HISTOIRE DE LA GAULE

TOME I. — LES INVASIONS GAULOISES ET LA COLONISATION GRECQUE.

CHAPITRE VI. — LA MIGRATION DES CELTES[1].

 

 

I. — DOMICILE PRIMITIF DES CELTES.

Pendant que les Phocéens essayaient de prendre l’empire de la Méditerranée occidentale, les Celtes se mettaient en marche, de l’autre côté du Rhin, pour se rendre vers les terres dont les Grecs convoitaient les rivages.

Des demeures des Celtes avant leur exode, nous ne savons que ce que leurs prêtres racontaient cinq siècles plus tard : Ils habitaient, disaient les Druides, dans des îles lointaines, les dernières du monde, et sur les terres des régions transrhénanes[2].

Nous pouvons les croire, comme nous acceptons l’antique récit des prêtres juifs, qui faisaient sortir le peuple d’Israël de la terre d’Égypte[3]. Car la tradition druidique concernait non pas un épisode banal de l’histoire de la nation, mais son chapitre initial et essentiel, celui qui a duré le plus longtemps, qui ne s’est point refait, que les dieux ont entouré des circonstances les plus solennelles, qui a dû laisser l’impression la plus forte. Même à quatre ou cinq siècles de distance, l’évènement qui a donné paissance à un nouveau peuple, la sortie décisive et divine de ses tribus en armes, ne se dénature jamais complètement chez des hommes qui ont des prêtres et des poètes ; et qui font profession de cultiver la mémoire et de se transmettre des milliers de vers[4]. Que ces souvenirs du départ et de la conquête se soient rapidement encombrés de détails fabuleux, cela va sans dire : mais les Celtes ne purent jamais oublier totalement l’ancien domaine de leur nom.

Au reste, quelques textes, à peine postérieurs à cet exode, et échappés à la ruine presque complète des vieilles géographies grecques, confirment la tradition sacerdotale des Celtes, et permettent même de préciser davantage sur leur domicile d’avant l’invasion[5].

On peut le placer, avec une certaine vraisemblance, dans les plaines les plus basses de l’Allemagne septentrionale, dans les îles et la presqu’île danoise, sur les côtes extrêmes de la mer du Nord : Frise et Jutland, voilà, je le crois, les terres et les rivages qui furent la plus antique patrie des Celtes.

C’était la région de l’Europe entière la plus étrange, la plus rude à l’homme. Un sol bas, marécageux, monotone et assombri, qu’il faut reconquérir sans cesse sur la tourbière et sur la mer ; un rivage qui se défait et se refait, comme si la terre et l’eau n’avaient point encore terminé leur lutte ni même leurs œuvres respectives[6] ; de temps à autre, de formidables coups de colère des flots, un raz-de-marée subit qui rend en quelques minutes à la vague les terrains que l’homme a mis des années à lui prendre. Ailleurs, dans le monde, c’était la guerre de l’homme contre l’homme qui faisait périr le plus d’êtres : ici, c’est l’Océan qui fut le grand pourvoyeur de la mort.

 

II. — DU NOM ET DU CARACTÈRE DES CELTES.

Le nom de Celtes, sous lequel les marins phéniciens et grecs firent connaître aux Méditerranéens les habitants de ce rivage, était celui que les indigènes se donnaient à eux-mêmes : il venait de leur propre langue[7], il était sans doute le vocable de guerre ou d’alliance par lequel se confédéraient les tribus riveraines de la mer Frisonne.

Je ne crois pas qu’il ait pénétré bien loin dans l’intérieur des terres, et que les Celtes aient formé alors un très vaste empire, s’étendant sur les plaines de l’Allemagne. Si le nom celtique avait été, au sixième siècle, tout puissant au nord du Danube, les Grecs, qui connaissaient le cours et les routes du grand fleuve, l’auraient entendu sur les chemins de l’intérieur : or, il ne leur est venu que par les récits des navigateurs, et ils ne l’ont jamais appliqué qu’à des hommes chez lesquels on arrivait par mer[8]. Voici, en l’absence de textes formels, ce que l’on peut supposer de moins invraisemblable sur le caractère de ces populations celtiques, au sixième siècle avant notre ère.

— Les Celtes ne différaient point sensiblement des autres populations de la Basse Allemagne et des rives de la Baltique[9]. Des milliers de tribus de même langue, de même religion, des multitudes d’hommes aux traits et aux mœurs semblables[10], vivaient, au sud des glaces septentrionales, sur les rivages des mers froides et dans les immenses plaines qui s’étendent jusqu’aux montagnes boisées de l’Europe centrale. Leur langue, c’était celle dont les langues germaniques et britanniques sont aujourd’hui les petites-filles ou les petites-nièces, très différentes d’elle[11]. Les dieux, c’étaient ceux que César trouvera encore au delà du Rhin, le Soleil, la Lune, le Feu, la Terre, inévitables divinités de l’humanité lointaine[12], et sans doute, au-dessous d’elles, l’innombrable armée sédentaire des Génies des sources et des arbres[13]. L’état social, c’était celui que nous décrira César, et qui est le tableau banal de toute l’ancienne Europe, des fédérations de familles alternant leur vie entre la guerre, la chasse et la culture[14]. La race enfin, c’était une superbe espèce d’hommes, à la fois douce, brutale, naïve et puissante, aux statures élevées, aux corps blancs et mous, aux chevelures blondes et aux yeux bleus[15].

Cette race régnait presque sans partage dans ces régions du Nord : de longs hivers, la tristesse du ciel, une terre médiocre et d’un abord difficile, en éloignaient les ambitions d’autres hommes : les caractères primitifs de la population ne s’étaient point altérés sous des contacts de trop nombreux étrangers. Elle y gardait un air de famille qu’elle ne perdra jamais complètement[16].

C’était en revanche une famille très prolifique. Dans aucune autre région de l’Europe, les hommes ne croissent et multiplient avec une telle abondance[17]. L’humanité est là à l’état de pléthore : et, comme cette terre produit toujours plus d’êtres que ses ressources n’en peuvent nourrir, comme le Couchant d’hiver et le Midi sont proches avec les séductions de leur ciel et de leur sol, l’Allemagne et la Scandinavie déversent sans cesse des peuples sur le reste du monde[18]. Elles sont les matrices d’où sortent les vivants qui peuplent les terres moins riches en hommes, elles engendrent les tribus qui détruisent ou rajeunissent les nations voisines[19].

De ces bassins de la Baltique et de la mer du Nord l’Europe du midi a vu venir tous ses ennemis barbares. C’est là, peut-être, qu’il faut chercher le berceau de cette langue indo-européenne qui donna à notre continent sa première unité sociale[20]. Avant les Celtes, des hommes ont dût partir de ces plaines pour émigrer vers le sud, comme, après les Celtes, en partiront les Cimbres, les Francs, les Normands et d’autres. La migration celtique est l’épisode d’une histoire qui se répète éternellement[21].

Dans ces multitudes du Nord, les Celtes de la Frise et du Jutland se distinguaient sans doute par un courage plus grand, un naturel moins sédentaire[22], une vie moins sauvage.

Si ingrat qu’il fût, leur domaine rendait beaucoup à ceux qui l’exploitaient. Dans cette existence de subits dangers et d’efforts continus, ils acquéraient une vertu presque surhumaine. Les Celtes s’habituaient à ne rien redouter, ni les flots ni la mort. Une rude résignation pénétrait toute leur vie. Ces prises avec la nature sont une école de courage et d’indépendance. Des hommes qui ne cessent de la combattre se rient des autres hommes, et ont une sorte d’orgueil acharné de leur propre liberté.

Puis, sur ces bords de l’Elbe inférieur et des îles frisonnes, on ne se sentait pas isolé, perdu dans l’immensité monotone de l’Europe septentrionale. L’Ems, le Weser, l’Elbe, ouvrent de larges percées vers l’intérieur : l’Elbe surtout, longue voie rectiligne qui touche à l’ombilic de l’Europe et qui mène, au delà, jusqu’aux plus lointaines régions du levant et du midi. Du côté de la mer, arrivent, venues des fiords de Norvège, des estuaires anglais et des côtes gauloises, les routes maritimes les plus fréquentées de l’Atlantique[23]. Ajoutez les sentiers de l’isthme du Holstein, qui apportent choses et gens de la Baltique. Tous ces chemins convergent vers l’estuaire de Hambourg, en quelque sorte aspirés par lui : et cet angle de terre était le seul point de l’Océan du Nord que les Anciens eussent pu comparer à Cadix, maîtresse du détroit de Gibraltar, à Marseille, dominatrice sur les bouches du Rhône, à Rome, à laquelle le Tibre a donné l’Italie.

