, parait avoir été désigné par César comme proconsul pour cette même Nouvelle Gaule, lui aussi un ancien combattant des guerres de conquête. — Et c’est alors que Lépide (Marcus Æmilius Lepidus) fut désigné pour la Narbonnaise.
[135] Cf. Pline, IV, 106-9.
[136] Les IIe, VIe, VIIe, VIIIe, Xe.
[137] Le texte unique, sur ces fondations, est celui de Suétone (Tibère, 4) : Pater Tiberii [Tiberius Claudius Nero], quæstor C. Cæsaris Alexandrino bello..., pontifex..., ad deducendas in Galliam colonias, in quis Narbo et Arelate erant, missus est. — La date de la mission doit se placer en 46-5, et c’est elle peut-être qui explique le séjour de Hirtius à Narbonne en avril 45. — Nous regardons comme colonies romaines de César, à coup sûr les cinq qui portent des noms de légions, avec réserves les deux que Pline (III, 36) appelle simplement colonies. Sur ces fondations, cf. Zumpt, Commentationes epigraphicæ, I, 1850, p. 313 et s. ; Herzog, p. 79 et s. ; Hirschfeld, Westdeutsche Zeitschrift, VIII, 1889, p. 130-2 ; Kromayer, Hermès, XXXI, p. 1 et s. ; Kornemann ap. Wissowa, R.-E., IV, 1909, c. 528-9, 542-3, 517-20. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi Kromayer et Kornemann placent à des dates différentes (entre 45 et 27) les cinq premières fondations. Je ne comprends pas non plus pourquoi s’est répandue l’opinion (Mommsen, R. G., III, p. 553), que ces noms de légions étaient purement honorifiques, sans envoi de vétérans comme colons.
[138] Colonia Julia Paterna [surnom donné sous Auguste en l’honneur de son père César plutôt que sous Tibère en l’honneur de son père Néron ; cf. ici, note précédente] Claudia [surnom postérieur, datant de Claude ?] Narbo Martius Decumanorum. C. I. L., XII, p. 521. — On distinguait à Narbonne, au début de l’Empire, les Decumani et les Atacini (Mela, II, 5, 75 ; Porphyrion ad Hor., Sermones, I, 10, 46 ; C. I. L., II, 4627). Peut-être les Atacini étaient-ils les anciens colons, ainsi nommés parce que leur quartier aurait été plus près de l’Aude, Atax. Cf., sur ce mot, Hey, Archiv. de Wœlfflin, XIV, 1906, p. 269-270.
[139] Colonia V(ictrix) [très incertain] Julia Septimanorum Bæterræ. C. I. L., XII, p. 511.
[140] Colonia Octavanorum Pacensis (ou Pacatum) Forum Julii. Pline, III, 35 ; C. I. L., XII, 3203. Vetere et inlustri colonia, Tacite, Agr., 4. Le surnom de Classica (quæ et Classica, Pline) est sans doute postérieur et du temps d’Auguste. L’épithète de Pacensis peut venir (comme la précédente) de ce que la flotte vaincue y fut envoyée après Actium, c’est-à-dire au moment de la paix générale (Tacite, Ann., IV, 5). — Il serait possible que César eût campé à Fréjus, par exemple en 49.
[141] Colonia Julia Paterna Arelate Sextanorum. C. I. L., XII, p. 83 ; Pline, III, 36 ; Suétone, Tibère, 4.
