HISTOIRE DE LA GAULE

TOME II. — LA GAULE INDÉPENDANTE.

CHAPITRE V. — LA RELIGION[1].

 

 

I. — ORIGINES DIVERSES DE LA RELIGION GAULOISE.

César a dit des doctrines enseignées par les druides : C’est de l’île de Bretagne, croit-on, qu’elles sont originaires ; c’est de là qu’elles auraient été importées en Gaule : aujourd’hui encore, ceux qui veulent les approfondir se rendent presque toujours dans ce pays[2].

L’écrivain latin ne parle que des dogmes professés par les druides ; il ne dit pas que ce genre de sacerdoce ait été créé en Bretagne : il rapporte seulement que l’île passait pour le berceau de leur philosophie ou de leurs croyances, et que les prêtres de là-bas les conservaient dans leur pureté originelle.

Le sud de la Bretagne était alors, depuis deux ou trois siècles, une terre gauloise. Il avait été occupé par des Belges, les derniers arrivés en deçà du Rhin[3] L’île était la colonie la plus récente du nom gaulois. Tandis que dans la Celtique cisrhénane, Celtes et Ligures s’étaient mêlés à tel point que nul ne les distinguait, et que seuls quelques prêtres conservaient le souvenir d’une différence d’origine[4], les Gaulois de la Bretagne se séparaient très nettement des populations primitives[5]. La fusion n’y était point achevée entre les deux groupes d’hommes. Sur le continent, vainqueurs et vaincus avaient fini par confondre leur sang, leur tempérament, leurs habitudes et leur religion ; les Gaulois insulaires, en revanche, pouvaient discerner sans peine leurs dieux de ceux des indigènes, leurs traditions nationales et les coutumes des lieux. Les grandes divinités qu’ils avaient amenées avec eux étaient demeurées plus fidèles à leur caractère primitif[6], comme il arrive toujours à des divinités qui n’ont pas encore intimement frayé avec les Esprits du sol conquis : ce qui gâta et transforma Jahveh, ce fut le contact persistant avec les Génies de la terre soumise par Israël, et plus son séjour se prolongeait sur cette terre, plus il perdait les traits distinctifs du dieu qu’avait apporté Moïse[7]. Il y avait enfin, en Bretagne ou dans les îles voisines, quelques-uns de ces antiques sanctuaires, consacrés à la Terre ou aux Morts, qui jalonnaient les rivages et le pourtour de l’Europe[8] : les prêtres nu les confréries qui les desservaient avaient vécu à l’abri des invasions et à l’écart des influences nouvelles ; et si les druides, ce que je crois, ont eu la curiosité des rites et des mystères de cette religion attachée au sol et presque aussi vieille que l’homme même, c’était près des mers lointaines de file voisine qu’ils pouvaient les étudier dans leur pureté liturgique.

En d’autres termes, la Bretagne offrait les moyens de mieux connaître et les vrais dieux des Gaulois, ceux qu’ils avaient tirés de leur patrie antérieure. et les dieux propres de la terre que les Gaulois avaient conquise. Les usages primitifs d’un peuple se maintiennent surtout dans ses colonies : veut-on retrouver les mœurs et les dieux de la Rome d’autrefois, qu’on observe lu vie du Latium et de ses provinces italiennes[9] ; Marseille, le rejeton extrême du monde grec, était l’image d’une cité de l’Hellade archaïque.

Les aspirants au sacerdoce s’en allaient donc vers le nord pour étudier dogmes, gestes et formules de la religion qu’ils devaient desservir. La discipline druidique se renouvelait en Bretagne ; elle avait là ses sources les plus pures[10]. On finit par croire qu’elle en venait. — C’est ainsi qu’on peut interpréter le texte de César[11].

Ce séjour à l’étranger, permis par les druides gaulois aux plus consciencieux de leurs disciples, impliquait l’aveu que leur théologie n’était point pure de tout alliage, soit avec celle des Grecs leurs voisins, soit avec celle des populations primitives. Dans leur manière de se figurer et de classer les dieux, d’interpréter et de grouper les symboles, de raconter la vie du monde et les destinées de l’homme, de régler les actes et les paroles du culte, il s’était glissé évidemment bien des détails antérieurs à la conquête celtique. La foi des druides n’était pas plus franchement gauloise que le christianisme officiel n’est la vraie religion des Évangiles, ou que l’islamisme ne dérive uniquement du Coran et de Mahomet. Toute religion qui triomphe hérite autant de celles qu’elle a vaincues que des apôtres qui l’ont fondée.

Il est probable, en outre, que les théories et les pratiques des druides n’absorbaient pas toute la vie religieuse des Gaulois, Celtes ou Belges. Enseignée surtout à la noblesse, tenue secrète en grande partie[12], la discipline druidique était, comme les livres des pontifes romains et les rites des grands flamines, le lot de l’aristocratie dominante, une affaire officielle et publique. Les croyances de la plèbe, ses dieux et ses superstitions, n’entraient point dans son cadre : ce qui ne veut point dire que les grands n’aient jamais pris part aux dévotions du vulgaire. Autre chose, dans la religion, est l’enseignement du prêtre, aux formules fixées et logiques, et la pensée, l’espérance et la crainte du populaire, flottantes et spontanées, pleines de caprices et de contradictions, nées de traditions locales très anciennes ou des fantaisies subites d’hystériques de carrefours. Combien de rites et de convictions, dans la France de nos jours, sont étrangers ou contraires au catéchisme autorisé et à la théologie des prêtres ordonnés ! Cependant, on ne décrira pas l’état religieux de notre pays sans parler du culte des arbres et de celui des eaux, des formules et des signes magiques, des oraisons qui guérissent ou qui préservent, des contrats passés avec les saints, toutes choses qui provoquent encore aujourd’hui tant de pensées et de soins ; et pourtant, cela ne vient pas du Christ, et n’est point enseigné par ceux qui parlent en son nom. De même, ne disons pas que tout ce qui était en Gaule chose divine ressortissait aux prêtres et formait le druidisme.

Nous devrions donc distinguer, parmi les dieux, les pratiques et les croyances, ce qui est antérieur aux Gaulois et ce qu’ils ont apporté, ce que les druides acceptaient et ce qu’ils répudiaient. Mais ces démarcations seront, le plus souvent, fort difficiles à faire. Sur la doctrine druidique, nous possédons moins d’une demi-page ; leurs poèmes nous ont été résumés en six lignes[13]. Résignons-nous à dire, de la plupart des faits qui vont être énumérés, qu’ils se rattachaient à la vie religieuse des habitants de la Gaule avant les temps de la conquête romaine.

 

II. — TEUTATÈS[14].

Le principal des dieux communs à tous les Gaulois était appelé par eux Teutatès : c’était le dieu qui possédait le plus de sanctuaires dans les cités[15], le plus de simulacres sur le sol[16] ; il était le premier de ceux qui recevaient l’hommage collectif et les sacrifices solennels des druides assemblés[17]. Les Belges l’adoraient comme les Celtes[18], et son nom s’étendait partout où avait pénétré le nom gaulois, sur l’île de Bretagne[19] et dans les États du Danube[20].

Mais ne nous faisons pas illusion en entendant ce mot de Teutatès ; ne songeons pas à un être ayant un nom propre, personnel et immuable, une physionomie précise et arrêtée, des traits distinctifs et un timbre de voix, comme nous nous figurons un Mercure, un Apollon, un Jupiter Capitolin[21]. Les dieux ne deviennent des individualités franches et nettes qu’après avoir longtemps vécu sous la forme humaine, que lorsque poètes et artistes ont fixé leur figure et raconté leur vie. Ceux de la Gaule en étaient encore à la première période de leur existence : on parlait beaucoup d’eux, très peu les connaissaient, ils se confiaient seulement aux prêtres[22], il fallait les adorer en esprit plus qu’en image, et si Teutatès avait déjà des statues[23], ce n’étaient que d’informes piliers de bois ou de pierre, qui rappelaient le dieu, et ne le montraient pas[24].

Ce dieu, en réalité, était invisible et anonyme. Teutates signifiait, en langue gauloise, national[25], c’est-à-dire le Dieu Public, le dieu qui protège les cités ou les nations[26]. Le mot n’était que le qualificatif ordinaire du dieu souverain des Gaulois, comme l’Éternel fut celui du dieu souverain d’Israël. Peut-être, de même que ce dernier, avait-il d’autres noms, s’appelait-il aussi le Fort[27] ou le Sage[28] mais tous ces noms n’étaient également que des épithètes.

Voici, sans nul doute au dire des druides[29], quels étaient les attributs et le rôle du dieu national : Il a inventé tous les arts ; c’est lui qui protège les chemins et qui guide les voyageurs ; grâce à lui, l’homme s’enrichit et le marchand prospère[30]. — Le dieu souverain des Gaulois n’était donc pas un vulgaire fauteur de combats, comme il était apparu aux Grecs et aux Latins des âges précédents. Il ne menait plus seulement les hordes conjurées sur les sentiers de la guerre ; mais il ouvrait les routes du pays aux marches pacifiques des pèlerins et des trafiquants. De lui, les hommes avaient reçu la notion des métiers sédentaires, le goût du travail, le désir de produire. Le dieu avait habitué son peuple à l’empire de lois sages et humaines[31]. — Peut-être, en insistant sur ces vertus créatrices et pacifiques, les druides voulaient-ils rappeler aux Gaulois le sentiment de leurs intérêts et le devoir de l’entente. La vie de Teutatès, éducateur de son peuple, était une leçon d’alliance.

Il est probable qu’il n’avait point toujours cette allure de roi intelligent et débonnaire que César s’est plu à lui donner. Dans les jours de danger, il prenait les armes à la tète de son peuple et le conduisait au combat : contre l’ennemi du dehors, il redevenait un dieu de sang, de feu et de mort, ambitieux et implacable[32].

Les druides enfin, nous dit César, racontaient que la race gauloise était issue d’un très grand dieu, d’espèce ou d’origine souterraine[33]. — Ce Saturne du Nord, ancêtre des Gaulois, n’était autre, selon toute vraisemblance, que Teutatès lui- même[34] : les hommes et les peuples se disent d’ordinaire issus du dieu qu’ils ont l’habitude d’honorer.

Ainsi, le dieu national des Gaulois avait été à la fois leur ancêtre et leur législateur ; il était le gardien, l’arbitre et le défenseur de leurs tribus. On l’avait vaguement esquissé à l’image de la royauté patriarcale des temps primitifs : les traditions du passé, les besoins du présent grossissaient le lot de ses attributs. Il était le résumé symbolique de l’histoire et de la vie de sa nation.

 

III. — LES DEUX GRANDES DÉESSES.

Ce dieu n’exerçait point une autorité exclusive et jalouse. Il avait près de lui des compagnons et des collaborateurs. Les druides n’enseignaient pas, du moins à l’époque où nous les connaissons, l’unité de la puissance divine. Si leur Teutatès ne différait pas, par sa nature propre, du dieu souverain d’Israël, il ne vivait pas, comme lui, dans un farouche isolement. Il était entouré d’une sorte de famille ou de cour, et en cela la religion gauloise tendait a se rapprocher des panthéons classiques.

Parmi ces êtres divins, deux tenaient de plus près au dieu national. C’étaient des divinités féminines, et qui lui servaient, je pense, de compagnes ou d’épouses.

L’une lui ressemblait fort. César nous dit qu’elle avait enseigné aux hommes les éléments des arts, et qu’elle protégeait ceux qui faisaient œuvre de leurs mains. Elle était la patronne des ouvriers, si Teutatès était le patron des marchands[35]. Mais, comme Teutatès encore, elle suivait les siens sûr le champ de bataille, et savait combattre pour eux. Suivant les jours, elle était pareille à une Bellone ou à une Victoire, à la Minerve guerrière ou à la Minerve des travaux pacifiques[36]. Mais nous ignorons le nom sous lequel les Gaulois la désignaient de préférence[37].

L’autre divinité féminine était cette Terre, mère des hommes et des dieux, que les Ligures avaient certainement adorée et que les Gaulois prièrent à leur tour en Gaule même, et sans doute autour des mêmes autels et dans les mêmes sanctuaires. Je crois qu’elle devint, dans la théologie druidique, la mère de Teutatès et peut-être aussi son épouse, unie à lui pour engendrer la race nationale[38]. A l’origine commune du monde et de leurs peuples, les Gaulois plaçaient donc une famille divine de créateurs, donnant la vie et formant les âmes.

 

IV. — AUTRES GRANDS DIEUX.

Les autres grands dieux dont parlaient les druides étaient moins solidaires de la vie nationale et publique que Teutatès et ses deux parèdres féminines.

Taran, le Jupiter gaulois, vivait dans les cieux, dont il tenait l’empire[39] : il faisait donc la lumière et l’air, les nuages, la pluie, les orages et la foudre. — Près de lui, Bélénus représentait la force réchauffante et bienfaisante du soleil ; sa chaleur descendait et se gardait dans les eaux thermales : il était, comme Apollon, un dieu guérisseur[40]. Une compagne, Sirona, l’aidait dans son œuvre : elle produisait sans doute à la fois la douce lumière de la lune et les eaux salutaires des fontaines[41]. Et ces deux divinités, chères surtout à ceux qui souffrent et qui travaillent, partageaient leur énergie entre les deux astres souverains et les sources vives du sol. — A la vie des chevaux, inséparables compagnons de la noblesse gauloise, présidait leur déesse Épona[42]. — Deux êtres divins figuraient les éléments destructeurs : une sorte de Vulcain gaulois, dont nous ignorons le nom indigène[43], génie du feu et de la flamme ; et Ésus enfin[44], le plus grand des dieux après Teutatès et le plus semblable à lui, mais un dieu surtout meurtrier, celui qui inspire les combattants et fait rage dans les batailles[45].

Ces dieux-là[46] avaient ceci de commun qu’ils correspondaient à des forces générales et immuables de la nature. Aussi, je suis tenté de croire qu’ils étaient, pour la plupart, les vestiges d’une religion plus ancienne que celle du dieu national. Le Soleil, la Lune, le Feu et la Terre, sont les hautes puissances que l’homme est d’abord enclin à adorer, et les ancêtres des Celtes, tout comme des millions d’êtres humains, ont longtemps reconnu leur domination absolue. C’est tardivement, quand l’homme a créé des sociétés compliquées et durables, qu’il a doté son dieu souverain de ses propres instincts créateurs et de ses créations mêmes, qu’il lui a attribué ses lois, ses arts, son intelligence et la vie de ses États : ce que représentait Teutatès. — La prééminence fut d’ailleurs vite assurée à cette forme nouvelle de la divinité : les peuples organisés envisagent volontiers leurs dieux moins dans leur pouvoir sur la nature que dans leur rôle parmi les hommes : et le caractère qu’ils exaltent le plus chez leur maître d’en haut, c’est précisément d’être leur maître et leur représentant. Voilà pourquoi Teutatès, le dieu politique, la dernière venue des actions souveraines, comptait plus dans la vie et la prêtrise publiques des Gaulois que la lumière du ciel, la chaleur du soleil ou la violence du feu : déchues de leur souveraineté de jadis, celles-ci s’étaient fixées en des êtres divins de second rang.

 

V. — POÈMES DES DRUIDES.

Le nom et la nature des grands dieux étaient révélés et exposés dans les poèmes des druides. C’étaient les prêtres qui avaient réglé le rôle respectif dés puissances divines : seuls, ils connaissaient les désirs et les vertus propres à chacune d’elles[47] ; seuls, ils pouvaient raconter les évènements de leur passé, leur manière de vivre, leurs relations avec les hommes et les Gaulois.

Ces poèmes étaient à la fois des traités sur le monde et des récits nationaux. De même que la Genèse des hébreux, ils unissaient à la création de l’univers celle des Gaulois, à l’histoire de la nature celle des peuples. Les druides y disaient ce qu’étaient les astres et leurs révolutions, le monde et l’étendue de ses terres[48] ; mais ils y racontaient aussi comment les Gaulois étaient tous nés d’une divinité souterraine[49], qu’un dieu les avait élevés[50], que quelques-uns de leurs ancêtres étaient venus de très loin sur leurs domaines actuels[51]. Dans ces cosmogonies naïves et puissantes, l’existence de la nation s’enchevêtrait avec celle de ses dieux.

 

VI. — DIVERSITÉS LOCALES DES GRANDS DIEUX.

Dans leur sanctuaire carnute, au centre de toute la Gaule et au nom de tous ses peuples, les druides sacrifiaient d’abord aux trois divinités impériales, celle de la nation, celle du combat, celle du ciel, Teutatès, Ésus, Taran[52]. Puis, peut-être, venait le tour des autres.

Ce rang et ce rôle de ces dieux n’étaient pas absolument respectés par toutes les tribus et toutes les cités de la Gaule. L’unité de foi et de culte a pu exister à l’origine, dans les temps de l’invasion et de la conquête ; et les druides cherchaient à maintenir la tradition de ces temps. Mais au fur et à mesure que chaque tribu a vécu de sa vie propre, qu’elle a pris contact arec des populations différentes, que les cités se sont créées, qu’elles se sont donné leurs règlements et leurs habitudes, les grands dieux se sont conformés aux pensées des différentes nations, et de peuplade à peuplade se sont modifiées leur manière de se grouper et leur manière d’être.

Quelques tribus ont préféré, comme protecteur officiel, Bélénus le soleil[53] à Teutatès le roi du peuple, ou des divinités féminines[54] à des dieux plus rudes. Ici, le grand dieu partageait les autels publics avec sa compagne ordinaire[55] ; là, on l’aimait mieux solitaire[56]. Ailleurs, on l’associait à un autre souverain[57], et on leur donnait à tous deux une parèdre commune, les unissant ainsi en une triade protectrice de la cité[58].

Chez les nations calmes, Teutatès fut traité en chef pacifique, et en batailleur chez celles qui vivaient de la guerre. Dans les cités de la Celtique ancienne, où les mœurs et la vie étaient plus laborieuses, et où l’influence des druides était plus forte, il gardait plus souvent la figure que les prêtres lui donnaient[59]. Les États du Midi, comme les Allobroges, plus belliqueux et plus jeunes, les tribus de l’Armorique ou de la Gaule océanique, l’adoraient volontiers comme un dieu des combats[60] ; chez ces peuples extrêmes, il se confondait presque avec Ésus, ailleurs tout à fait distinct de lui. Et les Méditerranéens qui traversaient la Gaule pouvaient voir en lui tour à tour un Arès en armes, un Hermès législateur ou un Saturne père des hommes. Il en allait de même pour sa compagne, dont telle cité préférait les allures guerrières ou victorieuses, et telle autre l’attitude d’une reine au repos.

Certes, tous ces dieux, tous ces Teutatès des peuplades gauloises, n’étaient que des formes particulières d’une seule divinité. Leur origine était commune, et les druides eussent sans doute désiré que la divinité fût demeurée la même partout et pour tous. Mais elle avait fini par se décomposer en des types différents, comme les cités étaient devenues étrangères ou hostiles les unes aux autres, comme la Junon de Rome ignorait ou combattait la Junon de Véies sa voisine[61]. Les dieux des peuples embrassent toujours un horizon moins vaste que les dieux des prêtres.

 

VII. — DIVINITÉS LOCALES[62].

Il n’a été question jusqu’ici que des grands dieux et de leur situation théologique et officielle, et on a déjà vu à quelle variété d’espèces ils étaient en train de donner naissance. Ce qui compliquait encore cette société divine, c’est qu’au-dessous d’elle vivait toujours la plèbe innombrable des Génies locaux[63]. Ceux-ci, les Gaulois en avaient hérité lorsqu’ils avaient pris la terre. Le dieu de l’endroit suit les destinées de sa demeure : en acceptant leurs nouveaux domaines, les Celtes avaient conservé les êtres qui les protégeaient.

Mais ne parlons plus seulement, à propos d’eux, des Celtes et de leurs nations. Les grandes divinités étudiées plus haut sont propres aux communautés gauloises ; elles ont été apportées ou constituées par elles ; nous ne les trouvons pas chez les Ligures des Alpes, chez les Aquitains de la Gascogne et des Pyrénées[64]. En revanche, toutes les populations d’entre le Rhin et les montagnes du Sud, celles des plaines comme celles des hauts pays, quels que soient leur idiome et leur tempérament, continuent d’adorer les forces immuables et innombrables qui engendraient la multitude des choses du sol.

Les plus nombreuses et les plus populaires[65] étaient les eaux courantes : sources, fontaines, ruisseaux et fleuves. Celles des flancs des Pyrénées ou des vallons de la Provence, des prairies du Morvan ou des clairières des Ardennes, vivaient également d’une vie divine, dont les guerres et les conquêtes humaines n’avaient point interrompu le cours.

Cette vie n’était pas la même pour toutes ces eaux. Leur nature sacrée variait à l’infini. Chaque canton se figurait à sa manière l’Esprit de sa source. Il fut homme pour les uns, et femme pour les autres : la Fontaine de Nîmes, Nemausus, était un dieu[66], comme aussi quelques-unes des sources thermales[67]. Celles de Bibracte[68], de Bordeaux[69], de Cahors[70], étaient des déesses. L’Yonne[71], la Marne[72] et la Seine[73] ressemblaient à des matrones, et le Rhin à un patriarche[74]. Ici, la source apparaît en jeune lutin[75], là en vieux Génie, plus loin en déesse accorte ou turbulente, ailleurs en mère-nourrice, grave et paisible[76]. Souvent, elle ne représente qu’une seule divinité, ou, si l’on préfère, elle est engendrée par un dieu isolé. Mais souvent aussi, de même que deux ou trois eaux-mères se réunissent pour produire un ruisseau, l’homme adora sa fontaine sous la forme de dieux ou de déesses rapprochées, et ce furent tantôt des couples conjugaux ou fraternels[77], tantôt des groupes de nymphes[78], tantôt enfin deux ou surtout trois déesses[79], intimement unies dans une maternité commune. Chaque région de la Gaule, à cet égard, a pris ou gardé ses habitudes. Les indigènes de la Belgique la plus voisine du Rhin, les Ligures de la Provence et du Dauphiné, préfèrent le culte des Mères associées[80]. Chez les Celtes, le dieu de la source, mâle ou femelle, accepte plus volontiers une existence solitaire. Il s’est maintes fois présenté en Aquitaine et au sud de la Loire sous le titre anonyme de Tutelle ou gardien du lieu[81], et on le trouve un peu partout sous celui de Génie ou Esprit de l’endroit[82].

