HISTOIRE DE LA GAULE

TOME I. — LES INVASIONS GAULOISES ET LA COLONISATION GRECQUE.

CHAPITRE I. — STRUCTURE DE LA GAULE[1].

 

 

I. — ÉTENDUE ET NATURE DE CETTE HISTOIRE

Le nom de Gaule désigna, chez les Anciens, la contrée comprise entre la Méditerranée, les Alpes, le Rhin, l’Océan et les Pyrénées[2]. C’est de cette contrée que je me propose d’écrire l’histoire, depuis environ l’an 600 avant Jésus-Christ jusque vers l’an 400 de notre ère.

La première de ces dates est celle du plus ancien fait dont on ait conservé le souvenir précis, la fondation de Marseille. Et ce fait ne précède que de très peu l’immigration du peuple qui devait imposer son nom à la contrée, celui des Celtes ou des Gaulois. L’arrivée, presque simultanée, des Celtes et des Grecs, des derniers conquérants barbares venus par le nord et des premiers colons débarqués au sud : voilà le point de départ naturel de cette histoire.

Elle peut prendre fin un millénaire plus tard. Au cinquième siècle, l’établissement de Germains, le triomphe du Christianisme, la domination des Francs créent de nouvelles habitudes chez les hommes et annoncent une nouvelle manière de dénommer le pays.

Faire l’histoire de la Gaule[3], c’est raconter et expliquer les changements qui se sont produits dans l’aspect du sol et dans la manière de vivre et de penser des habitants. Fous ne séparerons pas de l’étude de l’humanité celle du terrain qui la nourrit. Le défrichement d’une grande forêt, le desséchement d’un vaste marécage, ont presque autant d’importance, dans les destinées des sociétés, qu’une révolution politique ou qu’un chef-d’œuvre littéraire. Il n’est pas moins utile de connaître la façon dont les populations ont partagé et cultivé la terre, que celle dont elles se sont converties à une religion nouvelle. La diffusion d’une culture, la construction d’une longue route, la formation d’une ville capitale, amènent des conséquences aussi durables qu’une guerre et qu’une loi. Un historien doit donc examiner les rapports de l’homme avec le sol qu’il habite, au même titre que les relations des hommes entre eux.

Il le doit d’autant plus que ces relations sont d’ordinaire déterminées par la terre elle-même. — Presque toutes les guerres, quel que soit le noble prétexte invoqué, naissent des convoitises collectives excitées par des portions de cette terre. Les révolutions qui réussissent sont celles qui changent les maîtres du sol. C’est par les routes naturelles que se règlent les échanges commerciaux ; c’est par elles aussi que s’expliquent la plupart des grandes villes, où se concentre le travail des mains et de la pensée : les cités-mères de la Gaule antique et de la France moderne, Lyon, Paris, Marseille, Bordeaux, Narbonne, Trèves, n’ont crû que parce que leurs habitants ont conformé leur vie à la qualité du terrain et à la situation du lieu. Il n’est même pas de religion, si pure que ses prêtres l’affirment, qui ne reflète l’horizon terrestre et les habitudes des yeux : après de superbes envolées dans l’idéal invisible, les plus puissants dieux eux-mêmes viennent se fixer sur un sommet ou se montrer près d’une fontaine. Enfin, le caractère et le rôle d’un peuple dépendent de la valeur du sol qu’il laboure, de la place de son pays dans le monde, et de la structure même de ce pays : j’appelle structure sa forme, le rapport de ses parties, et la nature de ses limites.

 

II. — LIMITES ET FORME DE LA GAULE.

Si les limites naturelles d’un pays sont de larges accidents du sol qui .l’isolent et le protègent, la Gaule était, en apparence, aussi nettement délimitée et aussi abritée que la Bretagne insulaire et que les presqu’îles d’Espagne ou d’Italie. La mer lui servait de frontière sur la moitié de son pourtour[4], et c’était presque toujours, au nord comme au sud, une mer sans fin visible et tenant tout l’horizon. Elle s’appuyait aux montagnes les plus hautes et les plus massives de toute l’Europe[5]. Le fleuve qui la bordait était le plus important de l’Occident[6] par sa longueur et par la largeur de son lit : La Gaule avait été fermée et fortifiée par la nature, disaient les Anciens, avec un art véritable[7]. — Nous verrons plus loin si l’œuvre était aussi parfaite qu’ils se sont plu à le dire[8].

Les contours de la Gaule étaient à la fois variés et précis. Une élégante diversité égayait ses frontières. La Grande-Bretagne n’a que la mer pour l’enclore. L’Espagne et l’Italie sont des péninsules soudées au continent le long de la ligne, droite ou courbe, que forme une muraille de montagnes. Autour de la Gaule, l’eau courante, les monts et la mer alternaient pour faire une ceinture continue et changeante.

L’orientation de la frontière se modifiait aussi souvent que son aspect. — Suivons-la, en partant de Monaco, depuis cette montée de La Turbie qui marquait le point où la chaîne des Alpes expire sur la rive de la mer Intérieure[9].

De l’est à l’ouest, le rivage méditerranéen se présente en une double courbe. Renflé d’abord vers le sud, il avance dans la mer de Sardaigne[10] les vives arêtes de ses caps et les échancrures de ses baies[11]. — Puis, aux abords de Marseille, il se replie vers le nord[12], ramenant dans l’intérieur des terres la longue ligne, basse et régulière, blanche et sablonneuse[13], du golfe Gaulois[14] et du pays de Narbonne.

Lorsque, au delà de cette ville, la côte redescend obstinément au sud vers les terres africaines, les Pyrénées s’approchent alors, montrent les forêts de pins de leurs sommets[15], rejoignent dans la plaine d’Elne la mer Intérieure, et lui succèdent comme frontière. Désormais, c’est leur chaîne ininterrompue[16] qui va continuer dans le couchant la clôture méridionale de la Gaule. — Mais, comme pour faire pressentir un changement prochain dans la direction de la frontière, la ligne marquée par le faîte des montagnes incline légèrement vers le nord[17].

Chose remarquable ! les deux bases méridionales de la Gaule, si différentes de nature, ont à peu près la même longueur. Il y a 94 lieues, à vol d’oiseau, d’une extrémité à l’autre de la Méditerranée gauloise, depuis Monaco jusqu’au cap Cerbère[18] : il n’y en a que 10 de plus entre les deux termes de la frontière pyrénéenne[19]. Car, au moment où la chaîne de montagnes, dépassant cette longueur, s’étend démesurément vers le plus lointain occident, elle coupe l’Océan Atlantique, pour ainsi dire descendu du nord à sa rencontre, et la limite de la Gaule abandonne les Pyrénées pour prendre, avec la mer, une inclinaison nouvelle.

