HISTOIRE DE LA GAULE

TOME I. — LES INVASIONS GAULOISES ET LA COLONISATION GRECQUE.

CHAPITRE V. — LA FONDATION DE MARSEILLE[1].

 

 

I. — IMPORTANCE DU SIXIÈME SIÈCLE.

Ce fut de la Grèce que l’esprit souffla d’abord sur les terres ligures de la Gaule : elles ne se rattachèrent à l’histoire générale du monde[2] que lorsque les Phocéens débarquèrent à Marseille, vers l’an 600 avant notre ère.

Le sixième siècle vit se passer quelques évènements qui furent décisifs dans la destinée des peuples méditerranéens.

C’est alors qu’apparurent les villes, les idées et les empires auxquels ces peuples devront obéir plus tard, et qui les transformeront en un monde compact et une civilisation homogène. — L’Empire perse fut constitué par Cyrus et Cambyse : pour la première fois, du moins à notre connaissance, le rêve d’une monarchie universelle sortit des vallées des fleuves orientaux et gagna les bords et les îles de la mer Intérieure : villes et ligues égéennes s’habituèrent peu à peu à l’idée impériale. — Mais en même temps, la marine grecque revendiquait pour elle l’héritage de la thalassocratie phénicienne ; et si Carthage grandissait en Occident, les marins de l’Ionie y pénétraient à leur tour, et avec eux ces dieux, ces poèmes homériques, ces mythes et ces formes d’art qui ont soumis tous les rivages, d’Alexandrie à Marseille, au culte de la pensée hellénique. — Enfin, sons l’action puissante de ses dynastes étrusques, Rome devient une très grande ville, et s’apprête à tirer profit de sa situation au centre de l’Italie.

Mais c’est également alors que les peuples du Nord descendent contre ceux du Midi en masses conquérantes. L’invasion celtique est contemporaine du règne de Cyrus : et elle est la première connue de ces grandes migrations d’hommes qui retarderont l’unité méditerranéenne, et qui la détruiront ensuite[3].

 

II. — LES PHOCÉENS DANS LA MÉDITERRANÉE OCCIDENTALE[4].

De ces nouveaux maîtres, les Phocéens parurent les premiers sur les rivages de la Gaule[5]. Ils furent, des Grecs de la mer, ceux qui eurent le plus d’audace et qui allèrent le plus loin. L’exiguïté de leur territoire et la sécheresse de son sol les obligeaient à vivre de pèche, de commerce et de piraterie[6]. Mais le Pont-Euxin, la mer Égée, la Grande-Grèce, la Sicile, se trouvaient prises par des rivaux : seule, la Méditerranée occidentale était encore libre de toute influence hellénique. Ce fut vers le couchant que les Phocéens se dirigèrent.

Les premiers d’entre les Grecs, ils se risquèrent délibérément[7] dans les parages de la mer de Sardaigne[8]. Jusqu’au septième siècle, les Hellènes avaient laissé ces eaux et ces rives aux plus anciens peuples de la tuer. Le seul Grec qui y fût venu était le marin légendaire, Ulysse : et il y était venu malgré lui, en vagabond et non en conquérant ; de ses aventures sur les (lots de l’Occident, il n’avait rapporté que le souvenir d’effroyables dangers et de séductions pires que des périls : Circé l’enchanteresse sur les cotes italiennes[9], les Lestrygons cannibales dans les anses du nord de la Sardaigne[10], Calypso enfin aux abords du détroit de Gibraltar[11] : plus il s’était approché du fleuve Océan, plus il avait éprouvé la crainte de la mort, la force traîtresse des dieux, la méchanceté des hommes, et l’âpre désir du retour.

Les Phocéens rompirent les charmes de Circé et de Calypso, gardiennes des routes du nord et de l’ouest, et ils doublèrent victorieusement les caps et les îles où ces déesses avaient arrêté jusque-là les entreprises des Grecs[12].

Outre l’esprit d’aventure et l’amour du gain qu’ils partageaient avec tous les Grecs, les habitants de Phocée l’Asiatique possédaient des aptitudes spéciales pour l’art des constructions navales[13]. Ils avaient choisi le genre de vaisseau propre aux navigations lointaines. Au bateau ionien à la coque arrondie, masse lourde, lente, toujours pesamment chargée, ils préféraient le navire long, étroit et léger, à l’éperon menaçant, à la coupe svelte, monté et lancé par une équipe de cinquante rameurs[14] : ce qui fit une révolution dans la vie de la Méditerranée. Le bâtiment phocéen n’était plus simplement une grande barque de transport : c’était une machine faite pour la vitesse[15], l’attaque, la lutte et les coups de main, obéissant avec une sûreté parfaite à l’ordre qui la dirigeait. Il fut seul capable de se mesurer avec les pirogues rapides qui sillonnaient les rivages de l’Occident : on avait en lui l’instrument nécessaire aux explorations hasardeuses, aux longues traites loin des côtes, aux pirateries soudaines, à la stratégie des batailles maritimes. C’était une flotte de conquête que préparaient les Phocéens.

Quand ils se montrèrent dans le bassin occidental de la Méditerranée, à la fin du septième siècle, trois ou quatre marines s’y partageaient les bénéfices de la pèche, les revenus du trafic, les gains du brigandage[16]. Toutes les côtes septentrionales, au nord du cap de La Nao, des Baléares et de l’Arno, étaient laissées aux indigènes, Empire ibérique ou tribus ligures. L’Empire étrusque, qui s’étendait au sud de ce dernier fleuve jusque dans les fertiles plaines de la Campanie, dominait sans rival sur les eaux de la mer Tyrrhénienne[17]. Du cap de La Nao jusqu’au cap Saint-Vincent[18] régnaient les rois de Tartessus ou de Cadix, débarrassés, depuis la ruine de Tyr, de l’influence ou de la concurrence phénicienne[19]. Au sud et à l’est de l’Espagne apparaissaient aussi les flottes de Carthage : elle avait occupé le midi de la Sardaigne[20] et les îles Baléares (654-3 ?)[21] ; elle menaçait les rivages espagnols ; elle montrait l’ambition de reprendre dans l’extrême Occident le rôle de Tyr, et de tourner à son profit la gloire et la grandeur de Cadix. D’un bout à l’autre de la Méditerranée, dans la Lydie des Mermnades et l’Égypte de Nécho[22], dans la Rome des Tarquins étrusques et l’Andalousie d’Arganthonios, s’agitait partout une vie marchande d’une incroyable énergie. Il semblait que les grands États du septième siècle portassent leurs efforts vers les conquêtes pacifiques de débouchés nouveaux, et missent leur ambition dans la richesse, le travail et le trafic[23]. Les Phocéens firent à leur tour ce rêve de fonder un empire commercial.

Ils songèrent d’abord, eux aussi, à Cadix, l’incomparable Tartessus[24]. Cadix aux flottes innombrables. était le point de départ des navigations sur l’Océan, vers les marchés de l’étain et de l’ambre. Puis, elle régnait sur l’Andalousie, la seule des terres lointaines où fussent réunis tous les biens qui allument les convoitises des peuples : moissons et vendanges, métaux précieux et métaux de guerre, bestiaux, gibiers et pêcheries, entassaient dans la ville et la terre de Tartessus d’inépuisables richesses[25]. Comme pour accroître son prestige, Cadix s’ouvrait sur la mer Extérieure, vers le sud et vers l’ouest à la fois, à la fin des terres et à la fin des hommes : elle paraissait un refuge du bonheur consenti par les dieux à l’extrémité du monde des humains[26]. Elle appartenait maintenant à une dynastie très ancienne, de rois doux et accueillants, puissants sur terre et sur mer[27]. D’émouvants récits circulaient, dans les havres méditerranéens, sur le roi de Tartessus, Arganthonios, le plus heureux, le plus riche, le plus vieux des hommes, que les dieux laissaient vivre éternellement, comme Calypso sa voisine[28].

La richesse réelle et la renommée fabuleuse de l’Espagne, la situation écartée et détournée des rivages de la Gaule, ont fait que, dans les grandes périodes de l’histoire antique, celle-là apparaît toujours plusieurs siècles avant sa voisine pyrénéenne. Elle l’a toujours précédée dans la vie civilisée. Le premier texte qui concerne l’Espagne mentionne, onze siècles avant l’ère chrétienne[29], la fondation d’une colonie tyrienne à Cadix, et c’est 500 ans plus tard qu’une date et qu’un nom de ville se fixent enfin, avec Marseille, sur le sol de la Gaule. — Et même, à la fin du septième siècle, il s’en fallut de bien peu que les Grecs, retenus par les séductions de Tartessus, ne fussent pour longtemps distraits des rivages ligures.

Les Phocéens allèrent donc vers Cadix. Ils dépassèrent la grotte de Calypso, fille de l’Atlas, ils franchirent le détroit, ils débarquèrent et séjournèrent en Andalousie. Arganthonios les accueillit avec sa générosité coutumière : ils se firent aimer de lui, il leur donna tout l’argent qu’ils purent désirer, et leur offrit les terres qu’ils voudraient choisir[30] (entre 620-601 ?[31]).

Mais les Phocéens ne s’établirent pas à demeure dans la région du Guadalquivir. Aucune colonie ne fut fondée par eux dans les parages de l’Océan. Après avoir séjourné quelque temps à Tartessus, ils revinrent vers la Méditerranée.

Il est probable qu’une force majeure les éloigna de Cadix. Carthage dut suivre à la piste ces rivaux si rapides et si dangereux, et, le moment venu, leur fermer, par une guerre ou par une convention, le détroit de Gibraltar et l’accès des terres bienheureuses[32] (vers 601 ?).

Les Phocéens refluèrent vers la nier Intérieure. Mais ce ne fut pas encore droit au nord qu’ils se dirigèrent. Suivant les jalons déjà marqués par des colonies grecques, ils longèrent les côtes occidentales de l’Italie. Au delà de Cumes, ils rencontrèrent les terres neuves des pays étrusques ; aucun charme ou aucune défense ne les empêcha de doubler le cap de Circé ; ils entrèrent dans le Tibre, et, de même qu’en Espagne avec Arganthonios, ils eurent avec Tarquin l’Ancien des colloques d’amitié et de trafic[33].

Mais la place, dans la vallée du Tibre, dans les mers de Corse et de Toscane, était prise par les Étrusques, grands coureurs de routes maritimes, marchands aussi habiles, pirates plus redoutables que les gens de Carthage. Les Phocéens allèrent plus loin encore, vers l’inconnu des rives ligures[34].

Ils reconnurent enfin la rade de Marseille, spacieuse et bien abritée, voisine d’un vallon fertile[35] ; à moins de deux cent cinquante stades de là, débouchait un grand fleuve, aussi large, aussi ouvert que le Tibre. La mer paraissait riche en poissons, les indigènes, nombreux et accueillants ; le climat était doux et le ciel limpide[36]. On n’avait pas à redouter, dans ces pays ligures, le contact d’un empire indigène, comme ceux de Rome et de Tartessus. Les concurrents dont les Phocéens avaient croisé les barques sur les rives de l’Espagne et de l’Étrurie, se hasardaient en moins grand nombre dans ces eaux. Le port de Marseille, proche du Rhône, rappelait celui de Cadix, proche du Guadalquivir : tous deux étaient les vestibules des longues plaines qui ouvraient vers le nord des espérances infinies.

Les Phocéens saisirent en Provence l’occasion qu’ils avaient manquée en Espagne et en Italie. La reconnaissance achevée par ses marins, Phocée organisa le départ d’une colonie (vers 600)[37].

