I. — NATURE DE L’INTELLIGENCE CHEZ LES GAULOIS. L’histoire de la monnaie et celle de l’industrie nous ont montré chez les Gaulois, à côté des richesses de leur pays, des réserves d’initiative, de réflexion, d’imagination. Grecs et Romains ont pu les redouter et les injurier, les traiter de, bandits, d’ivrognes fieffés, de coupeurs de têtes : ils n’ont jamais vu en eux des sots ou des imbéciles[1]. Tous ceux qui ont parlé des Celtes ont affirmé ou laissé entendre qu’ils avaient l’esprit fort éducable, susceptible d’un idéal[2]. Caton disait des Ligures italiens, qu’ils manquaient du souvenir, des choses et de tout souci de culture intellectuelle ; leur mémoire et leur langue étaient infertiles comme les rochers de leurs montagnes. Dans la Gaule, au contraire, on voyait déjà luire l’aube de la vie littéraire et artistique. Assurément, la majorité des Celtes n’étaient autres que des Ligures ayant changé de nom. Mais la conquête celtique n’avait pas seulement apporté un vocable nouveau et amené d’autres maîtres. Elle avait aussi dégagé l’esprit des habitants de la torpeur où ils demeuraient engourdis : l’horizon des hommes s’était élargi : les nations étaient plus grandes, et les dieux plus solennels. Aucune des révolutions qui ont transformé le nom et le gouvernement de notre pays n’a laissé intactes toutes les habitudes intellectuelles. L’invasion germanique, si elle n’a pas touché à la langue, a endormi pour près de quatre siècles les facultés littéraires et artistiques Gallo-romains. Et il suffit ensuite d’un changement de régime, sous les Carolingiens, pour amener une renaissance. Ne disons pas que les descendants des Celtes conquérants étaient les seuls à aimer la poésie et l’éloquence, et que les petits-fils des Ligures, toujours attachés à la glèbe, gardaient les pensées courtes et les sentiments mesquins de leurs ancêtres. Rien ne nous autorise à croire que l’esprit de ces vaincus ait été normalement réfractaire à d’aimables influences. Si les barbares de la Ligurie italienne ne purent rien apprendre, c’est sans doute parce qu’ils furent soustraits à la conquête et à l’action des Celtes. Les Celtes du second siècle (quelle que fût l’origine de leur sang) avaient une intelligence vive, qui comprenait aisément et qui retenait bien[3]. C’est ce que disait le Grec Posidonius, le premier et peut-être le seul homme, de toute l’antiquité qui les ait observé, avec soin, et qui n’ait pas traité avec le mépris rapide du lettré les Barbares de l’Occident. Esprits pénétrants, habiles à saisir rapidement le sens des choses et la suite d’un raisonnement, voyant vite et voyant clair, les Gaulois étaient aptes à cette haute culture intellectuelle dont ils sentaient les approches à la frontière de leur pays. On fut frappé de leur instinct d’imitation[4]. Leur système monétaire nous en a donné plus d’une preuve. César les montre, chefs et soldats, copiant avec une rare dextérité les machines de guerre de l’armée romaine, ses procédés de siège, sa façon de camper, sa stratégie même[5]. Qu’un général intelligent, tel qu’Ambiorix et Vercingétorix, se dresse parmi eux, et il pourra en quelques mois leur faire accepter les habitudes de la guerre savante[6]. Et cela est vrai des Belges comme des Celtes. L’art et l’industrie gauloises, lettres de l’alphabet, objets de culte, dieux, bijoux et vaisselle, ont souvent, à leur origine, des figures importées et des types d’emprunt. Le penchant à imiter serait à peine une faculté intellectuelle, s’il n’était précédé du désir de savoir et de comprendre, de la curiosité des choses. Curieux, les Gaulois passaient pour l’être plus que n’importe quels Barbares de l’Occident. S’ils accueillaient bien les étrangers, c’est qu’à leur affabilité naturelle se joignait l’ardent désir d’apprendre du nouveau. Car ils n’avaient pas avec l’hôte venu des pays lointains cette discrétion qu’affectent souvent les peuples hospitaliers : ils l’obligeaient à parler, il fallait qu’il racontât. C’était avec de longs récits qu’il devait payer l’accueil reçu[7]. II. — HABITUDE DE LA PAROLE. Si pénétrant que fût leur esprit, la parole allait peut-être plus vite que la pensée. C’étaient les plus bavards de tous les Barbares. Ils avaient la loquacité du Grec, et le langage était pour eux le geste le plus habituel. Dans les assemblées publiques, ils ne se dispensaient pas d’interrompre, si bien qu’un huissier était chargé de rappeler à l’ordre[8]. S’ils aimaient à écouter, c’était surtout afin de raconter, et il fallait prendre des mesures à l’endroit des propagateurs de nouvelles, se prémunir contre les commérages politiques, les griseries des orateurs de carrefours[9]. La Gaule était déjà un pays de nouvellistes et de harangueurs. Bien parler y fut une vertu. On l’a dit des Romains[10], on doit le dire plus encore des Gaulois. L’éloquence était, chez un chef, un instrument de puissance et d’action aussi efficace que son or et que sa clientèle. C’est surtout en orateur ardent et persuasif que Vercingétorix a commandé : la terreur n’a jamais été, pour lui, qu’un moyen provisoire de régner[11]. Lisez les Commentaires de César : tous ces nobles gaulois sont de beaux parleurs, et si on interrompt les uns, on écoute et on applaudit les autres. Les soldats aiment à se laisser convaincre et entraîner par le langage. Ils subissent l’enthousiasme de celui qui s’émeut devant eux. Et les chefs, de leur côté, quêtent les acclamations et étudient leurs effets[12]. Dans les conseils de guerre, devant les troupes assemblées, lors des entrevues solennelles, les Gaulois se plaisent à exposer leurs idées copieusement, avec l’enchaînement rigoureux familier à des routiers de rhétorique[13]. Je sais bien que César a pu arranger les paroles qu’il leur prête. Mais, comme il s’agissait d’évènements contemporains, qu’il a entendu lui-même quelques-unes de ces harangues, et que des transfuges lui ont transmis les autres, il n’y a pas, dans les morceaux oratoires des Commentaires, cette part exorbitante d’invention que Tite-Live a mise dans les discours d’un Camille ou d’un Canuleius[14]. Aussi bien, César aurait-il fait parler si longuement les Gaulois, si telle n’avait été leur coutume ? Ils avaient des manières de s’exprimer qui surprenaient les Romains. C’étaient tantôt des déclamations de tragédiens, le verbe haut, la phrase superbe, l’hyperbole de la pensée, l’exubérance du moi et la raillerie outrancière[15] ; et tantôt, au contraire, des propositions courtes, incisives et sentencieuses, des aphorismes au sens voilé, une sorte d’escrime intellectuelle, de jeu fait d’allusions, de feintes et de sous-entendus[16]. Entre trop d’emphase et trop d’esprit, le Gaulois ne savait pas être simple et naturel. III. — DE LA LANGUE DES GAULOIS[17]. Que valait, comme instrument de travail intellectuel, la langue que parlaient les Gaulois ? Dans quelle mesure correspondait-elle à leur esprit et pouvait-elle favoriser leurs penchants ? Par malheur, de toutes les choses de la Gaule qui nous échappent, la langue est à coup sûr celle que nous ignorons le plus. Les Anciens, toujours peu curieux des parlers barbares, se sont obstinément refusés à nous entretenir d’elle, à nous dire en quoi elle ressemblait ou s’opposait aux autres langages de l’Occident[18]. Les Celles, a dit un Grec, ont la voix forte et retentissante, et pleine d’intonations rudes[19] : peu s’en faut qu’il ne compare leur langue au croassement du corbeau. Mais de telles épithètes ne signifient rien ; n’importe quel peuple les a données aux idiomes qu’il ne comprend pas[20]. Les documents nous en apprendront à peine davantage[21] : — les noms propres des légendes monétaires[22] ; quatre douzaines d’inscriptions, où dominent également les noms propres[23] ; des noms de lieux, dont beaucoup sont sans aucun doute antérieurs à la conquête gauloise ; une vingtaine de gloses de lexiques[24] ; deux à trois cents mois rapportés par les auteurs anciens[25] ; quelques autres, dont on peut retrouver I’existence par les descendants qu’ils ont laissés dans les langues romanes[26] : — voilà tout le trésor du celtique ancien, et encore ce trésor renferme-t-il sans doute bien des pièces étrangères. Car il se compose presque exclusivement de noms, propres ou communs, et ce n’est guère qu’un vocabulaire fort incomplet — or, le vocabulaire d’une langue, surtout dans ces conditions, révèle mal son caractère propre[27] ; tout au plus permet-il de dire quels sont les idiomes avec lesquels elle a frayé ou se trouve apparentée. La plupart des langues vivent, en ce qui concerne les noms, de mendicités périodiques. Quand on nous dit que brannos signifie corbeau dans le vieux celtique[28], je le veux bien : mais rien ne prouve que les Celtes n’aient pas emprunté ce mot aux Ligures qui les ont précédés. Pour juger du mécanisme, du ressort particulier de cette langue, vingt lignes de rédaction vaudraient mieux que mille noms propres, et elles nous manquent[29]. Il est vrai qu’on peut essayer de se rendre compte de l’ancien gaulois à l’aide des idiomes de la Bretagne française ou des îles Britanniques, idiomes qu’on suppose dérivés soit du gaulois lui-même, soit d’une langue sœur[30]. Ces idiomes forment deux groupes : 1° le kimrique ou britonnique, qui comprend le breton d’Armorique, le gallois du Pays de Galles, le cornique de Cornouailles, aujourd’hui disparu ; 2° le goïdélique, constitué par l’irlandais, le gaëlique de l’Écosse, le dialecte de l’île de Man[31]. Et il n’est pas douteux que l’une et l’autre de ces familles n’offrent avec les débris du parler celtique de nombreux traits de ressemblance. Mais ces langues du Nord-Ouest de l’Europe, à quelle distance les saisissons-nous de l’ancêtre gaulois qui les aurait produites ! C’est sept siècles après César qu’on en trouve les premières traces[32], et ce n’est qu’au treizième siècle qu’on peut enfin juger de leur structure[33]. Or, il faut moins de temps parfois, pour transformer radicalement la langue la plus parfaite. Qu’on envisage le chemin parcouru, depuis César jusqu’à saint Louis, par la langue latine, la rivale occidentale du parler gaulois, qu’on songe aux facultés qu’elle a perdues, à celles qu’elle a acquises, à l’extraordinaire évolution suivie par son génie : et cependant le latin fut surveillé de près par les littérateurs, les prêtres et les politiques, il vivait sous la tutelle de cette triple autorité, et à chaque génération il ne cessait de produire des œuvres écrites. Nous pouvons donc nous figurer les changements qui ont bouleversé, dans ces douze siècles, la langue celtique et ses congénères, qui n’étaient point écrites, qui étaient en contact avec toutes sortes de dialectes rivaux, et qui, depuis la conquête romaine, ont vécu à l’aventure, livrées aux caprices des paysans et du populaire. Pour juger sainement le langage que parlaient les indigènes de la Gaule au temps de César, d’Auguste et d’Antonin, il faudrait le juger d’après ce qu’il a laissé de ce temps en Gaule même, et c’est à peine plus que rien. Aussi, même en nous bornant à noter quelques vagues lueurs au milieu de cette ignorance, nous ne pouvons pas affirmer qu’elles ne nous égarent pas. — Voici les indications que les textes anciens nous fournissent. Au temps de César, on ne parlait qu’un seul idiome chez les indigènes de nom celtique. S’il eut besoin d’interprètes, ce ne fut jamais que pour la langue des Gaulois[34] ; il eut à son service des Gaulois auxiliaires, des transfuges et des traducteurs[35], il connut toujours fort bien les incidents des camps ennemis : il ne mentionna jamais les embarras que lui aurait causés une population double, à deux noms et à deux parlers. Lorsque Sertorius, dans l’armée consulaire de Marius, voulut s’aboucher avec les Gaulois de Provence, il n’eut à apprendre que le celtique[36]. — Or, quatre à cinq siècles auparavant, lors de la conquête de la Gaule par les Celtes, deux langues s’étaient trouvées en présence : celle que parlaient les vaincus ou Ligures, celle qu’apportaient les envahisseurs. Au moment de l’arrivée des Romains, ce dualisme n’existait plus : la lutte entre les deux idiomes était aussi abolie que la rivalité du latin et du germanique sous les règnes de Wamba ou de Hugues Capet. Dais, de l’un et de l’autre, lequel l’avait emporté ? autrement dit, la langue gauloise contemporaine de Vercingétorix était-elle fille du ligure des vaincus ou du celtique des vainqueurs ? Il est probable que dans ce conflit, la victoire est restée au dialecte des conquérants, et que le ligure s’est effacé devant lui. De cela, nous avons deux ou trois preuves à demi concluantes. — Strabon distinguait très nettement les Ligures et les Celtes des régions provençales et alpestres : il n’eût pas fait cette distinction si leurs langues eussent été semblables. — Quand Hannibal remonta l’Isère, qui traversait des terres gauloises, il rencontra au confluent de l’Arc des populations d’une autre langue : or, il quittait à cet endroit le monde celtique[37]. — On parlait trois langues à Marseille, rapporte Varron, le grec, le latin et le gaulois[38]. Mais il ne dit pas qu’on y parlât le ligure. Les Celtes donc, lorsqu’ils s’étaient unis en Provence avec les indigènes, leur avaient imposé leur langage, et cependant, dans cette région, l’élément ligure était demeuré très puissant, puisque ses habitants conservaient le nom de Celtoligures[39]. A plus forte raison, dans le reste de la Gaule, l’idiome des vainqueurs avait-il eu gain de cause. Dans quelle mesure gagna-t-il la partie ? est-il sorti indemne de la rencontre ? combien de mots ligures accepta son vocabulaire, et combien de tournures dénaturèrent sa syntaxe ? Nous ne pourrons, de longtemps encore, répondre à cette question avec quelque assurance. Mais si faibles que soient les indices, ils autorisent à supposer, dans la langue gauloise, un fonds important d’emprunts faits à la langue des vaincus : l’écart qui avait séparé le ligure et le celte ne put que diminuer, et ne demeura point trop considérable[40]. Deux siècles après le premier ban gaulois, arrivèrent au nord de la Marne ceux qu’on appela les Belges. Chez eux aussi, le même conflit se produisit, et aboutit, semble-t-il, à un résultat pareil. Car la langue des Belges et la langue des Celtes n’étaient séparées que par des différences dialectales, sur lesquelles les étrangers n’étaient point d’accord[41], et que la science moderne ne peut encore discerner[42]. Elles possédaient entre elles un trésor commun qui était considérable. Tous les mots du vocabulaire belge que nous possédons