Les Celtes occupaient donc un de ces vastes carrefours fluviaux et maritimes, si propres à la formation de grands peuples[24]. Leur mer et leurs fleuves, du reste, offraient de sûres cachettes et de bons ports. Ces eaux et ces replis de la mer Frisonne ont toujours été le centre de thalassocraties riches et tracassières, Saxons, Angles, Danois et Jutes, Brème, Lubeck et Hambourg. Et dans les temps reculés dont nous parlons, où la mer avait plus d’importance encore que de nos jours[25], où elle mettait, aussi bien que la terre, de l’union et des relations entre les hommes, les tribus de l’Elbe et du Jutland, parmi toutes celles du Nord, étaient placées pour sortir les premières de l’isolement et de l’ignorance[26].

Dans l’histoire primitive de l’Europe, la connaissance du bronze devait inaugurer une vie nouvelle, à la fois plus industrielle et plus belliqueuse. Il est fort possible que, chez les peuples de l’Atlantique, le point de départ des époques du métal se place chez les Celtes de la Frise et du Jutland[27]. Sur leur mer, en effet, on arrivait par la gauche aux mines d’étain de la Grande-Bretagne ; par la droite, aux minés de cuivre de la Norvège[28]. Derrière eux, l’Elbe intérieur, à travers les profondeurs hercyniennes, conduisait aux énormes réserves métalliques des montagnes de l’Europe centrale. Ils étaient à un des grands carrefours où aboutissaient les routes des métaux, et ils ont pu être tentés de les fondre comme ils les voyaient se rencontrer chez eux. En tout cas, si les hommes de la mer du Nord n’ont pas eu, les premiers d’entre les Barbares, l’idée de l’alliage sacré[29], le bronze, nulle part dans le monde atlantique, n’a produit plus de choses et plus de belles choses, plus de poignards, d’épées et de bijoux, qu’entre Hambourg et Stockholm. C’est là, et non dans la Gaule, plus longtemps attardée au travail de la pierre, que s’épanouit la force de l’airain[30].

Enfin, les côtes frisonnes étaient le seul point du rivage de l’Océan, entre Cadix et Trondhjem, où s’arrêtassent longuement les navigateurs de la mer du Sud, phéniciens et grecs. Ailleurs, à Pasajes, sur les côtes normandes, à Ouessant, ils pouvaient faire de rapides escales. Mais l’estuaire de l’Elbe était le principal but de toute cette longue traite, avec son marché de l’ambre. — Cet estuaire devint, dans l’Europe extérieure, ce que furent longtemps Le Cap ou Zanzibar en Afrique, Goa ou Macao en Asie, un des principaux points d’appui du commerce civilisé chez les peuples réputés sauvages, le lieu des rendez-vous internationaux dans les pays hyperboréens. Aussi les Grecs le connurent-ils presque aussitôt qu’ils connurent Marseille. Hérodote, Éphore et Aristote ne parlent ni de l’Armorique ni de l’Auvergne, mais ils savent qu’il y a dans le pays de l’ambre et des Celtes de très grands fleuves, des froids très rigoureux et un Océan impitoyable : ces fleuves énormes, descendus des épaisses forêts du Centre, cette mer colère et terrible aux hommes, sont les premiers traits de la géographie du Nord qu’ont tracés les marchands et les écrivains de l’Hellade[31]. — Certes, les Grecs auraient pu, en remontant le Danube ou ses nombreux affluents, gagner ces régions plainières de l’Allemagne. Mais entre elles et la vallée du Danube s’étendait, hérissée de bois, peuplée de bêtes formidables, l’interminable chaîne des monts Rhipées et des monts Hercyniens, la plus profonde, la plus longue, la plus solennelle des barrières que la nature ait laissées croître entre les peuples anciens[32]. Cette clôture fut peut-être le principal abri qui maintint les populations de la Germanie dans leurs habitudes et leur caractère primitifs, et dans la pureté traditionnelle de leur race. Elle les préserva contre les convoitises et les curiosités des gens du Midi : car ceux-ci, dans la peur de cette froide et noire muraille, d’où sortaient les terreurs de la nuit et les rafales du vent du nord[33], se résignèrent pendant longtemps à ne pas chercher par terre les Hyperboréens de l’Europe[34]. — Mais ils réussirent à les visiter par mer, et ce fut dans le pays des Celtes[35], détenteurs des rivages de l’ambre.

Or, ces étrangers, Tartessiens, Phéniciens ou autres, ne descendaient pas à terre sans faire connaître aux indigènes quelques produits de l’industrie du Sud, et surtout ces produits que les navigateurs de tons les temps se plaisent à vendre, et que les Barbares de tous les pays admirent le plus chez leurs visiteurs, des armes et des bijoux. Ils ne leur ont peut-être pas révélé l’art du bronze ; mais ils leur ont sans doute montré la forme et le rôle de l’épée[36]. Et en tout cas, ils ont dû laisser chez les Celtes la notion et le désir des richesses des peuples méridionaux. —

Tout cela, il est vrai, n’est qu’une longue suite d’hypothèses. Mais ces hypothèses sont les conséquences logiques de faits d’histoire et de situations géographiques. Et elles expliqueraient à merveille la force irrésistible qui va pousser les Celtes sur la Gaule, et qui, après la leur avoir soumise, les lancera sur le reste de l’Europe. Car ils auraient eu, dès lors, les ressources morales et matérielles nécessaires aux nations conquérantes : peut-être des armes de guerre supérieures[37], en tout cas un courage à toute épreuve, l’esprit d’aventure, et la convoitise du bien d’autrui.

Des causes accidentelles donnèrent le branle au départ.

 

III. — CAUSES DE L’EXODE.

Les Celtes s’étaient transmis d’âge en âge le récit de l’exode. — Leurs ancêtres, disaient-ils, avaient abandonné leurs demeures parce qu’ils n’y pouvaient plus vivre. Une fatalité s’acharnait contre eux. Des guerres incessantes troublaient leur vie. La mer inondait les rivages, et ses flots bouillonnants leur arrachaient les terres. Ils avaient pour ennemis et les hommes et la nature. Il fallut partir[38].

L’une et l’autre des causes que la tradition assignait au départ des Celtes sont également vraisemblables. — Discordes intestines ou incursions de voisins, c’étaient chez les peuples, barbares ou non, les motifs ordinaires des migrations en masse. Mais la fuite d’une nation devant les débordements de la mer ou d’un fleuve n’est pas plus étonnante.

Les montées subites de l’Océan, sur les côtes de la Frise et du Jutland, sont une des choses les plus effroyables que puissent voir les hommes. En une minute, une seule vague, haute comme une colline, submerge des milliers d’hectares. Tout disparaît alors sous les eaux, arraché, englouti, confondu dans une égale destruction, arbres, moissons, bestiaux, et des milliers d’hommes[39]. Et cette couvre de fureur était, dans les temps anciens, d’autant plus terrible et plus complète que les Celtes aimaient à bâtir près des flots leurs cabanes et peut-être aussi leurs tombes : vivants et morts, les ancêtres comme eux-mêmes, tout ce qui était la tribu retournait au néant[40]. Certes, la mer n’emportait que les choses et les êtres du rivage, et, le massacre achevé, elle revenait d’ordinaire à la ligne consacrée de ses eaux[41]. Mais les hommes ne raisonnaient pas toujours sur ces actes de la nature. Ils pouvaient craindre que la mer ne portât plus loin ses ravages ; et surtout, il leur semblait que la terre ainsi frappée par une attaque mystérieuse était condamnée par les dieux[42]. Cette vague conquérante était le signe d’une volonté divine. Elle donnait l’ordre du départ[43].

 

IV. — DU NOMBRE DES ÉMIGRANTS.

On s’est longtemps figuré les Celtes comme une multitude infinie, qui aurait submergé la Gaule entière, détruit, refoulé et remplacé les populations antérieures. Tous les hommes du passé auraient disparu sous le flot des millions de nouveaux-venus[44].

Puis, des théories différentes ont été peu à peu établies touchant l’invasion celtique, et, comme toujours, elles se sont bâties en contraste absolu avec les idées de jadis. On avait fait des Celtes une foule innombrable : on les transforma en une bande d’hommes, une petite armée de quelques escadrons, trente mille combattants allant chercher la fortune au delà du Rhin, et la trouvant[45].

La vérité doit être entre les deux systèmes. Les Celtes n’étaient pas une race en marche ; ils ne furent pas davantage un simple compagnonnage pour aventures militaires. Je me les représente volontiers comme une nation ou une ligue de cent tribus, ayant chacune ses enseignes et ses rois, toutes groupées sous des conducteurs communs : ils étaient une union de familles qui se déplaçaient ensemble, enfants, vieillards, femmes et guerriers, esclaves et bestiaux, fétiches et chariots. C’est sans doute à l’exode des Cimbres, aux expéditions des Suèves, à la fuite des Goths que ressemble le plus la migration des Celtes.

Les Cimbres et les Teutons, lorsqu’ils quittèrent leurs domaines, comprenaient, disait-on, trois cent mille soldats, suivis d’une multitude de femmes et d’enfants[46]. Des cent tribus suée es se levaient chaque printemps cent mille guerriers[47]. Un demi-million de tètes tout au plus formaient la nation des Goths, lorsqu’elle passa dans l’Empire romain[48] ; les Burgondes étaient quatre-vingt mille combattants, c’est-à-dire environ trois cent mille hommes[49]. — C’est dans ces proportions qu’on peut imaginer l’invasion celtique. Elle ne différa pas sensiblement, ni comme force, ni comme nature, des principales migrations qui sortiront plus tard des mêmes terres transrhénanes.

