I. — L’UNITÉ LIGURE DE LA GAULE[2] C’étaient des populations de même nature qui, au sixième siècle avant notre ère, occupaient le sol de toute la Gaule. Les Grecs, qui ont été les premiers à nous parler d’elles, les ont appelées les Ligures, Λίγυες ; les Latins diront Liguses[3] ou Ligures[4] : nous ne savons si ce nom fut imaginé par des navigateurs étrangers[5], ou s’il était celui qu’elles se donnaient à elles-mêmes. — Beaucoup plus tard, au temps de Marius, les Ligures des Apennins prenaient pour vocable national celui d’Ambrons[6] : il n’est pas invraisemblable que ce mot ait été jadis en usage chez la majeure partie des peuples de cette espèce[7]. Mais les anciens explorateurs venus du sud ou de l’est, de Cadix ou de Phocée, n’employèrent jamais que le mot de Ligures pour désigner tous les habitants de la contrée gauloise. Ils le donnèrent également aux tribus du littoral de la Provence[8], aux indigènes du bassin du Rhône[9], aux peuples de la plaine de Narbonne[10]. C’étaient aussi des Ligures, disait-on, qui habitaient le long du grand golfe de l’Atlantique[11] ; et on appliqua ce nom aux peuplades plus lointaines encore, qui, erraient sur les rives et dans les forêts de la mer du Nord[12]. Même à l’époque de César, on se souvenait encore dans le monde gréco-romain des temps reculés où le nom ligure s’était étendu sans partage sur la Gaule entière[13]. Tous ces hommes ne se ressemblaient assurément pas. Mais les différences qui les séparaient étaient moins sensibles que les caractères qu’ils avaient en commun. Ils donnaient à ceux qui les visitèrent une impression d’unité, et non pas de divergence. Les récits des navigateurs ou les traditions des poètes ne s’expriment pas autrement sur les Ligures de la mer Intérieure et sur ceux de l’Océan[14]. Il est probable que le principal élément de leur unité était la langue : car le langage a été, dans l’antiquité comme de nos jours, le lien qui attache le plus fortement les hommes, et qui permet le plus à des tribus réunies de se créer un patrimoine commun de mœurs, de souvenirs et de dieux ; et des traits distinctifs d’une population, il est celui que remarquent tout d’abord les étrangers. De cette unité linguistique, nous avons encore de nombreux témoins dans les noms des accidents du sol français, montagnes, lacs, fleuves et sources. La grande majorité de ces noms viennent des hommes qui ont habité la Gaule avant les Gaulois[15]. Or, ils ont entre eux de frappantes analogies. Les ruisseaux de Provence, de Languedoc ou de Gascogne s’appellent souvent de la même manière que ceux de Normandie, de Bretagne ou de Belgique : la région du Var a ses Garonnes comme Toulouse et Bordeaux ont la leur[16] ; que de Dives[17], de Divettes[18] ou de Divonnes[19], que de Bièvres, de Beuvrons ou de Beuvronnes par toute la France[20] ! Le Lot, l’Audège de Bordeaux, l’Oudon de la Mayenne sont des mots formés du même radical, Oltis, Oldeia, Oldo[21]. Il y a des Jarrets ou des Giers près de Marseille et près de Lyon[22]. Le lac Léman et la Limagne sont un seul nom et signifient la même chose. Une forêt d’Ardenne exista en Normandie[23], et une autre en Saintonge[24]. Et l’on pourrait à ces exemples en ajouter des centaines, près ou plus d’un millier[25]. Il faut donc qu’un seul et même idiome ait été longtemps parlé par tous les Ligures, depuis le Rhin jusqu’aux Pyrénées, depuis les Alpes jusqu’à l’Océan. Ils ont imposé leur langue à cette vaste contrée, ils en ont à jamais fixé les mots sur ses fleuves et sur ses sources : ils ont été, pour notre pays, un premier ferment d’unité. II. — DES NOMS DE LIEUX LIGURES Tous ces noms, sans aucun doute, ne furent d’abord que des noms communs. Ils se rapportaient à la couleur ou au bruit de la rivière ou de la montagne ; ils signifiaient, je suppose, l’eau blanche ou l’eau qui court, l’eau noire, la roche blanche ou le mont rouge, la rivière des castors[26] ou la fontaine divine[27]. Avant de devenir, par suite de changements contraires, les noms propres de ruisseaux différents, ces mots furent d’abord des épithètes de condition. Ils disaient la manière dont l’homme percevait la nature ou décrivait l’aspect de la terre qu’il habitait. Ces vocables, ceux des cours d’eau surtout, ont eu une incroyable vitalité. Nous ne changeons pas volontiers les termes qui s’attachent à la vie permanente du sol : Les hommes vont et viennent, les migrations des peuples passent et détruisent : mais les noms des rivières et des montagnes demeurent presque aussi immuables que leurs pentes, et les anciens maîtres de la terre transmettent avec elle ces noms aux conquérants. Les Alpes et les Cévennes, le Rhin, le Rhône, la Loire et la Seine, et les plus humbles sources elles-mêmes, malgré les révolutions humaines qui ont tout bouleversé autour d’elles, gardent éternellement les mots que leur ont attribués nos premiers ancêtres connus. Les Ligures, en imaginant ces mots, ont inauguré la vie historique des formes de notre sol[28]. III. — LES LIGURES HORS DE GAULE[29] Mais les Ligures n’étaient point une population particulière à la Gaule. Ni les montagnes, ni le Rhin, ni les mers ne les enfermèrent jamais dans cette vaste contrée. On les trouve, bien au delà de nos frontières, dans toutes les régions de l’Occident, pour ne point chercher plus loin encore. En Italie, en Espagne, dans les plaines et les montagnes de la Germanie, dans les îles de la Méditerranée et dans celles de l’Océan, ils ont, aussi bien qu’en Gaule, laissé comme vestiges des noms de cours d’eau et des noms de montagnes. L’Espagne et la Grande-Bretagne ont leurs Dives, homonymes des ruisseaux français[30] ; le Douro est le même mot que les Doires italiennes[31] ; la Seine française, Sequana, a signifié la même chose que le Jucar au sud des Pyrénées, qui a porté une appellation semblable, Sicana[32]. Le sol de l’Irlande et celui de la grande île voisine sont pourvus de mots qui viennent de la langue ligure[33] : elle était, je crois, celle de ces groupes d’indigènes nés dans l’île bretonne, que les Gaulois refoulèrent vers l’intérieur et que César connut encore[34]. L’Isère des Alpes, l’Oise des Belges, l’Isar de Bavière se sont également appelées toutes trois Isara[35]. Vesuna a été, un peu partout dans le monde occidental, une source devenue déesse, chez les Italiotes, dans le Périgord et près des Ardennes[36]. Le Rhin germanique et le Reno de Bologne[37] viennent d’un seul radical, comme le mont Viso et le mont Vésuve[38]. Même les collines et les fontaines sacrées de Rome ou de l’Étrurie demeurèrent marquées à l’empreinte de cet idiome, le premier qui ait réalisé, avant le latin, l’unité de l’Occident. L’ancien nom du Tibre, Albula[39], se rencontre dans celui de l’Elbe, Albis, et ces deux eaux souveraines du peuple romain et du peuple germain se trouvèrent homonymes[40]. Les Cévennes, Cimenice regio[41], qui fermaient comme une muraille l’horizon des plaines du Languedoc, s’appelaient de la même manière que ces montagnes céminiennes aux forêts profondes, saltus Ceminii, qui bloquaient au nord les regards des riverains du Tibre[42]. Le nom de l’Aventin, qui d’une source, je suppose, est passé à la colline plébéienne de la Ville Éternelle, rappelle celui de bien des ruisseaux de terre ligure, l’Avance gasconne, l’Avenza toscane, l’Avenches helvétique[43]. Et cette énumération pourrait être indéfinie[44]. Les Anciens eux-mêmes avaient maintenu la notion très précise d’une période où les Ligures occupaient tout l’Occident. Au temps des conquêtes romaines, la région de Gênes était regardée comme un pays ligure, et ses habitants, comme les derniers héritiers de ce nom : refoulés de partout ailleurs, ils ne maintenaient que sur les terres rocheuses des dernières Alpes et des premiers Apennins leur dialecte et leurs coutumes[45]. Mais on savait et on répétait qu’ils avaient, en Italie même, dominé les plaines du Pô[46] et de l’Arno[47], et la tradition disait que les premiers habitants des Sept Collines, les sujets de Faunus et les voisins d’Évandre ne furent autres que des Ligures[48]. Légendes et toponymie s’accordaient partout. La Corse leur avait appartenu[49]. On les faisait descendre jusqu’en Sicile[50], et on parlait sans cesse d’eux en Espagne[51]. Leurs traces se retrouvaient encore non loin de Cadix, et les marécages que traversaient les eaux du Guadalquivir s’appelèrent jadis le lac Ligure[52]. — Ainsi, le souvenir de ce genre d’hommes se perpétuait mime dans ces deux coins du monde, Rome et Cadix, par où commença l’histoire connue de l’Europe du couchant. Les tribus qu’on appelait de ce nom de Ligures avaient donc, dix siècles et plus avant notre ère, recouvert toutes les terres occidentales de leurs masses nombreuses. Aucune différence appréciable de langage ne séparait les habitants de ces grandes régions. Les frontières géographiques les plus nettes, Alpes et Pyrénées, disparaissaient sous des couches humaines toutes semblables les unes aux autres[53]. Puis, des influences étrangères ou des transformations spontanées différencièrent les péninsules du Midi. Des bandes d’étrangers vinrent y camper, çà et là, par-dessus le fond ligure[54] ; la langue s’y modifia presque partout, le nom primitif s’y dissimula dans des traditions imprécises. Il s’organisa, en Italie, en Espagne, des groupes distincts, des individualités politiques ayant chacune son idiome et son ambition. Les régions naturelles de l’Europe se dégagèrent peu à peu de l’obscure monotonie des premiers temps. De puissantes nations se formèrent dans les grands bassins fertiles des terres les plus chaudes. L’Espagne eut les Tartessiens dans l’Andalousie, la plus riche vallée du monde par ses blés, ses troupeaux et ses métaux : et ce fut peut-être le plus ancien État de l’Occident, le seul comparable par sa prospérité et son antiquité aux empires du Nil et des fleuves de la Mésopotamie[55]. Les Ibères se constituèrent autour de l’Èbre, les Étrusques autour de l’Arno, les Latins auprès du Tibre[56]. Déjà, au sixième siècle, ces quatre nations possédaient derrière elles un long passé de faits et de noms[57]. En ce temps-là, la Gaule et les terres voisines, l’île de Bretagne, les Alpes et les Pyrénées sur leurs deux versants, n’avaient pas encore reçu l’invasion extérieure ou l’impulsion interné qui devait donner le branle à une nouvelle vie. La secousse initiale y fut tardive. Plus longtemps que les terres méridionales, elles demeurèrent aux yeux des étrangers la zone ligure aux limites mal définies. Quand les géographes grecs parlaient de ces peuples du Nord, ils les groupaient sous cette appellation de Λίγυες, Ligures, dans laquelle ils se perdaient tous confusément[58]. IV. — HYPOTHÈSES SUR LA RACE ET LA LANGUE LIGURES[59] De ce que tous les habitants de la Gaule étaient appelés d’un même nom, de ce qu’ils parlaient la même langue, il ne suit pas qu’ils eussent une origine commune, et qu’ils fussent les descendants d’ancêtres d’une seule race. De l’unité de nom, ne concluons pas à l’unité de race. Les Anciens ont ignoré les appellations d’ordre purement ethnique, c’est-à-dire définissant les caractères physiques d’un groupe d’hommes semblables : leurs noms de peuples sont de nature politique, ou linguistique, ou géographique. Ibères, Égyptiens, Étrusques ou Numides signifiaient des tribus qui habitaient la même région, qui s’entendaient ensemble ou qui parlaient la même langue. Ceux qu’on nommera plus tard les Celtes et les Bretons[60] seront à la fois les petits-fils de Gaulois immigrés et de Ligures indigènes. Qui peut dire combien il est resté de Pélasges chez les Hellènes et d’Aborigènes chez les Latins ? Les Juifs eux-mêmes, les fils d’Israël, n’étaient-ils pas, pour une part, les rejetons des Cananéens qu’ils avaient trouvés et laissés vivre sur la Terre Promise[61] ? Encore Israël, Latium, Hellade et Celtique sont des noms nationaux, que les populations se sont donnés à elles-mêmes, tandis que celui de Ligures est peut-être la création irréfléchie de géographes ou de voyageurs venus de loin. L’unité de l’idiome ne prouve pas davantage l’unité de l’ascendance. Race et langue sont deux faits parfaitement séparables[62]. Que d’hommes parlent l’arabe, qui n’ont pas dans les veines une goutte de sang sémitique ! Les peuples de l’Antiquité étaient aussi capables de désapprendre leur langage que le sont ceux de maintenant. Peut-être même l’étaient-ils davantage : car la fidélité au parler maternel est soutenue aujourd’hui par le sentiment du patriotisme et des traditions littéraires, qui manquaient, je pense, aux populations plus anciennes. Il a suffi de cinq ou six siècles à la Gaule pour perdre l’usage du celtique, et de moins encore à l’Étrurie pour oublier l’étrusque. On répétait sans cesse, au temps de Stilicon, les mots de Romains et de langue latine : et il n’y eut jamais, dans l’histoire du monde, un amas d’hommes plus divers de nature et plus éloignés de l’origine indiquée par leur nom et par leur idiome, que ceux qui portaient le nom de Rome et qui parlaient son langage. Ne considérons donc pas les Ligures comme les représentants uniformes d’une race déterminée. Ils sont la population qui habitait l’Europe occidentale avant les invasions connues des Celtes ou des Étrusques, avant la naissance des peuples latin ou ibère. Ils ne sont pas autre chose[63]. Mais de combien de migrations, de conquêtes, de guerres, d’empires et de mélanges sont-ils le résultat ? Dans quelle proportion descendent-ils des hommes qui se sont succédé sur leur sol ? de ceux qui ont habité les cavernes et qui ont dessiné les fines et puissantes figures des grottes de l’époque du renne ? de ceux qui ont su tailler et polir la pierre ? de ceux qui ont inventé l’usage des métaux et la fabrication du bronze ? Nous ne le savons pas, et je crains qu’on ne le sache jamais. Il y a, derrière les tribus du septième siècle, un formidable amas de vies humaines, d’unions sexuelles, de formations et de dislocations d’États, et d’invasions par terre et par mer, un enchevêtrement de langues, de types et d’habitudes qui échappe à toute analyse. L’époque ligure est simplement le terme et la conséquence de ce long passé[64]. Que, dans les différents éléments qui ont formé le type physique des Ligures, il y en ait eu un de prépondérant ; qu’ils aient appartenu en majorité à l’une des grandes races humaines qui se partagent le monde, cela est fort vraisemblable. Mais nul, dans l’état actuel de la science, n’a le droit d’affirmer qu’il a retrouvé quelle était cette race. Et cependant, les affirmations ont été, sur ce point, aussi formelles que contradictoires. D’un livre à l’autre, on se heurte à des conclusions absolues et opposées, sans qu’on sache le motif qui rend les assertions si fortes. Berbères[65], Égyptiens[66], Gaulois, Basques et Ibères[67], Mongols, tous les noms de peuples ou de races ont été prononcés pour créer une parenté aux Ligures. — Ils représentaient, disent les uns, les populations non aryennes de l’Occident, antérieures et étrangères aux grands courants d’hommes que déversa plus tard sur lui la race indo-européenne[68] ; et c’étaient, ajoute quelqu’un, des débris de hordes venues de l’Afrique, et filles d’une forte race qui aurait jadis revendiqué pour elle toutes les terres de la Méditerranée[69]. — Les autres répondent que la plupart des Ligures furent des Aryens au même titre que les nouveaux venus, qu’ils différaient à peine de leurs envahisseurs, et que ceux de la Gaule n’étaient que des Indo-Européens des premiers bans, et, pour ainsi dire, des Celtes d’avant le nom celtique[70]. C’est vers cette hypothèse que j’incline à l’heure présente, et chaque jour davantage. Je dois avouer cependant qu’elle ne s’appuie que sur un seul argument, celui que fournit la langue des Ligures[71]. Et cet argument a en lui deux causes de faiblesse. — D’abord, on vient de le dire, la langue ne prouve pas la race : le ligure a pu être, comme plus tard le celtique et le latin, imposé à des indigènes par quelques poignées de conquérants. — Puis, le vrai caractère de cet idiome est encore fort mal établi. Les seuls débris qu’il nous a laissés sont des lambeaux de son vocabulaire : à peine une demi-douzaine de noms communs dont le sens soit certain[72], et beaucoup de noms de lieux et de personnes, qui sans doute sont aussi des noms communs, mais dont l’explication est conjecturale[73]. — Au premier abord, ni par leur consonance, ni par leur mode de formation, ni par leur sens possible, aucun de ces mots ne diffère sensiblement des langues indo-européennes[74]. Bodincus, qui était le nom ligure du Pô, signifiait sans fond : bod- rappellerait donc le boden germanique, sol ou fond, et bodincus équivaudrait, comme sens et aspect, à bodenlos[75]. Le nom d’Ambrons, que se donnaient les Ligures italiens, n’était-il pas aussi celui d’un peuple, gaulois ou germain, qui accompagna les Cimbres et les Teutons ? et quand Ambrons et Ligures se heurtèrent dans la bataille de Marius, ce fut ce nom qui, comme cri de guerre, fut hurlé des deux côtés barbares[76]. Il semble que berg-, chez les Ligures, voulût dire quelque chose comme hauteur[77], ou montagne, ou château fort, et l’on pense tantôt au berg, tantôt au burg des langues germaniques[78]. Garonna, qui est certainement d’origine ligure, et peut-être un de leurs qualificatifs favoris pour les rivières et les ruisseaux, fait songer au latin garrire, garrula, la bavarde[79]. Au cas où Rodanus, le Rhône, traduirait cours d’eau, il rappellerait le lithuanien ritù, je roule, l’irlandais rethim et le breton redann, je cours[80]. S’il est vrai que les sources appelées Dive ou Divonne aient reçu ce vocable des Ligures, et qu’elles signifient sainte ou divine, voilà, chez eux, un des radicaux, div-, les plus connus et les plus généraux des langues indo-européennes. La leur ne serait-elle donc pas leur sœur très ancienne, plus tôt séparée de la mère commune que le latin, le gaulois ou le germanique[81] ? Le malheur est qu’en disant cela, nous bâtissons une hypothèse d’ensemble sur des hypothèses de détail. — Aucune des traductions qui précèdent n’est incontestable. — Tous ces mots nous sont arrivés défigurés, et comme désorganisés, par des transcriptions latines ou grecques, et ils sont peut-être aussi différents de leur vraie forme que Carthago et Καρχηδών le sont du mot punique Kart-Hadchat qui les a déterminés. — Enfin, plusieurs des mots similaires constatés chez les Celtes, les Germains ou les Latins, ont pu être empruntés par eux à l’idiome des peuples qui les ont précédés. — Rien, en matière de preuves linguistiques, n’est plus délicat que celles que fournit l’étude des vocabulaires : ils sont souvent aussi riches d’emprunts que de biens propres. — Pour juger à coup sûr de la langue des Ligures, il faudrait en connaître autre chose que des lambeaux décomposés, en savoir le mécanisme, les procédés de flexion ou d’accouplement, les variations des formes et les règles de la syntaxe. De cela, nous ignorerons tout, jusqu’au moment d’une grande découverte épigraphique. Pas une phrase ligure, bien caractérisée, ne nous est parvenue[82]. — L’origine indo-européenne de cette langue est la moins invraisemblable des conjectures qu’elle a suggérées : ce n’est toujours qu’une conjecture. Et cependant, c’est la linguistique qui fournit le seul moyen de supposer quelque chose sur l’origine et sur la famille de la majorité des Ligures. — L’anthropologie est plus boiteuse encore. Sans aucun doute, ils ont laissé d’eux des squelettes et des crânes ; parmi les ossements des stations palustres et des dolmens, beaucoup proviennent des populations qu’on a appelées de ce nom. Tous ces débris humains ont été, de nos jours, catalogués, mesurés, comparés avec un soin infini. — Mais, de ces études, il n’est, jusqu’ici, rien venu de décisif. Comme ces tombes ne sont pas datées à coup sûr, que l’espèce du défunt se dissimule sous le plus complet anonymat, et qu’elles ont livré des crânes de deux types, les uns longs et les autres courts, avec beaucoup de variétés intermédiaires, on n’est sorti d’embarras que par l’affirmation catégorique : l’article de foi a remplacé le raisonnement. Les crânes des Ligures, dit l’un, sont les crânes brachycéphales, ce qui dénote une race mongoloïde[83] ; ce sont, dit l’autre, les crânes dolichocéphales, ce qui les rattache à une grande famille méditerranéenne[84]. — Remarquez que quelques-uns se demandent maintenant si la dolichocéphalie et la brachycéphalie forment des caractères typiques d’une race, et non pas les variétés universelles du squelette humain[85]. En raisonnant ainsi sur les crânes ligures, on va de l’inconnu à l’inconnu, et on applique à des observations incomplètes des principes arbitraires. — L’anthropologie est, certes, une admirable science, elle est celle à qui l’avenir, je crois, réserve le plus de triomphes : elle seule pourra découvrir ces infiniment petits du cerveau, du squelette ou des organes, qui expliqueront les différents tempéraments des hommes et des peuples[86]. Mais aujourd’hui, comme tant d’autres sciences, elle en est à ses débuts : et, du fait de sa jeunesse, elle n’apporte que de pénibles tâtonnements dans les problèmes complexes des populations ligures[87]. Quelle que soit, au surplus, leur origine, qu’elles aient été aryennes ou non, elles se sont complètement fondues avec celles qui les ont conquises. Ni en Italie, ni en Gaule, ni en Espagne, elles n’ont éternellement défendu leur type, leur langue, leurs habitudes propres. Si quelques-unes d’entre elles, dans les Alpes, les Apennins, les Pyrénées et les Grampians, ont résisté plus longtemps aux influences voisines, cela a tenu surtout à la nature de leur pays et à certaines conditions politiques. Mais tôt ou tard, cette résistance a été brisée, sauf peut-être dans le Pays Basque, où il est vraisemblable que le passé ligure a beaucoup laissé[88]. Mais, de ce passé, il ne reste aucun vestige un peu net, même dans les régions méditerranéennes qui lui appartenaient encore au temps des empereurs. Des langues barbares connues des Anciens, c’est le ligure que les Romains perçurent le plus longtemps sur la terre italienne, dans la région apennine : or, tout indice en a disparu du dialecte actuel de la Rivière de Gènes, et les caractères propres des hommes et des femmes de ces pays peuvent s’expliquer par la nature de leur sol et par les conditions de leur vie. En Gaule ; moins de six siècles après la conquête celtique, César n’entendit plus parler des Ligures. Ni leur race ni leur langue ne les rendaient réfractaires à des transformations profondes[89]. V. — TEMPÉRAMENT PHYSIQUE[90] L’étude du tempérament physique et moral des Ligures nous fera enfin sortir de l’impénétrable obscurité où demeure le problème de leurs origines. Nous avons, pour le connaître, des témoins oculaires. Ceux qui habitaient les rives de la tuer de Sardaigne, les Alpes de Provence et les Apennins du nord, ont été souvent visités, depuis la fondation de Marseille, par les voyageurs grecs et les généraux romains : ils ont été observés avec soin par quelques-uns ; les témoignages qu’on a portés d’eux concordent tous[91]. — Voici donc le portrait qu’on traçait, aux abords de l’ère chrétienne, de ces populations ligures, derniers rameaux visibles des peuples dont le nom avait occupé tout l’Occident. — C’était une rude espèce d’hommes[92]. Le Ligure ne payait pas de mine : son pays était pauvre, il se nourrissait mal, il lui fallait peiner et suer pour trouver une subsistance médiocre, et son corps ramassé et maigri, la petitesse de sa taille, révélaient l’éternel effort de sa vie. Mais il n’avait que l’apparence de la faiblesse, et ce frêle extérieur cachait une forte charpente, des muscles solides, et des membres d’une incroyable élasticité. Nul peuple de l’Antiquité, pas même les Grecs, n’avait su faire du corps un instrument aussi docile et aussi résistant. La fatigue n’abattait jamais le Ligure ; ses organes et ses articulations semblaient répondre à sa volonté avec une précision immédiate. Comme force, il valait, dit-on, les grands animaux sauvages. Vivant dans d’âpres montagnes, souvent au milieu des neiges, ces hommes avaient acquis une sûreté de jarret, une souplesse de jambe, qui faisaient d’eux les premiers grimpeurs du monde[93]. On les disait d’invincibles piétons, et dans la marche et dans la course ; en ténacité et vitesse, les Ligures n’eurent point de rivaux dans les pays méditerranéens : une habitude du langage accolait à leur nom la même épithète de rapide qu’aux lièvres et aux chamois de leurs montagnes[94]. A la guerre, ils ne possédaient presque point de cavalerie[95] ; mais ils étaient d’incomparables fantassins et de très bons tirailleurs. Car les muscles de leurs bras avaient la même fermeté et la même agilité que ceux de leurs jambes. Mettez aux prises le plus grand des Gaulois, et un frêle Ligure : c’est le Gaulois qui sera vaincu. Et cette promptitude du bras et de la main s’allia chez eux à une merveilleuse justesse du coup d’œil : ils furent les plus habiles de tous les chasseurs dans le genre de tir qui est le plus délicat, qui exige le plus l’une et l’autre qualités physiques, le tir à la fronde. Que des oiseaux passent devant un groupe de frondeurs ligures, chaque fronde choisira sa victime, et aucun coup ne manquera[96]. Les femmes, dans ce milieu, répondaient aux hommes : ceux-ci avaient une force de bêtes, celles-là une vigueur de mâles[97]. Elles besognaient sur la terre avec le même acharnement. Les Grecs ont raconté, non sans stupeur, qu’elles travaillaient jusqu’à l’heure précise de l’accouchement ; l’enfant né, elles le lavaient, puis elles reprenaient la tâche un instant interrompue, labourant ou sarclant de leurs gestes habituels[98]. Ces Ligures étaient donc les peuples des plus durs travaux[99]. Les uns, la journée entière, armés de lourdes haches, fendaient et abattaient les arbres puissants de la