HISTOIRE DE LA GAULE

TOME I. — LES INVASIONS GAULOISES ET LA COLONISATION GRECQUE.

CHAPITRE II. — SITUATION DE LA GAULE DANS LE MONDE ANCIEN[1]

 

 

I. — DU RÔLE DES LIMITES NATURELLES.

Les frontières les plus visibles d’une contrée ne l’isolent jamais complètement : la nature n’a pas créé de barrières infranchissables entre les peuples ; ils ne respectent que les cadres qu’ils se sont fixés eux-mêmes. Montagnes, fleuves et mers, forêts, marécages et déserts, ne servent de bornes aux races, aux langues ou aux États, que dans la mesure où ils engendrent l’épouvante, et cette mesure est médiocre. Ce ne sont pas les limites apparentes d’une région qui la séparent le plus des régions voisines[2] : les contrastes viennent du climat, de la qualité du terrain, de la structure intérieure du pays, des habitudes de voisinage, des traditions publiques, des patrimoines linguistiques. Il arrive que les frontières physiques, les accidents du sol accélèrent ou accentuent ces contrastes ; mais ils ne les déterminent pas. Les contours définitifs d’une nation sont des compromis entre les avis donnés par la nature et les résultats des faits produits par les hommes.

Les Alpes, les Pyrénées et le Rhin serviront de jalons à ceux qui voudront constituer une grande patrie : ils ne s’imposeront jamais comme une loi mystérieuse. La tribu qui possède une rive d’un fleuve, si large qu’il soit, a toujours le désir d’acquérir la rive opposée[3] ; une rivière est, d’un bord à l’autre, le chemin naturel d’un peuple tout entier : le Danube ne fut frontière que lorsque les Romains le voulurent[4] ; le Pô groupa presque toujours, au nord et au sud, des populations semblables ; et, quand Rome s’installa sur le Palatin et les collines de la gauche du Tibre, elle souhaita et occupa aussitôt le Janicule et la berge de droite[5]. Le faite des montagnes n’est devenu une barrière que pour les États policés, qui aiment la précision en toute chose ; mais d’ordinaire, les tribus qui détiennent un versant débordent sur l’autre, et l’ensemble d’une chaîne ou d’un massif forme le domaine d’un même groupe d’hommes : Ligures, Étrusques, Ombriens et Samnites se sont répandus sur les deux pentes des Apennins[6]. Et la mer elle-même, sauf le cas d’immenses étendues de surface[7], est moins un obstacle qu’une provocation aux entreprises des hommes : rappelons-nous toute l’histoire du monde ancien, les ligues d’Athènes, les convoitises de Carthage, l’Empire romain. Le fleuve, la montagne et la mer ont en eux une invincible force d’attraction qui réunit les habitants des deux côtés. Lorsqu’ils contribuent à séparer des peuples, c’est surtout parce qu’ils donnent naissance à des zones de populations ayant leur vie propre, et différentes des populations voisines.

Les limites de la Gaule étaient donc, comme celles de toutes les contrées de la terre, à la fois visibles et insuffisantes. Elles resteront d’utiles éléments de protection, d’unité, de conscience nationale, si les peuplés de l’intérieur s’entendent pour les accepter, pour vivre, en deçà d’elles, d’une vie commune ; elles ne seront vraiment des frontières que lorsque l’œuvre de la nature sera sanctionnée par la réflexion très nette d’un État déjà civilisé. Mais elles n’épargneront jamais à cet État les désirs jaloux des autres hommes, les entreprises des négociants lointains, les brigandages publics des peuples voisins

la Gaule sera toujours ouverte aux migrations, aux guerres, aux influences. Et, quand ses habitants seront assez forts pour ne plus les craindre, ils se prépareront aussitôt, à leur tour, à regarder au delà de leur pays et à menacer les terres voisines.

 

II. — PASSAGES DES ALPES[8].

La plus difficile des frontières gauloises était celle des Alpes. Tout contribuait, en face d’elles, à exalter l’imagination des hommes. Vues du midi, elles fermaient d’une muraille continue[9] l’horizon de l’immense plaine italienne. En venant du nord, on entrevoyait vers le ciel, dès le carrefour de Lyon, leur masse grise ou blanchâtre. On en commençait la montée sur les bords mêmes du Rhône : pendant dix journées de marche[10], des cimes nouvelles surgissaient sans relâche, toujours plus rapprochées, plus hantes, plus enchevêtrées, et c’était à la fin un spectacle étrange et lugubre que de voir, du fond des vallées, les derniers vestiges de vie humaine qui se cramponnaient aux sommets ou aux parois des roches : huttes misérables, bêtes chétives, sauvages hirsutes, toute la désolation de l’hiver et de la misère aux abords du pays de la chaleur et de la richesse[11]. Puis, le voyageur montait à son tour dans ce royaume de la peur[12] : il fallait une escalade presque à pic, une formidable tension des jarrets[13], parfois pendant près de cinq lieues[14]. L’air et le sol se transformaient au fur et à mesure que l’homme s’élevait[15] : des deux côtés s’étendait l’horrible blancheur des neiges éternelles[16] ; sur les points où la terre paraissait à nu, il ne poussait, l’été, qu’une herbe triste et basse, et les arbres eux-mêmes, ces premiers compagnons de la vie religieuse des hommes, se rebutaient sur ce terrain infécond et maudit[17]. De toutes parts, le désordre des ravins qui s’entrouvrent, des rochers qui surplombent, des glaciers pleins de menaces, des torrents bondissants, l’épouvante des avalanches et des éboulements, une nature déchaînée et traîtresse, d’où sortent des clameurs bizarres et qui engendre soudain de monstrueux dangers[18]. L’air et le sol s’entrechoquaient dans les convulsions des tempêtes que soulevait le vent du nord-ouest[19]. Et l’homme se sentait dans un monde surhumain, plein d’une vie mystérieuse et terrible, et disposé près du ciel pour séparer les domaines de deux grands peuples[20].

Mais, dans ces récits d’angoisses, les Anciens avaient transformé en réalités permanentes les craintes d’un instant, et ils avaient peuplé les Alpes des fantômes innombrables nés de l’ignorance de leur esprit, de la lâcheté de leur cœur, de la crédulité de leur religion. Les observateurs qui ne croyaient que par leurs yeux, les peuples et les chefs en qui l’esprit d’aventure dominait la peur des dieux, reconnurent bien vite que l’homme pouvait se faire une place et un chemin dans ce tumultueux chaos de glaces et de rochers. J’ai été dans les Alpes, écrit Polybe, j’ai vu les lieux, et j’affirme en toute assurance que tout ce qu’on a dit de ces montagnes, de leurs effrayantes solitudes, de leurs murailles infranchissables, de leurs hauteurs inabordables, est mensonge ou rêverie. Nul besoin n’est de dieux ni de héros pour aider à les franchir[21]. Ce qui a fait les dangers de la marche d’Hannibal, c’est moins la difficulté de la route, que l’hostilité des montagnards, l’arrivée de la mauvaise saison et l’impéritie de ses guides[22] ; son frère Hasdrubal, qui profita de l’école de ses malheurs, traversa la chaîne avec une rapidité qui tint du prodige[23].

Sur leurs deux versants, les alpes sont entamées par de très longues et très profondes vallées. À l’ouest, ces vallées descendent en pentes plus lentes, en sinuosités plus nombreuses, et elles divergent vers tous les points de l’horizon : elles forment ainsi, du côté gaulois, des routes plus longues, mais plus commodes. A l’est, on arrive beaucoup plus vite dans la plaine italienne, et les différentes vallées ont l’avantage de converger vers un centre commun, le confluent de Turin et la large et belle route du Pô : mais la descente est très raide et parfois très dangereuse[24]. Sur les deux versants encore, à gauche comme à droite, les vallées d’accès pénètrent fort avant dans la montagne, et toujours à la rencontre les unes des autres, et elles finissent par se rapprocher de si près que les sources des eaux rhodaniennes et padanes sont souvent à moins d’une lieue de distance[25] : là où des eaux voisinent, les hommes se rejoignent aisément. Puis, ces avenues d’en bas étaient si attirantes ! La plus proche de Lyon, celle du Grésivaudan, semblait un jardin aplani, étincelant de verdure et de lumière[26] ; au delà du bec d’Aiton, il se bifurquait en Maurienne et Tarentaise, et si, dans ces couloirs plus étroits, l’homme s’effrayait de la montagne trop proche, il se sentait longtemps caresser par les douceurs, de la plaine qui le portait. Jusqu’au pied de la montée décisive, des foules peuvent passer sans ennui et vivre sans peine[27]. Cette montée elle-même n’exige jamais plus d’une journée d’efforts[28]. Et, comme pour retrancher encore de la fatigue, les cols les plus bas sont aux extrémités des vallons les plus faciles et les plus riants : aucun de ces couloirs, par une séduction trompeuse, n’amène le voyageur dans une impasse.

Les Anciens ont fréquenté quatre cols principaux dans les Alpes gauloises[29].

Le plus visité[30] fut toujours celui du mont Genèvre[31]. Exposé au midi, il échappait aux deux grands périls, avalanches et vent du nord[32] ; c’était le plus bas de tous les lieux où les rochers des Alpes se laissent aborder par les hommes[33] (1854 m.). Mais ce qui faisait son principal mérite, c’est qu’il se trouvait sur la plus longue des voies naturelles percées au travers des Alpes gauloises, celle que forment la Durance et la Doire Ripaire : il marquait ainsi le centre de la chaîne occidentale ; il unissait deux des carrefours les plus populeux de cette zone du monde, celui de Turin et celui d’Arles[34]. Il fut donc la porte maîtresse des Alpes[35]. Et, quand on chercha, autour de la Méditerranée, les voies permanentes des migrations et des armées humaines pour leur donner un héros fondateur, on fit gloire à Hercule d’avoir ébréché les montagnes au col du mont Genèvre[36].

Au nord de la Durance, la grande avenue de l’Isère aboutissait par la Maurienne au mont Cenis, par la Tarentaise au Petit Saint-Bernard. Les Anciens ont connu[37] le mont Cenis (2082 m.), son lac étrange[38], sa plaine fertile, reposant, comme une oasis de montagne, au fond d’un amphithéâtre de neiges[39], et, à sou horizon, la cime dominatrice de la Roche-Melon, qui passa pour le géant de la chaîne, et qui fut peut-être la plus ancienne des résidences du Jupiter alpestre, le plus élevé de ses monts. Car, à l’époque barbare, le Cenis a été, je crois, le plus foulé[40] de tous les sentiers qui s’étaient tracés entre le confluent du Rhône et la vallée du Pô ; il était exactement sur la ligne droite qui les réunissait[41] ; et il répondait, dans le, sens du nard, à cette voie du mont Genèvre qui, du sud, montait vers lui[42]. Les deux voies se rejoignaient à Suse, en vue de la Roche-Melon, et descendaient ensemble, à travers les vignes et les prés de la Doire Ripaire, vers les champs infinis des terres au pied des monts.