 

III. — RÉCIT TRADITIONNEL DE LA FONDATION DE MARSEILLE[38]

Voici comment les Marseillais racontaient, deux ou trois siècles plus tard, l’histoire de la fondation de leur cité[39].

La résolution, prise par les hommes, devait être soumise aux dieux. Elle était d’une exceptionnelle gravité. Pour la première fois, Phocée établissait ses enfants à l’extrémité de la terre, les exposait à des nations barbares, à des concurrents bien armés, à l’incertitude de l’avenir. Il fallait leur assurer à jamais, sur les vaisseaux et dans leurs futurs domaines, l’inébranlable protection des divinités les plus hautes. Les tutelles et les génies de la cité ne suffisaient point. Un oracle invita les Phocéens à consulter l’Artémis d’Éphèse, et à lui demander le guide qui devait les conduire dans leur nouvelle patrie[40].

Artémis était alors la plus grande déesse de l’Asie antérieure et la protectrice des Grecs de l’Ionie. Ce nom hellénique dissimulait, dans ces régions, l’Esprit de la Terre féconde, la Mère aux nombreuses mamelles[41], créatrice et nourricière de tous les dieux et de tous les hommes, la plus puissante et la plus ancienne des forces souveraines[42]. Mais, si son empire était infini, son sanctuaire d’Éphèse passait pour celui d’où elle préférait gouverner les hommes[43].

Une pieuse mission s’y rendit de Phocée[44]. Les députés s’informèrent auprès des prêtres de la déesse, et sollicitèrent d’elle une réponse et un guide. Artémis, à son ordinaire, choisit une femme pour lui révéler sa volonté. Une nuit, dans un songe, elle apparut à Aristarché, noble matrone d’Éphèse, et, debout près d’elle[45], lui ordonna de prendre une de ses figures sacrées, de se joindre aux Phocéens, et de les suivre, elle et l’image qu’elle porterait. Aristarché obéit[46]. D’Ephèse, les émigrants qui allaient partir virent venir spontanément à eux, accompagnée par la plus digne des prêtresses, la divinité qui devait les diriger jusqu’aux bords lointains des Ligures. Là-bas, comme en Ionie, la Terre maternelle les protégerait.

Ils partirent donc, sous la direction de deux chefs, Simos et Protis : celui-ci était un des puissants marchands de Phocée, et il fut désigné, semble-t-il, pour devenir le fondateur et le héros de la nouvelle colonie[47]. Aristarché était avec eux, déjà sans doute comme prêtresse publique d’Artémis[48]. La future cité voguait vers le couchant.

On débarqua à Marseille même. Le pays appartenait à une tribu ligure, celle des Ségobriges, qui obéissait au roi Nann[49]. Quand Simos et Protis arrivèrent auprès de lui, c’était fête chez les Barbares. Nann, ce jour-là, mariait sa fille Gyptis : tout était à la joie et à la paix. Du reste, cette sorte d’étrangers ne devait pas lui être inconnue[50]. Il fit bon accueil aux Phocéens, et les invita au festin nuptial[51].

C’était à la fin du banquet que Gyptis[52], suivant l’usage de son peuple, choisirait son époux. Tous les prétendants[53] étaient là, chefs sauvages de la tribu ou des tribus voisines. Les Grecs se réunirent à eux : Phocéens et Ligures fraternisèrent dans la liberté du repas.

La jeune fille parut ensuite[54]. Elle tenait à la main une coupe pleine d’eau pure[55]. Son père l’invita à l’offrir à celui qu’elle agréerait comme fiancé. Gyptis alors, soudainement inspirée par un dieu, passa prés des Barbares sans prendre garde à eux, s’arrêta devant les Grecs, et tendit la coupe à Protis.

Le bon roi Nann, à cette vue, reconnut une volonté divine un Esprit avait guidé sa fille, il devait ratifier le choix de Gyptis[56]. Il accepta Protis pour gendre, et donna des terres aux Grecs à l’endroit où ils avaient débarqué[57].

Protis et Gyptis, devenus époux, demeurèrent ensemble, et prirent des noms de bon augure, qui rappelaient leur miraculeuse aventure : ils se nommèrent Euxenos et Aristoxena, l’hôte bienvenu et la plus hospitalière des femmes[58]. Une ville grecque fut fondée sur le rivage, l’Artémis venue d’Éphèse reçut le principal sanctuaire, et Aristarché présida à son culte comme grande-prêtresse[59] (598 ?[60]).

 

IV. — CE QU’ON PEUT PENSER DE CE RÉCIT.

C’est par ce récit que s’ouvre l’histoire connue de la Gaule. Des deux cents colonies que les Grecs ont bâties, aucune ne commença sous de plus aimables auspices. Les origines de Marseille sont enveloppées de piété paisible et de grâce féminine. Un songe envoyé par les dieux protège l’exode des Phocéens, une inspiration divine leur assure une nouvelle patrie ; le geste d’une femme grecque les conduit hors de l’Asie, le geste d’une vierge barbare leur donne la terre souhaitée. Entre les espérances du départ et la sécurité de la fondation, se place le joyeux épisode de l’accueil, du banquet et des fiançailles, cette fraternité d’un jour sous un ciel clair et bleu, en face d’une mer d’azur, au pied d’élégantes montagnes aux teintes violettes, dans le cadre d’une nature sœur de l’Ionie lointaine[61].

Je souhaite tellement d’avoir le droit de croire à la véracité de tout ce récit que j’ai peur d’être influencé par ce désir en exposant les raisons qui permettent de la soutenir. Les voici pourtant[62]. — Il nous est venu par Aristote, qui écrivait deux siècles et demi après l’événement, et cet espace de temps ne suffit pas, chez des hommes qui écrivent, pour faire disparaître le souvenir d’un fait important. — Les circonstances qui entouraient la fondation d’une ville étaient, au surplus, soigneusement notées par les Anciens et fidèlement conservées dans leurs annales ou leur mémoire. Ce qui s’oublia le moins, chez les Phocéens de Marseille et les descendants de Protis, ce furent les incidents auxquels la cité et la famille durent la vie[63]. — Ces faits eux-mêmes ne sont-ils pas frappants de vérité ? Les attitudes prêtées à ces personnages n’ont-elles pas la simplicité hiératique des époques reculées, de la Grèce primitive et de la Barbarie ligure ? Que les Phocéens aient consulté Artémis, qu’elle ait répondu par un songe, qu’une matrone d’Éphèse les ait accompagnés comme prêtresse, tout cela s’accorde avec le rituel des fondations coloniales : une ville neuve ne s’élevait pas sans l’assentiment des dieux, et la cité-fille avait chez elle l’image et le prêtre envoyés par la patrie-mère[64]. Que les Ligures eussent bien accueilli les Grecs, rien n’était plus naturel : les Barbares des rivages étaient habitués à ces descentes de marchands, et des marins de Phocée, sans doute, étaient déjà venus à Marseille.

Reste le tableau de Gyptis tendant à Protis le fondateur la coupe des fiançailles[65]. Mais comme il est conforme à cette invincible admiration que les Barbares de tous les pays ont eue pour les hommes arrivés de très loin ! Chez les Celtibères, qui ressemblaient aux Ligures, tout étranger passait pour un dieu ou un protégé des dieux, et c’était à qui le recevrait sous son toit[66]. Quand la fille du roi des Phéaciens, Nausicaa, aperçut Ulysse éblouissant de grâce et de beauté, elle s’écria : Oh ! si, demeurant ici, un tel homme était appelé mon époux ! s’il lui plaisait de rester ![67] Gyptis, ayant reçu le droit de choisir, retint Protis auprès d’elle. Elle est, dans le monde antique, la sœur ligure de la fille d’O-Taïti et des épouses de Loti. Que de vierges sauvages, placées entre des guerriers de leur sang et un mystérieux étranger, tendront à l’inconnu le breuvage d’alliance[68] !

A la rigueur pourtant, l’histoire peut sacrifier l’épisode du banquet et de l’offre virginale. Les Grecs étaient si habiles à tisser des fictions ! Ils ont si bien su, dans leurs récits des choses anciennes, transformer en gracieuses idylles des scènes brutales ! Ce qui s’est passé entre le roi Nann, Protis et Gyptis, se ramène peut-être à un de ces misérables marchés dont sont coutumiers les despotes des tribus sauvages : pour quelques objets de pacotille, le roi ligure a pu vendre au marchand grec une de ses filles et quelques terres[69]. Mais ce qui, dans ce récit, demeure hors de doute, ce que symbolise l’offre de la coupe au fondateur, c’est que les Ligures, chefs et femmes, ont accueilli avec joie les nouveaux-venus, et qu’ils se sont confiés ou livrés à eux.

 

V. — TOPOGRAPHIE DE MARSEILLE[70].

La ville grecque de Marseille (Μασσαλία) fut fondée sur la rive septentrionale du port du Lacydon[71]. Ce n’était que de ce côté que le terrain présentait l’assiette d’une cité régulière, solide, et dominant la mer[72]. A l’est, au fond de la rade, s’étendaient des terrains bas et marécageux ; au sud, sur l’autre rive du port, s’élevaient de très hautes collines, aux flancs escarpés, aux cimes aiguës et inégales[73]. Mais au nord, les montagnes du rivage s’abaissent graduellement, comme de palier en palier, et la dernière de leurs buttes, celle de Saint-Laurent, avance son sommet, aplani en terrasse[74], à l’entrée de la passe étroite qui ouvre le Lacydon. Presque de toutes parts, les eaux environnent cette butte, semblable à la proue d’un navire ponté : elle a le port au midi ; elle a, de l’autre côté, la haute mer[75], dont le bord se replie sur lui-même pour entrer une fois encore dans l’intérieur des terres (anse de l’Ourse[76]) ; et enfin, au nord et au sud, les bas-fonds ou les marécages (Joliette, Canebière) continuent la ligne marquée par les deux rades. La plate-forme qui couronne la butte s’élève peu à peu, de 24 à 38 et à 42 mètres[77] ; la colline elle-même n’est réunie à la terre ferme que par un seuil très étroit, haut de 26 mètres à peine, qui est comme un long pont de pierre[78]. — Ces mamelons solides en forme de presqu’île furent toujours les emplacements souhaités par les fondateurs des villes maritimes : de leur sommet on guettait au loin les routes des eaux et on méprisait les assauts des pirates. A ce point de vue encore, la butte marseillaise avait d’autres avantages. Le flanc le moins accessible était le plus exposé, je veux dire le plus extérieur, celui qui regardait la haute mer : de ce côté, la colline finissait brusquement sur le rivage, en une falaise presque à pic, et cela faisait une garde et une citadelle de premier ordre[79]. C’était au contraire à l’intérieur, le long du port, que se trouvaient les pentes douces, toute une suite de gradins faciles, où pouvaient s’étager maisons et ateliers, à portée de l’eau, et abrités par le sommet contre les rafales du Mistral.