se retrouvent dans le vocabulaire voisin : ce sont, au nord comme au sud des forêts de la Marne, les mêmes noms de localités et de personnes[43]. Cette similitude des noms propres de lieux est d’ailleurs la preuve irrécusable que la langue gauloise exerçait une absolue souveraineté, et qu’elle était uniforme et homogène. Les noms de villes et d’hommes que nous a légués le Moyen Age sont encore les témoins de la diversité des parlers de France : aux Châteauneuf des pays du Nord s’opposent les Castelnau des terres de langue d’Oc. Les noms qui viennent des temps gaulois montrent qu’un seul idiome s’imposa partout : on trouve des Noviodunum, ville-neuve, sur l’Aisne comme près de la Loire[44], des Noviomagus, marché-neuf, depuis les sables du Médoc[45] jusqu’aux rives du Rhin[46]. Et deux des principaux chefs de la Gaule au temps de César, l’un né chez un des peuples les plus voisins du Rhin et les plus tard venus, l’autre, issu d’une des nations les plus anciennes de la Celtique centrale, portaient des noms presque identiques, le Trévire Cingétorix et l’Arverne Vercingétorix[47]. Ce n’était qu’aux extrémités du pays, là où les Gaulois n’avaient point pénétré, qu’on entendait des langues différentes de la leur : le ligure, au delà de l’Arc provençal et dans les plus reculés des vallons alpestres ; l’ibérique et peut-être encore le ligure, au sud de la Garonne et dans le Roussillon ; sans doute d’autres dialectes, apparentés à l’une ou l’autre de ces deux langues, dans les recoins des terres pyrénéennes. Le germanique, d’autre part, remontait le long de la Meuse et de la Moselle[48]. Mais le domaine du gaulois n’en comprenait pas moins les neuf dixièmes de la Gaule, et peut-être davantage. Il tendait plutôt à s’accroître qu’à diminuer. Au delà de cette contrée, il s’appuyait sur les vastes colonies déposées dans le monde parles Belges et les Celtes. Il y avait des villes au nom de -dunum, si franchement gaulois, depuis l’embouchure de la Tyne[49] jusqu’au delta du Danube[50] : les Galates d’Ancyre pouvaient comprendre les Trévires de la Moselle[51]. Bien avant le latin, cette langue gauloise put paraître comme la langue conquérante du monde. Ses conquêtes ont été à la fois très rapides, très fortes, très tenaces. Nulle part, avant l’arrivée des Romains, elle n’avait fléchi sous un idiome de vaincu. Tandis que le germanique, au tempe des invasions barbares, a sombré au delà du Rhin et au sud des Alpes, le gaulois a maintenu ses droits jusqu’en terra asiatique. Encore su quatrième siècle de l’ère chrétienne, les Galates d’Asie Mineure, perdus comme un îlot au beau milieu des dialectes grecs, conservaient la pratique de leur langue nationale[52]. Il a fallu, pour l’extirper de la Gaule propre, bien autre chose que les guerres de César et l’administration des empereurs, et elle a eu, durant les cinq siècles de la vie latine, de véritables retours offensifs[53]. Elle ressembla, comme langue propre à remporter des victoires, à ce latin qui devait la remplacer. Cette extension prodigieuse n’a pas en pour seule cause les triomphes militaires de ses peuples. Elle tient aussi à des raisons d’ordre linguistique : d’autant plus que l’arrêt même de la conquête celtique ne mettra point fin aux progrès de la langue. D’abord, sur presque tous les points, l’Orient excepté, le gaulois se heurta à des langues de même espèce, celles que parlaient les Ligures et autres Occidentaux. Il vint superposer sa domination à une unité linguistique déjà faite. — Or, il apparaît de plus en plus aujourd’hui que cet idiome ligure se rattachait aux langues indo-européennes ; qu’il partageait avec le gaulois bien des formes essentielles[54] ; que des idées fondamentales, telles que celle de divinité, s’exprimaient dans l’un et l’autre par les mêmes radicaux ; que le ligure, en d’autres termes, était un rameau sorti du même tronc gîte le gaulois, mais ayant plus tôt poussé, grandi et conquis. Ayant donc à lutter sur la plupart des points contre un même rival, et rival peut-être pas très différent de lui, le parler gaulois put se comporter partout de la même manière, obtenir des victoires semblables, ou subir des transformations analogues. En outre, selon toute vraisemblance, le gaulois était une langue, sinon savante, du moins intelligente, souple et variée. Elle avait les mêmes sons, diphtongues[55], aspirations[56] ou autres, que le grec et le latin ; on retrouvait en elle les mêmes habitudes de flexion[57] que dans les deux grandes langues méditerranéennes[58]. Il existait, entre les vocabulaires de ces trois idiomes qui se partageaient la domination de l’Europe, d’étranges similitudes. Des dédicaces religieuses pouvaient être rédigées et écrites avec des sons et des mots identiques en gaulois et en italiote : Mairebo Namausikabo, aux Mères de Nîmes, voilà qui est celtique, et qui pourrait être latin archaïque, osque ou ombrien[59]. Certains noms de nombres, petru-, quatre, ne se disaient pas différemment dans la langue gauloise et dans les plus vieux dialectes de l’Italie[60]. A certains égards, les Romains pouvaient voir dans le celtique un frère du latin, qui aurait conservé de vieux mots et de vieilles habitudes[61]. Et les Grecs, de leur côté, y retrouvaient bien des syllabes et des expressions familières : le gaulois epos, cheval, correspondait à leur ϊππος[62] ; duron, porte, à θύρα[63] ; -cnos, -genos, -gnatos, né ou fils de, à -γονος ou -γνητος : et c’étaient là quelques-uns des radicaux les plus employés dans l’onomastique des lieux et des personnes, ceux qu’entendaient le plus souvent les étrangers venus du Midi. Nous ne savons que quelques faits de la déclinaison et de la conjugaison gauloises[64]. Il y avait chez les Celtes un nominatif en -os, comme chez les Latins et chez les Grecs[65] ; ils paraissent posséder une seconde déclinaison en -is[66], une troisième en -ix ou -ixs, -igis[67] ; et tout cela est assez semblable aux formes des grammaires classiques. La troisième personne du verbe, au singulier, y était parfois pourvue de la consonne finale, comme chez les Italiotes, avot, fecit ou facit[68] ; mais souvent aussi elle était à terminaison de voyelle, dede[69] correspondant à dedit, ieuru et iorebe[70], à erigit et erexit, et cela faisait songer davantage aux formes helléniques[71]. Enfin, on a cru reconnaître un démonstratif, sosio[72], hic, une préposition in[73], semblable à celle des Latins, et un article, ton à l’accusatif, semblable à celui des Grecs[74]. La langue gauloise oscillait, dans ses affinités, entre celle des Romains et celle des Hellènes[75]. Ce qui la rapprochait davantage de cette dernière, c’était l’abondance de ses préfixes[76] et de ses suffixes[77], qui modifiaient à l’infini le sens d’un même radical, et qui se prêtaient ainsi à l’expression des mille nuances de la pensée : divus, divin, a donné les noms de sources, de lieux ou de déesses Diva, Divio, Divanno, Divona, Divicia, et les noms de personnes Divico, Divicus, Diviciacus, Divictus, Divirius, Divixtus, Divixtillus, Divixtullus, et d’autres encore[78]. C’est aussi son amour pour les noms composés, pour les agglutinés de mots et de particules[79] : le latin, évidemment, aimait beaucoup moins ce travail de jonction[80]. Quand les Romains voulaient dire marché neuf ou château neuf, ils laissaient les deux mots vivre isolément, Forum Novum, Castrum Novum[81]. Les Gaulois les unissaient en un seul, Noviomagus, Noviodunum[82], tout comme les Grecs disaient Νεάπολις. Il est assez rare de trouver chez eux des noms propres à formation simple, autrement dit à radical monosyllabique, comme Brennos, Commius, Acco, et ils rappellent peut-être un stade plus ancien de la langue[83] : ils sont de beaucoup la minorité dans l’onomastique contemporaine de César[84]. Presque toujours, les noms des chefs sont démesurément allongés, et comme pleins de sons et de sens : Indutiomarus, Vercingetorix, Vercassivellaunus : ce qui nous rappelle les habitudes polysyllabiques chères aux Grecs, et qui leur faisaient créer des noms comme Άλέξανδρος ou Δημοσθένης. Une dernière chose digne de remarque, c’est l’aisance avec laquelle les noms gaulois ont pu être transcrits en lettres grecques et latines. César dans ses Commentaires, les monnayeurs gaulois sur leurs pièces, des lapicides de toute espèce sur la pierre, ont en à écrire les mêmes mots en des temps et des pays très divers. Ils ont procédé à l’écart les uns des autres, et, à une ou deux lettres près, les graphies sont identiques. César écrira Vercingetorix et Dumnorix, lorsqu’un graveur a mis Vercingetorixs et Dubnoreix[85] : mais ce sont là différences insignifiantes, et rares d’ailleurs. Les mots gaulois entrent presque toujours avec nue incroyable facilité dans le moule des notations et des rythmes des langues méditerranéennes[86]. On peut donc supposer que le gaulois, comme ses deux voisines plus civilisées, était une langue habilement articulée, assouplie aux flexions, riche en cas et en modes, apte à nuancer l’expression, aisée et perfectible. Elle ne sera un obstacle ni à la diffusion de la vie intellectuelle ni à la pénétration de la culture méditerranéenne. IV. — ALPHABETS. Les circonstances historiques ont fait que le premier contact civilisé reçu par nette langue a été celui de la Grèce. Aussi le plus ancien progrès que les Gaulois ‘ aient réalisé dans la vie intellectuelle, l’emploi de récriture, leur est-il venu de cet idiome hellénique qui avait, avec le leur, certaines analogies. Ce furent les marchands grecs, ceux de Marseille surtout[87], qui révélèrent à la Gaule l’usage et les avantages de l’alphabet n’était-il pas le plus commode des instruments du trafic, l’irrécusable témoin des promesses et des contrats ? Les Celtes, au moins dès le second siècle[88], acceptèrent donc les signes écrits, que ne leur interdisait, semble-t-il, aucune prescription religieuse[89]. Comme ils avaient affaire surtout à des Grecs, ce fut leur alphabet qu’ils adoptèrent[90]. Et les caractères helléniques, qui avaient déjà conquis l’Italie étrusque et latine[91], ajoutèrent à leur empire occidental une région plus vaste encore ; on s’en servit jusque dans les pays du Rhin et du Mein, à la lisière de la forêt Hercynienne[92]. Leur domination était fort solide[93]. Car les marchands ne furent pas les seuls à utiliser les lettres écrites, et elles ne servirent pas uniquement à des comptes et des engagements de caractère privé[94]. Elles reçurent une sorte de sanction officielle des deux grandes puissances qui gouvernaient alors la Gaule, les prêtres et les cités. Les druides recouraient à l’alphabet grec quand il s’agissait d’actes publics[95] ; il fournit les plus anciennes légendes des monnaies[96] ; on établissait avec son aide, enfin, les états de recensement des citoyens et des soldats[97]. Grâce à l’usage courant de l’écriture, les Gaulois commencèrent à avoir de véritables archives, privées et publiques. César put connaître les effectifs de ses ennemis par les tables qu’il trouvera dans leurs camps[98]. C’est ainsi que les Helvètes et associés avaient couché par écrit la liste de leurs 368.000 émigrants, divisés en quatre catégories, soldats, enfants, vieillards et femmes ; et, comme ils avaient inscrit le nom de chacun d’eux[99], cela faisait un document d’une étendue extraordinaire. Les Gaulois ne reculaient donc pas devant les longueurs et les minuties de l’écriture[100]. L’alphabet n’était passé en Étrurie et dans le Latium
qu’en subissant de notables changements[101]. Chez les
Gaulois au contraire, il fut introduit tel quel, sans addition ni transformation
de caractères. Leur langue ne possédait aucun sort qui fût intraduisible dans
une notation grecque[102] ; ils ne firent
usage d’aucun signe spécialement dessiné pour eux. Plus tard, il est vrai, les
Celtes useront d’une lettre qui leur sera propre, Ce n’est pris à dire que l’usage des lettres helléniques ait été exclu. Dans le Midi, les peuples préférèrent parfois celles dont se servaient les populations barbares de leur voisinage, Ibères ou Celtes italiens. Les alphabets suivent les routes que prennent les marchands. Par la plaine de Languedoc, celui des Ibères pénétra à Narbonne[106] et peut-être même au delà[107], le long de la route qu’avaient suivie jadis les conquérants de ce nom et qu’habitaient encore quelques-uns de leurs descendants. Par les cols des Alpes et la vallée de la Durance, les signes étrusques du Nord de l’Italie descendirent à leur tour jusqu’au Rhône, chez les peuples riches et laborieux da Comtat[108]. Sans doute aussi, l’usage des lettres ibériques se répandit à travers les terres non-celtiques de l’Aquitaine, pour toucher à Bordeaux et peut-être même à Saintes[109]. Il en résulta que dans le Midi, ces deux alphabets rivalisèrent un peu partout avec celai de la Grèce, et que toutes les formes de lettres usitées dans le monde méditerranéen se rencontrèrent en ces carrefours d’Arles et d’Avignon où se joignaient aussi les marchands de tout l’Occident. Mais l’alphabet grec, d’ailleurs plus connu, aux signes plus fixes et plus simples, n’en resta pas moins prépondérant, même sur la marche d’Espagne ; et au fur et à mesure qu’on s’éloignait vers le nord, il avait moins encore à redouter ses rivaux. L’influence hellénique, dans certains domaines, a agi plus fortement sur les Celtes du Centre que sur ceux du Midi, qui conservaient on prenaient plus d’habitudes venues des Ligures, des Étrusques et des Ibères, plus de rapports avec les populations de ces dernières sortes. V. — LITTÉRATURE VERBALE. Pour le moment, l’alphabet ne sert que dans les monnaies, les documents publics, les actes et les comptes privés[110] : il est un instrument, peut-être encore à demi religieux, pour authentiquer, et pas autre chose. Il n’est pas devenu l’auxiliaire de la vie intellectuelle. La littérature se fait toute entière en dehors de l’écriture. Elle est parlée ou chantée, et ses œuvres ne sont conservées que par la mémoire et transmises que par les sons. Car, de ce qu’un peuple n’ait point laissé d’ouvrages écrits, n’en concluons pas qu’il était inapte aux productions de l’esprit. C’est une faute, dans l’histoire littéraire des nations, que de tenir un si faible compte des légendes, des hymnes de guerre, des traditions populaires : ne sont-elles pas œuvre de l’esprit et choses de style, autant que des strophes ou des lignes lentement écrites ? Un peuple qui n’est point stupide ne peut laisser sa pensée et son imagination inactives : la France du dixième siècle a fort peu rédigé, elle ne compte pas