Mais, à l’époque romaine, le Cenis cessa d’être un lieu de grand passage : pour gagner Lyon, les chefs de l’Empire adoptèrent les voies et les cols qui partaient de la Doire Baltée : le Petit Saint-Bernard (2157 m.), large, bien ouvert, accessible à un fort charroi[43] ; le Grand Saint-Bernard (2472 m.), plus abrégé, mais rude et raide, étroit et souvent à pic[44]. La première route, qu’on appelait celle des Alpes Grées, rejoignait la descente du Cenis à l’entrée du Grésivaudan ; l’autre, dite des Alpes Pennines, n’arrivait au confluent qu’en suivant tous les coudes du Rhône : Mais ces deux cols furent souvent préférés au Cenis parce que leurs vallées gauloises, Tarentaise[45] et Valais, étaient tout autrement agréables, fertiles et peuplées que l’âpre Maurienne ; puis, ils commandaient la Doire Baltée, riche en or et en hommes, redoutable par ses replis et les repaires de ses montagnes[46] ; enfin, au lac Léman, la route pennine rencontrait celles qui venaient du Jura et du coude rhénan. Plus que le Cenis, les portes jumelles des deux Saint-Bernard étaient donc nécessaires à la sécurité de l’Italie, à l’empire des Alpes, à la conquête de l’Occident[47]. Elles firent oublier le col voisin, jusqu’au moment où de nouveaux peuples, venus du nord et pressés d’arriver, ne cherchèrent plus dans les montagnes que le passage le plus rapide et le plus commode[48].

Les autres cols, — le Simplon, au fond du Valais, — le col Lacroix, dans le Queyras, non loin des sources du Pô et presque en vue du mont Viso, le plus renommé des sommets alpestres[49], — le col de Larche, à l’extrémité de la vallée de Barcelonnette, — d’autres encore, n’ont peut-être pas été ignorés des paysans de la montagne[50] : mais ils n’ont jamais vu passer des armées de conquérants.

Ce qui achevait de briser la clôture alpestre, c’était, à son extrémité méridionale, le long et étroit chemin qui bordait la mer Méditerranée, depuis Fréjus jusqu’en Italie. Il fallait sans doute, pour arriver jusqu’à lui, faire un interminable détour par le Rhône, l’Arc et l’Argens, et ce chemin paraissait ensuite indéfini, suivant sans cesse les moindres replis du rivage. Mais, en revanche, l’homme n’y rencontrait que les dangers qui viennent d’autres hommes, et il y trouvait à foison toutes les ressources de la vie[51].

Et ce qui, en dernière analyse, devait faire de cette chaîne des Alpes, non pas la terreur des peuples, mais l’invincible attraction de leurs courses, c’est qu’au delà de ces montagnes et de ces seuils s’étendaient les terres les plus désirées peut-être de l’univers antique. Je dis, à l’est et à l’ouest : au levant, la vue des plaines immenses de la Circumpadane, les plus larges et les plus fécondes de l’Europe entière[52], suffit pour rendre le courage aux soldats d’Hannibal, sortis de l’Espagne et de l’Afrique[53] ; au couchant, se succédaient la vallée du, Rhône, la mer poissonneuse de Marseille, les terrés basses du Languedoc, une région de gaieté et de richesse où les Italiens reconnaissaient la splendeur de leur propre patrie[54] : et, au delà, ils avaient l’espérance des blés et des troupeaux, de l’or et de l’argent de l’Espagne. Il se trouvait donc que la frontière des Alpes, la moins humaine de la Gaule, était celle que menaçaient le plus les besoins et les ambitions des hommes. La crainte des Esprits des sommets fut toujours moins forte que l’attrait des pays lointains. Les Alpes ne causeront, dans la vie des nations, qu’un de ces retards qui rendent les convoitises plus fortes[55].

Il fallait insister sur elles, à cause du terrible renom que leur créèrent les brodeurs de mensonges du monde antique. Étranges historiens à l’imagination vagabonde, ils en firent une barrière entre deux mondes[56] : alors que des deux côtés ont toujours vécu des populations de même langue, que les Ligures de Provence ressemblaient à ceux des Apennins, qu’une étroite fraternité d’idiome et d’alliance unit les deux Gaules transalpine et cisalpine[57], et que la partie de l’Empire romain la plus exactement modelée sur l’Italie fut celle qu’arrosaient les eaux des vallées rhodaniennes.

 

III. — PASSAGES DES PYRÉNÉES.

Pas plus que les Alpes, les Pyrénées n’ont abrité la Gaule contre les hommes du sud ni ceux-ci contre les bandes venues du nord.

Quoique hérissée de moins hauts sommets, la muraille pyrénéenne parait plus intacte encore que le rempart alpestre[58] ; elle n’offre pas, à l’extrémité de ses principales vallées, des seuils naturels : presque toutes finissent dans de vrais culs-de-sac, butant précisément contre les cimes les plus élevées. Le Gave de Pau sort du pied du Marboré, la plus brillante des sources de la Garonne naît des flancs des monts Maudits[59], et ces deux belles voies de l’extrême Midi s’arrêtent brusquement en face de ces glaciers et de ces monts, que nul Titan, avant Roland, n’eut jamais la force de briser[60].

Mais cela n’est vrai que du centre de la chaîne. A ses deux bouts, elle s’abaisse ou s’entrouvre pour des passages plus faciles encore que ceux des Alpes. Le long du rivage océanique, de Biarritz à Saint-Sébastien, de pittoresques sentiers suivent la falaise, descendent, se relèvent, se replient avec elle, et, comme ceux de la Corniche ligure, ne perdent presque jamais le contact de la mer. Tout près d’eux, des deux côtés de la Rune, abondent les bons ports de montagne : chacune de nos petites vallées a le sien, et si doux, si égayé d’herbes et de sources, que le voyageur distrait ne s’aperçoit pas qu’il change de versant. Au delà, vers le levant, sont les deux grands cols où aboutissent, venues de Dax, de Bayonne ou de Pau, toutes les routes gauloises du Sud-Ouest : Roncevaux (1409 m.[61]), qui, par-dessus les bords fertiles de la Nive, conduit à Pampelune, aux riches terres de la Rioja et de l’Èbre navarrais[62] ; le Somport (1632 m.), entre les Gaves, Huesca et Saragosse, antiques métropoles du bassin de l’Èbre aragonais[63]. Enfin, tout à fait à l’est, le seuil de la Perche (1571 m.) unissait en Cerdagne les vallées de la Sègre et de la Têt, et, en vue de la mer, la rampe du Pertus (279 m.) amenait dans la plaine d’Elne la route du rivage catalan, et des grands ports de Tarragone et de Barcelone[64].

Peu importait, après cela, que le centre des Pyrénées ne fût point ouvert. Les chemins des extrémités suffisaient pour assurer la circulation des peuples. Au surplus, ceux-ci n’eurent jamais besoin de passer par le milieu de la chaîne. Car les vallées supérieures du Gave de Pau et de la Garonne ne sont, dans la structure générale de la Gaule, que des lignes de détail. Les deux grandes voies qui, du nord, se pointent vers les Pyrénées sont celles des rivages : l’une à l’ouest, qui, après avoir uni les confluents de Paris à ceux de Bordeaux, s’enfonce ensuite vers l’Adour et la Nive ; l’autre à l’est, qui de Lyon, d’Arles et de Narbonne rejoint à Elne les dernières pentes des Pyrénées. Or, ces deux voies, c’est aux deux bouts de la chaîne qu’elles arrivent, et elles y trouvent précisément les deux brèches qu’il leur faut, celle de l’est, la brèche d’Hercule au Pertus[65], celle de l’ouest, la brèche de Roland à Roncevaux.

C’est Hercule, des deux héros pyrénéens, qui a eu le moins de peine. La montée du Pertus, douce, sûre et large, abritée de forêts puissantes, sous un ciel tempéré et près d’une mer étincelante de couleur, n’est que la promenade d’un héros en quête d’aventures joyeuses[66]. Sur la croupe monotone et silencieuse qui va, par Château-Pignon, de Saint-Jean-le-Vieux à Ibañeta et Roncevaux[67], il y a cinq lieues d’ascension continue, tantôt à travers les angoisses du brouillard, tantôt sous les lassitudes d’un horizon fermé, sévère ou désolé :

Hauts sont les puys, et ténébreux, et grands,

Les vaux profonds, et les eaux rapides[68].

Mais cela n’est vraiment que l’affaire d’une journée, et sans fatigue exorbitante. On n’y redoute ni les précipices ni les vents ni les glaces des escalades alpestres. Une cavalerie nombreuse peut y défiler sans autre alerte que celles des embuscades, et puis, c’est la descente rapide vers ce plateau verdoyant, frais, aplani comme un lac, où s’étalent les hêtraies de Roncevaux[69]. La route présente plus d’attraits que de sujets d’effroi. Qu’on se rappelle toutes les foules qui ont gravi et descendu ces pentes, depuis les lointaines migrations jusqu’aux inlassables pèlerins de Saint-Jacques.

 

IV. — ROUTES QUI TRAVERSENT LE RHIN.

Regardons maintenant au nord de la Gaule, à l’autre extrémité de ces grandes routes ‘que nous venons de voir, par les portes des Alpes et des Pyrénées, se prolonger au loin vers le sud.

Du lac de Constance aux îles de l’Océan Germanique, la vallée du Rhin est une vaste et longue tranchée vers laquelle convergent toutes les voies, sans exception, de l’Europe du nord et du centre, tels que des embranchements vers une ligne maîtresse. Or, il arrive que ces voies touchent le fleuve aux lieux où descendent, de la gauche, les routes propres de la Gaule.

La montée du Danube finit entre le lac de Constance et la Forêt-Noire. — A cet endroit, au delà du Rhin, s’ouvrent les deux plus larges des vestibules de notre pays : d’un côté, le couloir suisse[70] de l’Aar et de l’Orbe, entre Windisch et Genève, plein d’eaux courantes et de lacs sans fond[71] ; de l’autre, la trouée de Belfort et la porte de Bourgogne, par Bâle, Besançon et Lyon. Le Jura a beau être une chaîne très haute, continue[72], percée de pas étroits et difficiles[73] : il ne servira jamais de barrage contre les peuples ; une grande route le tourne sur chacun de ses versants[74], de vastes carrefours l’annihilent à ses extrémités[75] : c’est un pied-droit entre deux seuils toujours accessibles.