 

V. — DES CELTES TRANSRHÉNANS.

Ces sorties de tribus laissent en arrière des traînards ou des obstinés, qui préfèrent la garde de leurs tombeaux aux incertitudes des rencontres lointaines. Fort souvent, les peuples des grandes plaines du nord se sont dédoublés à l’instant du départ. Quand les Cimbres quittèrent les bords maudits de la mer Frisonne, plusieurs de leurs frères s’entêteront à ne pas les suivre[50]. A la fin du second siècle de notre ère, les Goths descendirent des bords de la Baltique jusqu’à ceux de la mer Noire : mais un rameau de leur nom, les Gépides, ne bougea point du delta de la Vistule[51].

Le nom celtique ne disparut pas tout de suite des terres du Jutland, de l’estuaire de l’Elbe, des côtes frisonnes. Il resta longtemps encore attaché au pays où il avait commencé sa puissance. Jusqu’au quatrième siècle, les chercheurs d’ambre venus de la Méditerranée trouveront des Celtes dans cet angle de la mer du Nord où finissait leur long voyage[52]. — Mais il s’y éteignit vers ce temps-là, remplacé tour à tour par ceux de Belges et de Galates[53], de Teutons[54] et de Cimbres.

Seulement, Transrhénans et Celtes de la Gaule ne se ressembleront bientôt plus. Les émigrés connurent des cieux plus limpides, des terres plus fertiles, une vie plus gaie et plus sûre ; ils se mêleront à d’autres peuples, ils prendront des habitudes nouvelles, changeront le caractère de leurs dieux, les formes et les mots de leur langage. Leurs frères de la Basse Allemagne demeureront fidèles à leurs vieilles pratiques, derrière le double abri de leurs forêts et de leurs tourbières : Celtes de l’Elbe, Hyperboréens d’entre la Baltique et les monts Hercyniens, tous ces peuples des plaines du nord resteront plus longtemps semblables à eux-mêmes, immobiles dans leur horizon fermé. Ou bien, s’ils subissent d’autres influences, elles seront toutes différentes de celles qu’acceptaient les Celtes partis vers le couchant : des hordes nouvelles, venues d’au delà de la Vistule et des grands marais, se mêleront peut-être aux tribus de l’Allemagne[55]. Ainsi, des deux groupes que l’exode a formés, celui qui s’en va subira les contacts brutaux ou fécondants de l’ouest et du sud, des Ligures et des peuples de la mer, celui qui reste est exposé aux sauvages intrusions des gens et des choses de la steppe. Ils seront chaque jour plus distincts l’un de l’autre, eux, leurs langues et leurs dieux[56]. La haine les séparera plus vite encore que leur nature, de même que les Germains groupés sous Clovis et Charlemagne devinrent si rapidement différents et adversaires des Germains demeurés dans les plaines indépendantes. Mais malgré tout, des ressemblances frappantes subsistèrent toujours entre les Celtes de la Gaule et leurs voisins d’outre Rhin ; on les signalera pendant des siècles : et les observateurs sagaces, les écrivains qui n’auront pas des raisons politiques ou militaires pour brouiller Gaulois et Germains, reconnaîtront aisément les vestiges de la fraternité qui jadis avait uni les ancêtres de ces deux peuples[57].

 

VI. — LES CELTES EN BELGIQUE.

Les Celtes donc, quittant les rives inhospitalières de la Baltique et de la mer du Nord, se mirent en route vers l’occident. Ils suivirent la voie naturelle qu’indiquait la plaine de la Basse Allemagne, et que prendront les Francs un millénaire plus tard : ils marchaient, sans s’éloigner du rivage, inclinant avec lui vers le sud (530 environ ?)

C’est aux abords du Rhin qu’ils rencontrèrent les premières tribus ligures. Le fleuve fut franchi par les émigrants. Il y eut de nombreux combats. Les indigènes, vaincus et épouvantés, finirent par renoncer à la résistance[58], et gagnèrent l’intérieur des terres, les forêts et les montagnes du haut pays, les brousses des Ardennes et les rochers de la Rieuse, de la Moselle ou du Rhin[59].

Mais les Celtes ne s’arrêtèrent pas longtemps dans les plaines de la Belgique, vides d’habitants et voisines d’une mer hostile. Ils savaient sans doute que plus loin le ciel était plus clément, les alluvions plus riches, les marécages moins continus, et les forêts moins profondes. Ils s’engagèrent dans le sud[60].

Derrière eux, les Ligures revinrent sur leurs anciens domaines, repeuplèrent les terres désertes des bords de la mer, et, délivrés du péril celtique, ils se reprirent à sillonner l’Océan de leurs barques aventureuses[61] (vers 500 ?[62]).

 

VII. — INSTALLATION DES CELTES A L’INTÉRIEUR.

Pendant ce temps, les Celtes s’arrêtaient enfin dans une contrée d’élection, et y installaient leurs tribus pour faire souche de nouvelles familles : comme si la tuer les épouvantait encore, ce fut à l’intérieur de la Gaule qu’ils s’établirent[63].

Le domaine propre de ce ban d’invasion fut la Gaule centrale toute entière, celle qui, très longtemps après, s’appelait encore le pays des vrais Celtes, la Celtique proprement dite[64]. Il commençait au sud de la grande forêt des Ardennes[65] ; il embrassait le bassin de la Seine et celui de la Loire. Au midi, les conquérants descendirent les pentes du plateau ; à l’ouest, ils occupèrent la vallée de la Charente : à l’est, ils débordèrent dans celle de la Saône jusqu’au pied du Jura.

Je ne crois pas cependant que le premier champ de l’ambition celtique ait atteint, sauf sur un ou deux points, les cours du Rhône et de la Garonne ; je ne crois pas davantage qu’il se soit presque jamais étendu jusqu’aux rives de l’Océan. Toutes les côtes de la Normandie et de l’Armorique furent d’abord laissées aux tribus indigènes[66]. La Celtique constituée par ces émigrants était comme un vaste cercle, de cent vingt-cinq lieues de diamètre, dont les rayons finiraient vers Rodez, Saintes, Angers, Rouen, Soissons, Reims, Besançon, Lyon, et dont Bourges marquerait le centre. Au delà, le long des deux mers, vivaient et naviguaient les Ligures indépendants (500-480 ?)[67].

 

VIII. — RAPPORTS AVEC LES INDIGÈNES.

La manière dont les Celtes prirent possession de la Gaule nous est entièrement inconnue[68]. Du jour où le peuple envahisseur a quitté les bords de la mer et s’est engagé dans l’intérieur des terres, un impénétrable mystère enveloppe sa vie. Les navigateurs carthaginois et grecs recevaient parfois l’écho des combats qui décimaient les tribus du rivage ; ils voyaient les ruines qui en résultaient. Mais aucun bruit ne leur venait des luttes qui s’agitaient dans les hautes vallées du pays.

L’histoire ultérieure montre qu’elles se terminèrent à l’avantage des Celtes. Dans les limites que nous avons indiquées, ils imposèrent aux indigènes leur nom et leur domination : le vocable de Ligures disparut de la Gaule centrale[69]. Plus heureux que les Cimbres et que les Suèves, aussi heureux que les Francs, les Celtes réussirent à fonder un empire durable, et à laisser des terres à leurs descendants.

On s’expliquera aisément cette victoire, si l’on se rappelle ce que nous avons supposé plus haut et des indigènes de la Gaule et de leurs envahisseurs.

Les Ligures, amas de tribus juxtaposées, sans lien permanent, sans volonté commune, étaient incapables de résister victorieusement à l’attaque impétueuse d’un peuple aux rangs serrés. Supérieurs sans doute dans les combats singuliers[70], ils valaient moins devant de grandes batailles. Ils ont pu tenir plus longtemps sous l’abri des montagnes ; mais dans les vallées ouvertes de la contrée, leur morcellement les condamnait à être brisés par une rencontre sérieuse[71]. — D’autant plus que les Celtes leur étaient, je suppose, supérieurs en ressources morales et militaires : à ces fantassins, frondeurs et tireurs habiles, mais peu familiers avec les armes du corps à corps, ils opposaient peut-être le cheval ou le char de guerre au choc inévitable, et l’épée de combat à la menace toujours prête. Ils n’étaient pas plus braves que les Ligures, mais ils l’étaient tout autant, et ils avaient pour eux l’avantage de l’agresseur, la force que donnent la volonté de conquérir et la nécessité de se créer des demeures.

Ces luttes, si longues qu’on les suppose, ne furent pas éternelles, et trois générations tout au plus (500-400 ?) suffirent à les terminer[72]. On peut affirmer aussi que les Celtes, pour devenir les maîtres, n’eurent pas besoin d’anéantir les indigènes, et que leur victoire n’engendra pas, chez eux ou chez les Ligures, des sentiments durables de haine, de crainte ou de défiance.