dans nos histoires littéraires, et c’est alors surtout que se forme chez elle cette merveilleuse flore verbale de légendes, de contes et de récits qui s’étaleront en écrit dans les siècles postérieurs. A ce point de vue, la Gaule indépendante a été, de toutes les nations à production orale, celle dont le travail littéraire fut le plus puissant et le plus varié : ce qui est encore un argument en faveur de l’excellence organique de son langage. Sauf, bien entendu, les Hellènes, aucune population méditerranéenne n’eut autant qu’elle le goût de grouper des idées et de jouer des mots. Chez les Italiotes, la littérature primitive vécut surtout de formules magiques et juridiques ; il n’y eut, en Espagne, que l’aimable royaume de Tartessus qui ait su composer des poèmes[111] ; les Ligures demeuraient oublieux et illettrés, l’Étrurie et Carthage, infécondes ou à demi muettes. Chez les peuples militaires venus du Nord, épris de gloire et d’action, l’esprit vécut d’une vie plus intense que dans les empires marchands et les tribus agricoles qu’ils ont remplacés ou combattus. Les Gaulois présentent à peu près toutes les formes de la littérature verbale. Comme il arrive chez les nations qui n’écrivent pas, mais qui se souviennent, ils ont cherché dans le vers, le rythme et la cadence, des moyens de tenir et de retenir les mots. Leurs œuvres furent donc surtout des poèmes et, pour la plupart sans doute, des poèmes destinés à être chantés. La poésie didactique était représentée par les interminables poèmes que les druides composaient ou inspiraient : car ce n’étaient pas de brèves sentences, mais des suites de vers innombrables que ces cosmogonies, ces épopées de l’univers où ils exposaient tour à tour la nature des choses, astres et terre, le rôle des dieux, l’essence et le sort des âmes, l’origine et l’histoire primitive du peuple celtique[112]. Ces poèmes de prêtres, transmis avec soin d’âge en âge, appris dans l’ombre et le mystère, étaient le domaine littéraire commun et sacré de tout le nom celtique[113]. A côté d’eux s’épanouissaient, au gré de l’inspiration de chacun, les récits des gestes d’autrefois, les chants épiques, les hymnes de bataille, toute cette poésie de combat et de gloire dont raffolent les races guerrières[114]. Nous soupçonnons qu’elle fut, chez les Celtes, extrêmement prospère, car elle servait à merveille les intérêts et les vanités de la noblesse toute-puissante. C’étaient les familles et les victoires de cette noblesse qu’elle célébrait. Un chant en l’honneur d’un grand ressemblait à une apothéose. Je me l’imagine débutant par l’ancienneté de la race du chef, les origines humaines ou divines de sa famille, racontant les fabuleux triomphes de ses ancêtres, et les courses lointaines des Gaulois dans le monde, tantôt les Celtes qui montent au Capitole, tantôt Bellovèse qui franchit les Alpes[115]. Puis, le poète abordait l’éloge du maître lui-même, sa richesse et sa force, la terreur des ennemis devant lui, l’éclat de ses marches triomphales, la reconnaissance de ses clients enrichis[116]. Histoire épique du peuple, enthousiasme du dithyrambe se mêlaient pour aboutir à la gloire d’un seul : étranges et vivantes poésies, où l’on eût retrouvé à la fois les thèmes des odes de Pindare et des annales gentilices de Rome. Les Gaulois avaient également leur poésie satyrique, morceaux le plus souvent improvisés, moitié railleries, moitié invectives, Atellanes d’un peuple bavard et à l’ironie facile[117]. Ils possédaient encore des chœurs de guerre, chantés avant la bataille ou dans les retours victorieux[118] ; et leurs cantilènes magiques, leurs prières de souhait et leurs formules de charme[119] ; et enfin, leurs poésies prophétiques[120], où ils annonçaient le triomphe de leur nom et la chute lamentable de leurs ennemis. Car, en poésie encore, la guerre était la principale inspiratrice : tous les genres vivaient d’elle ou menaient à elle, et même les poèmes didactiques, que les druides terminaient sur le conseil de ne point craindre la mort. D’un seul genre littéraire, le théâtre, il n’est point dit qu’il fût connu des Gaulois[121]. On ne peut conclure de ce silence qu’ils l’aient ignoré. Un des premiers effets de la conquête romaine sera de faire bâtir par toute la Gaule des théâtres de pierre, et souvent loin des villes, presque au milieu des bois, près des sanctuaires ruraux, dans les pays à demi sauvages du Nord on de l’Ouest. Ce qui ne s’expliquerait point si les indigènes n’avaient eu depuis longtemps l’habitude d’égayer leurs fêtes et leurs foires par des farces rustiques et de naïfs mystères. Car, si la passion des combats anime surtout cette poésie, elle n’en vit pas moins dans une certaine dépendance de la religion. Il en est d’elle comme de la monnaie, de presque tous les produits de la main et de la pensée des hommes. Si elle exalte la guerre, elle est imprégnée des choses religieuses. Les poètes se rattachaient presque tous au monde sacerdotal : les prophètes composaient des chants[122], les druides des poèmes, et le poète proprement dit, ou le barde, était souvent regardé comme un assistant de la prêtrise, un ministre du culte[123]. VI. — LES BARDES[124]. Car la Gaule avait une classe d’hommes spécialement voués à la poésie[125], ainsi que la Grèce eut ses aèdes et le Moyen Age ses jongleurs. Certes, la poésie n’était qu’une cliente de la guerre et de la religion ; et ces bardes formaient un groupe d’hommes assez misérables, subalternes plutôt que citoyens, partagés entre le service des druides et celui des chefs[126]. Mais enfin on les jugeait indispensables à la nation ; et s’ils chantaient pour un salaire, ils n’en étaient pas moins respectés, agréables et écoutés. Nous ne savons rien des bardes sacerdotaux. Ceux des nobles ont fort étonné les voyageurs qui, à la fin du second siècle, visitèrent les Gaules. On ne voyait plus rien de pareil dans le monde gréco-romain ; dont les chefs souverains, tels qu’Hannibal ou Marius, n’associaient guère la poésie à la brutalité de leurs aventures. Chez un grand de la Gaule, les bardes étaient, au même titre que des porte-boucliers, les auxiliaires constants de la toute-puissance, l’ornement verbal des beaux cortèges. Ils paraissaient à sa table, célébraient sa gloire pendant le repas, l’imposaient par le chant à la pensée des convives[127]. D’ordinaire, ils s’accompagnaient de la lyre[128] : et cet instrument était si bien devenu chez les Gaulois le symbole religieux de la musique et de la poésie, qu’ils en multipliaient l’image sur leurs monnaies[129]. Les bardes, comme les jongleurs du Moyen Age, improvisaient souvent, et avec une grande présence d’esprit, en gens habitués à cette voltige intellectuelle. — On racontait ceci de la cour de Luern, chef des Arvernes. Un jour de grand festin, un barde se présenta trop tard ; Luern était déjà parti, et sur son char. Le poète le rejoignit, le suivit, chantant sa grandeur, gémissant d’être arrivé après boire. L’Arverne lui jeta une bourse pleine et l’homme, l’ayant reçue, continua sa course et son chant, brodant de nouveaux vers où il comparait les empreintes laissées par le char à des sillons d’où germaient l’or et les bienfaits[130]. Ce qui, pour un Barbare, n’était pas de trop mauvais goût. Les poètes suivaient aussi leurs chefs, prêtres ou nobles, sur les champs de bataille et dans les plus longs voyages. On disait même qu’on en avait vu s’avancer entre deux armées ennemies, arrêter et apaiser par leurs chants des adversaires prêts à combattre : ce qui ne laisse pas que d’être fort étonnant[131]. Un jour, un général romain, guerroyant dans le Midi, vit venir à lui un chef gaulois, accompagné de ses hommes d’armes, de ses chiens et de son barde, et ce fut le poète qui parla d’abord ; pour entonner un chant en l’honneur de son maître[132]. Ces bardes servaient donc à la fois de hérauts et de parlementaires. Les Romains trouvaient la chose plaisante. Mais j’aime encore mieux voir, à côté d’un chef militaire, un barde qu’un pullaire, un poète qu’un sacrificateur. Non certes que les camps gaulois manquassent de prêtres : mais la présence de chanteurs montre que ces peuples voulaient, même à la guerre, entendre d’autres paroles que les formules du rituel, et qu’ils y aimaient la poésie aux sons harmonieux, tout aussi bien que les armes aux figures brillantes. VII. — L’ART[133]. Nous avons parlé plus haut de cet amour des Gaulois pour les objets bien décorés, armes et vases. Ils en ont importé beaucoup de Marseille, d’Italie et de Grèce ; ils en ont fabriqué tout autant. Dans quelle mesure les œuvres de l’art et de l’industrie indigènes sont-elles originales, et témoignent-elles de l’intelligence et du goût des ouvriers qui les ont ornées ? Les motifs d’ornements ont été, pendant fort longtemps[134], tirés de combinaisons géométriques. Jeux de lignes droites et courbes, variations sur les points, les cercles et les triangles, et surtout séries de spirales ou d’ondulations détachées ou réunies en sinuosités continues : c’est l’art purement linéaire qui semble l’œuvre propre de la pensée et de l’imagination gauloises[135]. De ces motifs de décors, beaucoup sont dessinés avec une irrégularité toute enfantine ; les éléments s’en présentent en groupes inégaux ; les traits sont tâtonnants et à profondeur variable. Mais sur les dernières œuvres de ce style (200 ou après ?[136]), par exemple sur les casques des tombes champenoises de Berru et de La Gorge-Meillet[137], on admirera, outre le galbe élégant et souple de l’objet lui-même, les ondulations régulières des palmettes, des spirales, des larmes et des rinceaux[138] dont les frises sont ciselées, et on songera, en les voyant, aux harmonieux produits de l’art mycénien, depuis longtemps disparu[139]. Dira-t-on[140] que ces dessins ne sont que des copies de modèles helléniques, adroitement reproduits ou légèrement travestis ? Cela, certes, n’est pas impossible, encore que jusqu’ici nul n’ait retrouvé le prototype méditerranéen de ces décors barbares[141]. Puis, quand bien même on nous montrerait des pièces grecques entièrement semblables aux produits gaulois, aurait-on fait la preuve que tout, chez ces derniers, vient d’emprunt et de plagiat ? Peut-on vraiment écarter l’hypothèse d’un art né spontanément chez les peuples septentrionaux[142] ? Les Celtes et les Belges ont-ils donc été incapables de disposer d’eux-mêmes en groupes symétriques les lignes, les points et les demi-cercles, d’inventer les méandres et les courbes ondulées ? De tels procédés d’ornement se présentent naturellement à la pensée et à la main des hommes ; ils sont le résultat d’une manière énergique ou enfantine d’interpréter les choses de la nature, astres circulaires, éclairs en zigzag ou serpents sinueux[143] ; on les retrouve comme décors ou comme symboles dans tous les pays ; l’usage en demeurera constant sur les domaines des populations du Nord ; et là, dans les îles Britanniques et en Scandinavie, ce style linéaire devait donner naissance à un art tantôt fleuri, capricieux et flamboyant, tantôt sobre, sévère et robuste, qui conserve son originalité et son mérite en face même des chefs-d’œuvre helléniques[144]. Rien n’empêchait qu’il n’en advînt de même chez les Gaulois. Sur la pierre sainte de Kermaria en Finistère[145], peut-être un des plus anciens spécimens de la sculpture celtique (300-200 au plus tôt ?), nous apercevons, régulièrement disposés et vigoureusement tracés, la croix simple ou gammée, le quatre-feuilles[146], la croix en triangles, les olives, les méandres et les spirales, c’est-à-dire tous ces ornements à sens mystérieux que les âges lointains de l’Occident ont transmis à la Gaule, et que les nations de l’Océan conserveront si longtemps encore dans leur foi et dans leur art[147]. Pouvons-nous croire, en voyant ces dessins aux traits si francs et ces symboles méthodiquement ordonnés, que le graveur de cette pierre perdue de l’Armorique maritime n’ait été que le transcripteur ignorant d’un objet importé de la mer méridionale ? Tout révèle au contraire, sur ce bloc énigmatique et puissant, la marque d’une pensée personnelle : le lapicide a lui-même voulu ces signes, il a compris leurs sens, il a réfléchi sur leurs proportions et leur groupement. Mais à ce style géométrique s’opposa bientôt le style d’après nature, né de la figuration des objets réels et des êtres vivants. Les Gaulois se sont longtemps interdit de représenter des choses concrètes, et surtout les animaux et les hommes : cela, sans doute, moins par l’inexpérience de leurs ouvriers que par le respect religieux de ce qu’ils adoraient[148]. Ils ont continué la tradition ligure. S’il fut fait chez eux, avant le second siècle, des objets d’art ou d’industrie ornés de figures zoomorphiques, on peut presque affirmer que toutes ces figures ont été machinalement copiées sur des originaux grecs ou étrusques : c’est le cas, nous l’avons vu, des anciens statères gaulois. Le plagiat se révèle dans tous les détails de ces œuvres : contours dénaturés, proportions méconnues, traits inachevés. L’artiste indigène n’a point donné de sens à la figure qu’il copiait ; il ne l’a point pensée par lui-même. Dans son esprit, la reproduction de ces lignes tracées par un étranger, de ces têtes de dieux ou d’hommes et de ces corps de chevaux, ne pouvait passer pour l’image d’un être de son pays. Il ne violait pas, en les copiant, la loi religieuse. Plus tard (après 200 ?), l’art de l’image prit lentement place à côté de l’art linéaire[149]. Les Gaulois se mirent à représenter directement ce qu’ils voyaient autour d’eux, et d’abord les animaux et les choses qu’ils associaient à leur vie religieuse et à leur vie militaire : des figures de bêtes ornèrent boucliers et casques, des sangliers de bronze servirent d’enseignes. Les traits tracés par la main furent utilisés pour former des êtres de leur entourage ou de leur imagination : en fixant ces êtres sur leurs armes, ils purent croire qu’ils les attachaient à leur service. Des animaux réels ou chimériques vinrent décorer les fourreaux et les lames d’épées, les appliques d’airain du costume et du harnachement militaires[150]. On peignit des bêtes de fantaisie sur les vases de terre cuite[151]. Des graveurs multipliaient sur les monnaies les images des objets de culte, celles des chevaux, des fauves, des oiseaux dont parlait la légende sacrée : comme si, en les traduisant par le métal, on lui communiquait quelque chose de leur vertu divine. — C’est pour cela sans doute que l’image humaine parut la dernière : on craignit d’enlever