Les grands fleuves étaient des espèces supérieures, plus sages et plus puissantes que les sources capricieuses des champs. Les Gaulois confiaient au Rhin leurs nouveau-nés pour qu’il les purifiât à leur entrée dans la vie[83], et c’était lui, connaisseur des plus intimes secrets, qui pouvait seul discerner les enfants issus d’une faute[84]. Une dévotion particulière s’attachait aux sources de ces fleuves, humbles et mystérieuses origines de flots formidables : la fontaine de la Seine devint une déesse aimée et visitée entre toutes, et son renom et son influence s’étendirent bien au delà du bois et du vallon où elle apparaissait pour la première fois[85]. Peut-être la domination celtique a-t-elle eu précisément pour effet de propager la connaissance et l’adoration de certaines eaux et de certaines montagnes loin du lieu où elles commandaient tout d’abord[86].

Car la montagne demeurait une puissance très forte. Le puy de Dôme et le Donon, les monts isolés du Morvan, les pics ardus des Pyrénées, les crêtes qui menacent les routes des Alpes, les aimables collines de la France parisienne, les Garrigues pierreuses du Languedoc, et la montagne de Tardets dans la Soule, et le Cengle qui domine la vallée de l’Arc, hauteurs grandes ou petites, ligures, aquitaines ou gauloises, toutes avaient leurs dieux et leurs cultes[87].

D’autres dieux, enfin, continuaient à vivre dans les forêts. Peut-être les Gaulois ont-ils eu moins de ferveur que les Ligures à l’endroit des arbres solitaires ; peut-être se refusaient-ils à admettre qu’un seul chêne, à moins d’une volonté particulière[88], suffit à loger et à former un dieu. Les arbres ne les empêchaient pas de voir la forêt. Mais ils entouraient de la vénération traditionnelle les bosquets et les bois profonds, sanctuaires de puissances divines. Les Ardennes étaient regardées comme le vaste domaine d’une déesse, dont sans doute, pendant la nuit, on entendait bruire les chasses invisibles[89]

 

VIII. — ADAPTATION DES GRANDS DIEU AUX DIVINITÉS LOCALES[90].

Loin de faire tort aux Génies du sol, les Gaulois, portés aux idées générales, ont élargi leur rôle et leur empire.

Il n’y eut pas, à notre connaissance, antagonisme durable entre l’armée plébéienne de ces Esprits et l’aristocratie des grands dieux. Aussi bien, les divinités topiques sont à la fois très tenaces et très souples. Si elles connaissent des jours de décadence, on ne les extirpe pas : quand la religion dominante les répudie, elles se font les démons d’un culte hérétique, et narguent les sanctuaires officiels. En revanche, elles sont toujours prêtes à partager leurs domaines avec quelque dieu venu du dehors, à s’unir à lui pour les gouverner. Elles ont su s’accommoder avec Teutatès et son cortège, avec Jupiter, Auguste et leur panthéon, et même avec le dieu du Christ et ses saints, et elles ont réussi à se plier à leur culte et à se cacher sous leur nom.

Le mieux que puissent faire les dieux conquérants, c’est d’accepter l’hospitalité des Génies locaux. Et c’est alors, pour la religion suzeraine, un nouvel élément de gloire et de puissance. Les plus beaux triomphes de Jupiter et d’Apollon, dieux de la lumière, sont venus du jour où ils se sont assis sur la roche divine du Capitole et près de la source sainte de Castalie. De cette union entre un dieu redoutable, mais lointain et vague, et une divinité petite, mais accessible et connue, de cette descente d’un dieu ou d’une déesse sur les bords d’une fontaine ou sur le sommet d’une colline, sont peut-être sorties les plus fortes commotions religieuses qui aient ébranlé l’humanité. Car le royaume du dieu, jusque-là caché dans la pensée de ses prêtres, montrait dès lors, sur la terre, ses vestibules ou ses palais visibles, foyers d’émotions, de miracles et d’espérances.

Les grands dieux de la Gaule vinrent donc, sur certains points, s’adapter aux divinités locales. Ils les incorporèrent à eux, de manière à profiter de leur place en assumant leurs obligations. Tout en gardant leur rôle universel et national, ils se firent les protecteurs de l’endroit : il est vrai que l’endroit, tout en demeurant la résidence d’une divinité, devenait l’ « ombilic » d’un empire divin. — C’est ainsi que Bélénus et Sirona, divinités astrales et guérisseuses, s’identifièrent avec un certain nombre de Génies de sources thermales : à Luxeuil par exemple, où ils tentèrent d’absorber un couple de dieux indigènes[91]. Ésus prit d’autres ruisseaux[92]. Ésus et peut-être Taran purent se réserver quelques sommets[93] ; Bélénus reçut les siens, et il eut aussi le lac sacré de Toulouse[94].

Cette union ne se fit point partout. Plus d’une divinité locale garda son autonomie. Némausus de Nîmes ne fusionna jamais avec un grand dieu. La plupart des Mères fontainières du Nord-Est et du Sud-Est vécurent avec leur nom et leur personnalité traditionnelles. En religion comme en politique, les régions extrêmes de la Gaule restèrent plus longtemps fidèles au passé.

Souvent encore, l’Esprit du lieu coexista à côté du dieu souverain, comme un parèdre de rang inférieur[95]. Chaque hameau, chaque dévot même, unissait à sa façon le culte de l’un et le culte de l’autre. Il arrivait qu’une source fût adorée par les uns sous son nom sacré, par les autres sous celui d’un grand dieu. La fantaisie de chacun décidait en pareille matière, et la dévotion ne, souffrait pas de ce qu’on pouvait choisir entre les qualités et les noms des patrons divins.

Ce fut Teutatès qui s’empara, comme de juste, des points religieux les plus centraux, les plus visibles. On l’installa sur ces cimes maîtresses qui dominent tout un pays, et qui paraissaient comme le pivot d’une tribu ou d’une cité entière. Il s’en vint gouverner les principales montagnes éduennes, mont Saint-Jean[96], mont de Sene[97], mont Marte[98]. On lui donna la colline de Montmartre, au pied de laquelle s’étendait l’île bâtie de Lutèce[99]. Et enfin, on l’adora sur ce sommet du puy de Dôme[100], fait pour lui et à son image, robuste et impérieux, qui paraissait la plus haute montagne de la Gaule celtique, qui en était la plus centrale, qui commandait les terres les plus fertiles. La puissance du maître souverain et celle du sommet allaient s’accroître l’une par l’autre. Une merveilleuse fortune pouvait commencer pour toutes deux.

Dans ce compromis entre les dieux d’en haut et les Esprits du sol, entre les principes généraux et les habitudes locales, entre les pensées de l’âme et l’horizon des yeux, nous ignorons quelle a été la part des druides. L’ont-ils conseillé ou combattu ? nous ne savons. Mais, à voir la manière dont ont procédé, en pareille occurrence, les prêtres d’autres religions dominantes, je suppose que ceux de la Gaule se sont bornés à accepter l’œuvre progressive et spontanée de la foi de leurs peuples.

 

IX. — SYMBOLES ET ATTRIBUTS DES DIEUX.

Les grands dieux exercent une irrésistible attraction sur les moindres choses divines. Qu’une puissance suprême vienne à poindre dans un monde où s’entassent les esprits, les fétiches, les talismans ou les symboles, elle ne réussira pas à les éliminer, mais elle saura les obliger à se grouper autour d’elle, à accroître son trésor, à ajouter à ses moyens d’action. Les vrais conquérants domestiquent et ne suppriment pas. Le Jupiter latin s’assura à la fois les sommets sacrés de toute l’Italie, même ceux des Apennins et des Alpes, et les pierres saintes dont l’adoration avait sans doute précédé sa venue[101]. Le culte des Esprits locaux avait procuré des domiciles aux dieux gaulois ; d’autres objets de foi, également antérieurs à eux, leur fournirent des attributs, des insignes, des serviteurs, des signes permanents de lutte et de victoire.

Gaulois et Ligures avaient cru et croyaient toujours à la sainteté de certains animaux : serpents sortis de la terre, corbeaux bavards, aigles voisinant avec les astres, béliers et taureaux aux cornes invincibles, grues messagères des saisons, d’autres encore, devaient à leurs vertus mystérieuses d’être traités en dieux ou en personnes divines[102]. Une foi semblable s’attachait à des plantes curatives et à des arbres utiles. Il n’était pas jusqu’aux objets inanimés, produits de l’industrie ou jeux de la nature, pierres et rochers[103], armes et ustensiles démodés ou consacrés, haches, marteaux, lances et épées, colliers d’or et chaudrons de bronze[104], où la présence et l’action d’un dieu ne pussent être révélées par une forme étrange, par les traces d’une antiquité vénérable, par la force de leur tranchant ou l’éclat de leur métal. Enfin, il est probable qu’une vertu secrète était attribuée à certains signes tracés par l’homme même, images sympathiques d’êtres sacrés ou d’apparitions célestes, comme la roue rayonnante[105] semblable au soleil, la croix sinueuse semblable à la foudre[106], la spirale[107] ou la croix[108].

De ces choses plus vieilles que leurs dieux, les Gaulois n’oublièrent et ne proscrivirent rien. Fétiches et talismans gardèrent toute leur vogue. Mais ce fut, presque toujours, en s’associant à ces divinités, pour se faire leurs représentants, leurs ornements ou leurs victimes[109].

Les oiseaux devinrent leurs messagers[110] ; le taureau leur fut offert en sacrifice[111] ; l’arbre servit aux supplices rituels[112] ; des serpents[113], des loups[114], des chiens[115], des béliers[116], des chevaux[117], purent leur faire compagnie ou cortège. On attribua aux dieux ces cornes en qui semblait résider la force des grands animaux[118]. Es faisaient, disait-on, pousser le gui sur le chêne pour signifier une élection de domicile. On leur offrit des colliers d’or[119]. Des chênes devinrent peut-être l’image du dieu national[120]. On se le figura vêtu d’une tunique ornée de croix, et armé de la hache ou du maillet, armes chères aux anciens guerriers[121] ; car les divinités demeurent fidèles aux usages disparus chez les hommes : souvenirs historiques du passé, symboles religieux du présent. Cette huche, la plus utile des armes d’autrefois, est devenue l’attribut le plus constant du grand dieu de maintenant[122] ; et son signe graphique, le T, répandu à profusion, fut une manière pour les hommes de provoquer sur la terre la protection ou l’intervention d’un dieu[123]. Taran, le dieu du ciel, fut pourvu de la roue solaire comme d’un emblème d’investiture[124]. Déchus de leur indépendance et de leur vie propre, les fétiches passaient au rang d’attributs des divinités souveraines[125].

 

X. — LES ENNEMIS DES DIEUX.

Que d’éléments divers et contradictoires servaient à constituer la physionomie de ces dieux ! Dans son invincible besoin de garder et d’utiliser toutes ses croyances et toutes ses habitudes, la dévotion groupait autour de quelques noms : divins les lieux, les êtres et les choses les plus hétéroclites. Elle ne laissait perdre, sans les exploiter, que bien peu des pensées humaines.

Ce qui complétait et variait encore l’empire des dieux, c’est que fétiches ou animaux leur furent parfois donnés, non comme serviteurs, mais comme adversaires. Il faut des ennemis à un dieu : c’est le moyen de montrer sa gloire, de remplir sa vie, d’intéresser le peuple à sa grandeur. Même en combattant une divinité gauloise, les antiques bêtes sacrées fortifiaient sa nature, elles élargissaient le cycle de son nom, et vivaient dans son orbite.

Chez les populations du Nord et de l’Est, surtout chez les Belges[126], le dieu-soleil fut considéré comme un guerrier à cheval, le bras entrelacé dans la roue rayonnante, s’élevant, lui et sa monture, sur les épaules d’un géant abattu ou asservi[127], à tête humaine et à queue de serpent : ce cheval, c’est l’animal consacré au soleil, et qui est devenu son coursier ; cette roue, c’est le symbole de l’astre, transformé en talisman du dieu ; ce monstre anguipède, c’est peut-être quelque dieu-serpent des temps antérieurs, auquel le Soleil-Roi s’est substitué. Pour avoir été jadis trop adoré, le serpent devenait partout l’adversaire permanent de la divinité : les Gaulois des bords de la Seine le supposaient vaincu par la massue d’un dieu[128]. — Car les batailles de dieux ne sont souvent que la forme dont le populaire se représente les successions ou les rivalités des cultes[129] : Jupiter le dieu-lumière avait pris, dans la faveur des Italiens, la place de Saturne le dieu souterrain ; et l’on raconta plus tard que Jupiter avait chassé du trône Saturne son père pour régner à sa place[130].

 

XI. — MONSTRES.

C’est une déformation semblable de vieux souvenirs qui a donné naissance aux monstres des histoires religieuses : monstres dont nous venons de voir un premier exemple, avec le géant du mythe solaire. Presque toujours, à l’origine de ces fantaisies, il y a la mémoire de quelques êtres tératologiques, apparus dans la vie de lointains ancêtres. Les faits réels du passé, démesurément grossis, fournissaient sans cesse de nouveaux mythes au présent.

Ces géants de la religion gauloise, formidables ennemis des dieux, rappelaient, je crois, les colosses qui avaient jadis combattu sur le front des armées[131]. Ces amazones nues, que les monnaies nous montrent échevelées, chevauchant avec leur boucliers et leurs lances[132], sœurs aînées des walkyries germaniques, sont les images, transportées dans un monde divin, des possédées guerrières d’autrefois[133].

Nains difformes dansant sur les chevaux[134], hommes sauvages au poil hirsute[135], prodiges à tête énorme[136], gnomes[137], kobolds, lutins, sylvains, la mythologie celtique ne fut, en pareille matière, ni plus ni moins riche qu’aucune de ses congénères de l’Europe. Elle eut aussi ses chevaux à tête humaine[138] ou à tête d’oiseau[139], ses oiseaux à figure de femme[140], ses hommes à queue de serpent[141], ses griffons ou dragons[142], ses taureaux à trois cornes[143] et ses serpents à tête de bélier, éternelles combinaisons des imaginations primitives.

 

XII. — VIVANTS ET MORTS DIVINISÉS.

Une dernière cause de créations religieuses était la crainte ou le respect, l’amour ou le souvenir de certains hommes. Et ces sentiments produisaient le culte des morts et l’apothéose des vivants.

Aucun texte, aucun monument ne nous permet d’affirmer que toutes les familles de la Gaule aient pratiqué la religion des Mânes leurs ancêtres. Les tombes étaient-elles des monuments de culte ou de simples lieux de souvenir ? Je ne sais. Les Celtes, à de certaines époques, ont montré un tel mépris de la sépulture et des funérailles[144], que l’adoration de toutes les âmes a pu être chez eux une pratique assez tardive, due à l’influence des voisinages gréco-romains.

En revanche, j’ai peine à croire qu’ils n’aient pas doté d’un titre et d’un culte divins ceux des hommes qui s’élevaient au-dessus des autres par leur force, leur courage, leur puissance ou leur sagesse. La Gaule, comme la Grèce et Rome, a dû avoir ses héros, divinisés après leur mort ou dès leur vivant. Ne célébrait-elle pas avec enthousiasme ses chefs vainqueurs et conquérants, les glorieux faits d’un Ambigat, d’un Bellovèse et d’un Ségovèse[145] ? Elle n’oublia jamais le souvenir des assaillants du Capitole ; les poètes créaient de triomphants ancêtres pour leurs patrons, les guerriers pensaient sans relâche aux louanges de la postérité[146] ; des libérateurs prirent le nom de dieux, et on les crut sur parole, on les jugea invincibles et invulnérables[147]. Autour du cadavre d’un riche on amoncelait, pour lui faire cortège, les cadavres de ses esclaves et de ses clients[148] : il avait, comme Teutatès, ses victimes humaines. De ces honneurs rendus aux plus grands, l’adoration devait être la conclusion naturelle. La ville d’Alésia posséda, dans les temps romains, un temple élevé au dieu Moritasgus : je suis porté à croire que ce nom est celui d’un roi passé à l’état divin[149]. — Voici ce que les Grecs racontaient d’Hercule[150] : à son retour d’Espagne, il vint en Gaule avec une grande armée, l’unit aux indigènes, épousa la fille d’un roi du pays, engendra et conquit des peuples ; ce fut lui qui fonda Alésia, la grande ville sainte, qui établit les meilleures des lois celtiques, qui défendit le meurtre des étrangers et le pillage des marchands, qui ouvrit les Alpes et en traça les routes. Dirons-nous que cette légende est simplement l’épopée herculéenne appliquée à la Gaule par ces menteurs d’Hellènes ? N’est-ce pas au contraire quelque tradition des Celtes, narrant les exploits d’un ancêtre de leur sang, tradition que les Grecs, suivant leur habitude, auront adaptée à la vie de leur héros national ?

Mais cette religion de l’homme divinisé ne se maintenait pas indépendante de celle des forces souveraines. Comme le culte des lieux et des fétiches, celui des héros collaborait à la fortune des grands dieux. — Cet Hercule gaulois, fondateur d’un peuple et rédacteur de ses lois, protecteur des marchands et des routes, ressemble fort à Teutatès, qui, dit César, a été tout cela. Les Grecs n’auront-ils pas transformé le maître divin de la Gaule en simple héros ? ou plutôt, les Celtes n’auront-ils pas fini par appliquer à leur dieu national les entreprises d’un de leurs législateurs mythiques, comme les lois de Moïse tournaient à la gloire de Jahveh et passaient pour son œuvre ? — Je crois, d’autre part, que des Génies de l’endroit, dieux de rivières ou de montagnes, se sont confondus avec les esprits de chefs ou d’ancêtres de tribus[151], ainsi que l’âme d’Énée s’unissait, dit-on, à celle du fleuve Numicius[152]. — Il est possible, enfin, que telle résidence de Teutatès ou d’Ésus ait été à l’origine une tombe vénérable, héroon devenu temple. — Dégager les multiples éléments de toutes ces croyances serait aussi difficile que de désenchevêtrer les lianes d’une forêt vierge.

 

XIII. — DES RÉCITS MYTHOLOGIQUES.

De ces rencontres entre les êtres divins, souverains d’en haut, esprits d’en bas, fétiches, monstres et héros, de leur entente ou de leur lutte, de leurs rapports avec la nature et avec les hommes, du choc ou du rapprochement de leurs noms et de leurs titres, sortirent les récits dont le peuple, les prêtres et les poètes tissèrent la trame de la vie de leurs dieux.

C’était un fragment de biographie sacrée que l’histoire de Teutatès créant et instruisant son peuple, et c’est le seul que les textes aient conservé. — Quelques bas-reliefs de l’époque romaine nous font assister à d’autres actions divines. La plupart représentent le triomphe du cavalier solaire sur le géant anguipède. Un petit nombre offrent des scènes plus pacifiques : ici, c’est un bûcheron, humain ou céleste, qui ébranche un arbre mystérieux[153] ; et près de lui, un taureau s’avance, la croupe et la tête ornée de trois grues et de trois rameaux[154] ; ne faut-il pas voir, là aussi, la traduction de quelque récit populaire, racontant un épisode de la lutte ou de l’accord entre les dieux d’en haut et ceux qui croissent ou marchent devant les hommes, la bête, l’arbre et l’oiseau ?

Le sens de ces récits, du reste, a dû varier d’âge en âge, et la notion de leur origine historique ou cultuelle se perdre dans une vertu symbolique qu’on finit par leur attribuer. Le monstre anguipède asservi pair le Soleil ne fut plus, dans la pensée des fidèles, le témoin de superstitions disparues : il devint sans doute l’image des nuées dissipées par l’astre victorieux. Et de même, l’arbre des anciens cultes se transformera peut-être, dans l’imagination populaire, en une puissance cosmique et monstrueuse, ombrageant le monde et portant le ciel[155].

Nous venons de citer quelques faits de la vie des dieux gaulois, nous n’en savons pas beaucoup d’autres. Leurs poètes et leurs prêtres se sont tus à l’arrivée des Romains, et ils n’ont rien laissé d’écrit ; quand la Gaule a eu ses sculpteurs, ils ne songeaient plus qu’à raconter la vie de Jupiter ou d’Apollon. Il nous a fallu, afin de retrouver ces épisodes, interpréter péniblement des textes très courts et des sculptures très concises, et il est à craindre que nous comprenions fort mal les uns et les autres[156] : nous faisons comme ferait un historien du Christianisme, s’il n’avait, pour reconstituer la vie du Christ, que les croix des calvaires ornées des instruments de la Passion.

Olt ne peut donc juger dans quelle mesure les Gaulois furent créateurs de mythes et de légendes. Possédaient-ils une floraison de scènes et de récits pareille à celle qui fit le charme de l’art hellénique ou des rêves scandinaves ? ou bien commençaient-ils à peine la poétique besogne de l’illustration des vies divines ? — Tout indique, au moins pour le moment, que cette dernière hypothèse est la plus vraisemblable : le mystère dont les druides entouraient l’histoire des dieux, et qui était peu favorable à l’éclosion de belles légendes ; le silence des auteurs anciens sur la mythologie celtique ; l’absence de toute scène un lieu détaillée sur les bas-reliefs d’ordre religieux ; l’incroyable facilité, enfin, avec laquelle les Gaulois adoptèrent les fables de l’Olympe classique. Leurs dieux, si puissants qu’ils fussent, n’avaient sans doute pas encore un patrimoine de faits et de gestes comparable à leur richesse en attributs et en domiciles.

 

XIV. — LES DIEUX DE CHACUN.

La végétation religieuse n’en était pas moins, en Gaule, très drue, très variée, très indépendante. Si fort que soit un sacerdoce, il n’impose jamais à tous les fidèles sa façon de parler et de penser des dieux. Il n’y a pas de choses au monde qui aient été plus souvent fixées, enseignées et classées que les choses divines, et sans relâche, en dépit des chefs et des éducateurs, les âmes les façonnent, les mêlent et les transmettent à leur guise. L’histoire religieuse de tous les peuples est celle d’une lutte entre le dieu des prêtres et le dieu de chacun.

