HISTOIRE DE LA GAULE

TOME I. — LES INVASIONS GAULOISES ET LA COLONISATION GRECQUE.

CHAPITRE VII. — LES INVASIONS IBÉRIQUES[1].

 

 

I. — DIVERSITÉ DE PEUPLES EN ESPAGNE[2].

Les Celtes venaient à peine de s’installer dans la Gaule qu’une autre nation, celle des Ibères, l’envahit à son tour (Fers 500-75)[3]. Ceux-là étaient venus du nord, par les plaines ouvertes du Rhin inférieur. Ceux-ci arrivèrent du midi, en franchissant les cols de montagne qui coupent les Pyrénées non loin des deux mers.

Plus encore que les Ligures, ces. Ibères et leur langue ont suscité les hypothèses les plus diverses. Comme eux, on les a tour à tour faits venir du Caucase et de l’Égypte, on les a traités d’Aryens, de Sémites, de Touraniens ; on les a tantôt assimilés, et tantôt opposés aux Celtes[4] ; et de plus, leur situation à l’extrême occident leur a valu de passer aussi pour la descendance d’Américains, immigrés en Europe dans les temps fabuleux où la terre de l’Atlantide réunissait les deux continents[5].

L’Atlantide mise à part, il est fort possible que l’Espagne ait reçu jadis des hommes de tous les pays. Dans la Germanie et la Scandinavie, terres lointaines, retirées, sauvages et prolifiques, à demi closes par les forêts, les tourbières et les mers froides, les peuples ont pu se renouveler d’ordinaire avec des enfants de leur sang et de leur nom, et les Anciens l’ont reconnu eux-mêmes[6]. Mais ils savaient qu’en revanche la grande péninsule du sud-ouest était la contrée où confluent les invasions. Elle s’avance audacieusement vers toutes les mers, elle touche .à deux continents, l’Europe et l’Afrique ; à son île de Cadix aboutissent les deux plus longues routes maritimes de l’ancien Occident, celle de l’étain et de l’ambre atlantiques, et celle de lit Phénicie méditerranéenne ; sur ses plateaux viennent se perdre ou se rejoindre les voies terrestres suivies par les migrations humaines, et celle des plaines par Roncevaux, et celle des rivage, intérieurs par le Pertus, et celle, aussi, des bords africains par les Colonnes d’Hercule. Et il se trouve enfin que cette contrée, où les marches des peuples arrivent à leur ternie, est précisément celle dont la richesse excite le plus leur désir de conquérir.

Elle fut, de toutes les régions de l’Europe occidentale, lit première où des Orientaux s’établirent ou trafiquèrent[7], et lit seule près de laquelle, oisif et repu, déjà l’égal des dieux, Ulysse ait longtemps séjourné[8]. Les Grecs la connurent avant d’aborder à Marseille. Ce n’est qu’en Espagne que les Carthaginois, hors de l’Afrique, surent fonder un empire[9]. Et tous les envahisseurs qui succéderont à Rome, Alains, Vandales. Suèves, Goths, Arabes et Francs, quel que soit leur point de départ, s’y tailleront des royaumes.

Dès le sixième siècle, l’Espagne était sans doute un vaste caravansérail à populations fort diverses[10]. Mais, les qualifier chacune par un nom ethnique, les définir par le type d’une race, me parait, pour le moment, au-dessus du pouvoir de l’histoire. Tout au plus connaissons-nous le nom qu’elles se donnaient à elles-mêmes et les domaines qu’elles occupaient.

La structure du sol facilitait, du reste, la formation de groupes politiques très distincts les uns des autres[11]. Isolement des bassins fluviaux, communications médiocres entre les rivages et l’intérieur, absence de chaîne médiane ou de vallée centrale, contraste extraordinaire entre des plaines d’une merveilleuse fécondité et des steppes ou des plateaux mornes et nus, aucun enchaînement dans les voies naturelles, une série de basses terres bloquées par d’âpres montagnes : l’Espagne était faite pour donner naissance à des nations très dissemblables[12]. Elle entremêla toujours les civilisations les plus parfaites de l’Europe continentale et les pires barbaries[13].

Il en était ainsi au temps de la fondation de Marseille.

On a déjà parlé du royaume qui s’était formé dans la bienheureuse vallée de l’Andalousie, cet État de Cadix ou de Tartessus, vieux, disait-on, de six mille ans, aux rois protégés par le Soleil leur souverain, paisibles, riches et hospitaliers, aimés des dieux et presque éternels comme eux[14]. — La vallée de l’Èbre, abondante, elle aussi, en terres grasses et en roches métallifères[15], avait donné naissance à un royaume qui portait le nom du fleuve, celui des Ibères, moins ancien sans doute et plus rude que celui de Tartessus[16].

Mais tout autour de ces deux grandes puissances, qui s’épanouissaient, stables et homogènes, dans les plus belles plaines de l’Espagne, erraient et végétaient, sur les plateaux, des multitudes sauvages et confuses, des tribus pour la plupart d’origine ligure[17], attardées dans une vie misérable, à peine plus intelligentes et moins brutales que les troupeaux dont elles vivaient[18]. — Dans les vallées des Pyrénées orientales, sur les terrasses d’Aragon et dans les chaînes de Catalogne, les Indigètes[19] et les Cérètes[20], chasseurs et porchers durs et féroces, partageaient avec les bêtes les repaires des rochers. Les landes et les sierras hautes, blanches et arides de Valence et de l’Aragon méridional[21] abritaient les Bérybraces ou Bébryces, misérables bergers à demi nomades qui ne se nourrissaient que de fromage et de lait[22]. — Le long de la mer Extérieure, là où les plateaux dénudés sont moins continus, où les tranchées des rivières sont plus larges et plus limoneuses, où le flot pénètre plus avant dans la terre[23], les tribus barbares réussissaient à se grouper en peuplades plus fixes et moins agrestes : les Cynètes dans l’Algarve[24], les Cempses, précurseurs des Lusitans, en Portugal[25], les Sèfes sur la ligne des monts Cantabriques[26], les Draganes et autres Ligures sur les côtes du Pays Basque[27]. Mais l’existence de ces peuplades était de courte durée : leurs noms ne font que passer chez les écrivains ; elles se combattaient, se supprimaient ou se poussaient sans cesse. Sauf dans les deux royaumes des vallées, c’était un déplacement continu de hordes inquiètes[28].

De ces deux royaumes, le plus fort était, au sixième siècle, celui de l’Èbre. Ses mines de fer et ses eaux glacées[29] lui valaient déjà, je crois, cette courte épée solide, aiguë et trempée, qui fut l’arme la plus redoutable de l’ancien monde[30]. Il avait bâti de grandes villes[31], aux murailles aussi puissantes que celles des cités étrusques[32]. Sa flotte était connue sur la Méditerranée : elle alla, semble-t-il, jusqu’en Sicile, en Sardaigne et en Corse[33], menaça devant Cadix les Tartessiens et peut-être les Carthaginois eux-mêmes[34]. Ses rois et ses hommes n’étaient sans doute pas amollis, comme ceux de Tartessus, par une vie trop facile et un trop long contact avec les étrangers.

La mainmise de Carthage sur Cadix, l’affaiblissement ou la ruine de l’État andalou, l’éloignement des Phocéens, excitèrent ou aidèrent les ambitions du royaume de l’Èbre. En tout cas, il sut profiter de l’ébranlement que ces faits amenaient en Espagne. Il étendit ses frontières, le long du rivage, vers le nord[35] et vers le sud[36], et commença la soumission des nomades et des bergers qui l’entouraient, Bébryces, Indigètes et Cérètes[37]. Son influence, sa langue et son nom se propagèrent dans les vallées voisines[38]. L’Espagne devenait peu à peu ibérique[39], vers l’époque même où les Celtes revendiquaient pour eux la Gaule, où les Étrusques dominaient l’Italie. On eût dit que le temps fût venu, où de très grands empires feraient l’unité dans les régions naturelles de l’Occident.

 

II. — INVASIONS D’IBÈRES EN GAULE[40]

Cette descente de peuples espagnols vers les plaines de la Gaule est un fait aussi constant dans notre histoire nationale que le passage du Rhin par des immigrants des basses terres germaniques. Et de plus, les envahisseurs du nord et ceux du midi se sont montrés en troupes convergentes presque à la même date.

Je dis presque : car l’invasion du sud a toujours été en retard de quelques dizaines d’années sur celle du nord. Lorsque les Arabes arrivèrent, l’Empire franc était déjà reconstitué par les Pippinides. Les Vascons ne descendirent de leurs montagnes que vers le temps où Clovis et ses fils avaient achevé de conquérir la Gaule. Et quand les Ibères franchirent les cols et doublèrent les caps, les Celtes, possesseurs assurés du Centre, ne laissèrent à prendre sur les ligures que les terres au sud du massif cévenol. — Il est vrai qu’elles étaient excellentes.