à l’homme un peu de sa force en répétant ses traits sur la pierre ou le bronze. Au surplus, ce que l’on composa d’abord comme figures d’hommes, c’étaient, non pas des statues de vivants ou de morts, mais des simulacres d’ordre religieux et militaire, symboles plutôt que portraits. L’extrémité des antennes qui formaient la poignée des épées et des dagues se découpa en corps ou en têtes d’hommes ou de génies[152]. Des amulettes représentèrent ces tètes coupées qui passaient pour des fétiches domestiques[153]. Et ces têtes, la gloire des chefs de guerre, devinrent peut-être le motif le plus fréquent de l’art nouveau : car il rappelait les victoires, il traduisait cette religion militaire qui dominait lame de tout Gaulois. — Puis, on sculpta pour les tombes l’image même des hommes qui avaient vécu[154], et les dieux furent taillés dans les troncs des arbres sacrés. — Très tard enfin, on grava sur les monnaies la figure des chefs qui vivaient et commandaient[155]. Il est difficile d’apprécier en connaissance de cause la valeur artistique de ces œuvres. De la statuaire religieuse, il ne nous reste absolument rien : ceux qui en ont parlé l’ont jugée d’une grossièreté repoussante, mais la religion a pu l’attarder dans des formes naïves et démodées. Les figures de métal et surtout les images des monnaies ne sont pas des œuvres d’enfants médiocres ou de sauvages irréfléchis : il y a là, souvent, un dessin très sûr, le goût d’une minutieuse exactitude[156], des expressions rudes et énergiques, des gestes parfois rapides et vigoureux. Mais sur toutes ces œuvres se fait toujours sentir l’influence du style linéaire, qui ne voulait pas disparaître, et des habitudes géométriques auxquelles il pliait l’esprit et la technique. Invinciblement, l’artiste se laissait ramener aux traditions et aux dessins coutumiers : l’oiseau se transformait en palmette, les êtres humains prenaient des contours rigides, les têtes devenaient des triangles sphériques, où la triple ligne des sourcils et du nez apparaît comme deux angles adossés[157]. Il faudra de nouveaux efforts d’attention et de volonté pour rompre avec cette tyrannie des formes symétriques, pour assouplir la main et la disposer à rendre l’infinie variété des formes vivantes. Il faut faire une place à part au buste de guerrier trouvé à Grézan près de Nîmes. Exécuté avec soin et finesse, ferme dans ses contours et dans ses lignes, exact et proportionné, c’est déjà, presque, une œuvre d’art[158]. — Il est vrai que Nîmes est sur la grande route civilisatrice du Midi. Marseille et le carrefour du Rhône ne sont pas loin. Et les peuples du Languedoc ont aussi suivi l’exemple de l’Espagne, où les notions d’art ont pénétré beaucoup plus tôt que dans les Gaules, et qui venait de produire le buste de la dame d’Elche[159]. Le problème de l’influence grecque ou étrusque se pose également à propos de toutes ces images. Il paraît probable, cette fois, qu’elle n’est pas étrangère à la naissance et aux progrès de l’art figuré. Ce buste de Grézan est d’une facture trop précise pour ne pas laisser supposer une main étrangère. Les représentations d’êtres vivants seront d’autant plus fréquentes qu’on se rapproche davantage de la Méditerranée. Et les plus grands dieux de la Gaule prendront pour modèles de leurs images celles des divinités méridionales. Mais, si la Grèce suggérait cette forme de l’art, elle était destinée maintenant à reproduire des êtres et des pensées indigènes ; et si c’étaient des artistes étrangers qui sculptaient pour le Gaulois les ornements de ses armes, ils devaient s’inspirer de ses croyances et de sa vie. Or, la Gaule avait l’imagination assez riche pour fournir la matière d’innombrables images : les souvenirs de son passé, les mythes et les symboles de son culte, l’exubérance de sa vie militaire et religieuse, pouvaient faire naître en foule les créations fortes ou bizarres, étranges ou grandioses. Elle avait sa poésie, rien n’empêchait qu’elle n’eût un art figuré qui lui fût propre. Dans les derniers temps de son indépendance, ses velléités artistiques hésitaient donc entre l’image et le dessin linéaire. Je ne saurais dire dans quel sens l’entraînaient alors les instincts et les goûts de ses peuples. Mais, quelle que dût être la direction choisie, un art original pouvait naître chez les Gaulois, si du moins ils conservaient une pensée indépendante et une imagination autonome[160]. VIII. — QUELQUES PRATIQUES SCIENTIFIQUES. Les Gaulois n’étaient pas davantage incapables d’observations et de raisonnements scientifiques. Diviciac le druide disait à Cicéron que les règles de l’art divinatoire avaient été établies, chez les prêtres de sa nation, en partie sur des faits constatés[161], en partie sur des conjectures : observations imparfaites, inductions ou déductions téméraires, conjectures désordonnées, cela va de soi, mais enfin l’intelligence faisait effort vers les procédés normaux de la science. Les druides conservaient le monopole des travaux sur la nature ; et leur curiosité n’était pas moindre, semble-t-il, que celle des prêtres de l’Orient et des philosophes de la Grèce. La divination et la prophétie étaient sans doute le but de leurs études sur les problèmes de l’univers, comme la production de l’or fut celui de la chimie au Moyen Age. Mais, de même que l’ambition de la pierre philosophale a conduit les hommes à de très belles découvertes, la recherche de l’avenir pouvait révéler aux druides quelques-unes des lois fondamentales qui régissent la matière et la vie. De fait, ils avaient ries théories sur les éléments constitutifs ris, l’univers, l’eau et le Feu, sur ses bouleversements ultérieurs, sur l’étendue du monde et de la terre, sur les révolutions des astres, et enfin sur l’origine et les destinées de l’homme, sur le dualisme de l’âme et du corps. Nous ignorons ce que valaient ces théories : mais la science de la nature se présentait déjà, clans leurs poèmes, avec son objet et ses cadres définis. S’ils n’ont peut-être pas créé le calendrier, c’étaient eux sans doute qui en arrêtaient le détail. Comme presque tous les peuples, les Gaulois l’avaient sur le cours de la lune[162] : le mois correspondait aux révolutions lunaires de 29 jours et demi ; les journées étaient comptées suivant leur place après la nouvelle ou la pleine lune. La nuit conduisait le jour, c’est-à-dire que le commencement des jours, ou des espaces de vingt-quatre heures, était marqué par la tombée de la nuit, et l’on comptait la vie humaine ou la durée des évènements par un nombre de nuits, comme nous le faisons par un nombre de jours[163]. — D’ailleurs, de très sérieux efforts avaient été tentés pour mettre en accord le calendrier lunaire avec le cycle du soleil. On groupait en une année douze mois, dont chacun avait son nom propre, et qui étaient alternativement de vingt-neuf et de trente jours[164] ; mais, comme cette année, de 355 jours, était inférieure d’une dizaine de jours à la durée réelle d’une révolution solaire, on intercalait, tous les deux ans et demi, un treizième mois complémentaire de 30 jours, ce qui rétablissait à peu près l’équilibre[165]. Enfin, la portée habituelle d’une génération d’hommes, une période de trente ans, formait ce qu’on appelait le siècle, et le siècle servait sans doute de base à des numérations chronologiques[166]. Ainsi, les Gaulois pouvaient évaluer de grandes longueurs de la durée ; il leur était facile d’avoir une notion assez nette des évènements écoulés et de l’histoire de leur peuple. Les faits d’autrefois ne se perdaient pas dans le même horizon confus[167]. Comme ils savaient calculer le temps, ils savaient aussi mesurer l’espace. Nous connaissons trois de leurs mesures de superficie : le candetum, qui servait pour les terrains de la campagne, surface carrée d’environ 20 ares[168] ; le candetum des terrains des villes, d’environ 8 à 9 ares[169] ; et l’arepennis ou arpent, la moitié du jugère romain, soit 12 ares ½[170]. Toutes ces mesures étaient des carrés parfaits, ayant respectivement pour base, le candetum rural, 100, et l’arpent, 80 coudées grecques (la coudée, environ 0 m. 44). Le système métrique des Gaulois se rapprochait donc d’assez près de celui des Hellènes : il semble cependant difficile qu’ils le leur aient emprunté. Cet élément de la coudée se retrouvait aussi dans la principale mesure d’itinéraire, la lieue (leuga), environ 2217 mètres[171], soit 5000 coudées, 50 fois le côté du candetum agraire. Et tout cela nous montre, chez les Gaulois, des systèmes de mesures rigoureusement ordonnés[172]. Ils employaient donc, sauf pour les calculs astronomiques, la numération décimale ; et nous avons vu, par les tables de recensement dressées chez les Helvètes, qu’ils s’entendaient à manier les longs chiffres et à opérer d’interminables additions[173]. Pour achever enfin de jauger les capacités scientifiques de ces peuples, rappelons-nous leurs découvertes agronomiques et industrielles. L’amendement sérieux des terres, les combinaisons de métaux, le fixage des teintures, ne s’obtiennent qu’au prix d’expériences nombreuses, dont il faut d’abord avoir l’idée, qu’on doit ensuite répéter et modifier sans cesse. Ce qui exige une pensée ingénieuse et l’esprit d’attention. Je ne dis pas que la vie scientifique eût déjà commencé dans les Gaules : mais le terrain y était bon pour elle. IX. — DE L’ÉDUCATION DE LA JEUNESSE. C’est peut-être par leur façon d’instruire la jeunesse que les peuples montrent le mieux leurs aspirations véritables. Ils font des enfants ce qu’ils voudraient être eux-mêmes, ils les dirigent vers un certain idéal national. Les nécessités de la vie matérielle, la poussée quotidienne des occasions, la force des instincts physiques, détourneront souvent de cet idéal les hommes faits et les peuples organisés, obscurciront les pensées, entraveront les destins espérés : et l’historien aura peine à retrouver les désirs propres de la nation à travers les évènements déterminés par des causes extérieures. Mais l’éducation de l’enfant laisse intacte la théorie, et permet de voir les goûts profonds des sociétés. Or, il y avait ceci de particulier chez les Gaulois qu’ils possédaient un système d’éducation et une classe d’éducateurs. Tandis que Rome et Athènes sont demeurées longtemps sans fixer des règles et sans préposer des maîtres à l’instruction des enfants, qu’elles l’ont abandonnée le plus souvent à l’autorité ou à l’indifférence du père de famille et à l’humeur changeante des mères, la Gaule a fait de l’enseignement de la jeunesse une sorte de service religieux et public : je parle, bien entendu, surtout des fils de nobles, quoiqu’il ne soit point prouvé que toute la plèbe fût tenue à l’écart de ce bienfait. En outre, ce service n’était pas confié à de vulgaires salariés, écolâtres de rencontre, étrangers à la vie normale des cités. Ce sont les druides qui servent de maîtres, le soin d’instruire est tan apanage réservé à l’élite de l’aristocratie elle-même. Diviciac, qui fut un des plus grands chefs de son peuple, a dirigé l’éducation des fils de ses congénères. On peut presque dire que le jeune Gaulois, à côté de son père par le sang, chef de famille et chef de guerre, a dans le druide un pire spirituel. Et ce dualisme, des armes et de l’esprit, de la noblesse des batailles et de la noblesse qui étudie, se trouvait déjà dans les premières impressions reçues par l’enfant. On a vu quelles furent les matières de cet enseignement, et la façon dont il se donnait. Il était, en quelque sorte, à double fin. Les druides apprenaient aux adolescents ce qu’ils croyaient savoir sur la nature des choses, et c’était là d’abord une instruction purement théorique. Mais ils y joignaient des préceptes religieux et moraux, qui en étaient la conséquence pratique. L’exposé de leur doctrine sur l’immortalité de l’âme se terminait par le conseil de combattre sans peur de la mort[174] De ce contact avec les recherches de l’esprit et les vérités supérieures, le jeune Gaulois revenait encore mieux trempé. pour la vie de périls qui lui était proposée. X. — RÔLE DES CHOSES DE L’ESPRIT. Les curiosités intellectuelles ne nuisaient donc pas aux passions militaires. Ces deux ordres de sentiments s’associaient et s’entraidaient en Gaule : dualisme, avons-nous dit, mais non pas divorce. Les druides instruisaient au courage ; les bardes célébraient les faits de guerre ; les plus belles œuvres des artistes étaient destinées à décorer les armes ; et l’éloquence des chefs servait surtout dans les mois de campagnes. Nous voyons par là même l’estime particulière où les Gaulois tiennent les œuvres de l’esprit humain. Ils étaient mieux et autre chose que des coureurs de routes et des manieurs d’épées. Caton l’Ancien a dit de ceux de la Cisalpine : Ils ont deux passions dominantes, être braves à la guerre et parler avec habileté[175]. Mais cela est vrai de tous. Prouesses de bras et prouesses de parole, voilà leur double idéal. Jeune, le Gaulois a appris des vers à l’école des druides. Chef de famille, il s’entoure de poètes, et se plaît à les écouter dans les festins et les campements. Les deux solennités périodiques de sa vie, le banquet et le combat, ne peuvent se passer de chants. S’il se bat bien, c’est pour être célébré à son tour. Il sait que sa gloire a besoin des bardes à venir. Au delà de l’instant présent, de celui où il chevauche et où il tue, il regarde vers un âge lointain où des paroles harmonieuses répéteront son nom dans les assemblées des hommes. A côté de l’immortalité que la nature donne à l’âme des vaillants, il comprend celle que la poésie assure au souvenir de leurs actions. Lui-même est, suivant les heures, orateur, chanteur ou poète. C’est par le discours surtout qu’il impose sa volonté aux siens : il a la grandiloquence et l’ironie faciles. Il n’abandonne pas toujours aux bardes l’œuvre de sa gloire. Avant le combat singulier, il entonne l’hymne à sa louange, il improvise la diatribe contre son adversaire. Quand les poètes latins voudront peindre le Celte dans la bataille, ils le montreront s’arrêtant devant son ennemi et chantant, en un chant d’orgueil, la gloire des siens et la sienne propre ; puis, changeant de ton, invectivant contre son rival en facéties injurieuses[176], tour à tour comédien et tragédien, et toujours déclamatoire et gesticulateur, désireux d’éblouir et de terrifier. Car l’esprit et la parole ne sont pas pour lui une manière de se divertir, mais des moyens de gouverner ou des armes de combat. |
[1] Feritatis... Habent tamen et facundiam suam, Mela, III, 2, 18.