[142] Colonia Firma Julia Secundanorum Arausio. C. I. L., XII, p. 152. — Celle-ci, à la différence des quatre autres colonies de lésionnaires, fut constituée par une légion, la IIe, dont on ne trouve pas trace dans les campagnes de Gaule. C’est une vieille légion d’Espagne (De b. Alex., 53, 4-5 ; 54, 3 ; 57, 1, 3). — On a dit que les bas-reliefs de l’arc d’Orange (Espérandieu, n° 260) faisaient allusion au siège de Marseille (S. Reinach, Acad. des Inscr., C. R., 1909, p. 513 et s. ; Rev. arch., 1912, I, p. 337 et s.). Si cela était, il ne pourrait s’agir que des bas-reliefs représentant des trophées maritimes, car dans les autres ce sont armes et équipements gaulois, différents de ceux que pouvaient porter les Ligures auxiliaires de Marseille dans ce siège. Toutefois, on aperçoit maintes objections à cette thèse. La IIe légion ne prit point part à ce siège. Est-il certain que l’arc soit contemporain de la fondation de la colonie ? dans ce cas, il n’eût pu être achevé que sous Octave, et celui-ci eût-il permis cette allusion à la défaite d’une ville alliée du sénat ? L’histoire du siège de Marseille ne comporte pas de combats de cavalerie, et c’est surtout ce que représentent les scènes des bas-reliefs ; elle comporte des combats autour de murailles, portes, tours, machines, et il n’y a rien de ce genre sur l’arc. Il y eut jadis, sous César, Auguste et Tibère, tant de batailles contre les Gaulois et les Germains, qui leur ressemblaient, tant de guerres maritimes (contre Antoine ou Sextus Pompée et sur les fleuves du nord), que bien des circonstances de ce genre ont pu provoquer l’érection de ce monument, avec son double système de trophées, maritimes et barbares. Le point de départ de cette théorie est le texte d’un écrivain chrétien du Ve siècle (Pseudo-Rufin ou Vincentius ?, In Psalmos, XV, Migne, P. L., XXI, c. 696) : Unde Aurasieæ in area triumphali Massiliense bellum sculptum habetur. Mais, comme certainement le nom de Marseille ne fut pas gravé sur le monument, l’écrivain a dû se borner à faire une hypothèse. — Voyez, sur ces questions, l’excellent résumé de Chatelain, Les Monuments romains d’Orange, 1908, p. 43-87.
[143] Que Vienne ait reçu de César le titre de colonie, cela peut être tiré, sans certitude, des arguments suivants : 1° elle est appelée C I V, colonia Julia Viennensium, sur des monnaies d’Octave antérieures à 27 av. J.-C. (de La Saussaye, p. 129 ; Cab., n° 2938-52 ; monnaies à la proue) ; 2° Tacite (Hist., I, 66) parle de vetustas dignitasque coloniæ ; 3° de même, Claude (C. I. L., XIII, 1668, 2, 10), longo jam tempore ; 4° sa mention par Pline (III, 36), qui ne nomme pas des colonies d’Auguste en Narbonnaise. Il est certain, d’autre part, que la colonie n’eut pas, avant Caligula, la pleine cité romaine. D’où l’on peut conclure, peut-être qu’elle fut d’abord colonie latine, et en tout cas constituée à l’aide de soldats ou chefs auxiliaires de César, peut-être des Allobroges mêmes : je verrais volontiers une allusion à cela dans le mot de Strabon (IV, 1, 11), et peut-être est-ce ce qui explique le mot de Pline, disant coloniæ... Arelate Sextanorum et Vienna Allobrogum. — C’est sans doute parce que Vienne a été colonisée par des indigènes qu’il n’y a pas eu là, comme dans les précédentes colonies de César, morcellement du territoire allobroge. — Cf., en un sens différent, Hirschfeld, XII, p. 218, et, plus près de notre explication, Kornemann, c. 542.
[144] Peut être conclu, avec doutes, de ce qu’elle est citée par Pline, III, 36 ; Ptolémée, II, 10, 7. Cf. Hirschfeld, XII, p. 207.
[145] Avant d’être colonisée par César, la localité dut être, lors de son proconsulat, constituée par lui en marché ; cf. Forum Domitii.
[146] Aulu-Gelle, XVI, 13, 8-9.
[147] Ce nom des légionnaires, Sextani, est à la place et tient évidemment lieu, aux yeux des Romains, du nom du peuple maître de la cité Arelate Sextunorum équivaut à Lutetia Parisiorum.