Les fins des rivières hercyniennes, Mein et autres, les termes de ces très vieilles pistes de Barbares qui couraient au pied des montagnes centrales et à la lisière septentrionale de la grande forêt germanique[76], se placent entre Mayence et Cologne[77] : et c’est là que commencent, montant lentement vers le sud, les deux vallées du Rhin d’Alsace et de la Moselle lorraine, l’une et l’autre chaudes, fertiles et séduisantes, donnant aux hommes accourus des terres sauvages un avant-goût de ces régions du midi où elles conduisent sans détour[78].

Enfin, le cours inférieur du Rhin coupe l’immense région de l’Europe du nord, et cette région ne change ni de caractère ni de direction d’une rive à l’autre du fleuve. De la Flandre à la Frise, c’est un même bas-fond qui se continue. Sans doute, à l’est de la voie de Sambre-et-Meuse, la direction naturelle de la route cesse d’être nettement marquée par une vallée rectiligne ; mais l’homme n’avait pas besoin, dans les parages aplanis et découverts qui longent les mers septentrionales, que son chemin lui fût frayé par des lits de rivières. Il n’avait qu’à aller droit devant lui, vers le levant ou le couchant : il ne rencontrait d’autres ennuis que la solitude des forêts et les périls des tourbières.

Restait, pour arrêter sa marche, la barrière mouvante du Rhin, dont les Anciens ont répété à satiété qu’il était un fleuve très large, très profond et très rapide[79]. Mais les Grecs et les Romains remplaçaient d’ordinaire, en matière géographique, la notion précise par l’épithète superlative. Et ils ne nous out pas dit qu’en réalité le Rhin est, de tous les vastes fleuves de l’Europe, celui qui favorise le plus la navigation, les échanges et les contacts : une barque peut le franchir aisément et presque sur tous les points[80] ; il a d’excellents ports et des lieux de traversée fort commodes[81]. La navigation y fut toujours pour les riverains un simple jeu : jusque dans son cours inférieur, des tribus de même sang et de nom semblable ont longtemps habité les deux bords[82]. Au temps de César, les Romains voyaient dans le Rhin un fossé providentiel, regorgeant d’abîmes, bordant et abritant leur domination contre les nations monstrueuses du Nord[83] : mais c’était déjà, entre les deux rives, une circulation intense, et de toutes les saisons. Son passage fut toujours la moindre des opérations pour un général décidé ; il faut laisser aux poètes le soin de le célébrer. Quand César jugea qu’il était de la dignité du peuple romain de faire défiler les légions en ordre par-dessus les eaux domptées du fleuve, il lui suffit de dix jours de travail pour asseoir un plancher solide[84]. Le Rhin ne devint une formidable douve d’empire qu’a la condition d’être protégé par des forteresses innombrables ou des terreurs sacrées. Mais malgré tout il en fut de lui comme des autres fleuves : on n’eut besoin, pour le franchir, que d’oser combattre, et de se mettre en règle avec les dieux[85].

 

V. — ROUTES ET PORTS DE LA MÉDITERRANÉE.

Le rivage d’une mer gauloise n’était une fin de terre que pour les géographes. En réalité, il marquait la ligne où se croisaient les routes humaines des deux sortes, celles du continent et celles de la mer. Car nous sommes, disait justement un Ancien, nous sommes en quelque manière des amphibies, et pour le moins autant des habitants de la mer que de la terre ferme[86]. Les ports étaient, comme les cols des montagnes, des seuils de passage.

Le plus large et le plus abrité, sur la Méditerranée gauloise, fut le Lacydon, port de Marseille[87]. Sauf peut-être au golfe de Carthage, la mer Intérieure ne s’enfonçait nulle part en Occident dans un bassin plus accueillant, plus habilement dessiné, plus utilement orienté. Il est vrai que les eaux qu’il desservait étaient périodiquement secouées par le Circius ou le Borée Noir : ce terrible Mistral du nord-ouest qui, disaient les Grecs, désarmait les hommes et désarçonnait les cavaliers[88], et qui, comme les vents de neige sur les Alpes, semblait être le gardien sacré des frontières de la Gaule[89]. Mais, au nord du port marseillais, couraient, le long de la côte, des collines qui faisaient paravent contre les rafales subites du fléau glacé : les navires surpris attendaient, à l’Estaque sous leur abri, que le vent divin eût terminé le nombre impair de ses jours de colère[90], et à ceux qui étaient déjà entrés dans le Lacydon, les rochers qui l’enveloppent assuraient une chaude protection. — Puis, de ce port, les hommes gagnaient le Rhône, dont il était la gare et la garde naturelles.

En face de Marseille, la route de l’Aude finissait à Narbonne. Sur ce point, c’était le fleuve lui-même, élargi et navigable, qui formait le port, et le vaste étang qu’il traversait ensuite ouvrait aux flottes des bassins de réserve[91]. D’autres ports complétaient la série des points d’accueil sur la Méditerranée gauloise : Banyuls, Port-Vendres et Collioure, criques arrondies des Albères, ouvertes en face du golfe de Narbonne ; Agde, au pied de son rocher noir et à l’embouchure de l’Hérault ; Arles, à la tète de la Camargue ; puis, les anses profondes et bleues de la côte provençale, Cassis, La Ciotat, Bandol, Sanary, Toulon et sa rade, les ports d’Hyères et de ses îles, Saint-Tropez, Antibes, Nice, et le port de Monaco, le plus lointain de tous. Mais, Arles excepté, ils étaient tous trop loin des grandes routes de terre pour prétendre à un rôle universel[92].

Ce qui achèvera d’entraîner à ce rôle les ports du Lacydon, d’Arles et de Narbonne, c’est que les voies normales de la Méditerranée inclinent vers eux.

La disposition générale des côtes est telle, en effet, que Marseille fait face à la fois à l’Afrique, à l’Espagne et à l’Italie. Alger n’est qu’à deux cents lieues d’elle, aussi près que Paris et moins loin que Boulogne[93]. Par les temps d’hiver ou de brigandage, les routes les plus courtes et les plus sûres qui vont du Tibre et de l’Arno au Rhône ou à Tarragone et à l’Èbre, sont celles que l’on suit sur nier en passant par Marseille[94] : les Romains le savaient bien, quand ils partaient d’Ostie ou de Pise pour l’Espagne, avec l’escale obligée de la ville provençale, ou quand ils débarquaient aux bouches du fleuve pour atteindre Hannibal, annulant par là les dangers des Alpes et des Pyrénées[95]. Marseille était une des trois tètes du triangle formé par la Méditerranée occidentale, les deux autres étant les deux Carthages, la métropole africaine et la Carthagène espagnole[96].

Si l’on regarde enfin, non plus l’occident de la mer Intérieure, mais l’ensemble de ses eaux, si l’on songe qu’elle a, aussi bien que l’Europe ou la Gaule, son unité, son équilibre, ses lignes maîtresses, l’importance mondiale des ports gaulois paraîtra plus grande encore. Marseille ou Narbonne terminent l’axe principal de la Méditerranée toute entière[97], celui qui va des bouches de l’Aude et du Rhône, par le canal de Sicile, jusqu’au delta du Nil et à l’embouchure de l’Oronte. Et cet axe, continué au nord-ouest vers les ports anglais ou les plaines de Germanie, au sud-est vers les immenses fleuves des royaumes orientaux, fut peut-être la plus longue voie, la seule impériale et souveraine, de tout le monde ancien : et c’est celle que les Romains ont suivie quand ils voulurent en achever la conquête[98].

 

VI. — ROUTES DE L’OCÉAN.

Il faudra attendre deux mille ans pour qu’une pareille route soit reconnue et parcourue depuis les rivages gaulois du nord jusqu’aux îles et aux terres de la lointaine Atlantide. Mais il s’en faut que ces rivages de l’Océan soient demeurés, même dans l’Antiquité, le simple rendez-vous d’un cabotage régional.

C’est par son Océan que la Gaule communique avec la Grande-Bretagne, sa voisiné et, en apparence, son satellite. Les routes maritimes qui conduisaient dans l’île n’étaient que les prolongements des cours d’eaux de l’intérieur : on partait de Bordeaux, des estuaires de la Loire et de la Seine, plus rarement de l’embouchure du Rhin[99] ; et la principale cause extérieure qui fit jadis la fortune ou la célébrité des ports fluviaux de la Gaule, fut d’être les têtes des chemins d’Angleterre.

Ces chemins par les rivières étaient, il est vrai, fort longs ; mais ils évitaient les transbordements, les péages des sentiers de terre, et les fatigues imprévues sur des sols mal tassés. Plus tard, quand la terre sera plus accessible, on utilisera surtout, entre l’Europe et la Bretagne, le passage raccourci du détroit gaulois. A coup sûr, les ports du Pas de Calais ne valent pas ceux des grands estuaires ; on pouvait hésiter entre plusieurs points d’embarquement : Boulogne, avec l’échancrure de la Liane et les hauteurs qui la bordent, était préférable à tous les autres[100] ; il ne s’imposait pas. En revanche, c’était, de là, une si courte affaire que de traverser la mer ! Parti après minuit, on arrivait le matin, vers dix heures[101]. Cet angle du Boulonnais, projeté comme un avant de carène[102] vers les Cinq Ports anglais[103] et le golfe de la Tamise, avait encore l’avantage d’être rivé au corps du bassin parisien, et de toucher la route européenne des plaines du nord : les principales voies d’accès de la Bretagne venaient ainsi se réunir en faisceau, juste en face de l’île, sur un coin de la terre gauloise[104].

A l’est de Boulogne, le rivage était monotone et inhospitalier, comme si les ports devenaient inutiles dès qu’il s’éloignait de l’Angleterre. A l’ouest, au contraire, où les deux terres continuent à se regarder, les petits ports se multiplient sur les côtes normandes et armoricaines. Comment les habitants de la Gaule auraient-ils pu ignorer ceux d’en face ? Leur pays, dentelé par trente estuaires, s’ouvre profondément à la marée, pour attirer à lui les barques venues du nord[105]. A quelques milles vers la pleine mer, des îles visibles appelaient les pêcheurs de France, et les invitaient à cingler plus haut encore. D’un bord à l’autre de la blanche, au centre comme aux extrémités, les caps les plus saillants se dirigent l’un vers l’autre[106]. Faire aller et venir une armée sur ce bras de mer était beaucoup moins long que de dresser pour elle un pont sur le Rhin, ou que de la transporter par delà les pentes du mont Cenis[107].