[2] César, VII, 22, 1 ; Strabon, IV, 4, 2 ; 1, 3.
[3] Diodore, V, 31, 1 (Posidonius).
[4] César, VII, 22, 1.
[5] César, VII, 22, 1 ; 30, 4 ; V, 42 ; 52, 2 ; VIII, 7, 2 ; 9, 1 ; 11, 1.
[6] VII, 30, 4 ; VII, 16 ; V, 42 ; 34-35.
[7] César, IV, 5, 2 ; cf. VI, 20 ; Diodore, V, 28, 5.
[8] Strabon, IV, 4, 3.
[9] César, VI, 20 ; cf. IV, 5.
[10] Quintilien, II, 20, 1.
[11] César, VII, 14 ; VII, 20 ; VII, 20 ; VII, 64 ; VII, 66 ; VII, 71 ; VII, 89.
[12] VII, 20, 9-12 ; VIII, 38, 1 et 4.
[13] I, 18 ; I, 26 ; I, 30 ; I, 31 ; I, 32 ; II, 3 ; II, 4 ; II, 31 ; V, 27 ; VII, 14 ; VII, 20 ; VII, 29 ; VII, 32 ; VII, 38 ; VII, 39 ; VII, 64 ; VII, 66 ; VII, 71 ; VII, 77 ; VII, 89 ; VIII, 21.
[14] Dans un sens différent du nôtre, Fabia, De orationibus quæ sunt in Commentariis Cæsaris, Paris, 1889.
[15] Diodore, V, 31, 1.
[16] Diodore, V, 31, 1. Je ne vois pas pourquoi certains éditeurs suppriment cette dernière proposition, que donnent les mss. L’assertion de Diodore correspond en partie à l’argute loqui de Caton.
[17] Pontanus, Itinerarium Galliæ Narbonensis, 1606, p. 161-334 (Glossarium Prisco-Gallicum), le premier, je crois, qui ait tenté une étude scientifique du gaulois ; Alteserra, Rerum Aquitanicarum libri, I, Toulouse, 1648, p. 127 et s. ; Mone, Die gallische Sprache, Carlsruhe, 1851 ; Zeuss, Grammatica Celtica, 2e éd., par Ebel, 1871 (1re éd., 1853) ; Monin, Monuments des anciens idiomes gaulois, 1861 ; Pictet, Nouvel Essai sur les inscriptions gauloises, dans la Rev. arch., avril, mai, juin, juillet et août 1867 ; Roget de Belloguet, Glossaire gaulois, 1re éd., 1858, 2e éd., 1872 (t. I de l’Ethnogénie) ; Becker, Die inschriftlichen Ueberreste der keltischen Sprache, 1863, Beiträge de Kuhn et Schleicher, III, p. 162 et s., p. 403 et s. ; Thurneysen, Keltoromaniscltes, Halle, 1884 ; Loth, Chrestornathie bretonne, 1890 ; Windisch, Keltische Sprache, dans Grundriss de Grœber, I, 1888, p. 283 et suiv. ; 2e éd., 1904, p. 371 et suiv. : Whitley Stokes, Celtic Declension, 1886 (Beiträge de Bezzenberger, XI, p. 64-175) ; Nicholson, Keltic Researches, 1904 ; Dottin, La langue des anciens Celtes (Rev. des Ét. anc., 1905) = Manuel, p. 52 et s. ; Rhÿs, Celtæ and Galli, extrait des Proccedings of the British Academy, II, 1905 ; le même, The Celtic Inscriptions, même recueil, 23 mai 1906.
[18] César nous dit qu'elle différait de la langue des Suèves, c'est-à-dire sans doute germanique (lingua Gallica, I, 47, 4) : de même Tacite (id., Germanie, 43) ; de même Suétone (Caligula, 47), Strabon insinue au contraire que les Gaulois et les Germains parlaient la même langue (VII, 1, 2). — Tite-Live fait des Gaulois du Valais (cf. César, III, 1, 6 ; 2, 1 et 2), c'est-à-dire des Galates ou des Belges, des Semigermani (XXI, 38, 8) c'est-à-dire des intermédiaires entre Celtes et Germains. — Le même Strabon distingue les Gaulois et les Ligures (II, 5, 28). Tite-Live semble dire que les langues différaient (XXI, 32, 10). Le même Tite-Live, parlant des Taurini de Turin qui sont έθνος Λιγυστικόν, antiqus Ligurum stirpe (Strabon, IV, 6, 6 ; Pline III, 123), les appellent Semigalli : je ne doute pas qu'il ne faille ainsi lire le texte, voyez Madvig, Emendationes Livianæ, 1877, p. 269-270. — De même, Tacite nous parle des ressemblances entre la langue des Gaulois et celles des Bretons, sans indiquer s'il s'agit des Gaulois immigrés en Bretagne ou des indigènes (Agricola, 11). Il dit d'autre part (Germanie, 45) que la langue des Estes du Samland était Britannicæ propior que la langue des Suèves. Je crois possible que dans le premier cas, il s'agisse de la langue des Gaulois bretons, dans le second, de celle des Bretons indigènes. — Il peut résulter de tout cela que les trois principales langues de l'Occident, gaulois, germanique et ligure, appartenaient à la même famille. — En revanche, Strabon distingue plus fortement, au point de vue linguistique, Gaulois et Aquitains (surtout ibères, IV, 1, 1). — Le gaulois ne ressemblait pas au pannonien (Tacite, Germanie, 43). — Mais jamais aucun enseignement précis n'appuie ces assertions générales.
[19] Diodore, V, 31, 1 ; cf. Irénée, Contra Hæres, I, pr., 3, Migne, VII, c. 443 = p. 10, Stieren. Claudien, Carmina min., 22 (51), 8 et 20. Jeep (babaricos sonos) ; Sidoine, Epist., III, 3, 2 (Celtici sermonis squamam). En revanche, le Transalpinus sermo de Pacatus (I, p. 271, 20, Bæhrens) est le latin provincial ; de même, le sermo rusticior de Sulpice Sévère (Dial., I, 27, 1, Halm), distinct du Celtice aut Gallice (id., 4).
[20] Julien le dira des Germains (Misopogon, p. 337, Spanheim, p. 434, Hertlein) ; Dion Cassius, LXXIV, 2, 6.
[21] Malgré l’énorme accroissement des trésors de mots gaulois. Comparez les deux vol. parus de Holder, Alt-celtischer Sprachschat. (1896 et 1904), avec ses dizaines de milliers d’articles, aux 430 mots du Glossaire gaulois de de Belloguet (1872, 2e éd., considérablement augmentée, p. 430) ; il est vrai qu’Holder a donné accès à un très grand nombre de mots antérieurs à la conquête celtique, ligures et autres, et même à d’autres mots étrangers aux pays où cette conquête a pénétré : son livre est devenu peu à peu plutôt un corpus des mots de langues occidentales barbares qu’un glossaire celtique.
[22] Muret et Chabouillet, p. :317 et s. ; Blanchet, Traité des monnaies, p. 95-330.
[23] Les plus importantes sont en lettres latines, et les plus récemment découvertes : le calendrier de Coligny, Ain, 1re s. de notre ère (Rev. épigr., III, p. 493 et 541, planche ; Rev. celt., XXI), la tablette magique de Rom, Deux-Sèvres, IIIe ou IVe s. (Rev. celt., XIX ; Nicholson, Keltic Researches, 1904, p. 131 et suiv.). Autres : à lettres ibériques ou étrusques ?, tablette d’Eyguières (Rev. des Ét. anc., 1900, p. 47) ; à lettres grecques : C. I. L., XII, p. 162, 383, 820, 824 ; à lettres latines, C. I. L., XIII, 1171, 1326, 1452, 2678, 2821, 2880, 5468 ; C. I. L., XIII, 10024, 164 : 10829, 328 ; 10026, 86 ( ?) ; Déchelette, Revue arch., n. s., XVI, 1867, II, p. 12 = C. I. L., XIII, III, 10017, 70 ; les inscr. avot ou avvot. Voyez en dernier lieu, et surtout, le travail de Rhÿs.
[24] Surtout Glossaire d’Endlicher (17 mots, Whitley Stokes, p. 142-3), Chronica minora, éd. Mommsen, I, p. 613.
[25] Le 1er essai de glossaire est celui de Pontanus. Diefenbach, Celtica, I, 1839, allait jusqu’à 347, mais en ajoutant beaucoup de mots supposés d’après l’histoire des langues romanes. De Belloguet (p. 219) compte 249 ; la liste est à contrôler ou plutôt à abréger. Dottin s’arrête à 204 : dans sa liste encore, je vois beaucoup de noms préceltiques ou ligures. — Ajoutez enfin, mais sous réserves, les formules du De medicamentis de Marcellus (éd. Helmreich, Leipzig, 1889 ; voyez sur elles : Grimm, Kleinere Schriften, II, 1865, p. 114-151, 152-173 ; Rhÿs, Celtæ and Galli, p. 50-5).
[26] Surtout d’après le travail de Thurneysen (cf. aussi Diefenbach, Celtica, I, 1839).
[27] Il n’y a de phrases que dans les inscriptions, et on n’a pu encore en donner une traduction acceptée de tous.
[28] Stokes et Bezzenberger, p. 182, etc.
[29] Sauf peut-être dans l’inscription de Rom, qui, jusqu’à meilleure découverte, me parait être la principale réserve de syntaxe celtique.
[30] La parenté entre le gaulois et les langues du Nord-Ouest a été indiquée au moins dès la première moitié du XVIe siècle : Ramus, De moribus veterum Gallorum, 1562, p. 82-83 (qui se dit du reste d’accord arec d’autres) ; Hotomanus [Hotman], Francogallia, 1576, p. 27. Une opinion courante au XVIe s. était l’identité du gaulois et du germanique ; on la trouvera représentée d’une manière continue jusqu’à Holtzmann. Mais, de ce que les Celtes sont venus de Germanie, il ne suit pas que, à vingt-cinq siècles de distance, et après des révolutions, des invasions et des mélanges infinis, et en Allemagne et en Gaule, on pourra expliquer l’idiome des Celtes par la langue que parlent aujourd’hui tous les hommes qui les ont remplacés au delà du Rhin. Il faut juger cet idiome par ce qu’il nous a laissé, sans égard aux parentés qu’on peut lui attribuer a priori.
[31] Cette double famille serait caractérisée surtout par la chute du p initial : are = παρά, devant. Les deux groupes se distingueraient surtout par leur manière de traiter la gutturale qu : dans le goïdélique, elle devient c, ch, q, c ; et p, dans le kimrique. Des réserves sur cette caractéristique ont été faites par Thurneysen (p. 8). — Auquel de ces deux groupes pourrait-on rapporter plus particulièrement le gaulois ? Zeuss (p. VI) opinait pour le kimrique. Historiquement, c’est ce qu’il y a de plus logique. Car le Pays de Galles et la Cornouailles sont les régions de langue britannique qui ont été le plus en contact avec les Belges immigrés en Angleterre, et le Pays de Galles est le seul où on peut compter quelques noms de lieux franchement celtiques (Mediolanum, Muridunum). L’opinion de Thurneysen (p. 9) est qu’il y avait en Gaule des dialectes apparentés et à l’un et à l’autre, et je crois bien, si l’on admet la filiation, qu’il a raison : le qu existait, en tout cas, dans la région de la Seine (Sequana, remontant aux Ligures ?) et celle du Jura, Sequani (calendrier de Coligny : inquimon, etc.).