Ces malheureux Ligures allaient donc être traqués dans le sud comme ils l’avaient été dans le nord. Ils furent presque partout dans le monde, aussi bien en Gaule et en Espagne qu’en Italie et dans les îles Britanniques, la matière humaine sur laquelle s’exercèrent tous les peuples conquérants du dernier millénaire avant l’ère chrétienne. Les récits des navigateurs de ce temps nous les montrent comme une multitude rapide éternellement en fuite[41]. Déjà ceux des Pyrénées basques, Draganes et autres, étaient pour une part des fugitifs, rejetés par les Cempses et les Sèfes hors des montagnes et des vallées cantabriques et lusitanes[42]. Puis, ils furent même menacés dans leurs domaines de la Gaule, et, avec eux, les tribus congénères des plaines du sud, du Gers ou de l’Aude.

L’invasion ibérique fut-elle combinée en un plan d’ensemble, et confiée à trois ou quatre bandes[43], envoyées au même moment par les principaux ports des Pyrénées ? ou bien diverses tribus d’Ibères partirent-elles successivement, chacune au gré de ses ambitions, et par la route qui était la plus proche ? Aucun texte ne permet de choisir entre les deux hypothèses. Mais il parait probable que le passage et la marche se firent sur trois points des montagnes et par trois voies de plaine[44].

A l’ouest, les Ibères[45] cherchèrent un débouché sur l’Océan, qui était si près d’eux, et que touchaient presque les sources de leur grand fleuve. Le port facile de Velate, les vallées verdoyantes de l’Uruméa et de la Bidassoa les conduisaient à de larges estuaires, abrités et profonds. A deux ou trois jours de marche seulement de leurs villes intérieures, ils s’installèrent au port d’Oïasso[46], dans la rivière de Pasajes ou d’Oyarzun : désormais, ils étaient maîtres de l’une et de l’autre extrémités de la voie la plus directe qui, au sud des Pyrénées, réunit les deux mers[47] : leur nom et leur langue allaient de Tarragone à Saint-Sébastien. Et, d’Oyarzun et de Fontarabie, ils guettaient les routes de l’Océan, et les mines inestimables des cotes cantabriques[48].

De cette même région de l’Èbre supérieur, mais par le col du nord, celui de Roncevaux, les Ibères de la Navarre se répandirent dans les plaines de la Gascogne, pour s’arrêter à Bordeaux et sur les rives aplanies des rivières du confluent girondin[49].

Plus au levant, des troupes importantes descendirent par le Somport ou les cols plus difficiles des Pyrénées centrales, et laissèrent partout des tribus et des bourgades qui assurèrent au nom ibérique les plus riches terres de la Gascogne : les vallées fertiles du Béarn et du Bigorre, les régions grasses du Gers et de la haute Garonne, toute la partie plantureuse passa aux mains de colonies espagnoles[50].

Mais ce furent les envahisseurs de l’est qui arrivèrent en plus grand nombre, et qui se portèrent le plus loin. Car la montée du Pertus était la moins pénible et de beaucoup la moins longue, et les plaines où elle donnait accès paraissaient la proie la plus attirante qu’on prit trouver en Gaule.

Un premier élan (500-475 ?[51]) amena les bandes depuis les Pyrénées jusqu’à l’étang de Thau et aux bords de l’Hérault[52]. Les Cérètes de Cerdagne prirent alors le nom d’Ibères[53]. La peuplade ligure des Sordes disparut des Albères et du Roussillon, ne laissant plus que son nom, qui demeura attaché au rivage et au sol[54] : à sa place s’installeront plus tard[55] des Bébryces, bergers sauvages amenés des sierras aragonaises[56]. Plus loin, le puissant royaume des Élésyques, dont Narbonne était la capitale, le seul grand État qu’aient pu produire alors les Ligures, tomba au pouvoir des Ibères[57], et pendant quelque temps cette côte on s’étaient élevées de grosses bourgades, porta les tristes vestiges du passage d’une conquête[58]. — Une génération ensuite (vers 475-450 ?[59]), les envahisseurs s’aventurèrent au delà, dans les terres du Bas Languedoc ; ils vinrent à Nîmes, ils touchèrent au Rhône[60] Mais ils ne le traversèrent pas. Le Rhône au levant, la Gironde au couchant, marquèrent les limites extrêmes de la terre ibérique. Elle embrassait donc tout le Midi de la Gaule, tout l’Orient de l’Espagne, et le nom des Ibères régnait sans interruption sur les côtes des mers occidentales, depuis les abords du Tage[61] jusqu’aux forêts de la Camargue. Et sans doute, bien au delà des frontières précises de leurs domaines, flottes, marchands ou pirates se sont risqués sur les rivages des mers ou dans les eaux des fleuves[62], remontant peut-être jusqu’en Armorique et jusqu’au confluent de Lyon[63]. Douze siècles avant l’invasion musulmane, les peuples du Sud, lancés par delà les Pyrénées, menacèrent les mêmes rives et occupèrent les mêmes cités qu’Arabes et Sarrasins.

 

III. — LE PROBLÈME DE L’ORIGINE DES BASQUES[64].

A l’étude de l’invasion ibérique se rattache le plus difficile des problèmes que présente notre histoire, celui de l’origine des Basques. Sont-ils les descendants de ces tribus venues de l’Èbre, qui, au cinquième siècle avant notre ère, traversèrent ou conquirent les routes occidentales des Pyrénées ?

La majorité des érudits a, de tout temps, répondu à cette question par l’affirmative[65] ; et même, si des recherches et des hypothèses sans nombre ont été faites sur le berceau des Ibères, c’est parce que ce peuple et sa langue, devenus le point de départ de l’histoire basque, ont excité une inlassable curiosité. Rares sont ceux qui refusent d’associer Basques et Ibères[66] : soit qu’ils reculent la formation de la race mystérieuse dans les temps préhistoriques, bien avant l’invasion espagnole[67] ; ou qu’ils la rejettent au contraire dans le Moyen Age, bien après la disparition du nom ibérique[68].

Chacune de ces solutions peut cependant renfermer une part de vérité.

Il y a, dans la nation basque, des éléments d’époque et de nature fort différentes. Gardons-nous de croire que la langue, la race, les coutumes d’un groupe humain aient toujours une origine commune. Un État a souvent laissé sa langue à ses voisins sans leur donner une goutte du sang de ses hommes ; les institutions, la religion, les usages d’une peuplade émanent, maintes fois, de la région opposée à celle dont elle tient son idiome. Des civilisations très séparées ont convergé vers le Pars Basque, et ont pu contribuer à lui créer un patrimoine moral[69].

Ce pays n’est pas, en effet, un de ces recoins de terre misérables et isolés, que les autres peuples évitent dans leurs marches, et où rien ne vient troubler les habitudes monotones d’hommes toujours pareils. Labourd, Arberoue, Cize, Soule, Guipuzcoa, Biscave, Alava, ne ressemblent en rien à des régions maudites, aux fourrés impraticables des Ardennes, aux Causses immuables, aux insupportables déserts des Monegros aragonais. Ils connaissent la variété et le mouvement que donnent une nature très féconde et des routes très fréquentées. Une population fort dense peut y vivre gaiement. — Le climat est un des plus salubres du monde ; les neiges sont rares, même sur les plus hauts sommets ; les sources abondent : au fort de l’été, les fougères tapissent de leurs tiges encore fraîches les corniches qui surplombent la nier. Entre les chaînons montagneux, les vallées, ouvertes et longues, étalent des vergers et des champs de céréales ; les landes nourrissent des troupeaux de moutons ; les hauteurs elles-mêmes, longtemps boisées jusqu’à la cime, ont leurs hêtraies ou leurs chênaies. Peu de pays, en Occident, ont pu être exploités, comme le Pays Basque, dans toutes ses parcelles[70]. De ses deux monts principaux, la Rune avait ses faînes et la Haya ses métaux. Il n’est pas jusqu’à la mer qui n’y soit fertile[71], et qui n’ait inspiré de rudes et heureux travailleurs, les marins basques harponneurs de baleines et découvreurs de l’Amérique[72]. — Puis, sur ce terrain aussi bienveillant que le ciel, débouchent quelques-unes des routes les plus agitées de l’ancien monde. Les navigateurs de Cadix sont arrivés de très bonne heure en vue des falaises et des criques guipuzcoanes[73] ; de ce rivage se détache, à travers le col de Velate, la voie, si courte et toujours commode, de l’Èbre et de la Méditerranée ; et, s’amorçant sur cette dernière à Pampelune, la montée de Roncevaux ouvre les uns aux autres les peuples du Nord et ceux du Sud. Or, c’est autour du triangle formé par ces trois lignes que rayonne, depuis longtemps, l’Eskual-herria, le Pays Basque. Il est donc, non pas une impasse, mais un carrefour, un lieu de rencontre, et nullement de retraite. Dès les siècles obscurs où les Sèfes y rejetaient Ligures et Draganes[74], il a vu se succéder, à chaque génération, des passages de peuples, de marchands et de pèlerins.