Ce fut donc sur la terrasse de la butte que s’éleva l’Acropole ou la Ville Haute, citadelle et cité sainte tout à la fois, avec ses deux grands sanctuaires d’Apollon Delphinien et d’Artémis Éphésienne[80]. Celui-ci, qui renfermait l’image sacrée venue d’Asie, était à l’angle même de la plate-forme, à cet éperon du nord qui dominait la mer et l’anse de l’Ourse[81] : la première chose de Marseille qu’apercevaient de loin les marins était ce temple d’Artémis, avant-garde et souverain de la cité hellénique. Sur les flancs méridionaux s’installa la ville des marchands, la Plaine, disait-on, inclinant vers le port ses rues étroites et ses demeures pressées, comme les secteurs et les degrés d’un vaste théâtre[82]. Un rempart enveloppait les deux quartiers, suivant la ligne du port[83] et le rebord maritime de la terrasse, bloquant (du côté de la place Centrale) le seuil du passage vers le dehors, achevant ainsi de couper la butte et de séparer la ville de son voisinage. Les marécages et les terres basses qui bordaient par endroits la colline furent creusés en fossés, qu’on maintint toujours remplis d’eau. Marseille fut presque aussi isolée sur son promontoire rocheux que Tyr et Cadix dans leurs îles[84].

Ce n’était pas une très grande ville. Le pourtour de la cité ne dépassait pas 2.500 mètres[85]. Mais ce furent les dimensions ordinaires des anciennes colonies grecques, bâties pour commercer et non pour conquérir, entrepôts de marchands et non capitales d’empire[86].

Les Phocéens, à l’origine, ne prirent pas autre chose que leur port, leur enceinte sacrée, et quelques terres pour leurs morts[87]. Ils laissèrent les Barbares dans les collines des alentours : de l’autre côté de la chaussée naturelle qui unissait Marseille aux terres voisines, s’élevait, à peu près à la même hauteur que l’Acropole, la butte carrée des Carmes, semblable et symétrique à celle qui portait la ville : il semble qu’un campement ou un marché des Ligures y demeurât installé, à portée de leurs amis de la cité[88].

 

VI. — PREMIERS RAPPORTS AVEC LES INDIGÈNES.

Entre Grecs et Barbares, les rapports furent longtemps amicaux[89]. Tant que vécut le roi Nann, disait la tradition, les deux peuples restèrent fort unis. Les jours des fêtes helléniques, les portes de Marseille demeuraient ouvertes, et les jeunes Ligures entraient dans la ville en hôtes fidèles ; des chariots chargés de feuillages et de jonchées descendaient de la montagne vers les maisons des Grecs. Indigènes et Phocéens se réjouissaient à l’unisson, comme au banquet du mariage de Gyptis, et les Barbares apprenaient à connaître les charmes, nouveaux pour eux, du vin et de son ivresse[90]. L’exemple donné par la fille du roi était suivi : une autre femme de la famille royale se fit la concubine d’un jeune Phocéen, séduite par sa beauté[91]. Les Grecs ne répugnaient point à s’allier avec les femmes indigènes, d’autant plus qu’ils n’étaient pas éloignés d’elles par ces contrastes physiques qui séparent si profondément les Européens des êtres de l’Afrique ou de l’Extrême-Orient. Jeunes, vigoureux, libres sans doute pour la plupart[92], les émigrants de Phocée purent prendre pour modèle Hercule, leur précurseur mythique, qui avait inspiré des amours et laissé des rejetons sur tous les rivages du monde, depuis la Scythie où il se résigna à la monstrueuse Échidna[93], jusqu’au Roussillon où il abandonna la plaintive Pyréné[94]. Il naissait d’ordinaire de ces unions une race de métis fort bien douée, intelligente, active, adroite, rompue aux affaires et aux ruses de tout genre[95]. Un peuple gréco-ligure se préparait donc à Marseille, à la faveur de la paix et de mariages sommaires[96].

L’accord fut rompu à la mort de Nann, et les annales marseillaises disent que tous les torts furent du côté ligure. On peut les croire. Les Grecs n’eurent jamais du goût à combattre les indigènes ; ils se protégeaient contre eux, mais ne les provoquaient pas. L’histoire de leurs colonies est inspirée d’un vif désir de vivre d’accord avec les Barbares. En revanche, celle des peuples ligures n’est qu’une longue suite de brigandages : ils vivaient, quand ils trouvaient la matière de pillages, en bandits de sentiers ou en écumeurs de la mer. Marseille pouvait les gêner sur les routes d’eau et de terre[97] ; elle était, d’ailleurs, une proie très enviable. Ils se décidèrent à l’assaillir.

Comanus[98], fils et successeur de Nann, réunit les roitelets des environs[99]. On devait profiter d’un jour de fête[100] pour entrer dans la ville par surprise. Mais une femme barbare, maîtresse d’un jeune Grec, éventa le complot. Les Phocéens sortirent en armes, attaquèrent les indigènes à l’improviste, et firent un copieux massacre de ces sauvages fort mal armés. Puis, ils décidèrent de laisser leurs portes incessamment fermées[101], de surveiller de très près les étrangers pendant les fêtes, et de maintenir éternellement Marseille en état de combat[102] (entre 598 et 568).

La colonie de marchands se transformait en place de guerre, toujours sur le qui-vive. Elle s’isola du milieu des Barbares[103] : l’incorrigible banditisme des Ligures l’obligea à rester fidèle au pur hellénisme, à ses traditions nationales, et aux unions sans mésalliance. — L’arrivée d’un nouveau ban de colons accrut, sur ces entrefaites, la puissance militaire et les éléments grecs de la nouvelle cité.

 

VII. — LA THALASSOCRATIE PHOCÉENNE[104]

La création de Marseille n’a été qu’un épisode dans l’histoire de l’empire des Phocéens ; si cette ville devint la plus célèbre de leurs colonies, et la seule qui fût destinée à la toute-puissance, c’est par suite de faits historiques que ses fondateurs n’ont ni prévus ni provoqués[105].

Pour eux, le Lacydon était simplement un point d’appui vers la conquête de la Méditerranée occidentale. Ils rayonnèrent de là au levant et au couchant, sur les mers que détenaient les marines rivales de l’Étrurie et de Carthage.

C’est du côté de l’ouest et de l’Espagne qu’ils se portèrent d’abord. L’accès des mines de la péninsule leur était interdit par la route du midi, celle de Cadix et du grand fleuve andalou : ils tentèrent d’y arriver par les rivages de la Méditerranée. Une ligne de colonies ou de comptoirs fut disposée de Marseille jusqu’à l’extrême sud. — Cela ne se fit pas sans combats. Les Carthaginois, établis dans les eaux des Baléares, voulurent repousser leurs concurrents du nord et de l’est de l’Espagne ; comme ils les avaient écartés du détroit. Mais les Phocéens étaient armés en guerre. Ils furent vainqueurs dans plusieurs rencontres, vers le temps même où ils fondaient Marseille[106]. Les rivages des mers de Narbonne et de Catalogne étaient à leur disposition (598-541)[107].

Le Rhône était la première grande voie qu’on rencontrait à gauche de Marseille. A la pointe où le fleuve se séparait en deux bras, Arles offrait un excellent port naturel, à portée de bois profonds, situé au pied d’un léger mamelon qui dominait de vastes étendues et des arrivées de routes sans nombre : c’était déjà, sans doute, un rendez-vous d’échanges entre tribus barbares. Si on voulait que Marseille devînt une très bonne place de commerce, il lui fallait une succursale dans le principal carrefour des plaines méridionales. Des Grecs s’installèrent sur la butte arlésienne, qui fut, dans leur langue, nommée Theline, la mamelle[108].

Plus à l’ouest, s’ouvrait la vallée de l’Aude : mais la présence du fier royaume des Élésyques empêcha sans doute les Phocéens et les Marseillais de s’établir à demeure à Narbonne[109]. — Ils furent plus libres dans les anses hospitalières du Roussillon : les indigènes y avaient un grand marché permanent qu’ils appelaient Pyréné (Port-Vendres ?) ; il s’ouvrit aux Grecs, qui, sans y établir de colonie, y vinrent trafiquer fort souvent. Pyréné devint la filiale barbare du négoce marseillais ; peut-être recevait-elle par les voies les plus directes les métaux des deux versants de la montagne, et les richesses qui y affluaient la rendirent vite célèbre dans tout le monde grec[110].

Au sud des montagnes, les Grecs surent également se saisir des points stratégiques du commerce avec l’intérieur[111]. Ils fréquentèrent Barcelone, la Belle Fille, Kallipolis[112] ; ils connurent l’embouchure de l’Ebre[113] ; ils s’arrêtèrent près de celle du Jucar, où ils élevèrent, au sud de Valence, la Sentinelle du Jour, Hemeroskopion[114]. Même, on les vit doubler les trois grands caps de La Nao, de Palos et de Gata ; et enfin, plus heureux et plus audacieux encore, ils fondèrent une colonie, Mainake, près de Malaga, à une journée du détroit de Gibraltar[115], à quelques milles seulement au sud des montagnes, sources de l’argent et réserves de métaux, à l’entrée même de cette tranchée du Guadalhorce, qui menait au Guadalquivir et au centre du royaume d’Arganthonios. Les Grecs s’apprêtaient à convertir. au philhellénisme, pour le plus grand profit de leurs intérêts commerciaux, les deux puissants royaumes espagnols, celui de l’Ebre ou des Ibères et celui de Cadix ou de Tartessus. Les espérances et les exploitations carthaginoises étaient menacées par terre et par eau.

Un pareil danger s’approchait des Étrusques. Les Phocéens n’étaient pas moins heureux sur les bords de la mer Tyrrhénienne. A droite de Marseille, ils occupèrent peut-être dès lors le rocher de Monaco[116], excellent cap de vigie d’où ils pouvaient dominer les celtes ligures et la route des eaux de Toscane. Celles-ci furent enfin maîtrisées par les Grecs, et, trente-huit ans après la fondation de Marseille (en 560), ils établirent une colonie sur le rivage oriental de la Corse, à Alalia (Aléria)[117]. Le port était médiocre, le pays ne valait rien ; mais de là les Phocéens guettaient et menaçaient les marchés et les ennemis d’en face, la vallée du Tibre, les grandes mines de l’île d’Elbe, les caps étrusques, et Agylla (Cervetri), la plus redoutable de leurs rivales italiennes[118].

Ainsi, en une génération, leur thalassocratie s’était montrée des frontières du Latium à celles de l’Andalousie, du cap de Circé à la grotte de Calypso. Déjà, leurs marchandises pénétraient, avec leurs petites monnaies légères et brillantes, sur les routes de l’Espagne intérieure[119] et jusqu’au beau milieu de la Toscane[120] : ils avaient conservé de très bonnes relations avec les Tarquins de Rome. Un empire commercial était formé par les Grecs pour l’exploitation des richesses maritimes et minières des trois grandes régions de l’Europe occidentale.

 

VIII. — RUINE DE LA THALASSOCRATIE PHOCÉENNE[121].

Sur ces entrefaites, les Perses assiégèrent Phocée, vers 540[122]. Les malheurs de la métropole en Orient pouvaient consolider la puissance de sa colonie occidentale. Beaucoup de Phocéens quittèrent leur ville, liés par le serment solennel de ne plus revoir un sol que l’étranger profanerait. Mais de vastes ambitions leur étaient ouvertes au couchant : au lieu de quelques villes, c’était un monde qui allait leur appartenir. Ils se rendirent en masse au lieu de leur dernier établissement, à Alalia en Corse : ils étaient des milliers d’hommes et plus de soixante vaisseaux. C’était la plus grande force, militaire et navale, qu’eussent encore vue les mers barbares de l’Occident. L’ère des grandes conquêtes sembla commencer. Pendant cinq ans (540-535), les Phocéens élevèrent des temples sur les rivages, et dominèrent les mers[123].