En dehors des lois et des pratiques publiques, chaque famille ou chaque individu choisissait dans un dieu la fonction qu’il préférait, et ne l’adorait que pour cette vertu spéciale. Pour les uns Bélénus demeura le soleil[157], il fut la source pour les autres[158], et le bon médecin pour beaucoup. Et le même dévot, suivant les actes ou les craintes de sa vie, modifiait le caractère de son dieu. On parlait de Teutatès tantôt comme d’un sage vieillard à la barbe touffue, Nestor celtique qui captivait les foules suspendues à sa bouche d’or[159], tantôt comme d’un sombre Pluton, qui engendrait les hommes et qui les reprenait ensuite. Protecteur du nom celtique et de la plupart des cités, il jouait encore le rôle de Génie domestique[160], et devenait le dieu d’un seul après avoir été le dieu de tous[161] : les Gaulois pouvaient l’avoir chacun chez soi, armé du maillet, flanqué du chien, vêtu de la peau du loup, et faisant, avec l’aide du serpent et du bélier, l’office d’un gardien de domaine[162].

Car ce qui préoccupait le plus les hommes, c’était d’attirer les dieux à eux, de les domestiquer à leur profit et pour le bien de leur famille et de leurs bestiaux, de leur maison et de leurs terres. Quand ils n’appliquaient pas à leur existence les plus grandes divinités ou les Esprits des sources de l’endroit[163], les Gaulois recouraient aux myriades de démons protecteurs qui circulaient et voltigeaient autour des espérances humaines. On sait quelle plèbe de petits dieux ou de menus génies accompagnaient, dans la Rome des premiers âges, tous les instants de la vie, depuis Lucine qui assiste à la naissance jusqu’à Libitine qui dirige les funérailles[164]. Le monde transalpin n’ignora aucune de ces formes de la divinité. Il eut les fées maîtresses du fil de l’existence[165], et celles qui veillaient sur l’âme ou sur le corps[166], et celles qui assuraient la durée des familles[167]. Il connut les lares ou plutôt les déesses des carrefours, qui reposaient et réconfortaient le voyageur au croisement des routes[168] ; les sylvains et les sylvaines rustiques[169], tantôt groupés en triades indissolubles[170], tantôt gardiens solitaires d’un petit domaine[171], tantôt couples de vieux époux, familiers et domestiques[172]. Il aima surtout ses bonnes Dames[173] : car, à la différence des Italiens, les Gaulois confiaient plus volontiers leur vie de chaque jour à des déesses qu’à des dieux, à des fées qu’à des lutins ; les Mères leur paraissaient les plus propres à une tâche de surveillance intime et de protection caressante. Les unes guérissaient les malades[174], d’autres escortaient dans les voyages[175], et les soldats eux-mêmes avaient les leurs, qui les suivaient sur les champs d’exercices et de combats de leurs lointaines campagnes[176]. Elles attendaient l’enfant avant sa naissance, et lui apportaient dès sa première heure langes, maillot, santé et espérances[177]. Bon nombre de ces Mères ou Matrones de la Belgique, aux noms étranges et à la popularité touchante, ne sont autres, je crois, que les fées attitrées de certaines craintes ou de certains désirs[178], tenant dans leurs mains et sur leurs girons[179] les fruits de la terre et les illusions de la vie. Et grâce à elles, sœurs vénérables, saintes, augustes et bienfaisantes[180], l’homme ne se sentait plus seul sur la terre : car les bonnes Dames allaient d’ordinaire par groupe fraternel de trois, ces Gaulois n’aimant guère à livrer à une seule déesse les principaux épisodes de sa vie.

On a dit qu’il n’existait en Gaule que des formes locales de la divinité, et que le panthéon celtique consistait surtout en dieux locaux, propres à une cité ou à une famille[181]. En réalité, dieux topiques, domestiques et généraux coexistaient et se confondaient tout ensemble. Les grandes divinités se transformaient sans cesse en des myriades d’hypostases locales. Les druides avaient beau fixer leur nature : on ne peut définir l’insaisissable, et régler le rêve de la foi.

 

XV. — TENDANCES À L’ANTHROPOMORPHISME.

Ces multiples fonctions que l’on prêtait aux puissances souveraines, leur élection de domicile sur la terre, l’apothéose des chefs, la domestication des dieux, tout contribuait à rapprocher les humains et leurs maîtres, à les faire semblables les uns aux autres. Insensiblement, les Gaulois étaient amenés à figurer Taran, Ésus, Bélénus ou Teutatès sous la forme corporelle des hommes, vêtus, armés, ornés comme eux. L’idole devait compléter l’œuvre du mythe et de la légende ; elle n’était que le dernier terme d’une familiarité déjà fort grande. Et les Gaulois furent d’autant plus entraînés au culte des images, qu’à la lisière de leurs domaines, à Marseille[182], à Chiusi ou à Éphèse, ce culte était la joie des yeux et la splendeur visible de la foi intime.

Cependant les Gaulois n’y sont arrivés qu’assez tard[183]. Pas une seule statue de dieu n’est, en Gaule, antérieure à l’époque romaine[184]. Ils ont, sur leurs monnaies des années de l’indépendance, gravé des épées, des enseignes, des harpes, des chaudrons, des oiseaux, des bêtes, des monstres, des têtes coupées ; ils y ont multiplié les images des fétiches et des talismans ; pas une seule fois leurs dieux n’y apparaissent d’une façon visible[185]. Les Celtoligures des environs de Marseille acceptaient de rendre hommage, dans la cité grecque, aux idoles d’Artémis ou d’Athéné[186] : c’est à peine, au temps de César, et après cinq siècles de voisinage avec les dieux à forme humaine, s’ils osaient dégrossir en tètes ou en bustes les troncs de leur bois sacré[187].

Il a dû exister en Gaule un sérieux obstacle à l’idolâtrie : à coup sûr, il ne pouvait venir que des druides[188]. S’ils ne l’ont pas proscrite, ils l’ont découragée. Un clergé n’a pas un très grand intérêt à ce que l’on connaisse trop les dieux : du jour où le Gaulois leur donnerait une figure et les logerait chez lui, il aurait moins besoin de supplier ses prêtres d’intercéder auprès d’eux. Le prestige des druides tenait à ce qu’ils se disaient les seuls à savoir ce qu’était la divinité[189]. Au surplus, il est possible qu’ils aient eu, de cette divinité, une idée assez haute pour répugner à l’habiller en être humain ; par intérêt ou par conviction, ils avaient le devoir d’interdire de tailler un dieu dans la pierre, le bois et le métal.

Mais, si cette interdiction a existé, elle n’avait plus force de loi dans les années où César conquit la Gaule. Il constata, au delà des Cévennes, que les dieux possédaient leurs statues, et que celles de Teutatès étaient fort nombreuses[190].

En quoi elles consistaient, on peut s’en rendre compte d’après la manière dont l’idolâtrie a commencé chez les populations apparentées aux Gaulois, les Germains, les Grecs ou les Italiotes. Une statue gauloise n’était qu’un tronc d’arbre[191] ou un pilier de pierre, grossièrement taillé, n’ayant de l’apparence humaine qu’une tête vaguement dessinée et la station droite[192]. Idoles immobiles et stupides, ces images étaient bien inférieures à ce qu’une main de Celte pouvait sculpter, à ce que la poésie de ce peuple pouvait rêver : mais la piété n’aime pas changer ses habitudes, et une fois qu’elle eut créé ces corps, elle les garda longtemps. Après tout, ils étaient peut ; être considérés moins comme les images fidèles des dieux que comme leurs signes, leurs réminiscences[193].

 

XVI. — DE L’INFLUENCE DE L’IMAGERIE HELLÉNIQUE.

Les Gaulois ont-ils fait un progrès de plus dans la sculpture religieuse avant le triomphe des Romains et la suppression des druides ? ont-ils fini par demander les leçons des Grecs leurs amis, passés maîtres en cet art ? leur philhellénisme les a-t-il amenés jusqu’à s’inspirer d’images des dieux voisins ? Cela n’est pas impossible.

De tous les dieux grecs, ce fut Hermès, le dieu des voyages et du commerce, que les marchands durent nommer et montrer le plus souvent aux Gaulois : car il était l’arbitre de leurs contrats et le compagnon de leurs étapes[194]. De tous les dieux indigènes, ce fut Teutatès, lui aussi gardien des foires et des routes, dont les Grecs entendirent le plus souvent parler. Ces deux divinités furent appelées à frayer ensemble. Les Gaulois ne se sont-ils jamais avisés, çà et là, de tailler quelques Teutatès sous la figure d’Hermès, en les munissant du caducée et du pétase, symboles d’entente et de paix internationales ? Sans pouvoir le démontrer, je suis convaincu que la chose s’est faite dès avant l’arrivée de César[195]. Celui-ci ne nous dira-t-il pas que ce dieu national, dont il aperçut tant de statues, lui sembla tout pareil à Mercure[196] ?

Mais, si vraiment la conversion des dieux gaulois en dieux gréco-romains avait déjà commencé de son temps, c’était un nouvel élément, étranger celui-là, l’imagerie hellénique, qui apportait une dernière complication à la religion des Celtes[197].

 

XVII. — LIEUX SACRÉS.

Si les druides ont défendu à l’homme de figurer les dieux à sa ressemblance, ils ont dû lui interdire, pour des motifs analogues, de les loger dans des maisons semblables à la sienne.

La règle générale ou la loi, au temps de César, fut de ne point bâtir de temple à la divinité. Elle demeurait dans des lieux qui étaient sacrés en eux-mêmes[198], et qui peut-être avaient été des dieux avant de devenir des domiciles divins.

Ce fut des forêts, de chêne surtout, qu’elle fit ses résidences habituelles[199]. Aux environs de Marseille, un dieu séjournait dans un bois que n’avaient touché ni la serpe ni la hache des hommes, et, aux heures solennelles de la journée, à midi et à minuit, il apparaissait sur son domaine, et le prêtre même redoutait sa rencontre[200].

Sans doute, toutes les forêts n’étaient point autant de sanctuaires : mais elles renfermaient soit des clairières, soit des bosquets réservés[201], que l’homme assignait à sa divinité. On ne dit pas expressément qu’une forêt abritât le tribunal des druides[202] et les comices des Éduens[203] ; mais c’est fort vraisemblable : car les prêtres gaulois passèrent pour les hôtes des forêts[204], ce qui veut dire qu’ils tiraient leur prestige d’un commerce continu avec les dieux, pratiqué dans l’ombre des bois.

Bélénus avait une de ses résidences dans les lacs ou les marais de Toulouse : pour offrir leur butin au dieu, les peuples le précipitaient dans les eaux, et elles finirent par recouvrir d’énormes richesses[205].

Les trésors destinés à Teutatès ou aux dieux publics des cités étaient simplement déposés sur un terrain consacré, mais à ciel ouvert, à la vue et à la portée de tous. César devait voir plus tard, dans beaucoup de villes de la Gaule, de ces monceaux d’or, d’argent ou d’armes, et la religion conservait un tel empire, qu’un vol d’objets sacrés était chose assez rare[206].

Ces lieux saints, ces bois réservés devaient être soigneusement délimités par un mystérieux arpentage : c’étaient bien des temples, dans le sens primitif du latin templum. Mais les sanctuaires fermés et couverts demeuraient une exception, même au temps de César[207].

Il existait cependant déjà, dans certains centres, en faveur de certaines divinités, des demeures soigneusement closes et à abri faîtier, construites de main d’homme. Lorsque les Arvernes prirent l’épée de César, ils la suspendirent dans un de leurs temples[208] : ce ne pouvait donc être qu’un sanctuaire bâti. La maison sacrée des prêtresses de l’île namnète avait ses charpentes et sa couverture ; chaque année, elles refaisaient celle-ci de leurs propres mains, et nulle ne devait, sous peine de mort, laisser tomber les matériaux destinés au toit de leur dieu[209].

 

XVIII. — SACRIFICES ET MORALE RELIGIEUSE.

Les dieux de la Gaule exigeaient beaucoup d’or et beaucoup de sang. Leur vie sur la terre était une sorte de guerre semblable à celle que les Gaulois avaient faite dans le monde, guerre pour la conquête, le meurtre et le pillage.

Dans les temps de luttes, le butin appartenait presque en entier aux dieux : c’était un crime capital que de détourner une part de ce qui leur avait été promis[210]. Les amas d’or accumulés au fond des lacs sacrés ou dans les espaces divins provenaient surtout, je pense, de pilleries militaires[211]. On égorgeait comme victimes tous les ennemis, soit dans le combat, soit après la bataille, et les animaux de guerre servaient eux-mêmes à des sacrifices[212]. En 105, les Cimbres et les Teutons écrasèrent près d’Orange une armée romaine : les prisonniers furent pendus, les chevaux précipités dans le Rhône, les vêtements des vaincus déchirés et dispersés : il ne resta rien des êtres et des choses de l’ennemi, c’est-à-dire que tout avait été voué et donné aux dieux ; et nombre de Gaulois, sans nul doute, étaient mêlés à ces Barbares et partageaient leur foi et leurs pratiques[213].

Dans les temps de paix, les goûts des dieux étaient pareils, mais il devenait plus difficile de les satisfaire. Ce qu’ils aimaient toujours le plus, c’était la vie humaine. On leur donnait d’abord les condamnés à mort, et c’est peut-être pour cela que la pénalité était presque toujours capitale, et que le dernier supplice frappait voleurs et brigands[214]. Mais à défaut de coupables, que la divinité préférait d’ailleurs, on recourait à des victimes innocentes[215]. Quand un homme tombait malade ou courait un danger, c’était que les dieux voulaient sa vie : pour le sauver, on leur offrait une autre vie en échange[216]. En cas de péril public, la cité faisait procéder à des immolations semblables, et, cette fois, il fallait que les victimes fissent nombre[217]. Désirait-on de bonnes récoltes, on devait offrir aux dieux une part plus grande encore[218]. D’énormes holocaustes d’êtres humains leur étaient présentés à des dates fixes[219]. Et les druides servaient toujours d’intermédiaires dans ce trafic sanglant entre le dévot et son maître, entre le vœu et la grâce : si bien que les Gréco-romains finirent par associer la pensée de la prêtrise gauloise à ces sanguinaires actes de foi[220].

Chacune de ces divinités avait ses préférences en matière de sacrifices. Ésus demandait que l’on pendit ses victimes à des arbres ; le dieu de la foudre, Taran, aimait les bûchers ; en l’honneur de Teutatès, on asphyxiait les misérables en les renversant dans une cuve pleine d’eau[221]. Les condamnés étaient enfermés pêle-mêle avec des animaux dans un colossal mannequin d’osier, de bois et de foin, et on mettait le feu à cette masse de chair[222]. D’autres périssaient par crucifixion, à coups de flèches ou d’un coup d’épée[223]. Un rituel déterminait sans doute les cas qui exigeaient l’emploi de tel ou tel mode de meurtre sacré. C’était un jardin des supplices, effroyable et varié, que les abords de la demeure d’un dieu.

Je ne peux cependant m’indigner contre cette religion, ni en conclure qu’elle était la plus sanglante qu’on pût imaginer, et que les Gaulois furent une race monstrueuse[224]. Toutes les religions ont eu des rites de ce genre, et, quel que soit le motif allégué par leurs prêtres pour l’assassinat d’un homme, toutes ont été stupidement meurtrières à une certaine heure de leur vie, meurtrières d’adversaires vaincus, de coupables condamnés, d’innocents sacrifiés à un égoïste désir de vivre ou de régner.

Puis, les rites d’une religion ne sont point toujours d’accord avec ses dogmes, ni le sacrifice qu’on décerne aux dieux ne correspond toujours à leur caractère. L’humeur qu’on leur assigne change plus vite que le culte qui leur est consacré : Teutatès, qu’on figurait surtout en dieu de paix, accumulait autour de lui autant de cadavres rituels que le Génie de la guerre. Ces meurtres étaient le souvenir d’époques très sauvages ; la tradition les conservait même au profit de dieux humanisés : le courage ou la raison manquaient pour modifier les habitudes prises avec les Immortels.

Qu’à côté de ce culte d’or et de sang, les druides en aient préconisé un autre, plus calme, plus poétique, plus intime, fait de victimes moins précieuses, de libations ou d’offrandes non sanglantes[225], de prières et de dévotion intérieure : cela est infiniment probable, étant donné le caractère pacifique de leur idéal et la gravité réfléchie de leur enseignement. On citait d’eux des maximes d’une sagesse simple et paisible : Honorer la divinité, ne rien faire de mal, estimer la bravoure[226], ce qui signifie sans doute qu’une vie pure et droite, la foi et le courage, sont encore l’offrande préférée des dieux. Diviciac, avec lequel s’entretint Cicéron, ne lui parut pas un bourreau sacerdotal. On n’eût pas rapproché les druides de Pythagore, le plus humain des philosophes, le plus respectueux -de toute vie animale, s’ils n’avaient été que des agents de meurtre.

Mais de ces pratiques plus douces, de ce culte intérieur, les Anciens ne nous ont presque rien dit. Car ils n’ont guère parlé des Gaulois qu’en ennemis. Et le thème des sacrifices humains était si commode pour fournir des morceaux oratoires et justifier des exploits militaires !

 

XIX. — DIVINATION.

Le culte, c’est la manière de s’adresser aux dieux ; la divination, c’est celle de recevoir et d’interpréter leurs volontés.

Les Gaulois furent incomparables dans l’art augural. Les Romains eux-mêmes, c’est-à-dire Latins et Étrusques, reconnaissent leur supériorité, et c’est l’hommage des maîtres d’autrefois à ceux de maintenant. Chefs et prêtres paraissent à Cicéron des contemporains de l’augure Navius[227]. Quand Diviciac vint à Rome, il exposa à l’orateur sa manière d’annoncer l’avenir : tantôt l’hypothèse, tantôt l’induction tirée des expériences acquises, le druide éduen ou ses confrères appliquaient les procédés légitimes du travail intellectuel à faire de la divination une science régulière[228].

Aucun mode d’information sur l’avenir n’échappa aux Gaulois[229]. Deux, semble-t-il, provoquèrent chez eux des études particulières, le vol des oiseaux et les entrailles des victimes[230]. Dans les sacrifices humains, la manière dont tombait le supplicié, ses convulsions et l’écoulement de son sang donnaient lieu à un examen spécial[231].

Ce goût pour l’extispicine et l’ornithomancie n’était point propre aux Gaulois. On sait l’importance qu’avaient prise chez les Romains ces deux genres de divination. Mais les Celtes en développèrent un autre, qui végéta au contraire dans le monde latin, la mantique ou le délire prophétique : d’esprit prosaïque et discipliné, les prêtres de Rome ne pouvaient encourager le désordre des inspirations et les tirades des exaltés. La Gaule, agitée, bavarde et poétique, abondait en pieux enthousiasmes, et la classe des prophètes, à demi prêtres et à demi bardes, chantres inspirés des dieux, y était fort nombreuse, dévoilant au moindre propos les secrets de l’avenir et les décisions du destin[232]. Cette nation rappelait en cela l’humeur et les habitudes de la Grèce.

 

XX. — INTERVENTION CONSTANTE DE LA RELIGION.

La science divinatoire consistait à classer, étudier et traduire les manifestations de la vie et de la mort, et à retrouver en elles la volonté des dieux qui présidaient à cette vie et à cette mort. Car on ne pouvait exister ni mourir malgré les dieux. Des noms de divinités, des formules sacrées, une tutelle sacerdotale, s’attachaient aux actions de l’âme et aux faits de la nature. La religion était à la fois une manière de vivre et une façon d’expliquer les choses.

Le pays et ses habitants, à cet égard, avaient peu changé depuis les temps ligures[233]. Aucun acte périodique ou imprévu, dans la vie de l’homme ou du peuple, ne pouvait se passer de la religion : la naissance, les fiançailles et le mariage, les procès, la maladie, un voyage, la réception d’un hôte, l’élection d’un magistrat, la chasse et ses épisodes, la guerre, ses combats et ses défaites, exigeaient qu’un dieu fût pris à témoin[234]. Je pense que les Gaulois ont toujours dit, comme leurs descendants de l’époque romaine, qu’il faut commencer toutes choses par les dieux[235]. Chaque cycle, chaque année, chaque mois, les divisions du mois, toutes les journées[236], et peut-être toutes les portions du jour, avaient une valeur religieuse propre, une vertu déterminée, et comme leurs besoins divins ; il y a des journées et des heures néfastes, d’autres qui portent bonheur[237] : midi et minuit sont redoutables, parce que certains dieux descendent alors sur la terre[238]. Tous les moments mêmes, disait-on, ne conviennent pas à la mort : on ne meurt pas à marée haute[239]. Quand César donna ordre à Dumnorix de s’embarquer pour la Bretagne, le Celte consulta sa religion, et refusa de partir[240]. Si batailleurs que soient les dieux gaulois, il est des jours où ils ne veulent plus de guerre. Au siège de leur place forte, les Aduatiques virent pour la première fois les tours roulantes des Romains : ils crurent que les dieux avaient aidé leurs ennemis, et ils parlèrent de se rendre[241]. La source qui alimentait Uxellodunum avait été captée par César : les Gaulois assiégés attribuèrent ce tarissement subit à une volonté divine, et ils se rendirent[242].

L’espace, comme le temps, était imprégné de divinité. Aucune des formes de la nature n’était incapable de servir de dieu ou de servir à un dieu, ni la pierre brute ni le métal ouvragé, ni le vent qui passe, ni la foudre qui tombe et s’éteint, ni l’arbre qui se renouvelle[243]. Dans certaines régions de la Gaule, plus particulièrement vénérées, la terre fut aussi pleine de lieux saints qu’à Delphes ou à Bénarès, et c’était le cas, je crois, d’Alésia et de sa colline[244], du puy de Dôme et de ses abords, et du lieu sacré des Carnutes. Les Gaulois, disait César, sont les plus superstitieux des hommes[245].

Il est cependant probable que peu à peu, grâce à l’intelligence des chefs et aux nécessités des choses, on put désencombrer le temps et le sol, et faire sa place à la vie laïque. Le développement des dieux souverains, la fixation de grands sacrifices périodiques, l’établissement de sanctuaires principaux, la formation de métropoles saintes, en un mot la concentration de l’élément divin à de certains moments et sur de certains points, dégageait en partie le reste du monde de l’esclavage sacré, de l’inéluctable tabou qui pesait sur lui.

 

XXI. — QUELQUES SUPERSTITIONS ; LE GUI

Des milliers de superstitions auxquelles donnaient lieu les choses de la nature, le hasard ne nous a conservé le souvenir que d’un très petit nombre.