On peut dire que, de même, le rivage occidental de l’Atlantique gaulois, depuis le cap Saint-Mathieu jusqu’au cap du Figuier, s’est bâti vis-à-vis du rivage septentrional de l’Espagne. Les extrémités se regardent, les golfes se répondent ; le cap Ortégal n’était qu’à trois jours de navigation rapide de l’île d’Ouessant[108] ; l’Océan est la seule route pratique entre les ports de l’ Armorique et de l’Aquitaine, d’une part, et, de l’autre, ceux de la Galice, de l’Asturie et des Cantabres : Nantes, La Rochelle et Bordeaux sont les clientes de la Corogne, de Santander et de Bilbao ; et les premiers navigateurs étrangers qui aient découvert les caps, les îles et les baies de la Bretagne française sont ceux qui montèrent d’Espagne, poussés par le Notus du midi[109]. Enfin, la mer Extérieure, à ne la considérer que dans son rôle européen, possédait, aussi bien que la Méditerranée, sa route maîtresse et diagonale. Seulement, cette route, au lieu d’aller droit vers la haute mer, comme celle d’Alexandrie à Marseille, s’éloignait rarement du rivage. Je la vois, partant de Cadix, l’antique Tartessus, longeant l’Espagne, coupant le golfe de Gascogne à ses deux points extrêmes, doublant les caps de l’Armorique, traversant la Manche et lamer du Nord, se bifurquant ensuite, pour aller finir dans les fiords de la Norvège ou dans les îles de la Baltique. Le voisinage des côtes et l’abondance des golfes font que nulle part cette route n’éveille d’insurmontables frayeurs ; elle montre, à chaque étape, d’admirables lieux de repos sur des fleuves profonds, et elle fait ainsi oublier, au milieu des cultures ou des forêts, les périls et les tristesses des flots infinis. Quoiqu’elle bordât les terres les plus lointaines qu’aient connues les hommes d’autrefois[110], ils la pratiquèrent presque aussitôt et aussi souvent que la grande voie transversale de la Méditerranée : après Marseille, le point des rivages français le plus célèbre et le premier nommé, chez les coureurs des mers, fut la pointe que l’Armorique projette sur la route de l’Océan[111]. Par cette route s’avancèrent, du sud, les chercheurs d’étain et d’ambre, et les Grecs curieux de sciences nouvelles[112] ; et sur cette même voie, en sens inverse, s’élancèrent, au déclin du monde antique, les Saxons et les Normands, héritiers de pirates ligures ou celtes qui avaient frayé ces chemins quinze ou vingt siècles avant eux[113]. Cadix et Trondhjem, les deux capitales de l’Atlantique d’autrefois, furent les ports extrêmes de cette route où se croisèrent les représentants les plus divers des vieilles sociétés humaines.

Le rivage celtique est le secteur central de cette ligne, et par suite celui où les mouvements d’hommes, pirates et commerçants, seront le plus nombreux. Mais la Gaule n’a pas les origines du chemin : elle demeurera intimement mêlée à la circulation maritime qu’il provoque, elle n’en sera pas le point de départ ; elle aura, sur ce rivage, des escales de premier ordre : elle n’y produira rien, avant les temps modernes, qui soit comparable à Marseille ou à Narbonne, ni surtout à Cadix, la ville bienheureuse, d’où le monde ancien partit à la découverte des terres du nord et de l’occident[114].

 

VII. — CROISEMENT EN GAULE DES VOIES EUROPÉENNES

Ainsi, cette frontière de la Gaule, que l’on disait si nette et si continue, s’entrouvrait partout pour des cols, des passages et des ports : et à toutes ces ouvertures se présentaient des chemins partis de très loin.

Les routes de l’Europe ancienne pouvaient être classées en routes du nord et routes du midi. — Celles-là, c’étaient les rivages océaniques suivis par les pirates, et c’étaient les vastes pistes, foulées par les migrations humaines, de la plaine septentrionale, de la lisière hercynienne, de la tranchée du Danube : elles allaient, toutes, se perdre dans les régions les plus inconnues des Ourses et du Dragon, monstrueux réservoirs de peuples d’où se déversaient sans cesse des multitudes inépuisables[115]. — Celles-ci, ce sont les voies maritimes de la Méditerranée, les sentiers en corniche le long du rivage, les montées héroïques à travers les cols les plus méridionaux des deux grandes chaînes, sillages du vaisseau d’Ulysse, et pas victorieux d’Hercule.

Or, les unes et les autres menaient fatalement en Gaule : et ce réseau des voies intérieures de notre pays, qui semblait fait exprès pour lui, n’était en dernière analyse que les prolongements ou les lignes de jonction de tous les chemins de l’Europe.

Assurément, il ne manque pas, depuis Cadix jusqu’aux steppes russes, de longues lignes diagonales entre les deux rivages et les deux versants européens. Mais à l’ouest de la Gaule, Cadix et la Bétique, où fusionnent les deux mers, sont, par rapport aux routes de terre, dans une situation excentrique, loin des parcours les plus fréquentés et des principaux centres d’intérêts continentaux ; les autres vallées espagnoles, même celle de l’Èbre, ressemblent à des impasses. A l’est de notre pays, l’isthme de Trieste au Rhin, celui de l’Oder et du Dniester, celui de la Vistule et du Dnieper sont trop longs, encombrés de plateaux, de montagnes ou de marécages, et ils mènent, au sud comme au nord, vers des mers fermées ou à moitié désertes. La Gaule, au contraire, a les lignes de jonction les plus courtes, les plus faciles, les plus gaies entre les chemins du nord et ceux du midi : trouée de Belfort et seuil des Faucilles, passages de l’Auxois et montées cévenoles, et le chef-d’œuvre de la percée de Naurouze. A dire vrai, la France tout entière est un large seuil entre les deux mers[116]. — Et, de plus, elle rapproche ces mers aux endroits où leur vie est le plus agitée et le plus féconde : c’est en face de la Gaule que la Méditerranée s’épanouit largement, dans la vaste étendue des mers de Sardaigne et des Baléares, dans la floraison de ses villes et de ses peuples ; et c’est encore en France ou prés d’elle que l’Océan du Nord baigne ses rives les plus hospitalières, ses terres les plus heureuses, ses nations les plus actives, et la grande île ambitieuse de Bretagne.

Marquez sur une carte les routes naturelles du monde gréco-romain ; rappelez-vous, en regardant ces routes, les puissants mouvements de peuples, armées soi-disant civilisées, hordes sauvages, caravanes et pèlerinages, et nulle part vous ne constaterez une circulation plus intense et plus constante que sur celles qui traversent la Gaule. D’Espagne en Italie, c’est par elle que l’on passe toujours : Hercule d’abord, qui ne fut, sur les routes, que le précurseur ou le symbole des marches principales de l’humanité ; puis, le long de ce chemin d’Hercule, Romains et Carthaginois, qui s’y sont pour la première fois rencontrés dans le duel où se décida le gouvernement de la terre. Si les Barbares du Danube peuvent entrer en Italie par la voie du col de Nauporte et des Alpes Juliennes, ceux de l’Elbe et du Rhin y pénètrent en tournant les Alpes par la vallée du Rhône, et c’est par les Pyrénées que les uns et les autres s’engouffrent en Espagne : sur la route de Bâle à Marseille, les Latins, maîtres de l’ancien monde, ont livré aux Germains, dominateurs du nouveau, les premières et les dernières batailles.

Ne disons plus seulement que les cols du Genèvre et du Pertus ont uni la Gaule à l’Espagne et à l’Italie : ils aidèrent à tracer le sillon dans lequel a germé toute l’histoire de l’Occident. C’est sur ces gradins de montagne que tour à tour Hannibal et César ont rêvé et préparé la conquête de l’univers[117]. Le col de Roncevaux ne fut pas simplement la porte extérieure de l’Aquitaine et de la Navarre : il a livré passage à toutes les foules humaines qui, pendant deux millénaires, sont parties vers le sud à la recherche d’un idéal, argent et terres fertiles dans les siècles lointains, miracles et sainteté au Moyen Age chrétien.

La contrée qu’on appelait la Gaule se trouvait donc exposée à deux destinées contradictoires : son admirable structure en faisait un monde fini, se suffisant à lui-même, pourvu de tous ses organes ; sa situation en Europe l’exposait sans cesse à d’inquiétantes arrivées d’hommes. Elle était à la fois un important lieu de passage et un pays de très grande intimité.

 

VIII. — LA GAULE, INTERMÉDIAIRE ENTRE LE NORD ET LE SUD

Aucune contrée de l’Europe ne fut, comme la Gaule, soumise à la fois aux deux influences contraires du Nord et du Midi[118]. L’Italie était toute entière repoussée vers le sud par son acropole des Alpes ; quoique partagée entre les versants des deux mers, l’Espagne, par sa latitude, n’appartenait aussi qu’aux terres méridionales, auxquelles ses caps de la Bétique achevaient de la rattacher. Mais la Gaule faisait front, d’un côté à la Bretagne et à la Norvège, les plus reculées des terres froides[119], et de l’autre à l’Afrique et à ses déserts : elle dépendait de deux zones très différentes[120], et les peuples de l’Océan et de la Méditerranée pouvaient également voir en elle la suite de leurs domaines naturels.

Au nord de l’Europe, coulaient les grands fleuves[121], calmes, aux rives basses, aux larges estuaires alternativement immobiles et tumultueux, aux amples vallées mal définies et presque sans ceinture. Entre leurs lits s’étalaient des terres humides, des boues éternelles, des marécages et des forêts qui recélaient des espèces étranges d’hommes et de bêtes[122]. La Gaule marquait le terme de ce monde : la Garonne était pour un Grec le plus proche des fleuves océaniques ; aux marécages de la Flandre commençaient les tourbières de Germanie ; les Ardennes semblaient les franges de la forêt Hercynienne, cette monstrueuse écharpe de l’Europe, large de neuf jours, longue de deux mois de marche[123]. — Mais au sud de la Gaule, la terre était souvent aussi nue, aussi sèche, aussi dure qu’en Afrique ou en Grèce : les plaines les plus vastes du Midi étaient les Landes de Gascogne, où le sable miroite au soleil, le Bas Languedoc, si souvent gris de poussière, et la Crau extraordinaire, où des myriades de moutons toujours affamés broutaient les herbes douces ou odorantes[124] qui se glissent entre d’innombrables jonchées de cailloux[125]. Les fleuves et les ruisseaux, grands et petits, avaient, dans ces parages, les mêmes caprices et la même fougue que toutes les rivières bruyantes que reçoit la Méditerranée : les allures incorrigibles de la Sègre[126] et du Tibre se retrouvaient chez le Rhône, rapide et agité[127], chez le Var, parfois presque invisible en été et parfois roulant en hiver, sur un quart de lieue[128], des flots en querelle.