J’hésite pour ma part, ainsi que d’autres l’ont déjà fait (Barth, Deutschlands Urgeschichte, 2e éd., Erlangen, 1840, p. 360 ; Galli, Essai sur le nom et la langue des anciens Celtes, Saint-Étienne, 1843, p. 181 et s. ; Holtzmann, Kelten und Germanen, Stuttgart, 1855, p. 90 et s., etc. ; Renard, en particulier Bulletins de l’Ac. roy... de Belgique, XXIII, II, 1856, p. 102 et s. ; Künnsberg, Wanderung, 1861, p. 189-321 ; Martins Sarmento, Lusitanos, 1891-3, Porto : toutes réserves sur leurs autres théories), j’hésite à considérer comme prouvés les rapports de filiation entre l’ancien gaulois et le kimrique ou le goïdélique. Et voici pourquoi. — 1° Les peuples parlant ces dialectes appellent eux-mêmes ou Gaëls (et ce mot n’a rien à faire avec celui de Gallus), ou Bretons, ou Kimris (chez les Gallois, nom récent) ; le nom de Celles leur est inconnu (Loth, L’Émigration bretonne en Armorique, 1883, Rennes, p. 87-9). — 2° D’aucun territoire de ces peuples il n’est formellement dit dans les textes que la conquête gauloise, celtique ou belge, y ait pénétré ; ils sont tous en dehors du nom gaulois, tel que son extension nous est connue par César, Strabon ou Tacite : j’excepte une partie du Pays de Galles, où se sont fixés quelques noms de lieux gaulois. En ce qui concerne l’Armorique, il me semble prouvé que le breton y a été apporté, après le Ve siècle, par, les immigrants de file voisine (Loth, p. 82-94). — 3° Et ceci est plus important : la presque totalité des inscriptions de la Gaule qui sont gravées dans la langue indigène, et qui, par suite, sont certainement des monuments celtiques, ne peuvent pas s’expliquer ou s’expliquent fort mal par ces langues du Nord-Ouest (Dottin, p. 81, 108-109) : remarquez que ni Boltzmann ni ses partisans n’ont connu cet argument, qui ajoute une singulière force à leur doctrine. — Donc, ou la filiation doit être née, ou les transformations subies par la langue de la Gaule sont trop considérables pour qu’on puisse tenter de remonter du breton ou de l’irlandais au celtique ou au belge. — Il me paraît donc fort possible que le breton et l’irlandais dérivent, soit tous deux, soit un seul, d’une langue pré-gauloise, et notamment du ligure, ou de l’idiome des indigènes qui ont habité les tics Britanniques avant l’arrivée des Gaulois, et que ces derniers ont soumis ou refoulés hors de l’Angleterre proprement dite. Au surplus, je ne crois pas qu’il y eût entre cette langue ou ligure ou britannique et le celtique ou le belge des différences fondamentales. — Pour ces motifs, nous avons évité de prononcer le mot de celtique ou de néo-celtique à propos des langues, de la religion ou des coutumes de l’Irlande et des deux Bretagnes, et nous avons préféré leur appliquer le mot de britannique, comme l’on faisait autrefois (Gesner, Mithridates, 1555, p. 12-13 ; Camden, Anglica, 1602, p. 886 ; etc.). — Nous ne rappellerons qu’à titre de curiosité les hypothèses auxquelles a donné lieu la langue gauloise, ses prétendus rapports avec l’hébreu, qu’elle a engendré le français, qu’elle vient du grec, etc. : cf. Le Brigant, Observations fondamentales sur les langues, 1787 ; de Moyecque, Les Gaulois nos aïeux, leurs origines et leur langue, Morlaix, 1881 ; de La Rochefoucauld dans La Nouvelle Revue, janv.-févr. 1905 ; etc.
[32] Zeuss, p. XI et XXVI ; Loth, p. 40 et s.
[33] D’Arbois de Jubainville, Introduction à l’étude de la littérature celtique, 1883, p. 30.
[34] César, I, 17, 3 ; 47, 4 ; VII, 44, 2.
[35] I, 19, 3 : Gaulois de la Province qui sert d’interprète entre César et un Éduen.
[36] Plutarque, Sertorius, 3. — Unité confirmée, selon moi : 1° par les coïncidences de mots fournies par les inscriptions indigènes dans toute l’étendue de la Gaule : avot, bratoude, kantena, ciallos, dede, ieuru, sosio (sosin) ; 2° par les analyses de l’onomastique et de la toponymie ; 3° par les textes qui appellent la langue des indigènes de la Gaule romaine le gaulois ou le celtique (Gallican lingua, Ulpien, Digeste, XXXII, 1, 11 ; Gallice, Aulu-Gelle, 11, 23, 8 ; Gallicus sermo, Hist. Aug., Lampride, Alex., 60, 6). — Actuellement, étant donné surtout que les inscriptions en langue indigène ne s’expliquent pas par le breton ou l’irlandais, les philologues tendent de plus en plus à croire qu’elles ne sont pas écrites en gaulois, mais dans un dialecte italique, ou en ligure, ou même en une autre langue (Bréal, Rev. arch., 1897, II, p, 104 et s. ; Vacher de Lapouge, Bull. hist. et phil. du Comité, 1898, p. 328 et s. ; d’Artois de Jubainville, Grammaire celtique, p. 173-7 ; Dottin, p. 45-6, 82, 108). Mais, vraiment, supposer une langue indigène usitée en épigraphie par presque toute la Gaule, et qui ne soit pas le celtique, et en revanche, accepter que le celtique n’ait laissé de lui presque aucun monument gravé, cela me parait contraire à toutes les données des textes.
[37] Tite-Live, XXI, 32, 10 : Gallos, haud score multum lingua moribusque abhorrantes.
[38] Varron ap. Jérôme, Comm. in Ep. ad Gal., II (Migne, VII = Patr. Lat., XXVI, c. 354) : Trilingues esse, quod et Græce loquantur et Latine et Gallice.
[39] Au moins au temps de Timée, IIIe siècle (De mirabilibus auscultationibus, 83 ; Strabon, IV, 6, 3).
[40] Le principal texte est celui de Tite-Live, XXI, 32, 10.
[41] César dit (I, 1, 2) : Lingua... inter se differunt ; Strabon au contraire (IV, 1, 1) : Όμογλώττους δ'ού πάντας, άλλ' ένίους μικρόν παραλλάττοντας ταΐς γλώτταις. Les gens du Valais, qui étaient des Belges, semblent parler une langue intermédiaire entre le celte et le germanique. En tout cas les rapports incessants, et de tout genre, entre Belges et Celtes ne s’expliqueraient pas s’il y avait eu une réelle opposition de langages. Cf. de Belloguet, Glossaire, p. 434 et suiv.
[42] Zeuss, p. VI : Thurneysen, Keltoromanisches, p. 8. Voyez par ex. l’essai de Mone, p. 50 et s. (gaulois = irlandais, belge = gallois), et, en dernier lieu, Rhÿs, Celtæ and Galli, p. 55 et s. (celte = goidétique, galate ou belge = britonnique). Et cela cadre assez bien avec ce que nous avons dit d’autre part des rapports entre Belges et le Pays de Galles et la Cornouailles.
[43] Cf. les trois notes suivantes.
[44] César, De b. G., II, 12 ; VII, 12 et 13.
[45] Ptolémée, II, 7, 7.
[46] Ptolémée, II, 9, 9.
[47] César, V, 3, etc. ; VII, 4, etc. On peut alléguer également ici Ies noms de chefs de Bretagne, noms d’origine belge : Cassivellaunus, Cingetorix, qui se retrouvent dans l’onomastique proprement celtique (V, 20 et 22) ; cf. de Belloguet, Gloss., p. 440.
[48] Avec cette réserve encore, que, chez les Éburons, d’origine germanique (César, II, 4, 10), les noms des chefs sont semblables à ceux des Gaulois (V, 24, 4). Même remarque pour les Trévires (V, 3, 2 ; cf. Tacite, Germanie, 28), les Nerviens (V, 45, 2 ; c. Tacite, l. c.).
[49] Segedunum, dans Not. dign., Occ., 40, 33 ; plus au nord encore, au nord du golfe de Forth, s’il faut lire Leviodunum dans l’Anonyme de Ravenne (V, 31, p. 430, 9, Pinder ; cf. Sieglin, Atlas antiquus, 30). Comme autre terme, Maridunum, Cærmarthen en Galles (Ptolémée, II, 3, 12).
[50] Noviodunum, Isaktcha, Ptolémée, III, 10, 5.
[51] Galatas... propriam linguam eamdem pæne habere quam Treviros (Jérôme, Comm. in Ep. ad Gal., II, 3 ; Migne, VII = P. L., XXVI, c. 357). Pourquoi, dit justement Windisch (p. 298 = p. 387), ne pas croire saint Jérôme, qui a été à Trèves comme chez les Galates ? Au surplus, le contexte me paraît prouver que Jérôme parle pour son temps, et ne se borne pas à transcrire l’assertion d’un autre écrivain.
[52] Texte de Jérôme, note précédente ; Lucien, Alexander, 51 : Κελτιστί. Contra, Perrot, Rev. celt., I, 1870-2, p. 179 et s.
[53] Peut-être vers la mort de Néron ; sans doute au temps de Septime Sévère ; peut-être dans la seconde moitié du IIIe siècle.
[54] Confirmé par l’étude des noms de peuplades ligures, pyrénéennes et alpestres, par l’existence d’un nombre de radicaux communs aux vocabulaires ligures et celtes (bell-, trot-, div-, eb- ou ebur-, man-, seg-, saur-, etc.), soit qu’il y ait eu emprunt, soit qu’il y ait eu, le plus souvent, même substratum antérieur. Je retrouve chez les Ligures, peut-être tri- = trois (Pline, III, 136), peut-être pinpe- = cinq (id., IV, 108).
[55] Zeuss, p. 29 et suiv. : ai, oi, ei, au, ou, eu, ie ; cf. Windisch, p. 302-3= 392-3.
[56] Aspirée labiale φ, aspirée dentale θ comme en grec. On croit que l’aspirée gutturale χ manquerait en gaulois comme en latin (Zeuss, p. 10-18) ; mais il faut faire des réserves sur cette théorie (Bourciez, communication verbale).
[57] Zeuss, p. 162 et suiv.
[58] Les analogies de sons avec le latin ont été bien mises en lumière par Windisch, p. 300 et suiv. = 390 et suiv. — Sur l’accentuation du gaulois, voyez les très prudentes recherches de Meyer-Lübke, Die Betonung im Gallischen (Sitzungsberichte der phil.-hist. Classe der k. Akad. der Wiss. de Vienne, 1901, CXLIII).
[59] Inscription de Nîmes, C. I. L., XII, p. 383. II m’est impossible de ne pas croire cette inscription celtique : si elle avait été en langue italique (opinion de d’Arbois, Grammaire, p. 173), pourquoi l’aurait-on gravée en lettres grecques ? puis, les noms du dédicant paraissent bien gaulois ; enfin, Nîmes était bien, en ce temps, terre celtique. Voir le mot de Thurneysen sur cette opinion, Zeitschrift für celtische Philologie, II, p. 541, et la discussion qu’en a faite Rhÿs, Inscr., p. 78-81.
[60] Ou petor- : petorritum, Petrocorii, etc. (Holder, II, c. 973 et suiv.) : l’adjectif parait avoir été petuarius (Holder, II, c. 981). En osque petora, en ombrien petur- : cette similitude avait déjà frappé les Anciens (Festus, p. 206 et 207 ; cf. von Planta, II, p. 196). — Autres noms de nombres, pempe- (Dioscoride, IV, 42, ms. πομπέδουλα) = cinq, cf. πέμπτος ; petrudecameto = quatorzième (C. I. L., XIII, 2494), tri- = trois (Holder, II, c. 1040 et suiv.) ; tricontii (C. I. L., XIII, 2494) = triginta ou plutôt les Trente ; Vocontii = les Vingt ? = viginti ?
[61] Pictet, Rev. arch., 1867, II, p. 139 ; Windisch (p. 300 = 390, p. 302 = 392) dit à propos du maintien de certaines diphtongues : Das Altgallische stand hier eher auf einer altertümlicheren Stufe, als das Lateinische. Brugmann a écrit dès 1884, dass die fortschreitende Aufhellung der Geschichte der keltischen Sprache noch so viele keltisch-italische Gemeinsamkeiten zu Tage fördern wird, dass damit der engere Verband mindestens wahrscheinlich zu machen ist (Internationale Zeitschrift de Techmer, I, 1884, p. 253-4). Cette prédiction a été réalisée tout au moins par les découvertes épigraphiques, si bien qu’on a été tenté de voir des textes italiotes dans des inscriptions de la langue indigène.
[62] Stokes et Bezzenberger, p. 26.
[63] Id., p. 158.
[64] Stokes, Celtic Declension, p. 162 et suiv. ; d’Arbois de Jubainville, Éléments de la grammaire celtique, 1903 ; Rhÿs, Inscriptions, p. 75-6.
[65] On suppose la déclinaison : sing. : n. -os, g. -i, d. -o ou -u, acc. -on, v. -e ; plur. : n. -i, g. -on, d. -obo ou -obis, acc. -os ou -us ; C. I. L., XII, p. 162 ; XIII, 1326, 1388, 2733, 3468, etc. Cf. Zeuss, p.222 ; Windisch, p. 305=395 ; d’Arbois, p. 2 ; Rhÿs, Inscr., p. 75. — On suppose aussi des noms en -a (d Arbois, p. II ; cf. -abo d. pl.), et peut-être des neutres en -en (Windisch, p. 306 = 396).