Sous le nom d’œufs de serpents les Gaulois désignaient ces oursins fossiles qui se rencontrent assez souvent dans les terrains de notre pays[246]. Voici ce qu’à leur sujet ils racontèrent plus tard aux étrangers[247] : C’est pendant l’été que les serpents produisent ces œufs : réunis en foule et enlacés ensemble, ils finissent par former, de la bave et de l’écume de leurs corps mêlés, une sorte de boule compacte qu’ils rejettent en l’air au milieu des sifflements. Comme c’est toujours le cas pour les procédures magiques, la prise de possession du talisman devait se faire dans des circonstances déterminées et sous la forme d’un rapt ou d’une conquête. Il fallait qu’elle eût lieu pendant une certaine lune ; l’œuf devait être recueilli dans un sayon avant que, lancé par les bêtes, il n’eût touché terre. Aussitôt pris, on l’emportait à cheval, et le ravisseur n’était à l’abri de la poursuite des serpents qu’après avoir mis une rivière entre eux et lui. Il détenait dés lors un merveilleux talisman de gloire et de victoire : l’œuf de serpent était souverain pour assurer le gain d’un procès et l’approche des rois[248]. D’autres vertus sans doute, plus humbles et plus pacifiques, étaient attachées à sa possession. Il n’est point rare de trouver de ces objets dans les ruines gallo-romaines, témoins du rôle qu’ils ont joué[249] : l’œuf remplaçait ou garantissait la présence du serpent lui-même, gardien attitré du foyer des hommes[250]. En quoi du reste les Gaulois ne pensaient pas différemment des Romains et de bien d’autres, qui voyaient dans le serpent inoffensif et familier l’incarnation du Génie domestique.

Parmi les plantes, quatre au moins recevaient un culte particulier : la verveine, le sélage, le samole et le gui. — Les branches ou les feuilles de la verveine, l’herbe sainte et l’herbe lustrale des Grecs et des Romains, servaient à tirer des sorts et à prédire l’avenir[251] — Du sélage, les prêtres affirmaient qu’il garantissait à la fois contre les maux des yeux et contre toute perte ou dommage ; comme pour l’œuf de serpent, la conquête en était à la fois un rite et un larcin ; elle exigeait de l’officiant un sacrifice de pain et de vin, les pieds nus et bien lavés, un vêtement blanc ; aucun métal ne pouvait toucher la plante ; on la coupait, par un geste de voleur, avec la main droite passée dans l’emmanchure gauche de la tunique, et on l’emportait sur une nappe toute neuve[252]. — Pour le samole, mystère semblable, mais avec quelques variantes : état de jeûne, emploi de la main gauche, défense de regarder en arrière, obligation de ne déposer la plante que dans l’auge où elle serait broyée : à ces conditions, elle gardait toute sa vertu, qui était de guérir les bœufs et les porcs[253]. — Ces faits ne sont sans doute qu’une très faible partie de la flore et de la faune magiques des Gaulois[254]. Ils ne sortent pas de la banalité : dans tous les pays et tous les temps, les plantes odorantes et médicinales ont, comme dit Pline, engendré mille sottises[255], et leur emploi s’est partout enveloppé de rites étranges, comme si leur action, d’ailleurs réelle, venait des gestes de l’homme et non pas de l’herbe elle-même, ou comme si, vivante et capricieuse, la plante ne se donnait qu’à de certaines conditions[256].

Enfin, Pline l’Ancien racontait en ces termes la coupe du gui de chêne[257] : Les druides n’ont rien de plus sacré que le gui, du moins celui du chêne-rouvre. Le rouvre est pour eux l’arbre divin par excellence : leurs bois sacrés appartiennent à cette essence, l’emploi de son feuillage est exigé dans tous les sacrifices. Aussi, une touffe de gui vient-elle à surgir sur un chêne, c’est signe qu’elle arrive du ciel et que l’arbre est l’élu d’un dieu : le gui de chêne est d’ailleurs d’une extrême rareté[258]. La coupe s’en fait suivant un rite minutieux et sévère. Elle a lieu le sixième jour de la lune, alors que l’astre a déjà assez de force, mais qu’il n’a pas encore atteint la moitié de lui-même. Le prêtre est vêtu de blanc, sa faucille est d’or, une tunique blanche est destinée à recevoir la plante. Il ne faut que des couleurs pures au contact d’un dieu. Puis, ont lieu sacrifices et repas sacré, sous l’arbre même. On immole deux taureaux blancs, dont les cornes jusque-là sont restées vierges de tout lien : pendant le sacrifice, on prie le dieu de faire que son présent rende heureux les hommes auxquels il l’a envoyé[259]. Car le gui est une véritable panacée : on l’appelle le remède qui guérit tout, et de toutes les maladies, de tous les poisons, de la stérilité même. Des ennemis de la mort et des agents de la vie, il est le plus victorieux et le plus fécond.

Pline, à propos de toutes ces plantes, prononce le nom des druides. Je doute fort que les druides dont il parle soient les prêtres souverains du temps de César, et je verrais plus volontiers en eux des prophètes et des devins subalternes, héritiers simplement du nom de l’ancienne prêtrise, et débitant sous le prestige de ce titre sacerdotal les éternelles recettes de la médecine végétale : car le gui, tout comme la sauge et la verveine, a vraiment quelques vertus curatives, qui d’ailleurs ne sont pas spéciales au gui du chêne.

Pourtant, j’inclinerais à croire que les druides eux-mêmes ont volontiers accepté et sanctionné la croyance au gui, si chère à tant de peuples. Aucune religion ne s’est refusée d’associer à ses dieux la gloire de certaines plantes, à faire d’elles le symbole aimable des mystères de sa foi[260]. Or, la vie du gui aidait si bien à traduire en de poétiques métaphores les dogmes les plus séduisants et les espérances les plus joyeuses ! Fille des oiseaux du ciel, qui transportent sa graine[261], compagne des arbres sacrés, sur lesquels elle prend racine[262], demeurant verte et vivante au milieu des branches dépouillées par l’hiver[263], la plante était l’image de l’âme éternelle, venue du ciel, aimée des dieux, et qui traversait incorruptible l’époque du trépas et les horreurs du cadavre. Une branche de gui, disaient les Italiotes, ouvrit à Énée vivant la porte des Enfers[264] : les druides ont pu de même enseigner que, comme le gui, l’esprit sortait du corps expirant et triomphait du passage de la mort. L’un et l’autre étaient, de cette mort, les vainqueurs souverains[265]. — Plus tard, rabaissant cette leçon et la prenant à la lettre, les sorciers héritiers des druides auront fait du gui, symbole de la vie, un moyen de guérison[266], et du gui du chêne, relique sacrée, miracle de la nature, le plus universel des remèdes.

Mais cela n’est qu’une hypothèse, et peut-être, en la faisant, cède-t-on trop au désir de donner à la religion druidique le charme attrayant d’une morale poétique.

 

XXII. — DESTINÉES DE L’HOMME.

Dans ce monde qui vivait par les dieux, quelles étaient la place et la destinée des êtres humains ?

Il faut distinguer, disaient les druides, entre les corps que nous voyons et les âmes qui les animent : ceux-là disparaissent, celles-ci ne périssent point. Elles durent au moins deux existences, séparées par ce qu’on appelle la mort : et cette dernière n’est que le départ pour un autre séjour. Au delà du domicile provisoire que l’homme nomme son corps, il trouvera un nouveau corps, il vivra du même souffle une nouvelle vie[267].

Où les druides installaient cette autre vie, nous ne le savons au juste. Les uns ont dit que d’après les prêtres gaulois, l’âme émigrait d’un homme à l’autre[268], comme si, sur cette terre même, elle pouvait apparaître et revivre dans deux êtres différents. Mais selon d’autres, la seconde enveloppe de l’âme et sa seconde existence étaient placées très loin, dans a un autre monde u, que nos regards ne pouvaient atteindre[269]. — Je crois que cette dernière doctrine était vraiment celle des druides, et qu’ils avaient assigné pour résidence aux morts de leurs peuples quelques terres lointaines, îles des Héros, des Bienheureux ou des Trépassés, situées au delà des rivages visibles de leur Océan[270] : portées sur des barques ou poussées par les vents, les âmes arrivaient exactement au lieu de leurs nouvelles destinées ; elles y vivaient sans doute de la même vie que leurs dieux, peut-être sous les regards de Teutatès lui-même, gardien et compagnon des morts comme il était le maître des vivants[271].

L’homme de la Gaule continuait à mettre dans ses funérailles et dans son tombeau la pensée de la route qu’il devait suivre après sa mort et de la vie qu’il espérait mener[272].

L’abandon du cadavre aux vautours, coutume, semble-t-il, des Galates compagnons de Brennos[273], avait disparu de la Gaule propre : les morts n’habitant plus dans les espaces célestes, il n’était plus nécessaire de recourir aux oiseaux pour les conduire dans leurs demeures. Incinération et inhumation étaient restées les rites habituels des populations de nom belge et celtique ; mais ils n’impliquaient pas des solutions opposées sur les questions d’outre-vie. Cette différence de traitement tenait, je crois, à des usages régionaux, à des traditions de familles ou de tribus, à des privilèges sociaux. Ici et pendant un temps, on a pu ensevelir les nobles et brûler les pauvres ; et plus tard, faire l’inverse. Ailleurs, aux mêmes époques, le contraire a pu se produire. Mais, enterrés ou brûlés[274], cadavre ou cendres, les restes étaient toujours déposés sous le sol, et, quel que fût l’état de la dépouille, les cérémonies des funérailles aussi bien que la forme et l’aménagement de la tombe révélaient des espérances semblables. Chez les Belges, les principaux guerriers se firent longtemps inhumer avec leur équipement de parade ou de bataille, casque, lances, javelots, épée et char de guerre, et c’est merveille que de voir, dans les plus riches tombes de la Champagne[275], ces armes de bronze ou de fer étendues à côté du squelette de celui qui les a portées, reposant avec lui comme en attendant l’heure de la nouvelle vie[276] : car le Gaulois devait paraître armé, et de ses armes solennelles, dans le monde auquel il était destiné, pour y vivre de cette même vie de combat ou de gloire qui avait été sa raison d’être comme homme et comme citoyen. Aux funérailles des chefs, on brûlait en un seul bûcher ses biens les plus précieux, ses animaux, les plus chers de ses esclaves et de ses clients[277] : ce n’étaient pas seulement des victimes qu’on immolait à un héros, c’étaient encore des compagnons et des valets qu’on renvoyait à leur maître pour tenir sa nouvelle maison[278] : aussi ne lui adressait-on que les meilleurs. Des vêtements et des parures de luxe, enfermés avec lui dans la tombe, complétaient son ajustement héroïque ; peut-être, pour aider esprits et choses à passer d’une rive à l’autre, déposait-on avec le mort le simulacre d’une barque[279]. Des vases, dont la valeur variait avec la fortune du défunt, renfermaient des provisions de route, et devaient servir, j’imagine, à décorer sa demeure d’au delà[280]. L’image d’une hache, l’arme antique des hommes et l’arme consacrée du dieu souverain, continuait sans doute à protéger la tombe et son précieux dépôt contre toute tentative sacrilège[281]. Ces tombes, qui n’étaient pas des lieux de séjour, mais des lieux de passage, n’avaient plus l’aspect monumental des grandes salles mégalithiques des âges précédents : une petite chambre, capable de contenir le corps et ce dont il avait besoin, il ne fallait pas autre chose[282] ; il suffisait que le mort fût à l’abri, sinon à son aise.

La vie future était donc un double de celle-ci. Elle avait ses guerriers, ses riches, et on y faisait des affaires d’argent : les Gaulois, disait-on, s’engageaient à rembourser leurs dettes dans l’autre monde, et ils trouvaient préteurs à ces conditions[283]. D’autres jetaient dans les bûchers funéraires des lettres destinées à leurs parents d’outre-tombe[284].

Peut-être ont-ils cru aussi qu’on pouvait en revenir, et que le voyage n’était pas sans retour. Ils racontaient que des voyageurs étranges, semblables, pensaient les Grecs, à Castor et à Pollux, avaient débarqué jadis sur les rivages de l’Atlantique[285] : étaient-ce des dieux ? ou des héros revenus de l’Élysée transmarin ? Des Celtes, disait-on, prenaient les armes contre les flots de l’Océan[286] : n’était-ce pas, quelquefois, pour écarter la nage invisible de ceux qu’ils ne voulaient pas revoir ?

Ces croyances faisaient que les Gaulois ne perdaient rien de leur indifférence pour la mort. Ils la traitaient toujours comme l’épisode d’une existence géminée. Le suicide était un changement plus tôt opéré, et rien de plus. On ne peut pas dire qu’il fût, chez les Gaulois, un ante d’absolue spontanéité et de pur caprice : on se tuait toujours pour un motif, excès de générosité, défaite militaire, mort d’un patron ou d’un proche, évènement surnaturel[287] ; mais il suffisait du moindre incident pour leur faire croire que les dieux ne s’opposaient pas à leur mort, et ils partaient joyeusement[288]. Les innocents qu’on destinait aux holocaustes solennels ne devaient point toujours regretter d’être choisis pour victimes, ni les clients d’un défunt de l’accompagner dans la tombe. Si les sacrifices humains ont persisté si longtemps, c’est que prêtres et dévots ne voyaient pas grand mal à hâter l’heure de la mort. Et les Gaulois n’ont tellement aimé les combats que parce qu’ils leur offraient le plus légitime des moyens de mourir : le trépas sur le champ de bataille ou dans un combat singulier[289], c’était à la fois le départ pour la vie nouvelle, le sacrifice de soi-même à ses dieux, la gloire dans la mémoire de sa famille, l’éternité du nom dans les souvenirs de son peuple, une sortie, triomphale à la vue de tout ce qu’on aimait.

Les druides, nous ont répété les Anciens, insistaient sur l’immortalité de l’âme, le mépris de la mort, l’obligation du courage. Ce furent les seules parties de leur enseignement qu’ils laissaient se divulguer[290]. Mais il est douteux qu’ils fussent les véritables créateurs de ces doctrines : elles ne venaient point d’eux, et elles se seraient propagées malgré eux. Elles étaient conformes aux idées de tous les peuples barbares et braves, Gaulois, Germains, Thraces, Scythes, Ligures, Italiotes, Cantabres ou Ibères[291]. Les prêtres suivaient docilement le cours de la pensée populaire, pour paraître le diriger. Ils mettaient leur théologie d’accord avec le tempérament celtique.

Il est vrai qu’ils lui donnaient une vigueur nouvelle. Je ne crois pas que les doctrines des druides aient fait le courage des Gaulois, comme l’insinuaient les Anciens[292] : mais elles l’ont à coup sûr maintenu et soutenu. Ils fortifiaient par là l’esprit national.

Car cette immortalité différait de ce dogme d’amour et de justice que des philosophies et des religions plus récentes nous ont fait connaître. La vie future ne représentait pas pour les Gaulois le désir des êtres disparus, la récompense du dévouement, la réparation du malheur, l’adoration d’un dieu de bonté, l’élan vers la vérité et le droit souverains ; elle n’était pas la compensation légitime à la vie d’ici-bas, faite de hasards, d’erreurs et d’iniquités. Les druides parlaient d’elle comme d’un motif de courage et d’un ferment de victoire. Elle était, si je peux dire, d’ordre militaire et patriotique.

 

XXIII. — DESTINÉE DU MONDE.

Les druides s’étaient préoccupés de la destinée du monde aussi bien que de celle de la vie humaine. Après avoir exposé, dans leurs poèmes, l’origine et la nature de tout, ils racontaient comment tout finirait. Était-ce sous forme d’exposé dogmatique ou de prophétie ? nous ne le savons, et nous ignorons aussi s’ils faisaient preuve d’autant d’intelligence ou de verve que les mages de la Chaldée, les voyants d’Israël et les poètes de la Grèce.

La forme mise à part, ils n’apportaient pas de solutions bien différentes de celles que les prêtres et les visionnaires de tout pays ont données au problème de l’avenir du monde.

Le monde devait, disaient-ils, s’effondrer dans un cataclysme d’eau et de feu : ces deux éléments régneraient alors en souverains, et ce serait la terminaison de tout[293]. Ce qu’il fallait craindre, pour un Gaulois, ce n’était pas le dernier jour de sa vie, mais ce dernier jour de la vie de la terre. Car, sans doute, les morts disparaîtraient avec les vivants, les dieux avec les hommes, et la vie, pour la première fois, serait vaincue.

Cette apocalypse ressemblait fort à celle qu’on chantait en Germanie au neuvième siècle, et qui est peut-être, après tout, le dernier écho des révélations prophétiques du monde gaulois[294] : Les monts s’enflamment ; il n’y a plus d’arbres et l’eau se dessèche ; le marais s’engloutit, le ciel brûle en flammes ; la lune tombé, la terre ronde brûle, et feu et air balayent tout.

Mais l’homme ne se résigne pas à croire à l’éternité du néant. Les druides imaginaient, après cette victoire des éléments primordiaux, une nouvelle naissance des choses ou le commencement d’un monde nouveau[295]. De même, les Germains prophétisaient plus tard la résurrection des peuples et des âmes innombrables[296].

Ainsi l’univers, de même que chacun des humains, devait connaître à son tour la crise de la mort et le triomphe d’une seconde existence.

 

XXIV. — CARACTÈRE ET AVENIR DE LA RELIGION GAULOISE.

Cette manière de concevoir l’univers, la vie humaine et les dieux se retrouve partout dans le monde antique, on peut dire dans presque toutes les religions humaines. Rien, ni dans les croyances populaires des Gaulois ni dans les doctrines enseignées par les druides, ne porte la marque d’une véritable originalité. Théogonie, anthropogonie, cosmogonie, rituel de culte, rituel de divination, ces théories et ces pratiques ressemblent à celles qui ont circulé sans relâche sur la terre. Les Anciens et les Modernes ont déliré d’admiration à propos de ces druides, propagateurs du dogme de l’immortalité : mais, vraiment, ce dogme a toujours été, dans le monde, une invincible banalité[297]. Leur Élysée lointain, mais tous les peuples l’ont espéré et l’espèrent encore, et les Grecs d’Homère et les Mexicains de Montézuma[298] et les Mongols et les Arabes. Teutatès est la figure ordinaire d’un dieu national, il rappelle le Mars-Sylvain ou le Saturne des Italiotes, l’Apollon-Hermès des Hellènes, il est le frère jumeau de Wuotan, les Juifs auraient pu le comparer à Jahveh, les Polynésiens retrouveraient en lui leur Maui, et les indigènes d’Amérique leur Michabu[299]. Tous les peuples de l’Europe et d’ailleurs ont adoré les sources, immolé des victimes humaines, prié sur des hauteurs, et refusé d’abord à leurs dieux des temples et des statues. Les, divinités souveraines y ont toujours combattu géants et serpents ; et le gui, panacée druidique, est aussi le talisman porte-bonheur des Finnois[300]. Ce que les druides prophétisaient sur la résurrection de la terre ne diffère pas de l’Apocalypse de saint Jean[301]. Je cherche, dans les mille détails de la religion gauloise, celui qui lui est propre, celui qui est le signe de la race, et je ne le trouve pas.

Cela ne veut point dire, à coup sûr, qu’elle soit faite uniquement d’emprunts. Toutes ces doctrines et tous ces rites peuvent naître spontanément chez des populations de race et de climat fort différents. Nous avons été, nous et nos ancêtres, toujours tentés de croire à des imitations, alors qu’il n’y a que des ressemblances. Si le Grec constatait chez les Barbares des rites analogues aux siens, il louait leur philhellénisme ; s’il rencontrait chez eux le souvenir d’un héros local, il proclamait qu’ils avaient reçu la visite d’Héraklès. En réalité tous les peuples méditerranéens (pour ne parler que de ceux-là) ont eu des Hercules propres, et lorsqu’Héraklès établit l’empire de son culte dans le monde gréco-romain, il ne fit que substituer son nom et son histoire au patrimoine de héros indigènes. Pareille chose arriva en Gaule quand Teutatès se transforma en Hermès et en Mercure. Bien des conversions ne sont que des adaptations de pensées analogues, et bien des victoires de dieux se ramènent à des changements d’épithètes, à des rapprochements d’attributs, à des fusions d’existences. Les Galates d’Asie, les Celtes et les Aquitains de Gaule adoreront bientôt avec une ferveur particulière la Grande Mère des Dieux de Pessinonte : mais c’est qu’ils avaient pratiqué, de temps immémorial, un culte chthonien de pareille nature ; et ce qui paraissait une évolution religieuse était une réminiscence. Il n’est aucune divinité qui ne soit un mélange de dieux.

La seule religion, en dehors des cultes des Barbares occidentaux, dont les Gaulois et leurs prêtres ont pu s’inspirer, est celle du monde hellénique. Les Gaulois n’étaient pas de fanatiques ennemis de l’étranger. Le druide Diviciac, le roi galate Déjotarus ont fait à Cicéron des confidences d’ordre religieux. Les temps de Brennos, ennemi d’Apollon et contempteur des idoles, étaient passés depuis longtemps. A dire vrai, ce Brennos apparaît comme une exception dans l’histoire gauloise, et je me demande s’il n’a pas été imaginé en sacrilège par les chroniqueurs hellènes, habiles dans l’art de défigurer un ennemi et de dramatiser une bataille[302]. A l’autre extrémité de l’hellénisme, les gens de Marseille représentaient au contraire un roi celto-ligure comme un pieux philhellène, recevant en songe les ordres de leur divinité, gravissant l’acropole phocéenne pour y faire ses dévotions, et offrant un collier d’or à la déesse protectrice de la cité[303]. Les Grecs furent le premier des peuples poètes et théologiens avec lequel les Gaulois se trouvèrent mis en relation ; le contact avec eux a duré des siècles ; il s’est produit partout, à Marseille, prés de l’Adriatique, sur le Danube, le long de l’Hellespont, dans l’Asie phrygienne ; et cette poésie et cette théologie grecques étaient si aimables, si claires, si peu abstraites ! Les druides, quand ils avaient besoin d’écrire, usaient de lettres grecques[304] : et il est rare qu’un alphabet d’emprunt ne serve pas de véhicule à des idées étrangères. Ces marchands, qui donnaient et vendaient tant de choses aux Gaulois, qui sillonnaient leur pays en tous sens, ont bien pu apporter quelques formules religieuses. Ils paraissent avoir laissé chez les Arvernes des statuettes d’Héraklès ; nous avons vu qu’ils ont peut-être montré aux Gaulois que Teutatès était l’image de l’Hermès hellénique. On dira plus tard que les druides avaient reçu des leçons de Pythagore sur l’immortalité ou la métempsycose[305]. Pure légende, à coup sûr : mais cela pouvait signifier qu’ils n’étaient pas demeurés étrangers à ces mythes grecs qui voguaient sur la mer Intérieure et qui débarquaient sur tous ses rivages.