Les deux mers de la Gaule présentaient entre elles le même contraste. Son Océan était prodigieux comme ses fleuves : il avait, chaque jour, ses doubles courses, flux et reflux, tantôt fuyant ê l’horizon, comme pour emporter les êtres et les choses vers des mondes inconnus, tantôt revenant en vagues hautes et rapides, comme pour chercher de nouvelles victimes à engloutir[129]. Il hurlait sans cesse autour des terres habitées[130]. Maintes fois, ses colères étaient si brusques, que des raz-de-marée entraînaient des centaines d’hommes et de maisons, supprimaient la vie sur de longues plages[131]. Il n’y avait pas, dans l’univers, une force plus redoutable et plus imprévue que la sienne, pas même celle de la foudre céleste. Quand les marins les plus intrépides s’aventurèrent dans ses eaux, loin du rivage, d’épouvantables bêtes, plus grandes que les plus énormes de la terre, baleines, cachalots ou autres, frôlaient les navires de leurs masses grossières et terrifiaient les hommes par leur puissance et leur laideur[132]. Quelle différence d’avec la Méditerranée, aux flots toujours visibles du rivage, mer sans mystère sinon sans caprice, dont les hôtes étaient connus et les colères limitées !

Par ses productions, la Gaule participait également dès deux zones de culture entre lesquelles on pouvait partager l’Europe. Elle avait le blé, le hêtre, le chêne-rouvre, ce fond immuable de la flore utile du monde antique[133]. Mais elle ne porta que dans le Sud les trois plantes chères aux Méditerranéens, le figuier, l’olivier, et la vigne leur sœur[134]. L’olivier, le plus craintif des trois arbres, n’arriva jamais à dépasser les Cévennes, et, même au Midi, ne pénétra pas dans le versant océanique[135]. Le figuier ne vivait à Paris qu’enveloppé de paille pendant l’hiver[136]. La vigne était plus hardie : à Lutèce même, elle mûrissait ses fruits[137] sur les coteaux qui longent la Seine et regardent le midi ou le couchant ; la Moselle lui offrait son vallon réchauffé et recevait d’elle en retour des vins encore généreux[138] ; mais dés qu’on touchait aux terres hautes des Ardennes, elle disparaissait. Et ce fut une grande surprise des soldats de Rome, lorsqu’en approchant du Rhin ils virent des hommes qui ne connaissaient ni l’olivier ni la vigne[139]. Cette ignorance du vin et de l’huile avait une autre portée que celle d’un fait de géographie botanique : l’un et l’autre étaient les ferments les plus actifs de la vie matérielle des peuples du Midi, et peut-être quelque chose de plus, les compagnons de leurs plaisirs et de leurs prières. Ceux du Nord, quel que fût leur nom, les remplaçaient par des préparations médiocres, pauvres de goût et d’aspect, où le soleil n’avait rien laissé de sa force et de ses rayons : le beurre, ce luxe des tables barbares[140], le cidre, le poiré, le cormé[141], la bière surtout[142], objet de dérision pour les hommes du Sud : Par le vrai Bacchus, disait Julien, je ne reconnais pas cette liqueur : elle sent le bouc, et l’autre, le nectar[143]. Les écrivains anciens auraient pu, comme nous le faisons nous-mêmes, opposer les nations par leurs boissons favorites, par leurs deux manières d’assaisonner les repas et d’égayer la vie : vin et bière, huile et beurre, cela déjà distinguait deux mondes[144].

Enfin, les choses de l’air, elles-mêmes, ne paraissaient point semblables. Il existait, entre ces deux mondes de la bière et du vin, des différences de couleur. Les mêmes objets prenaient des teintes diverses, donnaient des sensations opposées, suivant qu’ils recevaient la chaleur du Midi ou le froid du Nord. — Près de la mer Intérieure, en Espagne comme en Asie, à Cadix, à Athènes ou à Carthage, la vie du ciel était faite d’une lumière intense, d’un soleil cru, de nuages rapides, de tons arrêtés, de phénomènes précis et certains : la pluie était brusque et forte, la neige, une surprise, et le brouillard, une rareté. Les Méditerranéens ignoraient d’ordinaire ces états vagues du temps oit l’homme ne peut dire ce qu’est le ciel et ce qu’il prépare : chez eux, les éléments se combinaient en solutions franches. — Le ciel du Nord était dans une éternelle indécision. Presque toujours les pluies sont fines et lentes. La neige recouvre souvent le sol[145] de cette blancheur uniforme qui achève de faire perdre aux choses leur forme et leur couleur propres. C’est de là que souffle Borée, dont l’haleine se glace sur les neiges éternelles[146]. Parfois les fleuves les plus larges se congèlent, au point de pouvoir porter des myriades de soldats avec leurs chevaux et leurs fourgons[147], et le Rhin lui-même, cessant pour ainsi dire de vivre, faisait corps avec la terre muette et immobile[148]. Le Nord, surtout, a le brouillard, haï des hommes et des dieux du Midi, marécage flottant du ciel[149]. Il arrive enfin, aux deux solstices, que le jour ne se différencie pas nettement de la nuit : en hiver, la lumière brille trois ou quatre heures à peine, hésitante et voilée ; en été, le soleil, même disparu de l’horizon, envoie encore sur la terre de faibles lueurs, et un crépuscule indécis prolonge le jour du couchant au levant[150]. Pendant les tristes heures de l’année, terre, ciel et mer, et nuit et jour, se confondent en une brume glaciale[151].

Or, c’est en Gaule que les habitants du Nord avaient les premières sensations égayantes du Midi, qu’ils suivissent la Moselle, encaissée entre ses coteaux, ou qu’ils sortissent des Ardennes par la clairière du Vermandois[152]. Et c’est également en Gaule que les Méditerranéens connurent pour la première fois la peur des mystères du climat septentrional[153]. — Lorsque les Argonautes, chantait Apollonius, pénétrèrent au delà de la vallée du Rhône, ils comprirent qu’ils montaient vers les terres les plus reculées, celles où étaient les Portes et l’Empire de la Nuit[154] : c’était la Mort qui les attendait, sur des lacs aux rudes tempêtes, dans les nuées obscures où ils disparaissaient, vers ces golfes de l’Océan où le fleuve les entraînait[155], et d’où l’on ne revient pas. Mais, du haut des montagnes[156], Junon poussa un cri formidable, que l’air immense répercuta d’une façon terrible. Et alors, avertis par la déesse, saisis de frayeur, ils revinrent vers les rivages du midi, et, épuisés par leurs fatigues, ils essuyèrent avec les galets de la grève leur abondante sueur[157]. — Ces terreurs qui avaient arrêté les héros de la Fable, les soldats de César les éprouvèrent sur la route des Argonautes, lorsque l’armée romaine dut quitter Besançon pour se rapprocher du Rhin et des Suèves : la pensée de ces immenses forêts, de ces terres sang cultures, de ces géants forts comme des fauves, frappa les légionnaires eux-mêmes d’une telle épouvante, que les uns quittaient le camp et que d’autres pleuraient. Mais, si Junon avait ramené les Argonautes en arrière, le proconsul obligea les soldats à marcher en avant[158] : ce jour-là, les destinées du monde septentrional furent résolues, et ce fut en Gaule même que César imposa la solution, en faisant franchir à ses légions les Portes de la Nuit.

Ai-je besoin de dire que ce passage du Midi au Nord n’était point aussi brusque que l’imaginaient les poètes ? Les hommes de César virent bien, en pénétrant dans la vallée du Rhin, avec quelle lenteur la nature se transformait. La Gaule, par-dessus tout, était un pays de transition, et de ces délicates nuances où se mélangent les tons les plus opposés[159]. Elle avait, très loin vers l’Océan, de confortables vallées où poussait la vigne elle-même, comme celles du Rhin et de la Moselle ; sur les bords de la mer Extérieure, les courants du large entretenaient, même en hiver, une température fort douce : et jusqu’à Paris, à quarante lieues du rivage, la chaleur des flots faisait encore sentir une tiédeur bienfaisante[160]. Ses montagnes centrales n’avaient de neige que dans les mois de la mauvaise saison[161]. Elle fut par excellence la contrée du climat tempéré[162] : elle possédait les plus chaudes des terres du Nord, les plus fraîches des terres du Midi.

Deux natures se rencontraient en Gaule ; deux espèces d’hommes s’y croiseront. Car le ciel, la mer, les eaux et les terres septentrionales détermineront chez leurs habitants des manières de vivre, de parler et de rêver différentes de celles des Méditerranéens. Si les Grecs et les Latins ont eu l’horreur des neiges, des brumes et de la nuit, elles n’en produisirent pas moins des pensées et des croyances humaines qui avaient leur grandeur, et les légendes écloses sur le Donon ou le Puy de Dôme témoignent d’une poésie aussi profonde que celles de l’Acropole ou du Palatin. Les unes et les autres se mêleront chez le s habitants de la Gaule, comme se rejoignaient dans ses vallées les routes venues du dedans et du dehors du monde antique.

 

 

 



[1] Vidal de La Blache, Tableau de la Géographie de la France, p. 17-39.

[2] Les campagnes de César en Gaule sont instructives à cet égard : car nul homme, d’une part, n’a peut-être voulu établir plus nettement les frontières de la Gaule, et personne, d’autre part, ne les a franchies avec une plus grande désinvolture.

[3] Tite-Live, XXI, 26, 6 ; César, IV, 4, 2 ; I, 11, 5 ; Strabon, IV, 3, 2 et 4 ; etc.

[4] Cf. Brandis ap. Wissowa, IV, c. 2128.

[5] Tite-Live, I, 33, 8.

[6] Polybe, II, 16, 1 et 3 ; cf. Nissen, Italische Landeskunde, I, p. 228 et suiv. ; Sieglin, n° 24.

[7] Et même, voyez l’Empire espagnol du XVIe siècle et les ambitions actuelles des États-Unis dans le Pacifique.

[8] Ukert, II, II, 1832, p. 94-118 ; Nissen, Italische Landeskunde, I, 1883, p. 136 et suiv. ; Perrin, Marche d’Annibal, 1887 ; von Duhn, dans les Neue Heidelberger Jahrbücher, 1892, p. 55-92 ; Wissowa, I, 1894, c. 1599-1612 (Partsch) ; Osiander, Der Hannibalweg, 1900 ; et tous les ouvrages cités chap. XI, § 4.

[9] Caton (fr. 85, Peter) et Polybe (III, 54, 2) ont, les premiers, fait cette comparaison.

[10] De Vienne à Bergintrum (Bourg-Saint-Maurice ?), neuf étapes ; de Valence à Briançon par le col de Cabre, également neuf (Itin. Ant., p. 346 et 337). — Polybe (Strabon, IV, 6, 12 ; cf. Eustathe, Comment. in Dionys., 294, Didot, p. 268) : les Alpes ne peuvent être franchies, pas même en cinq jours.

[11] Tite-Live, XXI, 32, 7 ; Silius Italicus, III, 540-4. Cf. chap. XI, § 8.

[12] En premier lieu Apollonius, IV, 640-2, et, à la fin de la littérature antique, Ennodius, Carmin, I, 1.