Depuis le cap du Figuier[20], du fond du grand golfe Gaulois ou de l’Océan Aquitain[21], jusqu’aux embouchures du Rhin, la mer Extérieure nu Grande Mer[22] marque à l’ouest et au nord la fin des terres de la Gaule. Mais, sur les 680 lieues du pourtour océanique[23], c’est, presque à chaque journée de navigation, un nouvel aspect et un nouveau détour du rivage[24].

Passé ces caps et ces baies des Pyrénées du Pays Basque, qui rappellent, à l’autre extrémité de la France, les brillantes corniches et les nettes découpures des Alpes provençales, s’allonge au nord la bande dorée des hautes dunes sablonneuses[25], à peine entamée par l’embouchure indécise de l’Adour[26] et par l’humble passe du bassin d’Arcachon[27]. C’est la plus longue ligne droite de la frontière gauloise, la seule vraiment monotone, une exception dans les traits de la figure harmonieuse de notre pays.

Mais au delà de la large coupée de la Gironde[28], les sinuosités recommencent, les rivages s’infléchissent vers le nord-ouest[29], et dans leurs replis, les baies et les estuaires viennent s’encadrer de rochers ou de falaises, ou s’évanouir sur les vases des marécages[30]. — A la hauteur du cap Saint-Mathieu[31], ce côté occidental de la Gaule atteint presque la longueur de la base méridionale : alors, juste à temps pour que les proportions du cadre soient conservées, le rivage retourne vers l’est, et la péninsule armoricaine, projetée dans l’Océan, reste en saillie comme l’aile d’un grand édifice[32].

La côte gauloise de l’Océan Britannique[33] a la même étendue que celle du golfe Aquitain, que nous venons de quitter ; mais elle est infiniment plus variée, et c’est peut-être la rive la plus changeante de l’Europe extérieure. Elle va d’abord franchement à l’est, se rejette ensuite brusquement sur le nord, envoie contre la Grande-Bretagne la presqu’île du Cotentin, puis se retourne encore pour pénétrer dans la Seine, se rapproche de nouveau, par une ligne brisée, de l’île voisine, la touche presque, et enfin s’en écarte à jamais pour se perdre dans le dédale des îles de la Meuse et du Rhin. Mais, comme elle s’élève graduellement vers le nord[34] et qu’elle ne cesse d’incliner vers le levant, elle prend l’apparence d’un côté de fronton[35], dont la ligne aurait reçu de capricieuses dentelures[36].

L’embouchure du Rhin[37] était l’angle le plus septentrional de la Gaule, comme le cap Cerbère en était le plus méridional : et ces deux points, par le fait d’une nouvelle symétrie, sont à peu près sur la même longitude, qui est celle de l’axe central de la contrée[38].

Le Rhin, depuis l’Océan Septentrional[39] jusqu’au coude de Mayence, forme, avec beaucoup moins d’élégance, l’autre côté incliné du fronton qui couronne la Gaule. En amont de ce point, la limite naturelle va directement vers le sud, toujours nettement marquée par le cours droit et le large lit du fleuve. Mais au delà du défilé de Bâle, elle se perd dans le fouillis des montagnes et des cours d’eau des hautes terres helvétiques : sur ce secteur central de la frontière de l’est, la nature confuse n’offrait rien qui pût borner les peuples et guider les géographes, et les uns et les autres pouvaient hésiter entre la ligne rentrante du Jura et la demi-lune avancée des contreforts qui bordent le Rhin supérieur[40]. La vraie et franche limite de la Gaule se retrouvait bientôt au mont Adula, source du Rhin[41], et à la Colonne du Soleil, source du Rhône[42] ; et dès lors, plus fortement marquée que n’importe où, elle suit le rempart des Alpes jusqu’à sa dernière corniche, en vue de la mer Intérieure. Et cette frontière de l’est, commencée dans le vague recoin où le Rhin mêle ses marécages aux eaux de la mer du Nord[43], finissait au cap précis et découpé où un rocher des Alpes surplombe la mer du Midi.

Les géographes anciens ont dit que la Gaule était comprise, comme une surface quadrangulaire, entre quatre lignes qui couraient du cap Saint-Mathieu à la fin du Rhin, des Alpes Maritimes au golfe Aquitain[44]. Mais à l’intérieur de ce dessin idéal, c’est, sans relâche, une alternance de courbes et de brisures. De tous les pays de l’Occident, la Gaule était un de ceux qui pouvaient le moins être définis parles formes régulières d’une figure géométrique[45]. On disait de la Grande-Bretagne qu’elle ressemblait à un triangle[46] ; l’Italie obliquait vers le sud-est ses lignes parallèles[47] ; l’Espagne avait l’apparence massive d’une large peau de bœuf, disgracieux pentagone qui s’attachait aux Pyrénées[48]. Mais, si les frontières de la Gaule ne s’écartaient jamais d’un centre et d’un axe théoriques[49], leurs ondulations et leurs retours donnaient à la contrée qu’elles encadraient l’aspect d’une façade harmonieusement découpée.

 

III. — ANGLES EXTRÊMES.

Il est de certains coins du sol où l’observateur qui réfléchit et le passant banal perçoivent également la sensation de la rencontre de deux mondes différents. Les angles extrêmes de la Gaule étaient, précisément, des fins de terre. En Armorique, la pointe du Raz marque la mort de l’humanité même, dans ce gouffre aux bruits formidables où paraissent s’entrouvrir les régions d’en bas, et les Anciens plaçaient près de là une des colonnes d’angle qui font reposer la voûte du ciel sur le plancher de la terre[50]. A l’ombre du cap du Figuier, on aperçoit, à droite et à gauche, les rivages opposés de la France et de l’Espagne qui s’écartent et s’enfuient dans des directions contraires : et, lors de ces fréquentes tempêtes de l’ouest où tous les vents du large viennent se déchaîner dans la Bidassoa, l’air et l’Océan se mélangent pour séparer les deux pays[51]. Du côté de la mer Intérieure, la masse de roches proéminentes que les Pyrénées jettent dans les flots du cap Creux[52] cachent l’un à l’autre le golfe Gaulois et le golfe des Baléares. Sur la côte provençale, c’est à la montée de La Turbie et à la puissante croupe du rocher de Monaco que les rivages hospitaliers et les vallées heureuses de la France méridionale font place aux ravins pierreux et à la côte inhumaine de la Ligurie italienne[53]. Enfin, quels aspects différents de la terre aux approches des bouches de l’Escaut ! A l’ouest, c’est une côte droite et visible, un arrière-pays encore pointé de monticules ; à l’est, c’est un sol qui semble improvisé, plus bas que la mer même, un monde inachevé d’îles, d’eaux et de marécages, qu’on peut à peine distinguer des flots qui l’oppriment et de la brume avec laquelle il se confond : et ceux qui habitaient là paraissaient les derniers des hommes[54].