Aussi, nul n’a jamais pu prouver qu’il y eût une race basque, distincte des groupes voisins. Prenez le type physique de ces hommes, il présente les mêmes variétés que les peuples de l’Europe environnante : grands et petits, blonds et bruns, dolichocéphales et brachycéphales, vous rencontrerez chez les gens de l’eskuara des représentants de toutes les espèces ethniques de l’Occident[75]. Qu’il ait existé sur cette terre une couche humaine primitive, d’où sortiraient la majorité des êtres, cela est fort possible[76] : mais, si nous cherchons, dans le Pays Basque, le fond le plus ancien que les textes[77] et les noms de lieux[78] permettent de toucher, nous rencontrerons encore, inévitable et banal, ce même fond ligure que nous avons reconnu partout, au nord comme au sud de l’Espagne, de l’Italie, de la Gaule et des îles Britanniques[79]. Et qui pourrait distinguer les alluvions nouvelles qui se sont déposées sur cette surface, qu’ont remuée tant de milliers d’hommes en marche ?

Les Basques, je le veux bien, ont une complexion physique et morale qui frappe assez vite le voyageur : une extrême souplesse dans les membres, une grande justesse de coup d’œil, la légèreté de la démarche, la vivacité précise et gracieuse des gestes, une opiniâtreté simple et droite, un invincible attachement à leurs montagnes, beaucoup de courage et d’audace, un sentiment calme de la dignité, l’aptitude à une liberté active et intelligente, un corps et une volonté à la fois très sûres et très saines[80]. — Mais cette allure physique, n’est-ce pas surtout dans leur vie de montagnards et de marins qu’ils l’ont faite, se créant une seconde nature avec les habitudes que leur pays leur imposait ? et au surplus, n’avons-nous pas remarqué quelques-uns de ces traits chez les Ligures des Alpes et des Apennins ? les Anciens ne les ont-ils pas signalés presque tous chez les Cantabres, les Vascons et les indigènes de l’Espagne septentrionale[81] ? — Et quant au caractère propre de leurs pensées et de leurs sentiments, il est surtout la conséquence des conditions politiques dans lesquelles a vécu leur pays après la chute de l’unité romaine. France et Espagne ont, depuis Clovis, distingué leurs intérêts et leurs lois ; les Pyrénées sont devenues frontières entre deux puissances d’ordinaire hostiles. A la faveur de cette lutte, les hommes des terres basques, également éloignés des centres et des chefs des deux Etats rivaux, oubliés ou ménagés par l’un et l’autre, ont pu aisément se créer une autonomie qui, sous des formes très diverses, a duré jusqu’aux abords de la Révolution. Et dix à douze siècles d’existence séparée suffisent, et au delà, pour former des habitudes nationales : d’autant plus que, lorsque leur liberté a été menacée ou supprimée, l’usage d’une langue à eux a perpétué chez les Basques l’état d’esprit qu’ils tenaient de cette liberté même.

C’est encore la longue indépendance du Pays Basque, son union presque dix fois séculaire en une fraternité nationale[82], qui explique sa fidélité à ses usages religieux ou sociaux, à ses jeux et à ses rites. Mais, s’il s’y attache opiniâtrement aujourd’hui, cela ne veut point dire qu’ils soient nés jadis sur ce sol. Tous ces usages au contraire, et sans nulle exception, relèvent d’une civilisation connue et voisine. Jeu de paume[83], danses sautées[84], mascarades dansées[85], interminables pastorales[86], voceros funéraires[87], emblèmes astraux gravés sur les pierres tombales[88] : toutes ces coutumes, et bien d’autres, se sont rencontrées autrefois, quoique à des moments différents, en dehors et autour du peuple de l’eskuara. Si, aujourd’hui, elles lui donnent un air d’originalité, c’est parce qu’elles ont disparu d’auprès de nous, et qu’il les a retenues ; et s’il les a gardées, c’est parce qu’il a longtemps constitué, à lui seul, un petit monde, où les habitudes changent plus lentement, où la vie est plus intime et faite plus souvent des mêmes choses.

Reste la langue[89], l’eskuara, dont on retrouve des traces dès le douzième siècle[90], au temps où la nationalité basque était déjà bien formée, et dans des limites demeurées depuis à peu près invariables[91].

Il faut considérer dans une langue le lexique et la grammaire.

Le lexique de l’eskuara est infiniment plus garni de mots d’emprunt qu’il n’est riche de son propre fonds. Il en est de cet idiome comme des usages de ceux qui le parlent : il s’est constitué surtout à l’aide des voisinages, et toutes les langues qui ont résonné sur les côtes et les grandes routes du Pays Basque, le latin, le celtique, l’espagnol, le gascon, lui ont fourni un énorme dépôt, qui va s’accroissant de jour en jour[92]. Le cinquième des mots, tout au plus, ne se ramène pas à ces parlers récents, arrivés dans la région après l’ère chrétienne. — Or, dans cette réserve, un certain nombre de mots nous apparaissent, à n’en pas douter, comme des sédiments laissés par les Ibères ou les Ligures : Ili-berris, chez les tribus de l’Èbre, Iri-berri, chez les Basques, doivent signifier également ville-neuve ; gurris, dans les diverses localités ibériques qui portent le nom de Calagurris, c’est le gorri, rouge, dont abuse la toponymie euskarienne. Ur, eau, en basque, se retrouve, avec le même sens, dans tout l’Occident ligure. Ces mots, et quelques autres, seraient-ils donc une exception ? Avons-nous le droit d’affirmer que la partie irréductible du vocabulaire de l’eskuara n’ait pas l’une ou l’autre origine ? Certes, notre ignorance presque absolue de l’ibérique et du ligure empêche de leur assurer la paternité du basque ; mais enfin, cette ignorance ne doit pas être un motif de ne point la leur attribuer.

L’étude de la grammaire euskarienne conduit à une conclusion identique[93]. Le basque, avec ses procédés agglutinants, son absence de toute flexion, ses habitudes et de réduction et de groupement[94], son verbe extraordinaire à formes incorporées et à conjugaisons périphrastiques[95], cette langue à la fois très compliquée, très naïve et très brutale, ne ressemble à aucune de celles qui, depuis vingt siècles, ont enrichi de leurs prêts son vocabulaire. Et il faut, pour trouver quelque chose d’analogue, chercher bien au delà des idiomes indo-européens qui ont touché, enclavé et envahi le Pays Basque, s’adresser à des dialectes lointains, étrangers à toute notre civilisation, au finnois, au turc, au magyar, au tamoul, à l’algonquin. Mais est-ce à dire que la syntaxe basque ait toujours été une sorte de phénomène unique dans le monde occidental ? Connaissons-nous assez la phrase ligure, la phrase ibérique, pour nier toute parenté entre elles et celle de l’eskuara ? Au lieu de songer aux collatéraux que le mystérieux idiome peut avoir en Orient ou en Amérique, n’oublions pas les ancêtres dont il a pu descendre, et qui régnèrent, après tout, sur le sol qui est aujourd’hui son partage.

Car, vraiment, qu’on ne se borne pas, pour découvrir l’origine d’une langue, à la disséquer et à la comparer à d’autres : qu’on examine aussi les conditions politiques et géographiques dans lesquelles elle a pris naissance. Or, à ce point de vue, tout converge, dans l’histoire du Pays Basque, pour mettre en relief l’influence des Ligures et des Ibères. — La terre, nous l’avons dit, a fait partie de cette puissante unité linguistique qui s’est imposée à tout l’Occident dans les temps ligures : l’idiome ligure y est demeuré beaucoup plus longtemps que sur le versant méditerranéen[96] ; cette côte cantabrique est pleine de ses souvenirs, on l’y parlait encore, aux abords de l’époque chrétienne, à Santander, à Bilbao, à Miranda, à Reinosa[97]. — Puis, par-dessus ce fond très ancien et très solide, la langue des Ibères s’est répandue par le commerce, par les relations du voisinage, par des conquêtes politiques. De tous les États qui se sont constitués en Occident avant l’ère romaine, c’est celui de l’Èbre qui fut seul en contact avec les hommes du Pays Basque, et il le fut pendant plusieurs siècles. Ses armes et ses monnaies ont pénétré sur cette terre[98] ; son influence, qui rayonnait en Aquitaine, l’enveloppait à là fois par le sud et par le levant. Enfin, les Vascons, qui parlaient sa langue, s’étaient établis entre Pasajes et Fontarabie, et leur domaine, descendant en une bande étroite le long de la Bidassoa et de l’Oyarzun, coupait par le milieu les Pyrénées et les rivages du Pays Basque[99]. Si donc les faits linguistiques ont suivi dans cette contrée leur marche normale, elle a connu et pratiqué l’ibérique pendant des dizaines de générations, comme les Armoricains se sont habitués au breton, et comme le latin s’est acclimaté chez les Sardes et dans les Apennins. Or, presque toujours, ce sont les angles éloignés de l’empire d’une langue qui la retiennent le plus longtemps : les idiomes britanniques n’ont maintenu leurs fidèles que dans les îles ou les presqu’îles extrêmes de leurs anciens royaumes ; le descendant du latin le plus semblable à lut est un dialecte sarde, le logoudorien, né dans un pays que la civilisation romaine toucha médiocrement[100]. Qu’y aurait-il de surprenant à ce que le parler des Ibères se fût conservé obstinément à la pointe extrême de l’État qui l’avait propagé[101] ?

Il ne peut être question, jusqu’à des découvertes heureuses, de rechercher dans le basque la part respective du ligure et de l’ibère. Mais l’un et l’autre, j’en suis convaincu, suffiront un jour à expliquer ce qui reste de mystérieux dans le passé et dans les organes de l’eskuara[102].