[13] Ammien, XV, 10.

[14] Strabon compte 100 stades (18 km. 5) pour la hauteur des plus hautes cimes (IV, 6, 5) : il s’agit peut-être du groupe du mont Cenis et, notamment, de la Roche-Melon, qui paraît avoir été regardée, avec le mont Viso (Pline, III, 117), comme le principal sommet alpestre (3537 m.), summum Jovis culmen (Silius, III, 510). Ce n’est, du reste, point mal compter : ces 100 stades peuvent représenter la longueur rectiligne de l’ascension, soit de Suse, soit de Bessans. Cf. Osiander, p. 137 et suiv. Il n’est pas impossible, cependant, que Strabon n’ait simplement donné ta longueur d’une étape d’itinéraire entre une station du pied d’un col et l’arrêt sur le col, sur la route du mont Cenis par exemple (Osiander, Montcenis, p. 17).

[15] Silius Italicus, III, 485-493.

[16] Ammien, XV, 10, 1 : Horrore nivali semper obductos ; Polybe, II, 15, 10 ; III, 55, 9 ; Silius, III, 533-4.

[17] Polybe, III, 55, 9 ; cf. Silius, III, 488-9.

[18] Apollonius, IV, 640-2 ; Polybe, III, 55, 3-4 ; Strabon, IV, 6, 6 ; Pétrone, 122, vers 144 et suiv. ; Silius, III, 477-499 ; Ammien, XV, 10, 4 et 5 ; Claudien, De bello Pollentino, 340-8 : les Anciens ont parfaitement noté le triple péril des éboulements, des avalanches et des torrents grossis par la fonte des neiges.

[19] Corus ; Silius, III, 491-3 ; 523-7.

[20] Clausæ mortalibus, Silius, I, 546. Cf. Apollonius, IV, 635-642.

[21] Polybe, III, 47 et 48 ; surtout 48, 5 : Τά περί τής έρημίας, etc. Même développement chez Tite-Live (XXI, 30), mais placé dans la bouche d’Hannibal.

[22] Tite-Live, XXI, 35, 4.

[23] Tite-Live, XXVII, 39 ; Silius, XV, 503-7.

[24] Cette différence est déjà soupçonnée par Polybe (III, 54, 4-5), notée par Tite-Live (XXI, 33, 11) : Pleraque Alpium ab fialia sicul breviora, ita arrectiora sunt, et la suite. Cf. la descente du Cenis, chap. XI, § 10.

[25] Par exemple, la source de la Dranse du Valais (Δρουεντίας) et une des sources de la Doire Baltée (Δουρίας), qui se rapprochent au col du Grand Saint-Bernard (Strabon, IV, 6, 1) : le voisinage des Salasses montre qu’il ne peut s’agir ici de la Durance et de la Doire Ripaire. On trouve déjà le vague écho de ce voisinage de sources dans la légende qui faisait communiquer entre elles les eaux du Rhône et du PO : Euripide apud Pline, XXXVII, 32 ; Apollonius, IV, 627-634, d’après Timée : cf. Appien, Civilia, I, 109.

[26] Cf. la marche d’Hannibal, Polybe, III, 50, 1-2 ; ici, chap. XI, § 7.

[27] Hannibal, en Maurienne, ne rencontra d’ennuis que du fait des indigènes, chap. XI, § 8 et 9.

[28] Cf. Polybe, III, 53, 6-9 ; Tite-Live, XXI, 35. 1-4 ; Itin. Antonin, p. 341, 337 ; etc.

[29] Cf. Varron ap. Servius, Én., X, 13 (abstraction faite de l’application de ces routes à des personnages ou à des faits historiques).

[30] Magis celebris, Ammien, XV, 10, 8 ; Strabon, IV, t, 3 ; Pline, II, 244 (ces deux derniers peut-être d’après Artémidore) ; etc.

[31] Ammien (XV, 10, 6) l’appelle Matronæ vertex ; (mons) Matrona, Itin. de Jérus., p. 556 ; Matronas scopulos, Ennodius, Carm., I, 1, 23 ; les Itinéraires de Vicarelle (C. I. L., XI, 3281-4) l’appellent Druantium, Druentia, qui est le nom de la Durance (Tite-Live, XXI, 31, 9 ; etc. ; Holder, I, c. 1320-1). Peut-être y avait-il sur ce col un sanctuaire consacré Matronæ Druentiæ ou Matronis Druentiabus.

[32] Joanne, Dictionnaire, IV, p. 2789.

[33] Mot de Pétrone, 122, 145.

[34] Ajouter, comme débouchés plus directs vers le Rhône, débouchés desservis par ce col du Genèvre : 1° le col de l’Autaret et la route de Briançon à Grenoble par l’Oisans (C. I. L., XII, p. 649 ; on ,v aurait reconnu des dalles antiques, Rev. arch., 1881, I, p. 3.52) ; 2° le col de Cabre (mons Gaura, Itin. de Jérusalem, p. 553) et la roule de Chorges à la Drôme (prise par César en 58, I, 10, 3-5).

[35] Proximum iter, César, I, 10, 3 ; iter expeditius, Ammien, XV, 10, 6 ; media et compendiaria, id., 8.

[36] La route d’Hercule, popularisée par les Grecs dès le IIIe siècle, n’est pas, je crois, la route du littoral (comme l’ont dit Müllenhoff, I, p. 87 ; Partsch ap. Wissowa, l. c. 1607), mais celle de la Durance : Ps-Aristote, De mir. ausc., 85 (d’après Timée ? Geffcken, p. 150) ; Diodore, IV, 19, 3-4 ; Tite-Live, V, 34, 6 ; XXI, 41, 7 ; Silius, III, 496, 513-4 ; XV, Pline (III, 113 et 134) dit : Graiis Herculem transisse ; de même, Corn. Nepos, XXIII, 3, 4 ; mais il semble qu’on ait primitivement étendu ce nom de Grées à la haute vallée de la Doire Ripaire et aux débouchés du Genèvre (cf. Graioceli, César, I, 10). Les dédicaces à Hercule dans les Alpes Grues, autrement dit le Petit Saint-Bernard (Pétrone, 122, 144-6 ; C. I. L., XII, 99, 3710), ne peuvent être alléguées comme preuve d’une ancienne tradition. Mais, si l’on peut, à la rigueur, hésiter entre le Genèvre, le Cenis et les Alpes Grées, il faut écarter la route de la Ligurie, attestée seulement par Ammien (XV, 10, 9), qui, au surplus, manque de précision à cet endroit.

[37] Osiander, p. 188 et suiv., et surtout son mémoire Der Montcenis bei den Alten, Cannstatt, 1807. Le nom Cinisius ou Cinisus apparaît dès le VIIIe siècle et doit être indigène (Frédégaire continué, 38, p. 183, Krusch ; cf. Osiander, Der Montcenis, p. 40).

[38] Strabon, IV, 6, 3 : Λίμνη μεγάλη. Le lac Pennin (Ποινίνα λίμνη, Ptolémée, III, 1, 26), d’où sort la Doire (Baltée), doit être le petit lac du Grand Saint-Bernard ; cf. Desjardins, I, p. 71.

[39] C’est sans doute la planities de 7 milles dont parle Ammien (XV, 10, 6) : toute cette description du præcelsum jugum qui domine Suse ne peut convenir qu’au Cenis ; cf. Osiander, Der Montcenis, p. 19 et suiv. ; ici, chap. XI, § 10.

[40] C’est ce qui explique le choix de ce sentier par les guides d’Hannibal (Tite-Live, XXI, 20, 6).

[41] En coupant directement, de Lyon à Montmélian, par le couloir de Chambéry et le passage des Échelles (C. I. L., XII, p. 290).

[42] Ce rapport entre elles et ce caractère commun des deux voies qui menaient à Suse, conpendiarias et viantibus oportunas, medias inter... Alpes, ont été bien mis en lumière par Ammien (XV, 10, 2).

[43] Strabon, IV, 6, 7 et 11. Connu sans doute de Polybe (Strabon, IV, 6, 12). Cremonis jugum, Cœlius Antipater apud Tite-Live (XXI, 38, 6-7). Alpes Graiæ, Varron ap. Servius, Enéide, X, 13. Dans César, I, 10, 4, Graioceli s’applique peut-être à un peuple du Genèvre.

[44] Strabon, IV, 6, 7 et 11. Pœninus, écrivait-on chez les Anciens (Tite-Live, XXI, 38, 6 ; V, 35,2, etc.) : c’est une corruption, née d’une fausse étymologie, de Penn-, radical préceltique qui a dû signifier ou sommet ou rocher. Mons Joris au moins dès l’époque carolingienne (Frédégaire continué, 36, p. 183, Krusch ; etc.). Voyez la description de la montée du côté italien chez de Saussure, Voyages dans les Alpes, IV, 1786, p. 217-225.

[45] Vallée des Ceutrones (Strabon, IV, 6, 7) ; qu’elle fait à l’époque romaine infiniment plus peuplée que la Maurienne (vallée des Medulli, Strabon, IV, 6, 5), c’est ce qui résulte de C. I. L., XII, p. 16-20.

[46] Strabon, IV, 6, 7.

[47] Cf. César, III, 1, 2, pour le Grand Saint-Bernard. Je ne suis pas cependant convaincu qu’il faille appliquer à l’un ou à l’autre l’iter nobis opportunius de Pompée (Salluste, Hist., III, 1, 4). Pline (III, 123) les appelle geminas Alpium fores.

[48] C’est par le mont Cenis que passeront les armées carolingiennes (cf. Frédégaire continué, 38, p. 185, Krusch). Sur l’extrême commodité du Cenis, Journal du Voyage de Montaigne, II, p. 396-1, Rome, 1774. C’est, dit Simler (Vallesiæ descriptio, 1574, p. 95 v°) omnium usitatissimum ex Hispania et Gallia et Britannia Romam euntibus : Strata Romana ab Italis nominatur.

[49] Mons Vesulus, source du Pô, 3843 mètres : Pline, III, 117 ; Virgile, Énéide, X, 708 ; Capella, VI, 610. Pline (III, 33) nomme encore dans cette région le mons Cænia, source du Var (Grand Coyer, ou plutôt Pelat ou Cimet ?).

[50] Conjecturé d’après la répartition des vestiges anciens.

[51] Cette route de la Corniche est déjà indiquée par Polybe (apud Strabon, IV, 6, 12). Elle fut essayée par les Romains en 189 et en 154 ; cf. chap. XII, § 6.

[52] Polybe, II, 14, 7 ; cf. 13, 1-6.

[53] Polybe, III, 54, 3 ; Tite-Live, XXI, 33, 8-9.

[54] Pline, III, 31.