 

IV. — MONTAGNES CENTRALES.

Ce qui donnait à la Gaule son caractère propre, son indépendance physique, ce n’étaient pas seulement la netteté et les proportions de ses frontières : l’Espagne, elle aussi, se présente dans un cadre régulier et des limites précises, et elle est cependant la région de l’Europe qui a la moindre unité. L’harmonie de la Gaule, son élégance et sa force, tenaient moins au dessin de ses contours qu’à celui de sa structure intérieure, de ses montagnes et de ses plaines, de ses vallées et de ses fleuves[55] : A voir leur disposition, disait Strabon[56], on croirait qu’elle est l’ouvrage de la Providence et d’un calcul réfléchi, et non pas celui du hasard.

D’une part, les montagnes les plus élevées de la Gaule, les Alpes[57] et les Pyrénées[58], sont en bordure sur ses frontières : les principaux sommets de l’une et de l’autre chaînes ont une hauteur double et triple des cimes maîtresses de la France centrale. D’autre part, les monts les plus puissants de l’intérieur, le mont Dore, le Mézenc, le Lozère, le Puy de Dôme ou les Ballons vosgiens ont moins de deux mille mètres[59], et ne connaissent pas les neiges éternelles : ce qui les rend accessibles à la vie, au passage des hommes et au culte des dieux ; leur existence ne se sépare pas de celle des plaines qui leur sont soumises. Le système montagneux de la Gaule lui offre donc un double rempart extérieur, auquel elle s’adosse, et lui évite les grandes chaînes médianes, qui mettraient entre les peuples d’incommodes barrières : il la protège contre le dehors, il ne brise pas la circulation intérieure.

Le principal massif, auquel les Anciens donnaient le nom de Cévennes[60], est un vaste socle, d’une hauteur supérieure à cinq cents mètres, qui s’étend entre le seuil de Lauraguais et la descente du Rhône, entre les hautes vallées de la Vienne et de la Saône. Il s’applique, en une ellipse de 70 lieues de grand axe[61], presque au beau milieu du pays, comme une plate-forme énorme qui serait la citadelle de la Gaule.

Entre ce plateau et les hauteurs correspondantes des chaînes du dehors, se déroule un anneau continu de tranchées et de plaines, dont la largeur n’est presque jamais inférieure à dix lieues. La coupure la plus étroite, celle du midi (seuil de Lauraguais ou col de Naurouze), est précisément la plus basse et la plus facile : et c’est moins un col entre des montagnes qu’un détroit de terres planes. La brèche la moins profonde, celle du nord (Auxois, plateau de Langres, Faucilles), offre, sur ses deux versants, des pentes douces et des vallons aisés[62].

Les montagnes propres à la Gaule dominent donc toutes ses vallées, mais les laissent communiquer entre elles. Elles ne morcellent pas la contrée, comme l’Apennin dédouble l’Italie péninsulaire, comme les plateaux de l’Espagne la déchiquètent en bassins isolés. Les géographes anciens faisaient des Cévennes une échine ou une arête qui partait des Pyrénées et finissait au coude du Rhône[63], et c’est en effet la direction que suit le faîte du partage des eaux. Mais l’expression était impropre : ils songeaient trop à retrouver en Gaule de longues chaînes continues semblables à celles qui traversaient l’Italie et la Grèce. L’échine est l’axe d’un corps : les Cévennes étaient le noyau autour duquel les plaines s’étageaient.

 

V. — MASSIFS ISOLÉS

Le massif (ventral formait ainsi un motif d’unité : il était un puissant élément de coordination des terres gauloises. Toutes les mers qui bordaient la contrée recevaient des eaux venues des plateaux de l’Auvergne : Lyon et Paris, Arles et Rouen, Narbonne, Nantes et Bordeaux sont en partie solidaires des montagnes du milieu.

Mais, dans l’enceinte que les Anciens assignaient à la Gaule, surgissaient d’autres corps de montagnes : — C’étaient d’abord les rameaux avancés des chaînes mêmes de la frontière, le Jura et ses plateaux[64], les Corbières et les Petites Pyrénées, les Alpes du Dauphiné et celles de la Provence[65], qui, tous, recouvrent une large surface de pays. — Puis, c’étaient deux massifs isolés, près des rivages et des fleuves les plus éloignés du soulèvement central.

Au nord-est, — à gauche de cette vallée du Rhin, qui, partie du point le plus excentrique de la Gaule, tend à s’éloigner le plus possible de l’Océan français, — se dressent, des deux côtés de la ligne médiane de la Moselle, ici, la chaîne des Vosges[66], et là, le Haut Pays que hérissent les bois continus des Ardennes[67]. Ces deux groupes de terres élevées, Ardennes et Lorraine, réunis plutôt que séparés par l’étroit couloir d’une longue rivière, constituent, entre le Rhin et la plaine de Champagne, entre les marais de Flandre et la trouée de Belfort, une puissante région autonome, ayant, comma le plateau Central, ses sommets isolés, sa ceinture régulière de sillons, et son réseau fluvial, dirigé vers le nord[68].

Au nord-ouest, la presqu’île avancée de l’Armorique[69] possède sa chaîne montagneuse et ses fleuves à elle, sans lien avec le massif et les vallées du centre de la France : de la même manière que, rejetée au loin vers l’ouest, elle a sa mer particulière et son horizon d’Océan.

Mais les monts de l’Armorique et le système mosellien sont peu de chose comme hauteur et comme étendue ; ils n’ont, sous leur dépendance qu’un petit nombre de vallées, et que les plaines les plus étroites ou les moins heureuses de la Gaule. S’ils sont aux extrémités de la contrée, ils se rattachent au centre par des voies faciles. L’Armorique commence à l’endroit précis où finit la Loire, le fleuve diagonal de la Gaule. Les Vosges s’unissent au plateau de Langres par le seuil des Faucilles, et, quoique leurs eaux relèvent surtout du grand fleuve du nord, elles font naître la Saône[70], cette source extrême du bassin français qui regarde le plus le midi. Enfin, les chaînes frontières, Jura, Alpes et Pyrénées, descendent vers le lit des grandes rivières gauloises, et vont à la rencontre des pentes venues des Cévennes. — Tous ces massifs extérieurs pourront devenir, en face de la Gaule propre, des îlots de vie séparée : mais ils ne seront jamais des centres de vie rivale, des causes d’irrémédiable dislocation.