Le Pays Basque ne fut donc pas, dans les siècles qui ont précédé l’ère chrétienne, une terre d’exception[103] : les hommes et les dialectes y ressemblaient à ceux d’à côté. A coup sûr, il possédait déjà, en ses éléments ligures et ibériques, quelques-uns des traits qui le distingueront plus tard des régions limitrophes : mais pour le moment, il les partage avec elles. Il faudra, pour qu’il devienne le domaine d’une nation originale et d’une langue propre, que des évènements politiques le séparent de ses voisinages.

 

IV. — CARACTÈRE ET AVENIR DES ÉTABLISSEMENTS IBÉRIQUES.

Vaincus ou décimés, les Ligures ne disparurent pas complètement des nouvelles terres ibériques. Au sud comme au nord des Cévennes, la conquête ne fut pas un impitoyable anéantissement de tout. Les dieux d’autrefois subsistèrent, ainsi que les noms donnés jadis par les habitants aux sources, aux montagnes et aux bois[104]. Mais même, beaucoup d’hommes restèrent : des groupes nombreux de populations primitives étaient intercalés entre les peuplades des nouveaux-venus, et gardaient leurs noms nationaux[105]. Ibères et Ligures mêlés[106] se partagèrent les pays du sud, il est vrai de façon assez peu équitable[107].

Dans les parages de l’Océan, il n’y avait que Bordeaux qui fût ibérique : les bords de la mer, les dunes et les forets étaient laissées aux Ligures, Médulles du Médoc[108], tribus des étangs[109], Tarbelles de la Chalosse, des Landes et des Pyrénées[110]. Au sud-est de Bordeaux, les bois du Bazadais[111] leur restaient. Le principal domaine des Ibères de Gascogne s’étendait, comme en arc de cercle, d’Oloron et de Pau vers Tarbes et Auch, et des Gaves vers les rives de la Garonne. Évidemment, ils avaient pris les meilleures terres, les ports bien situés, les routes fluviales. Ils n’abandonnaient aux indigènes que la forêt, les sables et la brousse

Du calté du Languedoc, la répartition des terres nous est moins connue : j’imagine qu’elle ne se fit pas d’autre manière. Nous trouvons des Ibères à Elne, à Narbonne, à Béziers, dans le bas pays de Nîmes. C’étaient les endroits utiles de la contrée, les plus fertiles et les mieux placés. Sans doute les Ligures furent refoulés sur les garrigues et les montagnes.

Pourvus de grasses terres, installés sur de grandes routes, dotés de bons ports, les Ibères purent aspirer à fonder dans le Midi de la Gaule un état de choses durable. Leur humeur n’était pas incompatible avec celle des indigènes : je ne sais à quelle race ils appartenaient, mais ils ne firent sans doute pas plus de difficulté pour s’unir avec les Ligures qu’ils n’en feront plus tard pour se mêler aux Celtes. On a dit que leur langue ne se rattachait pas à la famille indo-européenne[112] : c’est possible ; mais elle ne fut pas davantage un obstacle à la diffusion de leur influence. Les ruines que fit leur passage en Gaule furent momentanées. Aussi bien n’étaient-ils pas, comme les Ligures, de vulgaires pillards, n’ayant, hors de chez eux, que le goût de voler et de détruire. Le pays qui les avait envoyés possédait une organisation régulière, des villes, une flotte, un roi puissant. Il n’ignorait ai l’industrie ni certaines formes de l’art[113]. Bien que ses chefs n’aient pas eu l’aimable philhellénisme des bons rois de Tartessus, ils ne demeurèrent ni indifférents ni réfractaires aux avances, aux usages et aux produits de la Grèce[114]. Cet État de l’Èbre présentait d’étranges similitudes avec celui de l’Étrurie, qui lui faisait face sur l’autre rivage de la Méditerranée occidentale. Son établissement au nord des Pyrénées ne pouvait qu’amener des progrès sur la vie des derniers temps ligures.

Mais le monde ibérique du sud de la Gaule avait des germes de faiblesse, qui l’empêcheront de s’étendre et de durer. Les peuplades qui le composaient ne furent bientôt plus reliées entre elles que par les routes qu’elles détenaient. Elles ne restèrent pas (si elles l’ont jamais été) les membres d’un seul corps politique, et le vaste pays qu’elles occupaient en France n’avait point de milieu naturel. Je crois qu’il a réellement existé un grand État de l’Èbre : mais son unité ne persista pas au delà de sa forte extension au cinquième siècle. Passé ce temps, il semble s’être disloqué sous quelque violente secousse[115], invasion ou révolution. Colons du Gers, de l’Aude et de la Garonne furent vite séparés entre eux, et disjoints du centre d’où ils avaient essaimé. Les migrations ibériques au nord des Pyrénées avaient été les derniers efforts de l’expansion d’un peuple[116].

Au contraire, l’occupation de la Gaule centrale par les Celtes fut pour eux, comme plus tard pour les Francs, le commencement d’une vie nationale. Installés au sud des forêts septentrionales, ils étaient demeurés unis. Sur le sol nouveau où ils s’étaient transportés, ils prirent une vigueur nouvelle. Leurs chefs et leurs rois eurent le besoin d’affirmer leur puissance et de conquérir, au temps où les dernières alluvions de l’Empire ibérique venaient de se perdre sur les bords des deux grands fleuves méridionaux.

 

 

 



[1] Comme répertoire de textes et de monuments, Hübner, Monumenta linguæ ibericæ, 1893. — La théorie courante, dont diffère totalement l’exposé de ce chapitre, est que les Ibères sont une race et une langue s’étant autrefois étendues sur presque tout l’Occident et refoulées par les Ligures. Elle a été mise en circulation surtout par le célèbre travail de Guillaume de Humboldt (Prüfung der Untersuchung über die Urbewohner Hispaniens, 1821 ; Werke, IV, 1903, p. 57 et s.) : travail dont la méthode est excellente, niais dont le tort est de n’avoir jamais soupçonné qu’à côté des éléments celtiques et ibériques, la toponymie occidentale offrait ries éléments ligures, plus anciens et plus importants que les autres. Ce qui a fait que Humboldt et ses imitateurs ont attribué aux Ibères les radicaux et les domaines qui reviennent aux Ligures. Hübner, qui a, en dernier lieu, repris les inventaires de Humboldt, a été obligé, presque malgré lui, de réserver à chaque instant les droits du ligure (Cf. p. LXXXV, LXXXVI, CI, etc.).

[2] Lagneau, Ethnologie de la péninsule du Sud-Ouest de l’Europe, dans les Mém. de la Soc. d’Anthr., IIe s., t. II, 1873, p. 397 et suiv.

[3] L’antériorité de l’invasion celtique résulte de ce qu’Avienus en parle (dudum, diu, 134, 140) comme d’un évènement plus ancien que des progrès du nom ibérique (nunc, 551 : emploi du présent, 614). En outre, ces progrès ne sont pas terminés, en Gaule, au temps du Périple d’Avienus. Les descriptions de l’Atlantique et de la Méditerranée, chez Avienus, sont, je crois, contemporaines, (cf. chap. X, § 1, 2 et 5). Hécatée de Milet, vers 500, me paraît connaître encore que des Ligures au sud de la Gaule (fr. 19-24).

[4] Cf. les résumés des opinions antérieures donnés par : de Belloguet, II, p. 239 et suiv. : Bladé, Études sur l’origine des Basques, 1869, surtout p. 56-119, 493 et suiv. ; Phillips, Die Einwanderung der Iberer, 1870 (Sitzungsb. der Akad. der Wiss., phil.-hist. Classe, Vienne, LXV) : Lagneau, Anthropologie de la France, 1879, p. 599 (Dict. Encycl. des Sciences médicales).

[5] En dernier lieu, en faveur de cette hypothèse, d’Arbois de Jubainville, Les premiers habitants de l’Europe, I, 1889, p. 24 et suiv. — Voici quelques noms géographiques, ethniques ou linguistiques, qui ont été prononcés comme lieu d’origine ou ascendance des Basques et des Ibères, la plupart dès le XVIe s., et quelques-uns dès l’Antiquité : Pictes ou Écossais, Étrusques, Italiens, Germains, Slaves, Ligures, Celtes, Grecs, Lacédémoniens, Messéniens, Africains, Congo, Égyptiens, Berbères, Libyphéniciens, Guanches, Sémites, Hébreux, Phéniciens, Puniques, Asie Mineure, Perses, Ibères du Caucase, Finnois, Tubal fils de Caïn, Mongols, Touraniens, lac Baïkal, régions polaires, Algonquins, et nous devons en omettre.

[6] Tacite, Germanie, 2 et 4 ; encore faut-il faire des réserves pour la Germanie et la Scandinavie même.

[7] A Cadix ; Velleius, I, 2, 4 ; Ézéchiel, 27, 12 et 25.

[8] Odyssée, I, 13-15, 50-54 ; XII, 447-50 ; cf. Bérard, Les Phéniciens et l’Odyssée, I, 1902, p. 240 et suiv.

[9] Cf. ch. XI, § 1.

[10] Cf. Varron apud Pline, III, 8 ; Asclépiade de Myrléa apud Strabon, III, 4, 3. Justin, XLIV, 3.