[55] Voir chez de Saussure (IV, p. 217), la description du val d’Aoste à la descente du Saint-Bernard : Vignes exposées au midi, retentissant des cris aigus et répétés des cigales... et les mûriers, les amandiers, etc. Ici, chap. XI, § 10.

[56] Je traduis Polybe (III, 47, 6) : Ψευδολογεΐν καί μαχόμενα γράφειν, etc.

[57] Remarqué par Polybe, II, 13, 9.

[58] Appien, Iberica, I, dit des Pyrénées : Μεγίστω τών Εύρωπαίων όρών καί ίθυτάτω σχεδόν άπάντων. De même Diodore, V, 33, 2.

[59] Ni le port de Gavarnie, ni celui de Vénasque, ni même celui de Béret, n’ont joué le moindre rôle dans l’histoire ancienne ; au surplus, ils conduisent d’abord à une région espagnole de moindre valeur économique et stratégique. Rien ne prouve que, comme le dit Desjardins (I, p. 113), les Convenæ aient passé par là.

[60] Lucain, IV, 83.

[61] Au col de Bentarte, sur l’ancienne route de Château-Pignon. Le col actuel, beaucoup plus bas (1067 m.), parait n’avoir pas eu grande importance avant le XIXe siècle ; cf. François Saint-Maur, Congrès scientifique, Pau, 1873, II, p. 118.

[62] Il importe de mentionner ici, comme complétant le réseau de routes du Sud-Ouest français, le col de Velate (portus Velate, XIe s. ?, Dubarat, Missel de Bayonne, p. XXXI) : il conduit de Pampelune aux vallées côtières de la Bidassoa (Fontarabie ?, de l’Oyarzun et de l’Uruméa (Saint-Sébastien) : par ce col, les tribus de la Navarre peuvent arriver sans peine au rivage et menacer de là les côtes françaises ; cf. chap. VII, § 2.

[63] Ces deux cols et celui du Pertus sont simplement appelés chez les Anciens Summus Pyreneus (Itin. Ant., p. 397, 452, 433).

[64] La Perche n’est jamais mentionnée (sauf peut-être dans la légende d’Hercule en Cerdagne, Silius, III, 357). Le Pertus était la route capitale et portait les Trophées pyrénéens de Pompée, comme, à l’opposé de la mer gauloise, la montée de La Turbie portait les Trophées alpestres d’Auguste (Strabon, III, 4, 7 et 9 ; XXXVII, 15) ; Silius (XV, 492) parle aussi d’un trophée élevé par Scipion sur Hasdrubal en 205 ; cf. chap. XI, § 12.

[65] Cf. Silius, III, 420-441.

[66] Ibidem, 415, 420, 442.

[67] C’est la vieille route qui a servi jusqu’au siècle dernier ; elle venait par cette vallée d’Ostabat (Hostavalla) qui ressemble à un vaste couloir entre montagnes, passait par Saint-Jean-le-Vieux et Saint-Michel, et s’appelait porius Ciseræ (Le Codex de Saint-Jacques, éd. Fita et Vinson, 1882, p. 13 et 14).

[68] Chanson de Roland, 1830-1 ; cf. 814-5.

[69] Comparez la haute plaine du mont Cenis, ici, § II.

[70] Τά Έλουηττίων πεδία, Strabon, IV, 6, 11. L’Aar, Arura (C. I. L., XIII, 5096, 5161), Ara (Fœrstemann, Ortsnamen, 2e éd., 1872, c. 101) ; l’Orbe, Urba (cf. C. I. L., XIII, 11, p. 15).

[71] Λιμνών άβύσσων (Diodore, V, 25, 3). C’est, je crois, la route des lacs qu’ont suivie les Argonautes (Apollonios, IV, 635). Les grands lacs des Alpes sont, en effet, une des choses les plus anciennement connues des Grecs : le Périple d’Avienus parle déjà du lac Léman (Accion, 683 ; Lemannus, César, I, 2, 3 ; cf. Holder, II, c. 172). Le lac de Constance ou Brigantinus est divisé par les Anciens en lacus Acronus (Untersee) et Venetus (Obersee) (Méla, III, 24 ; Pline, IX, 63).

[72] Mons altissimus, César, I, 6,1.

[73] Pas de l’Écluse (César, I, 6, 1) ; val de Joux et col de Jougne, entre Orbe et Pontarlier (Strabon. IV, 6, 11 ; cf. Desjardins, IV, p. 46) ; route de Sainte-Croix, entre Yverdun et Pontarlier (Desjardins, p. 143) ; la Pierre-Pertuis, entre Bienne et Porrentruy (C. I. L., XIII, 5160) ; mais les autres cols ont dû être pratiqués dès l’Antiquité (cf. von Haller, Helvetien unter den Rœmern, II, 1812, p. 86-90).

[74] Et c’est sur l’une et l’autre de ces routes qu’ont eu lieu, en 58, les deux migrations simultanées des Suives et des Helvètes. Cf. les voyages ou marches dans le sens inverse, plus bas, § VIII.

[75] Comparez, à ce point de vue, les rôles de Lyon et d’Augst (ou, si l’on préfère, de Bâle, héritière de cette dernière).

[76] César, VI, 25 : Hercynia sylva (Forêt-Noire, Jura Franconien, massif de Bohème, etc.). Sur ces routes, marquées par les Bœrden germaniques, Vidal de La Blache, p. 36.

[77] Aux endroits où César passa le Rhin et où les Romains multiplièrent les ouvrages militaires.

[78] Voyez la joie d’Ausone arrivant par le nord dans la vallée de la Moselle : Purior hic campis aer, etc., vers 12 et suiv.

[79] César le dit même de la partie comprise entre le lac de Constance et le coude de Bâle : Flumine Rheno latissimo atque altissimo (I, 2, 3) ; citatus fertur (IV, 10, 3) ; IV, 17, 2 ; Strabon, IV, 3, 3 ; Eustathe, Comment. in Dionys., 264, p. 267, Didot ; etc.

[80] César, IV, 4, 6 et 7 ; 16, 8 ; VI, 35, 6.

[81] Der Rheinstrom, 1880, p. 242 et suiv.

[82] César, IV, 4, 2.

[83] Cicéron, In Pisonem, 33, 81 : Non Rheni fossam gurgitibus illis redundantem Germanorum immanissimis gentibus objicio.

[84] César, IV, 16-18 ; VI, 9, 4 ; Diodore, V, 25, 4.

[85] Cui possibile est fluenta contegere, ludus est navigare, dira Symmaque du Rhin et des Romains (Laud. in Valentin., 2, 4, p. 324, Seeck).

[86] Strabon, I, 1, 16.

[87] Lacydon : Mélo, II, 77 ; Eustathe, Comm. in Dionys., 75, p. 2.31, Didot ; ΛΑΚΥΔΩΝ, Cabinet des Médailles, 534-5.

[88] Connu dès le temps de Théophraste (De ventis, 9, 62 : [Κ]ερκίαν ; cf. Κιρκίας, Pseudo-Aristote, De ventis, p. 973 b), au moins sur les rivages d’Italie et de Sicile. Pour la Gaule, où le nom a pu être importé par les navigateurs italiens : Caton (fr. 93) ap. Aulu-Gelle, II, 22, 28, et ap. Apulée, De mundo, 14 (Cercius) ; Diodore, V, 26, 1 (ne le nomme pas) ; Strabon, IV, 1, 7 (Μελαμβόρειον) ; Circius : Sénèque, Questions naturelles, V, 17, 5 ; Pline, II, 121 ; XVII, 21 ; Suétone, Claude, 17 ; Apulée, l. c. Cf. Holder, I, c. 1025 ; Wissowa, III, c. 2569 (Hæbler).

[89] Lucain, I, 407-8 : Solus sua littora turbat Circius et tuta prohibet statione.

[90] C’est une croyance, à Marseille, que le Mistral souffle un nombre impair de jours ; cf. Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige, II, p. 347. Sur le mouillage de L’Estaque, Ports maritimes de la France, VII, IIe p., 1899, p. 26.

[91] C’est l’étang de Bages et de Sijean : λίμνη Ναρβωνίτις (Étienne de Byzance, s. v. Ναρβών, peut-être d’après Hécatée) ; l’étang des Quatre-Îles (Avienus, 583 et suiv.) ; lacus Rubrasus (Méla, II, 81) ; lacus Rubrensis (Pline, III, 32).

[92] Notons cependant l’importance particulière que devait prendre Port-Vendres comme tête de ligne de l’isthme pyrénéen. Cf. chap. V, § 7.

[93] Polybe comptait 3000 stades et moins (555 km) pour la distance entre la Gaule et l’Afrique (Strabon, II, 4, 2), et on a compté davantage pour la longueur de la Gaule au nord de Marseille ; d’autres portèrent, plus justement, à 3000 stades (925 km.) la distance la plus grande entre la Gaule et l’Afrique (Strabon, II, 5, 8), chiffre qui était aussi, disait-on, la distance entre Marseille et le centre de la Bretagne (Strabon, I, 4, 4).

[94] La mer passait pour très dangereuse de Marseille en Toscane (Polybe, III, 81, 2) c’est une exagération, due aux souvenirs du Mistral.

[95] Cf. chap. XI, § 4, 5, 6, 14.

[96] Polybe (Strabon, II, 4, 2) imagina le premier ce triangle, avec Narbonne, les Colonnes d’Hercule et le détroit de Sicile pour têtes d’angles.

[97] Rappelons aussi la route formée par le coté méridional de la Méditerranée, route qui se termine au détroit de Gibraltar et de Cadix.

[98] Voir en particulier l’expédition de Claude contre la Bretagne (Suétone, Claude, 17), expédition qui suivit le même itinéraire maritime que l’émigration Phocéenne (Justin, XLIII, 3,4).

[99] Strabon, IV, 5, 2.

[100] Portum Itium..., quo ex porta commodissimum in Britanniam trajectum ; César, V, 2, 3. Cf., entre autres, pour les raisons de cette identification, Schneider, Portus Itius, Berlin, 1888. Ajoutez que Boulogne est placée sur la ligne la plus directe entre Londres et Paris.

[101] César, IV, 23, 1-2 ; cf. V, 8, 2-5. Strabon, IV, 5, 2 (cf. IV, 3, 4), donne comme largeur du détroit 320 stades, un peu moins de 60 km. ; Pline (IV, 102), 50 milles depuis Boulogne ; la distance de Boulogne à Winchelsea est de 65 km.

[102] Cap Gris-Nez, Ίτιον άκρον, Ptolémée, II, 9, 1 (par interversion).

[103] Douvres, Sandwich, Romney, Hythe, Hastings.

[104] Strabon considère le port du pas de Calais comme le terme de la voie fluviale marquée par le Rhin (IV, 5, 2).

[105] Cf. Vidal de La Blache, Tableau, p. 179-180.