[148] Il y eut peut-être, au début, dans certaines cités, une sorte de dualisme entre la colonie romaine et une ancienne capitale indigène : chez les Volques Arécomiques, entre Béziers et Nîmes leur métropole (Strabon, IV, 1, 12), chez les Salyens, entre Arles et Entremont, chez les Cavares, entre Orange et leur ancienne capitale (Strabon, IV, 1, 11). — Mais peut-être faut-il croire, ainsi qu’à propos de Nyon chez les Helvètes, qu’il y eut dès lors morcellement en deux du territoire primitif de la peuplade. — Cf., sur cette question encore fort obscure, Kornemann, R.-E., IV, c. 584.
[149] Partagé plus tard avec Aix.
[150] Et, comme Valence appartenait, non aux Cavares (Pline, III, 36), mais aux Segovellauni (Ptolémée, II, 10, 7 ; cf. Pline, III, 34), ceci est un argument de plus en faveur de sa colonisation par César.
[151] Voconces de la Drôme et Helviens du Vivarais.
[152] Il faut peut-être rattacher aux temps de César l’organisation de marchés permanents en Narbonnaise, soit à des chefs-lieux de cités, soit à des endroits destinés à le devenir très vite : ceux de Carpentras (Ptolémée, II, 10, 8) et de Lodève (Pline, III, 37), l’un et l’autre peut-être installés par Néron. Sans doute du même ordre, Apta Julia, Apt (Pline, III, 36). Vaison, Julienses (C. I. L., XII, 1357), parait avoir pris également son surnom de César.
[153] Cf. Tacite, Hist., IV, 73 ; Velleius, II, 120, 1.
[154] Ne pas oublier qu’une colonie était toujours regardée comme pars exercitus (Tacite, Hist., I, 65).
[155] Colonia Julia Equestris Noviodunum. Pline, IV, 106 ; C. I. L., XII, 2614. Nommée Equestris sans doute parce qu’elle fut colonisée par des vétérans de la cavalerie (Hirschfeld, C. I. L., XIII, II, p. 1). Son territoire (cf. Pline, IV, 106) dut être pris aux Helvètes.
[156] Panegyrici veteres, VIII [V, 2e éd.], 14, Bæhrens : Jam non antiquum Bibracte, quod hucusque dicta est, Julia, Polia [?], Florentia, sed Flavia est civitas Æduorum. Le texte est corrompu, mais ne peut s’expliquer que par un projet de César, de bâtir une colonie chez les Éduens : non, sans doute, à Bibracte (et d’ailleurs, sous ce nom, le panégyriste semble désigner Autun), mais peut-être sur l’emplacement de la future ville d’Auguste. Il n’est pas impossible que César ait campé à Autun et rêvé dès lors d’y bâtir une ville.
[157] Il est également possible (comme pour Autun, note précédente) qu’il ait campé à Fourvières et songé alors à une colonie.
[158] Il ne faut pas oublier deux choses : l’une, c’est que Lyon avait déjà ses résidents italiens, l’autre, c’est que la mort de César interrompit, mais en partie seulement, des projets coloniaux déjà arrêtés par lui (Dion, XLIV, 51, 4). — Il ne serait pas davantage impossible d’attribuer à César la fondation de marchés centraux à Angers (Juliomagus = forum Julii) chez les Andécaves, à Beauvais (Cæsaromagus) chez les Bellovaques, à Lillebonne (Juliobona = forum Julii ?) chez les Calètes, d’une ville capitale à Tours (Cæsarodunum) chez les Turons, d’une bourgade à Aire sur l’Adour (vicus Julii plutôt que vicus Julius) chez les Aquitains.