Les Celtes et les indigènes, en effet, n’étaient pas plus différents les uns des autres que les Gaulois ne le furent des Francs ou des Romains. Il n’y avait pas entre eux de ces irrémédiables contrastes de langues, de mœurs, de religions, de sana et de couleur qui séparent aujourd’hui les Européens de leurs sujets exotiques. Il est probable que, parmi les Ligures envahis, il se trouvait des descendants de bandes venues du nord-est, dans ces brigandages périodiques dont les Transrhénans furent coutumiers. Les sources et les arbres, le Soleil et la Terre, étaient des divinités des deux côtés du Rhin. Bien des mots du vocabulaire ligure rappellent des radicaux des langues celtiques ou germaniques. La tribu ligure ne fut pas constituée différemment des tribus de l’Allemagne. Disons-nous bien que, même au sixième siècle avant l’ère chrétienne, nous ne sommes pas en présence de races hostiles, de religions ennemies, mais de populations plus ou moins pareilles, qui se battent ou se volent par simple esprit de conquête.

La conquête subie et acceptée, la fusion entre les deux peuples s’opérait rite. Nous suivrons bientôt pas à pas les établissements ultérieurs des Celtes en Italie, en Espagne et en Orient. Nulle part il ne restera chez leurs sujets d’irrésistibles besoins de révolte et de revanche. Partout au contraire, les dieux, les hommes, les langues, les mœurs des vaincus et des vainqueurs se sont adaptées les unes aux autres avec une grande rapidité.

Peut-être même les Celtes, de toutes les populations barbares de l’antiquité, furent-ils celle qui se mélangea le plus vite avec les hommes dont ils subirent les approches. Il y eut en eux une incroyable faculté d’assimilation. C’était la moins irréductible des espèces humaines de l’Europe, la moins disposée à l’isolement. Elle ressembla toujours à ses dieux, qu’on verra se mouler sur les types les plus divers de la mythologie antique. Aucune n’a produit plus de nations métisses. Elle donnera les Celtibères en Espagne, les Gallogrecs[73] en Asie, les Celtoscythes dans les plaines de l’Europe orientale, sans doute aussi des Celtothraces et des Celtillyriens, et jamais, chez aucune de ces populations mêlées, nous ne trouverons la trace appréciable d’un conflit de races[74].

Au surplus, la Gaule proprement dite nous offrira plus tard un exemple très net de la rencontre des Celtes et des Ligures, lorsque, vers 400, les premiers descendront du nord pour entrer en Provence. Qu’ils aient commencé par combattre les uns contre les autres, c’est probable ; niais ils ne tardèrent pas à s’unir en un seul peuple, celui des Salyens, que les Grecs de Marseille appelèrent des Celtoligures : et, quoique nous connaissions assez bien ces Salyens du Rhône, de la Durance et de l’Arc, il nous est encore fort difficile de distinguer les deux éléments dont ils se sont formés[75].

Pareille chose s’est produite, un siècle plus tôt, dans la Gaule centrale. Tous les peuples y devinrent également, dans des proportions variables, des Celtoligures. Si les Latins et les Grecs ne leur ont pas donné ce nom, c’est qu’ils n’ont pas assisté, comme aux environs de Marseille, au mélange et à la fusion ; c’est que les Celtes, d’ailleurs, ont imposé leur nom aux hommes et aux terres, et que les vaincus ont accepté ce nom pour eux-mêmes.

Désormais donc, sous ce mot de Celtes, nous étudierons l’empire créé par cette conquête et le peuple issu de ce mélange. Parfois, en examinant ses institutions[76], il nous semblera possible d’indiquer ce qui est venu du dehors, et ce qui est resté des indigènes. Le plus souvent, nous ne pourrons même pas tenter de faire le départ entre ces deux éléments. Cette impuissance n’est point surprenante ; elle est l’état habituel de l’histoire, dès qu’elle examine les résultats d’une conquête. Qui donc, dans la Gaule de Charles le Chauve, eut distingué la part de Rome et la part des Francs ? et même aujourd’hui, si renseignés qu’ils soient sur les invasions germaniques, les historiens du Moyen Age n’ont encore pu fixer ce qu’elles ont apporté et ce qu’elles ont respecté.

 

IX. — LA CELTIQUE ; AMBIGAT.

Ce nom collectif de Celtes est peut-être le fait 1P plus important que les envahisseurs aient déposé dans l’histoire de notre pays. Il était un emblème d’unité, le mot de ralliement d’un empire.

Au-dessous de ce nom, les appellations génériques, sans aucun doute, étaient fort nombreuses. Le monde celtique renfermait dès lors quelques-uns des groupes qui dirigeront plus tard son histoire, et, selon toute vraisemblance, ceux-ci possédaient les domaines où les Romains les trouveront installés[77] : les Bituriges autour de Bourges[78], les Carnutes de Chartres à Orléans[79], les Éduens dans le Morvan et les plaines adjacentes[80], les Arvernes sur la Limagne et les monts qui l’encadrent, les Lingons le long du plateau de Langres et des champs dijonnais[81] ; les Aulerques occupaient les rivières du Maine, les Ambarres les basses terres de la Saône[82], les Sénons le bassin de Sens et Paris[83]. D’autres grandes peuplades de ce genre, Volsques[84] et Boïens[85], s’établirent ailleurs en Gaule, sans que nous puissions retrouver leur domicile primitif. — Ce sont les premières familles politiques qui se soient partagé, dans les temps connus, le sol de notre pays, qu’elles aient pris naissance et nom au moment même de la conquête, ou qu’elles aient été déjà constituées avant le départ pour l’Occident[86].

Ces groupes s’étendaient sur de vastes territoires, divisions naturelles du sol français : Auvergne ou Berry naissaient à une vie collective, comme domaine d’une seule peuplade. Au-dessus dès innombrables tribus ligures, encloses dans l’horizon d’un petit pays, se formèrent et grandirent de nouvelles sociétés humaines, plus fortes et plus ambitieuses[87]. Ce qui préparait la terre et les hommes de la Gaule à une existence plus intensive, à plus de rapports entre eux, à plus d’initiative au dehors.

Une vie nationale se superposait enfin à ces groupes locaux et régionaux, à ces tribus ou ces pays, à ces peuplades ou ces régions. Toutes ces sociétés portaient également le nom de Celtes[88] ; elles donnaient celui de Celtique aux terres qu’elles habitaient[89] ; et il y eut, pour les unir, autre chose que des noms.

Car, une fois dispersés dans les vallées de la Gaule centrale, les Celtes n’oublièrent pas la fraternité qui les avait conduits des bords de l’Elbe à ceux de la Seine. Il dut rester plus d’un souvenir commun de cette marche à la recherche de nouveaux domaines. Je ne m’expliquerais pas la prépondérance de leur nom et de leurs dieux, si les hommes n’étaient pas demeurés unis en un corps durable. Bien des institutions singulières du monde celtique trouveront leur raison dans ce point de départ de son histoire : une fédération de familles prenant des terres. Partie d’une invasion et d’une conquête, c’est-à-dire de l’effort collectif de tribus groupées, l’histoire de la Gaule allait présenter un caractère d’unité, qui la distinguera et de celle des temps ligures et de celle de toutes les contrées occidentales[90].

C’était du souvenir de l’unité primitive que s’inspiraient les traditions ou les légendes indigènes. — Elles racontaient que la Celtique avait formé autrefois un seul royaume, et n’ayant qu’un souverain. Ce roi lui était donné par les hommes du Centre, les Bituriges : le chef qui commandait à tous les Celtes siégeait au milieu même du pays. On conserva longtemps la mémoire d’un de ces rois, Ambigat. Ce fut un prince très riche, très brave, très puissant, qui gouvernait une multitude immense. Sa maison prospérait comme son empire ; sa terre produisait sans relâche d’abondantes moissons de blés et de guerriers. Il avait deux neveux, qui étaient d’actifs jeunes gens. Les dieux l’aimaient et lui envoyaient les meilleurs avis. Et il devint très vieux, voyant son peuple grandir et s’étendre au loin[91] (vers 450-400 ?[92]).

Ambigat ressemble à tous les rois des légendes, il ne diffère pas du Charlemagne des Chansons de Geste ni de l’ Arganthonios des récits de Tartessus. Mais, de ce que la physionomie réelle de ces vieux souverains a disparu sous la banalité des mythes populaires, il ne résulte pas qu’on doive nier leur existence. Tartessus a eu ses rois, qui ont été certainement très riches ; l’épopée carolingienne n’a pas créé de toutes pièces Charlemagne, ses guerres et ses preux. Je n’affirmerai pas cependant qu’Ambigat ait vécu ni qu’il ait eu deux neveux. Mais son histoire prouve, tout au moins, que la plus vieille Celtique était un corps politique, et qu’elle relevait d’un seul chef, dictateur ou prêtre, patriarche ou roi[93].