[11] Appliquer sur une carte physique et économique de l’Espagne les descriptions d’Avienus, et elles s’expliquent étonnamment.

[12] La diversité des langues parlées en Espagne, déjà rappelée par Strabon (III, 1, 6), est un fait sur lequel on ne saurait trop insister (Vinson, L’Année linguistique, p. 180). La diversité des États ou des peuplades est fortement marquée par Strabon (III, 4, 5) ; cf. Flores (I, 33 = II, 17, 3-5), qui utilise la même source : le passage de Flores est très beau.

[13] Cela ressort, déjà, des descriptions d’Avienus ; cf. notamment 520 opposé à 523 ; et cela ressort, aussi, des œuvres de sculpture (cf. Paris, Essai sur l’art et l’industrie de l’Espagne primitive, I, 1903, p. 71-73, etc.), de la carte numismatique à la fin du vol. de Hübner), et, dans une certaine mesure, de l’archéologie préhistorique (cf. Cartailhar, Les Âges préhistoriques de l’Espagne et du Portugal, 1886 ; H. et L. Siret, Les premiers âges du métal dans le Sud-Est de l’Espagne, Anvers, 1887).

[14] Cf. Justin, XLIV, 4 ; Strabon, III, 1, 6 ; Macrobe, I, 20, 12. L’ancienneté, plus que millénaire, du royaume de Tartessus, me parait incontestable c’est, je le répète, le seul équivalent occidental des grands empires de l’Orient.

[15] Avienus, 449-503. Je crois que le noyau de l’État ibérique est le peuple de l’Aragon, celui des Hergètes, Huesca et Lérida, autour duquel se sont groupés les deux plus importants après lui, les Vascons de Navarre, les Ausétans de Catalogne.

[16] Cf. Théod. Reinach, Revue des Études grecques, XI, 1898, p. 46 et suiv. — Une des principales questions à résoudre, en Espagne, est celle de la parenté ou de la différence de la langue de l’Èbre ou des Ibères et de celle de Tartessus : la toponymie permettrait de la résoudre dans le sens de la parenté, s’il était bien prouvé que les noms de lieux tartessiens à radicaux ibériques (Iliberris, etc.) ne sont pas postérieurs à l’expansion de l’État de l’Èbre.

[17] La toponomastique et les traditions de l’Espagne semblent bien prouver que le fond de la population, même dans les deux grands États, était ligure. Mais que les peuplades barbares fussent surtout des Ligures, cela résulte du texte d’Avienus sur les Draganes, de celui de Thucydide sur les Sicanes, des noms de leurs rivières et des noms des villes élevées plus tard sur leur territoire. Remarquez, en particulier, que le domaine de ces peuplades correspond exactement à la zone d’extension des oppida en -briga. Car, contrairement à l’opinion courante, je crois que ce mot est préceltique et ligure : Hübner (Monumenta, p. XCVIII) a noté qu’il est presque toujours accolé à des radicaux non celtiques ; je dirai plutôt, accolé à des radicaux non exclusivement celtiques : cela, même dans Segobriga et Nemetobriga, dont le premier terme est commun au ligure et au celtique (cf., pour le premier, les Ségobriges de Marseille ; pour le second, Vemausus, et autres noms de pays non celtiques, Ptolémée, II, 6, 40 et 66) ; dans Nertobriga, le premier nom, s’il est celtique, peut être un nom d’homme. — On trouvera bien des traits communs entre Ligures (ch. IV, § 5, 6, 16), et Espagnols des terres sauvages (Strabon, III, 3, 6-8).

[18] Outre les textes cités plus bas, cf. Strabon, III, 3, 7 et 8.

[19] Massif de Montseny au delà de Barcelone, Selva, monts Gavarras, etc. ; Avienus, 523-5 ; Strabon, III, 4, 1.

[20] Et Aucocérètes : sierra de Rosas, Vallespir, Cerdagne, etc. ; Avienus, 549-551. Plus tard Cerretani, Strabon, III, 4, 11 ; Silius, III, 357. — Il ne serait cependant pas impossible qu’il n’y ait eu d’assez bonne heure en Cerdagne une vie municipale. La bourgade de Βραχύλη, que cite Étienne de Byzance (s. v., d’après Hicatée ?) appartenait aux Cérites : et ce sont peut être ses ruines qu’on appela camp d’Hercule (Silius, III, 357). C’est, je crois, Puycerda. La Cerdagne était du reste traversée par la route commerciale de la Perche.

[21] Cf. Strabon, III, 4, 12 et 13.

[22] Les Peuples des castors ? (cf. Strabon, III, 4, 15) : dans le grand massif montagneux au nord du Guadalaviar ; Avienus, 483-489. Plus au sud, les Gymnètes, sur le plateau de Murcie (Avienus, 464).

[23] Cf. Strabon, III, 3, 5.

[24] Avienus, 201-205, 223 ; Hérodote, II, 33 ; IV, 49 ; Hérodote, fr. 20, Didot. Cf. Müllenhoff, I, p. 115.

[25] Avienus, 193, 200, 301 ; Denys le Périégète, 338 (trad. Avienus, 480-2). Les Cempses s’étaient étendus jadis, disait-on, jusqu’aux environs de Cadix (257-9).

[26] Plus tard Galiciens, Astures, Cantabres (Avienus, 195). Ils allaient autrefois peut-être jusqu’à l’embouchure du Guadiana (199, Holder).

[27] Avienus, 196-198 : Pernix Ligus Draganumque protes, etc. ; race des Draganes est synonyme de Ligures, et je croirais volontiers que cette périphrase est d’origine hellénique (la rare du Dragon ou du Nord) plutôt qu’un ethnique indigène. Du texte d’Avienus il semble résulter que ces Draganes et Ligures s’étaient autrefois étendus sur tout le littoral des monts Cantabriques, d’où ils auraient été chassés par les Cempses et les Sèfes, refoulés eux aussi vers le nord par les conquêtes de gens de Tartessus ou d’ailleurs. Müllenhoff place les Draganes jusqu’en Gascogne (voyez sa carte) : ce n’est pas impossible.

[28] Cf. Strabon, III, 3, 5.

[29] Cf. Pline, XXXIV, 144 ; Tite-Live, XXXIV, 21, 7 ; Caton ap. Aulu-Gelle, II, 22, 29 == fr. 93 ; Justin, XLIV, 3, 8.

[30] Tite-Live, XXII, 46, 5 ; Diodore, V, 33, 3.

[31] Herda, Sicana, Tvris, Tarragone, Barcelone, etc., d’après Avienus, 475, 479, 482, 519, 520, 496-8, 509.

[32] Murs de Tarragone, Gérone, Sagonte ; Paris, Essai sur l’art et l’industrie de l’Espagne primitive, 1903-4, I, p. 9-25 : les textes d’Avienus, qui montrent le nombre et les richesses des villes ibériques, sont confirmés par ces mines. Il est à remarquer (Paris, I, p. 29) que le pays tartessien n’a pas livré de vestiges cyclopéens de ce genre.

[33] Pausanias, X, 17, 5 ; Sénèque, Ad Helviam, 7, 9 ; Thucydide, VI, 2, 2. Il peut aussi s’agir, dans ces textes, de la marine rivale de Tartessus.

[34] Macrobe, Sat., I, 20, 12 ; Justin, XLIV, 5, 2 ; Athénée, Περί μηχανημάτων, p. 9, Wescher = Vitruve, X, 13 (mais se rapporte plutôt à la prise de Cadix par les Carthaginois sur les gens de Tartessus).

[35] Avienus, 472.

[36] Peut-être même conquit-il tout ou partie du royaume de Tartessus (cf. Avienus, 248-253) ; Théod. Reinach, p. 47-8.

[37] Avienus, 412, 552. La région des Bébryces devint plus tard celle des Celtibères ; cf. ch. VIII, § 5.

[38] Les progrès de l’influence ibérique ont pu être facilités par : 1° l’existence d’un fond commun ligure ; 2° peut-être par les analogies linguistiques entre Ibères et Tartessicus ; 3° par l’adoration, chez tous les Espagnols, de la Terre et des dieux astraux (cf. Avienus, 316, 429, 367, 158, 437 ; Macrobe, I, 20, 12 ; I, 19, 5 ; Strabon, III, 1, 9 ; 4, 16 ; etc. ; Paris, I, p. 208, 212) : l’Hercule de Cadix doit être à l’origine, et en dehors de toute influence orientale, un dieu solaire ; cf. Leile de Vasconcellos, Religioes da Lusitania, I, 1897, II, 1905.

[39] Les noms d’Ibères et d’Ibérie s’étendirent dès lors du Rhône à l’Algarve (Hérodote, fr. 20, Didot, Il, p. 34 ; Scylax, 2 et 3 ; Avienus, 248-253 ; Polybe, III, 37, 10), en excluant toujours les rides extérieures (Polybe, III, 37, 11). Peut-être Pythéas a-t-il, le premier ou un des premiers, appliqué le nom d’Ibérie à la péninsule, en même temps qu’il aura achevé d’en reconnaître l’unité géographique (Strabon, I, 4, 5 ; III, 2, 11).