Que la religion gauloise ait été parfois transformée par ce voisinage, ou qu’elle soit toute dérivée du fonds commun de la nature humaine, elle ne présente que des faits très ordinaires dans l’histoire morale des hommes. Elle ne mérite ni admiration ni colère. Dans l’élan d’une hyperbole oratoire, Cicéron disait qu’elle ne ressemblait à aucune autre, qu’elle respirait le sang et la colère, qu’elle était une guerre permanente aux dieux civilisés de Delphes et du Capitole[306] ; il en parle comme d’autres ont parlé de la religion d’Israël[307], fixée dans l’adoration en esprit d’un dieu national, invisible, terrible et jaloux. Riais à vingt ans de là, César déclarait que les dieux gaulois étaient pareils à tous les autres, et qu’il n’y avait aucune différence entre Taran et Jupiter, Bélénus et Apollon : et il parle de la religion des Celtes comme si elle s’était déjà modelée dans le moule des formes gréco-romaines[308].

Telle était en effet la question qui se posait en Gaule un ou deux siècles avant l’ère chrétienne. La religion s’immobiliserait-elle, comme celle des Juifs, dans les rites immuables d’une divinité nationale[309] ? s’épanouirait-elle, comme celle des Grecs, dans la multiplicité visible des dieux humanisés ? ou, comme jadis celle du Latium, viendrait-elle s’adapter, en des pastiches maladroits, à la religion triomphante de l’hellénisme ? — Ce qui fait l’originalité d’une religion, ce sont moins les formules des rituels et les cadres théologiques, que la manière d’être et de vivre qu’elle finit par imposer à ses dieux. La religion grecque et la religion juive n’ont peut-être pas eu des débuts fort différents. Elles sont cependant arrivées à devenir à la fois très contraires et très belles, celle-là par la multitude de ses formes divines, par l’éclat de vie humaine et de beauté tangible qu’elle leur a donné, celle-ci par la souveraineté égoïste et lointaine dans laquelle elle a enfermé son dieu solitaire. — Il n’était donc pas impossible que la Gaule, elle aussi, ne possédât un jour des espèces originales de la divinité. Après tout, la Germanie a créé les siennes, et les deux populations étaient congénères. Les Celtes avaient des prêtres pour réfléchir sur l’existence des dieux, des poètes pour célébrer leur gloire, des prophètes pour parler en leur nom. Aucune ne lui manquait des forces créatrices. Mais il fallait laisser au tempérament gaulois le temps de se montrer et d’inspirer ces forces, aux peuples et aux pensées le temps de prendre certaines habitudes. Tout allait dépendre de la direction qui serait donnée à la vie des hommes.

 

 

 



[1] Cf. t I, ch. IV, § VII et  ch. IX, § V. — Tous les travaux cites pour le ch. IV, et, en outre ou en particulier, les suivants : Cluverius, Germania antiqua, 1631, en particulier p. 154 et s. ; Schedius, De dis Germanis, 1648 : Keysler, Antiquitates selectæ Septentrionales et Celticæ, Hanovre, 1720 (encore à consulter) : [dom Martin], 1727 (beaucoup trop dénigré) ; des Roches, Mém. sur la religion des peuples de l’anc. Belgique, dans les Mém. de l’Ac. imp. et roy. de Bruxelles, 1777, p. 413 et s. ; de Wal, Mythologiæ Septentrionalis monumenta, Utrecht, 1847 ; Becker, Beiträge zur rœmischkeltischen Mythologie, Bonner Jahrbücher, XXVI, 1858, p. 76 et s., XXVII, 1859, p. 75 et s., XLII, 1867, p. 90 et s., etc. : de Belloguet, 1868, p. 102-295 ; Leflocq, Études de mythologie celtique, Orléans, 1869 ; Gaidoz, notamment : 1° article Gaulois (Religion des) dans l’Encyclopédie des Sciences religieuses de Lichtenberger, V, 1878, à part sous le titre : Esquisse de la religion des Gaulois, 1879 ; 2° Le Dieu gaulois du Soleil et le Symbolisme de la roue, Rev. arch., 1884 et 1885 ; Flouest, Deux Stèles de Loraine, Rev. arch., 1884 et 1885 ; Rhys, Celtic Heathendom, 1888 (The Hibbert Lectures, 1880) ; Mowat, Remarques sur les inscriptions antiques de Paris, 1883 (Bull. épigraphique) : d’Arbois de Jubainville, Le Cycle mythologique irlandais et la Mythologie celtique, 1884 (Cours de littérature celtique, II) : Allmer, Les Dieux de la Gaule, dans la Revue épigraphique, à partir d’avril 1891, III, p. 298 et s., n° 1041 et suiv. : Reinach, Bronzes figurés de la Gaule romaine, [1894], description du Musée de Saint-Germain (capital) ; Zangemeister, Neue Heidelberger Jahrbücher, V, 1895, p. 46 et s. ; Dottin, Manuel, 1906 ; Reinach, Cultes, Mythes et Religions, I, 1905, et, en dernier lieu, Mercure tricéphale, 1907 (Rev. de l’hist. des religions ; Roscher, Ausführliches Lexikon der griechischen und rœmischen Mythologie, 1884 et s. (en cours de publication) ; Renel, Les Religions de la Gaule avant le Christianisme, 1906. Pour les survivances : Sébillot, Le Folklore de France, I, 1904, Le Ciel et la Terre, I, 1905, La Mer et les Eaux douces, III, 1906, La Faune et la Flore. — Pour les dieux comme pour les autres institutions j’hésite à tirer parti des renseignements fournis par les documents britanniques, et notamment les épopées irlandaises (cf. Squire, The Mythology of the British Islands, Londres, 1905). A chercher des points de comparaison, je préférerais les documents qui concernent la Germanie, c’est-à-dire le pays d’où sont venus les Celtes, et, en particulier ceux que nous fournissent les textes les plus anciens (cf. Grimm, Deutsche Mythologie, 4e éd., Meyer, 1875-8, 3 vol., toujours capital) et le chaudron d’argent de Gundestrup et les cornes d’or de Gallehus (Sophus Müller, Nordiske Fortidsminder, Copenhague, 1892, et Nordische Altertumskunde, II, 1898. p. 151 et s. ; Bertrand, Religion, p. 302 et s.), bien que, contrairement à l’opinion courante, je ne puisse les appeler celtiques : ce sont, si je ne me trompe, objets postérieurs à l’époque chrétienne et d’origine germanique ; mais l’analogie des figures représentées avec celles du monde gaulois est surprenante (carnyx, casques à cornes, à rouelle, sanglier-enseigne, dieu accroupi et à cornes de cerf, exaltation du turques, serpent cornu, victime plongée dans une cuve, etc.).

[2] Disciplina in Britannia reperta, atque inde in Galliam translata esse existimatur : et nunc, qui diligentius cum rem cognoscere volunt, plerumque illo discendi causa proficiscuntur ; César, VI, 13, 11-12.

[3] César, V, 12, 2.

[4] Ammien Marcellin (Timagène) XV, 9, 4.

[5] César, V, 12, 1-2.

[6] Cf. Rev. des Ét. anc., 1902, p. 112. Et cela est vrai des institutions civiles comme de la religion : Britanni... manent quales Galli fuerunt, Tacite, Agricola, 11.

[7] Juges, 3, 1-7.

[8] Strabon, IV, 4. 6 ; Tacite, Ann., XIV, 30 : Plutarque, De defectu oraculorum, 18, p. 419-20, peut-être De facie lunæ, 26, 3, 10-13 (y aurait-il, 26, 9, un vague écho des voyages et de l’apprentissage des druides ?) ; Solin, XXII, 7.

[9] Cf. Cicéron, De oratore, III, 11, 42 : Rustica vox... antiquitatem.

[10] Eorum sacra [des Gaulois en Bretagne] deprehendas superstitionum persuasione (Tacite, Agricola, 11).

[11] Je ne dissimule pas qu’il comporte d’autres explications. On peut supposer, par exemple, un législateur ou un apôtre religieux né en Bretagne, mythique ou réel, Moise ou Hésiode du monde gaulois, dont les leçons ou les vers auraient été plus exactement conservés dans l’île. Mais cette hypothèse n’exclut pas la précédente. Et elle a contre elle que les Bretons furent en rapport, non avec les Celtes, mais avec les Belges et les Vénètes (II, 4, 7 ; 14, 1. III, 8, 1 ; 9, 10. IV, 21, 7). — Barth (p. 134-5), qui donne la même explication que nous, fait remarquer que comme le druidisme, le Christianisme, après être passé de Gaule en Bretagne, s’est propage ensuite de l’île comme d’un centre naturel et de son foyer le plus pur ; au temps de Dagobert et de Charlemagne, ce sont les Églises des îles Britanniques qui ont renouvelé la vie intellectuelle et morale du continent : qu’on songe à Boniface, à Alcuin et surtout à Colomban. — Même solution également chez dom Martin, I, p. 10.

[12] Mela, III, 2, 10 ; César, VI, 14, 4.

[13] César, VI, 14, 5-8 ; 18, 1 ; Mela, III, 2, 18 et 19 ; Lucain, I, 452-8 : Strabon, IV, 4, 4 ; Ammien, XV, 9, 8 ; Diodore, V, 28, 6 ; 31, 4. Et, dans tous ces textes, on sent deux sources seulement, Posidonius et Timagène, et encore Timagène dérive-t-il peut-être de Posidonius.

[14] Voici les arguments qui me paraissent militer en faveur de cette théorie (existence d’un dieu souverain ou national, Teutates, interprété plus tard d’ordinaire en Mercure ou en Mars), théorie qui me semble chaque jour moins contestable : 1° le sens du mot Teutates (plus bas en note) ; 2° la diffusion de ce nom de Teutatès, comme nom de dieu, dans tout le monde celtique : 3° l’identité du Teutatès de Lucain, dieu des sacrifices humains (placatur sanguine diro Teutates, Lucain, I, 414-5 ; cf. Lactance, Inst. div., I, 21, 3), avec le Mercure dont parle César (VI, 17, 1, Deum maxime Mercurium colunt) et avec le Mercure gaulois des Pères de l’Église, lui aussi un grand dieu à victimes humaines (Minucius Félix, Octavius, 6, 1 ; Tertullien, Apologétique, 9 ; Scorpiace, 7), Mercure dont il existe un si grand nombre de monuments à l’époque romaine. Et je ne vois pas de raisons de douter de cette identité, acceptée, semble-t-il, par l’Antiquité elle-même (elle apparaît dès le Xe s. dans les scholies de Lucain, Usener, Commenta Bernensia, p. 32 : Rev. des Ét. anc., 1902, p. 111 et 113), conservée par le Moyen Age (Usener, l. c. ; Annius de Viterbe, Antiquitatum variarum volumina, éd. de 1512, f° CXXXIX v°), pour ne point parler du consentement de la plupart des érudits (Fauchet, 1579, p. 4 v° ; Clavier, p. 65 ; Schedius, p. 110 ; dom Martin, I, p. 304 ; de Belloguet, p. 144 ; Desjardins, II, p. 513). — D’Arbois de Jubainville (depuis 1878 ?. Rev. arch., XXXV, 1878, I, p. 388 ; Le Cycle mythologique irlandais, 1884, p. 381, etc.) a supposé que le grand dieu gaulois s’appelait Lug, et s’identifiait avec le héros Lug de la mythologie irlandaise ; et cette théorie a eu une vogue incroyable (voir, entre autres : Monceaux, Le grand Temple du Puy-de-Dôme, Revue hist., XXXV, 1887, XXXVI, 1888 ; Vercoutre, Origine et Genèse de la légende du Saint-Graal, Paris, 1901).

[15] Deum maxime Mercurium colunt, César, VI, 17, 1.

[16] Hujus sunt plurima simulacra, ibid.

[17] Lucain, I, 444-5.

[18] Cela me paraît résulter du nombre de monuments que la Belgique a consacrés à Mercure (à Trêves, C. I. L., XIII, 3636-60, à Metz, 4304-12).

[19] C. I. L., VII, 84 : Marti Toutati.

[20] C. I. L., III, 5320 = suppl., 11721, p. 1834 : Marti Toutati. Ces inscriptions ont déterminé Mowat (p. 40) à identifier Mars et Teutatès.

[21] Sur cette question des noms de dieux, cf. Usener, Götternamen, Bonn, 1808.

[22] Lucain, I, 452 : Solis nasse deos ; Diodore, V, 31, 4 : Ώσπερεί τινων όμοφώνων.

[23] César, VI, 17.

[24] Lucain, III, 412-3.

[25] Ou Toutotes, Totates : cf. C. I. L., VI, 2107 (Totatigen[u]s) et 31182 (Toutati). Wortschatz, p. 131 : * tould = Volk = irlandais tuath et kimrique tûd, terra = breton tud, gens. Le mot est indo-européen : cf. ombrien tota = civitas, osque touto = populus (von Planta, II, p. 739 et 708) : gothique thiuda = peuple ; ancien haut-allemand diot, même sens (Kluge, au mot Deutsch).

[26] Cf. Apollini Toutiorigi = patrio ou regi patrio (C. I. L., XIII, 73114), à rapprocher de Mercurio Arvernorigi (ibid., 6003).

[27] Camulus, cf. C. I. L., III, 8671 ; VI, 46 ; VII, 1103 ; Brambach, 164 = C. I. L., XIII, 8701, et le nom Camulogenus, Fils du Fort, César, VII, 57, 3 ; etc. ; Helder, I, p. 726 et suiv. : c’est à tort, je crois, qu’on a vu dans Camulus un dieu distinct, Alf. Maury, Mém. des Ant. de France, XIX (= n. s., IX), 1849, p. 15 et s. Dans le même sens, Caturix (appliqué au Mars des Helvètes), le Prince du Combat ; cf. C. I. L., XIII, 5035, 5046, 5054, 6474. Peut-être aussi Sucellus, le Frappeur ?, XII, 1836, XIII, 4542, 5037, 6224. 6730 ; Reinach, Cultes, p. 223. Peut-être encore Smerius.

[28] Visucius et Viducus, le Sage, Celui qui sait (cf. *vid, Wortschatz, p. 264), plutôt que le Bon (Wortschatz, p. 277), épithètes de Mercure (C. I. L., XIII, 576, 577, 6347, 6384, etc. ; Visucius seul, 6404). Peut-être, et dans un sens analogue, Ogmios.

[29] Rapprochez César, VI, 17, 1, et VI, 14, 6.

[30] VI, 17, 1. Helder, II, c. 552, rapproche très heureusement ce texte de C. I. L., VII, 271 : Deo qui vias et semitas commentus est ; XII, 5849 : [Me]rc[urio] Viat[ori] ; Brambach, 1391 = XIII, 6176 : Deo Mercurio Cultori.

[31] Ce rôle du dieu national des Gaulois est attribué par Diodore à Hercule en Gaule (IV, 19, 14), lui aussi législateur pacifique et protecteur de routes. Et c’est encore un peu le rôle que Lucien attribuait au vieil Hercule Ogmios des Celtes, grand persuadeur des hommes (Herakles, 3-6 ; cf. l’hypothèse de Théodore Reinach, supposant Herculei Ogmio dans une inscr., C. I. L., XII, 5710 ; Rev. celt., XXIII, 1902, p. 50 et s.). Je ne peux voir dans tous ces récits que des échos de la légende du dieu national gaulois (cf. de même dom Martin, I, p. 304-318).

[32] C’est pour cela que l’on a, sur tant de points, interprété Teutatès par Mars (Usener, p. 32). Il ne serait pas impossible que le Mars des locis concecratis de César (VI, 17, 4) ne fût le dieu national, interprété ici de cette manière par le proconsul.

[33] VI, 18. 1 : Galli se omnes ab Dite Patre prognatos prædicant, idque ab druidibus proditum dicunt.

[34] Il semble en effet que les peuples classiques aient souvent aussi interprété Teutatès en Saturne (Varron ap. Augustin, De civ. Dei, VII, 19 ; Denys, I, 38, 3). Dans le même sens que nous : Cluvier, p. 95 ; dom Martin, I, p. 323-334 ; de Belloguet, p. 143 et suiv., p. 211 et suiv. — On identifie d’ordinaire le dieu au marteau des monuments gallo-romains avec le Dis Pater gaulois dont parle César (Grivaud de La Vincelle, Recueil de monuments antiques, 1817, II, p. 21-22 ; Chardin, Rev. arch., 1834, XI, p. 309 et s. ; A. de Barthélemy, Rev. celt., I, 1870, p. 1 et s. ; Flouest, Rev. arch., 1883, I, p. 10 et s. ; Gaidoz, Rev. celt., VI, 1883-5, p. 457 et s. : Reinach, en dernier lieu Bronzes, p. 137-185, et Cultes, I, p. 229-232). On peut accepter cette identification, mais sous une double réserve : 1° ce dieu au marteau, comme le Dis Pater de César, ne représente qu’une forme, une des figures du grand dieu gaulois ; 2° ce dieu au marteau encore, dans la plupart des cas où nous trouvons sa figure, parait faire fonction moins de dieu infernal que de dieu local, protecteur de champs et de demeures, de Sylvain domesticus (cf. C. I. L., XII, p. 927) : ce que devint si souvent le grand dieu gaulois, lorsque la domination romaine l’eut exclu, au moins sous ses formes indigènes, de son rôle souverain, et ce qui est du reste le sort ordinaire des grandes divinités déchues. — Il peut paraître extraordinaire, au premier abord, qu’un seul et même dieu ait pu donner naissance à tant de formes et d’interprétations différentes (Mercure, Mars, Dis Pater, Saturne, même Hercule et Sylvain). Mais voyez tout ce que le monde classique a dit et fait du Jahveh des Juifs, devenu Saturne, Liber Pater, peut-être Jupiter (Tacite, Hist., V, 4-5). Cf., sur ces défigurations ou interprétations (interpretatio Romana, Tacite, Germanie, 43) des dieux exotiques, Richter, De deorum barbarorum interpretatione, Halle, 1906.

[35] Minervam operum atque artificiorum initia tradere, VI, 17, 2.

[36] Je tire ces conclusions de la présence, dans tous les pays celtique, d’une grande divinité féminine appelée par les textes ou les inscriptions tantôt Minerve (Justin, XLIII, 5, 6 ; César, VI, 17, 2 ; cf. Polybe, II, 32, 6), tantôt Bellone (C. I. L., XIII, 2872, 5408, 5598, 5670 : cf. Ammien, XXVII, 4, 4), tantôt la Victoire (C. I. L., XIII, 2874 ; XII, 1339, 1340 ; etc. ; cf. Dion Cassius, LXII, 7, 3). Cf. Rev. des Ét. anc., 1899, P. 48.

[37] On peut hésiter entre Rosmerta, nom de la compagne de Mercure en Belgique (XIII, 4192-5, 4683-5, 4105, 4732, 6222, 6263, 6388, 5677, 5939, 4311, 7683, etc.), Belisama ou Belesamis (XII, p. 162 ; XIII, 8), Andarta (C. I. L., XII, 1554-60), Άνδράστη, Άδράστη, Άνδάτη (Dion, LXII, 6, 2 ; 7, 3), Nantosuelta (XIII, 4542 : et les figures chez Reinach, Cultes, I, p. 218) : ces deux derniers noms désignent à coup sûr des déesses de victoire et de combat. Voyez encore deo Mercurio Vesurio et sa(n)cte Visucie (XIII, 6384). Après tout, ces divers noms peuvent avoir été également des qualificatifs ou des épithètes de la même déesse. — Il ne serait pas impossible que l’énigmatique Erecura ou Herecura (XIII, 6438, 6439, 6631 a, etc.) ne fût un des noms de la Terre gauloise, encore que son identification avec Juno Regina (Ήρα κυρία), adorée à côté d’elle (XIII, 6440, 6441, 6632-40), ne soit bien séduisante (Gaidoz, Rev. arch., 1892, II, p. 198-213).

[38] Supposé : 1° d’après le fait que le Dis Pater, ancêtre des Gaulois dans cette théologie, ne peut désigner qu’un fils ou un époux de la Terre (VI, 18, 1) ; 2° d’après l’analogie offerte par la mythologie germanique : Tuistonem deum, Terra editum, et filium Mannum, originem gentis conditoresque (Tacite, Germanie, 2) ; 3° de l’importance que prit en Gaule le culte de la Grande Mère des Dieux, qui a dû s’adapter à un culte indigène (XIII, 1751-6 ; Grégoire de Tours, In gloria confessorum, 76) ; 4° de l’existence en Gaule d’une déesse de la Terre interprétée en Maia (XIII, 1748, 6095 ; Rev. des Ét. anc., 1901, p. 99) ou en Vesta (XIII, 2940).

[39] Le vrai nom parait être Taranus. Jovem imperium cælestium tenere, César, VI, 17, 2. Taranis (gén.), Lucain, I, 446. Taranin Jovem, scholie de Lucain, Usener, p. 32. Jovi Taranuoco, C. I. L., III, 2804. Ταρανοου, C. I. L.. XII, p. 820. Deo Taranueno, C. I. L., XIII, 6094, 6478 : le Dieu Fils de Taran ?. L’identification de Taran et de Jupiter ne laisse place à aucun doute. — Reinhard, De deo Toranueno, [1766], dans le Thesaurus dissertationum de Martinus, III, 1, 1767, p. 311-18 (insignifiant) ; Cerquand, Taranis lithobole, 1881, Avignon (Mém. de l’Acad. de Vaucluse) ; le même, Rev. celt., V, 1881-3, p. 381 et s., VI, 1883-5, p. 417 et s. ; etc.

[40] Apollinem morbos depellere, César, VI, 17, 3 : Panegyrrici Latini, 7, 21 et 22 (Apollo noster). L’identité de Bélénus et d’Apollon ne fait aucun doute : Ausone, Prof., 5, 7-14 : 11, 23, 4. — Sur Bélénus, cf. d’Arbois de Jubainville, Rev. arch., 1873, I, p. 197 et s. : Ihm ap. Wissowa, III, c. 199-201 ; etc.