 

 

 



[1] Zeuss, Die Deutschen, 1837 ; Niese, Zur Geschichte der keltischen Wanderungen, 1898 (Zeitschrift für deutsches Altertum, XLII) ; d’Arbois de Jubainville, Les premiers Habitants de l’Europe, II, 2° éd., 1894 ; le même, Les Celtes depuis les temps les plus anciens, 1904 ; les ouvrages cités à la note 2 et plus bas.

[2] Ammien Marcellin, d’après Timagène, contemporain d’Auguste, XV, 9, 4 : Drasidæ memorant revera fuisse populi partem indigenas [les Ligures], sed alios quoque ab insulis extimis confluxisse et tractibus Transrhenanis. — La thèse courante fait monter les Celtes en Gaule de la vallée du Danube, haute ou centrale (d’Arbois, II, p. 279 ; le même, Les Celtes, p. 8 ; Bertrand, La Gaule avant les Gaulois, p. 256-8 ; Niese, p. 151 ; Schrader, Reallexikon, 1901, p. 902 ; Hist, Die Indogermanen, 1, 1905, p. 171 ; etc.). — La tradition druidique est acceptée par Marcks, Bonner Jahrbücher, XCV, 1804, p. 36.

[3] Cf. Maspero, II, p. 444.

[4] Ce que dit César au sujet de leurs traditions orales (VI, 14 ; 18, 1) doit dater de longtemps chez les Celtes ; cf. Tite-Live, X, 16, 6 ; Polybe, II, 22, 3.

[5] Le plus ancien de ces textes est celui d’Avienus (écrit vers 480-70, d’après le Périple d’Himilcon ? cf. ch. X, g t ; vers 130-142) : Avienus nous montre le Nord de la France dévasté par les Celtes, venus, semble-t-il, par terre ou par mer, en tout cas le long du rivage. Vient ensuite Éphore (ap. Strabon, VII, 2, 1 ; fr. 44, Didot), texte qui ne peut guère convenir qu’aux terres basses de la mer du Nord, pays des Cimbres et des Teutons, ce que semble avoir vu Strabon lui-même. — La cause assignée par les Celtes à leur départ nous replace dans un pays à raz-de-marée, et c’est une remarque semblable que suggère la tradition des luttes soutenues par les Celtes contre les flots, rapportée par Aristote, Éthique à Nicomaque, III, 7 (10), 7 ; Eudème de Rhodes, III, 1, 25, p. 1220 b (Aristote) ; Nicolas de Damas, fr. 104 ; Ælien, Hist. var., XII, 23. — Aristote déclare (De generatione animalium, II, 8 ; Hist. anim., VIII, 28, 5) que l’âne, à cause du froid, ne se trouve pas en Celtique ou chez les Celtes. Ce qui ne convient guère qu’aux régions frisonnes et danoises : les ânes deviennent rares en Hollande (1467 seulement, Ministère de l’Agriculture, Annales de 1902, p. 740), presque inconnus en Danemark (130 seulement, id., p. 730). — Tous ces renseignements sur la Celtique donnés par Éphore et Aristote concernent uniquement son climat froid et les dangers de ses rivages ; ils sont donc tirés de quelque très ancien périple, œuvre d’un chercheur d’ambre, Himilcon ou autre. — Un certain nombre de textes font venir directement des bords de l’Océan et des rives du Rhin ou de l’Éridan (cf. ch. VIII, § 3 et 4 ; ch. IX, § 1) les Celtes qui prirent Rome et qui pillèrent Delphes : Héraclide ap. Plutarque, Camille, 22 ; Diodore, V, 32, 5, d’après Timée ou Posidonius ? ; Tite-Live, V, 37, 2, peut-être simple formule littéraire ; Appien, Celtica, 2, p. 48, Mendelssohn ; Pausanias, I, 4, 1 ; Lydus, De magistratibus, I, 50, éd. Wünsch ; il n’est pas impossible que cette donnée ne provienne d’une vague connaissance de l’origine première des Celtes, nul compte n’étant tenu de leur arrêt en Gaule. — Cf. ce qu’on peut dire des textes d’Hérodote, cités ci-après. — Je ne crois pas, en revanche, que l’on puisse tirer argument de la similitude entre le type de la maison celtique (le connaît-on ?) et celui de la maison frisonne : théorie de Meitzen, Siedelung, II, 1893, p. 77-97 ; cf., contre Meilzen, Bremer, Ethnographie (Grundriss de Paul, V éd.), 1900, § 38. — En revanche, nous trouverons chez les Cimbres de nombreuses analogies de noms, de traits physiques et moraux, de costumes, de rites, avec les Gaulois. — Et je ne puis m’empêcher de songer que c’est dans le Jutland qu’ont été trouvés le chaudron d’argent de Gundestrup et les cornes d’or de Gallehus (Sophus Müller, Nordische Altertumskunde, II, p. 151-181), véritables recueils de tous les emblèmes religieux du monde celtique (quelle que soit d’ailleurs la date des objets).

[6] Pline, XVI, 2, parlant précisément de ces pays : Dubiumque terræ situm an partem maris. Cf. Zippel, Die Heimath der Kimbern (Kœnigsberg, 1802, p. 5) : Die Zustände auf den Halligen geben noch heute die beste Erläuterung zu Ephorus und Plinius.

[7] Cela résulte : 1° du texte de César (I, 1, 1) ; 2° de l’existence en Espagne des mots Celtibères, Celtici, etc., qui paraissent indigènes (ch. VIII, §5) ; 3° de l’existence, avant César, de noms propres formés à l’aide de ce radical, Celtillus (César, VII. 41).

[8] Les deux textes d’Hérodote (II, 33 ; IV, 49 ; cf. Aristote, Météorologiques, I, 13, 19), où il fait venir le Danube έκ Κελτών, ne sont pas en contradiction avec cette théorie. Car : 1° les pays continentaux extérieurs au Danube lui sont inconnus, il le déclare formellement (V, 9 et 10) : 2° le Danube, dit-il, vient des Pyrénées, et sans doute du même massif que le fleuve de Tartessus (cf. Aristote, l. c.), tout comme si sa source se confondait avec celle de l’Ebre ; 3° les Celtes sont, dit-il, « en dehors des Colonnes d’Hercule », au delà des Cvnétes ou Cynésiens, qui habitent, après Cadix, l’angle sud-ouest de l’Espagne (cf. Avienus, 201 et suiv.). Je conclus qu’Hérodote a tiré ces renseignements sur les Celtes de quelque périple (un abrégé d’Himilcon ?) qui mentionnait tour à tour Cadix, l’angle cynétique de l’Espagne, les Pyrénées du fond du golfe de Gascogne, les lies de l’étain, les Celtes et le pays de l’ambre (cf. Hérodote, III, 115). Hérodote ou le périple auront négligé les étapes intermédiaires et cité seulement les points essentiels de la route atlantique : tout comme Avienus, qui parle coup sur coup des Colonnes d’Hercule, de Cadix, des Iles de l’étain et du pays des Celtes. La cartographie du Moyen Age fournit de nombreux exemples de simplifications de ce genre, aboutissant, en dernière analyse, à supprimer les perspectives, à contracter les terres lointaines, à grouper ensemble des régions fort distantes. — Aucun passage d’Hécatée, exactement conservé, ne mentionne les Celtes.

[9] L’identité des Celtes et des Germains fut acceptée jusqu’au temps de Posidonius, combattue par César, reprise par Strabon et bien d’autres, à tel point que Dion Cassius ne cesse d’appeler les Germains des Celtes (Holder, I, c. 945 et suiv.), et admise par presque tous les érudits, depuis le XVIe siècle jusqu’à la Révolution (cf. Leibniz, De orig. gent., édit Dutene, IV, IIe part., p. 193) : ce n’est qu’au XIXe siècle que reprenant, et peut-être dans une intention semblable, la théorie de César, on a fait de Celtes et de Germains deux espèces entièrement différentes. La théorie contraire n’a eu, dans ce siècle, que de rares représentants : Boltzmann, Kelten und Germanen, 1835 ; Renard, Lettres sur l’identité de race des Gaulois et des Germains, dans le Bull. de l’Acad. royale... de Belgique, Ie s., XXXIII, IIe p., 1836 ; Lindenschmit, Die vaterländischen Alterthümer der... Sammlungen zu Sigmaringen, Mayence, 1860, p. 73-102 ; Künnsberg, Wanderung in das germanische Alterthum, 1861, surtout ch. 6 ; Martins Sarmento, Lusitanos, Ligures et Celtas, extrait de la Revista de Guimardes, Porto, 1891-3, p. 84 et s. ; en partie : Wieseler, Die deutsche Nationalität der kleinasiatischen Galater, Gütersloh, 1877 ; von Becher, Versuch einer Lösung der Celtenfrage, I (seul paru), Carlsruhe, 1883.

[10] Cf., entre autres, sur cette question ethnographique, Bremer (dans le Grundriss de Paul, 2e id., 1900, § 1-52), chez qui on trouvera une bibliographie détaillée.