[66] C. I. L., XII, p. 162 : Ναμαυσατις ; avotis ? ; Luguris ? : acc. Ucuetin, C. I. L., XIII, 2880 ; plur. eurises, C. I. L., XIII, 3026 ; cf. Zeuss, p. 233.
[67] Ματρεβο ; Atextorigi (XIII, 1388) ; cf. Vercingetorixis (nom. ?, gén. ?) et Vercingetorixs sur les monnaies, Jullian, Vercingétorix, p. 354-5.
[68] Le mot se trouve toujours à la suite de la signature d’un ouvrier ou d’un fabricant (Holder, I, c. 317). D’Arbois de Jubainville (Antiquaires de France, vol. du Centenaire, 1904, p. 1548), s’appuyant sur ce qu’on rencontre aussi avotis (Bohn, C. I. L., XIII, III, p. 183, n° 382) et avoti (id., p. 146, n° 217, p. 100, n° 365, p. 380, n° 1944), croit que cette dernière forme est la seule complète, et que c’est celle d’un nom, fabricant : mais pourquoi a-t-on la phrase Sacrillos avot form(am) ? cf. Bohn, p. 121 et 465. Il serait après tout possible qu’il fallût distinguer avot = facit ou fecit et avotis = fabricator.
[69] C. I. L., XII, p. 383, 820.
[70] Ειωρου, XII, p. 162 ; ieuru, XIII, 1171, 1 :326, 1452, 2038, 2733, 2821, 2880, 5468 ; iorebe, XIII, 1388 ; iere ou ieuru (Déchelette, Vases céramiques, 1904, I, p. 145 : Rhÿs, Inscr., p. 58 : je ne peux voir que IEV... sur le monument, cour du Musée de Saint-Germain). Dugiiontiio (C. I. L., XIII, 2880) me semble être une forme verbale probabant ? ou probaverunt ?.
[71] Windisch, p. 305 = 394-5 : on pourrait distinguer chez les Gaulois l’équivalent des verbes en -o et des verbes en -mi, et supposer aussi chez eux un passif ou déponent en -r.
[72] Holder, II, c. 1619 on trouve sosio, sosin. Cf. d’Arbois de Jubainville, Grammaire, p. 83.
[73] C. I. L., XIII, 2880 ; 10017, 70 ?. Sans doute aussi : ex, Stokes et Bezzenherger, p. 26 ; are- = ante. — Etic (XIII, 2880) ou etik = et ?.
[74] Si l’on coupe, dans le calendrier de Coligny, pog dedor ton inquimon [l’hiver ?]. (Thurneysen, Zeitschrift fûr celtische philologie, II, p. 538). Sous réserves.
[75] Sur une confusion possible entre sons grecs et gaulois, Pausanias, X, 23, 8.
[76] Ambio-rix, Ande-cavi, Ate-smerius, Ex-cingillus, Ver-cingetorix (ver- = ύπέρ), etc. ; Holder, à ces mots. An- comme préfixe de négation (Thurneysen, Zeitschrift für celtische Philologie, II, p. 523).
[77] Celta, Celto, a donné Celtillus, Celtinus (Holder, I, c. 975-6) ; Cintus ou Cinto = primus, a donné Cintius, Cintonnus, Cintua, Cintullia, Cintullus, Cintusmus, Cintusmius, Cintusminus, sans parler des composés Cintumarus, Cintugenus, Cintugnatus (Holder, I, c. 1021-1024).
[78] Holder, I, c. 1289-86.
[79] Cf. trois notes plus haut ; autres exemples chez César : Vercassivellaunus, Eporedorix, pour les noms propres de personnes ; Durocortorum, de lieux, etc.
[80] Windisch, p. 303 = 393, qui exprime la réserve que nous connaissons ces combinaisons surtout pour les noms propres gaulois. Mais voyez, parmi les noms communs, exacum, drunemetum, vertragus, vergobretus, ver- est une particule intensive.
[81] De Vit, Onomasticon, aux mots Forum et Castrum.
[82] Holder, à ces mots. Cela est également visible dans les noms patronymiques Aneunicno(s) = fils d’Aneuno(s), C. I. L., XIII, 1326, etc.
[83] Cf. Zeuss, p. 161. Cela semble également vrai des noms de lieux.
[84] Sur 60 chefs (54 de Gaule, 6 de Bretagne) dont il donne les noms, je n’en trouve qu’une dizaine, Commius, Acco, Galba, Surus, Cotus, Iccius, Liscus, peut-être aussi Correus et Drappes.
[85] Muret et Chabouillet, p. 320. Cf. Windisch, p. 363 = 393.
[86] Voyez chez Lucain et Silius Italicus avec quelle facilité s’est faite l’introduction de noms gaulois dans la métrique latine.
[87] Strabon, IV, 1, 5.
[88] Peut-être dès le IIIe siècle, si les lettres AP désignent les Arvernes, et que les pièces soient antérieures à 206 ; Cab. des Méd., 3614 et suiv. (Muret, p. 318).
[89] Sauf en matière d’enseignement, César, VI, 14, 3.
[90] Strabon, IV, 1, 5.
[91] Tacite, Ann., XI, 14 ; cf. Dict. des Ant., au mot Alphabetum (Fr. Lenormant) ; Berger, Hist. de l’écriture dans l’Antiquité, 2e éd., 1892, p. 128 et s.
[92] Les Helvètes devaient en effet les connaître avant leur émigration en Suisse (cf. César, I, 29, 1).
[93] Le litteris Græcis de César (V, 48, 4 ; cf. Dion Cassius, XL, 9, 3, έλληνιστι ; Polyen, VIII, 23, 6) me parait signifier en langue grecque.
[94] Τά συμβόλαια, Strabon, IV, 1, 5 (cf. la main de bronze avec l’inscr. σύμολον πρός Ούελαυνίους, Bronzes antiques de la Bibl. nat., n° 1065) ; privatis rationibus, César, VI, 14, 3. Dans cet ordre de choses : la comptabilité dotale, César, VI, 19, 1-2 ; la comptabilité des prêts à long terme.
[95] César, VI, 14, 3, publicis rationibus. Dans cet ordre d’idées, la comptabilité des termes publiques, César, I, 18, 3.
[96] Cf. Blanchet, p. 92, 274-8.
[97] I, 29, 1. Emploi de l’écriture pour la correspondance privée (Diodore, V, 28, 6).
[98] Tabulæ (I, 29, 1) : mais de quelle matière ? César ne le dit pas.
[99] Nominatim, I, 29, 1.
[100] Ce que prouve également le calendrier de Coligny, aussi long et aussi minutieux qu’un calendrier romain, qui doit être supérieur à l’ère chrétienne, et qui suppose des documents indigènes antérieurs.
[101] Fr. Lenormant, p. 210 et 216.
[102] Ce que dit Windisch pour les notations latines des sons gaulois (à une exception près, qui va suivre, deux notes plus bas). Grœber, I, p. 300 = 390.
[103] Zeuss, p. 77.
[104] C. I. L., XIII, 4355-7, 4498 etc. ; remplacée tantôt par un S, tantôt par un D, Dirona et Sirona ; cf. Holder, I, c. 1286.
[105] Dans les monnaies, par exemple les pièces de Vercingétorix. Les plus anciennes inscriptions celtiques, celles du Midi, sont encore en lettres grecques.
[106] Attribution (incertaine) à Narbonne des monnaies, portant (lecture incertaine) NERHNCEN ? en lettres ibériques, Cab. des Méd., 2444-98 ; astres légendes ibériques, 2499-2508 ; cf. Hübner, Monumenta, p. 14, p. 26 (n° 1 et 14). L’attribution à Béziers des monnaies PRICAITN ? est plus douteuse encore (Hübner, n° 11). Voyez aussi, sur ces monnaies, et en sens divers : Boudard, Essai sur la numismatique ibérienne, 1859, p. 237 et s. ; Heiss, Descr. générale des monnaies antiques de l’Espagne, 1870, p. 433 et s. ; etc.
[107] La rencontre des alphabets grecs et ibériques se marque par leur emploi simultané sur les monnaies d’une tribu du Languedoc, celle des Longgostalètes (Hübner, p. 15 ; Cab. des Méd., 2350-2399) : l’inscription ibérique de ces monnaies, PVRP ?, semble réapparaître en partie sur certaines pièces attribuées à Narbonne (2483-96). — Tablette de plomb avec inscriptions à caractères ibériques (?), trouvée à Eyguières dans les Bouches-du-Rhône, Rev. des Ét. anc., 1900, p. 48 et s.
[108] Monnaies trouvées à Beauregard, Cab. des Méd., 2524-2543 ; les types sont empruntés à des deniers romains de Campanie, Duchalais, p. 109.
[109] Rev. des Ét. anc., 1903, p. 130. Il semble qu’on retrouve, à l’époque romaine, des lettres ibériques employées comme signes de ponctuation, Inscr. rom. de Bord., n° 92, 112, 152 ; d’autres, peut-être, sur les marques de potiers, XIII, III, Bohn, p. 399, n° 2108. Mais tous ces documents épigraphiques sont d’interprétation contestable.
[110] Jusqu’à nouvel ordre, on peut croire que les constitutions nationales, si minutieuses qu’elles fussent, se conservaient par la tradition ; en admettant l’existence, chez les Éduens, d’annales publiques, rien ne prouve qu’elles aient été écrites avant le temps des Romains. Il existait peut-être des listes généalogiques.
[111] Strabon, III, 1, 6.
[112] César, VI, 14, 4-6 ; 18, 1 ; Mela, III, 2, 19 ; Lucain, 1, 452-8 ; Ammien Marcellin, XV, 9, 4 et 8.
[113] César, VI, 14, 4-6 ; 18, 1 ; Mela, III, 2, 19 ; Lucain, 1, 452-8 ; Ammien Marcellin, XV, 9, 4 et 8.
[114] Posidonius ap. Athénée, IV, 37, et VI, 49 ; Diodore, V, 29, 3 ; 31, 2 ; Lucain, I, 447-9 ; Ammien, XV, 9, 8 ; Strabon, IV, 4, 4 ; Appien, Celtica, 12 ; Ælien, Hist. var., XII, 23 ; Nicolas de Damas ap. Stobée, XLIV, 41 = fr. 105, 3.
[115] Diodore, V, 29, 3 ; Appien, 12 ; cf. Properce, V, 10, 41 ; Silius Italicus, IV, 150-3 ; Tite-Live, V, 34.
[116] Appien, 12 ; Athénée, IV, 37.
[117] Diodore, V, 31, 2 ; 29, 3. Cf. Silius, IV, 279-281 ; V, 649-655.
[118] Tite-Live, XXI, 28, 1 ; Diodore, V, 29, 4. Cf. Tite-Live, X, 26, 11 ; XXIII, 24, 11.
[119] Mela, III, 48 ; Pline, XVI, 251.
[120] Tacite, Hist., IV, 54 ; Mela, III, 48.
[121] Έν θεάτρω chez Posidonius (Athénée, IV, 40) peut signifier dans une assemblée.
[122] Tacite, Hist., IV, 54.
[123] Il est associé aux prêtres et aux prophètes par la plupart de ceux qui ont parlé de lui : Strabon, IV, 4, 4 ; Ammien, XV, 9, 8.
[124] D’Arbois de Jubainville, Introduction à l’étude de la litt. celt., 1883, p. 31 et s. ; à titre de curiosité, Hersart de La Villemarqué, Chants populaires de la Bretagne, 6e éd., 1867, p. XIV et s.
[125] Posidonius apud Athénée, IV, 37, et V1, 49 ; Diodore, V, 31, 2 et 5 ; Appien, Celtica, 12 ; Ammien, XV, 9, 8 ; Strabon, 1V, 4, 4 ; Lucain, I, 447-9 ; Festus, p. 34, M. ; C. Gl. L., IV, p, 487, 37 ; p. 660, 15 ; V, p. 270. 43 ; Hesychius, p. 291, Schmidt. — Le radical bard- est celtique et se retrouve dans les langues britanniques avec le sens de ménétrier.
[126] Cf. Posidonius, VI, 49, p. 246 d. Il est vrai qu’on les place parmi les φΰλα τών τιμωμένων διαφερόντως (Strabon, IV, 4, 4), mais Diodore (V, 31, 2) et César (VI, 13, 1) réservent aux prêtres ce qualificatif de περιττώς, qui sunt honore.
[127] Posidonius, IV, 37 ; VI, 49.
[128] Ammien, XV, 9, 8 ; Diodore, V, 31, 2.
[129] Muret et Chabouillet, tables, p. 291 ; Blanchet, p. 163. Elle porte, sur les monnaies, 4 à 5 cordes, ce qui la rapprocherait de la lyre primitive grecque, qui en avait 3 à 4 (Th. Reinach, Dict. des Ant., au mot Lyra, p. 1444). L’analogie avec la crotta des Bretons (Fortunat, Carm., VII, 8, 84) nous échappe.
[130] Athénée (Posidonius), IV, 37, p. 152 f.
[131] Diodore, V, 31, 5. Si la chose est vraie, il doit s’agir de druides accompagnés par leurs bardes et imposant leur médiation (τούτοις, les druides, καί τοΐς μελωδοΰσι ποιηταΐς, dit Diodore).
[132] Appien, Celtica, 12.