[41] D’après les inscriptions accouplant Apollini et Sironæ, XIII, 5424, etc. : Holder, I, c. 1286. On prononçait la première lettre comme un son intermédiaire entre s et d. Le caractère lunaire de ce culte est moins certain que son caractère aquatique. — Je n’hésite pas à croire que -ona signifie eau ou source ; sir- est également un radical s’appliquant aux cours d’eau. — Ch. Robert, Sirona, Revue celtique, IV, 1879-80, p. 133 et s., p. 265 et s. ; etc.

[42] Les textes anciens qui mentionnent Epona n’ont jamais déclaré son caractère gaulois ; les inscriptions qui la concernent ne sont pas localisées en Gaule (Holder, l. c. 1447-50). Mais ce caractère résulte : 1° de la célébration officielle de son culte en Cisalpine (chez les Cénomans ?, XV k. Jan. Eponæ, C. I. L., I, 1, 2e éd., p. 233) ; 2° de la multiplicité de ses statuettes en Gaule ; 3° des éléments du nom, radical et désinence, qui sont tout à fait d’apparence celtique (Wortschaft, p. 261) ; 4° du caractère public du culte d’Épona dans certaines localités gauloises (C. I. L., XIII, 4630, 5170, 5622, etc. : localité d’Épône en Seine-et-Oise). — S. Reinach (Rev. arch., 1903, II, p. 349) a supposé que Épona, comme le grec Ίππου κρήνη (Hippocrène) a signifié primitivement la Source des Chevaux : on pourrait en conclure que c’est le nom d’une certaine fontaine sacrée de la Gaule, dont le culte se sera étendu et qui sera passée au rang de divinité générale : et cela parait très vraisemblable vu le sens de -ona (cf. n. précédente). Le cheval a pu tout aussi bien être associé à une source que le cerf. — Il est probable que dans d’assez nombreux cas, Épona a fait fonction de déesse locale ou de Dresse-Mère, du moins à l’époque romaine. — Sur Épona, Reinach, Rev. arch., 1895, I, p. 163 et s., p. 309 et s. ; 1898, II, p. 187 et s. ; 1899, II, p. 61 et s. ; 1902, I, p. 227 et s. : 1903, II, p. 348 et s. ; Dangibeaud, Rev. des Ét. anc., 1903, p. 284 et s. : Ihm ap. Wissowa, s. v.

[43] Non cité par César ; apparaît dans les inscr., XIII, 3026, 3105-7, 2940 ; cf. Florus, I, 20 = II, 4, 5. Il est possible que ce soit un dédoublement d’Ésus ou du Mars gaulois dont parle César, produit par une interprétation romaine de ce dieu différente de celle de César (cf. XIII, 3026).

[44] Martem bella regere, César, VI, 17, 2-4. Esus, Lucain, I, 445 (var. Hæsus, Æsus). Esus, C. I. L., XIII, 30211. Hesus Mars, scholie de Lucain, Usener, p. 32. Esum, Lactance, Inst. div., I, 21, 3 (var. Esum), C. I. L., XIII, 10027, 191.

[45] Les rapports et les caractères respectifs de Teutatès et d’Ésus constituent peut-être le problème le plus ardu de la mythologie gauloise. J’ai dit ce que je croyais le plus vraisemblable. — Il ne serait pas impossible, aussi, que le nom d’Ésus fût à l’origine simplement une épithète du dieu souverain (théorie d’Henri Martin, Études, p. 280), que Teutatès et Ésus, en d’autres termes, fussent des formes différentes de ce dieu (de Belloguet, p. 141), et que ces formes n’aient été que plus tard constituées en entités divines distinctes. Si bien qu’à l’époque romaine, lorsque les druides eurent cessé de guider la pensée des fidèles, on a hésité entre les mêmes noms et les mêmes figures pour interpréter et représenter Teutatès et Ésus. Si celui-là a pu devenir Mars, celui-ci a pu aussi devenir Mercure (Usener, p. 32), et il a pu ainsi prendre une allure pacifique (s’il est représenté par un bûcheron sur l’autel de Paris, C. I. L., XIII, :3026). — Et on peut par suite supposer sans invraisemblance, que ce dernier autel ligure les trois plus grands dieux du panthéon gaulois. Esus-Teutatês, le Mars gaulois sous les traits de vulcain, Taran-Jupiter. — Mowat (p. 20 et suiv.) a identifié Ésus avec Sylvain.

[46] Il doit y en avoir d’autres, par exemple des dieux stellaires correspondant à Castor et Pollux, Diodore, IV, 511, 4 : C. I. L., XII, 2821, 2526,2999 : XIII, 3021.1.5409 ; etc.

[47] De derorum irnmortalium vi ne potestate, César, VI, 14, 6. Lucain, I, 432-3 ; Mela, III, 2, 19 : Diodore, V, 31, 4.

[48] César, VI, 14, 6 ; Mela, III, 2, 19.

[49] César, VI, 18, 1.

[50] César, VI, 17, 1.

[51] Ammien, XV, 9, 4.

[52] D’après Lucain, I, 414-6, corroboré par César, VI, 13, 4 ; 16, 2. A rapprocher peut-être de ce groupement celui de l’autel de Paris (XIII, 3026).

[53] Peut-être les Volques Tectosages de Toulouse, Orose, V, 13, 23. Importance particulière des dieux célestes chez les Belges.

[54] Andarta la Victoire chez les Voconces, XII, 1334-60.

[55] Mercure et Rosmerta à Soulosse chez les Leuques, XIII. 4683-5, et ailleurs, cf. 5677. Sucellus et Nantosuelta à Sarrebourg chez les Médiomatriques, XIII, 4542. Mars et Bellone à Alésia, XIII, 2872 ; cf. 5670.

[56] Mercure à Trèves (XIII, 3656-60) ; au puy de Dôme chez les Arvernes, 1317-23. Pline, XXXIV, 45 ; à Bordeaux, XIII, 574-518.

[57] Sans doute à Bélénus chez les Séquanes, XIII, 5366. 5374-5.

[58] A Sens, Marti, Volkano et deæ sanctissimæ Vestæ, 2940. Bien entendu, certaines de ces différenciations ont pu se produire seulement après la conquête. Elles doivent s’expliquer par des raisons tirées de l’histoire ou des habitudes de la cité.

[59] C’est là surtout que domine, à l’époque romaine, sa traduction en Mercure. Dans le Nord, elle se trouve surtout à Metz et à Trèves, villes de commerce.

[60] Là, en effet, Mars apparaît plus souvent comme dieu principal. Cf. C. I. L., XII, p. 219, flamen Martis ; XIII, p. 490, Fanum Martis ; id., p. 49.3.

[61] En d’autres termes, le monde gaulois arrivait ou pouvait arriver au même morcellement de la religion politique que le monde gréco-romain : mais le point de départ de son histoire religieuse n’est pas ce morcellement. De même, au surplus, que l’état religieux des cités antiques, si admirablement décrit par Fustel de Coulanges dans La Cité antique (p. ex. l. III, ch. 6), résulte en partie de la décomposition d’antiques divinités générales.

[62] Fl. Vallentin, Essai sur les divinités indigènes du Vocontium, Grenoble, 1877 (Bull. de l’Ac. Delphinale) ; le même, Les Dieux de la cité des Allobroges, Rev. celt., IV, 1879-80 ; Bulliot et Thiollier, La Mission et le Culte de saint Martin... dans le pars éduen (Société Éduenne, n. s., XVI-XIX, 1888-1891).

[63] Voyez ce qu’a dit Allmer, avec force et justesse, sur l’importance du polydémonisme topique et fontainier dans la religion gauloise (Revue épigraphique, III, p. 209 et s.).

[64] Sauf exceptions, dues à la pénétration graduelle de ces régions par les influences gauloises.

[65] Cf. Bulliot, Fouilles du mont Beuvray, II, p. 175 et suiv.

[66] Deo Nemauso, C. I. L., XII, 3077, 3093-3102. Ausone, Urbes, 161 : il n’y a pas de doute que ce ne soit la Fontaine de Nîmes ; mais il semble que la Fontaine ait été aussi adorée par les indigènes sous forme de Mères, XII, p. 383. Même chose pour Aximus, la Fontaine d’Aime en Savoie, XII, 100 ; Allmer, R. é., n° 1121 ; Graselos, la merveilleuse source du Groseau près de Malaucène, XII, p. 824 ; etc. — Je crois également que les dieux aux noms en -osus sont des dieux de sources ou de lacs : Cososus (XIII, 1353), Alogiosus (XIII, 1331), Etnosus (XIII, 1189), Ibosus (XIII,1370), peut-être Leucullosus (XIII, 1388) ; cf. Osa fluvius, l’Hozain près de Troyes, Acta sanctorum, Bollandistes, 4 févr., I, p. 476 ,4861. Remarquez la localisation de ces noms en pays biturige.

[67] Borvo ou Bormo, Aix-les-Bains, XII, 2443-4 ; Bourbon-Lancy, XIII, 2605-8 ; etc., cf. Allmer, n° 1146 ; Ihm ap. Wissowa, s. v. Ilixo deus, Luchon (XIII, 345- 348 ; aussi sous forme de Nymphes, 300-360). Ivavus, la source thermale d’Évaux dans la Creuse, XIII, 1368. Etc.

[68] Deæ Bibracti, XIII, 2651-3 : c’est la fontaine de Saint-Martin au mont Beuvray (Bulliot, Fouilles, II, p. 175 et suiv.).

[69] Ausone, Urbes, 159-160 : Urbis genius... Divona fons (la Devèse ou une des sources qui se jetaient dans la Devèse, anciennement Divisa ou Divicia).

[70] Divona, nom de Cahors, Ptolémée, II, 7, 9, cf. C. I. L., XIII, p. 206 (la fontaine des Chartreux ?). De même, sans doute, Vesunna à Périgueux, XIII, 940 et 956 (cf. Matres Vesuniahenæ, XIII, 7925, 7850-4) ; Aventin à Avenches, 5071-3 ; Acionna, la fontaine de l’Étuvée prés d’Orléans, 3063-4 ; etc.

[71] Deæ Icauni, XIII, 2921.

[72] Matrona, XIII, 5674.

[73] Deæ Sequanæ, XIII, 2858-65.

[74] Properce, V, 10, 41 ; flum. Rheno, XIII, 5255, 7790-1.

[75] Peut-être XIII, 5424 (monument de Luxeuil) ; peut-être aussi 1331.

[76] Matrona pour la source de la Durance : de même pour la source de la Marne, XIII, 5674. Ce mot de Matrona, d’apparence toute latine, est en réalité préromain et sans doute préceltique ; il doit signifier eau-mère. Appliqué peut-être d’abord à la source de la Marne, il s’est étendu à toute la rivière.

[77] Dec Albio et Damonæ, Chassenay chez les Éduens, XIII, 2840 ; Borvoni et Damonæ, Bourbon-Lancy, 2805-7, et Bourbonne, 5911-20 ; Lussoio (Lurovio) et Briciæ à Luxeuil, 5425.6 ; Bormano et Bormanæ à Aix des Voconces, XII, 1561. Soc. Éduenne, XVIII, p. 259 et suiv. ; XIX, p. 14. Borbo, Borvo, Bormo, sont le même nom de source thermale. Cf. Archœologia Æliana, n. s., XV, p. 337.

[78] Cf. Nymphæ Griselicæ, XII, 361, la source thermale de Gréoulx.

[79] En Narbonnaise, XII, p. 926 : presque toutes à l’est du Rhône ; Matres Ubelnæ, l’Huveaune, 333 et add. (je maintiens ma lecture) ; 330 ; etc. — La terminaison en -nehæ, si fréquente dans les noms ou surnoms des Mères (Ihm, p. 31), doit signifier source ou mère (cf. Rev. des Ét. anc., 1901, p. 211). — Pour les groupements en 3, rarement moins ou plus, Ihm, p. 37 et suiv., Hild, Dict. des Ant., p. 1637-8. — Sur les matres, innombrables aux abords du Rhin : Keysler, p. 369 et s. ; Granges, Mém. sur les Déesses-Mères, Bull. mon., XXI, 1855, p. 3,37 et s. ; Roach Smith, Mém. sur les Déesses-Mères (trad.), Bull. mon., XXVIII, p. 332 et s. ; Friederichs, Matronarum monumenta, Bonn, 1886 ; Siebourg, De Sulevis, Campestribus, Fatis, Bonn, 1886 ; le même, Westdeutsche Zeitschrift, VII, 1888, p. 99 et s. ; Much, Zeitschrift für deutsches Alterthum, XXXV, 1891, p. 315-328 ; Kauffmann, Zeitschrift des Vereins für Volkskunde, II, 1892, p. 24 et s. ; Ihm, Der Mütterkultus, etc. (Bonner Jahrbücher, LXXXIII, 1887) ; Haverfield, The Mother Goddesses (Archæologia Æliana, n. s., XV, 1892, p. 314 et suiv.) ; Ihm, Lexikon de Roselier, s. v. ; Grienberger, Niederrheinische Matronen (Eranos Vindobonensis, 1893, p. 253-268) ; Hild, Dict. des Antiquités, s. v. Matres, paru en 1902.

[80] Avec cette réserve, que les découvertes épigraphiques peuvent modifier ces conclusions.

[81] Je crois de plus en plus que c’est le culte de la fontaine de l’endroit qui est le point de départ de la religion des Tutelles, localisée au sud de la Loire, et peut-être d’influence hispanique : C. I. L., XIII, 411 (Tutela sanctissima, la fontaine chaude de Dax ?) ; 583-5 (Bordeaux, la même que Divona ? ; cf. Ausone, Urbes, 159-160) ; 949, 955, 956 (Périgueux, identique avec Vesunna) ; le nom de Tulle, Tutela ; C. I. L., XIII, 919 (source) ; etc.

[82] Genio loci, traduction latine de quelque expression indigène.

[83] Aristote, Polit., VII, 15 (17), 2, p. 1336 a : ce qui a pu faire dire à Virdomar qu’il descendait du Rhin (Properce, V, 10, 41).

[84] Julien, Discours, II, p. 81 = 104, Hertlein ; Lettres, XVI, p. 388 = 495, H. ; Anthol. palat., IX, 125 ; et bien d’autres ; cf. Rev. des Ét. anc., 1902, p. 277-8.

[85] Ce qui explique la multitude d’ex-voto trouvés aux fouilles faites près de sa source entre Saint-Germain-la-Feuille et Saint-Seine, C. I. L., XIII, p. 437 et suiv., et surtout Baudot, Mémoires de la Commission de la Côte d’Or, IV, 1845, p. 95 et suiv. ; Flouest, Le Temple des sources de la Seine, Semur, 1870 (Soc. des Sciences, 1869) ; Bulliot, Société Éduenne, XVII, 1889, p. 110-116.

[86] Cf. C. I. L., XIII, 1462, 7845.

[87] Cf. C. I. L., XII, 2436-7, 3067, 5848 ; XIII, 409, p. 203 ; V, 7871 ; Rev. des Ét. anc., 1900, p. 2 ; Frédégaire, IV, 55 ; etc.

[88] Par exemple lorsque le chêne-rouvre portait le gui : deo Robori, C. I. L., XIII, 1112 (authentique ?) ; peut-être les dii Casses (cass- = chêne ? ) des bords du Rhin (C. I. L., XIII, 6110, etc.).

[89] Dea Arduinna, C. I. L., VI, 46 (figurée en Diane sur le bas-relief) ; Brambach, 589 = C. I. L., XIII, 7848. Vosego sil(vestri), XIII, 6027, 6059, 6080 (ici, il s’agit d’un dieu chasseur). Cf. Diana Abnoba, forêts et montagnes des sources du Danube : XIII, 5334, 6183, 6326, 6332, 6350, 6337. Sur le culte à ‘Artémis forestière chez les Celtes, Arrien, Cynégétique, 34.

[90] Tout ce qui suit résulte en partie de l’hypothèse que l’identification avec une divinité topique d’un dieu romain, Apollon, Mercure ou Mars, a dû être précédée de l’identification ou de l’incorporation de cette même divinité avec le dieu gaulois correspondant. En d’autres termes, le nom du dieu romain n’a fait que remplacer le nom du grand dieu indigène. Et de fait, la présence si constante de Mercure, par exemple, comme dieu topique ne s’explique que si Mercure désigne non pas le dieu romain, mais le grand dieu gaulois déjà installé sur place. De même, le rôle topique du dieu au maillet, du dieu cornu, du tricéphale s’explique par une localisation, souvent antérieure à la conquête romaine, des grands dieux correspondants.

[91] C. I. L., XIII, 5424 : cf. 5425-6.

[92] C. I. L., XII, 332 : Giarinus ne peut être, je crois, qu’un nom de ruisseau, le Jarrcf.

[93] C. I. L., XII, 1300 ; cf. Allmer, Rev. ép., n° 1072 : Marti Albiorigi, mais peut, être aussi un dieu de source. La localisation du Jupiter gaulois, même sur les montagnes, est du reste un fait exceptionnel, ce qui s’explique par leur attribution à Teutatès-Mercure ; le Grand Saint-Bernard, mons Jovis, est peut-être en dehors des influences gauloises (C. I. L., V, p. 761 et s.).

[94] Mons Belenatensis (Saint-Bonnet près Riom), Grégoire de Tours, In gloria confess., 5.

[95] C. I. L., XII, 1301.

[96] C. I. L., XIII, 2830.

[97] XIII, 2636 (Soc. Éduenne, XVII, p. 181 et suiv.).

[98] XIII, 2889 (Soc. Éduenne, XVII, p. 71 et suiv.).

[99] Frédégaire, IV, 55.

[100] Pline, XXXIV, 45 ; C. I. L., XIII, I, p. 203.

[101] Jupiter Apenninus, Pœninus, lapis.

[102] T. I, Ch. IV, § VII ; cf., dans le Catalogue de Muret et Chabouillet, les figures des monnaies gauloises, et surtout l’inestimable table de De La Tour, à ces différents mots.

[103] Hypothétique pour l’époque ligure et celtique.

[104] La lance d’argent d’Olyndicus (Florus, I, 33, 14) ; épées des monnaies gauloises (6922, 6926-30, 6932-3, 6937-8, 6941-5) ; chaudrons des mêmes (6931, 6956-1) et chez les Cimbres (Strabon, VII, 2, 1) ; vases (en bois ?) du dieu au maillet (Reinach, Bronzes, p. 137 et suiv.) ; clou et instrument bifide du dieu de Viège (id., p. 139-141 ; Espérandieu, Bas-reliefs, I, n° 825) ; l’exaltation du torques (Reinach, p. 198 et suiv.) ; le marteau des monnaies (6929 et 6931) ; la hache des monnaies (de La Tour, p. 286) ; etc.

[105] Souvent isolée sur des monnaies (fait très fréquent, de La Tour, p. 301 et suiv.), sur des autels, des casques (Bronzes, p. 35), des enseignes (Valerius Flaccus, VI, 90). Sur ce symbole, Gaidoz, Rev. arch., 1885, 11, en particulier p. 176 (symbole du soleil) ; Flouest, id. ; en particulier p. 17 (symbole du tonnerre). Au surplus, la roue a pu signifier tour à tour ou à la fois l’un et l’autre.

[106] Svastika ou tétraskèle ou croix gammée, beaucoup plus rare dans le monde gaulois proprement dit ; Saint-Germain, Cat., p. 29 (région pyrénéenne), p. 100 ; Cab. des Méd., 10228. Il semble qu’en Gaule ce symbole ait été le plus souvent remplacé par le triquètre ou triskèle stylisé à spirales, cf. de La Tour, p. 312.

[107] Les S des monnaies (de La Tour, p. 302 et suiv.) ; peut-être les spirales en bronze du Musée de Saint-Germain (V, 3, trouvaille de Neuvy-sur-Barangeon, Cher). Sur l’importance artistique de l’S (signe de la foudre ?), cf. ch. X, § VII.

[108] Sur la tunique de dieux gaulois, Reinach, Bronzes, p. 138, 142, 143, 151, 132, 171 ; et dans les monnaies (de La Tour, p. 277 et suiv.). Ajoutez : le triquètre (n. précédente) ; le cercle inscrit dans une croix (Bronzes, p. 143 ; cf. Musée, V, 3) ; cercles à point central (Bronzes, p. 171) ; cercles concentriques encadrant ou non des rosaces (Blanchet, Figurines, pl. 1 ; Musée de Saint-Germain, V, 3) ; peut-être aussi les rectangles dentelés de la trouvaille de Neuvy (Musée, V, 3).

[109] Quoique, sur les monnaies gauloises de l’indépendance, ces signes soient toujours figurés isolément, quoique, dans les sculptures gallo-romaines, ils soient au contraire presque toujours figurés comme attributs divins, il ne faudrait pas croire que ce passage du symbole ou du fétiche à l’état d’attribut ne date que de la conquête. Sans doute l’influence romaine, en développant l’anthropomorphisme, a énergiquement contribué à amener ce résultat et à fixer les attributs sur tel ou tel dieu. Mais je suis sûr que, dès les temps de la liberté, le populaire s’habituait, au moins dans sa pensée ou son langage, à orner ou armer les dieux de certains signes : autrement, on ne s’expliquerait pas l’abondance de ces types sculpturaux de dieux indigènes, ayant chacun ses symboles propres et ses emblèmes familiers.

[110] Les grues de l’autel de Paris (Musée de Cluny ; Reinach, Cultes, I, p. 238) et de l’autel de Trèves (ibid., p. 237) ; les corbeaux ou les colombes des autels de Compiègne (Saint-Germain, n° 14243, Cat., p. 31 ; Reinach, Cultes, I, p. 73), de Sarrebourg (Reinach, Cultes, I, p. 218), de Nevers (Soc. Éd., XIX, p. 173) ; autres, C. I. L., XIII, 4723, 6145 ; l’oiseau du bas-relief de Mavilly (cf. Musée de Saint-Germain, XXI, 27312), les oiseaux accouplés d’Alésia (Rev. des Ét. anc., 1907, p. 86), et du Musée de Beaune (id., p. 186) ; etc. Sur le rôle divin du corbeau en Gaule : De mir. ausc., 86 ; De fluviis, 6, 4 ; Strabon, IV, 4, 6 ; Reinach, Cultes, I, p. 66, 75. Oiseaux envoyés par les dieux chez les Galates, Eudoxe ap. Ælien, De nat. an., XVII, 19 ; les Gaulois en campagne ducibus avibus, Justin, XXIV, 4, 3 ; la prépondérance des oiseaux en matière divinatoire, au dire du Galate Déjotarus, Cicéron, De divin., I, 15, 28 ; II, 8, 20 ; 37, 79 ; oiseaux servant d’auriges sur les monnaies.