 

VI. — LES PLAINES : HAUTS ET BAS PAYS.

Massifs plutôt que chaînes, les montagnes de la France ressemblaient plus à des donjons qu’à des barrières[71] : et c’était leur principal avantage. Elles en avaient un autre, plus important encore pour la vie sociale, qui était de n’être ni continues ni compactes, de se laisser couper par des vallées profondes ou des plaines largement ouvertes. — Le parfait équilibre et la proportion juste entre hauts pays et terres basses est un des traits dominants du relief de la Gaule, et, comme auraient dit les Anciens, un des bienfaits de la nature qui l’a construite[72].

A chacun des corps de montagne correspond une étendue presque égale de sol aplani. Le massif Central s’unit aux trois grandes plaines du bassin de Paris, de la vallée de la Loire, de l’Aquitaine girondine. Aux Pyrénées répondent les Landes et le Bas Languedoc ; aux Alpes, l’enfoncement du Rhône ; au Jura, les terres bourguignonnes de la Saône. L’Alsace fait face aux Vosges, et la Flandre aux Ardennes.

Il n’est pas jusqu’aux moindres montagnes qui n’aient leurs plaines compensatrices. Les monts de l’Armorique sont encadrés par les pays d’en bas ; les collines de Normandie flanquent les vallons dégagés du Calvados, et celles du Perche voisinent avec la plaine de la Beauce. Le long des marais vendéens s’inclinent les hauteurs de Gâtine, les Alpines ferment l’horizon des carrefours du Rhône, et, dominant les terres basses que recouvre Paris, se dresse le mont Valérien.

Les chaînes puissantes de la frontière sont percées, à une ou deux journées d’intervalle, de tranchées assez fertiles pour abriter et pour nourrir des tribus d’hommes[73]. Dans les grandes Alpes gauloises, les vallées du Var, de Barcelonnette, du Queyras, du Briançonnais, de la Maurienne, de la Tarentaise, du Faucigny et du Valais alternent régulièrement avec les lourds massifs aux neiges éternelles. Les Pyrénées du nord sont dentelées en une vingtaine de couloirs parallèles, par où pénètrent jusqu’au pied des plus hauts sommets les prairies, les vergers et les cultures.

Les massifs de la Gaule du milieu et de l’est sont entamés par des fissures plus profondes encore. Entre le soulèvement des Vosges et celui des Ardennes, la faille de la Moselle s’allonge, verdoyante et fertile, l’espace de 128 lieues. Le plateau Central est coupé en deux par les vallées de la Dheune et de la Bourbince, qui détachent nettement le Morvan du bloc arverne et cévenol. A l’intérieur même de ce dernier, le long de la Loire, de l’Allier, de la Creuse, de la Vienne, de la Vézère, de la Dordogne, du Lot, du Tarn et de l’Ardèche, de longues bandes de plaines découpent les rayons d’un éventail ; et, — ce qui est le plus saisissant peut-être des contrastes du sol français, — c’est au cœur des Cévennes, au pied d’un de leurs principaux sommets, dans le cadre formé par les hauteurs les plus chaotiques de la Gaule, que s’étend la plaine de la Limagne, le lac de verdure[74] le plus uni, le plus riche, le plus gai de la France toute entière.

Ce contraste, nous l’avons, dans des proportions moindres, sur presque tous les points de notre sol. Les futures capitales de la Gaule ont à la fois leurs collines et leurs bas quartiers, leur acropole et leur plaine. Fourvières se dresse en face du confluent marécageux de Perrache ; la montagne Sainte-Geneviève projette son ombre sur la Cité ; les coteaux de Lormont et de Cenon menacent Bordeaux de la rive opposée du fleuve. Vue de la haute mer, la région de Marseille semble n’être qu’un amas de rochers aigus et stériles, entr’ouverts seulement pour faire place aux eaux calmes du port phocéen : mais, que l’on s’approche de la rive, et l’on aperçoit, au pied même de la colline qui ferme le port au midi, une échancrure beaucoup plus profonde, celle de la vallée de l’Huveaune[75], dont la plaine d’alluvions épaisses étale au loin ses prairies et ses arbres fruitiers entre les cimes grisâtres des dernières Alpes Provençales[76].

Aussi, presque nulle part, la vie régionale n’est faite uniquement de la plaine ou de la montagne, et ce mélange, qui est l’expression de la variété dans la nature, sera, dans la Gaule, une des conditions principales de l’organisation sociale et des progrès humains. La division des pays de la France en hautes et basses terres est celle que l’on rencontre le plus, et qui est le plus justifiée.

Deux régions font exception à cet égard. Entre la Gironde et l’Adour s’étend la plaine sablonneuse des Landes, où, sur les 25 lieues de la vieille route romaine, de Bordeaux à Dax, le regard lassé subit le même horizon monotone des fougères, des bruyères, des genêts et des pins. A la frontière du nord-est, depuis Bruges jusqu’à. Nimègue, s’affaissent, en s’élargissant de plus en plus, les landes, les tourbières et les marécages du pays de Waës, de la Campine et du Peel, et, durant 50 lieues, pèse sur le voyageur la morne impression de bas-fonds humides et de nature endormie. Dans ces deux régions, la plaine règne en maîtresse inféconde. Mais elles étaient l’une et l’autre aux angles extrêmes de la Gaule.

 

VII. — LE GRAND RÉSEAU FLUVIAL.

Ces montagnes et ces plaines constituaient le domaine fixe des hommes, leurs demeures et leurs cultures ; les fleuves traçaient les premières routes, et réglaient les relations entre les tribus.

La direction et les rapports réciproques des fleuves passaient dans l’Antiquité pour le chef-d’œuvre du sol gaulois[77], et les géographes modernes n’ont pas désavoué l’enthousiasme des Anciens. Grecs et Romains, habitués à l’Hellade sans rivières, à l’Espagne et à l’Italie péninsulaire aux vallées en impasse, à l’Égypte et à la Circumpadane qui étaient les créations d’un seul fleuve, furent émerveillés[78] de rencontrer en Gaule cinq grands cours d’eau de longueur presque égale, un réseau de voies fluviales qui embrassait toute la contrée, des sillons pleins de flots, qui, pour s’ouvrir dans des directions divergentes, se complétaient pourtant et semblaient se continuer. Car ce qui fait l’importance d’un fleuve comme route des hommes, c’est moins la pente de son lit et le volume de son débit, que le sens et la place de sa vallée : qu’il soit ou non navigable, il est un chemin, alors même qu’il ne porte pas.