montagne. Les autres, courbés vers la terre, cassaient les cailloux de leurs rochers, pour se créer quelques terrains de culture[100]. D’autres pourchassaient les bêtes sauvages. Et de plus hardis enfin, montés sur des barques plus simples même que des radeaux, faites peut-être de troncs d’arbres creusés, s’en allaient courir les mers dans une égale ignorance du danger et du secours, et demandaient aux eaux lointaines le poisson dont leurs rives se montraient avares[101]. Les plus heureux étaient les bergers du rivage et de la montagne[102] : mais les autres, bûcherons, chasseurs, carriers, marins, furent éternellement en lutte contre tout ce qui résiste à l’homme dans la nature : le rocher, la forêt, la bête et la mer. — A lire cette description des êtres et de la vie ligures, on se trouve brusquement reporté dans les plus anciennes périodes de l’histoire légendaire de l’humanité : on croit voir en ces hommes les derniers des habitants des cavernes[103], les fils de la montagne[104], aux chevelures longues et hirsutes[105], prolongeant en face des mers étrusques la misère de leur douloureuse existence[106]. Mais ces Ligures des Alpes Maritimes et de l’Apennin génois étaient-ils l’image fidèle de ceux qui avaient peuplé autrefois toute la Gaule ? L’espèce entière a-t-elle ressemblé aux plus récents rejetons qu’elle ait produits sur les rives de la Méditerranée ? Il est difficile de l’affirmer. Les conditions du pays de Gènes sont peut-être la véritable cause de cette complexion physique et de ce genre de vie. Il n’y a pas, en Italie, de terre et de mer plus ingrates. Le sol ne fournissait en abondance ni blé ni vigne, les arbres fruitiers y venaient mal, le soc de la charrue n’y remuait aucune glèbe qui ne fût mêlée de cailloux[107]. Ne serait-ce pas la dureté du terrain qui aura fait peu à peu la dureté des corps ? la mauvaise terre, qui les aura forcés à la mauvaise vie[108] ? Qui sait si dans les vallées du Rhône ou de l’Allier, où la nature fait sortir d’un sol gras le plus facile des aliments, le Ligure n’a pas eu l’aspect plus réjoui et une existence plus molle ? Il semble cependant que quelques-unes des habitudes physiques de l’Alpin et du Génois fussent un legs du tempérament ou des usages communs de l’espèce ligure. Le principal caractère qu’on ait signalé chez les Ligures de l’Océan et des époques lointaines est l’extraordinaire vitesse de leur course[109] : et c’est celui qu’on notait le plus souvent chez leurs congénères italiens des temps classiques. Ceux des rives de la Manche et de la mer du Nord firent aux négociants de Cadix l’impression de marins effrontés, conduisant leurs barques de cuir cousu au beau milieu des pires tempêtes, aussi orgueilleux dans leur insouciance que leurs frères cadets de la mer Intérieure[110]. Les Ligures, au nord comme au sud, ont donc été tout au moins une population de piétons aux marches rapides et de marins aux prouesses audacieuses. VI. — TEMPÉRAMENT MORAL Ces robustes travailleurs furent peu sympathiques aux Anciens. Ceux-ci ont traité les Ligures des Apennins, des Alpes et de la Provence, les seuls dont ils aient décrit la complexion morale, avec une défaveur marquée. On dirait que les aristocrates de Rome et les aimables philosophes de la Grèce leur aient fait un reproche de n’être rien de plus que des hommes de peine, les éternels manœuvres de la vie matérielle. — Chez eux, disait-on, la vie intellectuelle n’existait pas. Ce furent les plus illettrés des peuples. Ils n’écrivaient, ne racontaient rien sur eux-mêmes ; ils n’avaient aucune histoire, aucune légende : ils n’entretenaient pas avec les hommes disparus cette communion de sentiments qui fait le charme des vieux récits. Le rêve et la pensée se bornaient chez eux à l’espérance et à la joie du pain quotidien[111]. L’intelligence, cependant, ne leur faisait point défaut. Mais elle n’était guère que l’auxiliaire de leurs besoins physiques. Le Ligure avait l’esprit fertile en inventions et en tromperies[112], surtout quand il s’agissait de voler ou de se tirer d’un mauvais pas. On disait couramment duper comme un Ligure[113]. Il fut un des plus astucieux personnages de l’Antiquité, une sorte d’Ulysse barbare. Quand Virgile, dans son Énéide, veut ajouter à un banal récit de combats singuliers l’épisode pittoresque d’une ruse de guerre, c’est à un chef des Ligures qu’il en attribue l’invention[114]. Leurs efforts intellectuels se dépensaient en embûches et en mensonges, ces embûches de la vie courante[115]. L’Antiquité les a représentés comme d’abominables pillards, bandits de grandes routes, très cruels et très hardis, voleurs de bestiaux, tueurs d’étrangers, et peut-être mangeurs de chair humaine[116]. Ce sont eux, disait-on, qui attaquèrent Hercule dans la plaine de la Crau[117] ; j’imagine que les Lestrygons qui dévorèrent si allègrement les compagnons d’Ulysse, étaient les Ligures de Sardaigne[118]. La légende ne parlait que de leurs méfaits sur terre. Mais, en matelots endurcis qu’ils étaient, ils ne réservaient pas leurs audaces maritimes pour des gains et des trafics licites, et on les vit piller les comptoirs et écumer les rivages de la Méditerranée occidentale jusqu’au détroit de Gibraltar et aux approches de Cadix[119]. Après tout, brigandage et piraterie leur étaient presque imposés par la pauvreté de leur pays et par la nécessité de vivre. Cependant, ils ne se montrèrent pas incapables de qualités plus humaines. Ils devenaient, le cas échéant, aussi hospitaliers que n’importe quelles tribus sauvages : on verra le gracieux accueil que ceux de Marseille feront aux Grecs de Phocée. La tradition rapportait que la route de la Durance et du mont Genèvre était devenue une des plus sûres de l’Occident, et elle traversait les pays des Ligures[120]. Il est vrai qu’ils avaient intérêt à ne pas rebuter les riches voyageurs, source périodique de revenus : mais au moins n’étaient-ils pas de ces sauvages stupides qui ne voient dans l’étranger qu’une victime pour leurs dieux. Enfin, ce furent de merveilleux combattants, solides, tenaces, têtus, étrangers aux paniques, ignorant que l’on peut craindre la mort. Sauf les Cantabres du nord de l’Espagne, aucun peuple ne fatigua plus les généraux de Rome que les Ligures italiens, toujours vaincus et toujours rebelles[121]. Il fallut en arracher des milliers à leurs montagnes paternelles pour mettre un peu d’obéissance dans les régions apennines[122]. Parfois, à l’heure de la soumission, une tribu toute entière se suicidait, hommes, femmes et enfants, et disparaissait, pour demeurer libre, en un formidable et mutuel égorgement[123]. Ce courage et cet amour de l’indépendance s’alliaient à un culte extraordinaire pour le sol natal. Parmi toutes les nations de l’Antiquité, je n’en trouve aucune qui fût moins mobile. Aucune invasion, aucune expédition de conquête n’est partie de leur pays[124]. La guerre demeura avant tout pour eux une chasse, la prise immédiate d’un gibier qu’on emporte ; ils se battirent et tuèrent pour voler des marchandises et des bestiaux, et non pas pour garder des villes. Ils piratent, ils pillent, ils brigandent : mais cette façon de guerroyer est celle d’hommes qui ne veulent pas s’établir hors de chez eux ; ils ne savent pas faire la grande guerre. De tous les noms de l’Antiquité, c’est le nom ligure qui a le moins essaimé. Étrusques, Ibères, Italiotes, Hellènes, Celtes, Belges, Germains, ont tous été, à plusieurs moments de leur vie, des peuples en marche, qui colonisent ou qui annexent : les Ligures furent, au contraire, la population éternellement refoulée, et, contre les nations qui les traversèrent de toutes parts, ils ne tentèrent presque jamais un retour offensif. Quand ils cherchent les aventures lointaines, c’est uniquement sur les routes maritimes[125], et le métier de pécheur et de marin n’est pas incompatible avec l’amour tenace des poutres et du seuil de la chaumière, avec le culte des tombeaux et du foyer : courir sur mer, c’est éviter toute autre demeure que celle de son pays. Chassé par l’ennemi de sa terre, le Ligure y revient dès qu’il peut[126]. Le plus grand châtiment qu’on puisse lui infliger, c’est de le contraindre à en émigrer pour toujours[127]. Une force invincible l’unit aux sépulcres de ses ancêtres et aux pénates de sa vie[128], et il semble fait à l’image de ses montagnes, dur et stable comme elles. — Je le répète, ce portrait moral ne s’appliquait qu’aux Ligures des Apennins et des Alpes. On verra que sans doute, sur plus d’un point, ceux de la Gaule leur ressemblaient. Mais aucun écrivain ancien ne l’a dit. VII. — LES DIEUX[129] Sur la religion des Ligures nous n’avons aucune certitude : je parle et de ceux de l’Italie classique et de ceux de la Gaule préhistorique. Ni eux mêmes ni les Gréco-romains n’ont laissé aucun souvenir, écrit ou gravé, des croyances et des rites qu’ils pratiquaient. Leur éloignement pour toute littérature a condamné leurs voisins à l’ignorance et leurs dieux au silence. J’essaierai cependant de conjecturer ici ce que fut la religion ligure ; et, guidé par les inscriptions de l’époque romaine[130], par de vagues allusions glissées dans les textes, par les lois les moins incertaines des faits religieux, je voudrais reconstituer la foi de nos premiers ancêtres connus. Elle était, je crois, étroitement liée à la vie du sol. Ces hommes sédentaires, attachés au coin qu’ils labouraient, vivant de la terre et pour elle, avaient fixé à jamais sur cette terre même les dieux qui engendraient leurs craintes et leurs espérances. Ils animaient par des Esprits ou des Génies les formes de la nature qui les entourait, sources et lacs, fleuves et montagnes, et la carte physique des pays ligures était l’image de leur panthéon[131]. De toutes les choses du sol, les sources, on l’a vu, sont les plus utiles à la vie humaine ; elles étaient aussi celles, dont l’existence, capricieuse et variée, rappelait le plus cette vie elle-même. Leurs murmures semblaient pareils à des voix ; elles aussi couraient et sautaient, et ces mille changements de leur aspect et de leurs bruits, qui éveillent tant de poétiques images dans les temps littéraires, multipliaient chez les Anciens les sensations d’un contact religieux[132]. Tout en désaltérant l’homme, elles lui sourient, elles l’égaient ou l’étonnent. On dirait qu’elles lui parlent, et il cherche à les comprendre. Elles n’ont pas, pour son imagination d’enfant, la froide austérité des forêts immobiles ; elles sont, de toutes les forces de la nature, celles qui étaient le plus pros de son âme[133]. Puis, que d’inestimables bienfaits il attendait de ces bonnes et vivantes nourricières ! C’est la fontaine qui rafraîchit, repose et purifie, qui soulage la fièvre, rend la vigueur et guérit la maladie : elle avait autant de vertus que de formes. Si c’est autour des sources que grandirent les groupes humains, elles furent, pour ces mêmes groupes, les rendez-vous permanents de leurs prières : créatrices des premières sociétés, et leurs premiers dieux[134]. — C’est à l’époque ligure que remonte le culte des sources saintes, je devrais dire de toutes les sources de la Gaule. Car la sainteté était inséparable d’elles, et, froides ou chaudes, elles furent également esprits ou génies, dieux ou déesses : et Divone, la fontaine de Bordeaux[135], et celle de Nîmes[136], aussi bien que la Seine, l’Yonne et l’Huveaune marseillaise, ou que les eaux plus énergiques de Néris, de Luchon et de Bourbon[137]. Qu’elles se perdissent dans les bois, qu’elles fussent pieusement recueillies par les hommes, qu’elles vécussent la vie brève et humble d’un ruisseau rustique, qu’elles s’étendissent en des lacs sans fond, abîmes d’eaux mystérieuses[138], ou que les hasards du sol les appelassent au rôle glorieux de grand fleuve, le nom que portaient les fontaines de la Gaule était toujours celui d’un Génie qu’on adorait en elles[139]. — En leur donnant ce nom, les Ligures ont fixé leur existence sacrée. Le culte de la source, dans les pays accidentés, s’associait à celui de la colline dont elle sortait : on les appela souvent l’une et l’autre d’un même mot. Bibracte, Alésia, sont des noms de fontaines qui ont gagné la montagne d’où l’eau s’échappait[140]. Les hommes confondirent dans une seule adoration et sous un vocable commun la roche immobile et muette, et la source vivante qu’elle semblait produire[141]. Peut-être, dans leur pensée, étaient-elles toutes deux un même Esprit, âme du lieu et origine de sa vie. Au reste, ils avaient un culte spécial pour les plus hauts sommets[142], qui montraient à l’horizon des campagnes leur tête isolée et dominatrice. Ces sommets vivaient, eux aussi, d’une vie propre, avec les aspects sombres ou lumineux de leur cime, présage de tempête ou de beau temps[143], avec les clartés qui les environnent au soleil levant, avec les nuages qui s’y amassent, les éclairs qui les sillonnent, le tonnerre qui y éclate, et surtout avec les vents qu’ils déchaînent de leurs flancs[144], et qui semblaient les souffles mêmes de leur divinité. Les peuples des Alpes, des Apennins, des Pyrénées, adoraient tous les Esprits de leurs montagnes, tantôt sous le nom de penn-, rocher ou tête[145], tantôt sous celui de vent-, celui qui vente : non pas que ces mots désignassent un grand dieu général planant sur les monts, un Esprit commun des hauteurs ; mais chaque masse saillante avait son Génie, maître propre et souverain de la contrée qui regardait vers lui. Après l’eau et le rocher, le végétal était une troisième essence de dieux, et lui aussi, arbre ou plante, avait son langage sacré, arbor numen habet[146]. — L’arbre surtout était un Esprit redoutable ; car il devient gros et fort, il s’élève vers les cieux, il s’isole dans une personnalité très nette, il est une forêt à lui seul, il survit à l’homme qui l’a vu grandir[147]. Aussi les Ligures vénéraient-ils les arbres les plus puissants de leurs pays, qui se trouvaient être en même temps les plus utiles à leur vie domestique : les hêtres et les chênes, au port superbe, au bois riche en chaleur et d’une force résistante, aux faines et aux glands nourriciers. Peut-être même le hêtre fut-il l’objet d’un culte plus intense[148] : arbre impérieux, indépendant et exclusif, il étouffe les autres espèces, et sa stature est souvent plus imposante, plus droite et plus dégagée que celle du chêne[149]. — A cette lointaine époque remonte aussi l’adoration particulière de certaines herbes aux vertus secrètes ou à la vie étrange : la sauge et la verveine odorantes, compagnes fidèles des demeures humaines, réconforts de l’homme qui souffre[150] ; et le gui, la plus extraordinaire des plantes, qui, seule, ne tire pas sa vie et ses forces du sol, dont les oiseaux propagent la semence, qui semble venir du ciel et s’incliner vers la terre[151], et qui se déploie, éternelle dans sa sombre verdure, au moment oïl les arbres qui la portent se dessèchent et paraissent mourir, — défi permanent à toutes les habitudes de la nature ambiante[152]. Enfin, d’autres Esprits animaient les oiseaux du ciel et les bêtes de la terre. Les êtres vivants les plus redoutables ou les plus forts, ennemis de l’homme ou fécondateurs de ses troupeaux, étaient autant de dieux pour lui : l’ours, le sanglier et le loup de ses forêts, le taureau aux cornes belliqueuses, et le bélier, père de ses bestiaux[153]. — Deux animaux surtout attiraient son attention naïve : le corbeau et le serpent. Le serpent, d’ordinaire inoffensif, s’attachait au creux d’un rocher, à un buisson, à un tronc ou des branches d’arbre : comme l’homme, il avait sa demeure, et comme lui, il s’attardait sur le bord des fontaines, et comme l’arbre et la source, il semblait sortir de la terre féconde[154]. Le corbeau rappelait, parmi les êtres de l’air, ce que paraissait la source sur le sol : il était bavard, agité, capricieux et têtu à la fois ; ses cris avaient des modulations infinies ; puis, quand il se fixait sur une colline, il y revenait sans cesse, et il y vivait, presque éternel, plus âgé que des générations d’hommes[155]. Et les familles humaines, qui revoyaient le serpent près de sa source, le corbeau sur son sommet, et tous deux souvent dociles et familiers, purent croire qu’ils étaient les véritables Génies de l’endroit, et elles les associèrent, dans leur dévotion, à la fontaine, aux arbres et à la montagne[156]. Ainsi, des myriades d’Esprits peuplaient la Gaule. Ne croyons pas que les hommes adoraient en eux les forces vivantes de la nature. Ce qui se passait dans leur âme était plus simple, plus net, plus concret que le vague respect d’une puissance supérieure. Ils voyaient dans ces êtres qui les entouraient, source, arbre ou corbeau, des Génies domiciliés sur la terre, ayant chacun son domaine à lui, maître et protecteur du lieu. Les familles partageaient avec eux les coins du sol qu’elles habitaient. Le monde était fait de milliers de dieux et de milliers d’hommes, vivant côte à côte, et les tribus connaissaient surtout les Esprits qui demeuraient près d’elles[157]. La Gaule ligure, comme l’Italie du bon roi Évandre, était vouée au culte des Faunes et des Nymphes indigènes. Mais, de ce que telle était la religion des Ligures, il ne s’ensuit pas qu’elle frit l’œuvre propre des peuples auxquels on donnait ce nom : rien ne prouve qu’ils ne l’aient point reçue de populations antérieures. Ces croyances étaient le fond commun de leur vie morale ; mais il a pu leur venir par héritage de leurs ancêtres anonymes. Car cette religion du sol est de celles qu’on ne détruit pas, et qui se transmettent d’âge en âge, de vaincus à vainqueurs, avec la possession et les bénéfices du sol lui-même. En prenant la terre aux Ligures, les Gaulois en acceptèrent à la fois les moissons, les noms et les dieux ; et après eux, ni les Romains, ni les Barbares, ni les Chrétiens n’extirperont jamais de leurs domaines, trente à quarante fois séculaires, les Génies des montagnes et des fontaines, les Esprits protecteurs des lieux. Puisque la glèbe nourrit et que la source guérit, il faut qu’il y ait en elles une puissance, quelle qu’elle soit. Ces dieux-là sont les plus utiles, les plus familiers, les meilleurs de tous. Car l’homme a besoin de converser avec ses dieux ; il accepte, à la rigueur, qu’ils ne soient pas visibles : mais il les veut très proches et fixés à une demeure, comme le corbeau à son rocher. Le Christianisme ne gagna les masses, ne devint une foi populaire, que lorsque les villes et les villages eurent leurs tombes de saints locaux, guérisseurs de maladies et protecteurs des moissons : ce qui permit aux hommes de se passer durant quelque temps des antiques Génies des sources, des rochers et des arbres[158]. Mais ceux-ci, au reste, reparurent bien vite, tantôt en marge de la religion officielle, et tantôt sous l’abri tolérant qu’elle leur offrait : la sorcellerie eut ses fées et ses dames, et le Christianisme eut ses Vierges, les unes et les autres se partageant les monts, les bois et les fontaines, sœurs ennemies et héritières dissemblables de mères communes. Et même, cette inimitié n’était qu’intermittente. Jeanne d’Arc n’entendit jamais plus clairement les voix de ses saintes que dans les vieux bois imprégnés de pratiques païennes : son enfance s’est passée dans un étrange et touchant christianisme, encore tout chargé des mystères de l’ancienne foi rustique. Ces compagnons de Jeanne, qui vont se guérir à la Fontaine des Groseilliers, ce Grand Hêtre au pied duquel le prêtre chante l’Évangile la veille de l’Ascension, ces pieux repos des croix du Christ auprès de chaque source[159], tout cela ramène notre pensée vingt siècles en arrière, en plein temps des rois Saturne et Faunus ; et cette âme d’héroïne, qui à la fin relève des sentiments les plus subtils d’une nation moderne, emprunta ses premières pensées aux plus lointaines et plus naïves conceptions de la vie de la nature. Sur ce tronc indéracinable de la religion du sol, tous les dieux nouveaux ont greffé leur culte. Et aujourd’hui encore, la vogue subite et inouïe de certains sanctuaires de hauteurs et de quelques pèlerinages de sources nous montre avec quelle fidélité l’homme conserve le fond religieux des Ligures. Mais dès ces temps ligures, planait déjà sans doute, au-dessus de l’inextricable fouillis des Génies des lieux, la religion de quelques forces générales, agissant sur tous les hommes, et leur inspirant des pensées semblables. Ces forces étaient d’ailleurs, comme les Esprits locaux, uniquement celles qu’on voyait des yeux, qu’on percevait par les sens. La Terre, le Soleil, le Feu, la Lune[160], l’Étoile du Soir[161], et la douce Étoile du Matin qui annonce le jour[162], êtres supérieurs de la nature qui produisent partout la lumière, la chaleur et la vie : voilé les seuls grands dieux qu’ait connus le monde ligure[163]. De ces divinités à action étendue, la Terre était sans doute la plus adorée, soit sous forme d’une divinité féminine, isolée et souveraine[164], soit associée à quelque compagnon, un Saturne barbare, qui aurait été à la fois son fils et son époux, engendré et engendrant par elle, comme les semences du blé se mêlent au sol qui les a produites[165] : le règne de Saturne, dieu primitif de l’Italie, a embrassé, je crois, tout l’Occident ligure. La terre, dont ce règne symbolisait le culte, n’était-elle pas la vraie créatrice, renouvelant sans cesse les moissons de blés et les tribus d’hommes, à la fois mère des humains et mère de ces milliers de dieux, sources, arbres et rochers, qui sortaient des entrailles du sol ? D’elle tout venait, en elle tout rentrait, et les astres eux-mêmes. Le mystère de la production terrestre est peut-être le premier qui élargit la religion par delà les étroites limites de la crainte d’un Génie voisin[166]. En cela encore, le fond ligure n’a point disparu. Dans les rites de toutes les religions qui se succéderont en Gaule, nous retrouverons des traces du culte du Soleil et du culte de la Terre. Quand nous célébrons la naissance du Christ, dans ces jours de décembre où le soleil rajeuni recommence sa course, nous ne faisons que partager la joie de nos premiers ancêtres, célébrant bruyamment le renouveau de l’astre nécessaire[167]. Que de naïves prières dans les champs et les villages, pendant les journées de mai et la grande fête d’août, qui sont adressées aujourd’hui à une Mère Divine rappelée au ciel, et qui allaient autrefois à la Terre d’en bas, Mère des Dieux et des Hommes[168] ! VIII. — LES RITES La religion celtique s’annexera tous ces dieux. A plus forte raison absorbera-t-elle nombre de rites ligures dans son culte et sa divination, car l’homme abandonne moins volontiers ses cérémonies que ses dogmes, change plus rarement le cadre que le but de sa vie religieuse, et les paroles dirigées vers un dieu ont souvent été faites pour un autre dieu qu’il a détrôné. Aussi, bien des gestes ou des formules que nous attribuons aux Celtes ne sont que l’éternelle répétition des habitudes de leurs devanciers. — Voici, parmi les institutions religieuses des Gaulois, celles qu’ils ont soit empruntées aux populations antérieures. soit partagées avec elles. Les Ligures furent de féroces immolateurs d’hommes. Leurs dieux étaient friands de victimes humaines, et il est probable que, lors des sacrifices, les dévots partageaient le sang et les chairs arec leurs Esprits, dans la communion d’un repas sacré[169]. Encore en l’an 175 avant notre ère, les Ligures apennins dépeçaient les corps de leurs prisonniers pour les offrir aux puissances divines[170]. Peut-être, jadis, celles-ci avaient-elles reçu aussi en victimes les étrangers égarés dans les Alpes : mais Hercule, dit-on, fit comprendre aux indigènes qu’il y avait plus de profit à trafiquer avec les Grecs ou les Étrusques qu’à les servir en festins aux dieux[171]. La religion était, chez eux, plus tenace encore que meurtrière. Elle réglait sans doute les moindres détails de leur vie. Elle faisait en tout cas de la guerre une conjuration sacrée[172] : si rusés et si braves qu’ils fussent, ils attendaient la victoire autant des charmes et des maléfices que des embûches et du courage. On racontait que, dans une armée ligure, il n’y avait jamais que la moitié des hommes d’engagés ; les autres jouaient de la musique pour attirer la faveur des dieux[173]. Ces peuples furent une proie permanente pour la divinité : et c’étaient, je crois, des tribus d’origine ligure que ces Bretons ou ces Irlandais des premiers âges, qui, hommes ou femmes, prophétisaient sous les souffles d’esprits divins[174]. Enfin, la religion encadrait la terre de même qu’elle inspirait les hommes. Dans les îles qui bordaient les côtes de l’Atlantique, sur les principaux promontoires qui surplombaient la mer Extérieure, les navigateurs étrangers signaleront, à l’époque gauloise, l’existence de sanctuaires indigènes, aux rites monstrueux, aux desservants bizarres. Je suis convaincu qu’ils sont tous antérieurs à l’invasion celtique. — En face de l’embouchure de la Loire, était l’île des Bacchantes[175] (Le Croisic ?) : des femmes mariées y vivaient en une pieuse confrérie, mais loin de la présence de leurs époux, relégués sur l’autre rive pour un périodique abandon. Dans la terre sainte, chaque année, elles rebâtissaient elles-mêmes, entre le lever et le coucher du soleil, le toit de l’édifice divin ; et si l’une d’entre elles laissait tomber sa charge de matériaux, ses compagnes la mettaient en pièces, et faisaient le tour de l’enceinte en hurlant de délire et en portant les membres de leur victime : il ne se passait pas d’anniversaire de ce genre sans un meurtre rituel, garantie de solidité et de sainteté pour l’édifice renouvelé[176]. — A ces rites meurtriers et solitaires s’opposait l’hospitalité des prophétesses de l’île de Séna (Sein) : celles-là étaient toujours prêtes à accueillir ceux qui partaient exprès de leur pays pour recourir à leurs offices divins. Elles appartenaient en entier