[111] Pline, XVI, 250. D’après Mowat (p. 27), le taureau de l’autel de Paris (Reinach, Cultes, I, p. 236) : mais peut-être est-il figuré non comme bête de sacrifice, mais comme bête familière du dieu ou de son temple.

[112] Scholies de Lucain, Usener, p. 32.

[113] Serpents à têtes de bélier autour de dieux accroupis, Reinach, Bronzes, p. 186 et suiv., p. 195 et suiv. Serpents associés à Mercure, Reinach, Cultes, I, p. 63, 72.

[114] Reinach, Bronzes, p. 160 : non certain. C’est d’ordinaire la peau d’un loup qui recouvre le dieu, p. 176.

[115] Reinach, Bronzes, p. 169, 171, 174, 176, 177, 180, 181 ; images d’Épona.

[116] Serpents à têtes de bélier ; cf. Reinach, Cultes, I, p. 73, II, p. 63-5. Cf. le taureau de Paris, la tête de taureau de Trèves (Reinach, Cultes, I, p. 237).

[117] Statuettes d’Épona.

[118] Notamment, à l’époque romaine, aux divinités accroupies, qui me paraissent être, souvent, une forme particulière, un dédoublement du grand dieu gaulois (cf. Reinach, Bronzes, p. 197), et, plus nettement, sa forme génératrice de Dis Pater, et, souvent aussi, ce dieu-père en fonction de dieu de source, de fleuve ou d’endroit. Ce dieu cornu est appelé Cernunnos, le Cornu ?, sur l’autel de Paris (cornes de cerf. C. I. L., XIII, :3026 ; cf. fluvius Cernunus ap. Holder, I, c. 993) cf. Reinach, Bronzes, p. 185 et suiv. Du même genre, deo Tribanti, C. I. L., XIII, 6061. — Outre les bêtes mentionnées, qui servent de compagnes ou de victimes aux dieux, de nombreuses traces du culte des animaux, soit isolés, soit amalgamés avec des dieux à forme humaine, se retrouveront jusqu’à l’époque romaine : cerfs (les dieux cornus cités plus haut), ours (dea Artio, C. I. L., XIII, 5160 ; Bonner Jahrb., LV-LVI, p. 245 ; Mercurius Artaius, C. I. L., XII, 2199), bouc ? (Bugius, XIII, 4555), porc ? (Mercurius Mocco, XIII, 5676), etc. ; mais je ne peux m’empêcher de faire des réserves sur ces traductions : voyez aussi les figurines d’animaux isolés, notamment dans la fameuse trouvaille de Neuvy-en-Sullias (Bronzes, p. 230 et s. : Mantellier, Mém. de la Soc. arch. de l’Orléanais, IX, 1866, p. 171 et s.). Cf. Reinach, Cultes, I, p. 30 et s. = Rev. celt., XXI, 1900, p. 269 et s. ; d’Arbois de Jubainville, Druides, p. 130 et s. ; Renel, p. 180 et s.

[119] Florus, I, 210-4 ; cf. Justin, XLIII, 5, 7 (offrande d’un collier à Athéné de Marseille). Quintilien, VI, 3, 79 (même offrande à Auguste) ; autel de Paris, C. I. L., XIII, 3026 (même offrande à Tibère : Cæsare = Cæsari).

[120] Maxime de Tyr, Dissertations, 8, 8 ; mais chez Maxime, Celtes peut être pour Germains.

[121] Reinach, Bronzes, p. 137 et suiv.

[122] Reinach, Bronzes, p. 137 et suiv. Le marteau, quoique la chose n’est point prouvée, est un succédané de la hache bipenne. Je ne crois pas cependant que la hache ou le marteau ait été dès l’origine un symbole solaire ou un signe de la foudre : c’est l’arme du guerrier de jadis, devenue celle du dieu de maintenant, et le symbole de la protection dont il couvre hommes, maisons et domaines.

[123] C’est le T ou le tau Gallicum : Virgile ap. Quintilien. VIII, 3, 28 ; Grégoire de Tours, H. Fr., IV, 5 ; Ausone, Technop., 13, 6. — L’ascia gravée sur les tombes gauloises n’a sans doute pas une autre origine, et dérive de la hache gravée sur les mégalithes funéraires : mais la forme primitive a dû être modifiée à la romaine : il semble qu’on ait trouvé une ascia dans une tombe des temps celtiques, de Saint-Venant, Bull. arch., 1897, p. 501-2. Cf., sur la question de l’ascia, en dernier lieu Mau ap. Wissowa, s. v., et, entre bien d’autres : Lebeuf, Dissertation critique sur l’ascia, dans son Recueil de divers écrits, II, 1738, p. 281 et s. ; [de] Barthélemy, Mém. de la Société des Ant. de l’Ouest, a. 1844 (1845), p. 103 et s. : Nalhac, De la hache sculptée, Lyon, 1846 (Acad., I) ; Charma, Mém. lus à la Sorbonne en 1863, Arch., 1864, p. 4 et s. ; Ménard et Auber, Bull. de la Soc. des Antiqu. De l’Ouest, XIe s., a. 1865-7 (1868), p. 131 et s., 305 et s. ; Gervais, Bull. de la Soc. des Ant. de Norm., IV, 1866, p. 188 et s. ; Sansas, Symbolisme de l’ascia, Actes de l’Ac... de Bordeaux, IIIe s., XXVIII, 1866, p. 409 et s. (erroné). — Remarquez que, de même que les dérivés de la hache, ascia et maillet, se retrouvent à la fois comme symboles funéraires et insignes divins, il en est ainsi du vase, que nous retrouvons et sur les figures du dieu au marteau et dans les représentations sépulcrales (cf. Graillot, Poculum et Lagena, Mém. de la Soc. Éduenne, n. s., XXX).

[124] Jupiters à la roue : Reinach, Bronzes, p. 31 et suiv. Autres Jupiters avec les S, p. 33 et suiv.

[125] Reinach, Bronzes, p. 166-7 : Les attributs des dieux sont des fétiches déchus.

[126] Où je crois que les cultes astraux et astronomiques se sont maintenus avec beaucoup plus de persistance que dans le reste de la Gaule. Au surplus, plus on approche de la Germanie, plus apparaît cette prépondérance de la religion astrale (cf. César, VI, 21, 2 ; Tac., Ann., XIII, 55).

[127] Car c’est bien la physionomie qu’il me parait prendre le plus souvent. Entre autres travaux : Donner-von Ricter et Riese, Hiddernheimer Ausgrabungen, 1885, Francfort-sur-le-Mein ; Maass, Die Tagesgötter, 1902, p. 169 et s. Il ne serait pas impossible que ce fût non le Soleil même, mais le Fils du Soleil ou de la Foudre. Et j’incline de plus en plus à admettre l’existence chez les Gaulois et en particulier chez les Belges, d’une croyance à des fils de dieux (cf. Mannus), Hercules ou Dioscures du Nord, dont on retrouve peut-être l’interprétation romaine dans un des autels du Musée de Cluny (C. I. L., XIII, 3026).

[128] Monument de Paris : sorte d’Hercule armé de la massue, et combattant un serpent ; l’inscription prouve qu’il s’agit d’un dieu ou d’un héros gaulois : on peut lire SMER[i ou t]OS, ou plutôt un dérivé de ce nom, p. ex. Smertullos : et ce nom est, semble-t-il, un de ceux du dieu national, transformé plus tard par les Gallo-romains en Mercure et en Hercule : C. I. L., XIII, I, p. 487 ; cf. deus Atesmerius, XIII, 3023 (image de Mercure) ; Mercurius Adsmerius, 1123 ; Rosmerta, compagne indigène de Mercure, Holder, II, c. 1220 et suiv. — Voyez encore le dieu au maillet recouvert de la peau du loup, Reinach, Bronzes, p. 158 et suiv.

[129] Sur cette manière d’interpréter figures et mythes par des faits successifs de la vie cultuelle des fidèles, voyez surtout Reinach, Cultes, Mythes et Religions, et les préfaces en particulier.

[130] Cf. Preller-Jordan, II, p. 12.

[131] Claudius Quadrigarius ap. Aulu-Gelle, IX, 13 (Peter, 10 b).

[132] Cab. des Méd., 6756-64 (femmes plutôt que cavaliers), pl. XXII.

[133] Cf. chez les Bretons, Tacite, Ann., XIV, 30 et 35 ; chez les Cimbres, Strabon, VII, 2, 3.

[134] Cab. des Méd., 6932-.33, 6934, pl. XX et XXIV.

[135] Cab. des Méd., 7417 ?.

[136] Cab. des Méd., 6953, pl. XX.

[137] Voir le célèbre poignard de la rivière Witham (Musée de Saint-Germain, Cat., p. 109 ; cf. Romilly Allen, Celtic Art, p. 92 et 93).

[138] Cab. des Méd., 6813 et suiv.

[139] Cab. des Méd., 6386, 10388.

[140] Cab. des Méd., 10155-8.

[141] Cab. des Méd., 6720 ?. Homme à tête d’oiseau surmontée de trois cornes, 6934.

[142] Cf. les dracones de la forêt de Marseille, Lucain, III, 421, et le vase de La Cheppe.

[143] Reinach, Bronzes, p. 278.

[144] Pausanias, X, 21, 6.

[145] Tite-Live, V, 34 ; Nicolas de Damas ap. Stobée, XLIV, 41 (= fr. 105).

[146] César, VII, 77, 13.

[147] Tacite, Hist., II, 61 ; cf. Florus, I, 33, 14.

[148] César, VI, 19, 4.

[149] C. I. L., XIII, 2873 ; cf. César, V, 54, 2.

[150] Diodore, IV, 19 ; V, 24 ; cf. De mirab. ausc., 83.

[151] Je songe aux Hercules locaux, qui sont peut-être les transformations à la romaine à la fois de héros et de Génies topiques.

[152] Preller-Jordan, I, p. 94.

[153] Autel de Paris (Cluny), avec l’inscr. ESVS : je ne peux pas affirmer que le bûcheron, qui me parait du reste troussé moins à la gauloise qu’à la romaine (cf. le Vulcain d’à côté), représente Ésus lui-même. En tout cas, il est muni d’une serpe (plutôt que d’une hache), il dépouille l’arbre de ses rameaux, il ne l’abat pas : l’arbre ressemble à un tronc de saule ou de chêne étêté, et dont on enlève les repousses. Sur un autel de Trèves, le bûcheron, troussé différemment (à la gauloise ?), ressemble davantage à un bûcheron qui abat l’arbre : mais cependant, il n’a pas là non plus le geste énergique de l’homme qui frappe, et il semble tailler plutôt que détruire.

[154] Sculpture du même autel de Paris, avec l’inscr. TARVOS. TRIGARANVS, le Taureau aux Trois Grues. Je ne suis pas sûr absolument que l’objet figuré par-devant le taureau soit une housse : ce pourrait être, à la rigueur, le tronc A’un arbre, le même arbre que celui de la sculpture d’Ésus. — Sur l’autel de Trèves (Reinach, Cultes, I, p. 237), les deux scènes sont réunies : le bûcheron taille (ou abat ?) l’arbre, et au-dessus des feuillages on voit les trois oiseaux et une tête de taureau.

[155] C’est l’interprétation indiquée par Reinach (Cultes, I, p. 242) à propos de l’arbre d’Ésus, en rappelant l’arbre cosmique des Germains et des Scandinaves (cf. Grimm, Deutsche Mythologie, I, p. 97, II, p. 685 et s.).

[156] En ce qui concerne les autels de Paris et de Trèves, ils pourraient représenter simplement les êtres et les objets attachés au celte des dieux, sans la moindre allusion à quelque scène de la vie de ces dieux (hypothèse de Jorand, Mém. des Ant. de Fr., IV, 1823, p. 506) : 1° le prêtre ou l’esclave du temple taillant l’arbre destiné, soit à devenir l’image du dieu, et alors le tronc de l’Ésus de Paris rappellerait le cæsis extant informia truncis des dieux gaulois de Lucain (III, 410) ou le Sylvain semiclusus sacra fraxino (C. I. L., XII, 193), soit à lui être consacré ; 2° les grues et le taureau du sacrifice (hypothèse de Mowat, p. 28-8), les rameaux des cérémonies religieuses, ou encore les bêtes familières du temple. — Dans un sens différent, d’Arbois de Jubainville (en dernier lieu Rev. celt., XXVIII, 1907, p. 41-2) interprète ces monuments et d’autres par les poèmes irlandais, les aventures de Cûchulainn, le grand héros de cette épopée. — S. Reinach vient de revenir sur ces figures (Rev. de l’hist. des religions, 1907).

[157] Ihm ap. Wissowa, III, c. 201. C. I. L., V, 803 ; cf. 732.

[158] Cf. C. I. L., V, 754, 755.

[159] César, VI, 17,1 ; le Mercure barbu (Bronzes, p. 70 et 196) de l’époque gallo-romaine, et notamment le Mercure de Lezoux (Musée de Saint-Germain, cour), qui est sans doute l’image la plus voisine des traditions gauloises, la plus indépendante du style classique ; cf. Lucien, Herakles, 1-6. Et on en parlait peut-être aussi comme d’un jeune dieu, éloquent et conquérant, si l’on peut appliquer à Teutatès l’histoire de l’Hercule d’Alésia ; cf., inversement, le dieu au maillet imberbe (Reinach, Cultes, I, p. 265-270).

[160] Cela résulte pour moi : 1° du caractère domestique ou privé de la plupart des statuettes soit du dieu au maillet soit des dieux accroupis ou cornus, et de quelques-unes de Mercure ; 2° de l’identification ultérieure du premier à Sylvain (C. I. L., XII, 1101 et p. 927 ; Mowat, p. 21 et suiv.) ; 3° des épithètes topiques si souvent données à Mercure.

[161] Marti suo, C. I. L., XII, 2986, 4221, 4222, 5377 (7) ; XIII, 1353.

[162] Reinach, Bronzes, p. 137 et s. ; Cultes, I, p. 264-271. Il me paraît bien probable que par dégradations successives Teutatès et son maillet ont fini par jouer le rôle d’épouvantails rustiques.

[163] Ex-voto de femmes enceintes trouvés près de sources, Soc. Éduenne, XVII, p. 21.

[164] Roselier, II, 1, c. 187 et s. Cf., en Gaule ou en Germanie, comme divinités de ce genre, indigènes ou importées de l’Italie : dea Januaria, XIII, 5619 (le dédicant est un Gaulois) ; Virodactis [nom indigène ?] sive Lucena, XIII, 6761.

[165] Fati ou, beaucoup plus souvent, Fatæ : C. I. L., XII, 1281, 3045-6 ; cf. Ihm, p. 98 ; d’ordinaire au nombre de trois. Parcæ, XII, 348, 645, 1095, 3111 ; XIII, 6223.

[166] C’est, je crois, le rôle des Suleviæ ; textes chez Holder, II, c. 1663-4 ; XIII, 5027 : Suleis suis qui curam vestra(m) agunt, 3561 ; etc. Matribus paternis et maternis meisque Suelvis, Ann. de l’Inst., 1885, p. 271 ; XIII, 8219. Il n’est cependant pas impossible d’en faire des déesses qui protègent sur les routes et dans les voyages.

[167] Proxumæ, Proxsumæ, surtout à Nîmes (XII, p. 927) : ce peut être une traduction locale des Suleviæ. Au nombre de trois : 3114 ; de deux (?) : 1737. Il semble qu’il y ait des Matres portant des noms de personnes ou de familles (XIII, 7882 ?).

[168] Biviæ, Triviæ, Quadriviæ ou Quadruviæ, Ihm, p. 87 et suiv. ; textes chez Holder, s. v. ; et aussi Viæ, Semitæ, C. I. L., XIII, 8243.

[169] Cf. Ihm, p. 83, 181-3. Les Matres domesticæ peuvent être l’équivalent des sylvains.

[170] Je songe aux dieux tricéphales (Reinach, Bronzes, p. 187-191), qui, bien que figurant peut-être en principe quelque dieu national (le même que Mercure, dit Reinach, 1907, c’est-à-dire, selon moi, Teutatès), ont dû certainement servir de dieux de sources (cf. les trois sources de la Seine et de bien d’autres rivières) ou de dieux domestiques ; cf. Gromatici, éd. Lachmann, p. 302 : Omnis possessio tres Sylvanos habcf.

[171] C. I. L., XII, p. 927 (au mot Silvanus).

[172] Silvano et Silvane, XII, 1103.

[173] C. I. L., XII, 2446 : Dominis.

[174] Medicinis, avec arbres sur le côté, Ihm, n° 448 (Cologne) = XIII, 8231.

[175] C’est pour cela que tant d’inscriptions aux Mères ont été dédiées à Rome, Ihm, p. 105 et suiv. Matr(es) ou Matr(onæ) via(les) ?, C. I. L., VII, 1299.

[176] Campestres, Ihm, p. 105 et suiv., p. 85 et suiv.

[177] Voyez les trois fées des bas-reliefs d’Autun, Société Éduenne, XVIII, p. 252-4.

[178] Dans le même groupe je placerais, hypothétiquement, les Comedov(æ ?), XII, 2445, les Lugoves, XIII, 5078, si ce sont des divinités celtiques et non pas italiotes (cf. II, 2818). Je n’exclus pas l’hypothèse de dii Patres jouant le même rôle que les Mères (cf. Becker, Bonner Jahrbücher, XXVI, p. 76 et s.).

[179] Voyez leurs images.

[180] Sanctissimæ, augustæ, venerandæ, indulgentes.

[181] Reinach, Rev. celt., XVIII, 1897, p. 149 ; XVII, 1890, p. 59 = Cultes, I, p. 216 et 231.

[182] Justin, XLIII, 5,6-7.

[183] Le mot de Brennos chez Diodore (XXII, 9, 4) semble bien indiquer qu’il regardait comme indigne de la divinité de la figurer en image.

[184] Je parle de celles dont la date peut être indiquée ; voyez les recherches de Renel, p. 232 et s. Le seul monument religieux antérieur à la conquête me parait être la pierre de Kermarin en Pont-l’Abbé, Finistère : je la crois au plus tôt du IIIe ou du IIe siècle. Elle ne présente que des figures géométriques, représentations de svastikas, croix, globules ou olives, larmes, méandres, spirales ; cf. Bulletin archéologique, 1898, p. 399-401.

[185] Cf. Blanchet, Traité des monnaies gauloises, p. 151-153.

[186] Justin, XLIII, 5, 8-7.

[187] Lucain, III, 412-417 : Simulacraque mæsta deorum, etc.

[188] Reinach, Rev. celt., XIII, 1892, p. 189-199 = Cultes, I, p. 140-156 ; cf. aussi Pelloutier, V, p. 30 et s.

[189] Lucain, I, 452 : Solis nosse deus, pour les druides ; cf. III, 410-7 : Tantum terroribus addit quos timeant non nosse deos, pour les fidèles.

[190] VI, 17, 1 : Hujus sunt plurima simulacra. Il me parait impossible de voir dans ces simulacra les menhirs ou de simples troncs d’arbres (dom Martin, II, p. 34 ; Reinach, Cultes, I, p. 147) : ce mot ne peut désigner qu’une image, qu’une représentation figurée.

[191] Lucain, III, 412-3 : Simulacra deorum arte carent cæsisque extant informia truncis. Valerius Flaccus, VI, 91 : Truncæ Jovis simulacra columnæ (chez les Coralli, qui sont des Gaulois).

[192] Aucune trace de dieu accroupi n’apparaît en Gaule avant l’époque romaine : il est possible que cette attitude, qui suppose après tout un degré de plus dans l’anthropomorphisme, ait été imaginée, plus tard que la station droite : mais ce n’est pas certain (cf. Mowat, p. 33 et s. ; Reinach, Bronzes, p. 191 et s. ; Renel, p. 267 et s.). Les statues assises de Velaux (Espérandieu, I, n° 131) sont de guerriers.

[193] Cf. Homolle, De antiquissimis Dianæ simulacris Deliacis, 1885, p. 72 et suiv.

[194] Cf. Roselier, I, 11, c. 2381-3.

[195] Sans quoi César, VI, 17, 1, n’eût point parlé avec une telle assurance.

[196] On a supposé l’importation ou même la copie de statuettes d’Hercule dès le temps de César (Reinach, Bronzes, p. 126-9).

[197] Et dans ce cas, qu’on se rappelle le caractère archaïque de la sculpture à Marseille (t. I, ch. X, § VII). — Après de longues hésitations, nous nous sommes abstenu de parler longuement ici, à propos de la Gaule indépendante, de la plupart des figurations religieuses qu’offre la sculpture de la Gaule romaine : dieux accroupis, dieux cornus, tricéphales, etc. Sans aucun doute, les symboles et attributs sont antérieurs à la domination latine, et nous les avons mentionnés. Mais leur mode de répartition, la fixation des types divins, me paraissent, jusqu’à nouvel ordre, choses postérieures à César, le résultat d’habitudes nouvelles, d’écoles d’imagerie pieuse, d’influences méditerranéennes, de rapports avec les religions populaires et rustiques de l’Italie. La disparition des druides et des bardes, l’oubli de leurs poèmes, le contact avec la plus riche mythologie qui ait jamais existé, la déchéance des grands dieux, tout invitait à la fantaisie individuelle et à l’imitation de l’étranger. J’ajoute que, la plupart du temps, nous n’avons sous les yeux, à l’époque romaine, que des dégénérescences et, pour ainsi parler, des décompositions des grands dieux gaulois, transformés en Génies de l’endroit. En revanche, j’ai utilisé sans hésiter les textes épigraphiques : car si la figure du dieu a pu changer, ni son nom ni sa place, que ces textes nous révèlent, n’ont dû être modifiés par la conquête.

[198] César, VI, 17, 4-5.

[199] Pline, XVI, 249.

[200] Lucain, III, 390-425.

[201] Nemora alta remotis incolitis lucis, dit Lucain aux druides, I, 453-4.

[202] César, VI, 13, 10 : In loco consecrato.

[203] César, VII, 33, 3 : Alio loco... atque oportuerit.

[204] Lucain, I, 453-4 ; Pline, XVI, 249 ; Mela, III, 19.

[205] Orose, V, 15, 25 ; Strabon, IV, 1, 13 ; Justin, XXXII, 3, 9-10.

[206] Locis consecratis, VI, 17, 3-5 ; cf. έν σηκοΐς, Strabon, IV, 1, 13 ; τά ίερά, Dion Cassius, XXVII, 90.