Le Rhône[79], le grand fleuve celtique de la mer Intérieure, pouvait être regardé comme l’axe de vie de toute la contrée gauloise[80]. Avec la Saône[81], son prolongement naturel[82], il a, depuis Port-sur-Saône jusqu’à la mer, 125 lieues en ligne droite, et c’est la plus longue traînée d’eau, largement étalée, que présente toute la Gaule. — Au nord de la haute Saône, et sauf l’interruption marquée par des seuils de très médiocre élévation, cette vallée est continuée par deux autres grandes voies fluviales qui vont, elles aussi, droit du sud au nord : la Moselle[83], au delà des Faucilles[84] ; le Rhin[85], au delà de la trouée de Belfort. — Au midi, après la fourche d’Arles[86], la vallée du Rhône fait corps avec la plaine allongée du Bas Languedoc, où vient finir le cours de l’Aude[87], la plus méridionale des rivières utiles de la Gaule. — Ainsi, depuis le delta du Rhin, qui marque l’extrémité orientale de la Gaule du nord et de son Océan extérieur, jusqu’à la plaine du Roussillon, qui finit à l’occident la Gaule du midi et sa mer Intérieure, un vaste chemin de ronde courait sans obstacle autour des montagnes centrales[88]. Et c’était une des plus superbes routes que la nature eût tracées pour des peuples en marche : je dirais volontiers la plus belle de toute l’Europe, s’il n’y avait celle du Danube, qui, dans la direction du- sud-est, correspond à l’artère gauloise, tournée vers le sud-ouest. Peut-être est-ce la commodité de cette voie, presque toujours suivie par des eaux profondes et abondantes, qui faisait croire aux conteurs de légendes qu’un vaisseau hardi pouvait, en remontant le Rhône, pénétrer jusqu’au fleuve Océan[89].

Au premier abord, un chemin semblable manquait à l’ouest de la Gaule. Le versant extérieur renferme trois vallées, toutes perpendiculaires à l’axe rhodanien. Mais ce n’est qu’une disposition apparente. De ce côté, les cours des fleuves ou de leurs affluents se présentent toujours de telle sorte qu’ils forment en réalité les secteurs d’un seul chemin, partant du coude toulousain de la Garonne pour finir aux eaux de la Meuse. — La Garonne[90], en effet, incline toujours vers le nord ; le seuil de Poitou, qui sépare ses eaux de celles de la Loire, n’a aucune hauteur gênante ; la Loire, ensuite, se rapproche, par le cintre de son cours moyen, du bassin de la Seine, et la Beauce uniforme semble réunir et confondre les deux vallées ; près de Paris, enfin, le lit de l’Oise, continué, au dehors du seuil de Vermandois, par ceux de la Sambre[91] et de la Meuse, achève de marquer la grande route du couchant.

Ces deux voies de longitude sont les lignes souveraines de la Gaule. Au nord, elles se rejoignent et se confondent dans l’archipel meusien. Au centre, au sud, elles sont sans cesse croisées par des vallées de latitude qui unissent les terres et les eaux du versant méditerranéen aux bords les plus opposés de l’Océan Gaulois. — Je dis les plus opposés : car la Garonne, la Loire et la Seine, qui forment ou qui continuent ces chemins traversiers, se trouvent être et parallèles, et séparées l’une de l’autre par des espaces égaux, et terminées sur les trois fronts principaux de l’Atlantique, comme pour laisser le moins possible de rivages à l’écart de leur influence[92] : la Garonne arrive à l’extrémité de la bande rectiligne des dunes[93], la Loire, à la base même de la péninsule armoricaine, la Seine, au beau milieu de l’Océan Britannique. — Hais la Gaule étant occupée au centre par un soulèvement d’épaisses montagnes, il était à craindre qu’il ne fit obstacle à la rencontre des voies. Par bonheur, les trois vallées de l’Océan le pénètrent très profondément, et des cols faciles les prolongent, par-dessus la ligne de faite, jusqu’à la tranchée rhodanienne[94].

On a parlé déjà du col de Naurouze ou de Lauraguais, entre l’Aude et la Garonne, le plus nettement tranché, le plus bas, le plus gaîment encadré de tous les seuils qui unissent les eaux des deux mers : c’est vraiment une des vertus du sol français que ce merveilleux passage, où le voyageur, sans la fatigue d’une montée, sans voir même changer les nuances du ciel et les lignes de l’horizon, quitte le monde de la Méditerranée pour celui de l’Océan[95]. — Au nord, les routes du plateau de Langres, celles de l’Auxois, l’Ouche rapprochée de l’Arroux, la Dheune touchant à la Bourbince, empêchent les monts du centre de faire une masse compacte avec le Morvan et les Vosges, et ouvrent l’accès du Rhône aux voyageurs de la Marne, de la Seine[96] et de la Loire. — Au cœur même des grandes montagnes, la vallée de cette dernière fait intervenir ses affluents supérieurs, qui creusent des brèches dans la masse rocheuse, qui taillent des gradins que l’homme puisse gravir pour redescendre vers les terres du levant et du midi. Entre la Loire forésienne et les approches du confluent de Fourvières, s’élève ici la rude montée de Roanne à Tarare, le grand passage de Lyon[97], et là s’encaisse, au pied du mont Pilat, le couloir bruyant du Jarez[98]. Plus au sud encore, les sources de la Loire vellave touchent presque celles de l’Ardèche et de ses affluents, qui descendent en torrents vers Avignon et Arles, derniers rendez-vous des eaux rhodaniennes ; et si, entre les unes et les autres, il y a la pénible ascension des cols, tels que celui du Pal[99], c’est l’affaire, au plus gros de l’hiver, d’une souffrance de quelques heures. Même sur ce point, la muraille des Cévennes présentait un créneau praticable[100].

Tel est, par là, le rôle spécial de la Loire[101]. Elle seule, de tous les fleuves français, pénètre fort avant dans la citadelle montagneuse du centre ; elle seule, également, se rapproche à la fois des régions les plus différentes de la vallée rhodanienne, de Dijon, de Mâcon, de Chalon, qui commandent au nord cette vallée, de Lyon et de Vienne, qui en marquent le centre, d’Avignon et d’Arles, qui la maîtrisent au midi. Cette même Loire encore, qui de tous les fleuves gaulois était le plus constamment en rapport avec le grand courant de l’est, conciliait en occident les vallées du nord et du sud, de la Seine et de la Garonne. Et enfin, son embouchure s’éloignait plus que toute autre vers l’ouest, attirant à sa vallée les terres extrêmes de l’Armorique. Des cours d’eau de la Gaule, la Loire était celui qui servait le plus à la liaison de la contrée.

Comment donc ne pas admirer, disait le géographe Strabon, cette concordance parfaite et presque ce pacte entre les fleuves et entre les mers ? C’était la terre, et il le répétait, des dispositions heureuses. Nulle n’était bâtie sur un plan plus régulier, dans une aussi complète imité[102].