Mais alors leurs rivaux, Étrusques et Carthaginois, s’entendirent pour en finir avec les Grecs. Leurs flottes réunies les attaquèrent dans les eaux de la Sardaigne : cent quatre-vingts vaisseaux furent engagés dans une bataille acharnée qui avait pour enjeu la domination de tout l’Occident, de ses pêcheries et de ses mines (535).

Les Phocéens se dirent les vainqueurs. Mais leur triomphe ne fut que nominal : ils perdirent les deux tiers de la flotte, et, à la différence de leurs ennemis, ils ne pouvaient refaire leurs forces. Leur patrie n’existait plus : les Perses y étaient entrés. Ils n’étaient plus que des fugitifs courant la mer.

Il ne leur restait qu’à se disperser, avant le retour offensif des confédérés. Les uns se réfugièrent à Rhégium[124], et allèrent fonder Vélia au sud de l’Italie. Beaucoup gagnèrent Marseille.

L’Empire phocéen était détruit. Après la disparition des prétendus vainqueurs, Étrusques et Carthaginois reprirent la mer. Chacun des deux alliés s’assura sa zone d’influence[125]. La colonie d’Alalia et les établissements grecs du levant disparurent : Agylla la Pélasgique domina, de son rocher arrondi, sur les eaux tyrrhéniennes[126]. A l’occident, les comptoirs phocéens furent abandonnés : Mainaké tomba en ruines ; les Marseillais cessèrent de venir à Pyréné ; ils évacuèrent même la Théliné arlésienne[127]. Carthage triompha des deux côtés du détroit de Gibraltar : sous couleur de protéger Cadix, elle en prit possession (vers 540 ?) ; il n’y eut plus, à Tartessus, de rois philhellènes[128]. A la même date, la civilisation grecque perdait ses amis de l’Asie et de l’Espagne, Crésus et Arganthonios, et depuis le Bosphore jusqu’au cap Saint-Vincent, elle subissait la défaite et se résignait au recul.

Ainsi, Marseille se voyait fermer la nier par les Étrusques et par Carthage, comme déjà la terre lui était suspecte depuis la rupture avec les Ligures.

Cependant, malgré cette série de revers, sa force propre avait grandi. Dégagée de toute compromission avec les Barbares, elle devenait un incorruptible foyer d’hellénisme. L’arrivée des fugitifs avait au moins doublé le nombre de ses habitants. Ce n’étaient plus seulement des marchands et des coureurs d’aventures qui peuplaient Marseille, mais de vieilles familles phocéennes, immigrées avec femmes, enfants et trésors domestiques[129]. Les nouveaux-venus, sans doute, apportèrent avec eux quelques-unes des reliques saintes de la mère-patrie[130]. Ce fut, pour la cité du Lacydon, comme une seconde fondation[131]. Les temples de son Acropole étaient maintenant les sanctuaires les plus vénérés de la Grèce occidentale. L’isolement de Marseille accroissait son prestige. Ses remparts formaient la citadelle de la culture au seuil de la Barbarie. Contraints à veiller sans cesse, ses habitants allaient devenir une race de soldats et de marins batailleurs et audacieux. Exclus des mers lointaines, ils songeront davantage aux terres voisines. La ruine de la thalassocratie phocéenne prépara le règne de Marseille sur la Gaule méridionale.

 

IX. — RELATIONS ÉCONOMIQUES DES GRECS EN OCCIDENT.

Tout en combattant sur terre et sur nier, les Phocéens de Marseille, d’Arles et de Pyréné avaient commencé l’exploration de la Gaule et reconnu quelques-unes de ses routes commerciales.

Les caboteurs étudièrent avec soin toutes les côtes, depuis Monaco jusqu’à Marseille, et de lé au mont de Cette, à Narbonne, au cap Cerbère, au détroit qui menait à Cadix. Ils notèrent les noms des peuplades et des bourgades[132], et on a vu qu’ils ont su, partout, s’arrêter aux meilleurs endroits.

Sur terre, au delà du rivage languedocien, les Grecs constatèrent l’existence d’une longue route, droite et facile, parallèle à la nier, traversant les plaines que bordent les étangs, allant des Champs de Pierres de la Crau aux pinèdes des pentes pyrénéennes. Peut-être apprirent-ils dès lors que cette voie était, sur terre, le trait d’union le plus rapide entre les grandes régions de l’Occident.

Des routes qui la coupaient et qui perçaient vers l’intérieur, les Marseillais n’utilisèrent pas d’abord la plus commode, celle du col de Naurouze : Narbonne et ses rois durent la lui interdire ; déjà peut-être commençait la rivalité entre les deux villes[133]. En revanche, ils surent que le port de Pyréné était la tête d’une voie fréquentée, qui menait en sept jours de marche jusqu’aux rives de l’Atlantique[134]. Sur le Rhône, le troisième des chemins de l’intérieur, ils remontèrent très haut, sans doute avec la vague espérance de gagner par là les pays de l’étain et de l’ambre : soit par eux-mêmes, soit par leurs clients barbares, ils apprirent l’existence du lac de Genève, dont ils ont rapporté le nom d’Accion[135] ; en amont même, ils connurent les peuplades du Valais[136], et on leur parla de la Colonne du Soleil, où le fleuve prend naissance[137].

Pendant ce temps, les Carthaginois suivaient, sur la côte de l’Atlantique, l’interminable route de l’étain et de l’ambre que leur révélaient les traditions de Tyr ou les pilotes de Tartessus[138]. Les gens de Marseille, convoiteurs de ces mêmes choses, seront bientôt renseignés, par des indigènes ou des transfuges de la mer, sur l’importance de cette route, et sur les richesses auxquelles elle donnait accès. Dès le début du cinquième siècle, on parlait en Grèce de l’île où se cachait l’étain, et des rives de grands fleuves, l’Elbe ou le Rhin, où se recueillait l’ambre[139]. Marseille, dès que les circonstances lui seront plus favorables, tentera, sinon de conquérir cette voie maritime du dehors, du moins de la rejoindre par les raccourcis terrestres que lui offrent les vallées de la Gaule. Et ce sera, plus tard, sa revanche sur Carthage[140].

Ce qui contribua à la lui donner, c’est qu’elle possédait, avec ses pièces d’argent, un merveilleux instrument d’échanges commerciaux.

Phocée n’avait pas seulement inauguré, dans le monde occidental, le règne des vaisseaux de guerre et de course ; elle y avait encore propagé et divulgué l’emploi de la monnaie[141], autre agent de victoires commerciales : le navire prenait de force, la monnaie obtenait par échange. La ville grecque se hâta d’importer en Gaule le nouvel usage.

Elle répandit à Marseille[142] et chez les Barbares des environs les piécettes d’argent, oboles et autres[143], qui avaient cours en Asie Mineure et dans les îles : elles étaient marquées, sur une face seulement[144], d’une figure en relief, tète de dieu, mufle d’animal, face de nègre, masque de Gorgone, crabe ou tortue, lion dévorant sa proie, vase ou casque[145]. Légers, brillants, ornés d’emblèmes étranges et nouveaux, d’images variées à l’aspect énergique et saisissant, ces petits disques de métal, auxquels les Grecs s’attachaient comme à des fétiches de richesse, durent, j’imagine, produire sur les Barbares une impression profonde. En tout cas, ils les acceptèrent bientôt comme objets d’échange, et les oboles grecques pénétrèrent peu à peu chez les tribus de la vallée de l’Huveaune[146], des bords de la Durance[147] du nord des Alpines[148]. A Auriol, à six lieues de Marseille[149] sur la principale des routes (celle de l’Huveaune) qui mènent du rivage à la tranchée de l’Arc et de l’Argens, on a trouvé, dans un misérable pot d’argile, 2.130 monnaies de villes asiatiques, toutes contemporaines du sixième siècle : précieux dépôt abandonné brusquement, à l’instant d’un danger, par un marchand ou un maraudeur. Et ces monnaies étaient, si l’on peut dire, l’avant-garde de l’hellénisme dans l’intérieur de la Gaule.

 

X. — LES LÉGENDES GRECQUES EN PAYS LIGURE[150].

En attendant que l’arrière-pays ligure devînt le domaine du commerce et de la science des Grecs, il entrait déjà dans celui de leurs légendes. La poésie, la première, envoya les héros mythiques prendre possession de ces terres nouvelles. Avant de les bien connaître, elle les incorpora au théâtre des épopées helléniques.

Ulysse, en Occident, ne s était pas aventuré au nord de la ligne droite marquée par le cap de Circé et la pointe septentrionale de la Sardaigne, terre des Lestrygons. Les explorations et les conquêtes de Phocée permirent de faire voyager d’autres héros bien au delà de cette ligne mystérieuse.

Phaéton, fils d’Apollon, conducteur du char du Soleil, s’engloutissait chaque soir à l’ouest dans les eaux invisibles du fleuve Éridan[151] : ce vieux mythe fut transplanté dans les terres ligures ; et, comme les grands fleuves y abondaient, ils jouèrent, au fur et à mesure de leur découverte, le rôle de l’Éridan. Tour à tour, le Pô[152], le Rhône[153], l’Ebre[154] reçurent ce nom des poètes, si bien que, s’avançant en même temps que les connaissances humaines et les entreprises des marchands grecs, le char de Phaéton finit par se perdre dans le Rhin ou l’Elbe[155]. Mais l’histoire du héros s’enrichit, dans ces migrations lointaines, d’épisodes nouveaux, inspirés des êtres et des choses du pays ligure. — C’était sur ces rivages de l’ouest que le départ du soleil se montrait dans le cadre le plus solennel, lorsque, aux heures lumineuses du couchant, les vagues de la mer, les eaux des larges estuaires et les rayons de l’astre paraissaient se confondre dans un vaste scintillement ; et c’était là précisément que se ramassait l’ambre, le plus rare de tous les biens recherchés par l’homme ; c’était de là encore, croyait-on, qu’arrivaient en Grèce, dans les jours d’automne, les cygnes voyageurs, aux chants plaintifs[156]. L’ambre, le cygne, les Ligures, leurs rois et leurs arbres, vinrent compléter la scène funèbre de la mort de Phaéton. Sur les bords de l’Éridan ; dirent alors les poètes, les noirs peupliers trembleurs[157], agités par le vent, et d’où partait l’écho continu de plaintes innombrables, n’étaient autres que les Héliades, les sœurs du Soleil, pleurant leur frère disparu : leurs larmes, tombant sans cesse sur la grève, s’éternisaient en perles d’ambre[158] ; et, joignant sa tristesse à celle des pleureuses, le roi des Ligures, parent et hôte quotidien de Phaéton, chantait de douleur et se transformait en cygne lamentable[159].

Phaéton était venu chez les Ligures par le ciel ; Hercule y arriva par terre. Du haut du Caucase, racontait Eschyle, Prométhée lui montra à l’ouest les bienheureuses Hespérides et le chemin qui y conduisait : Hercule, comme les Phocéens, cherchait une voie nouvelle vers les richesses de Tartessus. Prométhée la lui révéla, en lui découvrant les terres basses de la Crau et du Languedoc, et sans doute aussi les brèches des Alpes et du Pertus. Sur ta route, lui dit-il, tu rencontreras l’armée innombrable des Ligures, et il te faudra combattre ; mais Jupiter aura pitié de toi, et une pluie de pierres achèvera la déroute de tes ennemis[160]. Les cailloux de la Crau étaient les témoins éternels de l’intervention divine[161].