[11] C’est par cette origine commune, et non par une domination des Celtes sur les Germains, que j’explique le fond commun des vocabulaires celtique et germanique. Sur ce fond (expressions de la langue politique, militaire, économique, noms de personnes), voyez d’Arbois de Jubainville, II, p. 334 et suiv., Bremer, § 53, etc. Ils l’attribuent à la conquête celtique d’après 500. Mais le texte de César, que l’on allègue toujours (VI, 24), ne vise que la vallée du Danube et l’expédition de Ségovèse ; et d’ailleurs cette conquête n’empêche pas que Celtes et Germains n’aient pu appartenir autrefois à un même groupe de populations : de ce que les Francs de Charlemagne ont soumis les Saxons, s’ensuit-il qu’ils n’aient pas été, avant Clovis, également des Germains ? — Sur les causes de la différenciation des deux langues, cf. plus bas, et nous espérons revenir plus tard là-dessus.

[12] César, VI, 21, 2 : il oublie, sans doute par inadvertance, la Terre, fort adorée chez les Germains (Tacite, Germanie, 2, 40, 45). Le culte d’Apollon fut toujours attribué aux Hyperboréens (Pindare, Olympiques, III, 10 ; etc.). Cf. Mogk, Germanische Mythologie, 1898 (Grundriss de Paul, 2e éd.). § 50 et s., § 72 et s., et, dans un sens différent, R. Much, Der germanische Himmelsgott, 1898 (Festgabe für Heinzel).

[13] Les divinités des fées et des fontaines se retrouveront dans les inscriptions de la Germanie romaine.

[14] César, VI, 22.

[15] Cf. les renseignements donnés sur les Cimbres et Teutons (Plutarque, Marius, 11) à ceux que nous possédons sur les plus anciens Celtes (ici, ch. IX, § 2) et sur les Germains (César, I, 39, t ; Tacite, Germanie, 4 ; etc.).

[16] Gens sincera, Tacite, Germanie, 4 et 2, dont je m’inspire ici. — Aujourd’hui, le type décrit par Tacite se rencontre seulement dans la proportion de 35,47 p. 100 en Prusse, 20,36 p. 100 en Bavière (Bremer, § 24).

[17] Le pays qui, dans ce demi-siècle, a connu la période de surnatalité la plus forte est la Norvège de 1831 à 1860 (15,9 p. 100 d’excédent des naissances sur les décès) ; Bertillon, Rapport sur les relations entre la mortalité et la natalité, 1903, p. 22.

[18] Cf. note suivante.

[19] Jordanès, Getica, 4, 25, Mommsen : Scandza, quasi officina gentium aut certe velut vagina nationum. Valerius Flaccus, VI, 37-41, où la Scythie embrasse aussi tout le Nord de l’Europe.

[20] Je dis langue et non pas race. — Nous trouvons dans toute la Germanie les mêmes radicaux ligures que dans toute l’Europe occidentale et méridionale : Fœrstemann, Ortsnamen, c. 62 (alis-), 241 (bibar-), 476 (drav-), 1116 (mos-), 1292 (sar-), etc. : seraient-ce les plus anciens vestiges connaissables du patrimoine linguistique commun des populations de l’Europe ? — Si vraiment le type germanique décrit par les Anciens et connu d’ailleurs de nous tous doit être considéré comme le type caractéristique d’une race indo-européenne ou aryenne, j’inclinerai de plus en plus à chercher le berceau de cette race dans ces régions du Nord. — On a placé fort longtemps l’origine et de cette race et de cette langue dans l’Asie centrale. De nos jours, quelques-uns songent aux steppes de la Russie méridionale (Schrader, Sprachvergleichung und Urgeschichte, 2e éd., 1890, p. 624 et s. ; Reallexikon, 1901, p. 878 et suiv. ; Bremer, § 15 ; etc.), à la région du moyen et du bas Danube (de Michelis, L’Origine degli Indo-Europei, 1903). La thèse de l’origine septentrionale des Aryens, en germe déjà chez les Anciens (ici, note précédente), indiquée au temps de Leibniz et combattue par lui (De originibus gentium, éd. Dutens, IV, II, p. 195), a été reprise de nos jours avec énergie, et, malgré les maladresses, les exagérations, les erreurs de méthode et les vaines querelles de quelques-uns de ses partisans, gagne chaque jour du terrain ; voyez d’Omalius d’Halloy et la discussion provoquée par lui à la Soc. d’Anthrop. de Paris, le 18 février 1864 (Bulletins, 1864, p. 188 et suiv.) ; Penke, Origines Ariacæ, 1883 ; le même, Die Herkunft der Arier, 1886 ; le même, Die Heimat der Germanen, 1893, dans les Mittheil. der Anthropol. Gesellschaft de Vienne ; Kossinna, Zeitschrift für Ethnologie, XXXIV, 1902, p. 101 et suiv. ; Much, Die Heimat der Indogermanen, 1re éd., 1902, 2e éd., 1904 ; Wilser, Die Germanen, [1903] ; Hoops, Waldbäume und Kulturpflanzen im germanischen Altertum, 1905, p. 377-384 ; Hirt, Die Indoyermanen, I, 1903, p. 176-198. — Sur cette controverse jusqu’en 1892, Reinach, L’Origine des Aryens, 1892.

[21] Cf. Plutarque, Marius, 11 (d’après d’autres) ; Tacite, Histoires, IV, 73 ; Diodore, V, 32, 4.

[22] Cf. ce que Plutarque dit des Cimbres qui le sont remplacés (Marius, 11).

[23] Les relations anciennes du Jutland, de la Norvège, des Iles Britanniques sont attestées par les monuments. La facilité du voyage de Pythéas (ch. X, § 6) s’explique par elles. Au surplus, tous ces pays dépendent d’une même mer, et on y retrouvera les mêmes légendes marines (Pline, IV, 104 ; Strabon, I, 4, 2).

[24] Voyez l’Ebre, l’Aude, le Guadalquivir, le Tibre.

[25] Cf. Tacite, Germanie, 2.

[26] Il semble bien que de même, au second siècle avant notre ère, les Cimbres fussent ta plus puissante des nations transrhénanes (Tacite, Germanie, 37).

[27] L’âge du bronze doit être pour nous... un âge presque exclusivement hyperboréen, et Bertrand veut dire par là que le métal nous est venu du nord (Archéologie, p. 220-1).

[28] Je ne puis accepter que ces mines n’aient été exploitées que depuis le XIe s. après J.-C., et par suite que tout le bronze des pays scandinaves soit d’importation (contra, Montelius, Les Temps préhistoriques en Suède, trad. Reinach, p. 50 ; Kulturgeschichte Schwedens, 1906, p. 105 ; Die Chronologie der ältesten Bronzezeit, etc. (dans Archiv für Anthropologie, XXV et XXVI, 1900, p. 87 et suiv.) ; etc.

[29] Montelius fait venir la connaissance du bronze, d’Orient en Scandinavie, par la route de terre, nommément celle de l’Elbe (tr. Reinach, p. 57-62). Si le bronze n’a pas élis imaginé sur place par les Barbares, ce qui n’est pas du tout impossible, il a dû être révélé, plutôt, par les hommes de la mer.

[30] Worsase, Nordiske Oldsager, Copenhague, 1859 ; Undset, Jernalderens Begyndelsre Nord-Europa, Christiania, 1881, I, ch. 9-11 et II ; Bertrand, Archéologie, p. 220 ; Montelius, Les Temps préhistoriques en Suède, trad. Reinach, 1895, p. 54 et suiv. ; Kulturgeschirhte Schwedens, 1906, p. 112 et s. ; Sophus Müller, Nordische Altertumskunde, I, 1897, p. 308, 242 et s. ; etc.

[31] Hérodote, III, 115 ; Aristote, Météorologiques, I, 13, 20.

[32] Æschyle, Prométhée délivré, fr. 191, Nauck ; Hellanicus, fr. 96 ; Aristote, Météorologiques, I, 13, 20 (texte qui remonte à une source ancienne et où les monts Rhipées et Hercyniens sont présentés comme se faisant suite ou comme identiques) ; Avienus, 136-9 (?) ; De mirab. ausc. (Timée), 105 ; Apollonios, IV, 287, 640 (ici les monts Hercyniens sont plutôt les Alpes ou le Jura) ; Damaste de Sigée, fr. 1 (Didot, Fr. hist. Gr., II, p. 65) ; César, VI, 24 et 25 (Eratosthène), qui donne à la forêt Hercynienne neuf journées de large et plus de soixante journées de longueur ; Diodore, V, 21, 1 ; Denys d’Halicarnasse, XIV, I, 2. Il résulte de ces textes que les monts Hercyniens marquèrent pour les Anciens, et peut-être aussi bien pour les Barbares du Nord (cf. Tite-Live, V, 34, 4) que pour les Gréco-romains, la limite naturelle des deux mondes.

[33] Damaste de Sigée, fr. 1, Didot, II, p. 65 ; Alcman ap. Bergk, Poetæ lyrici Græci, fr. 42, p. 549 ; Sophocle, Œdipe à Colone, 1248.

[34] On verra que César rompra les charmes de la grande forêt comme les Phocéens ceux de la mer lointaine.