aux mystères d’un culte de la nature analogue à celui de Bacchus : elles savaient soulever les tempêtes, se changer en bêtes, guérir tous les maux, prédire l’avenir, sorcières attitrées de la mer occidentale, et maîtresses de ses vents[177]. — Ailleurs, dans une île voisine de la Bretagne insulaire, on célébrait des rites qui rappelaient ceux de Cérès et de Proserpine[178], c’est-à-dire inspirés par la maternité de la Terre. — Plus loin de la Gaule, d’autres îles et d’autres caps de l’Europe occidentale furent couronnés, par les plus anciens Barbares, de sanctuaires de ce genre. Le long des côtes de l’Espagne, îlots et promontoires étaient voués à des Saturnes ou à des Vénus indigènes, divinités des forces fécondes ; sur la Baltique, Rugen montrait son bois de la déesse Nerthus, la Terre germanique[179] ; l’Italie installa Circé l’enchanteresse près d’un cap puissant, et la sibylle de Cumes dans l’antre d’une redoutable citadelle : et l’une et l’autre rendaient aux navigateurs de la Méditerranée les mêmes services divinatoires que les Neuf Vierges de Séna à ceux de l’Atlantique ; les îles d’Hyères possédaient leurs autels et leurs rites[180] ; la Bretagne eut près d’elle Mona (Anglesey), l’île aux bosquets sacrés, souillés du sang de tant de victimes humaines[181] ; et plus au nord encore, à l’extrémité de l’Écosse, des flots se perdaient à moitié dans la brume, peuplés de quelques saints hommes, domaine réservé d’un Saturne enchaîné[182]. Un privilège sacré enveloppait partout les îles et les promontoires : les peuples de la mer y trouvaient la religion dont ils avaient besoin. Cette ligne d’îlots et de caps sacrés qui bordaient l’Europe, demeura, tout près de l’époque chrétienne, le vestige du culte orageux rendu par les Ligures à la Terre, sur ces limites extrêmes du rivage où le sol à son tour semble naître de la Mer. Les Druides celtiques racontèrent plus tard à Jules César que la Grande-Bretagne conservait les traditions les plus pures de leur science religieuse, et que c’était là qu’ils allaient l’étudier[183] : peut-être, à côté des leçons gauloises que leur donnaient leurs frères bretons, recherchaient-ils aussi les mystères autochtones des sanctuaires ligures, et visitaient-ils de lointaines fraternités océaniques, familles perpétuelles de serviteurs de la Terre-Mère[184], Vestales ou Frères Arvales du Nord, qui gardaient les rites immobiles du plus ancien culte universel de l’humanité[185]. IX. — TERTRES ET CHAMBRES FUNÉRAIRES[186] La terre ligure se chargeait sans cesse de nouveaux dieux. Aux Esprits qui animaient la nature s’ajoutaient ceux qui restaient des hommes : les populations de ce temps croyaient au prolongement de la vie par delà ce que nous appelons la mort. Il est possible que, dans un âge plus reculé, le droit à l’immortalité n’ait pas été décerné à tous les êtres humains, et qu’il fût jugé la prérogative des familles supérieures, des chefs ou des riches[187]. Peut-être est-ce une distinction de ce genre qui explique la différence de traitement que l’on avait fait subir aux morts, brûlant les uns et enterrant les autres : ceux-là, destinés à devenir cendres et poussière, étaient ceux qui devaient vraiment périr ; les autres, dont les corps étaient pieusement conservés, allaient continuer à vivre[188]. Mais aux approches des temps historiques, je doute que cette dissemblance des hommes devant la mort fût acceptée comme un dogme. Après tout, ce qui engendre surtout la croyance à l’immortalité, c’est la crainte ou le regret des siens, et l’espérance de leur plaire ou de les revoir ; et, comme de tels sentiments ne sont le privilège d’aucune âme, la survivance ne put demeurer le monopole d’aucune classe : chacun, au gré de ses pensées, prêta une nouvelle existence à ses proches. Il y avait, au sixième ou au septième siècle, plusieurs manières de traiter les dépouilles mortuaires : toutes semblaient révéler le désir qu’avait l’homme d’envoyer ses morts vers les dieux souverains, Soleil, Terre ou Feu. La plus destructive consistait à livrer les corps aux bêtes ou aux oiseaux de proie : usage, évidemment, qui comporte le mépris profond du cadavre, mais qui n’exclut pas la conviction d’un Esprit éternel, pouvant animer ailleurs un autre corps. Les peuples qui ont pratiqué ce rite pensaient que les âmes des défunts, transportées par les vautours ou les oiseaux de haut vol, s’en allaient rejoindre, à travers le ciel, le Soleil et les astres-dieux où elles devaient vivre[189]. Aucune preuve formelle n’autorise à affirmer que les Ligures aient toujours gardé cette croyance et cette pratique : mais différents indices permettent de supposer qu’elles ne leur ont pas été étrangères[190]. — Plus souvent, le corps demeurait à tout jamais fixé à la terre où il avait vécu, qu’il fût brillé ou inhumé : et ces deux rites d’apparence si contraire, l’ensevelissement et l’incinération, s’adaptaient également, et tout aussi bien que le précédent, à la croyance en l’immortalité. Peut-être chacun d’eux signifiait-il une manière particulière d’arriver à la nouvelle vie : la flamme y conduisait les uns, les autres s’y rendaient d’eux-mêmes, avec leurs corps d’autrefois. Mais, cendres ou cadavres, livrés au Feu ou à la Terre, les morts recevaient des survivants des soins identiques : on leur donnait des demeures semblables, ils paraissaient destinés à une existence pareille à celle qui venait de finir[191]. Les morts avaient les mêmes besoins et les mêmes goûts que les vivants : on veillait à ce qu’ils pussent prendre les mêmes habitudes. Aussi leur bâtissait-on, comme tombeaux, des demeures de pierre qui rappelaient ces grottes ou ces cavernes dans lesquelles tant d’hommes avaient vécu. Tantôt on ouvrait pour eux des caveaux dans le flanc des collines[192] ; tantôt on leur créait, de toutes pièces, des chambres sépulcrales sur la surface du sol. — Ces chambres, que nous appelons aujourd’hui des dolmens, étaient d’aspect et de forme très variables : les unes consistaient simplement en de longues galeries couvertes, couloirs plutôt que salles ; les autres, plus intelligemment comprises, étaient de vastes espaces bien clos, précédés souvent d’un grand vestibule d’accès[193]. Parfois, le caveau était, tel qu’une maison par la porte, fermé par une dalle encadrée de son seuil, de ses montants et de son linteau[194] ; et parfois encore, l’une des larges pierres qui formaient la chambre du mort était percée d’un trou, comme pour permettre à son Esprit d’aller et de venir à sa guise[195]. — Cette demeure n’était point visible du dehors : c’est le fait du hasard, du temps et des intempéries, si les dolmens montrent aujourd’hui à découvert leurs squelettes puissants de supports et de tables. Jadis, ils étaient entièrement recouverts et enveloppés par un énorme monceau de terre et de pierres sèches : ils disparaissaient sous une butte artificielle, ainsi que les grottes se dissimulent dans les montagnes. On pourrait presque dire de ces tombes qu’elles étaient des cavernes naïvement stylisées. Assurément, beaucoup de dolmens sont antérieurs au septième siècle : il y avait sans doute un millénaire et bien davantage que l’on connaissait l’usage de ce type de tombeau : mais cet usage n’avait pas disparu, du moins à ce que je pense, et les principes qui l’avaient propagé régnaient toujours sur les âmes. Or, depuis des siècles, les Ligures n’habitaient plus uniquement dans les cavernes. Mais quelques-uns y vivaient encore[196], et leurs ancêtres y avaient eu leur demeure favorite. Quand les hommes changèrent leur mode d’habitation, ils ne touchèrent point à la figure de leurs tombeaux : elle est demeurée la survivance du type primitif des maisons humaines. Les habitudes des défunts se modifient moins vite que celles des vivants : on dirait que la mort transforme les êtres à l’image d’un homme d’autrefois. Dans sa chambre bien abritée, le mort était étendu avec les objets qui lui avaient donné sa raison d’être comme homme, c’est-à-dire comme guerrier : il avait ses flèches, ses colliers, son poignard, sa hache de bronze ou de pierre[197]. La hache de pierre, surtout, était pour lui une compagne nécessaire : elle avait été pendant des siècles l’arme favorite des vivants, elle demeura plus longtemps encore l’attribut des morts. Souvent, pour rendre leur demeure plus sure et plus inviolable, on sculptait près d’eux, sur le plafond ou les parois de la chambre, l’image d’une hache, et nulle puissance maligne ne venait alors troubler le repos de celui que protégeait l’arme sainte des hommes[198]. Une sorte de religion de la hache se perpétuait en Occident par les usages funéraires. On assurait aux morts des vivres en abondance, disposés dans des vases qui étaient à leur portée. Il était rare qu’ils fussent seuls : et certaines sépultures dolméniques sont même de véritables ossuaires, où plusieurs générations sont ensevelies, comme si la famille ou la tribu se retrouvait dans la mort[199]. A coup sûr, ces peuples n’avaient pas une idée très précise de la manière dont les morts vivaient et mangeaient[200]. Et qui peut se vanter d’en avoir sur cette chose, la plus incertaine de toutes celles qui s’offrent à nos pensées ? Mais, puisque les Génies des arbres pouvaient se nourrir, ceux des défunts savaient, sans doute, prendre les fruits qui leur étaient destinés. Demeuraient-ils éternellement sous la voûte de pierre qu’on avait bâtie au-dessus de leur corps ? N’avaient-ils pas quelque royaume lointain où ils se réunissaient pour vivre ensemble ? Les aliments qu’on leur laissait devaient-ils simplement servir de provisions de route, ou fallait-il les renouveler pour assurer aux défunts une subsistance périodique ? Il est probable que nos ancêtres, comme nous-mêmes, donnaient à ces questions des réponses très diverses, contradictoires et simultanées. Tout en disant que leurs pères partaient pour un long voyage, ils pouvaient croire qu’ils habitaient dans leurs tombes : leur auraient-ils fait une maison si compacte, si elle n’avait dû être qu’une station de quelques instants ? De ces soins donnés aux morts, ne concluons pas qu’on les assimilât toujours à des dieux. On pouvait servir et nourrir les aïeux sans les adorer. L’entretien des défunts n’est pas nécessairement le rite d’un culte. Il a dû, peu à peu, engendrer ce culte ; il est possible qu’il en ait été distinct à l’origine[201]. J’ai toujours pensé que les Ligures n’adorèrent que les Esprits de quelques hommes supérieurs, rois, sorciers ou prêtres. La divinité était réservée à une élite. Seules, les tombes des plus grands devaient être des rendez-vous de prières et de sacrifices[202]. C’est surtout dans les grands dolmens, tels que celui du Manné-Lud à Locmariaquer, qu’on a trouvé les débris de foyers ou les ossements d’animaux qui annoncent des victimes. Les Ligures avaient, à leur manière, le culte de leurs héros, fondateurs à demi-légendaires de leurs tribus : on montra plus tard aux Grecs, dans l’île de Lérins (Sainte-Marguerite), le sépulcre du chef, réel ou mythique, dont l’île avait reçu le nom[203]. Les premiers sanctuaires faits de main d’homme ont été les buttes de terre et de pierre qui recouvraient les immuables lieux de repos des plus glorieux ancêtres. Ces buttes, sur les caps armoricains comme dans les îles provençales, dominaient le pays environnant, ainsi qu’un sommet de montagne domine la plaine. Aujourd’hui encore, les tertres funéraires de Gavr’inis, de Saint-Michel de Carnac[204], de Tumiac, du Manné-er-H’roëek à Locmariaquer, sont de véritables collines, commandant à de vastes espaces de terre et de tuer, fermant l’horizon des landes vénètes ou des golfes du Morbihan. Aux hommes qui les élevèrent, les Esprits des morts, dont ils recouvraient la chambre incorruptible, ne semblèrent point, sans doute, très différents des Esprits des sources ou des montagnes, cachés eux aussi sous la terre ; et ces morts purent devenir à leur tour des Génies gardiens du pays, protecteurs des champs qui s’étendaient à leur pied, des barques qui flottaient à leur vue. X. — PIERRES PLANTÉES La science moderne, suivant les traces d’Evhémère, a donc ramené au rôle de tombeaux ces dolmens où tant de générations ont vu des sanctuaires ou des autels de dieux[205]. Mais elle est encore fort indécise en ce qui concerne l’autre classe des grandes pierres de ce temps, ces longs piliers plantés qui se dressent tantôt complètement isolés, menhirs, tantôt rapprochés en nombre pour former ou de vastes cercles, cromlechs, ou de longues files droites, alignements. Des menhirs, on a supposé à peu près tout ce qui était possible, mais on peut faire des objections à presque toutes les hypothèses. — Ils sont quelquefois, a-t-on dit, à la frontière de deux cités ou de deux tribus, ligures ou gauloises : mais est-il sûr que leur destination première fût de servir de borne, et qu’ils n’aient pas été choisis comme points de repère, bien après leur érection ? — Les pierres plantées de la Gaule et de tous les pays du monde ont été souvent et sont encore adorées comme dieux, saints, génies ou fétiches[206] : mais est-ce comme dieux qu’on les a plantées ? — Après une victoire, dit l’Ancien Testament. Samuel dressa près de Mitspa une pierre debout, comme monument de souvenir[207] : mais cette origine du menhir de Mitspa ne serait-elle pas une conjecture du rédacteur de ce récit ? et vraiment, y aurait-il eu tant de batailles dans les landes de l’Armorique, où les menhirs abondent ? — Chez certains peuples barbares on élève une colonne de pierre en mémoire des morts dont on n’a pu ou dont on n’a voulu conserver ou posséder le cadavre[208] : les menhirs de la Gaule seraient-ils des cénotaphes ? — Ou, plutôt, n’auraient-ils pas été tantôt l’une et tantôt l’autre de ces choses, mais toujours et en tout cas le témoin ou le rappel d’un être ou d’un évènement, une pierre de souvenir ? De toutes les conditions qu’on a proposées pour le menhir, c’est celle de cénotaphe, ou, plus exactement, de pilier funéraire que j’incline le plus à adopter, du moins à l’heure présente ; c’est à la mémoire ou au culte des morts que je le rattacherais le plus souvent[209]. — Plus d’un tertre funéraire était précédé ou couronné de menhirs ; celui du Manné-Lud renfermait dans ses profondeurs des pierres plantées, dont quelques-unes, véritables poteaux de sacrifices, portaient encore les squelettes des têtes des chevaux immolés[210]. — Une des premières ébauches de la statuaire sur le sol de la Gaule a été la pose de menhirs à forme d’homme ou de femme[211] : eût-on songé à cette transformation du pilier en image, s’il n’avait été souvent, à l’origine, le signe d’un corps, le doublet de pierre d’un être disparu[212] ? — A côté des morts inhumés ou brûlés, il y avait ceux qu’on laissait à l’air ou qu’on livrait aux bêtes de proie : les menhirs ne marqueraient-ils pas, parfois, les traces des défunts ainsi disparus, les places où les corps furent exposés ? Les plus célèbres et les plus nombreux des alignements de menhirs sont ceux de Carnac : trois quinconces de piliers, Ménec, Kermario, Kerlescan, allongent à perte de vue leurs files rectilignes et leurs allées de largeur presque régulière. Et c’est un spectacle étrange, monotone, sinistre et puissant, que cette armée immobile et blanchâtre de centaines de pierres[213] inégales, jalonnant, sur une longueur d’une lieue, un sol morne, stérile, aux herbes rabougries, masses robustes de granit aux formes variées, vastes momies de pierre contournées, disloquées et patinées par le temps, le soleil et les pluies. Et ici encore, des hypothèses sans fin que Carnac a provoquées, je préfère celle qui en fait le lieu de souvenir d’un prodigieux champ dolent des temps primitifs, d’où les morts, brillés ou décharnés, sont partis pour leur nouvelle demeure[214]. XI. — L’ARMORIQUE, TERRE DES MORTS[215] Ce sont, je le suppose encore, les croyances religieuses de la Gaule ligure qui ont fait des côtes de l’Armorique l’asile préféré des morts de ce temps. Ce ne peut être le hasard qui a multiplié dans ces parages les dolmens, les menhirs et les alignements. Ils sont trop nombreux aux abords de l’Océan pour qu’un puissant motif n’en ait pas rattaché la construction au voisinage de la mer. De toutes les régions de France, c’est l’Armorique qui est le plus en contact avec elle, et elle est à peu près la seule à posséder de vastes alignements ; elle a les tertres funéraires les plus élevés, les menhirs les plus hauts, les dolmens aux plus larges tables : dans l’Armorique même, plus on approche du littoral, plus nombreux sont ces monuments, et plus grands[216]. Les plus considérables s’entassent sur quelques lieues de rivage, et précisément dans cette terre de Morbihan que la mer pénètre profondément en courants rapides, qu’elle déchiquette partout en caps, en golfes et en estuaires, comme si elle voulait l’étreindre de mille bras et lui arracher de toutes parts des victimes ou des offrandes. La presqu’île de Quiberon regorgeait de mégalithes ; les moindres îles de la haute mer et du golfe vénète[217] ont les leurs, parfois si proches de l’eau qu’elle les submerge à marée haute[218] ; puis ce sont, entre Quiberon et le golfe, et toujours en vue des flots ou des grèves, Plouharnel et ses dolmens, Carnac, ses alignements et son tertre toujours sacré du mont Saint-Michel[219], et, dans la presqu’île dentelée de Locmariaquer, gisant côte à côte, les plus puissants témoins de ces temps remueurs de pierres : le dolmen du Manné-Lud (Montagne de la Cendre), avec sa table colossale[220] ; le Grand Menhir du Men-er-H’roëck (Pierre de la Fée), aux fragments brisés, mais qui attestent encore sa prodigieuse hauteur de 70 pieds[221], son poids inouï de 200.000 kilogrammes ; la Table des Marchands, la chambre sépulcrale la plus mystérieuse de l’Armorique ; le Manné-Rutual, les Pierres-Plates, énormes caveaux de dalles aux signes étranges[222] ; et enfin, la butte funéraire du Manné-er-H’roëck[223], d’où l’œil embrasse cette grande mer vénète et ce golfe du Morbihan qu’encadrent aujourd’hui plus de tombes que de demeures, plus de morts que de vivants. C’est donc le voisinage impérieux de l’Océan qui a attiré vers les caps et les îles ce monde de trépassés, et surtout cette aristocratie de défunts qui les couronna de ses tombeaux. Les peuples anciens de l’Europe, Celtes, Germains, et les autres, ont cru, presque tous et presque toujours, que les morts immortels s’en allaient, par delà l’Océan qui finit la terre, vers d’autres bords, dans des îles lointaines et bienheureuses. Les Ligures qui les ont précédés ont eu, n’en doutons pas, les mêmes croyances[224] : ne font-elles point partie de ce patrimoine moral que l’humanité a reçu de ses premiers ancêtres ? Or, pour éviter aux esprits des défunts un trop long voyage sur terre, qui sait si les contemporains des dolmens n’enterraient point leurs proches sur les rives mêmes de cette mer qu’il fallait traverser ? Les peuples de ces âges reculés n’étaient pas incapables de transporter leurs plus illustres morts loin du centre du pays, jusqu’au seuil mystérieux d’où l’on devait partir vers une nouvelle patrie[225]. Cette société de la mer était peut-être pour ces hommes, comme celle de la tombe d’un saint pour ceux du Moyen Age, la joie qu’ils espéraient aux abords de leur vie posthume[226]. On ne présente cela que comme une hypothèse. Mais ces rivages de l’Armorique sont, de toutes les terres ligures, celles où les Anciens ont accumulé le plus de mystères. Je ne vois qu’une seule région antique qui soit plus imprégnée de choses saintes : la Campanie maritime, avec son antre de la Sibylle, ses Champs Phlégréens, ses lacs qui cachent l’Enfer, ses sources d’où l’on descend vers lui, avec ses oracles, ses rites, ses enchantements : et depuis Ulysse jusqu’à Virgile[227], elle fut, pour tous les Méditerranéens, le seuil du domaine redoutable des Morts et la porte des sanctuaires de la Terre. L’Armorique joua, chez les Barbares de l’Ouest, un rôle semblable : elle avait ses religions insulaires, consacrées aussi à la déesse du sol ; de ses rives partaient les défunts ; et les tombeaux y pullulent. Comment résister à la tentation de rapprocher tous ces faits ? et de se représenter le spectacle qu’offraient jadis ces rivages sacrés, où, à l’extrémité du monde vivant, le culte de la Terre s’accompagnait de l’exode des Morts ? XII. — DE L’ART CHEZ LES LIGURES[228] Les dolmens, les menhirs, les alignements, toutes les grandes pierres levées et plantées, voilà, à moins de découverte inespérée, les plus importants vestiges que le monde ligure a laissés sur le sol de la Gaule ; voilà, avec le galbe et les dessins de ses bronzes, de ses poteries, de ses haches mortuaires en pierre polie[229], ce qui nous permet de juger de ses goûts artistiques et de la nature de son imagination. Des centaines, peut-être des milliers d’années auparavant, au temps des rennes et des mammouths, la Gaule possédait des populations douées de dons artistiques merveilleux. Elles menaient peut-être une existence plus sauvage que celle des hommes dont nous parlons ici ; elles ne vivaient que dans les forêts et les cavernes, la chasse et la pêche étaient leurs principales ressources, et leurs armes furent faites de pierre éclatée ou taillée. Mais quels surprenants artistes que ces coureurs de bois[230] ! Ils gravaient ou ils peignaient, sur des os d’animaux ou sur les parois de leurs grottes, les bêtes favorites de leurs troupeaux, de leurs chasses ou de leur adoration[231], rennes, chevaux, bisons, antilopes, mammouths : et ces dessins, enlevés d’un trait star et rapide, ont une vigueur, une exactitude, une vie juvénile, qui rappellent parfois les premières ébauches de l’art grec[232]. Que sont devenus ces peuples d’esprit et de goût, ces êtres d’avenir qui occupaient la Gaule dans les temps les plus lointains de l’intelligence humaine ? Presque tout d’un coup, cette sorte d’hommes ou ce genre de talent ont disparu dans on ne sait quel cataclysme, physique, moral ou politique[233]. Et les populations qui sont venues ensuite, celles dont les Ligures du septième siècle furent les représentants à la fin des temps préhistoriques, étaient loin de posséder la finesse d’observation, la souplesse intellectuelle de leurs prédécesseurs. Mieux douées peut-être pour les travaux manuels les plus rudes, les sociétés nouvelles perdirent l’habitude de savoir exprimer leur pensée[234]. Il y eut, au moins à cet égard, un formidable recul de civilisation entre l’époque des cavernes et celle des dolmens, entre les siècles du renne et ceux des Ligures, une sorte de long Moyen Age, comme celui qui pesa sur la France entre les temps Romains et la renaissance gothique[235]. Les Ligures du septième siècle, autant qu’on peut le supposer, remontaient avec lenteur cette longue dépression qui avait suivi l’âge de la pierre taillée[236]. L’abondance des grandes pierres, dolmens et menhirs, semble révéler chez ces Ligures et chez leurs ancêtres l’instinct, ou le besoin, où la tradition du colossal. Les tertres funéraires de la région qui entoure Locmariaquer ont de 10 à 15 mètres d’élévation, 60 à 110 mètres de long[237] ; le Grand Menhir tombé, de cette même ville, était un formidable pilier de 23 mètres de haut, épais de 4[238], et il pouvait paraître aux Anciens une Colonne du Ciel[239] ; la table d’un dolmen de Maine-et-Loire a, dit-on, 22 mètres de longueur[240]. Peut-être les énormes pierres qui formaient les murailles des plus vieilles cités de la Gaule, Sainte-Odile dans les Vosges[241], Nages et Murviel en Languedoc[242], sont-elles également l’œuvre des Ligures des derniers mégalithes. Ils aimèrent donc une sorte d’art massif, grandiose et brutal, l’équivalent barbare, dans le monde occidental, des colossales constructions des empires orientaux. Les Ligures auraient-ils pu arriver à produire des édifices analogues à ces dernières, s’ils étaient demeurés les maîtres de la Gaule, s’ils s’étaient peu à peu civilisés eux-mêmes, sous l’action d’un travail intérieur ou sous l’influence de voyageurs étrangers ? Nous auraient-ils donné alors, transformant en lignes symétriques les âpres contours de leurs piliers et de leurs tertres, des édifices comparables aux pyramides et aux obélisques d’Égypte, et aux autels majestueux de l’Asie ? Je ne sais : mais, même sans essayer de répondre à cette question, l’histoire doit la poser[243]. Seulement, menhirs et dolmens ne sont que la misérable ébauche de cette prestigieuse architecture de l’Orient. Le style des chambres funéraires, grottes et mégalithes, ne présente aucune combinaison qui dénote une réflexion profonde, un effort ingénieux ; celles qui sont arrangées suivant un plan méthodique, avec couloirs et vestibules, n’en demeurent pas moins d’une grande simplicité[244]. Les blocs sont à peine dégrossis (si même ils le sont) par le choc vigoureux et maladroit des haches et des maillets de pierre ; l’usage de la pierre polie n’a pas gagné l’architecture funéraire : celle-ci en est encore, si je peux dire, à la tradition de la pierre éclatée. Il manque à ces dalles et à ces piliers la régularité et la variété de contours que peut seul donner l’emploi d’un instrument de métal prudemment dirigé. Non pas, certes, que les Ligures de l’an 600 ignorassent l’usage du cuivre, du bronze, du fer même. Mais les métaux étaient plus rares que la pierre ; on les avait divulgués à une date récente[245], et, comme toujours, les morts furent les derniers à les accepter[246]. Il semble bien qu’une prescription religieuse interdit longtemps que l’on touchât la pierre tombale avec le métal inconnu des ancêtres[247]. La tradition s’opposait à ces tentatives de progrès techniques d’où sortent les nouvelles formes d’art. Sans doute, une interdiction semblable empêcha la naissance ou la résurrection des arts plastiques. A la différence des chasseurs contemporains du renne, les peuples du septième siècle ne paraissent