 

VIII. — VALLÉES SECONDAIRES.

En dehors de ce réseau coordonné, la Gaule possédait quelques rivières secondaires situées aux extrémités du pays, des vallées séparées du cadre régulier formé par les grandes voies fluviales : l’Adour[103], qui borde à la fois la plaine des Landes et les dernières pentes des Pyrénées ; les rivières côtières du Roussillon[104] et de la Provence[105] ; les petits fleuves et les ruisseaux de l’Armorique[106] ; et le vaste bassin de l’Escaut[107]. — On peut écarter les cours d’eau de la Picardie et de la Normandie[108], dont les lits convergent vers la baie ou les affluents de la Seine, ainsi que ceux d’entre le Rhône et l’Aude, qui appartiennent au même bassin que leurs deux puissants voisins[109]. On peut aussi ne point parler de la Charente, qui s’enchevêtre, près du seuil de Poitou, dans les tributaires de la Loire et de la Garonne[110].

Mais les autres petites vallées, qui touchent toutes à la frontière, desservent les pays les plus éloignés du centre. Et ces pays, en outre, pour des causes différentes, sont déjà prédisposés à l’isolement : l’Armorique, par l’Océan qui l’enserre ; le Roussillon, par les Albères et le Canigou ; la Provence, par ses Alpes et leurs dépendances ; le bassin de l’Adour, par l’immensité de la plaine et de la forêt des Landes ; celui de l’Escaut, par l’étendue de ses marécages.

Pourtant, même à ces angles extrêmes de la Gaule, ces vallées lointaines sont rattachées aux grandes voies centrales par des chemins fort accessibles. L’Escaut part du seuil de Vermandois, et peut paraître un affluent de la Meuse ou du Rhin[111]. La Vilaine armoricaine fait voisiner son embouchure avec celle de la Loire[112]. L’Adour associe dans une même plaine ses affluents et ceux de la Garonne. Et, — ce qui est une des plus heureuses combinaisons de notre sol, — l’Argens et l’Arc, ces fleuves jumeaux de la Provence, coupent en deux les Alpes méridionales par une longue ligne droite et horizontale, qui s’attache d’un côté au port de Fréjus, et qui se soude de l’autre à la plaine du carrefour arlésien[113]. — Ainsi, dès que l’on constate en Gaule un élément de séparation ou de discorde, il apparaît aussitôt une cause centrifuge qui le combat et qui rétablit l’équilibre.

 

IX. — PRINCIPALES RÉGIONS MARITIMES

C’est aussi un élément de vie autonome et distincte que la mer, ses rivages, ses caps et ses îles. Elle a, comme la terre, ses routes et ses carrefours, de bons et de mauvais pays, je veux dire ses eaux de solitude et ses eaux d’attraction. Les mauvais pays de mer, ce sont les flots qui secouent les plages des sables landais, sans ouverture et sans courbe, ceux qui se brisent sur les rochers et les têtes d’écueils de la baie du Calvados, ou ceux qui meurent sur les flèches blanchâtres qui ferment les étangs du Languedoc. Les régions heureuses, ce sont les petites mers, à demi closes, qui s’arrondissent entre des rives hospitalières et des îles protectrices, tels qu’étaient les parages de Tyr ou de Cadix, de Carthage ou du Pirée : sortes de plaines d’eau à la fois ouvertes et abritées, qui donnaient aux hommes et aux vaisseaux cette sécurité et cette audace d’où naissent les empires maritimes.

Les rivages de la Gaule offraient trois ou quatre de ces résidences destinées à des maîtres de la mer.

Sur la Méditerranée, c’était le bassin de Marseille. Entre les vigies de deux rochers s’ouvre un canal, étroit et sinueux[114], qui conduit à un port profond et régulier[115], long et large, aux eaux éternellement tranquilles, qu’une colline en forme de théâtre abrite contre le Mistral du nord-ouest[116] ; au-devant de la passe, regardant la haute mer, s’alignent les îles Pomègue et Ratonneau, pour abriter les routes de l’entrée contre les plus fortes tempêtes et pour en écarter les dangers qui viennent des hommes[117]. C’était là un de ces ports de retraite, de salut et de joie, rêvés par les marins de jadis, et dont ils disaient, dans leurs récits ou leurs chansons, que les vagues ne s’y soulèvent jamais, et qu’ils sont l’empire du calme transparent[118].

Les domaines de l’Atlantique pouvaient être partagés entre trois golfes souverains. — A la hauteur de la Charente, le rivage s’échancre pour faire place à la merde Saintonge, bordée par la puissante ceinture des îles de Ré et d’Oléron[119], et que La Rochelle surveille et gouverne du fond de son anse et du pied de ses falaises[120]. — Du Croisic à Quiberon, en arrière de Belle-Isle et d’un long chapelet d’îlots[121], le Morbihan ouvre à la mer ses détroits et ses fosses ; et, avec son alternance de courants redoutables et de sommeil absolu, il paraît l’image même de la vie du marin, faite de courses hardies et de repos confiant[122]. — Entre l’Armorique et le Cotentin, les baies de Saint-Malo et du mont Saint-Michel, commandées de loin par l’archipel des îles Normandes, peuvent aussi donner naissance à une patrie maritime[123].

Mais, même sur la mer, ces patries lointaines ne sauraient vivre détachées de l’ensemble français. Des routes fluviales très voisines excitent les nations maritimes à chercher leurs intérêts au centre même de la Gaule. Le port de Marseille fait face, à dix lieues de distance, au grau du Grand Rhône[124] ; la mer de Saintonge est le vestibule de la Gironde ; les pécheurs du Morbihan ne s’enrichiront que si la Loire leur prête les débouchés de sa vallée.

 

X. — PRINCIPALES RÉGIONS CONTINENTALES. NORD ET SUD

Malgré tout, il était naturel que les forces de cohésion, qui serraient si vigoureusement la masse centrale de la Gaule, agissent plus faiblement sur les extrémités : les régions montagneuses des Alpes et des Pyrénées, la Provence et la presqu’île armoricaine, les plaines de la Gascogne et de la Flandre, les terres du double massif mosellien, étaient destinées à ne suivre que de loin, et parfois à ne pas ressentir les impulsions parties de la Gaule intérieure. Elles seront toujours les dernières venues dans les périodes de concentration politique.