[106] Strabon, I, 4, 3.

[107] On comptait moins d’un jour pour la traversée depuis l’embouchure de la Seine (Strabon, IV, 1, 14). Si Pythéas (Strabon, I, 4, 3) évaluait à plusieurs jours le trajet du pays de Kent à celui des Celtes, c’est qu’il appelait Celtique la région de l’embouchure de l’Elbe ; cf. chap. X, § 6.

[108] Voyage de Pythéas (Strabon, I, 4, 5) ; ici, chap. X, § 6. Cf. Tacite, Agricola, 10 et 11.

[109] Voir note précédente et Avienus, 113-4. Un des défauts des géographes anciens a toujours été de beaucoup trop rapprocher l’un de l’autre les rivages entre lesquels se taisait une circulation maritime directe : l’Antiquité traduisait volontiers la relation économique par le voisinage géographique ; c’est pour cela qu’au temps de Pythéas (Strabon, 1, 4, 3), on appela, semble-t-il, ibériques les deux armoricaines. Strabon commettait une erreur de même nature, lorsqu’il regardait le rivage méridional de la Grande-Bretagne comme constamment opposé à celui de la Gaule atlantique, depuis le cap du Figuier jusqu’au Rhin (IV, 5, 1 ; 1, 4, 3) : erreur qui venait, sans doute, de ce que les navigateurs partaient également des trois estuaires gaulois pour se rendre dans l’île (cf. IV, 3, 4 ; 5, 2), ce qui fit croire à l’égale longueur des trois itinéraires.

[110] Cicéron, De provinciis consularibus, 12, 29 : Quid Oceano longius inveniri potest ?

[111] Dès 300, avec Himilcon, chap. X, § 1, cf. § 6.

[112] Avienus, 113-116 ; Pline, IV, 94 et 95.

[113] Avienus, 101-177 ; 141-142. Je suis convaincu qu’il y a eu, dès les temps les plus reculés, des relations constantes entre la Manche, les rivages de la Frise, les golfes de la Tamise et de l’Humber, les côtes de Bergen et de Trondhjem : par là s’explique le voyage de Pythéas, qui fut très rapide et très sûr ; chap. X, § 6.

[114] Avienus, 270 ; Strabon, III, 1, 8 ; 5, 3 ; etc. Ajoutez, pour comprendre le rôle de Cadix, que là finit la route méridionale de la Méditerranée. Cf. chap. V, § 2, VII, § 1.

[115] Valérie Flaccus, VI, 39-40 (cf. notre ch. VI, § 2) :

Pingui nunquam tamen ubere defit,

Quod geminas Arctos, Magnumque quod impleat Anguem.

[116] L’isthme pyrénéen est peut-être la première des caractéristiques de la contrée gauloise qui ait été reconnue par les Anciens (d’après Himilcon ?, Avienus, 151, qui l’évaluait à sept jours de marche ; d’après Pythéas, Strabon, III, 2, 11). Cf. chap. IV, § 17, x, § 3.

[117] Tite-Live, XXI, 24, 1 (en 218, Hannibal au Pertus) ; César, I, 10, 5 (en 58, César sur le mont Genèvre).

[118] Cf. Vidal de La Blache, p. 40-32.

[119] Diodore, V, 23, 2.

[120] Strabon, IV, 1, 2. Et c’était d’autant plus marqué, aux yeux des Anciens, qu’ils faisaient de l’Océan et de la Méditerranée gauloise deux lignes à peu près parallèles suivant le sens de la latitude (Strabon, IV, 5, 1).

[121] Hérodote, III, 113 ; Aristote, Météorologie, I, 13, 19 et 20 ; Timée ap. Plutarque, De placitis philosophorum, III, 17 ; Diodore, V, 25 ; Méla, III, 30.

[122] Qua reliquis in locis visa non sint, César, VI, 25, 3.

[123] César, VI, 23, 1 et 4.

[124] Άγρωστις (Strabon, IV, 1, 7), le chiendent, triticum repens ; thymus, le thym (Pline, XXI, 57).

[125] Λιβώδες (Strabon, IV, 1,7, qui nous montre la Crau déjà connue d’Eschyle et d’Aristote) ; Campi Lapidei (Pline, III, 34 ; XXI, 57, qui parle déjà des transhumances des troupeaux, venus dans la Crau e longinquis regionibus) ; etc.

[126] Cf. Lucain, IV, 85-92.

[127] Strabon, IV, 1, 14 ; Lucain, I, 433 ; Silius Italicus, III, 448-50.

[128] Sept stades (Strabon, IV, 1, 3).

[129] Les observations les plus complètes et les explications les plus justes de la marée paraissent avoir été données par Pythéas (Pline, II, 217 ; Plutarque, De placitis philosophorum, II, 17 ; Pseudo-Galien, Hist. phil., 22, éd. Chartier, II, p. 44). L’explication donnée par Timée, tirée de l’apport des fleuves, est assez ridicule ; mais elle est intéressante à noter pour montrer combien les Anciens furent frappés par l’énormité des fleuves de la Celtique (Plut. et Ps.-Gal., ibidem). Cf. Berger, Geschichte der weiss. Erdkunde der Griechen, III, 1801, p. 25-20.

[130] Avienus, 300-1 : Orbis effusi procul circumlatrator.

[131] Éphore ap. Strabon, VII, 2, 1. Chap. VI, § 3.

[132] Avienus, 127-9, 410-1 (voyage d’Himilcon ; cf. chap. X, § 1) ; Pausanias, I, 4, 1 ; Pline, IX, 8 : Maxumum animal... in Gallico Oceano physeter, etc. Voyez Fischer, Cétacés du Sud-Ouest de la France (Soc. Linnéenne de Bordeaux, XXXV, 1881).

[133] Pythéas constata la culture des céréales en Norvège (Strabon, IV, 5, 5) ; le hêtre monte jusque vers Christiania, le chêne jusque vers Trondhjem (Mouillefert, Trait des arbres, p. 1145 et 1156).

[134] Strabon, IV, 1, 2.

[135] Strabon, IV, 1, 2.

[136] Julien, Misopogon, p. 341 = 438, Hertlein.

[137] Julien, Misopogon, p. 341.

[138] Ausone, Moselle, 152-6.

[139] Varron, Res rusticæ, I, 7, 8. Cf. Diodore, V, 26, 2 ; Strabon, II, 1, 16.

[140] Pline, XXVIII, 133 : Butyrem, barbararum gentium lautissimus cibus (il s’agit sans aucun doute des Germains).

[141] Virgile, Géorgiques, III, 380 (talis Hyperboræo, etc.).

[142] En Norvège par exemple (Pythéas ap. Strabon, IV, 5, 3).

[143] Julien, p. 611, Hertlein (Anthol. palat., IX, 368).

[144] Cf. Hehn, Kultufpflanzen und Hausthiere, 6e éd., 1894, p. 141 et suiv. ; O. Schrader, Reallexikon der indogermanischen Altertumskunde, 1901, p. 88 et 121.

[145] Diodore, V, 23, 2. Les froids rigoureux de la Celtique (qui désigne, ici, je crois, la région de l’Elbe inférieur) sont déjà mentionnés par Aristote (De animalibus, VIII, 28, 3 ; De generatione anim., II, 8). Ils devinrent proverbiaux χιόσι Κελτίσι, Anthologie palatine, X, 21 ; κρύσταλλον τόν Κελτικόν, Lucien, Quomodo historia, etc., 19 ; frigidior hieme Gallica, Pétrone, 19.

[146] Pline, IV, 88 : Gelidis Aquitonis conceptaculis. Cf. Hæbler ap. Wissowa, III, c. 720-1.

[147] Diodore, V, 23, 2 et 5. Diodore parle de la Celtique, et il est possible que, comme le firent si souvent les écrivains grecs, il ait transformé en un fait périodique un évènement exceptionnel ; il est possible aussi qu’il nit étendu à la Celtique ce qu’il avait appris des fleuves de la Germanie ou de la Sarmatie, ou, plutôt encore, qu’il ait simplement répété ce que des écrivains du IVe siècle disaient de la Celtique, entendant par ce mot surtout la région de l’Elbe et de l’ambre (cf. ch. VI, § 1).

[148] Ammien, XXXI, 10, 4 (en février 377, près du lac de Constance), etc. Cf. Der Rheinstrom, 1889, p. 210-7.

[149] Pars mundi damnata a reram natura et densa mersa caligine (Pline, IV, 88). Cœlum... nubilis fœdum (Tacite, Agricola, 12). Strabon (IV, 3, 2) remarque que chez les Morins et les Ménapes (Boulonnais et Flandre) le brouillard, même quand le temps est beau, ne permet pas de voir le soleil plus de trois ou quatre heures, aux alentours de midi.

[150] C’est encore à Pythéas que sont dues les premières observations précises sur les courtes nuits ou les jours brefs des pays du nord ; cf. Pytheæ fragmenta, éd. Schmekel, 1848, n° 14-21. Strabon, II, 1, 18 ; Pline, II, 187 ; Tacite, Agricola, 12.

[151] Cf. Strabon, II, 4, 1.

[152] C’est là qu’apparaissent les premières vignes.

[153] Ammien, XV, 10, 1 ; Cicéron, De provinciis consularibus, 12, 29.

[154] IV. 630 : Πύλαι καί έδέθλια Νυκτός ; cf. Alcman, fr. 42 (123), p. 340, Bergk, et Sophocle, Œdipe à Colone, 1248, parlant des Rhipées.

[155] Tout ce récit est fait d’après Timée, et c’est l’amplification poétique d’un voyage entre Rhône et Rhin par les lacs de Genève, de Neuchâtel et de Bienne l’arrêt des Argonautes a pu se produire à La Tène.

[156] Σκοπέλοιο καθ' Έρκυνίου, 640 : les monts Hercyniens, ici les Alpes ou le Jura bien plutôt que la Forêt-Noire.

[157] Apollonius, IV, 627-658 ; cf. le commentaire de De La Ville de Mirmont, Les Argonautiques, 1892, p. 361-3.

[158] César, I, 39 et 40.

[159] Cf. Vidal de La Blache, p. 49.

[160] Julien, Misopogon, p. 341 (438, Hertlein).

[161] César, VII, 8, 2. Voir la commodité, somme toute, d’un séjour au mont Beuvray, même pendant l’Hiver (César, VII, 90, 7 ; VIII, 2, 1). Hirtius dit bien, pour la première campagne de 51, qu’on eut à souffrir frigoribus intolerandis ; mais elle commença à Bibracte le 25 déc. 52, elle finit quarante jours après, et elle se passa toute entière chez les Bituriges (VIII, 2-4).

[162] Cf. Strabon, IV, 1, 2 ; Méla, III, 17 ; Solin, XXI, 1.