pas avoir eu le désir de représenter les bêtes et les hommes. Les figures des êtres vivants sont extraordinairement rares sur les monuments mégalithiques : moins d’un pour cent d’entre eux en renferment, et rien n’empêche de croire que ce ne soient les plus récents[248]. Sur les parois des vestibules, dans certaines grottes sépulcrales de la vallée de la Marne, sont vaguement indiqués des bustes informes de femmes[249] ; quelques menhirs des Cévennes méridionales ont été façonnés en corps humains par des traits incertains et hasardeux[250]. Et c’est tout. Encore rien n’est plus grossier, plus misérable, plus dépourvu de soin, de proportion et d’exactitude que ces essais stupides de statuaire, qu’un enfant même désavouerait[251]. — Au surplus, il n’y eut peut-être pas, dans tout le monde antique, une population plus réfractaire que les Ligures à l’image, à l’œuvre d’art, à l’écriture même. Au temps de l’Empire romain ; les tribus des Apennins n’ont laissé qu’un nombre fort restreint de sculptures, d’inscriptions, de tombes parlantes ; les œuvres de la statuaire sont plus rares chez elles que n’importe où en Italie : les marbres de Luna partaient de la Ligurie et n’y produisaient rien. De la même manière, sept siècles auparavant, les constructeurs des dolmens et des grottes funéraires n’ont fixé sur les pierres dressées par eux que de monotones et maladroites expressions de leurs pensées profondes. De nombreux dessins[252] ornent, il est vrai, les parois des couloirs ou des chambres des grands dolmens du Morbihan[253] : haches emmanchées ou non, points disposés en rond, cercles isolés, vestiges de pieds nus[254], spirales ou courbes parallèles[255] qui rappellent soit des rangs de colliers[256], soit les rides du bout des doigts et du creux des mains[257]. Ailleurs, sur des menhirs[258] ou sur d’autres dolmens, apparaissent des cupules, écuelles ou cavités faites de main d’homme et étrangement groupées[259]. Mais ce furent là, sans doute, non pas des lettres d’alphabet ni des signes de sons ou de mots, mais des marques magiques, traduites de la vue des armes et des membres de l’homme, des emblèmes d’espérance, de crainte ou de sauvegarde, gravées tantôt pour secourir ou arrêter le mort, le maintenir en repos ou en sûreté, tantôt pour agir sur l’esprit des dieux, et leur signaler un don ou un désir[260]. — Puis, ces symboles ont été combinés ou enchevêtrés de manières si variables[261], les traits en sont si irréguliers et si tâtonnants, qu’on a l’impression d’esprits impuissants à guider la main et à ordonner un travail. Les plus vigoureux de ces tableaux de signes, ceux de Gavr’inis, n’étaient que des ébauches et dans le dessin et dans la composition. Ce que les hommes des mégalithes ont gravé de plus régulier et de mieux proportionné, ce sont les figures géométriques qui ornent les poteries[262] et les bronzes : encore, uniformément rectilignes, elles n’offrent rien d’autre ni de meilleur que ce qu’on trouve chez les moins inintelligents des peuples sauvages[263]. On a prononcé, à propos de ces vieilles populations de l’Armorique vénète, le mot de race écriveuse[264]. L’abondance des signes sur les dolmens du Morbihan ne justifie pas cette expression[265]. Je serais plutôt tenté de dire le contraire de tous ces hommes, aux mains si adroites quand il s’agissait de chasse ; de guerre et de b9tisse, si vacillantes quand elles étaient au service des impressions de l’âme : il n’y a de traces bien nettes, chez eux, ni d’écriture ni d’image. Le mot de Caton sur les Ligures d’Italie, illitterati, revient à la pensée quand on parle de ceux des dolmens. XIII. — INDUSTRIE Mais l’absence de goûts artistiques n’exclut pas l’habileté technique. Les Ligures retrouvaient la sûreté du coup d’œil, la précision du geste, la ténacité de l’effort physique, quand il s’agissait de travailler la matière. Ils ne furent pas inférieurs ; comme ouvriers et industriels, aux populations humaines les plus laborieuses. Au premier abord, les habitants de la Gaule, dans les siècles qui ont précédé l’an 800, paraissent surtout des travailleurs de la pierre. C’est la pierre, en effet, qui a été la matière des principales œuvres qui ont survécu de ce temps : des pointes de flèches ou de javelots en silex taillé, types immémoriaux d’armes auxquels l’homme ne savait pas renoncer ; les bâtisses mégalithiques en blocs ou dalles de pierre mal dégrossie ; et enfin les haches en pierre polie. — Ces derniers produits étaient ce que l’industrie livrait de plus achevé, ce qui dénotait le plus de réflexion et de patience. Pour arriver à produire ces puissants instruments, capables d’entailler sans ébréchure de robustes troncs d’arbres[266], masses au corps lisse comme une feuille de verre, au tranchant aiguisé comme celui d’une lame de métal ; il fallait rechercher avec soin les pierres à la fois les plus fines et les plus dures, les plus tenaces et les plus compactes, propres à la fois à trancher et à glisser, silex, jades[267], fibrolithes, roches dioritiques ; puis, les fragments destinés à devenir des armes une fois ébauchés et retouchés, on devait les soumettre à un interminable polissage sur des blocs de grès ou de quartz, plus homogènes encore et moins coupants, et recouverts de sable mouillé[268]. Quelques-unes de ces haches, réservées, il est vrai, au mobilier funéraire, ont plus d’un pied de long, et sont des chefs-d’œuvre de technique lapidaire[269] : les ouvriers d’alors avaient donc des notions exactes et nettes sur les degrés de résistance réciproque des diverses roches indigènes[270]. — De même, les plus grands des dolmens et des menhirs révèlent des prodiges de mécanique. Si la plupart de ces blocs ont été pris sur le sol du pays, encore avait-on à les détacher, à les traîner, à les soulever, les ériger, les mettre en place et les fixer ; quelques-uns pesaient deux cent cinquante mille kilogrammes, d’autres, peut-être davantage, et certaines pierres, et des plus lourdes, ont été transportées sur sept ou huit lieues[271]. Que la mise en branle ou en équilibre, que le charroi et l’appareillage de ces poids formidables supposent des équipes de centaines d’hommes, dressés et disciplinés, cela va sans dire : mais les bras humains n’ont pas suffi, on a eu besoin de leviers, de rouleaux, de treuils, de cordages, dont le jeu, la puissance de tension et la solidité fussent soigneusement calculés. — Comme polisseurs et comme carriers, les Ligures de ce temps étaient probablement arrivés à l’habileté suprême : il est vrai qu’ils avaient reçu en héritage l’expérience acquise, durant des millénaires, par les innombrables travailleurs des âges de la pierre. Mais c’est mal juger une époque que de la définir par les seuls objets que le hasard nous a conservés d’elle. A côté des carriers ligures, songeons aux charpentiers, eux aussi les héritiers d’une longue habitude de besogne dans les bois. Ces lourdes haches étaient surtout destinées à abattre et à équarrir des billes et des pièces énormes. Les demeures des vivants, charpentées et bien ajustées, étaient aussi nombreuses que les chambres de pierre des morts. On fit de troncs ou de rameaux d’arbres les machines propres à l’agencement des dolmens. Ces hommes ont étudié le bois avec le même bonheur que la pierre ; ils estimaient la valeur de résistance d’une poutre, la force et la durée de sa matière. Ce sont eux qui ont construit les vastes pilotis des cités ou stations lacustres[272] de la Suisse[273] et de la Savoie[274] : ils ont su couper, appointer, enfoncer et tasser des milliers de pieux de chênes[275] avec une habileté technique qui n’a pas été beaucoup dépassée[276]. Les métiers qui exigeaient un tour de main plus délicat, la métallurgie et la poterie, ne sortaient qu’à peine de la première période de leur vie. C’étaient les fondeurs de bronze qui se tiraient le mieux d’affaire[277]. Les habitants de la Gaule avaient connu d’abord l’usage du cuivre isolé[278] ; mais, vers 600, peut-être depuis moins de siècles qu’on ne croit, ils savaient aussi l’art de fabriquer du bronze en mélangeant ce métal avec l’étain, et de tirer de cet alliage des instruments plus tranchants et plus résistants que les meilleures des haches de pierre ou de cuivre : ils s’étaient graduellement rendu compte des proportions les plus utiles entre les deux éléments, redressant peu à peu leurs calculs et leurs procédés[279]. Les mines de l’un et l’autre métal ne manquaient pas en Gaule ; elles abondaient dans les terres voisines de l’Espagne et de la Bretagne, et les navigateurs étrangers recherchaient sans doute depuis longtemps l’étain de Cornouailles[280]. Peut-être les indigènes de notre contrée ont-ils appris des gens de Cadix ou d’ailleurs[281] le secret de la valeur des métaux ; peut-être l’avaient-ils trouvé d’eux-mêmes[282]. Mais, une fois au courant, ils les ont travaillés à leur guise. Il est vrai qu’ils ne comprirent pas tout de suite le parti qu’on pouvait tirer du métal fondu. Ils ne l’utilisaient pas encore dans la vie domestique ou religieuse comme vaisselle de sacrifice, de table ou de cuisine ; peut-être même n’en tiraient-ils que depuis peu des objets de parure, bracelets et colliers[283]. Pendant longtemps ils se sont bornés à reproduire en bronze, presque sans changer le type, les instruments et les armes de pierre, pointes de flèches et de lances, poignards et couteaux[284], et haches par-dessus tout. La hache de pierre et la hache d’airain, voilà ce qui caractérise surtout le guerrier de ce temps, le mort préférant toujours la première, le vivant s’armant de plus en plus de la seconde l’âge de l’épée, je le suppose du moins, commence à peine. Il ne s’est point encore produit en Gaule cette révolution qu’amena partout la métallurgie, lorsqu’elle rendit générale la fonte de l’épée de guerre[285]. Sauf quelques exceptions[286], les Ligures ignoraient l’usage de cette arme, la plus complète, et, pour ainsi dire, la plus intelligente des armes de corps à corps, celle qui appartient le plus fidèlement à l’homme qui la manie, qui suit le mieux les mouvements de son bras et de sa pensée, qui conserve le plus la vigueur de ses muscles. De la même manière, s’ils connaissaient l’or, ils ne savaient en faire que de grossières parures[287] : l’éclat seul du métal les intéressait. Le fer ne leur était certainement pas étranger : mais ils n’en avaient extrait que des objets d’ornement[288]. L’industrie textile était plus avancée. On a découvert dans les stations lacustres des peignes à fil, des fragments de câbles, de filets et d’étoffes. Mais le lin était encore la principale matière filée et tissée[289] : il ne semble pas que la laine eût commencé son règne, je veux dire sous sa forme textile : car l’usage des fourrures ou des peaux toisonnées a été peut-être aussi ancien que l’humanité même[290]. Le plus subtil des arts industriels, la céramique, tenta médiocrement ces remueurs de pierres et de bois[291]. Ils n’ont guère laissé que des vases et des gobelets de forme très simple, fragiles, en pâte grossière, fabriqués le plus souvent à la main, plus rarement au tour[292], ou encore faits de plaques moulées et soudées ensemble, et assez mal cuits au soleil ou au feu libre. L’absence, longtemps générale, de pieds et d’anses, montre combien peu, sur ce point, la réflexion s’appliqua à la recherche des progrès les plus simples[293]. XIV. — AGRICULTURE Les objets laissés par les Ligures de la Gaule nous donnent, si je ne me trompe, l’image d’une vie sédentaire et laborieuse. Des hommes qui faisaient sur leur terre une si large place à leurs morts, devaient être profondément attachés à ce sol où se perpétuait le souvenir des disparus. Une société instable, avide de courses ou curieuse d’aventures, n’occupe pas des centaines d’hommes à manœuvrer de grosses pierres. Je ne puis croire qu’elle eût le goût des conquêtes et des grandes levées en armes. Les plus remuants ont été, sans doute, les marins et les pêcheurs d’Armorique. Pour les autres tribus, la guerre devait être surtout un brigandage périodique, une manière de récolte. Certes, les haches, les flèches les poignards et les lances forment la majeure partie du mobilier qui a survécu, mais c’étaient aussi bien des outils de chasse que des instruments de guerre. L’épée ne pouvait être encore qu’une arme de luxe ; le bouclier, la cuirasse et le char de guerre n’ont point apparu. Ces Ligures de la Gaule ne possédaient pas les armes alors essentielles aux nations combatives de l’Europe. — Ils ne différaient donc pas sensiblement, dans leur façon de comprendre la vie, des Ligures alpins ou apennins de l’époque classique. Ils étaient, comme ces derniers, des agriculteurs tenaces[294], des travailleurs ruraux de premier ordre. Seulement, leurs efforts furent plus vite récompensés dans ces grasses terres, si différentes des montagnes génoises. S’ils élevaient des bestiaux, ainsi qu’avaient fait leurs ancêtres, s’ils avaient leurs troupeaux de porcs ou de moutons, les habitudes pastorales étaient désormais moins fortes, dans la Gaule, que les soucis agricoles. On cultivait le lin, l’orge[295], peut-être le seigle, et surtout le blé, dont on connaissait déjà les deux grandes classes, le froment compact et le froment printanier. La plupart des arbres fruitiers indigènes étaient utilisés : on faisait des cueillettes de pommes, de noisettes, de prunelles, de châtaignes d’eau, de fraises et de cornouilles, sans parler des faines, des glands et des pignons. Le fruit et la graine étaient préparées avec soin : les hommes des stations lacustres, par exemple, savaient faire de la farine, du pain, et probablement aussi de la bière, du vin de mûre et du vin de framboise fermentée[296]. Ces stations d’ailleurs étaient moins des villages que d’immenses magasins de produits agricoles, réserves d’un peuple qui ne laisse pas à la chasse ou à la pèche du jour le soin de le nourrir. L’attention avec laquelle les contemporains des dolmens ont choisi les roches dures qui ont lait leurs haches, les turquoises de callaïs qui ont orné leurs colliers, montrent qu’ils surent explorer et exploiter leur sol. Je suis convaincu qu’ils ont été les dessiccateurs de la Limagne[297], les premiers défricheurs de nos grandes forêts. A eux sont dues les plus anciennes clairières de terres arables qui s’ouvrirent autour des sources et le long des ruisseaux. Médiocres comme conquérants d’hommes, ils furent admirables comme conquérants sur la nature. Ces artisans du labour ont été des fondateurs de notre sol. XV. — GROUPEMENTS HUMAINS Ils ont été, par là même, les fondateurs de la plupart de nos cités. En temps ordinaire[298], les familles vivaient isolées ou en petits groupes, au hasard des cultures. Demeures et bourgades[299], se formaient surtout près des sources, et à portée des bonnes terres : les unes dans les vallons ou sur les terrasses des montagnes[300], les autres au milieu des plaines, ou au centre des clairières ouvertes en plein bois, ou le long des sentiers les plus fréquentés[301]. — Mais, si les Ligures n’avaient peut-être pas de grandes villes murées, à foyers éternels et à citoyens permanents[302], il existait déjà chez eux les deux principaux éléments de la vie municipale, le marché et le refuge. Une population agricole a besoin, en effet, de l’un et de l’autre. Il lui faut des lieux de concentration périodique : soit, en temps de paix, pour tenir des assemblées, prendre des résolutions, échanger ses produits, acheter des outils ; soit, en temps de guerre, pour abriter ses ressources et grouper ses forces. Les Ligures possédaient leurs places de foire[303] et leurs places fortes[304]. Les marchés étaient des terrains découverts et d’accès facile, de véritables champs de réunion, situés à des carrefours de grandes routes, à des embouchures ou des confluents de rivières, auprès des ports ou des anses les plus commodes. Avant d’exister comme villes, Marseille et Narbonne ont été sans doute des lieux de rendez-vous de tribus ligures, venues pour troquer leurs produits et pour acheter les mille objets bizarres que les pirates de leur sang rapportaient des courses lointaines[305] : je crois même que, dès le septième siècle, ces lieux avaient déjà reçu des indigènes le nom qu’ils portent encore[306]. Bordeaux, en ce temps-là aussi, était une station humaine, de foire ou de marché[307]. C’était, en revanche, dans les lieux les moins accessibles que les Ligures, au moment du danger, enfermaient, à l’abri des ennemis, leurs femmes et leurs enfants, leurs bestiaux et leurs provisions[308]. Les pays de montagnes étaient parsemés de vastes redoutes, formées par des murailles solides en pierre sèche, et défendues, mieux encore, par l’escarpement des rochers sur lesquels elles étaient bâties[309]. Quand, serrés de prés par un adversaire, la masse des guerriers de la tribu y rejoignaient leurs femmes et leurs bêtes, ils pensaient n’avoir plus rien à craindre des autres hommes : et cela dut être vrai jusqu’à l’arrivée des Celtes ou des Romains. Dans les basses terres, les îles des fleuves, les pilotis des lacs, des marais et des tourbières, offraient d’excellents abris pour les biens et les gens : Lutèce ou Paris, dans l’île de la Seine aux bords marécageux, ne fut pas autre chose, au début de sa vie, que le refuge central d’une tribu, et c’est à des Ligures qu’elle doit son nom, Lutetia[310] ; les cités lacustres de Suisse et de Savoie paraissent avoir été, non pas des demeures fixes, mais des greniers communs à de nombreuses familles. La plupart de ces groupements d’hommes, constants ou périodiques, prenaient le nom de la source qui les alimentait. Nîmes et Orange, Alésia et Bibracte, villes du Midi et du Nord, ont été d’abord les noms des fontaines auprès desquelles les familles se réunissaient[311]. Et c’étaient en même temps les noms des Esprits divins qui vivaient en ces fontaines. Les sources engendraient à la fois des cités et des religions[312] : et un même vocable confondait la vie de la nature, celle des hommes et celle des dieux. XVI. — ÉTAT SOCIAL Nous ne connaissons que par lambeaux les institutions des Ligures, et encore ces débris viennent presque tous des tribus alpines ou apennines de l’époque romaine. Il est visible cependant que leur état social et politique ressemblait à celui des populations de même nom qui avaient autrefois possédé toute la Gaule : car, même après des siècles de contact avec l’Étrurie et les trafiquants de la mer, ces sociétés ligures étaient demeurées rudimentaires. La propriété privée n’y est attestée par aucune trace appréciable. Dans les familles, la filiation s’établissait du père à l’enfant[313], ainsi que dans les États les plus civilisés du monde méditerranéen. Mais elles maintenaient encore pieusement la couvade, c’est-à-dire une des plus singulières allusions au matriarcat que l’humanité ait conservées, et le dernier vestige du conflit entre les droits nouveaux du père et cette toute-puissance du sang maternel qui fut la loi chez les peuples arriérés : un enfant venait-il à naître, l’accouchée le purifiait elle-même dans les eaux de la fontaine voisine, puis vaquait aux besognes courantes de la terre ou de la chaumière ; et le mari s’alitait, comme pour prendre possession de ce droit paternel que l’usage lui avait si longtemps refusé. Ce qui étonne le plus, dans les récits où les Anciens ont raconté les destinées des peuples ligures, c’est la place minime qui est faite à la personnalité des hommes. Je veux dire par là que, jamais, dans l’histoire de leurs guerres et de leurs batailles, les historiens d’autrefois ne prononcèrent le nom d’un de leurs chefs. Ils ont résisté aux Romains avec un acharnement égal ou supérieur à celui des Espagnols et des Gaulois ; ils ont remporté, plus d’une fois, d’étonnantes victoires. Mais, tandis que, chez presque toutes les nations, les luttes pour l’indépendance se sont personnifiées en des noms de chefs, Viriathe, Jugurtha, Vercingétorix, Arminius et bien d’autres, les faits d’armes ligures, combats et sièges, se présentent dans la terne apparence d’actions anonymes. Aucun roi n’en a revendiqué la gloire. On dirait que ces peuples ont ignoré l’ascendant que peut exercer sur d’autres hommes une volonté plus forte, une intelligence plus lucide : ce sont des masses confuses que n’anime point le souffle d’une individualité supérieure. Elles ne savent point communier, ainsi que firent si souvent les Grecs et les Gaulois, dans la gloire d’un héros vivant. Cette absence de forces et d’idées générales[314] est en partie la conséquence de leur état politique. Aucune population ancienne n’a été plus incapable de se grouper sous de grands souverains. Les Ligures obéissaient soit à des anciens ou chefs[315], soit plutôt à des rois héréditaires[316]. Il est possible que ces rois, comme tant de roitelets de l’Afrique, aient été d’abominables despotes, dominant par la crainte les dos et les membres de leur bétail humain : la vue des principaux tertres funéraires a fait dire que des centaines d’hommes ont été brutalement contraints à bâtir la demeure souterraine de leurs maîtres. Mais il est tout aussi vraisemblable que ces rois aient eu des mœurs plus douces, et qu’ils n’aient été que des chefs de familles ou de clans, juges, prêtres et pères de leur tribu, et rien de plus. En tout cas, si puissants qu’on les suppose, ils n’ont jamais commandé qu’à quelques milliers d’êtres : quand les colons phocéens débarqueront à Marseille, ils trouveront en face d’eux un bon roi-patriarche, aimable et paternel, maître d’un État minuscule de quelques milliers d’hectares, et voisin d’autres rois qui n’étaient pas plus riches. Car le régime de la tribu a toujours été le propre de la vie politique des Ligures. Le sol de la Gaule était sans doute partagé en un demi-millier de petits territoires[317] ; et chacun d’eux, domaine d’une seule société humaine, avait ses villages et leurs chefs, son roi et ses anciens, les citadelles de ses clans, son refuge collectif, son lieu de marché, ses forêts et ses champs de culture. Les Ségobriges, chez qui fut fondée Marseille, ne tenaient que la plaine basse de l’Huveaune[318] et les montagnes qui la dominent[319]. Dix tribus et davantage se partageaient le pays entre le Rhône, le Lubéron, les monts des Maures et la mer[320]. Trente à quarante autres s’étaient formées dans la grande chaîne des Alpes, depuis La Turbie jusqu’au Saint-Gothard[321] : il n’y en avait pas moins de trois installées dans le seul Valais[322] ; deux se partageaient la Haute et la Basse Maurienne[323] ; la petite région du Queyras suffisait à celle des Quariates[324]. Vallons alpestres, vallées pyrénéennes, plaines ouvertes où confluent les rivières, rivages d’étangs dans les landes, golfes sur les mers, chaque éclaircie de la nature avait sa tribu particulière : elle était la réunion de quelques centaines de familles groupées pour la chasse, la pêche ou la culture le long d’un ruisseau, d’un lac[325] ou d’une courbe du rivage, et arrêtant leurs domaines à la ligne de forêts, de marécages ou de haute mer qui bornaient leur horizon[326]. Les Ligures ont été presque toujours impuissants, du moins dans les temps connus, à comprendre une autre manière de se grouper. Cet état de morcellement dura jusqu’à la fin de leur indépendance[327]. Quand les Romains assaillirent ceux des Alpes et des Apennins, il arriva plus d’une fois à des tribus voisines de s’associer pour résister à l’ennemi : des prières et des serments s’échangeaient d’un marché à l’autre ; une loi sainte unissait les différents chefs et les familles qui leur obéissaient[328]. Mais cette loi ne durait que le temps de la guerre, et, le danger écarté, chaque groupe reprenait sa place habituelle et sa vie isolée dans les replis de sa montagne. Cependant, dans certaines régions plus ouvertes, plus sillonnées de routes naturelles, plus fréquentées des marchands ou des marins étrangers, des liens plus durables semblent unir les tribus limitrophes, et les associer pour une vie commune[329]. C’est autour des centres maritimes et commerciaux que se sont constitués ces embryons d’empire ou de peuplade. Dans la plaine du Languedoc, dès le sixième siècle, le royaume superbe des Élésyques se forma avec Narbonne comme capitale[330]. Celle du Roussillon obéit, vers la même époque, à la peuplade des Sordes, groupés près du marché fréquenté de Pyréné (Port-Vendres ?)