[40] La théorie que nous soutenons ici a été déjà indiquée, sans doute après d’autres, par : Herzog, Galliæ Narbonensis... historia, 1864, p. 2 et s. ; B(arrvl), Histoire générale du Languedoc, I, 1874, p. 4.

[41] Avienus, 135, 196-8.

[42] Avienus, 195-8.

[43] Correspondant peut-être aux trois principaux groupes ibériques : les Vascons, descendus par le Velate et par Roncevaux, les Hergètes par le Somport, les Ausétans et autres par le Pertus.

[44] Cette indication des trois lignes d’invasion n’est présentée que comme une hypothèse, résultant de la configuration du sol et de la disposition des noms de lieux d’origine ibérique. — Pour l’extension des Ibères dans le sud de la Gaule, nous acceptons les conclusions de Sieglin, tirées d’un triage des noms de lieux beaucoup plus rigoureux que celui qu’ont fait Humboldt, Phillips (Prüfung des iberisrhen Ursprunges einzelner Stammes- und Städtenamen im südlichen Gallien, 1871, Ak. der Wiss. de Vienne, LXVII) et Hübner.

[45] Ces Ibères de l’Èbre supérieur s’appelaient-ils déjà Vascons ? on n’a, pour le croire, que le texte d’Avienus, 251 : Iliberus... inquietos uo vascomas [sic] prælabitur : mais ce texte peut rare une interpolation à la source primitive. La plus ancienne date à laquelle soit mentionné ce nom est le temps d’Hannibal (Silius, III, 358 ; V, 187 ; IX, 232 ; X, 15), et je ne peux croire, chez Silius, à un anachronisme. En tout cas la toponymie des villes vasconnes est surtout ibérique (Pampelune, Pompeiilo, Pompælo = Πομπηιόπολις, il-o = ville, Strabon, III, 4, 10 ; Calagurris = ? - rouge, Calahorra ; etc.). — N’assimilons pas, comme on le fait souvent dans des énumérations trop rapides, les Vascons à leurs voisins les Cantabres, Astures, Galiciens : ceux-ci étaient plus sauvages (Strabon, III, 3, 7 et 8), les Vascons (III, 4, 10), un peuple avancé en culture, pourvu d’un port sur l’Océan et de nombreuses villes, traversé par la route la plus ouverte et la plus naturelle de l’Espagne, habitant les admirables terras de la Rioja (en partie) et de la Navarre.

[46] Les Anciens semblent avoir appelé Œasso ou Oiasso tout le Guipuzcoa et mime toute l’Espagne occidentale : Ophiusa ou Ophiussa, le pays des serpents, est la déformation à la grecque de ce nom indigène (Avienus, 148, 1752, 172, 196) ; sur le cap Oiasso ou du Figuier (prominens Ophiussæ, Avienus, 172), cf. ch. X, § 1. Il résulte bien des textes d’Avienus que, dès l’an 300 environ, ces parages ont été visités par les navigateurs. Mais les Vascons n’y sont pas encore : Avienus n’y connaît en effet que des Draganes ou des Ligures. La ville d’Oiasso n’est mentionnée que plus tard et toujours comme vasconne (Οίδασοΰνα, Strabon, III, 4, 11 : Olarso, Pline, III, 29 ; IV, 110 : Οίασσώ, Ptolémée, II, 6, 10 : l’attribution à Oyarzun des monnaies irsones, isones, est douteuse). Il suffit du reste de voir une bonne carte pour comprendre l’intérêt de cette fondation pour les gens de l’Èbre : le territoire des Vascons, compact autour de Pampelune, s’allonge en tentacule le long du roi de Velate pour gagner Pasajes. De là, au Moyen Age, les luttes entre les évêques de Bayonne et de Pampelune au sujet de l’archidiaconé de Baztan, ou archiprêtrés de Fontarabie, Bazian. Cinto-Villas et Lérin (Dubarat, Missel de Bayonne, p. XXIX et suiv.).

[47] Route très exactement indiquée par Strabon (III, 4, 10 : 2400 stades) et Pline (III, 29 : 317 milles).

[48] Pline, XXXIV, 149, 150-158. Il y avait, sur les rôles de la Galice, des îles de l’étain (Strabon. III, 3, 11 ; Pline, IV, 119 ; Denys le Périégète, 561-4 ; Diodore, V, 38, 4 ; Ptolémée, II, 6, 73 ; etc.), qui n’ont rien de commun avec les Iles Britanniques (contra, tout à fait à tort, Müller ad Ptolémée, I, p. 197, et bien d’autres).

[49] L’installation des Ibères à Bordeaux est tirée des motifs suivants : 1° cf. le nom de Burdigala = Burdicala au nom essentiellement ibérique de Calagurris (Hübner, p. IC) : à quoi on peut, il est vrai, répondre que les deux termes du mot Burdicala se rencontrent en dehors de la toponomastique ibérique ; 2° les vestiges, d’ailleurs assez vagues, de l’influence ibérique au nord de la Garonne ; 3° le fait que Strabon compte Bordeaux comme un lieu primitivement étranger à la Gaule celtique (IV, 2, 1), par conséquent ibérique.

[50] Sur ce point, aucun doute n’est possible : voyez les noms ibériques de Iluro (Oloron) = ville-? ; Bigerriones (le Bigorre), Eliberre (Auch) = ville-neuve, Hungunverro (entre Toulouse et Auch, Itin. de Jérusalem, p. 550, 10, Wesseling) = ?-neuf ; Calagorris (entre Toulouse et Saint-Bertrand, Itin. Ant., p. 457, 9) = ?-rouge ; cf. Phillips, p. 359-393. Au surplus, la richesse propre de ces régions explique les établissements ibériques. Remarquez encore que ces étapes, Oloron, Tarbes. Auch, sont celles de la roule naturelle du Somport à Toulouse.

[51] Hécatée (vers 500) ne connaît pas d’Ibères au nord des Pyrénées : les Élésyques existent de son temps et en 480. Au temps du périple d’Avienus, il n’y a que des Ibères dans la région du Roussillon et du Narbonnais : mais le nom ligure demeura attaché à la plaine de Livière près de Narbonne (Liguria, Grég. de Tours, In glor. mart., 91).

[52] C’est par le lit de l’Oranus (Hérault), l’étang de Thau (Taurus palus) et le cap d’Agde (au vers 629 ?) que Hibera tellus atque Ligies intersecantur : Avienus le dit deux rois, et très nettement (612-4, 628-30). Le fait que l’étang de Thau a été appelé par les Grecs, qui après 480 reviennent trafiquer dans les parages d’Agde, λίμνη Λιγυστία (Étienne de Byzance, s. v. Άγάθη) est un souvenir de cette plus longue occupation du pays par les Ligures. Une autre preuve de l’installation des Ibères est dans les noms d’Iliberris, Elne, ville neuve, Caucholiberi, Collioure (Anonyme de Ravenne, IV, 28 ; cf. Alart. Soc. des Pvr.-Or., XII, 1860, p. 117).

[53] Ceretes... nunc gens est Hiberum (Avienus, 530-2).

[54] Avienus, 352-374 : Sordicena gleba, Sordicen stagnum (568-570, étang de Salces), Sordus amnis (374, l’Agly ?).

[55] Peut-être au moment de l’arrivée des Celtes et de la formation des Celtibères, qui doivent avoir remplacé les Bébryces ; cf. ch. VIII, § 5.

[56] Mentionnés dans les Albères et le Roussillon dès le temps d’Hannibal ; Silius. III, 443 ; XV, 404 ; Dion Cassius (Zonaras et Tzetzès), XIII, 56, 2, Boissevain, p. 180 : Tzetzès, sch. à Lycophron, 516 et 1305. Éphore au IVe siècle (Ps.-Scymnus, 200-1) le place encore au delà et à l’intérieur, έπάνω, des Ibères.

[57] Avienus, 586-8. N’est plus mentionné après Avienus.

[58] Entre Narbonne et Béziers : Besaram (Béziers) stetisse fama casca tradidit. At nunc Heledus (le Lez), nunc et Orobus (l’Orb) flumina vacuos per agros et ruinarum aggeres amœnitatis indices priscæ meant (391-4).

[59] D’après la date des textes suivants, dans les deux notes suivantes.

[60] Hérodote (Didot, Fr. h. Gr., II, p. 34 : si le Rhône dont il parle n’est pas l’Èbre) ; Scylax (Didot, Géogr. min., I, p. 17 : ... Ίβηρες... μέχρι 'Ροδανοΰ) ; peut-être Æschyle (Pline, XXXVII, :12). Inde : Ps.-Scymnus, 206-8 ; Strabon, III, 4, 19.

[61] Hérodote, ibid. ; cf. Avienus, 250-253.

[62] Supposé d’après la mystérieuse inscription de Saintonge (Revue des Ét. anc., 1903, p. 129 et s.) et d’après le nom de Corbilo (ancien nom de Nantes, Polybe ap. Strabon, IV, 2, 1) : ce nom (qui a pu signifier ou être traduit corb-ilo, ville des corbeaux, cf. λιμήν Δύο Κοράκων, Strabon, IV, 4, 6) n’a d’analogues que chez les peuples de l’Espagne (cf. * Pompeiilo) : ce qui n’est pas, je le reconnais, un argument sans réplique. N’oublions pas que les gens de Tartessus ont trafiqué dans la mer du Nord.