[133] Flouest, Le Char de... Somme-Tourbe, Mém. de la Soc... des Antiqu. de Fr., XLVI, 1885 (1888), p. 99 et s. ; le même, Bulletin, 1884, p. 110 et s. ; Courajod, Leçons professées à l’École du Louvre, 17 et 24 déc. 1890, I, 1899, p. 45-54 ; Reinach : 1° Bronzes figurés (descr. du Musée de Saint-Germain), [1894] ; 2° La Sculpture en Europe avant les influences indo-européennes, 1896 (L’Anthropologie) ; 3° Guide illustré du Musée, [1899], ch. 2 ; 4° Catalogue du même Musée, 3e éd., [1898] ; 5° Idées générales sur l’art de la Gaule, Rev. arch., 1905, II, p. 308-313 ; Reinecke, Zur Kentniss der La Tène-Denkmriler, 1902 (Festschrift des... Centralmuseums zu Mainz) ; [Read et Smith], British Museum,... Early Iron Age, 1905 ; Romilly Allen, Celtic Art in pagan and christian times, [1904], p. 61 et s.
[134] Je parle ici surtout d’œuvres classées d’ordinaire aux périodes dites de La Tène I (500-400) et de La Tène II (400-300), mais en rappelant que beaucoup d’entre elles me semblent postérieures à 300, par exemple celles des tombes à chars de la Champagne.
[135] Courajod, p. 50-1.
[136] J’avance de beaucoup la date de ces objets : Reinach (Guide, p. 39) dit 350 au plus tard, Reinecke (p. 23) dit 500-400 (La Tène I).
[137] Musée de Saint Germain, IX, 1 et 10, Cat., p. 171 et 173. Très remarquable, à ce point de vue, la phalère d’Auvers. Voyez aussi, en céramique, les vases de Plouhinec et de Saint-Pol-de-Léon (du Chatellier, Poterie, pl. 14 et 15 ; Reinecke, p. 26) et les vases polychromes de Champagne : ils sont certainement contemporains des casques.
[138] Le principal motif d’ornement est à coup sûr la spirale ou, mieux, la double courbe en S, qui a pour l’art gaulois la même importance que la croix pour l’art chrétien ; on en retrouve les éléments à peu prés partout : motifs formés de deux S affrontées ; lignes courbes qui terminent les sommets des triangles ; ces mêmes triangles, à côtés ondulés ; larmes simples ou conjuguées ; etc. Cette courbe doit expliquer le caractère des colliers à torsades et des fibules en S, dites de La Tène. Cf. Flouest, Bulletin... des Antiquaires de Fr., 1884, p. 110-3. — Les jeux de cercles et de croissants sont relativement moins fréquents. — Les ornements rectilignes, croix, équerres, méandres, lignes parallèles, etc., paraissent appartenir à un style plus ancien, qui se rattache aux temps dits de Hallstatt : voyez en particulier les plaques de bronze trouvées en Franche-Comté (Musée de Besançon ; Saint-Germain, VI, 20) ; mais j’hésite à croire que ce style ne se soit pas prolongé dans les temps dits de La Tène, et que les objets en question ne soient pas postérieurs à 400 et même à 360. De même, sur les vases de la Marne à ornements en creux, les ornements rectilignes sont toujours plus fréquents (Reinach, Cat., p. 164). La pierre de Kermaria montre le mélange des motifs à courbes et à lignes droites. — Je ne puis donc m’arrêter encore à l’hypothèse que les décors à spirales ou en S sont surtout le style belge : mais il faut reconnaître que c’est chez les Belges, ceux d’Angleterre et d’Armorique compris, que ce type de décoration a donné vraiment naissance à un style original et vigoureux ; cf. Romilly Alleu, p. 148 et s.
[139] Cf. Courajod, p. 52. — Il faut ajouter le goût des Gaulois pour l’ornementation ajourée : voyez en particulier les bronzes de Somme-Bionne, Marne ; Nicaise, Époque gauloise, p. 12 ; Reinach, Bronzes, p. 2-4 ; Read et Smith, p. 50 : etc.
[140] Du Chatellier, 1re éd., p. 53 ; Reinecke, p. 26 ; Read et Smith, p. 19-20.
[141] Reinecke (p. 26) suppose et ne prouve pas.
[142] La même question se pose pour les peuples de l’Espagne (Paris, L’Art et l’Industrie de l’Espagne, II, p. 114), et pour bien d’autres.
[143] Cf. Grosse, Les Débuts de l’art, tr. fr.,1002, p. 86 et s. ; Deniker, Les Races, 1900, p. 237 et s.
[144] Voir, d’un côté, Romilly Allen, p. 61 et s., et, de l’autre, Montelius, Les Temps préhistoriques en Suède, trad. Reinach, p. 140 et suiv. Et cet art point chez les Belges, moins sensibles que les Celtes à l’art figuré.
[145] D’après le monument ; cf. du Chatellier, Bull. arch., 1808, pl. XV et XVI.
[146] J’appelle ainsi, faute de mieux, les quatre larmes d’une des faces (cf. Cab. des Méd., 8329). A mon sens, le monument de Kermaria marque l’étape artistique immédiatement antérieure à celle des monnaies gauloises à symboles : car tous ces signes se retrouvent sur les monnaies, présentés, il est vrai, le plus souvent avec plus de vigueur et de netteté, et plus isolés.
[147] Cf. Montelius, p. 146, 147, 148.
[148] Cf. Quicherat, Mélanges, I, p. 187.
[149] Je parle d’œuvres classées à la période dite de La Tène III, c’est-à-dire à la période dont le début est reculé à 300, ce qui est, selon moi, beaucoup trop tôt, et la fin, trop tôt aussi, à 100 ; Reinecke, p. 31 et suiv.
[150] Reinach, Sculpture, p. 117 ; Musée, Cat., p. 109, XIII, 22 ; remarquer surtout sur une applique trouvée dans l’oppidum de Bonnan dans l’Indre (cf. Breuil, Rev. arch., 1902, I, p. 328-9), des chevaux et des têtes coupées : les deux bêtes en métal ajouré de Somme-Bionne (Rend et Smith, p. 50) ; les trois chevaux du fourreau de l’épée de La Tène (Bronzes, p. 3). Cela n’est certes pas antérieur à 200.
[151] Les grillons du vase de La Cheppe.
[152] Saint Germain, XIII, 28 [22], p. 109 = 199 ; Reinach, Sculpture, p. 51-63. Voyez la tête humaine sur l’épée à antennes de Salon, Aube (Quicherat, Mélanges, I, p. 187-9).
[153] Bracelet de Durkheim près de Spire, Saint-Germain, VI, 34, p. 159 ; collier de Vitry-lès-Reims, Association franç. pour l’avancement des sciences, 1893, Congrès de Pau, II, p. 616. Colliers de métal ornés de têtes, de Baye, Mém. de la Soc. des Ant. de Fr., XLVI, 1885, p. 112 et s. ; Read et Smith, p. 53-4.
[154] Buste de Grézan.
[155] Pas avant le temps de César, p. 352-3.
[156] Voyez, par exemple, le soin avec lequel les graveurs de monnaies ont distingué les formes des épées et des boucliers, suivant qu’il s’agissait d’armes de guerre ou d’armes sacrées.
[157] Reinach, Bronzes, p. 3-6 ; Sculpture, p. 52.
[158] Espérandieu, Bas-reliefs, I, p. 293. S’il faut donner une date, entre 150 et 50.
[159] Paris, I, p. 279 et s. Je ne crois pas le buste antérieur à 230. Les sculptures célèbres d’Entremont (Espérandieu, I, p. 83-5), qui doivent être de la première moitié du Ier siècle avant notre ère, marqueront un progrès de plus, et comme l’étape qui sait immédiatement celle-ci.
[160] A peu de chose prés, je suis d’accord avec Courajod et avec Reinach (Bronzes, p. 1 et suiv.). Celui-ci a remarquablement indiqué l’opposition entre le style de La Tène et le style gréco-romain ; pour un seul mot je ferai une réserve : Prévalence... de la logique sur l’imagination : il y a imagination aussi bien dans des combinaisons géométriques que dans des créations de formes vivantes.
[161] C’est ce que vise l’expression d’auguriis ; Cicéron, De divination, I, 41, 90 : Naturæ rationem, quam φυσιολογίαν Græci appellent, notam esse sibi profitebatur, et partim auguriis, partim conjectura, quæ essent futura dicebat.
[162] Cf. Loth, L’année celtique, 1904 (extrait de la Revue celtique, XXV, p. 113 et s.)
[163] César, VI, 18, 2 ; Pline, XVI, 230 ; cf. chez les Germains, Tacite, Germanie, 11.
[164] Calendrier de Coligny, Rev. Epigr., III, p. 541 et suiv. Cf. Espérandieu, Calendrier, etc., Saint-Maixent, 26 oct. 1898 (autographie et planche) ; Thurneysen, Der Kalender von Coligny, dans Zeitschrift für celtische Philologie, II, 1899, p. 523 et s. Chaque mois est divisé en deux moitiés, de quinze ou quatorze jours, avec, pour chacun, une numérotation distincte. — L’année, de même ; était divisée en deux semestres. Il est possible que dans les supputations chronologiques des Barbares de l’Occident, les Méditerranéens aient pris ces semestres pour des années (cf. Doxographi Græci, Diels, p. 444 = Plutarque, De plac. philos., V, 30, p. 911). Je crois aussi que les années, chez les peuples de l’Andalousie, n’étaient autres que des semestres (Strabon, III, 1, 6).
[165] Ciallos [mois intercalaire] b... is sonnocingos... mann. m. m. [midr = mois ?] XIII... lat [jour ?] CCCLXXXV, calendrier de Coligny. Tous les cinq ans, par suite, l’accord était complet, dès le début de l’année, entre les deux cycles : cette période de cinq ans était marquée par de grands sacrifices, Diodore, V, 32, 6. — Thurneysen a noté certaines analogies entre le calendrier celtique et le calendrier grec (p. 542-3) : mois intercalaire, année divisée en deux semestres, les similitudes des noms de mois, Elembiv., cf. Έλαφηβολίων. Equos, cf. Ίππιος. Mais y a-t-il là imitation ? coïncidence ? ou peut-être simplement héritage commun d’antiques traditions ?
[166] Pline, XVI, 250.
[167] Nous voyons en particulier, par le texte de César (VI, 18, 2), que les Gaulois notaient soigneusement dies natales, sans doute pour célébrer exactement les anniversaires des naissances.
[168] Columelle, V, 1, 8 ; et. Isidore de Séville, XV, 15, 6 : à la base, 150 pieds romains, 44 m. 3550 ; 2000 m. c. environ. C’est la véritable origine de l’arpent français, ou, plutôt, du journal.
[169] Cent pieds à la base, Columelle, V, 1, 6 (in areis urbanis) ; Isidore, XV, 15, 6. Il serait possible (ce que suppose d’Arbois de Jubainville, Ac. des Inscr., C. r., juill. 1903, p. 330) que le candetum urbain fût postérieur à la conquête romaine. Contre le système de Nissen (p. 882), qui fait de ce candetum urbain une surface de 100 pieds carrés, et. Hultsch, Enc. Wissowa, III, c. 1465.
[170] Columelle, V, 1, 6. Il est possible que l’arepennis soit la mesure préceltique.
[171] D’après la liste de Vérone, leuga habet mille quingentos passus. Textes ap. Holder, II, c. 107-201 ; cf. Roth, Geschichte der Leuga, Jahrbücher de Bonn, XXIX-XXX, 1860, p. 1 et s. Il est possible que cette concordance (une lieue = un mille et demi = 2217 m.) ait été établie par les arpenteurs romains : toutefois, l’accord constaté entre la lieue et la coudée ou la base des mesures de superficie me fait croire que la véritable lieue gauloise ne devait point trop s’éloigner de ce chiffre de 2217 m. Et voici deux autres arguments : 1° d’un côté on retrouve, semble-t-il, cette lieue dans les 12 stades comptées par les Romains sur les côtes ligures, et il peut résulter de cette constatation que la lieue est d’origine préceltique ; 2° Luern, dit Posidonius (Athénée, IV, 37), fit enclore un espace dont chaque côte mesurait 12 stades : ce qui représente encore là même valeur de la lieue. Pistollet de Saint-Ferjeux (Mém. sur l’ancienne lieue gauloise, Langres, 1852, p. 22 et s. ; thèse reprise par Ménard, Bull. de la Soc. des Ant. de l’Ouest, VIIe s., 1853-5, p. 39 et s.) l’évaluait à 2415 m., en reportant sur le terrain les mesures des itinéraires. — Il existait (Jérôme, In Joelem, 3, P. L., XXV, c. 986) une lieue germanique, rasta, double de la lieue gauloise. — De très sérieux efforts ont été faits pour retrouver d’autres mesures gauloises. C’est ainsi qu’Aurès, en s’aidant des dimensions des monuments gallo-romains, a cru pouvoir évaluer le pied à 0 m. 322, et ce serait pour lui l’origine du pied du roi, 0 m. 3248 (Revue des soc. sav., IIIe s., IV, 1864, p. 446 et s. ; Rev. arch., 1866, II, p. 183 et s. ; 1867, I, p. 108 et s. ; Mém. lus à la Sorbonne en 1867, Arch., 1868, p. 1 et s. ; Étude... des dimensions de trois inscriptions, Nîmes, 1866, Mém. de l’Acad. du Gard ; Métrologie gauloise, 1870, id. ; etc. Le pes Drusianus ou germanique était de 0 m. 333 (Gromatici veteres, p. 123, Lachmann).
[172] Voyez, sur la métrologie gauloise : Nissen ap. Iwan von Müller, I, 2e éd., 1892, p. 881-2 ; d’Arbois de Jubainville, Ac. des Inscr., C. r., 1903, p. 329-330 ; Garofalo, Studi storici, 1904, p. 37.
[173] Il y a également des vestiges de comptabilité chez les Gaulois : César, I, 18, 3 ; VI, 14, 3 ; VI, 19, 1 ; Mela, III, 2, 19.
[174] César, VI, 14, 5.
[175] Pleraque Gallia duas res industriosissime persequitur, rem militarem et argute loqui, fr. 34, Peter.
[176] Silius, IV, 277-281 ; V, 845-853 ; cf. Diodore, V, 20, 3.