[35] Que sous le nom d’Hyperboréens, qui embrasse tant de populations différentes, les Celtes se soient trouvés compris, cela résulte d’Héraclide de Pont ap. Plutarque, Camille, 22.

[36] Le rapport entre le commerce de l’ambre et le développement de la civilisation du bronze dans le Jutland a été bien mis en lumière, entre autres, par Sophus Müller, Nordische Altertumskunde, I, p. 316-327. — Ce qui n’exclut pas, je crois, l’hypothèse qu’une fois inspiré par les hommes du sud, l’art du bronze n’ait pris plus lard dans le Nord des formes et des pratiques propres.

[37] Peut-être, outre l’épée, le combat à cheval ou sur le char de guerre. Car : 1° les Celtes, dès leur apparition, ont toujours passé pour un peuple de soldats à cheval (cf. ch. IX, § 4) ; 2° il n’y a aucune trace de char de guerre en Gaule avant les temps gaulois, et les Anciens ont remarqué que les Ligures étaient surtout des fantassins. Il serait étonnant que le combat à cheval et sur chu de guerre ail été introduit par les Celtes entre leur entrée en Gaule et leurs marches vers le sud.

[38] Ammien (Timagène), XV, 9, 4 : Crebritate bellorum et adluvione fervidi maris sedibus suis expulsos.

[39] On peut citer le raz-de-marée d’octobre 1634, qui coûta la vie à 13.000 hommes en Frise, 10.000 dans le Schleswig-Holstein, et engloutit beaucoup plus de 50.000 têtes de bétail ; la grande noyade du 8 sept. 1362, qui anéantit 30 paroisses dans les Iles de Sylt et de Fôhr ; dans la même région, le 25 déc. 1717, furent noyées 10.828 personnes et 90.000 têtes de bétail. Eilker, Die Sturnfluten in der Nordsee, Emden, 1877, p. 8 et s. ; Suess. tr. fr., II, p. 672 ; Marcks, Bonner Jahrbücher, XCV, 1894, p. 35 ; Moritz, Die Nordseeinsel Rœm, dans les Mitteilungen der geographischen Gesellschaft de Hambourg, XIX, 1903, p. 161-3.

[40] Ces raz-de-marée sont attestés comme cause de la migration des Cimbres (Florus, I, 38, 1 ; etc.), et il n’y a aucune raison de ne pas accepter également ces deux traditions, celtique et cimbrique : les mêmes causes ont produit, dans cette région, les mêmes effets, dit justement Marcks (p. 36), qui défend, pour les Celtes comme pour les Cimbres, une solution semblable à la nôtre ; cf. aussi Zippel, Die Heimat der Kimbern, p. 5. Cf., contra, Müllenhoff, II, p. 165-186. Pline (XVI, 2 et 5) parle longuement, à propos de ces pays, des inondations maritimes, qui vastas silvas secum auferunt.

[41] Pline, XVI, 3. Cf. Suess, tr. fr., II, p. 683.

[42] Cf. Appien, Illyrica, 4.

[43] Les géologues du Schleswig-Holstein admettent l’existence d’un formidable flot de marée qui aurait atteint 60 pieds, et aurait traversé la péninsule de part en part, de l’ouest à l’est, pour finir à Kiel (Fack, Die cimbrische Fluth, dans les Mittheil. des Vereins nördlich der Elbe, 1869, p. 10 et suiv.). Chose étrange, ils en fixent, en dehors de toute préoccupation historique, la date entre 1000 et 500, peut-être vers 630 (Fack, p. 24) : serait-ce celui qui fît partir les Celtes ? Cf. encore, à ce sujet, Geinitz, Mitteilungen de Petermann, XLIX, 1903, p. 82.

[44] Cf. Thierry, I, p. 110 et suiv.

[45] D’Arbois de Jubainville, Les premiers Habitants, t. II, p. XVIII, cf. p. 8-9.

[46] Plutarque, Marius, 11.

[47] César, IV, 1, 3.

[48] Fustel de Coulanges, Institutions, II, p. 408 ; peut-être seulement la moitié de ce chiffre (Eunape, Didot, Fr. hist. Græc., IV, p. 31).

[49] Orose, VII, 32, 12.

[50] Tacite, Germanie, 37 ; Strabon, VII, 2, 1.

[51] Jordanès, Getica, 17, 95 et 96. Cf. R. Much, Deutsche Stammeskunde, 1900, p. 124, et, avec une interprétation différente, Bremer, p. 826 (Grundriss de Paul, 2e édit.). L’histoire des nations gauloises nous montrera du reste un très grand nombre d’exemples de dédoublements de ce genre : cf. ch. VIII.

[52] Cf. les textes d’Hérodote, Éphore, Aristote, cités plus haut. Peut-être encore lors du voyage de Pythéas, qui parle de la Celtique à l’ouest de l’Elbe, comme s’il n’y avait plus de Celtes purs au delà. C’est cette longue présence des Celtes sur la mer du Nord qui explique pourquoi, aux IVe et IIIe siècles, on s’habitua à désigner sous le nom de Celtique la future Germanie, entre la mer du Nord, les monts Hercyniens et la Scythie (Éphore, fr. 38, Didot, Fr. hist. Gr., I, p. 243 ; Plutarque, Marius, 11, d’après une source ancienne ; Denys d’Halicarnasse, XIV, 1, de même).

[53] C’est au temps du voyage de Pythéas, je crois, qu’apparaît à l’est de l’Elbe le nom de Belges, regardés comme Scythes (indirectement d’après lui ? Méla, III, 36 et 37) ou Celtoscythes.

[54] Cf. plus loin, ch. X, § 6.

[55] Pythéas arrêta vers l’Elbe la Celtique et y fit commencer la Scythie (Strabon, I, 4, 3 : ch. X, § 6) : je ne suis pas convaincu que ces termes aient été chez lui, qui observait bien, purement conventionnels, et qu’il n’ait pas constaté ou appris l’existence, de l’autre côté du fleuve, d’habitudes ou d’une langue différentes. C’est sans doute à Pythéas et aux géographes grecs ses contemporains, qu’est due l’appellation ancienne de Celtoscythes (Strabon, I, 2, 27 ; XI, 6, 2 ; Plutarque, Marius, 11) : ils désignaient par là des peuples du Nord et du Couchant. Il est donc probable qu’il s’agit de ceux de la région de l’Elbe et il ne serait pas impossible que les navigateurs aient en effet remarqué chez ces peuples un mélange ou un contact de deux populations différentes.

[56] Cf., pour une autre époque, César, VI, 21, 4 et 5.

[57] Strabon, VII, I, 2 : les Romains ont appelé ainsi les Germains, dit-il, germani, voulant dire par là qu’ils étaient de purs Gaulois (toutes réserves faites, bien entendu, sur cette étymologie, cf. Hirschfeld, Kiepert-Festschrift, 1898, p. 266) : le même Strabon, IV, 1, 2, plus net encore : Συγγενεΐς άλλήλοις, si bien que, pour faire le portrait des Celtes, dit-il, il s’aide a la fois des anciennes chroniques et des coutumes des Germains. Les Romains n’auraient pas si obstinément rapproché Celtes et Cimbres-Teutons s’il n’y avait pas eu entre eux de nombreux points de contact (Cicéron, De oratore, II, 66, 266 ; Salluste, Jugurtha, 114 ; Appien, Celtica, I, 2). Je crois bien que Posidonius a le premier comparé ces deux groupes de peuples et noté leurs ressemblances, et que Strabon s’est inspiré de lui. — Vint ensuite César qui, pour les motifs politiques que l’on devine, a marqué surtout leurs contrastes, et qui, sans doute pour faire pièce à Posidonius, a posé en principe (VI, 21) l’opposition entre Germains et Gaulois. — Strabon répondra à César pour défendre son auteur favori, Posidonius. — Les peuples germains n’oubliaient jamais complètement les liens de parenté qui les unissaient à d’autres peuples ; cf. Jordanès, à propos dos Gépides et des Goths (17, 94, 95, 97 ; 23, 133).

[58] Avienus, 129-134. Il semble bien qu’il s’agisse de l’arrivée des Celtes par le rivage flamand et picard : Avienus rappelle plus loin (141-2,145) qu’ils ont suivi cette voie : Sali periculum... marini loci. Si l’on n’accepte pas cette interpolation, il ne reste qu’à supposer ces Celtes arrivant par mer, absolument comme les Saxons et les Normands, et je ne serai pas opposé à cette hypothèse (cf. à ce sujet Martins Sarmento, Ora Maritima, 2° éd., Porto, 1896. p. 69 et s.).