Le voyage du héros était l’annonce et l’emblème des expéditions commerciales que les Grecs tentaient en ce moment même. C’est ainsi que plus tard, dans l’épopée carolingienne, les poètes promèneront Charlemagne sur les grandes routes des Alpes et des Pyrénées, dès que les pèlerins, les marchands et les croisés commenceront à les suivre. Il faut des héros fondateurs à tous les chemins par où se fait l’union des hommes. La poésie présageait, sous les auspices d’Hercule, l’œuvre que préparaient dans l’Occident barbare les enfants perdus du monde hellénique.

 

 

 



[1] Guesnay, Provinciæ Massitiensis.... annales, 1637, liv. I, p. 1-89 ; Bouche, La Chorographie... de Provence, I, 1664, p. 872 et s. ; Ant. de Ruffl, Histoire de la ville de Marseille, 2e éd., 1696, p. 1 et s. ; Mappus, Diss. Acad. de Massilia studiorum sede et magistra, Strasbourg, 1607 ; Hendreich, Massilia, dans Gronovius, IV, I, p. 2939-3003 ; [de Mandajors], Hist. crit. de la Gaule Narbonnaise, 1723, p. 18 et s., p. 506 et s. ; Papon, Histoire générale de Provence, I, 1777, p. 497 et s. ; Guys, Marseille ancienne et moderne, 1786 (détestable) ; Johannsen, Veteris Massiliæ res et instituta, Kiel, 1817 ; Raoul-Rochette, Hist. critique de l’établissement des colonies grecques, III, 1815, p. 404 et suiv. ; Brückner, Historia reipublicæ Massiliensium, Gœttingue, [1826] ; Ternaux, Hist. reip. Mass., Gœttingue, 1826 ; Lancelot, Précis historique sur l’ancienne Marseille, Bourges, 1838 ; Cless dans la Real-Encyclopädie de Pauly, IV, 1846, p. 1624-34 ; Méry, De vetere Massilia disquisitiones, Marseille, 1849 ; Barth dans le Rheinisches Museum, n. s., VII, 1850, p. 65-89 ; Am. Boudin, Histoire de Marseille, 1832, ch. 1 et 2 ; Stark, Städtleben... in Frankreich, Iéna, 1855, p. 29 et s. ; Herzog, Galliæ Narbonensis.... historia, 1864, p. 10 et s. ; Geisow, De Mass. republica, Bonn, 1865 ; Curtius, tr. fr., I, p. 563 et suiv. ; Müllenhoff, I, 1810, p. 177 et suiv. ; Zorn, Ueber die Niederlassungen der Phokæer an der Südküste von Gallien, Kattowitz, 1879 (très médiocre) ; Sonny, De Massiliensium rebus quæstiones, Saint-Pétersbourg, 1887 ; Wilsdorf, Beiträge zur Geschichte von Marseille im Altertum, Zwickau, 1889 ; Atenstædt, De Hecatæi Milesii fragmentis, p. 160 et s. (Leipziger Studien, XIV, 1893) ; Meyer, Geschichte des Alterthums, II, 1803, § 425-430, 437-8 ; Busolt, Griechische Geschichte, I, 2e éd., 1893, p. 433 et suiv. ; II, 2e éd., 1895, p. 753 et suiv. ; Castanier, Histoire de la Provence, II, 1890. Voir aussi les livres sur Phocée et ceux sur la fondation de Marseille, cités plus bas.

[2] Je parle de l’histoire écrite et connue.

[3] Voyez le chapitre suivant, et ch. VIII.

[4] Clerc, Les premières Explorations phocéennes dans la Méditerranée occidentale (Revue des Études anciennes, 1905).

[5] Meltzer (Geschichte der Karthager, I, 1879, p. 140) croit (à cause d’homophonies de noms géographiques, cf. ch. X, 3) à des fondations rhodiennes au pied des Pyrénées et à l’embouchure du Rhône : le périple d’Avienus invite à une conclusion toute contraire. — Il ne serait pas impossible, évidemment, que quelques vases ou poteries archaïques censées découvertes (est-ce certain ? ?) à Marseille (Dumont, Bull. de corr. hell., XIII, 1884, p. 188 ; Frœhner, n° 1928-30 ; Clerc et Arnaud d’Agnel, Découvertes arch. à Mars., 1904, p. 101) provinssent de pacotilles livrées aux indigènes avant 600 : reste à savoir si elles l’ont été par des Grecs, ou par des Étrusques, des Carthaginois, ou encore par des pirates ligures.

[6] Justin, XLIII, 3, 5.

[7] Hérodote, I, 163 ; Justin, XLIII, 3, 6. Le voyage du saurien Coléos en Espagne vers 630, qui eut un retentissement considérable, fut le résultat d’un hasard (Hérodote, IV, 132).

[8] L’origine de ce nom, très anciennement donné à la Méditerranée occidentale, vient du rôle prépondérant joué par la Sardaigne dans la plus ancienne colonisation ou navigation de l’Occident, carthaginoise ou autre. Ulysse y est allé, et bien d’autres (Pausanias, X, 17).

[9] Bérard, Les Phéniciens et l’Odyssée, II, 1903, p. 261 et suiv.

[10] Bérard, II, p. 200 et suiv.

[11] Bérard, I, 1902, p. 242 et suiv.

[12] Je ne serais pas éloigné de croire qu’il faille interpréter ainsi cette partie de l’Odyssée : soit par crainte de marines étrangères, étrusques, phénico-carthaginoises ou ligures, soit par suite de conventions avec elles, les Grecs ne purent pas dépasser, jusqu’au temps des Phocéens, l’île de Calypso, qui gardait la route du détroit de Gibraltar, le cap de Circé, qui dissimulait celle du Tibre, le nord de la Sardaigne, qui forme avec ce cap une ligne exactement horizontale. Voyez des défenses analogues, et visant quelques-uns de ces points, dans les anciens traités entre Rome et Carthage (traité de 509, Polybe, III, 22, 9 et 11 ; cf. Strabon, XVII, 1, 19).

[13] Cf. l’art. Phokæa chez Ersch et Grüber ; Thisquen, Phocaica, Bonn, 1843 : Papadopoulos Kérameus, Φωκαικά, Smyrne, 1879 (avec plan de Phocée, par Weber).

[14] Hérodote, I, 163 ; les navires sur les vases du Dipylon (Rev. arch., 1894, II, p. 14 et suiv.). Assmann, dans les Denkmäler de Baumeister, III, 1889, p. 1396 et suiv. ; H. Droysen, Kriegsalterthümer (Lehrbuch), p. 284, qui rapporte aux Phéniciens, vers 700, cette transformation de la marine ; cf. Movers, III, Ire p., p. 176 et s. ; Maspero, III, p. 282.

[15] Sur les vitesses atteintes par Pythéas, cf. chap. X, 6.

[16] Piscando mercandoque, plerumque etiam latrocinio maris, quod illis temporibus gloriæ habebatur, Justin, XLIII, 3, 5.

[17] Tite-Live, I, 23, 8 ; V, 33, 7 ; Velleius, I, 7 ; Caton, fr. 62 ; ici, p. 118. Circé était sans doute étrusque au temps d’Ulysse, cf. Caton, fr. 62. Cf. Müller et Deecke, Die Etrusker, 1, 1877, p. 160-191.

[18] Avienus, 462-463, 223, 265.

[19] Cf. ch. VII, § 1. Tyr parait s’être désintéressée de l’Espagne vers 700, au temps de ses luttes contre les Assyriens ; Movers, II, IIe p., p. 620 et 655, d’après Ésaïe, 23, 10. Mais la prospérité de Cadix fut maintenue par la royauté indigène (regna Hispaniæ, Justin, XLIV, 5, 1 ; Macrobe, I, 20, 12). Cf. Rawlinson, History of Phænicia, 1889, p. 445-459 ; Pietschmann, Geschichte der Phœnizier (Oncken), 1889, p. 300-1 ; Maspero, III, p. 285-8 ; Meyer, Geschichte des Alterthums, I, 1884, § 404.

[20] Cf. Diodore, V, 15, 4.

[21] D’après Timée (Diodore, V, 16, 3). Cf. Movers, II, IIe p., p. 586 et p. 656 ; Meltzer, I, p. 155 ; Hübner ap. Wissowa, II, c. 2826.

[22] Le périple de l’Afrique exécuté par ordre du roi d’Égypte Nécho se rattache au même mouvement de conquêtes commerciales (Hérodote, IV, 42).

[23] De même aussi, je crois, les Sigynnes de Hallstatt.

[24] Le nom de Tartessus, qui a désigné l’État andalou, s’est également appliqué, et peut-être primitivement, à Cadix (Avienus, 85, 269).

[25] Hérodote. IV, 132 ; Stésichore ap. Strabon, III, 2, 11 ; Jérémie, 10, 9 ; Ézéchiel, 27, 12 ; Esaïe, 60, 9 ; Justin, XLIV, 1 ; 4, 14 ; etc.

[26] Velleius, I, 2, 4 : In extremo nostri orbis termino.

[27] Justin, XLIV, 4 ; Macrobe, I, 20, 12 ; une tradition leur attribuait la fondation de Nora en Sardaigne (Solin, IV, 1, p. 46. Mommsen ; Pausanias, X, 17, 5).

[28] Hérodote, I, 163 (lui donne 120 ans) ; Anacréon apud Pline, VII, 154, et ap. Strabon, III, 2, 14 (150 ans) ; Silius Italicus, III, 398 (300 ans, années indigènes, plus courtes de moitié ?) ; etc. — Il est du reste possible que ce nom d’Arganthonios ait été porté par tous les rois de cette dynastie indigène.

[29] Velleius Paterculus, I, 2, 4. Cf. Movers, II, IIe p., 1830, p. 148.

[30] Hérodote, I, 163 ; cf. Appien, Iberica, 2.

[31] Calculé d’après la date approximative de l’avènement d’Arganthonios, qui aurait régné quatre-vingts ans et serait mort au plus tard en 340 (Hérodote, I, 163 et 103).

[32] Cf. Meltzer, Geschichte der Karhtager, I, p. 168.

[33] Justin, XLIII, 3. 4 ; cf. 5, 3 (d’après des annales marseillaises ?). Le synchronisme souvent établi entre le règne de Tarquin l’Ancien et la fondation de Marseille me paraît un argument en faveur de ce voyage. Un autre argument doit être tiré du mot d’Hérodote sur les Phocéens (I, 163) : Τήν Τυρσηνίην... οί καταδέξαντες.

[34] Inde in ultimos Gallien sinus navibus profectos, Justin, XLIII, 3, 5. — Il est possible qu’il y ait eu, à ce moment, entente entre Phocéens et Étrusques contre les Ligures, ennemis naturels de ces derniers (Lycophron, 1355-6).

[35] L’Huveaune.

[36] Justin, XLIII, 3, 6 : Circum ostia (seulement ostio dans les mss.) Rhodani... ; loci amœnitate capti.

[37] Reversi domum referentes quæ viderant, plures sollicitavere, Justin, XLIII, 3, 7 ; cf. 3, 8. Outre l’argument que fournissent ces textes, il va de soi que la fondation de Marseille a été précédée de la reconnaissance sérieuse du rivage ; cf. Meltzer, I, p. 149.

[38] [Cary], Dissertation sur la fondation de la ville de Marseille, Paris, 1744 ; Baldy, Prolidas ou Fondation de Marseille par les Phocéens, 1832, Préface (l’ouvrage est un roman historique) ; Dederich, Ueber die Gründung von Massilia (Rheinisches Museum, IV, 1836, p. 99 et suiv.).