Dans le corps même de l’édifice central, la direction des cours d’eaux et la nature du sol pouvaient déterminer chez les habitants des intérêts séparés et des tendances distinctes, origine d’ententes durables et d’États autonomes. Il suffit de jeter un coup d’œil sur une carte physique intelligemment faite[125] pour saisir sur-le-champ les raisons géographiques de grands groupements régionaux[126]. — A gauche et à droite de la Loire, les deux plateaux de l’Auvergne et du Morvan se dressent en rivaux éternels, surplombant tous deux, au levant, la vallée rhodanienne, mais, au couchant, penchés vers des directions différentes, l’Auvergne vers la Loire, et le Morvan vers la Seine. La plaine d’Aquitaine, avec ses rivières convergentes[127] qui se fondent en un seul bras de mer ; le bassin de Paris, avec le rayonnement de ses routes fluviales[128] ; la vallée de la Loire tourangelle, avec le double éventail de la Maine et des affluents de gauche[129], sont autant de régions naturelles ayant chacune son centre, ses voies propres, sa vague ceinture. La plaine du bas Rhône et celle de l’Aude, qui se font face, sont rattachées l’une à l’autre par la courbe de leur rivage et le chemin au pied des monts. Il en va de même des vallons du Calvados et de la vallée inférieure de la Seine, qui encadrent l’enfoncement du golfe normand. — Je ne parle ici que des contrées les plus étendues : Auvergne et Bourgogne, Ile-de-France et Normandie, Anjou, Aquitaine et Languedoc, le sol de la France créera et recréera sans cesse ces êtres régionaux, et l’homme aura beau défaire ou disloquer l’œuvre de la nature, ces grandes divisions reparaîtront toujours dans l’histoire.

Enfin, et c’est là le principal élément de réaction contre l’unité de la Gaule, toutes les régions comprises entre ses limites avaient une invincible tendance à se grouper en deux zones suivant la latitude, en Nord et Sud.

Le rapprochement suivant la longitude n’a jamais été, en France, que superficiel et passager. Tous les États auxquels il a donné naissance, la Lotharingie, l’État angevin, l’Empire bourguignon, n’ont eu qu’une existence précaire, parce qu’ils ne correspondaient ni à des intérêts communs ni à des habitudes pareilles, parce qu’ils contrariaient la disposition naturelle, les coupes et les routes normales de notre sol. En revanche, les régions de môme latitude, fussent-elles sous des maîtres différents, se sont souvent estimées solidaires, ont été disposées à s’entendre, se sont accoutumées à parler la même langue, à envisager la vie de la môme manière. Il s’est formé, à de certaines époques, et très éloignées les unes des autres, un esprit du Nord et un esprit du Midi, comme si deux grandes patries, faites de sentiments opposés et de propos hostiles, étaient possibles dans les frontières de la Gaule.

La cause principale de ce groupement par latitude, qui s’impose à presque tous les peuples de l’Europe, est évidemment le climat, avec ses conséquences sur l’aspect du ciel, les productions du terrain, les modes de la vie matérielle, et l’humeur môme des hommes. Le Midi, c’était, dans la Gaule, le pays des horizons clairs, des teintes bleues du ciel et de la mer, des terres sèches et des verdures persistantes, de la vie en plein air et de la vigne en plein sol : si éloignées que les Pyrénées soient de sa demeure, le Ligure de Nice peut se ressouvenir du terroir natal lorsqu’il longe les caps du Pays Basque ou ceux du Roussillon. Le Nord a les grisailles de ses cieux et de ses flots, l’éternelle crainte des intempéries, ses terres humides et ses gras pâturages, ses boissons faites de fruits mûris presque sans chaleur : la Flandre, la Bretagne et la Normandie regardent la même mer et demandent à leurs terres les mêmes cultures[130].

Cette opposition que le climat peut mettre entre les contrées du nord et celles du midi, était accentuée, en Gaule, par la disposition des vallées et par la direction des voies naturelles.

Le Midi, c’était aussi la route du Rhône, de l’Aude et de la Garonne, qui se recourbe au pied des Cévennes, et qui se déroule sans obstacle, de Vienne à Avignon et à Marseille, et d’Arles à Toulouse et à Bordeaux ; ce sont ces régions de vie aisée et joyeuse, qui bruissent le long du grand passage, abritées contre le nord par les plus hautes montagnes gauloises : va-et-vient incessant d’hommes, agrément du chemin et du pays, habitude d’un même ciel et usage de terres semblables, tout y développait ces instincts de voisinage qui associent les tribus humaines.

Le Nord, c’est surtout la large surface de plaines qui se déploie, en une vaste sinuosité, de l’embouchure de la Loire à celle de l’Escaut : mais la cohésion propre des régions septentrionales réside dans l’ordonnance du bassin de la Seine. Ce bassin est, dans toute la Gaule, le lieu de concentration de voies fluviales le plus habilement disposé. Il en vient là, de ces voies, de tous les points de la France du nord : prolongez la Marne ou l’Aube vers l’ouest par une ligne droite, et cette ligne se confondra avec le val de Loire et le seuil de Bretagne ; suivez au nord la direction de l’Oise, et volis arriverez, par la Sambre et la Meuse, aux marais de la fin de la Gaule : l’estuaire de la Seine est exactement à mi-route entre les pointes du Finistère et les embouchures du Rhin.

Tandis que les terres du Midi ne sont qu’un long sillon sans autre unité que celle de leur climat et de leur route, les terres du Nord forment, à elles seules, un ensemble régulier, un système coordonné. S’il y a, au midi, une vie plus intense, il y a, au nord, plus d’entente, de cohésion, et, partant, plus de puissance.

Enfin, comme cause d’opposition entre ces deux contrées, il faut constater une dernière fois l’existence du massif Centrai., dont le vaste bourrelet ferme au nord les terres de la mouvance parisienne, et borde au sud les avenues que suivent les fleuves méridionaux. — Seulement, l’obstacle rappelé, il faut se souvenir aussitôt de la rapidité avec laquelle on peut le franchir, et de la facilité, plus grande encore, avec laquelle on peut le tourner : si bien qu’entre ces deux contrées opposées et rivales se présentent partout des portes accueillantes ou de larges surfaces de transition ; le Poitou à l’ouest, la Bourgogne à l’est, et le massif Central lui-même, forment une marche naturelle qui rapproche et qui concilie le Nord et le Midi de la terre gauloise.

 

XI. — CAPITALES NATURELLES DE LA GAULE : LYON ET PARIS

Il résulte de cela que le centre géométrique de la Gaule ne deviendra pas le centre de son rayonnement, c’est-à-dire de ses lignes de rapprochement et de ses voies naturelles, de ses intérêts matériels, de ses voisinages sociaux, de la fusion de ses pensées. Il en résulte encore qu’il existe dans ce pays plusieurs grands carrefours, vers lesquels les hommes se dirigent pour s’entendre et s’unir.