[63] En admettant qu’on puisse attacher la moindre foi à la tradition qui appelle Κελτίβηρος le frère d’Arar, l’éponyme de la Saône (De fluviis, 6, 1).

[64] Cf., comme dernières revues des études basques, celles de Vinson : 1° Essai d’une bibliographie de la langue basque, 1891 ; 2° Additions et Corrections, 1898 ; 3° dans L’Année linguistique, I, 1902, p. 135 et suiv. ; 4° dans le Kritischer Jahresbericht de Vollmœlter, de 1906 ; voyez également Webster, Les Loisirs d’un étranger au Pays Basque, 1901.

[65] Scaliger disait déjà (Sraligerana, 1695, p. 40) : C’est le vieil espagnol. Cf. Humboldt, Prüfung, passim ; Luchaire, Origines linguistiques de l’Aquitaine, Pau, 1877 ; Études sur les idiomes pyrénéens de la région française, 1879, p. 17 et s. : Gerland, Die Basken und die Iberer (Grundriss de Grœber), 1888, 2e éd., 1904 ; Bladé, Les Ibères, p. 2, 38 (Revue de l’Agenais, 1892) ; Schuchardt, Zeitschrift für romanische Philologie, XXIII, 1899, p. 174-200 ; Hübner, Monumenta, p. CXLI, etc.

[66] Il semble cependant que, sous l’influence de Vinson, leur nombre s’accroisse ; cf. Philipon, Mélanges H. d’Arbois de Jubainville, 1906, p. 237 et s.

[67] Cf. Vinson, Les Basques et le Pays Basque, 1882, p. 36 et 81.

[68] L’auteur du Codex (publié par Fita et Vinson, 1882) disait déjà (XIIe siècle) : Bascli... ex genere Scothorum..., amenés là par Jules César (p. 18-19). Une opinion mixte assez répandue était celle de Bladé, qui, à l’origine, niait l’existence d’une nation ibère, et faisait descendre les Basques d’une complète vasconne au VIe s. ap. J.-C. (Études, p. 44-55) ; de même, de Belloguet, II, p. 243.

[69] Ce sur quoi, très justement, a insisté Bladé dans ses Études, p. 1-55.

[70] Reclus, L’Europe méridionale, 1876, p. 853 et suiv. ; Pinson, Les Basques, p. 17 et suiv.

[71] En avril 1903, les pêcheurs de Fontarabie et d’Hendaye ont approvisionné les grandes fabriques sardinières de Nantes ; en octobre 1903, les pommes du Pays Basque ont été expédiées, en quantités énormes, aux fabriques de cidre normandes.

[72] Cf. Michel, Le Pays Basque, 1857, p. 187 et suiv. ; Goyetche, Saint-Jean-de-Luz, 2e éd., 1883, p. LVII et s.

[73] Avienus, 146-151, 171-173.

[74] Avienus, 196-198.

[75] Cf. la discussion du 23 janvier 1868 à la Soc. d’Anthr. de Paris (Bull., IIe s., III, p. 43-107), les remarques de Vinson (Les Basques, p. 75) et de Chudeau (A propos du peuple basque, dans Biarritz Association, déc. 1900 ; cf. le même, ibid., avril 1902).

[76] La théorie dominante, celle d’Aranzadi (El Pueblo euskalduna, Saint-Sébastien, 1889, p. 37 et s.). précisée et développée par Collignon (L’Anthropologie, V, 1841, p. 270 et s. ; Mém. de la Soc. d’Anthr., IIIe s., I, 1845), est que le type basque pur, représenté par plus de 40 % (36 % dans le canton d’Hasparren), est caractérisé par la mésocéphalie, le torse conique, la face allongée et pointue, la taille élancée, les jambes grêles, les courbures du rachis très accentuées (assez voisin des populations nord-africaines) : c’est la théorie vulgarisée aujourd’hui par Deniker (Les Races, 1900, p. 409). Georges Hervé (Revue de l’École d’Anthropologie, 1900, p. 213-227) et Vidal de La Blache (Tableau, I, 1903, p. 28). Je ne l’adopte ni ne la combats.

[77] Avienus, 196-198.

[78] A ne s’en tenir qu’aux noms de lieux laissés par les Anciens, le caractère ligure de la toponymie basque est remarquable (Deva, Magrada, Aturia, Menosca ; Pline, IV, 110 ; Méla, III, 15 ; Ptolémée, II, 6, 9). Les documents médiévaux en fourniront d’autres (Livre d’Or de Bayonne, chartes de Leyre, etc.).

[79] C’est cette similitude, celte communauté d’origine ou de caractère ligures, qui explique pourquoi les Anciens ont fait venir du nord de l’Espagne les Silures du Pays de Galles (Tacite, Agricola, 11), et inversement, pourquoi les gens du Moyen Age faisaient venir les Basques de l’Écosse et de la Cornouailles (Codex, p. 18-19). Et c’est elle, sans aucun doute, qui explique les concordances toponomastiques constatées entre Corse et Pays Basque (L.-L. Bonaparte, Remarques sur les dialectes de la Corse, 1377, Annales de la Corse, n° 4).

[80] Cf. Vinson, Les Basques, p. 70 et suiv., et, comme portrait plus ancien, exact et détaillé, ce que dit de Lancre, Tableau de l’inconstance des mauvais anges, 1612, notamment p. 29-47.

[81] Silius, III, 327-339 ; X, 15 ; Strabon, III, 3, 6 et 7 ; 4, 15 ; Justin, XLIV. 2, 5.

[82] D’après le Codex du XIIe siècle (p. 13, 16, 18) la langue basque commence à Bayonne et s’étend sur le Pays Basque français actuel, les Provinces Basques espagnoles et la Navarre : tous les hommes de ces pays sont, dit-il (p. 16), unius similitudinis et qualitatis, in cibis scilicet et vestibus et lingua.

[83] Cf. Michel, p. 101 et suiv.

[84] Cf. chez les Galiciens, Silius, III, 345-9 ; Strabon, III, 4, 16.

[85] Surtout dans la Soule ; cf. Sallaberry, Les Mascarades souletines, dans La Tradition au Pays Basque, 1899, p. 263 et suiv.

[86] Webster, Les Loisirs, p. 213 et suiv. ; le même, dans La Tradition, p. 241 et suiv. ; Herelle, Les Pastorales basques, 1903.

[87] Webster, Bulletin Hispanique, 1903, p. 239-242.

[88] Cf. O’Shea, La Tombe basque, Pau, 1889 ; cf. le même, la Maison basque, Pau, 1887. J’ai constaté, sur des torches basques récentes, la figure du svastika. Cette figure, et celles du soleil, de la lune, des étoiles, peuvent évidemment remonter aux peuples anciens de l’Espagne, qui déjà utilisaient ces symboles dans leur sculpture funéraire (cf. C. I. L., II, p. 1201), et dont la religion était surtout astrale. Mais, avant d’accepter cette conclusion, il faudrait avoir plus de chaînons intermédiaires entre l’époque ancienne et le temps présent. Car ces figures peuvent tout aussi bien être de simples emprunts au style décoratif du XVIe ou du XVIIe siècle. — Bordes, La Musique populaire des Basques (La Tradition, p. 293 et suiv.), ne croit pas que les thèmes musicaux soient antérieurs à ces siècles. — Cf. encore Oihenart, Proverbes basques, 2e éd., 1847 ; Sallaberry, Chants populaires du Pays Basque, Bayonne, 1870 ; Cerquand, Légendes et Récits populaires du Pays Basque, Pau, 1875 (Soc. des Sciences) ; Vinson, Le Folklore du Pays Basque, 1883. — Je suis, pour ma part, de plus en plus convaincu que la plupart des coutumes présentes du Pays Basque se sont fixées ou figées entre la Renaissance et Louis XIV.

[89] Le Basque n’a de véritablement propre et spécial que sa langue ; Vinson, Assoc. franç., Congrès de Pau, 1892, p. 237.

[90] Codex, p. 16 : Deum vocant urcia ; ... panem orgui ; vinum ardum ; carnem aragui ; pistera araign ; domum echea ; dominam domus iaona ; dominam andrea ; ecclesiam elicera ; presbyterum belaterra... ; triticum guri ; aquam uric ; regem ereguia ; cf., sur ces noms, Vinson, Revue de Linguistique, XIV, 1881, p. 120-145. — Ajoutez les noms de lieux et de personnes, cf. Luchaire, Idiomes, p. 135 et suiv.

[91] La langue basque finissait à la montée des monts de Oca (Codex, p. 19) : elle n’a beaucoup perdu que dans la Navarre.

[92] Luchaire, Idiomes, p. 99 : Il suffit de parcourir les lettres F, P, PH, T, du dictionnaire de M. van Eys, pour se convaincre que, sur 100 mots, 90 ont été importés directement du gascon. Van Eys, Dictionnaire basque français, 1873 ; de Aizkibel, Diccionario bosco-español, 2e éd., Tolosa, 1883 ; de Azkue, Diccionario vasco-español-francés, Bilbao, I, 1905, II, 1906. — Sur les influences latines et romanes, cf. Phillips, Sitzungsberichte der phil.-hist. Classe der k. Akademie der Wissensehaften de Vienne, LXVI, 1870, p. 239 et s. ; Schuchardt, Baskisch und Romanisch, 1906, dans les Beihefte zur Zeitschrift de Grœber, VI. — On doit cependant faire ici une réserve : les mots qui paraissent venir du celtique par exemple, existaient peut-être simultanément dans le basque et dans le celtique : fond commun des deux langues, et non pas emprunts de l’une à l’autre.