[331]. Il serait fort possible qu’une puissante confédération de ce genre ait dès lors pris naissance le long du golfe du Morbihan et des rivages vénètes : l’exploitation de la mer, de l’étain armoricain et des rites mortuaires a pu créer dans ces parages un État riche et puissant. Mais le plus souvent, les Ligures paraissent réfractaires aux larges sociétés politiques. Ils ne se rapprochaient ni pour conquérir au dehors ni pour se transformer au dedans. Si les centaines de tribus qui peuplaient la Gaule ressemblèrent à celles des Apennins (et je le crois), le désir d’une solide union ne planait pas au-dessus d’elles ; elles n’étaient point familières avec ces vastes ambitions et ces pensées communes d’où peuvent sortir les nations consistantes. XVII. — RELATIONS COMMERCIALES Cette absence d’union permanente n’implique pas l’isolement absolu de chacune de ces tribus. De même qu’elles se rapprochaient en temps de guerre, de même, en temps de paix, elles laissaient leurs frontières ouvertes aux marchands, et peut-être aussi aux morts et aux bestiaux. Que le système des transhumances ait existé dès ces temps reculés, que dès lors, le long des drayes larges et interminables, les troupeaux de moutons descendissent et montassent à chaque saison entre les Pyrénées et la Gascogne, les Cévennes et le Languedoc, les Alpes et la Crau, c’est fort vraisemblable[332] : mais on ne saurait le prouver. — S’il est vrai que l’Armorique ait été une terre d’élection pour les défunts, le Nord-Ouest de la Gaule devait avoir, ainsi que la Scythie du temps d’Hérodote, ses longs sentiers sacrés oit se succédaient les chariots funéraires ; et ces marches continues vers les morts frayaient de grandes routes communes, comme le firent plus tard, au nord et au sud de la Méditerranée, les pèlerinages de Saint-Jacques et de La Mecque. — Mais, plus que les dévots et plus que les bergers, ce sont les marchands qui, dans les temps ligures, ont tracé les pistes des chemins d’intérêt général et reconnu les carrefours propices à des rendez-vous fréquents. Des besoins économiques et des désirs de luxe furent les causes qui maintenaient une entente régulière entre les tribus. Il va de soi que l’état de guerre l’entravait souvent, mais il n’était pas plus durable chez les Ligures que chez les peuples cultivés, et les Anciens se sont même parfois complu à représenter les Barbares du Nord de l’Europe comme cultivant leurs terres en paix, sous les rayons bienfaisants du Soleil leur dieu[333]. Il y eut, en tout cas, entre les différents groupes des populations ligures, des relations commerciales normales et fort étendues[334] : peut-être les marchands jouissaient-ils d’un prestige moral ou religieux qui les rendait inviolables : les Grecs racontèrent plus tard que les trafiquants allaient et venaient entre l’Italie et la Gaule par la route du mont Genèvre, accueillis courtoisement de tous, protégés par les coutumes, passant sans danger d’une tribu à l’autre le long de ces cinquante lieues de sentiers si propres aux embuscades[335]. Les découvertes faites dans les stations lacustres et sous les mégalithes sont la preuve frappante de la facilité avec laquelle les objets de toute sorte circulaient dans la Gaule des temps les plus lointains. On rencontre des armes ou des parures de bronze à peu près uniformément partout[336] : si elles ont été fondues sur place par des bronziers ambulants ou indigènes[337], l’étain et le cuivre n’ont pu qu’être importés de terres souvent fort éloignées[338]. Il existe, au sud de la Touraine, au Grand-Pressigny et dans les environs, un vaste gisement de silex excellent pour la fabrication des haches et des pointes de flèches : tailleurs et polisseurs de pierre en ont tiré pendant des siècles d’innombrables quantités d’armes et d’outils, et, des rives de la Loire, les produits du Grand-Pressigny se sont répandus en masse dans toute l’Armorique, dans le bassin de Paris, en Belgique même, et,par les voies du levant, jusque chez les constructeurs de pilotis des lacs suisses et alpestres[339]. Les indigènes de la Gaule ligure recherchaient, pour en faire des grains et des pendeloques de colliers, une sorte de turquoise verte qu’on appelle la callaïs : si cette matière s’est rencontrée en Gaule, ce ne peut être que dans un nombre restreint de gisements[340] ; or, elle a été en usage chez des tribus fort éloignées l’une de l’autre, en Armorique[341], dans la vallée de la Charente[342], en Provence et dans les Pyrénées[343]. Quelques-uns des produits que les Ligures utilisaient venaient, par terre ou par mer, de régions plus lointaines encore. L’ambre, plus tard[344] rival de la callaïs comme matière de luxe, était transporté en Gaule des côtes de la mer du Nord, et arrivait, de proche en proche, jusque chez les peuplades des lacs de la Suisse et de la Savoie[345]. Ces demi-sauvages aux haches de pierre et de bronze avaient une pratique sérieuse des échanges commerciaux. Sur les côtes de l’Océan comme sur celles de la Méditerranée, on devine, dès les temps préhistoriques, un mouvement intense de cabotage et de trafic de pacotille[346]. De même que la mer, les grands fleuves aussi étaient des éléments de vie commune et de vaste curiosité : leurs eaux mobiles invitaient aux départs, et unissaient les hommes de proche en proche[347]. Enfin, l’étranger n’était plus ni proscrit ni redouté sur les rivages des deux mers qui bordaient les terres ligures. Les traditions qu’ont laissées les récits des plus anciens navigateurs n’offrent pas de ces scènes de terreurs et de fuites éperdues que nous trouvons dans les périples des côtes africaines[348]. Le premier débarquement dont l’histoire ait conservé le souvenir, celui des Phocéens, a été placé dans le cadre d’une idylle d’amour[349]. Sans aucun doute, les fondateurs de Marseille ont eu dans la Méditerranée gauloise des précurseurs égyptiens, crétois, phrygiens, lydiens, phéniciens, étrusques, ibères ou tartessiens[350], qui sont venus sur ces mêmes rivages écouler leurs marchandises et goûter d’amours exotiques. Aucune des thalassocraties qui se sont succédé dans la Méditerranée depuis le temps de Minos n’a dû négliger ces rives provençales d’accès engageant. Ces Phéniciens qui firent le tour de l’Afrique, qui laissèrent des colonies et élevèrent des temples sur les côtes moroses de la Tingitane[351], ces hommes de Tartessus qui furent, plus d’un millénaire avant Jésus-Christ, les audacieux découvreurs des terres occidentales[352], tous ces chefs des peuples de la mer, Ulysse de Tyr, de Sidon ou de Cadix, Argonautes des eaux crétoises ou égéennes, hardis, habiles, rusés, avides, courageux, patients et intéressés, qui ne redoutaient ni les dangers mortels, ni les longueurs de l’espace, ni les durées du temps, ont connu, j’imagine, ces anses bleues et profondes qui offrent le plus sûr des repos à la barque et au marin. Je n’hésite pas à accepter leur venue à Marseille, à Port-Vendres, à Ampurias[353] et ailleurs, bien avant celle des Phocéens. — Mais je me hâte de dire que, de leur passage, rien n’est resté, pas même un nom et un souvenir[354]. Sur la mer Extérieure, les marins de Cadix, indigènes ou colons phéniciens[355], qui s’en allaient vers le nord chercher l’étain anglais[356] et l’ambre frison[357], ont, plus d’une fois, fait relâche sur les côtes interminables de l’Atlantique, attendant le vent, se livrant à la chasse, et troquant denrées ou marchandises. Il fallait parfois, disait-on, quatre mois pour aller de Cadix en Angleterre[358] : mais ce fut, évidemment, en s’arrêtant sans cesse pour la bricole ou la maraude[359]. Je ne puis croire, notamment, que les Tartessiens n’aient pas connu ce merveilleux goulet de Pasajes[360], qui s’entrouvre, calme et profond, au beau milieu des gouffres de l’Océan, et d’où un facile vallon conduit jusqu’aux riches filons métalliques de la Haya. De Cadix à l’île de Wight, c’était déjà un va-et-vient incessant de barques et de pirogues : les indigènes de la Grande-Bretagne et de l’Irlande faisaient la course lointaine avec la même audace que les matelots exercés de l’Andalousie[361], et entre ces deux marines, celle du Morbihan avait su, assurément, se faire sa place. Quand Himilcon et Pythéas, par delà Ouessant, se dirigeront vers la Cornouailles, la Frise et la Norvège, ils ne feront que suivre les traces laissées depuis des siècles par leurs émules barbares. Ces maîtres des mers occidentales et méridionales ont-ils fait davantage ? Ont-ils reconnu la proximité relative de ces deux lignes de ports de relâche, la ligne de la Méditerranée et la ligne de l’Océan, ce qui était le trait distinctif de la structure de la Gaule ? se sont-ils rendu compte qu’il y avait un isthme entre deux grandes mers, et qu’ils auraient profit à transporter les marchandises par terre, de la Seine au Rhône, du cap du Figuier au cap Creux ? La chose n’est pas impossible. La première idée d’ensemble que les Anciens aient eue sur la Gaule, c’est que ces deux caps appartenaient à une même chaîne, que les Pyrénées allaient d’un rivage à l’autre, et qu’entre leurs extrémités maritimes il y avait seulement sept jours de marches[362]. Peut-être dès avant le sixième siècle, des caravanes, chargées d’étain, de cuivre, d’ambre et de callaïs, se sont-elles organisées au pied septentrional des Pyrénées, entre la contrée de Pasajes et celle de Port-Vendres. Trafiquants étrangers et indigènes, en reconnaissant et en utilisant les routes naturelles, traçaient les premiers traits de l’unité de la Gaule. XVIII. — À PROPOS DU GÉNIE LIGURE Tels furent le caractère et la vie des populations ligures de la Gaule. Je ne me dissimule pas ce qu’il y a d’incertain dans ce tableau, et que, sur presque tous les points, la discussion est possible. Mais l’histoire d’avant les textes ne sera jamais qu’une reconstitution conjecturale, où le chercheur remplace par des déductions les réponses que lui refusent des monuments anonymes et silencieux. Faut-il, à ces hypothèses sur les Ligures d’autrefois, en ajouter d’autres sur leurs destinées ethniques ? Peut-on retrouver leur manière d’être chez les millions d’hommes qui ont habité après eux sur le sol de la Gaule, et qui, sous différents noms, sont pour la plupart des produits directs de leur sang ? Leurs descendants d’aujourd’hui ont-ils hérité leur caractère physique et moral ? — Voici la principale réponse qui a été faite, par quelques-uns, à ce problème. - La majorité des Français est composée d’hommes de petite taille, de teint et de cheveux bruns, à la complexion sèche et nerveuse, aux gestes souples et rapides. Ils sont, plus qu’autre chose, des laboureurs tenaces, des ouvriers patients et adroits, d’infatigables piétons. — Ces qualités générales du peuple, c’est l’héritage, jamais compromis, des tribus ligures. Les paysans de nos campagnes ont conservé, depuis vingt-cinq siècles, le culte des mêmes sommets et des mêmes fontaines : le tempérament des hommes a eu la même force de résistance que la sainteté des Génies du pays. — C’est également par l’atavisme ligure que s’expliqueraient les humeurs propres à diverses régions de la France, celles que leur éloignement du centre, l’immensité de leurs forêts, la maigreur de leurs terres ou la difficulté de leurs montagnes ont tenues à l’écart des grandes invasions du nord et des convoitises dangereuses. — Le Méridional, Gascon, Languedocien, Provençal, à la chevelure noire, au ton criard, hardi, rusé et hâbleur, est le véritable arrière-petit-fils du Ligure, fallax Ligus. — Mais celui-ci a laissé d’autres héritiers non moins authentiques chez les Bretons et chez les Basques, qui ont gardé son entêtement, sa vaillance comme marin, sa légèreté comme coureur. Quelques-unes de ses habitudes physiques sont encore passées aux carriers du Limousin et du Piémont, aux bûcherons du Morvan, des Landes et du Périgord, aux laboureurs minutieux du Vivarais, aux pâtres à demi sauvages du Rouergue et du Gévaudan. Certains caractères, communs jadis à tous les Ligures de Gaule, se sont effacés chez une partie des nations qu’ils ont formées et se sont immobilisés chez d’autres[363]. — Voilà ce qui a été dit sur les survivances du tempérament ligure, et ce qui n’est pas incroyable. — Cependant, je ne veux pas prendre à mon compte ces nouvelles hypothèses. Jusqu’à quel point, en effet, pouvons-nous affirmer que ces qualités du Français, que ces défauts du Méridional sont les produits du sang et du corps, et non pas le terme actuel d’habitudes imposées à leurs ancêtres par le ciel qu’ils voyaient, la terre qu’ils cultivaient, par l’air, le sol, les impressions et les besoins qui les entouraient ? Marins bretons, coureurs basques, ne sont-ils pas les bénéficiaires d’aptitudes et de traditions séculaires prises dans la montagne et sur la mer ? Qu’ils aient leur caractère dans le sang, je le veux bien : mais est-ce le pays ou la race ligure qui a créé ce sang, cette complexion physique et morale ? Et si tant de Français ressemblent aux Ligures, est-ce en vertu de lois extérieures, matérielles et sociales, ou des vertus spécifiques de leur organisme intérieur ? — Jusqu’au jour où l’anthropologie saura distinguer, dans les caractères d’un homme ou d’un groupe d’hommes, ceux qui viennent de la race et ceux qui viennent de la nature ambiante, on ne peut qu’indiquer ces ressemblances, et qu’attendre. — Mais il faut éviter de dire tempérament, race, ou génie ligure. Au surplus, le tempérament d’une population n’est pas immuable, et, plus peut-être que celui d’un homme, il peut se transformer sans relâche. On nous parle souvent de l’âme celtique, du génie germanique, de l’esprit latin. Si l’on entend par âme ou génie les caractères distinctifs et permanents de races éternelles, je me refuse à prononcer ces mots : car je ne sais ce que signifie le mot de race appliqué à ces noms de peuples, et je nie que ces noms aient désigné toujours des peuples de même caractère. Ceux que nous appellerons les Ligures, les Celtes, les Latins et les Germains furent des combinaisons d’individus issus d’ancêtres variés et inconnus, des masses imprécises formées par des êtres invisibles de nous, et sans cesse pénétrées par de nouveaux venus : et nul ne peut dire en quoi consistait la race propre à chacun de ces hommes. Certes, à un moment donné, Latins ou Celtes ont eu un génie déterminé, une Ame collective, comme toutes les associations d’hommes qui prennent des habitudes communes. biais ce génie a varié avec les temps : il a été tour à tour servile ou conquérant, inerte ou actif, intelligent ou stupide, artiste ou rustre, suivant les révolutions qui l’ont troublé, les maîtres qui l’ont inspiré, le sol où il a vécu, les misères physiques qui ont assailli ses terres. Sait-on au juste si les nations les plus vivaces ne tomberont pas un jour dans l’état de dépression générale le plus contraire à leur nature du moment présent ? Voyez maintenant le peu d’ambitions maritimes des Basques du Labourd, qui furent, d’Édouard Ier à Colbert, les plus aventureux des peuples de la mer française ? Nul n’aurait pensé, au temps de Charles le Simple, que les pirates du Nord, incapables de repos, étrangers en apparence à tout foyer de terre, allaient devenir en Normandie des agriculteurs sages, stables et consciencieux. Qui peut dire si, de populations obscures, atones et amorphes, ne sortira pas un jour, après des siècles d’absolue immobilité, un irrésistible élan ? Qu’on songe à ce mouvement formidable de d’Islam, le plus durable et le plus vigoureux qui soit jamais parti’ de l’humanité, et qui a si brusquement jailli de la terre la plus muette de l’ancien monde classique[364] ! Gardons-nous donc de parler d’un génie ligure, et de croire que la race de ces hommes les condamnait fatalement à la banalité des besoins matériels et à la médiocrité des besognes utiles. .Nous n’avons voulu chercher ici que ce qu’ils étaient et ce qu’ils faisaient à un moment déterminé de leur histoire. — Au septième siècle avant notre ère, les populations de la Gaule vivaient étroitement unies à leur sol ; l’horizon de leurs pensées habituelles, l’influence de leurs dieux ordinaires, ne dépassaient pas les limites de la tribu. C’étaient les intérêts commerciaux qui rapprochaient le plus les hommes. Mais ils n’avaient ni le goût des choses de l’esprit ni le désir des conquêtes lointaines. Ils manquaient de mémoire et d’ambition, ne savaient regarder ni dans le passé ni dans l’avenir. Aucun souffle puissant n’agitait cette masse pour la transformer en une nation capable de produire ou de détruire. |
[1] L’existence en Gaule d’une population indigène, conquise par des Gaulois envahisseurs, a presque toujours été admise par ceux qui ont étudié de près notre pays. Mais celui qui a appliqué à cette population le nom de Ligures, et qui a le plus heureusement cherché à définir ses caractères est, en 1861, Roget de Belloguet, Ethnogénie gauloise, surtout II (1re éd., 1861 ; 2e édit., 1875) ; cf. ses conclusions, p. 337 et suiv., III, p. 45 et suiv., p. 247. Le système, jusque-là très populaire, d’Amédée Thierry (Histoire des Gaulois, 1828 ; 8e éd., 1870) consistait à appeler Galls ou celtes la population antérieure, à faire des Ligures des envahisseurs de race ibérique venus du midi, et à donner le nom de Kimris à la grande migration des VII-VIe siècles. Les Galls de Thierry sont les Celtes de Broca (Broca, Recherches sur l’ethnologie de la France, 1850, dans les Mém. de la Soc. d’Anthr., I, p. 9 et suiv. ; cf. le même, Mém., III, p. 147 et suiv., 1860).
[2] D’Arbois de Jubainville, Les premiers Habitants de l’Europe, 2e édit. (1re, 1877), I, 1880, p. 356 et suiv.
[3] Forme latine primitive, qui explique les adjectifs Ligusticus et Ligustinus.
[4] Les plus anciens textes sur les Ligures sont les suivants : vers 600, Ps.-Hésiode cité par Ératosthène ap. Strabon, VII, 3, 7 ; vers 500, Hécatée de Milet, Fr. hist. Gr., I, p. 2 ; vers 300-470, Avienus, 132, 133, 196, 628 ; Æschyle ap. Strabon, IV, 1, 7, ap. Denys, I, 41, 2.
[5] Le grec λιγύς, signifie mélodieux, et les Ligures passaient pour une population de chanteurs, έθνος μουσικώτατον (scholiaste de Platon au Phèdre, 13, Didot, III, p. 316). — Ce qui s’opposerait à cette hypothèse d’une étymologie grecque serait l’existence d’un ancien Ligustinus lacus en Espagne (Avienus, 284) ; mais ce nom est-il d’origine indigène ? Le mot de Ligures a pu également venir aux Grecs par l’intermédiaire de négociants phéniciens. Il est à noter que Strabon, qui a rappelé très bien que les appellations d’Éthiopiens et de Scythes ont été imaginées par les Grecs ou étendues par eux à des groupes d’hommes très différents (I, 2, 27), n’a jamais dit pareille chose du mot de Ligures.
[6] Plutarque, Marius, 19.
[7] Cela expliquerait que ce nom d’Ambrons ait été porté également par des peuples du Nord, associés aux Teutons et aux Cimbres.
[8] Hécatée, fr. 22, p. 2.
[9] Aristote, Météorologiques, I, 13, 29.
[10] Hécatée, fr. 20, Didot.
[11] Avienus, 196.
[12] Avienus, 129-145.
[13] Lucain, I, 443-4 : Ligur, quondam... toti prælate (dominant sur ? ou ayant le pas sur ?) Comatæ ; cf. S. Reinach, Cultes, I, 1903, p. 213.
[14] La plus ancienne caractéristique donnée aux Ligures est celle de pernix, rapide, appliquée à ceux de l’Océan (Avienus, 196, cf. 139), et on verra que cette rapidité est une des qualités qu’on leur attribuait le plus souvent. Reste, il est vrai, l’hypothèse que l’épithète soit une addition d’Avienus au poème primitif.
[15] L’importance de la toponymie pour l’étude des origines des peuples a été déjà bien mise en lumière par Leibniz, De originibus gentium, éd. Dutens, IV, 2e p., p. 186 et suiv.
[16] Garonne et Garonnette sont presque le nom générique des ruisseaux dans cette région de la Provence, et cela dès le XIe siècle : Cartulaire de Saint-Victor (Guérard), n° 474, 593, 196, I, p. 478, 587, 589.
[17] Dans l’Oise, la Vienne, l’Orne, la Sarthe, etc. Voir pour tous ces noms, Joanne, Dict. géogr. de la France.
[18] Oise, Calvados, Manche.
[19] A Cahors ; à Bordeaux : Ausone, Urbes, 160, auj. Devèse, au Moyen Age Divicia ou Divisa (Arch. hist. de la Gironde, XXI, p. 253, etc. ; Cartulaire de Saint-Seurin, p. 79, 80, 100) ; dans l’Ain ; etc.
[20] Dans la Seine, le Morvan (Bibracte), l’Isère, le Loir-et-Cher, l’Aisne (Bibrax), etc., pour la Bièvre ; pour Bebronna, Holder, I, c. 363 ; Calvados, Nièvre, Manche, pour le Beuvron.
[21] Holder, II, c. 843, 849 ; Oldeia, Cartulaire de Saint-Seurin (Brutails), p. 10 ; Dictionnaire topographique de la Mayenne, p. 240.
[22] C. I. L., XII, 332 (Giarinus, Jarret) ; le Gier, Jarez ou Jarret (Giarus ?).
[23] En admettant que le territorium quod ab antiguis Ardena appellatur désigne une ancienne forêt (Gallia Christiana, XI, Instrumenta, col. 77).
[24] Silva Ardenna, Cartulaire de Saint-Jean-d’Angely, I, p. 110 (Archives historiques de la Saintonge, XXX, texte qui m’est signalé par M. Dangibeaud).
[25] Voyez les noms de rivières ou de localités en al- ou alis-, ar-, av-, car-, drav-, el-, is-, mos-, sar-, sav-, ur-, ves- ou vis-. Quelques-uns et peut-être la plupart de ces thèmes entrent également comme premier et comme second terme dans la composition de ces noms : ce qui semble justifier l’hypothèse que ces noms soient des noms surtout composés, dont les deux thèmes se plaçaient indifféremment. Le thème -on(a) est surtout un suffixe pour noms de sources.
[26] Je songe aux Bièvres et Beuvronnes ; cf. beber, castor ou bièvre : en supposant, bien entendu, que le nom de l’animal ait précédé la dénomination de ces rivières ; cf. aussi sur ce point les réserves de Fœrstemann, Altdeutsches Namenburh, Ortsnamen, 2e éd., 1872, p. 241.
[27] Les noms en div-, cf. note 19.
[28] On objectera que ces noms ne sont connus que postérieurement à l’arrivée des Celtes et peuvent venir de la langue de ceux-ci : mais ils se retrouvent, presque tous, dans des régions où l’influence celtique n’a jamais pénétré.
[29] L’unité primitive de l’Occident, prouvée par le vocabulaire, et notamment par relui des noms de fleuves, est déjà indiquée tris nettement dans un curieux passage de Leibniz (De originibus gentium, p. 194, Dutens). Elle a été étudiée, mais au profit du nom ibère, par G. de Humboldt (cf. ch. VII, § 1). Les Ligures apparaissent enfin, comme nom de l’unité occidentale, chez de Belloguet en 1861, II, p. 289 et suiv. (2e éd.) ; puis chez Müllenhoff, III, 1892, p. 173-193 (écrit après 1865 ?) : chez d’Arbois de Jubainville, I, p. 330 et suiv. ; II, p. 3 et suiv.
[30] Ptolémée, II, 6, 8 : Δηούα, la Deva sur la côte basque espagnole ; II, 3, 4 : Δηούα, la Dee d’Aberdeen : ce qui semble prouver que, contrairement à l’opinion courante, ce nom n’est pas d’importation celtique. Cf. Wissowa, V, col. 259-200.
[31] Durius, Duria, chez les Latins ; Duria est aussi le nom d’un affluent de gauche du Danube entre Hongrie et Moravie (Pline, IV, 81), d’un affluent du Rhin, la Thur (Holder, I, c. 1379-82 ; Fœrstemann, c. 405-6). Cf. Wissowa, V, à ces mots.
[32] Avienus, 479-80 ; Σικανός, Thucydide, VI, 2, 2.
[33] Cf. note 19 ; en Irlande : Δούρ ποταμός, Ptolémée, II, 2,3 ; Αύσόβα, id., cf. Holder, I, c. 298, et II, c. 882.
[34] César, V, 12, 1.
[35] Holder, II, c. 72-75 ; Fœrstemann, Ortsnamen, c. 923-4. Il semble bien que ce soit un mot composé de deux radicaux is-, ar-, l’un et l’autre habituels à des noms de rivières (Fœrstemann, c. 922 et 101).
[36] Tables Engubines, édit. Bréal, p. LXVII (Vesona) : C. I. L., XIII, 949, 956 (Vesunna) ; Ihm, Bonner Jahrbücher, LXXXIII, p. 143 (Vesunia).
[37] Holder, II, c. 1130, 1174.
[38] En latin Vesulus et Vesuvius.
[39] Tite-Live, I, 3, 8.
[40] Cf. l’Aube, Albis, en Gaule, Άλπις, affluent du Danube, Hérodote, IV, 49 ; Fœrstemann, c. 53, qui rapproche le suédois elf, fluvius.
[41] Avienus, 622.
[42] Tite-Live, IX, 30,7. Cf., encore en Gaule, Cemenelum, Cimiez (Holder, I, c. 977), qui est sur une hauteur.
[43] Wissowa, II, c. 2280. Je ne sais si l’on peut rapprocher de ce radical le thème germanique ava, Fœrstemann, c. 169.
[44] Étudiez, dans les lexiques, les radicaux cités note 25. Regardez aussi l’extension de certains noms de lieux, comme ocelum (Holder, II, c. 826-7), Alba, ceux en Brigant- (l. c., 534-540). Ajoutez la statistique des noms terminés par le suffixe -asca (-asco), statistique commencée par Flechia dans son mémoire Di alcune forme de’ nomi locali dell’ Italia superiore, lu en 1870-1, Turin (Memorie della r. Accademia, IIe s., XXVII, 1873), et continuée par d’Arbois de Jubainville, II, p. 46 et s. ; celle des noms en -incum, Philipon, Romania, XXXV, 1906, p. 1-18.
[45] Caton l’Ancien, fr. 31, Peter ; etc. Sur les Ligures en Italie, Helbig, Die Italiker in der Poebene, 1879, p. 30 et s. ; Pais, Storia della Sicilia, I, 1894, p. 492 et s.
[46] Tite-Live, V, 35, 2 ; Caton apud Pline, III, 124 ; Pline, III, 123.
[47] Pisæ in Liguribus, Justin, XX, 1, 11.
[48] Denys d’Halicarnasse, I, 10, 3 ; Festus, au mot Sacrani, p. 320 (Müller).
[49] Sénèque, Dial., XII, 7. La ressemblance des Corses avec les Cantabres peut s’expliquer par une commune origine ligure.
[50] Denys, I, 22, 2 ; Silius Italicus, XIV, 37. Cf. Holm, Geschichte Siciliens, 1870, p. 360.
[51] Thucydide, VI, 2, 2, sur le Jucar : je ne vois aucun inconvénient à accepter, sur la foi de ce texte, que, dans la vallée du Jucar, existassent des hordes sauvages de Ligures (cf. Avienus, 485 et 464), hostiles à l’État des Ibères. Ératosthène (apud Strabon, Il, 1. 40) appelle l’Espagne τήν Λιγστικήν άκραν.
[52] Avienus, 284 ; cf. Ét. de Byz., s. v. Λιγυστίνη. Sur les Ligures en Espagne, Sarmento, Lusitanos, Ligures e Cellas, Porto, 1891-3.
[53] L’archéologie arrive aux mêmes conclusions que la critique des textes et que la toponymie : Les images sculptées proclament l’unité, intellectuelle des habitants du pays gaulois, d’une grande partie de l’Europe même, à cette époque lointaine qui est la Un de l’âge de pierre, et le commencement de l’âge de bronze ; Cartailhac, L’Anthropologie, 1895, p. 156. — Comment s’est produite cette unité linguistique ? Est-elle, si je peux dire, primordiale et primitive ? S’est-elle faite, peu à peu, par contacts commerciaux ou religieux ? N’est-elle pas, plutôt, le résultat de la fondation d’un vaste empire, mi-atlantique et mi-méditerranéen, précurseur préhistorique des États celtiques et de l’Empire romain ? Je ne sais si on pourra jamais résoudre de telles questions, mais j’incline vers la dernière solution.
[54] Les Étrusques, sans aucun doute, et peut-être aussi les Ibères et les gens de Tartessus (cf. ch. VII, § 1). — Il n’est pas du tout certain que les fameux documents égyptiens sur les peuples de la mer (cf. Meyer, Geschichte des Alterthums, I, § 260. 263-288 ; Maspero, II, p. 432 et s. ; le même, Revue critique, 1880, I, p. 109-110) fassent allusion à des migrations maritimes d’Asie en Occident. Mais il paraît chaque jour plus vraisemblable que dans les siècles préhelléniques, dans les sages crétois ou mycéniens et les âges antérieurs, de puissantes colonies se soient transportées d’Asie vers le couchant, vers l’Italie, les Iles et l’Espagne, et que ces colonies, au lieu d’être, comme celles du monde grec, de petites troupes d’hommes, destinées simplement à fonder une ville, étaient des multitudes de familles, organisées pour créer des empires (cf. Tacite, Germanie, 2, et la liste des thalassocraties ap. Eusèbe, éd. Schœne, I, c. 225). Mais, jusqu’à nouvel ordre, on peut croire que la Gaule a été à l’écart de ce mouvement.