[59] Région décrite par Avienus sans doute sous les traits mythiques des monts Rhipées ou Hercyniens, 135-140. Une autre mention de ces rôles de la Manche, au moment de leur abandon par les ligures, semble se trouver chez Théopompe (par Himilcon ?, fr. 221 a, Didot ; cf. Rev. des Et. anc., 1905, p. 231-2). — On a placé dans des régions bien différentes le lieu de refuge des Ligures : dans les Alpes du sud (Müllenhoff, I, p. 86, qui suppose une interpolation), dans les Pyrénées (d’Arbois de Jubainville, I, p. 270) ; etc. Mais, pour que les Ligures soient revenus si rite, il ne faut pas qu’ils soient allés trop loin. — Quelques indices, du reste fort vagues, peuvent en outre militer en faveur de l’interprétation que nous donnons ici : 1° les terres de Belgique et du Main inférieur sont plus riches que la Celtique et en noms de sources d’origine préceltique et en cultes des matres, chères également à la Gaule du sud-est, demeurée plus longtemps ligure ; 2° César, ce qu’il ne fait pour aucun peuple gaulois, vante les fantassins des Ardennes et cite les frondeurs du Hainaut (II, 17, 4 ; V, 43, 1) : loin cela semble peut-être indiquer, dans ces régions, un fond ligure plus solide, plus persistant.

[60] Comparez la marche de la conquête franque, Tournai, Cambrai et Soissons, par le seuil de Vermandois.

[61] Avienus, 142-145.

[62] Voici comment j’arrive à cette chronologie, d’ailleurs très approximative l’auteur du périple d’Avienus (Himilcon ? ; cf. ch. X, § 1) visita ces côtes vers 500-480 au plus tard : les Ligures y revenaient, il n’y a plus trace de Celtes sur les rivages ; le voyageur ne les connaît que comme un terrible danger, qui a ruiné le pays, mais qui a disparu : l’émigration des Ligures a duré longtemps, diu, je suppose une ou deux générations.

[63] Remarquez que, de même, les Cimbres n’ont jamais songé, après avoir quitté l’Océan, à s’installer sur les bords de la mer.

[64] César, I, 1 ; Tite-Live, V, 34, 1-2.

[65] Rèmes et Suessions de l’Aisne furent plus tard regardés comme des Belges ; mais je crois que ces deux noms embrassaient aussi des tribus de Celtes de la première invasion, celles de la ligue belge qui, au dire de César, ne revendiquaient pas une origine germanique, c’est-à-dire qui n’étaient pas arrivées d’outre Rhin avec le gros des Belges (César, II, 4, 2) au reste, à moins d’entendre par Galli des Ligures (ce qui n’est pas impossible), il y avait des Celtes en Belgique avant l’arrivée des Belges proprement dits (II, 4, 2). Les Rèmes et les Suessions leurs parents (II, 3, 5) possédaient les meilleures terres de la Belgique et les plus méridionales, au sud de la grande forêt, et c’étaient, semble-t-il, les plus civilisés. — Il ne serait pas non plus impossible que les Volsques du Midi ou les Boïens fussent originaires de la région de la Marne (cf. ch. VIII, § 2-4 et 6).

[66] Cf. chapitre VIII, § 6 et 9.

[67] Les deux Périples d’Avienus, celui de la mer Extérieure et celui de la mer Intérieure, ne mentionnent les Celtes que sur les rivages de la Belgique et pour nous dire qu’ils n’y sont plus (134) ; les indigènes de la mer de l’étain ou de Bretagne sont de hardis marins (98-102), mais non des Celtes.

[68] Le seul renseignement que nous possédions sur un partage ou un choix de terres à la suite d’une invasion celtique concerne les Sénons de l’Adriatique (Diodore, XIV, 113, 3).

[69] Le souvenir de l’existence en Gaule d’une population conquise et d’une population conquérante parait se trouver chez Ammien ou Timagène, chez Diodore (IV, 19, 2), et chez Lucain les deux premiers texte semblent inspirés par une tradition gauloise.

[70] Diodore, V, 39, 6.

[71] Avienus, 134 et 135.

[72] Celles qui se placent entre l’arrivée des Celtes et le départ des neveux d’Ambigat.

[73] En réalité Gallophrygiens, cf. Tite-Live, XXXVIII, 17.

[74] Cf. ch. VIII et IX ; Strabon, I, 2, 27 ; XI, 6, 2 ; VII, 3, 2 ; VII, 5, 2 ; IV, 6, 10.

[75] Ch. VIII, § 6. — Voyez de même ce qui s’est passé en Belgique : les Aduatiques étaient une bande de 6.000 Cimbres et Teutons (César, II, 29, 4), et, cinquante ans après leur installation, ils donnaient leur nom à une tribu ou peuplade compacte de pris de 100.000 hommes (II, 4, 9 ; 33, 5-7), parfaitement incorporés dans les Gaulois de la Belgique.

[76] Notre tome II.

[77] Je me sers, pour dresser cette liste, du récit de Tite-Live (V, 34-35), emprunté aux traditions celtiques, et confirmé d’ailleurs par tout ce que nous verrons (t. II) des institutions de la Celtique proprement dite, qui dénotent des peuples plus stables, plus anciennement formés que ceux du reste de la Gaule.

[78] Tite-Live, V, 34, 1 et 5 ; cf. César, VII, 13, 4.

[79] Tite-Live, V, 34, 5.

[80] Tite-Live, V, 34, 5. Les Éduens peut-être, en tout cas les Celtes au sud de la Seine sont appelés Celtorii par Plutarque, Camille, 13.

[81] Tite-Live, V, 34, 5 ; 35, 2.

[82] Tite-Live, V, 34, 5, et peut-être 35, 1 ; cf. César, I, 11, 4 ; Holder, I, c. 114.

[83] Tite-Live, V, 34, 5 ; V, 35, 2 ; cf. Plutarque, Camille, 15 ; avec leur dépendance les Parisiens, César, VI, 3, 5. Remarquer que la liste que nous donnons n’embrasse que les peuples éloignés de la mer, ce qui justifie ce que nous avons dit plus haut.

[84] Je crois que les Volsques ont été une nation établie primitivement va Gaule même : ce qui explique leur présence et dans la migration du Danube (César, VI, 24. 2) et dans la région de la Garonne. Peut-être leur domicile primitif a-t-il été dans les vallées du Doubs, de la Saône et de la Marne (dans le futur domaine des Rèmes et des Séquanes ?), vallées intermédiaires entre leurs deux domaines extrêmes de Languedoc et de Bavière.

[85] Peut-être le domicile gaulois des Boïens est-il la haute vallée de la Saône et du Doubs ou de la Marne (Rèmes, Séquanes de plus tard ? cf. n. précéd.) ou même la région helvète. Ce qui expliquerait : 1° qu’ils se soient dirigés à la fois vers l’Italie et vers le Danube ; 2° que Tite-Live nous les représente comme associés aux Lingons et franchissant avec eux le Grand Saint-Bernard (V, 35, 2).

[86] Voyez t. II, ch. I, § 4, où cette question sera étudiée.

[87] Même transformation dans la vie politique de la Bretagne après la conquête gauloise, ch. VIII, § 9.

[88] On peut rependant, à ce sujet, faire une réserve. De la même manière que le nom de Cimbres, qui était celui de la nation la plus forte du groupe des envahisseurs, semble être étendu à d’autres tribus associées mais de nom différent (Strabon, II, 3, 6 : cf. Zippel, p. 12), il serait de même possible qu’il y ait eu à côté de Celtes, des peuplades à autre nom, et que Boïens et Volsques, par exemple, fussent de celles-là : cf. chez Plutarque (Camille, 15) le nom de Celtorii limite aux peuples de la région au sud de la Seine, les Semons n’étant pas compris sous ce nom.

[89] Celticum. Tite-Live, V, 34, 1 et 2. Il est possible que les Gaulois aient eu l’usage de donner leur nom à la région qu’ils occupaient : cf. Boihæmum (Strabon. VII, 1, 3 ; Velleius, II, 109, 3 ; Tacite, Germanie, 28).

[90] T. II, ch. IV, 3 et 4, et ch. XIII.

[91] Tite-Live, V, 34. Le mythe hellénisé, mais indigène d’origine, d’Hercule fondateur d’Alésia et maître de toute la Celtique (Diodore, IV, 19, 1-2), peut être une allusion à cette royauté générale.

[92] La date finale nous est fournie par les synchronismes établis par Tite-Live (V, 34, 1) et par Justin (XLIII, 5, 4-8) : l’attaque des Salyens contre Marseille, l’invasion de l’Italie, la prise de Rome. La mention initiale que donne Tite-Live (Prisco Tarquinio) provient d’une confusion (de lui ou de sa source ?) avec la date de la fondation de Marseille, qu’on croyait contemporaine de ces évènements.

[93] Je ne vois pas pourquoi on refuserait de croire que les Celtes aient débuté en Gaule par une royauté générale, alors que tant de nations barbares de l’occident ou du Nord ont commencé de même : les Ibères, Tartessus, les Daces (dont l’histoire offre avec celle des Celtes tant de points de contact), les grandes peuplades de la Scandinavie ou de la Germanie (Tacite, Germanie, 43 et 44). Vraiment, ce serait pousser le scepticisme trop loin que de rejeter entièrement l’histoire d’Ambigat, alors qu’elle cadre, sur tant de points, avec ce que nous savons et des Gaulois et des peuples de l’ancienne Europe.