[93] Plus on étudie le basque, et plus on voit diminuer l’abîme qu’on croyait exister entre le basque et les autres langues, van Eys, Grammaire comparée des dialectes basques, 1879, p. VII ; Campion, Gramatica de los cuatro dialectos literarios de la langua euskara, Tolosa, 1884 ; de Larramendi, El Imposible vencido, 1729, réimpr. de 1853 et 1886, Saint-Sébastien.

[94] Cubiburu, tête de pont, devenu Ciboure ; Raymond, Dict. top. des Basses-Pyrénées, p. 50.

[95] Inchauspe, Le Verbe basque, Bayonne, 1858 ; Schuchardt, Baskische Studien, I, Vienne, 1893 (Denkschriften de l’Académie de Vienne, XLII).

[96] Le territoire des trois Provinces Basques espagnoles correspond à une partie de celui des Autrigons et des Vascons, mais surtout à celui des Vardules et des Caristes : les noms de localités chez ces deux peuples, à l’époque romaine, peuvent se ramener en grande partie au ligure.

[97] D’après les noms en -briga situés jadis prés de ces localités, et de formation romaine : Juliobriga, Flaviobriga, Deobriga (Ptolémée, II, 6, 50, 52 et 7). Remarquez la similitude entre le langage des Cantabres et celui des Corses (Sénèque, Ad Helviam, 7, 9), l’existence, chez les uns et les autres, de la couvade (Strabon, III, 4, 17 ; Diodore, V, 14, 2).

[98] Découverte à Barcus (nom d’origine très ancienne, ligure ou ibérique) sur le chemin de Mauléon à Oloron, en 1879, d’un pot de terre renfermant 1700 à 1800 monnaies ibériques, la moitié à la légende duriasu (Turiasso, Terazona), 300 environ à segprices (Segobriga, Ségorbe), plus de 100 à isones (Oyarzun ??) ; Taillebois, Borda, 1879, p. 242 et suiv.

[99] Cf. Pline, IV, 110 : A Pyrenæo [le cap du Figuier] per Oceanum : Vasconum salius [le Jaïzquibel, entre la Bidassoa et l’Oyarzun], Olarso [Oyarzun et son port], Vardulorum oppida, etc. [le reste du Guipuzcoa].

[100] Meyer-Lübke, Zur Kenntniss des altlogudoresischen (Sitzungsberichte de l’Ac. de Vienne, phil.-hist. Classe, CXLV, 1902).

[101] N’oublions pas que l’ancienne Vasconie ou Navarre fut pays de langue basque.

[102] Dans le même sens, Linschmann, Euskara, n° 16, 1er mai 1895, p. 133 : So sehe ich für jetzt in den Basken ibero-keltisirte Liguren.

[103] Jusqu’ici, ni dans la nature des ruines préchrétiennes, ni dans la toponomastique ancienne, ni dans les noms, les formules, l’aspect des inscriptions latines, les Provinces Basques espagnoles ou le Labourd et la Soule n’ont rien offert qui les distingue des pays voisins. — Rabanis (Histoire de Bordeaux, 1835, p. 9) rapprochait du mot Euskualdun-ac la racine ausk- de Ausci, et, disait-il aussi, de Aquitani. Humboldt (Prüfung, p. 56) comparait au nom de la ville d’Osca et à celui du peuple des Oscidates (Pline, IV, 108) le radical d’euscara. Il existe à San Esteban entre l’Èbre et Vitoria l’épitaphe d’un M. Porcius Tonius, Ausci filius (C. I. L., II, 5813 = 2929). Tous ces rapprochements ne sont pas inutiles.

[104] La plupart des dieux pyrénéens sont évidemment topiques, et portent des noms qui ne se retrouvent pas dans les pays de l’Èbre (cf. Hirschfeld, L’Aquitaine, dans Rev. épigr., III, p. 468 et suiv. = Sitzungsberichte de l’Académie de Berlin, 1898, p. 448 et s.).

[105] Cf. Hirschfeld et, dans son article, les observations de Sieglin, ibid., p. 468 et suiv., p. 473 et suiv.

[106] C’est l’expression de Scylax pour les peuples du Languedoc (3, Didot, p. 17) : Λίγυες καί Ίβηρες μιγάδες.

[107] Sieglin (p. 474) a le premier reconnu (1896), à l’aide des noms de peuples, l’existence de ces deux groupes en Aquitaine. Et il se trouve que la distinction que la toponymie lui a permis de faire entre les régions ligures et ibériques correspond exactement à la différence de valeur du sol.

[108] Pline, XXXII, 62 ; etc. ; cf. Holder, II, c. 326. Je les crois ligures, à cause de l’analogie de leur nom avec ceux : 1° des sauvages Médulles de la Maurienne ; 2° de la rivière Medulla, la Midouze ; 3° du mons Medullius chez les Cantabres (Holder, II, c. 527-5).

[109] Dont les noms en -ales révèlent l’origine ligure (Sieglin, p. 474). Les Boistes du bassin d’Arcachon sont ligures ou celtoligures.

[110] Cf. Holder, II, c. 1730. Les dérivations en -ll, -nn, inconnues chez les Ibères, sont fréquentes chez les Ligures (Sieglin, p. 474).

[111] Vasates. cf. Sieglin, p. 474.

[112] C’est la conclusion de Hübner (Monumenta, p. CXLI), qui se réclame de Guillaume de Humboldt. Mais ce dernier, à ma connaissance, n’a jamais exclu l’hypothèse d’une parenté éloignée entre les Ibères et les peuples celtiques (Prüfung, p. 173 et 179). En faveur de la parenté du celtique et de l’ibérique, cf. Fita, Discursos..., Madrid, 1879, p. 53 et suiv. Dans un sens analogue, Philipon, Mélanges H. d’Arbois de Jubainville, p. 237 et s. — Le principal argument en faveur de la conclusion de Hübner ne peut être tiré, je crois, que de la structure du basque. Car, en ce qui concerne les témoignages anciens : 1° les inscriptions dites ibériques, de sens incertain et de transcription discutable, ne fournissent, jusqu’à nouvel ordre, aucune solution nette sur les langues de l’Espagne ; 2° ni les noms de lieux, ni les mots attribués par les auteurs aux Espagnols (cf. Hübner, p. LXXXI et suiv. : la plupart sont ou ligures ou des provincialismes) ne permettent davantage de nier le caractère indo-européen de l’ibérique. — Encore une fois, je parle de la langue propre aux peuples qui portèrent d’abord ce nom, à ceux de la vallée de l’Èbre.

[113] Cela résulte bien du livre de Paris, I, p. 12 et s., etc. Cf. les fragments de poteries dites ibériques découverts à Montlaurès près de Narbonne (Rouzaud, Notes et Observations, 1905, p. 19 et s., Commission archéologique de Narbonne, VIII) ils me paraissent correspondre au temps de la domination des Ibères.

[114] Justin, XLIII, 5, 3.

[115] Peut-être l’invasion des Celtes ; cf. ch. VIII, § 5.

[116] Hérodote (I, 163) distingue encore très nettement les Ibères et les gens de Tertessus. — Hérodote (vers 430), qui appelle les Ibères, du Tage au Rhône (?), έν γένος έόν κατά φΰλα, semble faire allusion à la plus grande extension de l’Empire ibérique. C’est sans doute à Hérodote que se rattache le texte d’Éphore, appelant les Ibères πόλιν μίαν, c’est-à-dire, je crois, un seul État (fr. 30, Josèphe, Contra Apionem, I, 12, 67). — Après le Ve siècle, l’Espagne n’offre plus que le spectacle d’un très grand morcellement, bien plus grand qu’au VIe siècle. Au lieu de l’État des Ibères, nous ne trouverons que des peuplades anciennes ou nouvelles, résultat de son démembrement : les Vascons ; les Hergètes, la principale des nations de l’Èbre (peut-être dès Hécatée, fr. 14 ; Lérida et Huesca, Strabon, III, 4, 10 ; etc.) ; les Ausétans (Gérone, et peut-être aussi au début Barcelone et Tarragone, cf. Tite-Live, XXI, 61, 8 ; XXXIV, 20, 1) ; les Lacétans (montagnes de la vallée du Llobregat ?, Tite-Live, XXI, 61, 8 ; XXXIV, 20, 2) ; les Cérétans, qui sont les anciens Cérètes (Cerdagne, Silius, III, 357 ? ; Strabon, III, 4, 10 ; etc.) C’est un état analogue à celui de la Gaule après la ruine de l’Empire arverne. — Il faut remarquer qu’entre la fin du Ve siècle et l’arrivée des Carthaginois (ch. XI, § 1), c’est-à-dire pendant deux siècles, nous n’avons presque aucun renseignement sur la région de l’Èbre.