[55] Strabon, III, 1, 6 ; 2, 14 ; Justin, XLIV, 4. Cf. ch. V, § 2 et ch. VII, § 1.
[56] Peut-être faut-il ajouter à ces grands empires méditerranéens celui des Sigynnes (ou du Norique et des grands affluents de droite du Danube), empire où s’est développée, avant 400, la civilisation dite de Hallstatt (Hérodote, V, 9 ; cf. ici, chap. VIII, § 4, ch. IX, § 8).
[57] Sauf peut-être l’État ibérique, dont on ne connaît rien avant Hécatée (si ce n’est le texte de Macrobe, I, 20). Cf. ch. VII, § 1.
[58] Άιθίοπάς τε Λίγυς τε ίδέ Σκύθας, Ps.-Hésiode cité par Ératosthène ap. Strabon, VII, 3, 7 (Catalogue ?, fr. 35, Rzach). C’est elle [la race ligure ou berbère] qui forme ce substratum commun sur lequel s’est étendue la conquête celtique ; de Belloguet, II, p. 337.
[59] Voyez, sur les discussions auxquelles a donné lieu la race des Ligures Lagneau, Les Ligures (Mém. de la Soc. d’Anthr., IIe s., I, 1873, p. 201 et suiv.) ; Mehlis, Die Ligurerfrage (Archiv für Anthropologie, 1900, p. 71 et s., p. 1043 et s.).
[60] César, V, 12, à rapprocher de 14, 2.
[61] Cf. Stade, Geschichte des Volkes Israel, I, 1887, p. 135.
[62] Cf. Meillet, Introduction à l’étude comparative des langues indo-européennes, 1903, p. 50 : La langue, qui dépend d’évènements historiques, est... indépendante de la race, qui est une chose toute physique. — Cf. ici, ch. VII, § 3.
[63] En d’autres termes, j’emploie Ligures dans le même sens qu’on a employé Romania au Ve siècle ; cf. Gaston Paris, Romania, I, 1812, p. 12 et suiv.
[64] Il en va des peuples comme des langues : nous n’arriverons à saisir, jusqu’à nouvel ordre, ni la race pure ni la langue primitive d’où descendent notre type et notre idiome ; de même que dans l’indo-européen tel que nous nous le figurons se dissimulent peut-être des parentés lointaines avec les idiomes ougro-finnois (cf. Meillet, p. 52), de même, sous ces noms de Ligures ou de Celtes, se cachent des alliages infinis. Michelet (préface de 1869, p. 6 de l’éd. de 1879) supprimait la race du grand travail des nations à partir du Xe siècle ; il acceptait cependant qu’elle fiât un élément tort et dominant aux temps barbares ; reste à savoir quand commencent ces temps barbares. 7e crois qu’il faut éliminer cet élément même des plus lointaines époques connues, et traiter les Ligures et les Celtes comme nous ferions les Francs et les Français ; leur époque n’est le point de départ que de l’histoire écrite, mais elle est l’aboutissement de siècles innombrables dont la vie nous échappe. Gardons-nous, sous prétexte que nous ne connaissons rien avant eux, de les regarder comme des groupes homogènes et primitifs.
[65] C’était la thèse de R. de Belloguet, Ethnogénie, II, p. 337.
[66] Race méditerranéenne de Sergi (qui ne fait que reprendre la pensée de De Belloguet).
[67] Schiaparelli, Le Stirpi ibero-liguri, Turin, 1880 (Atti della r. Accademia), p. 103, 108, etc.
[68] Müllenhoff, I, 1870, p. 86 ; de même, Hirt, Die Indogermanen, Strasbourg, I, 1905, p. 43-49.
[69] C’est la théorie célèbre de Sergi, Origine e Diffusion della stirpe mediterranea, 1895, p. 66 et suiv., 81 et suiv.
[70] Cuno, Die Ligurer, dans le Rheinisches Museum, XXVIII, 1873, p. 193-210 ; le même, Vorgeschichte Roms, I, 1878, p. 89 et s., p. 114 et s. ; de même, Maury, Mélanges.... de l’École des Hautes Études, 1878, p. 7. — Ce qui n’empêche pas, bien entendu, que la différence ne fût sensible, au temps d’Auguste, entre Gaulois et Ligures, έτεροιθνεΐς (Strabon, II, 5, 28). — Cette hypothèse, on le voit, nous ramène, sous un autre nom, aux Galls ou Celtes de Thierry et de Broca.
[71] Dans le même sens, Müllenhoff (qui s’est contredit), III, p. 179-193 ; d’Arbois de Jubainville, II, p. 3-213 ; Pauli, Beilage zur Allgemeinen Zeitung, 12 juillet 1900 ; Kretschmer, Die Inschriften von Ornavasso, 1902, p. 16 et suiv. (Zeitschrift de Kuhn).
[72] Σιγύνναι, marchands, Hérodote, V, 9 : mais ce n’est peut-être que le nom du peuple commerçant des Sigynnes transformé par les Ligures en nom commun. — Βαλαροί, —fugitifs, Pausanias, X, 17, 9. — Bodincus, nom du Pô, jundo carens, Pline, III, 122. — Asia (sasia ?), seigle, id., XVIII, 141. — Σαλιούγκα (var. αλιουγγία, etc.), saliunca, nard ou valériane celtique, Dioscoride, I, 7(8) (réserves de Müllenhoff, III, p. 192). — Peut-être ginnus, parvus mulus, Pline, VIII, 1 74 (d’après Müllenhoff, ib.). — Peut-être ambrons, épithète commune ou nom national. — Une étude approfondie de la toponymie des vocabulaires occidentaux augmentera considérablement cette liste ; c’est ainsi que * penna, signifiant rocher, doit être un mot de la langue ligure (cf. Bourciez, Les Mois espagnols comparés aux mois gascons, 1901, p. 21, extrait du Bulletin Hispanique). — D’autres mots, attribués aux Ibères et autres Espagnols, ou aux Celtes (Hübner, Monumenta, p. LXXX et suiv.), doivent être ligures : ainsi arapennis ou arepennis, arpent (Holder, I, c. 205).
[73] Voyez : C. I. L., V, 7749 ; les inscriptions étudiées par Pauli et Kretschmer ; et tous les noms de lieux dont nous parlons plus haut. Il a été impossible, jusqu’ici, de trouver une différence caractéristique entre le dialecte de Gênes et les autres dialectes gallo-italiques (Ascoli, Archivio glottologico italiano, II, 1878, p. 111 et suiv., p. 160).
[74] Voyez surtout C. I. L., V, 7749. Cf. en dernier lieu Kretschmer, p. 27. Cependant le parler corse, qui semble ligure, était δυσκατανόητος et έξηλλαγμένη (Diodore, V, 14,3) : c’est ce que Strabon (III, 3, 7) et Méla (III, 15) diront également de la langue des Cantabres, qui ont plus d’une analogie avec les Ligures.
[75] Note 72.
[76] Plutarque, Marius, 10. Sur ce radical, Fœrstemann, c. 73.
[77] P. ex. mons Berigiema, près de Gênes, C. I. L., V, 7749, 10 ; cf., contra, Kretschmer, p. 24 et p. 26, n. 2.
[78] Cf. d’Arbois de Jubainville, II, p. 160.
[79] Holder, I, c. 1085.
[80] Holder, II, c. 1201 ; Stokes et Bezzenberger, Wortschatz der Keltischen Spracheinheit, p. 231.
[81] Cf. aussi Fœrstemann, Ortsnamen, c. 53, 73, 101, 241, 476, 1292, etc.
[82] Les inscriptions supposées ligures par Kretschmer n’offrent jamais plus de quatre mois.
[83] Pruner-bey, Bull. de la Soc. d’Anthr., IIe s., I, 1806, p. 442-407, etc. ; Nicolucci, Antropologia dell’ Italia, 1887, p. 7-8, et en bien d’autres lieux.
[84] Sergi, p. 66 et suiv. Cf. Collignon, Bull. de la Soc. d’Anthr., IVe série, I, 1890, p. 748-750.
[85] Nystrœm, Uber die Formenveränderungen, etc., 1002 (Archiv für Anthropologie, XXVII), et, à propos de ce travail important : Lissauer, Zeitschrift fûr Ethnologie, XXXIV, 1902, p. 159-160, et S. Reinach, Revue Archéologique, 1904, I, p. 153-154.
[86] Il y a, à ce sujet, de très justes remarques chez Deniker, les Races et les Peuples de la terre, 1900, p. 123.
[87] Je ne cite que pour mémoire la tradition ancienne, qui attribuait sept côtes à certains Ligures (Aristote, De animalibus, I, 15, 1).
[88] Cf. plus loin, ch. VII, § 3.
[89] Cf. Strabon, II, 3, 28. Il faut bien qu’il n’y ait pas eu entre eux et les Gréco-romains des différences essentielles, pour qu’on ait pu songer à leur attribuer une origine grecque (Strabon, IV, 6, 2 ; cf. Pline, III, 124, 134, d’après Alexandre le Polyhistor).
[90] De Belloguet, III, p. 41-47 ; Nissen, Italische Landeskande, I, 1883, p. 468 et suiv. ; Issel, Liguria geologica e preistorica, II, 1892, p. 331 et suiv.
[91] D’abord Timée (dans le De mirabilibus auscultationibus, 90-92. Geffcken), puis, et plus longuement, Posidonius chez Diodore (IV, 20 ; V, 39) et chez Strabon (III, 4, 17 ; IV, 6, 2 ; V, 2, 1).
[92] Ce qui suit d’après Diodore et Strabon.
[93] Cf. Tite-Live, XXXIX, 2, 3 ; XL, 27, 12.
[94] Hostis levis, et velox, et repentinus, Tite-Live, XXXIX, 1, 6 ; Silius, VIII, 603 : Pernix Ligus.
[95] Strabon, IV, 6, 2.
[96] Détail qui vient de Timée (De mirab, auscult., 90), répété par Eustathe, Comm. in Dionysium, 76, p. 232, Didot.
[97] Diodore, IV, 20, 1 ; V, 39, 6.
[98] De mir. ausc., 91 ; Diodore, IV, 20, 2 et 3 ; Strabon, III, 4, 17. Il n’est pas dit, de ce trait des mœurs ligures, qu’il se rapportât à la couvade ; cela me paraît certain, la couvade ayant été constatée chez les Corses et les Cantabres, les uns et les autres fort voisins, je crois, des Ligures (Diodore, V, 14, 2 ; Strabon, III, 4, 17), et cette coutume, autrement dit l’alitement du mari, étant inséparable du fait que la femme vaque, pendant ce temps, aux travaux habituels (cf. L’Anthropologie, 1804, p. 332-7).
[99] Ce qui suit d’après Diodore, V, 30 ; cf. Avienus, 613 : Ligies asperi ; Virgile, Géorgiques, II, 168 : Adsuetum malo Ligurem ; Cicéron, De lege agr., II, 35, 95 : Duri.
[100] Strabon, V, 2, 1.
[101] Cf. Plutarque, Paul-Émile, 6.
[102] Cf. Strabon, IV, 6, 2.
[103] Les cavernes étaient les demeures habituelles de quelques-uns, Diodore, V, 39, 5.
[104] Cf. Tite-Live, XXXIX, 32, 3 : Montem, antiquam sedem majorum suorum.
[105] Lucain, I, 442-3 ; Pline, III, 47 et 135 ; XI, 130 ; Tite-Live, XXI, 32, 7. Les noms de capillati et de montani reviennent sans cesse à propos des Ligures.
[106] Diodore, V, 39, 1.
[107] Strabon, IV, 6, 2 ; V, 2, 1 ; Diodore, IV, 20, 1 ; Tite-Live, XXXIX, 1, 5-6.
[108] C’est ce que dirent les Anciens des Ligures : Docuit ager ipse, Cicéron, De lege agraria, II, 35, 95.
[109] Avienus, 196. Ajoutez, mais toujours avec cette réserve, qu’Avienus, 613, donne aux Ligures du bas Rhône, vers 300, la même caractéristique, asperi, qu’on donna, au temps de Cicéron, à ceux des Apennins.
[110] Avienus, 98-107 : quoique Avienus ne prononce pas le nom de Ligures, il s’agit d’eux ici, des indigènes de l’Angleterre et peut-être aussi de l’Armorique ; cf. 143.
[111] D’après Caton, Orig., fr. 31, Peter (apud Servius, Énéide, XI, 715) : Ipsi unde oriundi sunt, exacta memoria ; inliterati ; de même, Denys, I, 10, 3.
[112] Caton, Or., fr. 31 et 32 (apud Servius, Énéide, XI, 700).
[113] Caton, Or., fr. 32 : Omnes fallaces ; Tite-Live, XXI, 34, 1 ; Virgile, Énéide, XI, 715-6 ; Ausone, Technopægnion, 9, 23.
[114] Virgile, Én., XI, 699 et suiv.
[115] Tite-Live, XXXIX, 2, 2 ; XL, 27, 9. Cf. Justin, XLIII, 4.
[116] Tite-Live, XLI, 18, 3 ; Diodore, IV, 19 ; cf. Strabon, IV, 6, 3 et 6 ; V, 2, 7.
[117] Strabon, IV, 1, 7 ; Méla, II, 78.
[118] Odyssée, X, 81 et suiv. Cf. Bérard, II, p. 209 et suiv.
[119] Tite-Live, XL, 18, 5 et 28, 7 ; Plutarque, Paul-Émile, 6.
[120] De mirab. auscult., 85 ; Diodore, IV, 19, 3-4 ; tous deux sans doute d’après Timée.
[121] Tite-Live, XXXIX, 1 ; XL1, 18 ; Plutarque, Paul-Émile, 6.
[122] Tite-Live, XL, 38.
[123] Orose, V, 14, 5 : il s’agit non de Gaulois, mais de Ligures, sub radice Alpium.
[124] On ne sait même pas, disaient les Anciens, s’ils sont venus d’ailleurs.
[125] Voyez plus haut. Plus on étudie ce monde ligure, plus y apparaît le rôle prépondérant de la mer. Et je me demande si son unité, sa langue et quelques-unes de ses habitudes, n’ont pas été créées par une nation de la mer : et je songe chaque jour davantage aux hommes de la mer du Nord, et à un peuplement de l’Europe, dans les temps préhistoriques, analogue aux migrations de l’époque des Normands.
[126] Avienus, 143.
[127] Tite-Live, XL, 38, 4.
[128] Ibidem.
[129] Celesia, Le Teogonie dell’ antica Liguria, 1868 (incohérent).
[130] Surtout des régions montagneuses ou forestières des Alpes, des Pyrénées et des Ardennes, où populations et cultes ont le moins changé.
[131] Mot de Tylor, La Civilisation primitive, trad. fr., II, p. 276.
[132] Tylor, II, p. 271-9 ; Mérimée, De antiquis aquarum religionibus in Gallia, etc., Paris, 1886.
[133] Pline, XXXI, 1-4 : Emicant benigne, etc.
[134] Pline, XXXI, 4 : Augent numerum deorum nominibus variis urbesque condunt.
[135] Ausone, Urbes, 160.
[136] C. I. L., XII, p. 383, n° 3093 et s. ; Ausone, 161.
[137] C. I. L., XIII, 2858-63 ; 2921 ; XII, 333 ; XIII, 1376-7 ; 345-8 ; 350-9 ; 2803-8.
[138] Cf. Grégoire de Tours, In gloria confessorum, 2.
[139] C. I. L., XII, 330, 361, 3076, etc. ; XIII, 344,350-9, etc. Cf. notre t. II, ch. V, § 7.
[140] Le radical du mot Bibracte est toujours un radical de roue d’eau. Il en va de même de celui d’Alesia ou Alisia (Holder, I, c. 90-93).
[141] C. I. L., XIII, 49 : Deo Garri, dieu de source, je crois, à comparer au pic du Gar, du voisinage. Matrona, nom du mont Genèvre, est un qualificatif sacré de source.
[142] Montibus numidis (= sanctis), C. I. L., XIII, 38 ; etc. Les gravures rupestres des abords du mont Bego semblent bien se rattacher à un culte de ce sommet, Bicknell, The prehistoric Rock Engravings, etc., Bordighera, 1902.
[143] Dans tous les pays et dans tous les temps, on trouvera des dictons populaires prédisant le temps d’après l’aspect de la cime des montagnes, par ex. pour le Ventoux : Quand... lou mount Ventour (a) soun capèu, bouié, desealo e courre lèu (Mistral, Tresor, II, p. 1100).
[144] L’association du culte des vents au culte des montagnes est attestée par de nombreux faits : Avienus, 225-238 : Jugum Zephyro sacratum ; le nom du Mistral (Cirrius) se retrouve dans celui du mont ligure de Circéi (cf. Bérard, II, p. 263 et suiv.) ; Vintur, nom du Ventoux, dieu et montagne, peut-être aussi du Lubéron (C. I. L., XII, 1341 et 1104) ; Venture, nom du mont Sainte-Victoire (cf. Revue des Ét. anc., 1899, p. 50 et suiv.). Les Anciens out donné du reste à des vents des noms de montagnes, et sans doute aussi inversement.
[145] Tite-Live, XXI, 38, 9 : In summo sacratum vertice Pœninum montani appellant ; cf. Holder, II, c. 1021 et suiv.
[146] Cf. surtout Mannhardt, Wald. und Feldkulte, I, 1875, ch. 1 : Die Baumseele.
[147] Silius Italicus, III, 688-691 ; Ovide, Métamorphoses, VIII, 743 et suiv.
[148] Fago deo, C. I. L., XIII, 33, 223, 224, 225.
[149] Mouillefert, Traité des arbres et arbrisseaux, 1892-8, p. 1144-7 : il peut atteindre 40 m., son fût reste le plus souvent nu, dépouillé de gourmands.
[150] Pline, XXV, 105-6 ; XXVI, 31.
[151] Bosc, Nouveau cours complet d’agriculture de Deterville, VII, 1822, p. 558 : Cet arbuste présente deux singularités remarquables : l’une, c’est que, quoiqu’il vive aux dépens de la sève d’arbres fort différents, il ne présente pas de variations dans sa forme ni dans ses qualités ; la seconde, c’est qu’il pousse dans toutes les directions, c’est-à-dire qu’on en voit qui portent leurs branches vers la terre ou parallèlement à sa surface, sans chercher a les relever vers le ciel, comme presque tous les arbres.
[152] Pline, XVI, 243 et suiv.
[153] Surtout d’après les monuments figurés de la Gaule à l’époque romaine ; pour l’ours, cf. chapitre précédent ; sur le sanglier, cf. Reinach, Bronzes figurés, p. 255 ; le bélier, ibid., p. 195-8 ; le serpent, ibid. ; sur tous ces animaux, le même, Cultes, p. 65-76.
[154] Pline, VIII, 139. Cf. de Lacépède, Hist. nat. des Serpents, II, 1789, p. 143 et s., 150 et s., 154 et s. ; Pottier, Dictionnaire des Antiquités, au mot Draco, p. 406 ; Bœtticher, Der Baumkultus der Hellenen, 1856, p. 204 et suiv.
[155] Cf. Guéneau de Montbeillard, Histoire naturelle des Oiseaux (Buffon), III, 1775, p. 19 et suiv.
[156] Le corbeau du mont de Fourvières est représenté sur les monuments figurés, Allmer et Dissard, Musée, II, p. 148 et suiv.
[157] Il est fort probable que la plupart des Esprits ou Génies de tribus, de l’époque romaine, remontent aux temps ligures.
[158] Cf. Dufourcq, La Christianisation des foules, 1903, p. 43-47.
[159] Procès de Jeanne d’Arc (Quicherat), I, p. 67 et suiv., 210 et suiv., II, p. 397, 410 et suiv., etc.
[160] Cf. César, VI, 22, 2 ; Strabon, III, 4, 16 ; IV, 4, 6 ; Diodore, II, 47, 2-3. Cf. plus loin. Fréquence du croissant et du soleil sur les tombes (C. I. L., II, p. 1204). Il ne serait pas impossible que les épisodes de deuil qui accompagnent le mythe de Phaéton (ch. V, § 10) n’eussent été inspirés aux Grecs par les rites barbares d’un culte solaire.
[161] Nocturnus, C. I. L., III, 1936 ; V, 4287.
[162] Strabon, III, 1, 9 ; C. I. L., II, 676-677.
[163] Cf. à ce point de vue les inscriptions de Vérone, C. I. L., V, 3221 et suiv.
[164] La Vénus des caps ou des Iles de l’Espagne (Avienus, 138, 315), dite l’eau, marina (313), n’est sans doute pas différente d’une Terre-Mère. Si, ce dont je doute encore, la figure féminine des monuments mégalithiques est une déesse, ce ne peut être que la Terre, représentée en qualité de Mère des Lares et des Mânes.
[165] Sur les vieux sanctuaires d’un Saturne occidental : Avienus, 163 et 216 (Espagne) ; C. I. L., V, 3225, 3291-3 ; Plutarque, De defectu oraculorum, 18.
[166] Cf. Tylor, II, p. 330-333 ; I, p. 368-373 ; Dieterich, Mutter Erde, 1905.
[167] Cf. Duchesne, Origines du culte chrétien, 1880, p. 250-4.
[168] Cf. Usener dans les Philosophische Aufsütze en l’honneur de Zeller, p. 275-302 (Alte Bittgänge).
[169] Cf. Solin, XXII, 2, disant de l’Irlande : Inhumana incolarum vitu aspero.... Sanguine interemptorum hausto prius victores vultus suos oblinunt.
[170] Tite-Live, XLI, 18, 3.
[171] Diodore, IV, 19, 4 et 1.
[172] Tite-Live, XXXVI, 38, 1 : Lege sacrata coacto exercitu.
[173] Scholiaste de Platon au Phèdre, 13 (Didot, III, p. 316). Il est fort probable que les Ligures, comme tant d’autres peuples, faisaient à la musique une part prépondérante dans leurs exercices sacrés : leur nom vient peut-être de là ; cf. Diodore, 11, 47, 2-3.
[174] Solin, XXII, 7 (on a conjecturé qu’il s’agissait des indigènes des îles Sorlingues).
[175] Connue sans doute dès le temps de Pythéas ; Strabon (Posidonius), IV, 4, 6 ; Denys le Périégète, 570-374.
[176] Cf. Sartori, Ueber das Bauopfer (Zeitschrift für Ethnologie, XXX, 1898), p. 1 et s.
[177] Méla, III, 48. Salomon Reinach croit ces vierges de Sein une simple fiction d’origine hellénique (Cultes, I, p. 193-203).
[178] Strabon, IV, 4, 6.
[179] Tacite, Germanie, 40.
[180] Apollonius de Rhodes, IV, 650-2.
[181] Tacite, Annales, XIV, 29-30.
[182] Plutarque, De dejectu oraculorum, 18 ; cf. Solin, XXII, 7 (les saints habitants des îles Sorlingues ?).
[183] César, VI, 13, 11.
[184] Cf. tome II, ch. V, § 1.
[185] La Dea Dia des Frères Arvales n’est autre que la Terre-Mère ou, comme on voudra, la Cérès italienne ; cf. Wissowa, Religion, p. 162 ; Encyclopädie, II, c. t472 et s.
[186] Pour ce paragraphe et les quatre suivants : Bertrand, Archéologie celtique et gauloise, 21 éd., 1889 ; La Gaule avant les Gaulois, 2e éd., 1891, p. 123 et suiv. ; Cartailhac, La France préhistorique, 2e éd., 1896 ; Reinach, Catalogue du Musée de Saint-Germain, salles II et III ; G. et A. de. Mortillet, Musée préhistorique, 1re éd., 1881 ; 2° éd., 1903 ; Cazalis de Fondouce, Allées couvertes de la Provence, 1873 (Mém. de l’Acad. de Montpellier) et 1878 (Matériaux) ; de Vesly, Carte préhistorique... de la Seine-Inférieure, Rouen, 1877 ; Bézier, Inventaire des monuments mégalithiques du dép. d’Ille-et-Vilaine, Rennes, 1883 ; du Chatellier, Les Époques préhistoriques et gauloises dans le Finistère, 1889, p. 9 et suiv. (nouvelle édition en préparation) ; A. de Mortillet, Rapport sur les monuments mégalithiques de la Corse, 1893 (Nouv. Arch. des Missions) ; Castanier, La Provence, I, 1893, p. 82 et s. ; Bousrez, Les Monuments mégalithiques de la Touraine, 1894 ; A. de Mortillet, Les Monuments mégalithiques du Calvados (Assoc. franç., Congrès de Caen, 1894) ; Chauvet, Statistique et Bibliographie des sépultures préromaines du département de la Charente (Bulletin archéologique, année 1899) ; de Gérin-Ricard, Statistique préhistorique... des Bouches-du-Rhône, du Var et des Basses-Alpes, Marseille, 1899 ; Pothier, Les Tumulus du plateau de Ger, 1900, p. 1-34 ; A. de Mortillet, Les Monuments mégalithiques de la Lozère, 1903 ; etc.
[187] Cf. Jordanès, Getica, 13, 78.
[188] Cf. Tite-Live, V, 48, 3.
[189] Silius Italicus, III, 340-3. Hérodote, I, 140 : On n’enterre point le corps d’un Perse qu’il n’ait été auparavant déchiré par un oiseau ou un chien.
[190] Elles sont signalées chez les Celtibères (Silius, III, 340), où l’on rencontre plusieurs usages semblables à ceux des Ligures. Les os inhumés après décharnement, de certaines tombes mégalithiques (du Chatellier, p. 12-14 ; Bertrand, La Gaule, p. 146 ; etc.), sont peut-être ceux de cadavres livrés d’abord aux oiseaux de proie ; et., avec d’autres solutions, Cartailhac, p. 288 et suiv. ; Leguay, Bull. de la Soc. d’Anthr., 1883, p. 312, etc. Il parait bien certain que beaucoup de dolmens (les plus anciens) sont, non des tombes destinées immédiatement aux défunts, mais des ossuaires ou des reliquaires où les ossements ont été recueillis longtemps après la mort (Cartailhac, p. 302).