[39] Deux récits de la fondation, concordant dans les lignes essentielles, se trouvaient : l’un chez Aristote, έν τή Μασσαλιωτών Πολιτεία (apud Athénée, XIII, 36, P. 576) ; l’autre chez Trogue-Pompée (Justin, XLIII, 3) : récits auxquels manque l’épisode d’Aristarché, donné seulement par Strabon (IV, 1, 4) ; une allusion à cette fondation chez Plutarque, d’ailleurs concordante (Solon, 2). On a supposé que la source d’Aristote optait la tradition familiale des Protiades, et celle de Justin, Timée (Busolt, Griechische Geschichte, I, p. 433 ; Sonny, p. 1) : je ne suis pas convaincu de ce dernier point, l’indication chronologique fournie par Justin (temporibus Tarquinii regis) ne reproduisant pas celle de Tinicp (cent vingt ans avant la bataille de Salamine, Ps.-Srymnus, 211-4). Au surplus, Justin est, à ce que je crois, exactement documenté sur l’histoire primitive de Marseille : Trogue-Pompée, qui était un Voconce, a dol consulter et suivre très fidèlement des annales locales. A lui donner comme source un vieil auteur grec, je n’hésiterais pas à préférer le très consciencieux Théopompe à Timée, brodeur de mythes.

[40] Strabon, IV, 1, 4.

[41] Je crois bien, malgré les réserves qui ont été récemment faites (Jessen ap. Wissowa, V, 1905, c. 2763 et 2765), que l’image primitive d’Artémis était multimamme.

[42] Cf. Radet, Revue des Ét. anc., 1904, p. 282-4 ; 1906, p. 14-15. De même chez les Ligures, cf. p. 142-3, 145-7. Je ne crois pas que ce soit comme déesse de la navigation que tes Phocéens l’aient consultée (opinion de Jessen, c. 2776).

[43] Cf. Jessen ap. Wissowa, V, c. 2754-5.

[44] Je préfère croire à une mission plutôt qu’au voyage des émigrants eux-mêmes à Éphèse, quoiqu’un puisse également le conclure du récit de Strabon.

[45] Παρασιήναι : sans doute dans l’attitude de ses statues, debout, les mains ouvertes.

[46] Strabon, IV, 1, 4.

[47] J’accepte pour ces deux noms le texte de Justin (XLIII, 3, 8) : Ducos classis Simos et Prolis ; Aristote ne parle que d’Euxène (Εΰξενος), dont il fait le père de Protis ; Plutarque ne parle que de Protis, dont il fait le fondateur (Solon, 2) : Πρώτος (sic mss.), qu’il range parmi les marchands célèbres devenus οϊκισταί μεγάλων πόλεων. Mais les colonies conduites par deux chefs ne sont pas tris rares (cf. Thucydide, VI, 3-5) : Simos a pu peut-être accompagner Protis comme sacrificateur (cf. Thucydide, I, 25).

[48] Strabon, IV, 1, 4 ; cf. Thucydide, I, 25.

[49] Les mss. de Justin donnent Nanum, Seranion (?), Senanum, Senarium, Nannum (classe T) ; Rühl, p. L (à XLIII, 4, 3 et 3, 8). Les mss. d’Athénée donnent Νάνω et Νάννω (p. 269, Kaihel). Le nom paraît bien ligure ; il est à rapprocher des Nanna, Nannus, Nanius, Nano, que l’on trouve en Occident (Holder, II, c. 682-3) : c’est un de ces noms à radical monosyllabique et à double consonne qui ne sont pas rares dans l’onomastique ligure ou celtique (Cottius, Commius, Rinnius, etc. ; cf. Müllenhoff, III, p. 193). C’est à tort, je crois, que Pape a essayé de rattacher ce nom au grec νάνος, et les noms de la fille de Nann à d’autres radicaux grecs.

[50] Le mot d’Aristote, qu’Euxène ήν ξένος de Nann, peut interpréter dans le sens d’une hospitalité ancienne ; factus ex hospite gener, Justin.

[51] Forte eo die, etc., Justin, qui fait inviter tous les Grecs ; κατά τύχην, Aristote, qui fait inviter seulement Euxène comme hôte du roi.

[52] Nom donne par Justin (XLIII, 3, 9) : les mss. hésitent entre Gyptis et Giptis. Il est possible que le mut ligure fût Gippitis (cf. Gippo, Gippus, Holder, I, c. 2023). Aristote donnait comme nom Petta, Πέττα, qui peut être tout aussi bien ligure (Holder, II, c. 981) : la correction proposée par Kaibel l’έπτα n’est pas inadmissible ; pas davantage, inversement, l’hypothèse d’une erreur commise par Trogue-Pompée, Gepta ou Giptis pour Pella (Sonny, p. 9) ; Cary (p. 45) songeait déjà à une confusion graphique des deux noms. Ce qui n’est pas enfin invraisemblable, c’est que, — les deux mots grecs, γύψ, vautour, et πετεινόν, oiseau de proie — étant synonymes. — Aristote (ou Trogue-Pompée) aura pris pour le nom de la ligure ce qui eu était la traduction grecque. Faut-il aller plus loin et croire que la mythographie aura transformé en êtres humains des oiseaux donneurs de bons présages, et qu’elle aura fait une vierge philhellène d’une de ces γύπες femelles (Plut., Quæst, rom., 93) consultées peut-être avant de fonder la ville ? J’ai peur que ce ne suit raffluer dans l’exégèse philologique.

[53] Μνηστήρων, Aristote ; proci, Justin.

[54] Producta deinde virgo ; μετά τό δεΐπνον.

[55] Aquam porrigere, Justin ; φιάλην κεκερασμένην, Aristote. Je ne puis croire à du vin, comme Dederich (p. 117).

[56] Aristote : Ώς κατά θεόν γενομένης τής δόσεως.

[57] Lorum condendæ urbi, Justin. Je rte puis croire qu’ils aient débarqué, sur ce point de la Gaule, ailleurs qu’à Marseille : cependant les textes ne disent pas nettement qu’ils y aient débarqué.

[58] Aristote parle seul de ce changement de nom, et encore seulement pour la femme ; je l’accepte aussi pour Protis. La famille du fondateur, issue de ce mariage, vivait encore à Marseille au temps d’Aristote sous le nom de Πρωτιάδαι.

[59] Strabon, IV, 1, 4.

[60] Timée (Ps.-Scvmnus, 210) dit cent vingt ans avant la bataille de Salamine mais ce ne peut être qu’un chiffre rond (4 générations), et un de ces rapprochements chronologiques dont Timée est coutumier. Les chroniqueurs des derniers temps de l’Empire arrivent à des indications plus précises : année d’Abraham 1423 = 594, Eusèbe, vers. arm. (p. 92, Schœne ; cf. Siegfried et Gelzer, Eusebii Canonum Epitome, 1884, p. 25) ; 45e Olympiade (600-597), Solin (II, 52), qui a généralement des sources très bonnes et très anciennes ; Abr. 1418 et 1419 ou 1420 = 399, 398 et 397, Jérôme (p. 93, Schœne ; Siegfried et Gelzer, p. 25) ; Abr. 1419 = 398, Denys le Syrien (éd. Siegfried et Gelzer, l. c., p. 23) ; 21e année du règne de Tarquin (598), Prosper Tyro (p. 395, Mommsen). Je préfère 598-7, parce que les autres dates nous éloigneraient trop du calcul de Timée. La contemporanéité du règne de Tarquin est donnée par Justin (XLIII, 3, 4) et Tite-Live (V, 34, 8). Les textes qui placent la fondation après la chute de Phocée proviennent d’une confusion avec l’arrivée de nouveaux colons (Dederich, p. 107 et suiv.). Raoul-Rochette (Hist. crit. de l’élabl. des col. grecques, III, p. 410) supposait l’établissement d’un marchand. Euxène, vers 600, puis, l’année suivante, la déduction d’une colonie par son fils Protis et par Simos.

[61] Il y a de certaines analogies entre la situation de Marseille et celle de Phocée (cf. Tite-Live, XXXVII, 31, 8-10 ; 32, 2 ; Castanier, II, p. 11).

[62] Voyez-les aussi chez Dederich. p. 118 et suiv.

[63] Cf. Hérodote, I, 146 ; Thucydide, I, 24 ; VI, 3-5. Sur les honneurs rendus aux fondateurs des colonies, Lampros. De conditorum coloniarum græc. indole. Leipzig, 1873.

[64] C’est pour cela que je n’accepte pas l’hypothèse suggérée par Jessen (c. 2769) qu’Aristarché serait l’hypostase d’une Artémis ainsi surnommée.

[65] J’ai déjà dit que tous les noms des indigènes ont bien une physionomie occidentale.

[66] Diodore, V, 34, 1 (Posidonius).

[67] Odyssée, VI, 244-5.

[68] Il n’y a pas, quoi qu’aient dit Athénée (XIII, 35 et 36) et quelques modernes après lui (surtout Rohde, Der griechische Roman, 2e éd., 1900, p. 47-55), une analogie sérieuse entre l’histoire de Gyptis et la fable persique d’Odatis.

[69] C’est à cela que Plutarque semble ramener l’histoire de la fondation : Protis, marchand phocéen, gagna l’amitié des Barbares et fonda Marseille (Solon, 2).

[70] Deux théories sont possibles sur la topographie de Marseille : donner à la ville la butte des Carnes, ce qui l’élargit beaucoup vers les terres ; la réduire comme nous le faisons, à la butte de Saint-Laurent. — Sur la première théorie : Bayle, Traité sur la topographie... de Marseille, 1838 ; Verdillon, Dissertation sur l’ancienne topographie de Marseille, 1866 (Répertoire des travaux de la Société de Statistique, XXVIII, p. 83 et s.) ; Rouby, Le Sol de Marseille au temps de César (Soc. de Géogr., sept. 1873) ; le même, Le Siège de Marseille (1874, Le Spectateur militaire) ; Stoffel, Hist. de J. César, guerre civile, I, 1887, p. 80 et suiv., p. 288 et suiv. ; Desjardins, II, p. 156 et s. ; Maurin, Les Villes de la Narb., Marseille (1899, Mém. de l’Acad. de Nîmes de 1898). — Sur la seconde : renseignements oraux que m’a fournis l’abbé Albanès ; Clerc, Le Développement topogr. de Mars., 1898 (Études sur Marseille, publiées par la Soc. de Géogr. de Mars.) ; cf. aussi Revue des Études anciennes, 1900, p. 340 et s. — Le rivage n’a jamais varié depuis l’Antiquité.

[71] Le nom doit être préhellénique et peut-être celui d’une source qui se jetait dans le port.

[72] Voyez l’admirable plan de Demarest, 1808.

[73] Massif de Notre-Dame de La Garde, 150 mètres.

[74] De la Major à Saint-Laurent, esplanade de la Tourelle.

[75] Cf. Avienus, 705-8 : Pro fronte litus præjacet [devant le port et la façade de la ville] ; tenuis via palet inter undas [le goulet] ; latera gurges alluit [les côtés extérieurs] ; stagnum lambit urbem [Canebière et les marais, du côté de la Ville Basse] et unda lambit oppidum [la mer du côté de l’Acropole] : civitas pæne insula est.

[76] Sans doute un nom ancien voulant dire anse du nord. Les travaux du port de la Joliette ont fait disparaître cette anse.