[207] Il semble bien, d’après les ruines gallo-romaines, que le templum gaulois fût un carré presque parfait. — Les monnaies de l’indépendance offrent assez souvent l’image d’une sorte de temple : je crois qu’il s’agit d’un édicule portatif, châsse ou arche. — Je n’ai pu parler des autels gaulois, pour la raison qu’ils ne sont mentionnés que par un texte dont la valeur est purement littéraire (Cicéron, Pro Fonteio, 10, 21). Il devait y en avoir : c’est tout ce qu’on en peut dire. Peut-être rattachera-t-on à un autel ou un lieu consacré la pierre de Kermaria.

[208] Plutarque, César, 20 ; cf. Suétone, César, 54 : Fana templaque. Mais je reconnais que ces textes ne sont pas concluants.

[209] Strabon, IV, 4, 6.

[210] César, VI, 17, 3-5.

[211] Strabon, IV, 1, 13 ; César, VI, 17, 3-5 ; Justin, XXXII, 3, 9-10 ; Suétone, César, 54.

[212] César, VI, 17, 4 ; Diodore, V, 32, 6.

[213] Orose, V, 16, 5-6.

[214] César, VI, 16, 5 ; Diodore, V, 32, 6.

[215] César, VI, 16, 5.

[216] César, VI, 16, 2-3.

[217] César, VI, 16, 3-4, où publice doit se rattacher à alii, etc.

[218] Strabon, IV, 4, 4.

[219] Diodore, V, 32, 6 ; Strabon, IV, 4, 4 et 5.

[220] Lucain, I, 450-1. Sacrifices humains aux grands dieux gaulois : Denys, I, 38, 2 ; Tertullien, Apol., 9 (major ætas prosecatur) ; Scorpiace, 7 ; Lactance, Inst. div., I, 21, 3 ; Augustin, De c. D., VII, 19. — Ainsi, avec ces habitudes de généralisation rapide propres aux écrivains anciens, les druides ont pu passer pour être à la fois et les plus sanguinaires et les plus sages des prêtres, alors que, selon toute vraisemblance, leurs pratiques et leurs théories étaient la banalité même.

[221] Te[ut]ates Mercurius sic apud Gallos placatur : in plenum semicupium homo in capot demittitur ut ibi suffocetur [semble se retrouver sur le chaudron de Gundestrup, Bertrand, pl. XXIX]. Hesus Mars sic placatur : homo in arbore suspenditur [sur le sacrifice par pendaison chez les Gaulois, Bretons et Germains, cf. Orose, V, 16, 6 ; Dion Cassius, LXII, 7, 2 ; Tacite, Germanie, 12] usque donec per cruore [percussor ?, Tourneur] membra digesserit [disjecerit ? ; cf. des exemples de dilaceratio chez les Gaulois italiens, Appien, Celtica, 11 ; dans l’île des Bacchantes, Strabon, IV, 4, 6]. Taranis Ditis Paler hoc modo apud eos placatur : in alveo ligneo aliquod homines cremantur. Scholies de Lucain, Usener, Commenta, p. 32 ; cf., sur ces passages, Tourneur, Le Musée Belge, 1902, p. 77-81.

[222] César, VI, 16, 4-3 ; Strabon, IV, 4, 5 ; Diodore, V, 32, 6. Je pense que ces bûchers-mannequins étaient ceux qu’on allumait tous les cinq ans, et il semble bien qu’ils se rattachaient à quelque fête solaire, peut-être celle du solstice d’été : Taran était, dit-on, le dieu de ce genre de supplice (scholies de Lucain, ibid., n. précédente) ; dans un sens analogue, Mannhardt, Der Baumkultus der Germanen, 1875, p. 525-34 : Ein altgallisches Jahresfest.

[223] Strabon, IV, 4, 5 ; Diodore, V, 31, 5 ; 32, 6 (je pense qu’on doit rapprocher le άνασκολοπίζουσι de Diodore et le άνεσταύρουν de Strabon).

[224] Cicéron, Pro Fonteio, 10, 21 ; De republica, III, 9, 15.

[225] L’existence d’une musique sacrée paraît indubitable ; de même celle de danses sacrées (Cab. des Méd., 8941-5, pl. XX, danse devant l’épée). Gestes d’adoration : Athénée, IV, 38 ; Pline, XXVIII, 23.

[226] Diogène Laërce, I, pr., 6[5], qui d’ailleurs attribue simultanément aux druides et aux gymnosophistes la paternité de ces maximes.

[227] Cicéron, De divin., I, 41, 90 ; voyez ce qu’il dit du roi galate Déjotarus, id., I, 15, 26-27 ; II, 36, 76. Justin, XXIV, 4, 3. Ælien, Historia varia., II, 31. Diodore, V, 31, 3.

[228] Cicéron, De divin., I, 41, 90.

[229] Cf. Revue des Ét. anc., 1903, p. 124 et suiv. Les sorts par la verveine, plus bas ; les sorts έκ ψήφων καί άριθμών, Origène, Philosophumena, 25.

[230] Diodore, V, 31, 3.

[231] Diodore, V, 31, 3 ; Strabon, IV, 4, 5. Cette forme de divination parait être particulière aux Gaulois et une de leurs vieilles traditions.

[232] Y compris les prophétesses de Sein, Mela, III, 6, 48. On disait que les druides glandibus comestis divinare fuerant consueti, Usener, p. 33.

[233] T. I, ch. IV, § VII cf. t. I, ch. IX, § V.

[234] Naissance : Aristote, Polit., VII, 15 (17), 2, rite de l’ablution. — Fiançailles : Plutarque, Amatorius, 22, p. 768 = Virtutes mulierum, p. 258, partage de la coupe (chez les Galates). Cf., chez les Ligures (t. I, ch. V, § IV in fine) : Aristote ap. Athénée, XIII, 36, p. 576 ; Justin, XLIII, 3, Il. — Maladie : César, VI, 16, 2. — Voyage : Cicéron, De divinatione, I, 15, 26 ; César, V, 6, 3. — Hospitalité : Parthénius de Nicée, Erotica, 8 ; cf. Polybe, III, 52, 3. — Élection : César, VII, 33, 3. — Chasse : Arrien, Cynégétique, 34 et 35. — Guerre : De bello Gallico, II, 31, 2 ; VI, 16, 2 ; VIII, 43, 5. — Procès : ch. II, n. 123. — J’ai eu tort d’appliquer aux Galates (Rev. des Ét. anc., 1903, p. 253) tout ce qu’Arrien dit des Celtes : il s’agit bien des Celtes de la Gaule propre.

[235] Arrien, Cynégétique, 35, 1.

[236] Contrairement à l’opinion courante (Müllenhoff, IV, p. 212 et s., p. 646 et s. ; Maass, Die Tagesgötter, p. 280), je crois à l’existence chez les Gaulois, en tout cas chez les Belges et les Germains, d’une semaine de sept jours, ayant chacun sa divinité propre, et je rapporte à ces dieux des jours les vases à figures trouvés en Belgique, à Bavai (Mons ?), Jupille, etc. (de Villenoisy, Bull. de l’Institut arch. belge, Liège, XXIII, 1894), et peut-être aussi le vase d’argent de Gundestrup.

[237] Calendrier de Coligny, Rev. épigr., III ; texte de Palchos découvert par Cumont, Rev. des Ét. anc., 1902, p. 287. Périodes annuelles ou quinquennales propres aux grands sacrifices, p. 102, n. 1. La coupe du gui le 6e jour de la lune, p. 167 ; remède à appliquer à la fin de la lune, De fluviis, 6, 3 ; certa luna pour la conquête de l’œuf du serpent, Pline, XXIX, 53, cf. p. 165. — Je soupçonne chez les Celtes, comme chez tant de peuples, deux grands moments de fêtes et de sacrifices : celui du solstice d’été, avec ses mannequins-bûchers, au moins tous les cinq ans, celui du solstice d’hiver ou du soleil nouveau (cf. Florus, I, 45, 21).

[238] Lucain, III, 423-425.

[239] Aristote ap. Pline, II, 220. La croyance subsiste ; Sébillot, II, p. 19.

[240] César, V, 6, 3.

[241] César, II, 31, 2 ; avec cette réserve que les Aduatiques sont sans doute en partie d’origine germanique.

[242] Hirtius, VIII, 43, 5 : ce tarissement d’une source divine représentait pour eux la fin ou le départ du dieu de l’endroit, Génie du peuple et Tutelle de la ville.

[243] C. I. L., XII, 3135 (vent) ; pour la pierre, De fluviis, 6, 3 (par Callisthène et Timagène) ; pour la foudre, Arrien ap. Stobée, Eclogæ, I, 29, 2, p. 610.

[244] Diodore, IV, 19, 2 ; cf. C. I. L., XIII, 1, p. 439-441.

[245] VI, 16, 1 : Natio est omnis (classe β des mss., la classe α donne omnium) Gallorum admodum dedita religionibus. Cf. Tite-Live, V, 34 et 46 ; Denys, VII, 70, 4 ; Ælien, Hist. var., II, 31.

[246] De Belloguet, p. 331. Celui que j’ai vu, dit Pline, était de la grosseur d’une pomme ronde moyenne, la croûte cartilagineuse, avec de nombreuses cupules comme celles des bras du poulpe (XXIX, 53).

[247] Ce qui suit d’après Pline, XXIX, 52-54.

[248] Les oursins fossiles ne sont pas rares, mais ce qui devait faire la valeur du talisman, c’était la manière de le recueillir.

[249] Chauvet, Ovum anguinum, 1900, Revue archéologique, I, p. 281-5 ; cf. Reinach, Cultes, II, p. 63-65.

[250] Cf. t. I, Ch. IV, § VII.

[251] Pline, XXV, 100.

[252] Pline, XXIV, 103.

[253] Pline, XXIV, 104.

[254] Aux détails donnés par Pline on peut joindre l’herbe aux corbeaux qui sert d’antidote (De mir. ausc., 86) ; la pierre de la source de la Saône, fébrifuge (De fluviis, 6, 3).

[255] Magi utique circa hanc (la verveine) insaniunt, Pline, XXV, 106.

[256] Le recueil de Sébillot (III, p. 443 et s.) montre qu’il n’y a aucune différence appréciable entre ces croyances et ces pratiques et celles de la France à toutes les époques.

[257] XVI, 249-51. — Sur le gui chez les Occidentaux, Gaidoz, Revue de l’histoire des religions, II, 1880, p. 68 et suiv. ; de bonnes choses chez Heysler, p. 303 et s. Sur les autres travaux (par ex. Magdelaine, Le Gui de chêne, etc., 1878, Soc. de Semer), beaucoup de réserves à faire. — Il est à peine besoin de répéter que le mot ou cri traditionnel de l’aguillanneuf (étrennes, jour de l’an) n’a aucun rapport avec le gui et les druides ; voyez les textes chez Godefroy, Dict., I, 1881, p. 170 ; autres, Mém. des Antiqu. de Fr., 1817, p. 111 et s. ; etc.

[258] Fait que connaissent bien tous les botanistes et forestiers ; cf. en dernier lieu de Parville, Le Gui sur le chêne, dans Les Annales, 4 août 1907.

[259] Suam donum deus prosperum facial his quibus dederit : his peut désigner la famille propriétaire de l’arbre ou le peuple chez qui il se trouve.

[260] On a cru reconnaître le gui sur certaines monnaies gauloises, 2598-2613, 6918-21, 6894 : c’est possible, non certain.

[261] Pline, XVI, 244-7. Cf. Costantin, La Nature tropicale, 1899, p. 160 et suiv.

[262] C’est cette symbiose du gui et du chêne, comme disent les botanistes, qui a contribué fortement au rôle religieux du gui : le parasitisme végétal a presque toujours déterminé un mythe ou une croyance : cf. Costantin, p. 162.

[263] Virgile, VI, 136-148, 195-6, 204-211, 635-6.

[264] Virgile, 205-6.

[265] Que le rameau cueilli par Énée, et qui joue le rôle décisif dans l’entrée aux Enfers, soit un emprunt fait par Virgile au culte du gui, cela me parait évident. Ce sont des colombes qui le montrent à Énée (190-204), et les oiseaux étaient, en quelque sorte, les générateurs du gui (Pline, XVI, 247). On a cru, tout à fait à tort, qu’un bas-relief d’un autel de Paris représente la coupe du gui (dom Martin, II, p. 69).

[266] Aidés en cela, bien entendu, par l’efficacité reconnue du gui en certains cas.

[267] César, VI, 14, 5. Lucain, I, 454-8 [cf. Reinach, Cultes, I, p. 184 et s.]. Mela, III, 2, 19. Diodore, V, 28, 6 ; Strabon, 1V, 4, 4 ; Valère Maxime, 11, 6, 10.

[268] César (VI, 14, 5), qui peut-être a traduit inexactement le mot grec σώματα, cf. Diodore (V, 28, 6).

[269] Lucain (I, 454-8) et Mela (III, 2, 19).

[270] Cf. t. I, ch. IV, §§ IX, X, ch. IX, § VI ; Reinach, Cultes, I, p. 184 et suiv. (= Rev. celt., 1901, p. 447 et suiv.). Cf. aussi Johanneau, Sur la situation du Paradis des Gaulois, Mém. de l’Acad. celtique, III, 1809, p. 134 et s.

[271] Cf. Plutarque, De defectu oraculorum, 18 ; De facie lunæ, 26. — La tradition de Celtes marchant en armes contre les flots pour y trouver la mort peut s’expliquer par le désir de rejoindre leurs proches : Morale d’Eudème, III, 1, 25 ; Nicolas de Damas, fr. 104 (ap. Stobée, VII, 40) ; Ælien, Hist. varia., XII, 23. Mais d’autres explications sont possibles, plus bas.

[272] Cf. t. I, ch. IV, § IX. — Si Diodore a bien interprété la croyance des Gaulois, la nouvelle vie ne commencerait qu’à la lin d’un cycle d’années (V, 28, 8) : peut-être le cycle de 5 ans correspondant aux grands holocaustes (Diodore, V, 32, 6).

[273] Pausanias, X, 21, 6.

[274] Incinération en Languedoc, de Saint-Venant, Bull. arch., a. 1897, p. 481 et s. Les Gaulois ont connu urnes cinéraires et (?) cercueils en bois.

[275] Musée de Saint-Germain, salles VI, VII-X, p. 147-175 ; British Museum, Early Iron Age, p. 48 et s. — L’opinion dominante, au sujet des tombes de Champagne et Franche-Comté, est qu’elles n’ont aucun rapport avec les Rèmes et les Belges contemporains de César, mais sont antérieures à 300 (Reinach, Rev. celt., XX, 1899, p. 119 ; Catalogue, p. 163 ; etc.). Je ne puis, jusqu’à nouvel ordre, l’accepter. Aucun des arguments allégués en faveur de cette opinion ne me paraît concluant. On a dit qu’au temps de César les Belges ne se servaient plus de chars : je crois le contraire. Il n’y a pas de monnaies dans les tombes de Champagne : qui nous dit que les Belges en déposassent dans leurs tombes, cet usage ne s’étant répandu qu’assez tard chez les Celtes (Blanchet, p. 528 et s.) ? Les Gaulois, dit César, incinéraient : mais Celtes et Belges ont pu avoir des usages différents, et Mela dit cremani ac defodiunt (III, 19). On trouve dans les cimetières de la Marne des objets de style plus ancien que ceux de la Celtique ; mais il n’est rien de plus naturel : les Belges, on le voit constamment dans le cours de ce travail, sont demeurés plus longtemps fidèles aux anciens usages. J’incline donc (comme Mazard, Rev. arch., 1877, I, p. 155 et s.) à croire que ces tombes sont bien de Rèmes et de Belges, postérieures à 300 et plutôt encore n 250, et, pour la plupart, voisines des temps de la conquête.

[276] Dans certains cas, dont le motif nous échappe, on avait la coutume, avant de la déposer dans la tombe, de tordre, d’enrouler ou de replier l’épée de fer (S.-G., VI, 1, p. 148) ; cf. de Ring, Tombes, 1865, p. 21 ; Castan, Rev. arch., 1879, II. p. 382 ; de Saint-Venant, Bull. archéol., 1897, p. 520 ; Reinach, L’Anthropologie, XVII, 1906, p. 351 et s.

[277] La coutume a disparu peu avant César. Ce dernier ne parle que de l’incinération des objets et des serviteurs, mais il est possible que una désigne aussi l’incinération des chefs (VI, 19, 4). Sacrovir et les siens se suicident après avoir préparé leur bûcher (Tacite, Ann., 111, 46). Mela parle à la fois de bûcher et d’ensevelissement : Cum mortuis crernant ac defodiunt, III, 2, 19.

[278] Cela résulte de apta viventibus chez Mela, III, 2, 19.

[279] Les preuves manquent pour l’époque gauloise.

[280] Musée de Saint-Germain, Catalogue, p. 148, 162, etc. — Les œnochoés de bronze sont trop fréquentes dans les tombes de guerriers pour que leur présence ne se rattache pas à quelque usage ou quelque croyance (Perron, Rev. arch., 1882, I, p. 131). Nous retrouvons la trace de cet usage dans la présence d’aiguières à la main des défunts sculptés sur les tombeaux gallo-romains : l’objet, jadis réellement déposé dans la tombe, était alors remplacé par son simulacre de pierre. — Mêmes remarques pour certains vases à forme déterminée (cf. Perron, Rev. arch., 1882, I, p. 131). — Il n’est pas du reste impossible que ces vases comme les œnochoés aient été destinés à servir à quelque acte rituel du défunt à l’endroit des dieux des morts.

[281] Cf. t. I, ch. IV, § IX. Usage constaté à l’époque des mégalithes, et se retrouvant à l’époque romaine dans la gravure de l’ascia, qui n’est autre, je crois, qu’un succédané de la hache. Les preuves manquent pour l’époque intermédiaire, sauf celle que nous indiquons plus haut.

[282] Musée de Saint-Germain, Catalogue, p. 147, 171, etc. ; British Museum, Early Iron Age, p. 48 et s. Tumulus de Magny-Lambert, Côte-d’Or VI, 6, p. 150) ; tumuli d’Alaise en Franche-Comté (S.-G., VI, 201, p. 153) ; ces tombes paraissant plus anciennes, peut-être de moins qu’on ne croit. Tombe de La Gorge-Meillet, Marne (S.-G., 1X, 1, p. 171) ; tombes de Witry-lès-Reims et de Berru (S.-G., IX, 10) ; tombe de La Cheppe, Marne (S.-G., X, p. 175).

[283] Mela, III, 2, 19 ; Valère Maxime, II, 6, 10.

[284] Diodore, V, 28, 6.

[285] Diodore, IV, 56, 4 (Timée ?)

[286] Ælien, Hist. var., XII, 2 :3 ; Nicolas de Damas, fr. 104, 2 ; Morale d’Eudème, III, 1, 25.

[287] Défaite : César et Hirtius, VI, 31, 5 (par le suc de l’if) ; VIII, 44, 2 (par la faim). Suicide (la gorge livrée à l’épée d’un autre) en échange d’or, d’argent ou de vin distribués à sa famille ou à ses amis : Posidonius ap. Athénée, IV, 40. Mort d’êtres aimés : Mela, III, 2, 19 (bûcher partagé). Évènement imprévu : Ælien, Hist. var., XII, 23 ; Nicolas de Damas, fr. 104 (refus de fuir en cas d’incendie ou d’écroulement de maison ; cf. Aristote, Éthique à Nicomaque, III, 7[10], 7).

[288] Marche en armes contre les flots.

[289] Diodore, V, 28, 5.

[290] César, VI, 14, 5 ; Mela, III, 2, 19.

[291] Strabon, III, 4, 17 ; Jamblique, Vie de Pythagore, 30, p. 127, Nauck ; Nicolas de Damas, fr. 100-7.

[292] César, VI, 14, 5 ; Mela, III, 2, 10 ; Lucain, I, 454-462.

[293] Strabon, IV, 4, 4. Cf. Apocalypse, 20, 14 ; 21, 1 : Et la mort et l’enfer furent jetés dans l’étang de feu : c’est la seconde mort.... Puis, je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre : car le premier ciel et la première terre avaient disparu, et la mer n’était plus.

[294] C’est le Muspilli ou l’incendie du monde ; Piper, Die älteste deutsche Litteratur, p. 151-5. Seulement, ici, c’est la domination de l’air et du feu, non de l’eau et du feu. Je ne me dissimule pas, d’ailleurs, tout ce que ce petit poème doit au Christianisme.

[295] Strabon, IV, 4, 4.

[296] Muspilli, éd. Piper, p. 135-7.

[297] Cela a été déjà noté par Jamblique, Vie de Pythagore, 30, p. 127, Nauck.

[298] Cf. Beauvois, L’Élysée des Mexicains comparé à celui des Celtes (Rev. de l’hist. des religions, X, 1884).

[299] Cf. Tylor, La Civilisation primitive, tr. fr., II, p. 328-9.

[300] Sur le rôle religieux du gui, Grimm, éd. de 1875-8, 4e, II, p. 1008-10, III, p. 353-4 ; du serpent cornu, Reinach, Cultes, II, p. 65.

[301] Remarquez le άλλοι de Strabon.

[302] Justin, XXIV, 6, 4-3 ; Pausanias, X, 21, 1 ; Diodore, XXII, 9, 4.

[303] Justin, XLIII, 3, 5-8.

[304] César, VI, 14, 4.

[305] Diodore, V, 28, 6 ; Valère Maxime, II, 6, 10 ; Ammien, XV, 9, 8 ; Clément d’Alexandrie (d’après Polyhistor), Stromata, I, 15, p. 44, Stæhlin ; Origène, Philos., I, 2 et 22. Le point de départ a été, semble-t-il, le livre de Polyhistor.

[306] Cicéron, Pro Fonteio, 9, 20 : A ceterarum gentium more ac natura dissentiunt.... Cum diis immortalibus bella gesserunt.... Bella contra omnium religiones.

[307] Comparez aux paroles de Cicéron (n. précédente) celles de Tacite sur les Juifs (Hist., V, 4 et 5) : Ritus contrarios ceteris mortalibus... Spretis religionibus patriis.

[308] César, VI, 17, 2 : De his (les dieux) eamdem fere quam reliquæ gentes habent opinionem.

[309] Summum illud et æternum, neque mutabile neque interiturum, Tacite, Hist., V, 5.