[191] Sur 92 sépultures mégalithiques, sans objets de bronze, fouillées dans le Finistère, 61 étaient à incinération, 26 à inhumation (du Chatellier, p. 22) ; sur 31 à objets de bronze, 3 seulement à inhumation (p. 45) : en admettant que la seconde catégorie indique toujours une époque plus récente, l’usage de l’incinération serait donc allé en se répandant. Dans les deux tertres voisins de Tumiac et du mont Saint-Michel de Carnac, l’inhumation est le rite du premier, l’incinération du second (de Closmadeuc ap. Bertrand, La Gaule, p. 128). Incinération (plus rare) et inhumation dans les grottes artificielles (Cartailhac, p. 158-9) ; dans les tumuli lorrains (Beaupré, Bull. arch., 1903, p. 438) ; etc. Presque partout, ces deux rites ont été acceptés simultanément ; cf. Marquardt, Privatleben, p. 362.
[192] Région de la Marne : de Baye, L’Archéologie préhistorique, 1re éd., 1880, p. 131 et suiv. ; 2e, 1888, p. 61 et suiv. ; Cartailhac, p. 153-161. En Basse Bretagne, Aveneau de La Grancière, Bull. de la Soc. polym. du Morbihan, 1897, p. 3 et suiv.
[193] Cf. du Chatellier, p. 18 et suiv. Cf., pour les grottes. Cartailhac, p. 156.
[194] Cartailhac, p. 182-3. De même, parfois, dans les grottes, p. 156. Cf. Bulletins de la Soc. d’Anthr., 1889, p. 244-5.
[195] Bertrand, Gaule, p. 152 ; Reinach, Catalogue, p. 65. Cartailhac, p. 182, croit que le trou était destiné à l’introduction de nouveaux corps. Dans le sens indiqué ici, Montelius, Der Orient und Europa, 1899, p. 137.
[196] Diodore, V, 39, 5 (Ligures italiens). Cf. V, 17, 3 (indigènes des Baléares) ; Strabon, V, 2, 7 (Sardes) ; Tacite, Germanie, 16 (Germains). Cf. Desor, Matériaux, VI, 1870-71, p. 531-540 ; Bertrand, Gaule, p. 114 et suiv.
[197] Cf. du Chatellier, p. 41 et suiv. (noter surtout les chambres sépulcrales du Penker en Plabennec et du Penker en Plozévet, Finistère, p. 106 et 151).
[198] Gavr’inis, Manné-er-H’roëck, Manné-Lud (Dict. arch. de la Gaule, planches), Kercado, etc. ; cf. Bertrand, p. 156 ; Reinach, Catalogue, p. 71-72. Dans le vestibule de certaines grottes artificielles, Cartailhac, p. 160, 241, 244.
[199] Chauvet, p. 531.
[200] A remarquer que les squelettes sont parfois disposés accroupis ou repliés (Chauvet, p. 497 ; Gaillard, Soc. polym. du Morbihan, 1843, p. 234 et suiv. ; etc.). On a expliqué cela par la croyance que le mort devait recommencer à vivre comme il avait commencé dans le sein maternel (Troyon, Habitations lacustres, 1860, p. 387).
[201] Cf. Troyon, Habitations lacustres, p. 397.
[202] Cartailhac, p. 250 : Les offrandes sont d’autant plus importantes que la tombe est plus récente. Les squelettes sont alors en petit nombre.
[203] Strabon, IV, 1, 10 : cf. Apollonius, IV, 651 ; Polybe, X, 10, 11.
[204] Dict. archéol. de la Gaule, I, planches ; Cartailhac, p. 204 et suiv.
[205] Le premier érudit qui ait nettement constaté le rôle funéraire des dolmens est Legrand d’Aussy, Mémoire sur les anciennes sépultures nationales, p. 459-488 (Mém. de l’Institut, Sciences Morales, II, an VII). Mais il ne put faire prévaloir ses idées contre les théories druidiques des celtomanes de son temps, Cambry et autres (cf. Mémoires de l’Académie celtique, I et s., 1807 et s.), et de La Tour d’Auvergne (Origines gauloises, an V [1re éd.]) ; cf. Cartailhac, p. 109 et s. — L’inventaire des monuments mégalithiques publié par la Direction des Beaux-Arts en 1900, Monuments historiques, p. 25 et s., ne renferme que ceux qui sont classés : il est à revoir de prés. De même la liste qui a été publiée, Bull. Soc. d’Anthrop., 1880, p. 87-131, a besoin d’être fortement épurée.
[206] Cf. Bertrand, la Gaule avant les Gaulois, p. 193.
[207] Samuel, I, 7, 12. — Aristote, Politique, IV (VII), 2, 6, p. 1324 : Chez les Ibères... on entoure la tombe d’un guerrier d’autant de petits obélisques, όβελίσκους, qu’il a tué d’ennemis : ici, le caractère mortuaire du pieu ou de la pierre de souvenir est très nettement marqué.
[208] Cartailhac, p. 317.
[209] Cf. Galles, Deux Mémoires sur les monuments de l’âge de pierre, 2e éd., Vannes, 1864. Du Chatellier (p. 27) croit, d’après les débris trouvés au pied des menhirs du Morbihan et du Finistère, qu’ils ont reçu des sépultures à leur base. Dans le même sens, Cartailhac, p. 324 et suiv. — Sur la question des menhirs, cf. Baudouin, De la signification des menhirs (Institut international de bibliographie scientifique, 1904). — Le rôle funéraire des pierres plantées est bien visible dans les pays scandinaves (Montelius, Les Temps préhistoriques en Suède, tr. Reinach, p. 300-12). — Il est probable que l’usage des menhirs isolés s’est prolongé beaucoup plus tardivement que celui des dolmens, et je ne serais pas étonné si quelques-uns étaient voisins de l’ère chrétienne.
[210] Galles et Mauricet, Étude sur le Manné-Lud (Soc. polymathique du Morbihan), 1864, p. 80 ; Bertrand, La Gaule, p. 134. Il y eut, sans doute, des menhirs indicateurs de tumuli (Gaillard, Bull. Soc. d’Anthr., 1892, p. 37 et suiv.).
[211] Aveyron, Tarn, Gard ; cf. Hermet, Bulletin archéologique de 1898 ; Reinach, La Sculpture en Europe avant les influences gréco-romaines, 1896 (l’Anthropologie), p. 12 et suiv. Pour les menhirs de la Corse, Michon, Mémoires du Centenaire de la Soc. des Antiquaires de France, 1904. Comparez les sculptures des grottes funéraires et des dolmens. Reinach, p. 8 et suiv.
[212] Chez les Ibères, le pilier est la figuration symbolique de l’ennemi tué.
[213] Ménec, 1169 menhirs ; Kermario, 982 ; Kerlescan, 579, d’après Le Rouzic, Les Monuments mégalithiques de Carnac et de Locmariaquer, p. 14 et suiv. Il faut évidemment rattacher à ces trois séries d’alignements les systèmes voisins d’Erdeven (Kercerho), Plouharnel (Sainte-Barbe), Saint-Pierre de Quiberon ; et. Gaillard, Bull. de la Soc. d’Anthr. de Paris, 1888, p. 434 et suiv.
[214] Cf. Galles, Deux Mémoires..., p. 18-10 ; le même, Les Monuments mégalithiques en Basse-Bretagne et en Algérie (Bulletin de la Soc. de Climatologie algérienne), Alger, 1869, p. 29. — Sur les différentes hypothèses (monuments de bataille, image de constellation, cimetière, temple solaire, lieu d’assemblée) provoquées par Carnac, cf. encore Bull. de la Soc. d’Anthrop. de Paris, 1888, p. 434 et suiv.
[215] Cf. le Bulletin de la Société archéologique du Morbihan, Vannes, 1857 et s., devenu Bulletin de la Société polymathique du Morbihan, 1860 et s. ; le Bulletin de la Société archéologique du Finistère, Quimper, 1873 et s.
[216] Cartailhac, p. 203 : On a noté 50 dolmens dans la Loire-Inférieure, 305 dans le Morbihan, 170 dans le Finistère, 112 dans les Côtes-du-nord : tandis que l’Ille-et-Vilaine, au centre, n’en compte que 15.
[217] Cercles de pierre de l’Ilot d’Erlanie, dans le Morbihan ; de Closmadeuc, Soc. polymathique, 1882, p. 8 et suiv. Voyez aussi du Chatellier, Relevé des monuments des îles du littoral da Finistère, Quimper, 1901 (Soc. arch. du Fin.).
[218] Cf. note 217. La mer déferle par les gros temps sur le terrain de la chambre d’un des dolmens de Port-Blanc (Gaillard, Soc. polym. du Morb., 1883, p. 8).
[219] René Galles, Bulletin de la Société polymathique du Morbihan, a. 1862 (1863), p. 7 et s.
[220] Sept mètres de longueur. R. Galles, dans le Bull. de la Soc. polym. du Morbihan, a. 1863 et 1864.
[221] 23 m. 73.
[222] De Closmadeuc, Bull. de la Soc. d’Anthrop., 1892, p. 692 et suiv.
[223] Galles, Manné-er-H’roëk, 1863, Vannes (Soc. polym.).
[224] Cf. Plutarque, De defectu oraculorum, 18.
[225] Chez les Scythes, les transports de cadavres duraient parfois quarante jours, Hérodote, IV, 71 et 73.
[226] Remarquez combien de tombeaux célèbres, attribués à des personnages mythiques, sont mentionnés sur toutes les côtes méditerranéennes : Strabon, IV, 1, 10 (Ile de Lérins ou Sainte-Marguerite) ; Scylax, § 8 (tombe d’Elpénor, prés du cap de Circé, cf. Odyssée, XII, 11-15) ; Virgile, Énéide, VII, 3 (Gaète) ; Plutarque, Sertorius, 9 (Tanger) ; etc.
[227] Strabon, V, 4, 3 ; cf. Bérard, II, p. 314 et suiv.
[228] S. Reinach, La Sculpture en Europe avant les influences gréco-romaines, 1896 (L’Anthropologie, 1894-96) ; le même, Idées générales sur l’art de la Gaule, dans la Revue archéologique de sept.-oct. 1905 ; Cartailhac, La France préhistorique, 2e éd., 1896 ; Hoernes, Urgeschichte der bildenden Kunst in Europa, Vienne, 1898, surtout livres I-IV ; Sophus Müller, Urgeschichte Europas, Strasbourg, 1903, ch. 10 et 15.
[229] Je songe surtout aux haches en jadéite ou chloromélanite, qui ne peuvent avoir été que des objets de luxe ou plutôt d’apparat, destinées au mort (cf. Cartailhac, p. 265 et suiv.) ; voyez surtout celles du Musée de Vannes, fouilles de Tumiac, du Manné-er-H’roëck (Catalogue, 1881).
[230] Quelle que soit d’ailleurs la manière dont on explique la supériorité artistique de ces générations de chasseurs. Question de race, disent les uns ; question de genre de vie, disent les autres : Das parte Fasten, zu welchem Jäger sa oft verurtheilt sint, erregt die Einbildungskraft (Hoernes, p. 51).
[231] Cela dit sans que je prenne parti ici dans la question du rôle, religieux ou magique, de ces dessins.
[232] Cartailhac, p. 65 et suiv. (antérieur aux découvertes des dessins des cavernes). Pour ces derniers (Altamira et autres lieux près de Santander ; Pair-non-Pair en Gironde ; grotte Chabot dans le Gard ; La Mouthe, Les Combarelles, Font-de-Gaume, Bernifal, La Grèze, La Calavie, prés des Eyzies, Dordogne ; Teyjat, Dordogne ; Marsoulas, Gargas, dans la Haute-Garonne ; Le Mas d’Azil), cf. surtout Cartailhac, Conférences faites au Musée Guimet, 1903-4, p. 109-133 ; L’Anthropologie et la Revue de l’École d’Anthropologie de Paris, passim ; et, en dernier lieu, L’Anthropologie, XV, 1904, p. 625 et s., XVI, 1905, p. 431 et s. (Cartailhac et Breuil), etc. Ces derniers savants préparent une publication d’ensemble. — Pour les dessins sur os, cf. en premier lieu, Lartet et Christy, Revue archéologique, 1864, n. s., IX, p. 233-267 ; et en dernier et surtout, la collection Piette au Musée de Saint-Germain.
[233] Ce qui ne veut pas dire que j’accepte la théorie du hiatus ; cf., sur cette question, Reinach, Alluvions et Cavernes (Description du Musée de Saint-Germain), [1889], p. 267-275.
[234] Question de race, ont encore dit les uns ; question de genre de vie, ont dit les autres : Der Ackerbauer führt... ein nüchternes, stels gleich hartes und annahernd gleich lohnendes Dasein (Hoernes, p. 51).
[235] Ou comme celui que l’invasion des Doriens amena dans le monde égéen, entre les temps mycéniens et les temps helléniques ; cf. Lechat, La Sculpture attique, 1904, p. 16 et suiv.
[236] On a remarqué, par exemple, que les aiguilles en os ou en bronze de Gergovie et de Corent sont d’un travail moins achevé que celles en bois de renne (Lartet, Matériaux, VI, 1870-1, p. 351).
[237] Cartailhac, p. 204-5.
[238] Cartailhac, p. 319, ne donne que 21. Ceux de Plésidy (Côtes-du-Nord) et de Plouarzel (Finistère) dépassent ou atteignent 11 mètres.
[239] Je ne veux pas cependant insinuer, par là, qu’elle fut la στήλη βόρειος que le Pseudo-Scymnus et Avienus (90-94) placent en Armorique.
[240] Entre Fontevrault et Loudun ; Cartailhac, p. 212. La table du dolmen de Saint-Fort en Charente mesure 10 m. 45 et 6 m. 45 (Chauvet, p. 513, n° 61).
[241] Pfister, Le Duché mérovingien d’Alsace, 1892 (Annales de l’Est), p. 206 et suiv. ; Forrer, Die Heidenmauer von St. Odilien, Strasbourg, 1899, p. 7 et s. : 10.502 mètres de circonférence, plus de 100 hectares de superficie ; l’étendue de cette construction me la ferait volontiers reporter aux premiers temps de l’ère celtique.
[242] Revue archéol., déc. 1869, p. 392 et suiv. (Flouest) ; mars 1863, p. 145 et suiv. (Montgravier et Ricard) : cependant les blocs ne dépassent jamais, semble-t-il, 2 mètres. Là encore, les constructions, vu leur étendue, peuvent être postérieures à l’arrivée des Grecs et des Ibères (cf. Justin, XLIII, 4, 1).
[243] Il semble cependant que la tendance était de renoncer aux grandes pierres, et de les remplacer, au moins comme parois, par des murailles en pierres sèches ; cf. les chambres sépulcrales de Kerhué-Bras en Plonéour-Lanvern, du Penker en Plahennec, de Kergoitiou en Guissény, dans le Finistère, qui marquent la transition entre les sépultures mégalithiques et les lombes de l’époque gauloise (du Chatellier, p. 42-15, p. 52). Et ce sont les monuments, je crois, les plus voisins du VIe siècle.
[244] Grottes artificielles, Cartailhac, p. 156.
[245] Le système chronologique qui a déterminé cet exposé se rapproche en partie des théories de Bertrand et par là munie de celles de l’école danoise de Worsaae. Alex. Bertrand (Archéologie, p. XXII, p. 20 et suiv. ; La Gaule, p. 195-231) croyait qu’à l’époque de la fondation de Marseille, le Centre, le Nord et l’Ouest de la Gaule fussent encore en plein âge de la pierre polie, mitigé seulement par l’usage restreint des métaux chez les chefs. — C’est, au contraire, un millier d’années de plus et peut-être davantage que les chronologistes actuels, plus ou moins inspirés de Montelius et de l’école suédoise, donnent, dans la Gaule, à l’âge du bronze et des épées de métal. Voici le système de Déchelette (notes ms., destinées à son Manuel d’archéologie préhistorique, etc., I) : AGE DU BRONZE, I (2200-1900) : poignard de cuivre ; II (1900-1600) : poignard de bronze ; III (1600-1300) : épée de bronze, effilée et à lame droite ; IV (1300-900) épée de bronze à antennes. PREMIER AGE DU FER OU DE HALLSTATT, I (900-700) : apparition de l’épée de fer ; (700-500) : extension des fibules, importation de vases grecs de bronze, premières sépultures à chars. Voyez le système analogue de Montelius, La Chronologie préhistorique en France et en d’autres pays celtiques (L’Anthropologie, 1901, p. 609-623) ; cf. du même, Die Chronologie der ältesten Bronzezeit in Nord-deulschland und Skandinavien, 1900 (Archiv für Anthropologie), en particulier p. 196 ; etc. Le principe qui a amené ce classement est celui de la contemporanéité presque absolue des objets de Gaule et des objets similaires d’Italie et d’Orient, d’où la conclusion que toute l’Europe est passée aux mêmes époques par les mêmes phases de la vie artistique et industrielle. — Je ne peux, jusque nouvel ordre, admettre ce principe : 1° des civilisations très différentes ont pu coexister en Gaule, dans la Méditerranée et dans l’Europe centrale ; 2° on admet ces divergences en matière sociale, politique, religieuse : pourquoi ne pas les admettre en matière industrielle ? 3° de ce qu’on découvre, au milieu d’objets indigènes de l’Europe centrale, des vases grecs du VIe siècle par exemple, il ne s’ensuit pas que les objets soient contemporains ; négociants et guerriers ont pu transporter des vases bien antérieurs à leur temps ; 4° encore faut-il dire qu’on n’a pas rencontré dans la Gaule ligure des objets méditerranéens antérieurs à cette date ; 5° les textes qui parlent des populations de la Gaule entre 600 et 500, et des populations ligures dans les siècles qui suivent, ne donnent pas l’impression d’hommes armés de l’épée (cf. ch. IV, § 5, ch. V. § 6) ; 6° remarquez que les Ligures, en pleine époque romaine, conservaient encore le bouclier grec (Strabon, IV, 6, 2) : je ne veux pas supposer que c’est surtout par les Grecs que leur sont venus les principaux détails de leur armement, mais on peut en inférer du moins que ces sortes de peuples demeuraient longtemps fidèles à leur manière de combattre ; 7° comment s’expliquer la constante supériorité militaire des Grecs de Marseille (ch. V, § 6), sans une supériorité d’armement, étant donné surtout l’extraordinaire valeur physique des Ligures ? 8° alors que les Gaulois vivaient en plein âge de l’épée de fer, les Germains, en retard sur eux pour tous les points, en étaient encore surtout aux armes de bronze, et aux armes de jet et de hast (Tacite, Germanie, 8 ; cf. Baumstark, p. 308 et s.) : pourquoi ne pas supposer de pareils retards de Ligures à Méditerranéens ? Voyez, en opposition avec Montelius, Sophus Müller, Nordische Altertumskunde, I, 1897, p. 403 ; le même, Urgeschichte Europas, p. 49-33 ; voyez aussi les hésitations de Hoernes, Archiv für anthropologie, 1905, p. 238, p. 270 et s. — En résumé, je placerai après 600, non pas la première apparition de l’épée en Gaule, mais le développement de son usage ; avant cette date les deux premières périodes du métal ou celles du poignard, sans me prononcer sur leur durée et leur début ; et je concentrerai dans les deux siècles suivants (600-400) la plupart des dépôts à épées des deux dernières périodes dites du bronze. — Il est du reste fort possible que je me trompe, et que j’aie tort de céder à l’impression donnée par les textes : et ce n’est pas sans crainte que je laisse imprimer ces lignes. L’avenir décidera.
[246] L’absence d’objets de bronze dans les dolmens ne prouve pas absolument que ce métal fut ignoré des contemporains.
[247] Prescription semblable à celles qui, à Rome et ailleurs, interdisaient l’usage du fer dans les cérémonies religieuses (cf. Bertrand, Gaule, p. 228 et suiv.) : Cicéron, De Legibus, II, 23, 59 (loi des Douze-Tables) : Rogum ascea ne polito ; Exode, 20, 25 ; etc.
[248] J’hésite du reste beaucoup à ne pas placer après 800 les menhirs sculptés des Cévennes.
[249] Reinach, Sculpture, p. 8 ; Cartailhac, p. 242 et suiv. Je ne crois pas, jusqu’à nouvel ordre, qu’il s’agisse d’une déesse. Il y a des traces de couleur sur les sculptures.
[250] Je ne peux non plus croire qu’il s’agisse de ligures de dieux ou de déesses : l’instrument que paraissent porter les hommes doit être la crosse ou le bâton recourbé des bergers plutôt qu’une hache.
[251] Il n’est pas prouvé qu’il faille chercher en Orient (Hoernes, Kunst, p. 242-7) le prototype et les auspices de cet art et de ces figures. De ce que l’on trouve en Orient, 1500 ans avant notre ère, des images semblables, cela ne veut point dire que celles de Gaule en soient contemporaines et en soient les dérivées : à sept ou dix siècles de distance, notre pays a pu imaginer les mêmes formes d’art que les peuples du Sud et de l’Est, et inaugurer spontanément, sous l’influence de croyances et de pensées similaires, la même civilisation que le inonde égéen et asiatique (cf. Reinach, La Sculpture, p. 141). Et si l’on veut, à tout prix, expliquer par des rapports de cause à effet ces analogies entre les formes artistiques de l’Orient et celles de l’Occident, pourquoi ne pas supposer que les hommes du monde égéen et crétois et ceux du monde des dolmens occidentaux ont eu des ancêtres communs ? que ces ancêtres leur ont transmis, aux uns et aux autres, des traditions semblables, comme le culte de la hache ? mais que ces traditions ont donné naissance, sous les cieux et sur les routes et dans la vie de l’Orient, à un art varié, souple et expressif, tandis qu’en Occident elles se sont plus longtemps immobilisées en des formes stériles ou des images primitives, quittes à prendre ensuite, sous des influences propres, un développement original ? et ç’a été l’opinion de S. Reinach (Le Mirage oriental, dans Chroniques d’Orient, II, 1896, p. 528, 540 et 563).
[252] Cf. Davy de Cussé, Recueil des signes sculptés sur les monuments mégalithiques, Vannes, 1865, et 1866 ; de Closmadeuc, Sculptures lapidaires et signes gravés des dolmens dans le Morbihan, Vannes, 1873 ; Letourneau, Les Signes alphabétiques des inscr. mégalithiques, 1893 (Bull. Soc. d’Anthrop.). Autres signes, Reber, Bulletins de la Société d’Anthropologie de Paris, 1903, p. 20-55. Ajoutez certains dessins de poteries : du Chatellier, La Poterie, p. 14 et s., surtout pl. VII, 15 (vase de Conguel en Quiberon). Un corpus de ces signes est en préparation.
[253] L’examen de la construction de l’allée couverte de Gavr’inis a prouvé que le travail d’ornementation était terminé avant la mise en place des blocs (Cartailhac, p. 234).
[254] D’après Cartailhac, p. 236.
[255] Gavr’inis ; cf. Maltre, Revue archéologique, 1884, I, p. 332-42.
[256] Cf. Cartailhac, p. 240.
[257] C’est l’interprétation habituelle (Cartailhac, p. 235). — Je ne sais si le signe en forme d’U aux bouts recourbés (Manné-er-H’roëck) représente une barque (Hoernes, p. 369).
[258] Par exemple, dans le Finistère à Saint-Urnel (Plomeur), dans le Morbihan à Kerzerho (Erdeven). Cf., comme premier essai, Desor, Les Pierres à écuelles, Genève, 1878.
[259] Cartailhac, p. 24.5 et suiv. Il ne faut pas oublier que l’usage des cupules s’est conservé bien après l’ère chrétienne, qu’on en a trouvé sur des milliaires romains (Capitan, Revue de l’École d’Anthropologie, 1901, p. 184 et s.) ; de même, je crois que bien des signes, cruciformes ou autres, notés sur les dolmens, sont fort postérieurs aux monuments et postérieurs au christianisme.
[260] Une place à part doit être faite aux dessins rupestres des Alpes italiennes de Tende : ils représentent des haches, charrues, épingles, poignards ou couteaux, bœufs attelés, peaux de bêtes (destinées à des vêtements ?), etc. Ils me paraissent appartenir à l’époque du poignard, avant celle de l’épée, et sans doute à une époque voisine de celle dont nous parlons ici. Je n’hésite pas à les regarder, soit comme des ex-voto, soit comme l’expression d’un souhait (reproduction de l’objet demandé aux dieux ou placé sous leur protection) : la divinité visée était sans doute le mont Bego, qui apparaît, semble-t-il, à l’horizon de tous les points où ont été gravés ces dessins. Mader, Les inscriptions préhistoriques des environs de Tende, 1903 (Annales de la Soc... des Alpes-Maritimes), et surtout les publications de Bicknell, The prehistorie Rock Engravings in the Italian Maritime Alps, Bordighera, 1902, Further Explorations in the Regions, etc., Bordighera, 1903. Mais là encore il doit s’être glissé bien des dessins fort récents. — Ce qui, après tout, comme pour les cupules (n. 259), montre la longévité et des traditions et des pèlerinages.
[261] Cf. le cartouche de la dalle du Manné-er-H’roëck, Cartailhac, p. 236.
[262] Sur l’ornementation des poteries, surtout du Chatellier, La Poterie, p. 11-18.
[263] Musée de Saint-Germain, salles II-V ; Troyon, pl. XI-XIII ; Gross, pl. XV-XX, p. 94.
[264] R. Galles le premier, je crois, en 1863 (Manné-er-H’rock, p. 2).
[265] Parfois même ces dessins dolméniques paraissent, non pas des types primitifs, les débuts d’un art, un effort vers le nouveau (ce que sont peut-être les figures), mais tout au contraire les derniers termes d’une série ; des dégénérescences de motifs très anciens, reproduits sans intelligence (tout comme certains motifs de l’art mérovingien). — Remarquez une dégénérescence semblable dans l’architecture mégalithique.
[266] Cf. Desor, Les Palafittes, 1865, p. 12.
[267] Je ne peux croire qu’il n’y ait pas eu, en Armorique, un gisement de jade.
[268] Cf. Reinach, Catalogue, p. 66.
[269] Les plus grandes (Musée de Vannes, n° 1, 92, 94 ; Tumiac, Manné-er-H’roëck) mesurent 0 m. 450, 0 m. 465, 0 m. 353 : celle-ci. tris belle et intacte ; ajoutez le bâton de commandement de Kerhué-Bras (dans la collection du Chatellier à Kernuz), qui a 0 m. 521 (Rev. arch., 1880, I, p. 316).
[270] Dans chaque région, c’est toujours la meilleure pierre utilisable de l’endroit qui prédomine dans l’industrie (Cartailhac, p. 265).