[77] Hauteurs maxima de Saint-Laurent, de l’Hôtel-Dieu et de l’échine des Moulins.

[78] Isthme de la place Centrale ou de la Grande-Horloge, entre les Carmes et la montée de l’Hôtel-Dieu : voyez-le, très bien caractérisé, sur le plan de Demarest (cf. Revue des Études anciennes, 1900, pl. III).

[79] Voyez, en venant par mer, la vue de la terrasse que domine la cathédrale.

[80] Embrassant la butte Saint-Laurent, l’Hôtel-Dieu, la Major et les Moulins. C’est l’oppidum d’Avienus ; arx (Lucain, III, 379) ; πέτρα et έν τή άκρα (Strabon, IV, 1, 4). Il y avait là, notamment sur la butte des Moulins, très peu d’édifices : Pars urbis, ante quam nullum ædificium e[ss]e [licebat ?], licet longe [longa ?] esset (scholies de Lucain, Usener, Comm., p. 110) ; cf. à Phocée : Pars infrequens ædificiis erat ; templa deum aliqumitum tenebant loci (Tite-Live, XXXVII, 32) ; à Athènes, le Πελασγικόν (Thucydide, II, 17). La butte des Moulins me parait correspondre au lieu que le scholiaste de Lucain (ibid.) appelle licia (cf. Frœhner, Revue archéologique, 1891, II, p. 328).

[81] Là où est aujourd’hui la Major. Si je le crois, ce n’est pas parce que la tradition (toujours suspecte) fait de la Major un ancien temple de Diane, mais c’est parce que, aussi loin que les textes Permettent de remonter, l’église principale de la ville fut à cet angle dominant du rempart et de la mer (Revue des Ét. anc., 1900, p. 342).

[82] C’est l’urbs d’Avienus, ή πόλις ; de Strabon (IV, 1, 4), Pedeon du scholiaste (Usener, p. 110).

[83] D’après Strabon, IV, 1, 4. Pas absolument certain ; cf. cependant à Ampurias, Tite-Live, XXXIV, 9, 2 ; à Phocée, id., XXXVII, 31, 8. Revue des Et. anc., 1900, p. 342 et suiv.

[84] Avienus. 709 et suiv. : Æquor omne cæspiti infudit manus, labos et olim conditorum diligens formam locorum et arva naturalia evicit arte.

[85] Le panégyriste de Constantin (19, p. 175, Bæhrens) donne 1.500 pas (2.300 mètres) à l’isthme par lequel Marseille terræ cohæret : il a dû prendre les dimensions du pourtour pour celles de la base de la presqu’île.

[86] Ampurias n’avait qu’un circuit de 400 pas (Tite-Live, XXXIV, 9) ; Phocée, 2.500 pas (Tite-Live, XXXVII, 31).

[87] Peut-être, en ce temps-là de l’autre côté du port, vers le bassin de Carénage ; la nécropole de Saint-Mauront doit être postérieure de deux à trois siècles à la fondation (cf. Toulouzan, Mémoires et rapp. de la Commission... du bassin de Carénage, 1831, p. 29 et suiv. ; Bulll. de corr. hellénique, VIII, 1884, p. 188 et suiv.).

[88] Hypothèse tirée de l’ancien nom de la butte des Carmes (roca Barbara, Albanès, Gallia Christiana novissima, Marseille, n° 149, c. 71, etc.) et du rapprochement avec la topographie d’Ampurias, colonie marseillaise (Tite-Live, XXXIV, 9).

[89] Tout ce paragraphe uniquement d’après Justin (XLIII, 4), et son récit est si conforme à la nature des choses que je ne vois pas un motif sérieux d’en douter : Justin est, pour l’histoire de Marseille, une source excellente.

[90] Justin, XLIII, 4, 6 et 11.

[91] Justin, XLIII, 4, 8.

[92] Cf. Justin, XLIII, 3, 4 : Phocæensium juventus.

[93] Hérodote, IV, 9.

[94] Silius Italicus, III, 420 et suiv.

[95] Cf. Curtius, trad. fr., I, p. 577 et s.

[96] Cf. ce qui s’est passé à Ampurias καί έπ' άλλων πολλών συνέβη (Strabon, III, 4, 8).

[97] Cf. Justin, XLIII. 4, 4 (fable de la chienne accueillie par le berger).

[98] Justin, XLIII, 4, 3. Le nom parait bien ligure (cf. Comum).

[99] Cela semble résulter de XLIII, 4, 3. Ce serait l’ébauche de la future peuplade des Salyens ; cf. le ch. X, § 2. Le Trésor d’Auriol a-t-il été perdu au cours de ces dangers ?

[100] Sollemni Floraliorum die (XLIII, 4, 6) : les Άνθεστήρια (fin février), fête des fleurs et surtout du vin nouveau, sans doute d’origine rurale et d’importation ionienne ; cf. J. E. Harrison, Prolegomena of the Study of Greek Religion, 1903, ch. 2.

[101] A Ampurias, il n’y avait qu’une porte, et toujours gardée, du côté barbare (Tite-Live, XXXIV, 9) : pareille chose a peut-être existé à Marseille.

[102] Justin, XLIII, 6, 11 : je rapproche recognoscere peregrinos et festis diebus. Les mimes précautions étaient prises à Ampurias (Tite-Live. XXXIV, 6), et, ce qui est à noter. Tite-Live se sert pour les exposer presque des expressions que Justin emploie pour Marseille.

[103] Justin, XLIII, 6, 11.

[104] Meltzer, Geschichte der Karthager, I, 1870, p. 163 et suiv. ; p. 485 et suiv. ; Théodore Reinach, Revue des Études grecques, 1808. p. 40 et suiv.

[105] Le point de départ de la chronologie, dans celle période, est la prise de Sardes par Cyrus, une des dates les plus discutées de l’histoire ancienne : ou hésite entre 557 et 534 ; mais les deux systèmes dominants malt celui de 546 (cf. Radet, La Lydie, 1893, p. 140 et suiv.) et celui de 541-0, que nous suivons (cf. Büdinger, Kræsus’ Sturz, dans les Sitzungsberichte der phil.-hist. Classe der k. Ak. d. Wiss. de Vienne, 1878, XCII, 1879, p. 197 et s. ; Busolt, II, p. 439).

[106] Thucydide, I, 13 : Φωκαής τε Μασσαλίαν οίκίζοντες Καρχηδονίους ναυμαχοΰντες, texte que j’interprète comme Classer dans la 3e édit., 1879, de son Thucydide. Car : 1° l’historien n’aurait pu parler en ces termes de la victoire cadméenne des Phocéens en 535 ; 2° les Phocéens n’ont pu obtenir la thalassocratie en Occident sans rencontrer et vaincre les Carthaginois ; 3° si Justin (XLIII, 3) ne parle pas de ces victoires, c’est qu’il ne raconte que les guerres parties de Marseille. Sur les autres interprétations possibles de ce texte, le plus discuté de Thucydide : Rœze, Neue Jahrbücher, CXV, 1877, p. 257 et suiv. ; Dederich, Neue Jahrbücher, CXVII, 1878, p. 389-392 ; Meltzer, I, 1879, p. 483 ; Sonny, p. 3 et s. ; Habel, Wockenschrift für klass. Phil., 1888, c. 1283 et suiv. ; Busolt, Griech. Geschichte, II, 1895, p. 750, n. 1 ; Classen et Steup, 4e éd. de Thucydide, I, 1897, p. 346 et suiv. ; Clerc, Les Phéniciens dans la région de Marseille, 1901, p. 6 : etc.

[107] C’est donc entre ces deux dates, et peut-être de 593 à 549, dates approximatives de la soumission de Phocée à Crésus, que doivent se placer les quarante-quatre années de la thalassocratie phocéenne (Diodore ap. Eusèbe, éd. Schœne, p. 226). Sur la valeur de cette liste chronologique des thalassocraties, qui remonte à Castor le Rhodien, cf. von Gutschmid, Kleine Schriften, I, p. 5.34-7 ; Mallet, Les premiers Établissements des Grecs en Égypte, 1893, p. 1 et s. ; etc.

[108] Avienus, 689 : Aretalus illic civitas attollitur, Theline vocata sub priore sæculo, Graio incolente (le Périple est de 480-470 ; cf. ch. X. § 1, 2, 5).

[109] Il serait possible que les fragments de vases grecs trouvés dans les tombes de Montlaurés près de Narbonne aient été importés en ce temps-là ; mais les autres objets livrés par ces fouilles me paraissent postérieurs (Rouzaud, Notes et Observations, 1905, Bull. de la Comm. arch. de Narb.).

[110] Avienus, 538 et suiv. : Quondam Pyrena latera [ce mot dissimule peut-être un second nom de la ville, analogue au Latara de Lattes] civitas ditis laris stetisse fertur : hicque Massiliæ incolæ negociorum sæpe versabant vices ; Hérodote, II, 33 ; cf. Rev. Ét. anc., 19113, p. 320-1. Peut-être les ruisseaux d’argent de Timée se rapportent-ils à ces voyages des Phocéens.

[111] Cf. Hérodote (I, 163) disant des Phocéens : Οί δέ... τήν Ιβηρίην [la région de l’Ebre seulement] οί καταδέξαντες.

[112] Peut-être cependant deux villes différentes, Avienus, 515 et 520 : cf. Müllenhoff, I, p. 172 ; Müller, Philologus, XXXII, 1873, p. 118.

[113] Avienus, 491 ; Rev. Ét. anc., 1903, p. 321.

[114] Avienus, 476-7 ; Artémidore chez Étienne de Byzance, au mot Ήμεροσκοπεΐον ; Reinach, p. 45 ; Hübner apud Wissowa, V, c. 340. Non loin de Denia au sud.

[115] Avienus, 426-427, qui identifie Malaga avec Mainaké, peut-être avec raison ; Strabon, III, 4, 2 ; cf. Rev. Et. anc., 1903, p. 321.

[116] Narbonne, Marseille et Monaco ont les seuls ports de la Gaule nommés par Hécatée ; mais il faut remarquer que ce dernier fait de Monaco une localité non pas grecque, mais ligure (Μόνοικος, πόλις Λιγυστική, chez Étienne de Byzance, s. v.).

[117] Vingt ans avant la destruction de Phocée, Hérodote, I, 165.

[118] Cf. Sénèque, Ad Helviam, 7, 8.

[119] Trouvailles de Pont-de-Molins sur la route d’Ampurias au Pertus, Blancard, Mém. Acad. Mars., 1896-9, p. 454.

[120] Soixante-cinq pièces analogues à celles du trésor d’Auriol ont été trouvées à Volterra (Müller et Deerke, I, p. :182 ; Muret et Chabouillet, p. 9) ; autres à Chiusi (Müller et Deerke, ibid.). Sur les influences ioniennes en Étrurie, cf. Pottier, Musée nat. du Louvre, Catalogue des vases antiques de terre cuite, 1899, p. 313 et suiv.

[121] Thisquen, Phocaica, 1842 ; Clerc, La Prise de Phocée par les Perses et ses conséquences (Revue des Études grecques, 1903, p. 144 et suiv.).

[122] Peu après la prise de Sardes.

[123] Hérodote, II, 164, 165, 166. C’est alors que se place la colonisation sérieuse de la Corse par les Grecs ; Sénèque, Ad Helviam, 7, 8 ; Diodore, V. 13, 3-4.

[124] Ici s’arrête le récit d’Hérodote, I, 166. La suite résulte : 1° de Strabon d’après Antiochus (VI, 1, 1) ; 2° d’Hygin apud Aulu-Gelle (X, 16, 4).