[159] Une opinion qui parait s’accréditer est la suivante (Kornemann ap. Wissowa, IV, c. 517-9) : César aurait donné à toutes les cités de la Narbonnaise, en dehors des colonies nommées plus haut, le jus Latii et le titre de colonie. La seconde chose parait difficile, vu que Pline, qui emprunte sa liste à Agrippa (mort en 12 av. J.-C.), ne les appelle encore qu’oppida latina, en les opposant, assez visiblement, aux coloniæ (III, 36-7) : l’hypothèse de Kornemann (c. 519), que cette mention sous le titre oppida s’expliquerait par le retrait, sous Auguste, des privilèges coloniaux, cette hypothèse ne s’appuie sur aucun argument, aucune raison. En revanche, l’octroi du jus Latii à ces cités de la Narbonnaise (non coloniales) est possible, précisément à cause de l’emploi par Pline de cette expression d’oppida Latina, et à cause du texte de Strabon (IV, 1, 12), donnant ce même titre à Nîmes avant la colonisation de cette ville par Auguste ; je dis possible, non certain, car cette latinité a pu être accorde entre la mort de César et le temps d’Agrippa. — Il est encore possible, vu l’insistance de Strabon sur la latinité de Nîmes, que celle-ci l’ait reçue seule et spécialement de César, et les autres, après 44. — Il ne me paraît pas possible, dans le texte de Strabon, de ne pas corriger έχούσας en έχουσα, et de ne pas rapporter le mot à Nîmes. — Sur cette question, qui se prête à des hypothèses fort variées, cf. Hirschfeld, C. I. L., XII, p. 833 et 381.
[160] Cela résulte de Suétone, César, 76, 3 ; 80. Julios Durat., dans les monnaies des Pictons (Cab., n° 4478-82) ; peut-être Julius Togirix chez les Séquanes (n° 5632-6), Gaius Julius Agedomapatis (n° 4599, 10412 ; Blanchet, p. 391 ; cf. C. I. L., XIII, 1042-5). La presque totalité des chefs municipaux de la Gaule mentionnés par Tacite s’appellent Julius, qu’ils soient santons, éduens, trévires, lingons, rèmes et bataves même. Il est vrai que leurs ancêtres ont pu recevoir ce nom et le droit de cité, non de César, mais d’Auguste ou de Tibère.
[161] E semibarbaris Gallorum, Suétone, César, 76, 3 ; 80.
[162] Willems, I, p. 581 et suiv.
[163] Suétone, César, 80.
[164] Gallos Cæsar in triumphum ducit, idem in Curiam ; Suétone, César, 80, 2.
[165] Mommsen, R. G., III, p. 461 et s., surtout p. 567-9 ; Drumann, Geschichte Roms, 2e éd., par Grœbe, III, 1906, p. 589 et s.
[166] C’est dans ce sens seulement qu’on acceptera le mot célèbre de Michelet, Hist. rom., II, 3e éd., 1843, p. 269, le défenseur de l’humanité, l’homme de l’humanité.
[167] Spreto patrio more, Suétone, 76, 3.
[168] Cf. Mommsen, R. G., III, p. 558-67 ; surtout la loi municipale.
[169] Omnis orbis peragratus est, etc. ; Cosmographia Julii Cæsaris, Riese, Geogr. Lat. minores, p. 21.
[170] Suétone, César, 44, 2.
[171] Cf. Sanio, Zur Geschichte der rœm. Rechtswissenschaft, 1858, p. 84 et s. ; Krüger, Geschichte der Quellen und Litteratur des rœmischen Rechts, 1888, p. 63-9.
[172] Suétone, 44, 1-2 ; cf. Drumann et Grœbe, III, p. 555-6, 607.
[173] Cf. Marquardt, Staatsverwaltung, III, p. 269 et s. ; Pottier, Dict. des Antiquités de Saglio, au mot Dedicatio.
[174] Dion, XLIV, 48 ; Lucain, V, 381-390 ; etc.
[175] Suétone, 76, 1.
[176] Plutarque, César, 61 ; etc.
[177] Dion, XLIV, 6, 4 ; Suétone, 76, 2 ; etc.
[178] Cf. Dion, XLV, 10.
[179] Cf. Radet, Journal des Savants, 1910, p. 450-2.
[180] Plutarque, César, 58 ; Suétone, César, 44, 3 ; Appien, II, 110, 459 ; etc.
[181] Plutarque, 58 ; et Rome n’aurait eu d’autre limite que l’air et la mer (Dion, XLIV, 43, 1).
[182] Par exemple, Théopompe et Artémidore de Cnide ; cf. Susemihl, G. der griech. Litt., II, 1892, p. 52 et 685.
[183] Il avait alors de 58 à 59 ans.
[184] Ici, ch. I, § 2, 3 et 1.