[271] Cartailhac, p. 214, 319.
[272] Le mérite de leur découverte revient à Keller (recherches à Meilen sur le lac (le Zurich, hiver de 1853-54), Mittheilungen der antiquarischen Gesellschaft, Zurich, IX, 1854, p. 67 et suiv. ; Troyon, Habitations lacustres, Lausanne, 1860 ; Desor, Les Palafittes, 1865 ; Perrin apud Chantre, Age du bronze, II, p. 168-223 ; Gross, Les Protohelvètes, 188 :3 ; Murera, The Lake-Dwellings of Europe, 1890 ; von Trœllsch, Die Pfahlbauten des Bodenseegebietes, Stuttgart, 1902.
[273] Lacs de Zurich, Constance, Lucerne, Neuchâtel, Bienne, Morat, Genève, Zug, Moosseedorf, Pfeffiken, etc.
[274] Lacs d’Annecy, du Bourget.
[275] Ou aussi de hêtres, de bouleaux ou de sapins.
[276] Les plus gros pieux sont, semble-t-il, les plus anciens, et mesurent jusqu’à 30 centimètres de diamètre ; on en compte des milliers (Desor, Les Palafittes, p. 8 et suiv., p. 31 et suiv. ; Troyon, p. 257-262).
[277] Desor, Le bel âge du bronze lacustre en Suisse, 1874 ; Chantre, Age du bronze, 1873-76 ; Evans, L’Age du bronze, trad. Batlier, 1882 ; et tous les ouvrages cités note 272.
[278] L’existence d’un âge du cuivre pur, ayant précédé l’âge du bronze, parait aujourd’hui hors de doute ; cf., entre autres, Much, Die Kunpferzeit in Europa, Vienne, 1886 (Mith. der k. k. Centr.-Comm. für Kunst und hist. Denkm.).
[279] D’après les dernières analyses faites la proportion d’étain passa de 9 environ à 16 p. 100 ; on a souvent fait entrer dans le mélange une très forte proportion de plomb, peut-être même du zinc ; cf. Chassaigne et Chauvel, Analyses de bronzes anciens, 1903, p. 63, etc.
[280] Cf. Avienus, 111-116.
[281] On a supposé la Scandinavie (Bertrand, Gaule, p. 207), l’Europe centrale et la voie du Danube (id., p. 207, 261), et il n’est pas invraisemblable que les temps. du métal et de l’épée aient commencé plus tôt dans la région du moyen Danube (le fer tout au moins, dans l’empire de Hallstatt ; Hoernes, Archiv für Anthropologie, 1903, p. 240), et dans celle de la mer du Nord (Celtes, cf. p. 234-236). Cf., là-dessus, Hoernes, Die Urgeschichte des Menschen, 1892, p. 142-302. Mais peut-être, si la vie métallique est développée chez nous sous des influences étrangères, est-ce du côté de Cadix qu’il faut regarder : là était la civilisation la plus ancienne de l’Occident (p. 62-3, 118-9, 187-8, 197-9, 258), et ce fut également, en Occident, la civilisation la plus entreprenante, et la seule que les plus anciens textes montrent trafiquant dans la mer de la Manche (p. 187) ; cf. Evans ap. Siret, Les premiers Ages du métal dans le Sud-Est de l’Espagne, 1837, p. V.
[282] Si les Méditerranéens, remarque Evans (Bronze, p. 321), sont venus chercher l’étain en Angleterre, c’est qu’ils savaient que les indigènes en tiraient profit.
[283] Cf. Troyon, p. 311-314 ; du Chatellier, Les Époques préhistoriques, p. 40 et suiv. : Gross, p. 88.
[284] Ajoutez les poignards haches (Dolchstäbe), emmanchés dans une longue hampe, et dont le rôle, chez les populations primitives, apparaît chaque jour plus important.
[285] Cf. Bertrand, Archéologie, p. 221.
[286] Surtout peut-être du côté de l’Armorique et du côté de l’Est, proche des montagnes de l’Europe centrale : épées de Mœringen en Suisse (cf. Gross, p. 32), de Vaudrevauges (Musée de Saint-Germain, V, 7, p. 139, Reinach), etc. (cf. la carte de Chantre, I). J’hésite encore, je l’avoue ; il les regarder comme beaucoup plus anciennes que les épées de fer. Car on a dû forger, même dans les temps du fer, un assez grand nombre d’épées de bronze pour des usages religieux ou mortuaires.
[287] Il parait rare à l’époque du bronze ; Troyon, p. 313.
[288] Reinach, Catalogue, p. 135.
[289] Troyon, p. 360 et pl. VII ; Chantre, Age du bronze, I, p. 243 et suiv. ; Bertrand, p. 174 et suiv. ; Reinach, Catalogue, p. 133 et suiv.
[290] Il ne serait pas impossible que les Ligures aient été d’ordinaire vêtus de noir (Plutarque, De sera numinis vindicta, 12 ; cf. les Celtibères, Diodore, V, 33, 2).
[291] De Closmadeuc, La céramique des Dolmens, 1865 (Rev. arch.) ; du Chatellier, La Poterie aux époques préhistorique et gauloise eu Armorique, 1897.
[292] Le tour n’a dû apparaître que vers le premier âge du fer (cf. Troyon, p. 314).
[293] Même à l’époque du bronze, dit du Chatellier, l’art du potier ne semble pas avoir fait de progrès, p. 19 ; voir p. 9-11, 19-20 ; de Mortillet, Le Préhistorique, p. 338-561 ; Troyon, p. 284 et 314 ; Gross, p. 91 et suiv. (place trop haut, je crois, les meilleurs vases) ; Munro, p. 528 et suiv. ; Chantre, Bronze, I, p. 211 et suiv. ; Reinach, Catalogue, p. 62 et 134 ; Cartailhac, p. 259 et suiv.
[294] Les dessins rupestres des abords du mont Bego donnent bien l’impression d’une population foncièrement agricole.
[295] A six et à deux rangs (hordeum hexasticon et h. distichon).
[296] Troyon, p. 43, 443, etc.
[297] Le nom, lac ou marais appartient, croit-on, à leur langue (Holder, II, c. 172), et semble indiquer que la transformation du pays est leur œuvre.
[298] Ce qui suit résulte soit des textes concernant les Ligures du Sud-Est à l’époque romaine, soit de l’emplacement des plus vieilles cités gauloises et de la nature de leur nom.
[299] Viculi, Tite-Live, XXI, 33, 11 ; vici, XXXV, 3, 6 et 11, 11 ; XXXIX, 2, 2 et 32, 2 ; κωμηδν ζώσι, Strabon, V, 2, 1.
[300] Tecta informia imposita rupibus, XXI, 32, 7.
[301] Tite-Live, XXXV, 11, 11 ; XXXIX, 2, 7.
[302] Je crois cependant qu’il en exista dans le sud dès le VIe siècle, cf. note 304. Et, je doute fort que l’art de fortifier les villes leur ait été appris par les Grecs de Marseille, ce que rapportait la tradition (Justin, XLIII, 4, 1) : les plus grandes, seules, doivent dater des temps récents.
[303] Conciliabula, Tite-Live, XXXIV, 56, 2.
[304] Castella ou oppida, Tite-Live, XXI, 33, 2 ; 34, 2 ; XXXV, 3, 6 ; XXXIX, 32, 2 ; cf. Polybe, XXXIII, 8, 3 ; Plutarque, Paul-Émile, 6. Ces textes, il est vrai, visent le second siècle. — Mais remarquez qu’Avienus connaît vers 500 des villes indigènes sur les côtes ligures : 1° Bergine civitas au nord-est de la Crau (700) ; cf. Eustache, Comment. in Dionysiam, 76, p. 231, Didot : 'Ρηγίνη ; 2° oppidum priscum Ra(tis), Les Saintes-Maries (701). Sur les côtes ibéro-ligures du Languedoc : 3° tenui censu civitas Polygium, Agde avant la colonisation grecque, ou près d’Agde (613) ; 4° Mansa vicus : ce n’est pas Mèze, mais sans doute Cette (610) ; cf. Mesua, Méla, II, 80 ; 5° oppidum Naustalo, qui est, je crois, Maguelonne (616) : 6° urbs..., qui doit dissimuler Latara, Lattes, le port de Montpellier (617) ; cf. Méla. II, 80 ; Thomas, Dict. topogr. de l’Hérault, p. 89. Or Agde, Cette, Maguelonne, Lattes, ont été les quatre principaux ports du Languedoc des étangs : on voit donc que dès 500 environ, les groupements humains de ce pays avaient pris leur place et leur rôle définitifs. D’autres identifications pour ces localités proposées par Unger (Philologus, IVe suppl., 1884, p. 265 et suiv.). 7° En Provence, Arelatus, Arles, peut, être dès 500, Avienus, 689. — Près de Nice, Egitna, Cagnes ? cf. ch. XII, § 6.
[305] Comme la ville de Pyréné (un des ports voisins d’Elne, Port-Vendres ?) au VIe siècle ; Avienus, 558-561.
[306] Μασσαλία doit être rapprocher, pour le premier terme, de Massicus, Massava (Mesves, cf. Holder, II, c. 449), et pour le second, de Alalia, noms indigènes de lieux, et tous de l’extension ligure. L’étymologie grecque de Timée, — άπό τοΰ άλιέως καί τοΰ μάσσαι, pécheur et amarre (Et. de Byz., au mot Μασσαλία). — est purement fantaisiste. Il y a plus de raisons à l’étymologie phénicienne (mazzàl = τύχη (άγαθή)) : mais ce ne sont pas des Phéniciens que les Grecs ont rencontrés à Marseille, mais des Ligures, et c’est des Ligures qu’ils reçurent le terrain, et, avec le terrain, sans doute son nom. Cf. Blancard, Discours sur l’origine phénicienne de Marseille (Soc. de Stat., XXXII, 1871) ; en dernier lieu, Clerc, Les Phéniciens dans la région de Marseille (1901, Rev. hist. de Prov.), qui incline vers la dernière étymologie. — Narbonne (Hécatée, fr. 19, écrivait sans doute Νάρβα) se retrouve dans le Pays Basque (Arbonne, autrefois Narbone, (C. I. L., II, 3876 ; cf. Revue des études anc., 1809, p. 233 et suiv.).
[307] Delfortrie, Mém. de la Soc, des Sciences phys. et nat. de Bord., V, 1867, p. 269 et suiv.
[308] Polybe (III, 51, 11-12), racontant la prise par Hannibal d’une forteresse alpestre (l’expression de πόλις est peut-être impropre), rapporte qu’il la trouva à peu près déserte, mais qu’il en ramena nombre de chevaux, de bêtes de somme et de captifs enlevés à son armée, et, en plus, du blé et du bétail pour plusieurs jours. Tite-Live (XXI, 33, 11) dit, à propos du même fait : Castellum inde, quod capot ejus regionis erat : chaque tribu aurait donc eu, dans les Alpes, un lieu de refuge principal, mais elle en avait d’autres (XXI, 33, 2 et 34, 2). Sur les vestiges de murailles qui peuvent être ceux de castella ligures, il manque encore un travail d’ensemble ; cf. Castanier, Histoire de Provence, I, 1893, p. 151 et s. ; de Gérin-Ricard, Nouvelles Archives des Missions scientifiques, XIII, 1903, p. 58 et suiv.
[309] Les noms de villes en Alba, Brigant-, -briga, qu’on trouve un peu partout en Occident, désignent, je crois, des turres ou castella de l’époque ligure.
[310] Ou Lutecia (César, VI, 3, 4 ; VII, 57, 1 ; 58, 4-6, éd. Holder, 1882). L’orthographe Λουκοτοκία chez Strabon (IV, 3, 5) ou Λευκοτεκία chez Ptolémée (II, 8, 10) doit être fautive : rien n’autorise à faire de Lutetia la contraction de Lucoticia. Cf. Luteva, Lodève, Lutia, près de Numance, etc. (Holder, II, c. 352-4). A rapprocher du latin lutum, boue ? Jusqu’à nouvel ordre, je ne puis croire que le nom primitif de Paris ait été Lucetia, la blanche ? (théorie de Mowat, Rev. Arch., 1878, I, p. 162).
[311] Arausio, Orange, Alesia, Bibracte, sont formés de radicaux appliqués à des sources ou des cours d’eau, et, dans toutes ces localités, il y a une source maîtresse, la source perenne et inespuisable du rocher d’Orange (de La Pise, Tableau de l’histoire... d’Orange, 1639, p. 11), la fontaine sacrée d’Alise (cf. Revue des Études anciennes, 1901, p. 140), la fontaine Saint-Martin au mont Beuvray.
[312] C’est le mot de Pline, XXXI, 4.
[313] Justin, XLIII, 3, 8 et 4, 3.
[314] Cet état de morcellement, d’absence d’unité, qui parait bien caractériser l’âge politique ligure des abords de 800, se retrouve dans l’âge archéologique du bronze qui lui correspond en partie, die in so viele kleinere, lokal durchaus scharf characterisirte Gebiete getheilten Cultur der Bronzezeit, a dit fort justement Tischler (Geber die prähistorischen Arbeiten, etc., Kœnigsberg, Phys.-ökon. Gesellschaft, XXV, 1884, p. 32).
[315] Tite-Live, XXI, 34, 2 : Magno natu principes castellorum (mais cela peut très bien ne désigner que des chefs de clans ou de familles).
[316] Justin, XLIII, 4, 3.
[317] J’arrive à ce chiffre, d’ailleurs très approximatif, en ajoutant aux 300 ou 400 έθνη, de la Gaule conquise par César (Plutarque, César, 13 ; Pompée, 67 ; Appien, Civilia, II, 130 ; Josèphe, De Bello Judaico, II, 16, 4) 100 à 200 pour les tribus du sud des Cévennes (cf. les renseignements suivants ; ajoutez Pline, III, 34-37 et 47).
[318] Saint-Jean-de-Garguier, dans la moyenne vallée, parait avoir été un des centres de celte tribu plutôt que celui d’une tribu distincte. Ceyreste, au contraire, était celui d’une tribu particulière.
[319] Segobrigii, Justin, XLIII, 3, 8 et 4, 3 ; Cabinet des Médailles, 2244 (?). C’est la même tribu que celle des Κομανών (Κομμονών, etc.) de Ptolémée (II, 10, 5), soit que Ptolémée ait confondu le nom des Ségobriges avec celui de leur roi Comanus (Justin, XLIII, 4, 3), soit qu’elle ait pris ultérieurement le nom de ce dernier, soit encore que Comani désigne la tribu et Segobriga sa principale localité.
[320] Strabon (IV, 6, 3) en compte dix : mais des tribus ont pu disparaître ; Avienus (700-701) cite les Nearchi (autour d’Ernaginum ?, Saint-Gabriel) et les Salyes (autour d’Arles ?), celle-ci destinée à devenir la plus puissante, ch. VIII, § 6 ; on citera plus tard les Avatici (étang de Berre ?), les Anatilii (vallée de la Touloubre ?), et d’autres ; Pline, III, 34 et 35 ; Méla, II, 78 ; Ptolémée, II, 10, 5 ; etc. ; cf. Mélanges H. d’Arbois de Jubainville, 1906, p. 98-102.
[321] Inscriptions du Trophée et de l’arc de Suse ; Pline, III, 137 (cf. 135 et 138) ; C. I. L., V, 7239.
[322] Tvlangii, Daliterni, Clachili, peut-être Temenici (Avienus, 674 et 676) : à la place de ces noms, nous trouvons, au temps de César, Seduni, Varagri, Nantuates, Uberi (C. I. L., XII, p. 20).
[323] D’après Tite-Live, XXI, 32 et 34. Cf. ch. XI, § 8 et 9. Les Medulli devaient former la Haute Maurienne.
[324] C. I. L., XII, p. 13.
[325] Cf. les Boiates, auj. pays de Buch tout autour du bassin d’Arcachon.
[326] Citons encore, comme tribus ligures : sur le rivage de Provence, les Oxybii (autour de Nice et de Cagnes) et les Deciates (autour d’Antibes), cf. ch. XII, § 6 ; et, peut-être sur le rivage entre Seine et Rhin, Ίψίκουροι (Ύψικοροι), Άρβαξανοί (Άρβαζανοί), Εΰβιοι (Théopompe, fr. 221 a, Didot).
[327] De même dans la grande île de Bretagne avant l’arrivée des Belges (Diodore, V, 21, 6 ; cf. ch. VIII, § 9).
[328] Tite-Live, XXXVI, 38, 1.
[329] C’est ce qu’on peut du reste constater dans le monde entier, par exemple dans l’Afrique indigène, où le commerce est une force créatrice d’États (Ratzel, Politische Geographie, 1897, p. 406).
[330] Avienus, 586 et suiv. : Gens Elesvrum prius loca hæc tenebat, atque Nar[b]o civitas era[t] ferocis maximum regni caput. Hécatée de Milet, fr. 20, Didot : Έλίσυκοι, έθνος Λιγύων ; fr. 19 (cf. p. 178, n. 2) : mention de Narbonne. Hérodote, VII, 183. Il existait prés de Narbonne un lieu dit Liguria (la plaine de Livière), Grégoire de Tours, In gloria martyrum, 91. C’est sans doute le souvenir, conservé à travers les siècles, du royaume ligure des Élésyques.
[331] Avienus, 552 et suiv. : Sordus populus... civitas ditis laris ; cf. Hérodote, II, 33. Les Sordes (on dira plus tard Sordones) allaient de Cerbère au cap de Leucate (Avienus. 552-515 ; Méla, II, 84 ; Pline, III, 32). Il n’est du reste pas nettement prouvé que Sordes et Élésyques aient été des peuples permanents et non de simples tribus imposant momentanément leur empire à quelques tribus voisines.
[332] Cf. Avienus, 532-557, 485-489.
[333] Hécatée d’Abdère, fr. 2, Didot ; Diodore, II, 47 ; Diodore, V, 21, 6 ; cf. de Belloguet, III, p. 229. Cf. ch. VIII, § 9.
[334] Les Ligures, au delà de Marseille, appelèrent les marchands σιγύνναι, ce qui était aussi le nom d’un État fort important de la vallée du Danube, industriel et commerçant, qui, précisément, tenait quelques-unes des grandes routes économiques de l’Europe (cf. Hérodote, V, 9). Cela suppose, je crois, l’arrivée des marchands sigynnes jusqu’en Gaule, par les Alpes Juliennes, le Pô et la Durance, ou par le Danube, les lacs et le Rhône.
[335] De mirab. auscult., 85 (Timée) ; Diodore, IV, 19, 3 et 4.
[336] Chantre, Age du bronze, II, carte ; de Mortillet, Bull. Soc. d’Anthrop., 1894, p. 298-340.
[337] Il est possible du reste qu’il faille distinguer, dans les diverses catégories d’objets, par exemple de poignards, les pièces importées de quelque manufacture centrale, et les pièces fondues sur place (cf. du Chatellier, Les Époques préhistoriques, p. 47). La multiplicité des styles à l’âge du bronze s’explique par la multiplicité des lieux de travail. — A voir la très grande quantité de haches trouvées dans certaines cachettes de fondeurs, on a conjecturé qu’elles ont pu servir de signes d’échange, autrement dit de monnaie (cf. Revue de la Numismatique belge, 1874, p. 288-298 ; Blanchet, Traité des monnaies gauloises, I, p. 21 et suiv.) : et cela n’est pas impossible.
[338] Trouvaille de lamelles d’étain pur à Estavayer sur le lac de Neuchâtel (Troyon, p. 440), dans les palafittes de Savoie (Chantre, Bronze, II, p. 193), et ailleurs (cf. Gross, p. 64 ; Reinach, Catalogue, p. 130) : à moins qu’elles ne proviennent d’anciennes mines suisses. Pour la circulation de l’or, cf. A. de Mortillet, Revue de l’École d’Anthropologie, XII, 1902, p. 47-72.
[339] De Saint-Venant, dans les Comptes-rendus du Congrès international d’Anthropologie, Paris, 1900, p. 280 et suiv.
[340] Un problème semblable se pose à propos du jade (Cartailhac, p. 285 et suiv.).
[341] C’est dans la région du Morbihan (Tumiac, Saint-Michel, Manné-er-H’roëck) qu’on a trouvé les plus nombreux et les plus gros morceaux de callais (voyez Musée de Vannes, n° 33, 34, 35, 80, 198-203, etc.) : ce qui peut faire supposer, soit que les marins de cette côte en ont été les principaux importateurs, soit, ce qui est plus vraisemblable, que là se trouvait le gisement le plus important.
[342] Chauvet, p. 507 (Luxé).
[343] Cf. Cartailhac, p. 263 et suiv.
[344] Car l’ambre paraît encore peu répandu à l’époque dite du bronze (de Mortillet, Bull. Soc. d’Anthr., 1881, p. 207 et suiv.) ; il ne semble pas qu’on en ait trouvé sous les dolmens antérieurs à l’usage du bronze.
[345] Lac du Bourget (Chantre, II, p. 197 ; Reinach, p. 130), à Meilen sur le lac de Zurich (Trayon, p. 289), et ailleurs (Gross, p. 80). En admettant, bien entendu, qu’il n’y ait pas eu sur la Méditerranée des gisements d’ambre aujourd’hui disparus ; cf., entre bien d’autres, Blümner apud Wissowa, III, c. 299-301. Du corail découvert à Concise sur le lac de Neuchâtel (Troyon, p. 288).
[346] Les Ligures apennins n’étaient pas du tout de mauvais commerçants (Strabon, IV, 6, 2).
[347] Remarquez que, la Saône mise à part, tous les fleuves de la Gaule n’ont jamais eu qu’un seul nom, et que ce nom semble appartenir au glossaire préceltique : il faut donc que les différentes tribus riveraines d’un fleuve se soient rendu compte de l’identité des eaux qu’elles voyaient, et qu’elles aient fini toutes par les appeler de la même manière.
[348] Périple d’Hannon, 9 et 18.
[349] Cf. ch. V, § 3.
[350] Sur les plus anciennes explorations possibles des mers de l’Occident, cf. Reinach, L’Anthropologie, 1899, p. 397-409, 1892, p. 275-281, etc. les traditions sur les Doriens d’Hercule établis aux bords de l’Atlantique en sur les Troyens fugitifs (Ammien, XV, 9, 5 et 6) sont des spéculations helléniques de basse époque, provoquées sans doute par des analogies toponymiques.
[351] Hérodote, IV, 42 ; Périple d’Hannon ; Pline, V, 8 ; XIX, 63. Cf. Movers, Die Phœnizier, II, Ire p., 1830, p. 538.
[352] Fondation vers 1100 de Cadix par les Phéniciens, ou, plutôt, établissement d’un comptoir ou d’une factorerie dans la ville : Velleius, I, 2, 4 ; Justin, XLIV, 5, 2. Je crois à la coexistence, à Cadix, depuis le XIe siècle, d’un royaume indigène de Tartessus et d’une colonie phénicienne. Cf. Movers, p. 148.
[353] Le texte de Diodore, V, 3.5, 4, sur les ruisseaux d’argent des Pyrénées espagnoles exploités par les Phéniciens, est le seul qui concerne le trafic de ces derniers aux abords de la Gaule. Mais je ne suis pas sûr que phéniciens ne soient pas là pour Phocéens ; cf. De mirabilibus auscultationibus, 87, où il est question, à propos de la même tradition, des Marseillais. D’ailleurs tout cela a un caractère légendaire qui laisse deviner l’œuvre de Timée.
[354] Dans un sens plus affirmatif : Bargès (Recherches archéologiques sur les colonies phéniciennes, 1818) multiplie les étymologies phéniciennes dans la toponomastique méridionale : aucune n’est même probable ; Montelius (Les Temps préhistoriques en Suède, trad. Reinach, p. 57 ; etc.) fait venir de l’Orient la connaissance du bronze ; de même, Hoernes (Urgeschichte der bildenden Kunst, p. 372, etc.) croit retrouver dans les vestiges de l’art préhistorique, signes des dolmens, etc., l’influence de navigateurs venus du sud ; Mair (Der karthogische Admiral Himilko, Pola, 1899, p. 16 et suiv.), veut prouver le passage de flottes phéniciennes en Norvège et dans la Baltique dès la domination assyrienne ; Sophus Müller, Urgeschichte, 1903, p. 49 : Der Süden war die leitende und spendende Kulturmacht ; Maass, Die Griechen in Südgallien (Jahreshefte des Œst. Arch. Institutes, IX, 1906, p. 139 et s.), cherche les traces crétoises et doriennes ; etc. Je ne cite que les plus récents. Voyez, sur ce mirage oriental les tris judicieuses remarques de S. Reinach, Chroniques d’orient, II, 1896, p. 509 et s.
[355] Avienus, 113-6 : Tarlesiis in terminos Œstrumnidum negociandi mos erat ; Cathaginis etiam coloni et vulgus inter Herculis agitans columnas hæc adibant æquora. Cf. Strabon, XVII, 3, 15 ; Avienus, 373 et suiv.
[356] Cf. Pline, VII, 197 ; Hérodote, III, 115. Müllenhoff, I, p. 211 et s. Je ne suis pas convaincu, comme l’est Bérard (I, p. 444), qu’ils aient exploité l’étain vénète.
[357] Cf. Hérodote, III, 115. La première mention, chez les classiques, paraît être Odyssée, XV, 460.
[358] Avienus, 117.
[359] Cf. le Périple d’Hannon.
[360] Ils connaissaient le fond du golfe de Gascogne vers 500 : Magnus patescit æquoris fusi sinus Ophiusam ad asque (Avienus, 147-8) : Ophiusa, c’est Oiasso, ou la contrée du cap du Figuier (cf. Avienus, 171-2 : Prominens Ophiussæ). Ici, ch. X, § 1.
[361] Avienus, 98-100 : Multa vis hic gentis est, superbus animas, efficax solertia, negociandi cura jugis omnibus, etc. Cf. S. Reinach, Revue celt., XXI, 1900, p. 90 et suiv.
[362] Avienus, 148-151 ; cf. ch. X, § 1.
[363] Cf. de Belloguet, II, passim, et p. 220 et suiv. ; Bertrand, La Gaule avant les Gaulois, p. 13 ; d’Arbois de Jubainville, les Premiers habitants de l’Europe, II, 1891, p. XV et XXIII ; Lefèvre, Les Gaulois, 1900, p. 159.
[364] Cf. Renan, Histoire générale.... des langues sémitiques, 5e éd., 1878, p. 341 et s.