[125] Le traité de 509, entre Rome et Carthage, peut se rattacher à ces événements (Polybe, III, 22 ; cf. Busolt. II, p. 754).

[126] Hérodote, I, 167 ; cf. Lycophron, 1355-6.

[127] Le Périple d’Avienus parle, au passé, de toutes ces villes.

[128] Hérodote, I, 165 : mort d’Arganthonios en 540 au plus tard ; Justin, XLIV, 5, 1-3. Cf. Movers, II, II, p. 658 ; Meltzer, I, p. 480 et 486.

[129] Hérodote, I, 164-165 ; Strabon, VI, 1, 1 (πανοικίους).

[130] Cf. Hérodote, I, 164.

[131] Ce qui explique la tradition si répandue chez les Anciens, suivant laquelle on recule il ce moment la fondation de Marseille : 1° Aristoxène de Tarente, fr. 23 (Didot, Fragm. hist. Græc., II, p. 2711) ; 2° Isocrate, Archidamos, 35 (67) (cf. Harpocration, s. v. Μασσαλία) : mais remarquez qu’Isocrate dit είς Μασσαλίαν άπώκησαν, se contulerunt (Mitchell, Index Græcitatis Isocraticæ, p. 28), ce qui ne suppose pas du tout la fondation d’une colonie à Marseille ; 3° Ammien, XV, 9, 7 (Timagène ?) ; 4° Hygin apud Aulu-Gelle, X, 16, 4 ; 5° Sénèque, Ad Helviam, 7, 8 ; 6° Pausanias, X, 8, 6 ; 7° scholiaste de Thucydide, I, 13 (éd. Schœne) ; 8° Solin, II, 52 ; 9° Isidore de Séville, Étymologia, XV, 1, 63 ; 10° Eustathe, Comm. in Dionysium, 75, p. 230. Contra, Clerc, Revue des Études grecques, p. 156 et suiv.

[132] De là les renseignements sur la Gaule et l’Espagne donnés par Hécatée (vers 500), qui semblent tous venir d’un périple.

[133] Hécatée connaît Narbonne vers 500, mais comme ville barbare ; de même Avienus ne mentionne pas les Grecs aux abords de l’Aude.

[134] Avienus. 140-151. La distance est de 400 à 500 kilomètres ; elle peut, à l’aide de relais, être franchie à dos de mulet en sept jours et même moins (un mulet chargé de 120 kilogr. pouvant fournir une vitesse de 5 kilom. à l’heure).

[135] Avienus, 682-4. Avienus distingue très nettement le lac Léman, la direction du fleuve vers l’ouest et le sud, et les bouches (682-8). A moins de supposer une erreur de copie (pour άκίς aiguillon, Müller ad Ptolémée, II, 10, 2, p. 235), ce nom d’Action est d’origine indigène. Une autre preuve que les Grecs sont dits lors remontés fort haut dans la vallée du Rhône est tirée de la connaissance par Aristote de la perle du Rhône : il en parle dans les Météorologiques (I, 13, 30). Il semble dans ce texte qu’il s’agisse d’un fleuve autre, nais aussi grand que le Rhône : en réalité, ou Aristote a mal compris la source qu’il consultait, ou son copiste a dénaturé le texte (cf. l’excellent commentaire de l’édition Ideler, I, 1834, p. 475) ; en tout cas, les sources occidentales des Météorologiques doivent être antérieures à 400. — Il ne serait pas impossible que certains caractères et une certaine supériorité de l’industrie et de l’art ligures, dans les régions suisses et notamment dans les gisements lacustres, vinssent de ce premier contact avec les Grecs.

[136] Avienus, 674-5.

[137] Cela ne peut être, chez Avienus, une interpolation tardive (646) : car Timée (Apollonius, IV, 630) disait de la région des sources du Rhône : Πύλαι καί έδέθλια Νυκτός. — Peut-être les Grecs se sont-ils avancés dans le Valais à la rencontre des marchands sigynnes ou de Hallstatt (cf. Rev. Ét. anc., 1906. p. 121).

[138] Avienus, 114 et suiv.

[139] Hérodote, III, 113.

[140] Ch. X, § 1, 5 et 6.

[141] Cf. Brandis, Das Münz-, Mass- und Gewichtswesen in Vorderasien, 1860, p. 201 ; Babelon, Mélanges numismatiques, IIIe série, 1900, p. 53 et suiv.

[142] Muret et Chabouillet, n° 1 et suiv. ; Blancard et Laugier, Iconographie des monnaies du trésor d’Auriol, Marseille, 1872 (Mém. de l’Acad.) ; Laugier, Les Monnaies massaliotes du Cabinet des Médailles de Marseille, Marseille, 1887, p. 7 et suiv. ; Blancard, Iconographie, etc., dans les Mém. de l’Acad.... de Mars., a. 1896-99, p. 443-60 ; Blanchet, Traité des monnaies gauloises, 1903, p. 226 et suiv. — Je ne crois pas à un monnayage marseillais à celle époque : les pièces à la tête de phoque (n° 496 et 409) sont importées de Phocée (cf. Babelon, p. 58, n. 1).

[143] Obole : 0 gr. 55 (Blancard) ; obole : 0 gr. 57 (Muret et Chabouillet, p. 9). Diobole, pentobole (?), comme multiples ; demi-obole et quart d’obole, sous-multiples.

[144] Les pièces marquées sur deux faces sont une infime exception.

[145] Relevé fait par Muret, p. 8.

[146] Trésor d’Auriol.

[147] A Cavaillon (Muret, n° 184).

[148] A Saint-Rémy (Laugier, n° 49, p. 11).

[149] Au quartier des Barres en février 1887 (Blancard et Laugier, p. 3).

[150] Müllenhoff, Deutsche Altertumskunde, I, 1870, p. 217 et suiv. ; d’Arbois de Jubainville, Les Premiers Habitants de l’Europe, I, 1889, p. 330-335.

[151] Hésiode (?) apud Hygin, 154 ; le même, fr. 199, Rzach ; Hésiode nomme déjà l’Éridan aux profonds tourbillons (Théogonie, 338).

[152] Euripide, Hippolyte, 733 et suiv. ; Phérécyde ap. Hygin, 154, et fr. 33 c, Didot ; Scylax, 19, Didot ; Apollonius, IV, 566 et suiv. ; Pline, XXXVII, 31 et 32 ; Polybe, II, 16, 13 ; Diodore de Sicile, V, 23, 3.

[153] Pline, XXXVII, 32 ; Philostéphane de Cyrène dans les scholies à Denys, 390 (Didot, Geogr. Gr. min., II, p. 443) ; cf. Apollonius, IV, 627-34.

[154] Eschyle ap. Pline, XXXVII, 32. Le nom de Rhune ici ne peut désigner que l’Ebre, ce qui est peut-être également le cas chez Hérodote, fr. 20 (Didot, II, p. 34). — Il faut ajouter, pour expliquer que l’épisode de l’ambre ait pu se localiser ou se transporter même sur le Rhône, l’Ebre et le Pô, que ces trois fleuves ont servi également de voies de commerce, et que c’était une habitude des mythographes ou des géographes anciens de confondre lieu de marché et lieu de production : on chargeait l’ambre par exemple dans les marchés du fond de l’Adriatique, on imagina que c’était là qu’il était produit. Concurrence des marchés et déplacement du mythe vont de pair. Car le mythe de Phaéton s’adapta aux marchés de l’ambre, comme celui d’Hercule aux routes du commerce par terre, et relui des Argonautes au commerce par les voies maritimes et fluviales.

[155] Hérodote, III, 115 (l’Elbe peut-être plutôt que le Rhin) ; Pausanias, I, 4. 1 (source différente de Timée et peut-être la même qu’Hérodote ; plutôt encore l’Elbe) ; peut-être Denys, 288-9 ; scholies à Denys, 290 (Didot, p. 443).

[156] Hésiode, Bouclier, 314 et suiv. — Cf. Histoire naturelle des oiseaux (Buffon), IX, éd. de 1783, p. 16 : (Les régions) du Nord semblent être la vraie patrie du cygne et son domicile de choix, puisque c’est dans les contrées septentrionales qu’il niche et multiplie.

[157] Les Grecs ne se sont-ils pas laissé impressionner, pour ce détail de leur légende, par ce que les marchands ont pu raconter sur le tremble, qui est précisément un des arbres caractéristiques et primitifs de la Basse Allemagne (Hoops, p. 14, p. 124, etc.) ? Autres souvenirs possibles de faits constatés chez les indigènes, p. 142, n. 1.

[158] Hésiode, éd. Rzach, fr. 199 ; le même (?) ap. Hygin, 154 ; Apollonius, IV, 603-611 ; Denys le Périégète, 290-3 ; Pline, XXXVII, 31 ; Diodore, V, 23, 3 et 4.

[159] Hésiode (?) ap. Hygin, 134 ; Ovide, Mét., II, 367 et suiv. ; Virgile, Énéide, X, 185 et suiv. — Sur les détails de la fable de Phaéton, cf. Knaack, Quœstiones Phaethonteæ, 1886 (Philologische Untersuchungen).

[160] Eschyle ap. Strabon, IV, 1, 7 (fr. 193, Nauck) ; Denys d’Halicarnasse, I, 41, 3 ; Apollodore, II, 5, 10, 9 (Didot, Fr. h. Gr., I, p. 140) ; Méla, II, 78 ; Eustathe, Comment. in Dion., 76 (Didot, p. 231). Les chefs ligures, Alebion et Dercynos (ou Bergyon), dont il est question à ce propos, représentent sans doute des noms de lieux de la Ligurie provençale (cf. Alebece, Riez ; mieux Bergine civitas, ou Rhéginé) transformés par les mythographes en noms de fils de Neptune. — Les roules qu’on fit alors suivre à Hercule furent : 1° celle du mont Genèvre et de la Durance ; 2° puis, semble-t-il, le chemin traversier du défilé de Lamanon (cf. Vidal de La Blache, Tableau, p. 56) à la Crau et à Arles, sur lequel a dû se placer le combat contre les Ligures ; 3° la voie languedocienne, par Nîmes (άπό Νεμαύσου Ήρακλείδου, Parthênius apud Étienne de Byz., s. v.) et Elne jusqu’au Pertus et en Espagne (cf. Silius, III, 420-441) ; 4° sans doute la route transpyrénéenne de la Cerdagne, où l’on montrait (à Puycerda ?) Tyrinthia castra (Silius, III, 358) ; 5° peut-être la route subpyrénéenne d’Elne à Oyarzun, par laquelle il serait allé chercher chez les Hyperboréens les pommes d’or qu’une ancienne tradition parait avoir placées dans le Nord (Apollodore, II, 5, 11, 3-4 ; cf. Bull. Hispanique, 1905, p. 227). Beaucoup de ces épisodes sont postérieurs à Eschyle et viennent du temps de Timée.

[161] Au voyage par le ciel et au voyage par la terre, la mythologie ajouta le voyage par eau, celui des Argonautes : mais de celui-ci nous n’avons, pour l’Occident que des épisodes rédigés au IIIe siècle : on les faisait remonter le Rhône et gagner le Rhin par les lacs de la Suisse, le long de la route fluviale déjà reconnue jusqu’au Léman avant 470 (Apollonius, IV, 627 et suiv.) ; et on les fit aussi longer les côtes de l’Océan (Diodore, IV, 56, 4, par Timée ?).