On cherchera le centre géométrique dans la haute vallée de la Loire, là où s’élevèrent les principales villes gauloises : Avaricum ou Bourges, au milieu de la plaine berrichonne ; Gergovie, prés du Puy de Dôme et de la Limagne et sur la route de l’Allier ; Bibracte, sur le mont Beuvray, au flanc méridional du Morvan, face à la voie de l’Arroux ; Orléans enfin ou Génabum, sur cet arc septentrional de la Loire où les Celtes eux-mêmes plaçaient le nombril mystérieux et sacré, le milieu de toute la Gaule[131]. Chacun de ces points pouvait passer peur être à peu près à égale distance de toutes les frontières et de tous les angles. Mais, s’ils sont placés tous les quatre sur d’importantes voies de circulation, aucun d’eux n’est à un croisement de rivières nombreuses, et ce sont les rencontres de routes multiples qui font les cités maîtresses et capitales.

De ces cités, j’en vois deux sur le sol gaulois.

Dans le Nord, le bassin de la Seine et ses dépendances ont pour carrefour central l’îlot de la Cité parisienne. Au sud-est, par la Seine, l’Aube et la Marne, débouchent à l’angle de Charenton les routes de la vallée de la Saône ; la pointe de Conflans et la plaine de Saint-Denis voient arriver la route de l’Oise et de Sambre et Meuse, qui vient du Rhin lui-même ; au sud, le Loing, qui part de Moret, l’Essonne, qui se détache des marais de Corbeil, vont souder leurs vallons aux deux lignes de la Loire, à celle qui d’Orléans fuit vers l’Armorique, et à celle qui de Gien remonte vers les Cévennes ; en aval enfin, les eaux de la Seine maritime sont le point de départ du réseau des voies qui sillonnent l’Océan Britannique. Paris commande donc à toutes les régions comprises au nord du massif Central[132].

Lyon concentre peut-être plus de routes encore que Paris. Il n’est pas, comme lui, le carrefour d’une moitié seulement de la France, mais il se dresse, a ainsi qu’une acropole, au centre de la Gaule, et près de tous ses quartiers[133]. Fourvières est la tête des voies du Midi ; et, au pied du coteau, la Saône amène le faisceau des trois chemins du Nord, le Rhin, la Moselle et la Seine[134]. De tous les confluents gaulois, celui de Perrache est le plus voisin des Cévennes et de la Loire, montagnes et fleuve de la diagonale géométrique de la France : c’est pour lui que tant d’hommes ont passé par Tarare et par Rive-de-Gier. Il est à la même distance que Paris de la plaine d’Aquitaine, et un peu plus rapproché que lui de la porte du Rhin. Sur Lutèce, enfin, il a l’avantage de présider à toutes les montées des Alpes et à toutes les descentes vers le sud. C’est sur les terres voisines de l’Océan que son action est le moins forte,-comme celles de la Méditerranée échappent à l’action de Paris. — Ne disons pas, au détriment de Lyon, qu’il est trop près de la frontière, marquée de ce côté par les Alpes. Paris, sans doute, est plus loin de la fin orientale de la Gaule. Mais, ce qui fait l’éloignement de la frontière, ce n’est pas le nombre des milles ou des lieues, c’est le temps de la marche, et à ce point de vue Lyon était à plus de journées de l’Italie[135] que Paris de la Germanie[136].

L’un et l’autre carrefours peuvent donc devenir le centre du corps gaulois : Lyon, lorsque les intérêts des peuples tiendront au Midi ; Paris, lorsque les attaches ou les craintes des chefs de la France les attireront du côté de l’Océan et des plaines germaniques. Des rapports de frontières détermineront surtout le choix de la capitale[137].

Et cependant, en regardant à Lyon même ce confluent si franc et si net, ce merveilleux appareillage de routes fluviales, ces rivières et ces percées aussi régulièrement orientées que si elles étaient l’œuvre d’un calcul augural, cet horizon formé des montagnes souveraines de la France, Alpes et Cévennes, ce spectacle, tantôt des blancs sommets de la frontière, tantôt des masses noires et profondes du Centre, cette fuite rapide vers la Méditerranée, cette lente ascension vers la Seine, le Rhin et la Loire, je ne puis m’empêcher d’admirer ici l’ombilic éternel de la Gaule entière[138].

 

XII. — CARREFOURS RÉGIONAUX

En dehors de ces deux lieux de foire universelle, la Gaule possédait, dans chacun de ses bassins, des carrefours de vallées où pouvaient naître de grands « marchés », capitales régionales, terrains de rencontres plus fréquentes et de demeures plus tassées. Comme les fleuves et les routes de la Gaule sont sur le pourtour du pays, c’est là, et non au centre, que se lieront les principaux nœuds des voies naturelles et des relations humaines.

Au sud, le rivage de la Méditerranée et les plaines qui le bordent sont croisés par deux lignes fluviales, celle du Rhône et celle de l’Aude : Narbonne et Marseille répondent à ces deux croisements. Celle-là est dans le bas-fond où aboutissent les vallées du Roussillon et du Languedoc et la voie du Lauraguais. Marseille n’est pas sur le Rhône : niais c’est le carrefour rhodanien qui explique son rôle et sa grandeur. Elle naquit de deux faits géographiques : elle est le meilleur port qu’on rencontre en venant de l’est, et par là le terme obligé des routes de la mer de Sardaigne ; et ce terme confine au delta du Rhône, on se réunissent les artères vitales du sud de la France[139]. Et c’est pour cela que, si Marseille et Narbonne peuvent entrer en rivalité, la lutte sera toujours inégale pour cette dernière[140].

A son extrémité occidentale, le passage du Lauraguais touche la Garonne à l’endroit on elle sort des Pyrénées et se retourne vers l’Océan : Toulouse sera le produit de cette rencontre.

Les trois bassins océaniques ont leur vrai centre dans l’estuaire : car c’est là que se mêlent les chemins que sont leurs fleuves et leurs rivières, et que ces chemins rencontrent, avec le flot de la marée montante, les cent routes du rivage et della haute mes. De plus grandes villes se bâtirent donc près des embouchures : Bordeaux., sur le croissant que forme la Garonne, par un dernier repli, avant de s’élargir en bras de nier ; Nantes, sur la colline qui domine, en face des petites îles de la Loire, les confluents de l’Erdre et de la Sèvre ; et, dans les derniers vallons de la Seine, les ports qui s’abritent au pied des falaises de la rive droite, Rouen, Lillebonne on Le Havre : celles-ci, cités souvent sacrifiées dans la vie de la France, victimes de la concurrence de Paris qui est trop proche, et qui suffit à exercer la maîtrise de tout le bassin[141]. — De ces positions de capitale, celle de Bordeaux est seule définitive, autonome et comme royale. L’éloignement de Paris et de Lyon ; le croisement, à son port de la Lune, de la route fluviale et de la grande voie des plaines occidentales de la Gaule ; l’énorme masse de flots qui, au Bec d’Ambès, portent des chemins venus de tous les points de son horizon : tout cela rend Bordeaux nécessaire à un immense morceau de la Gaule. A lui seul, il joue dans le Sud-Ouest le rôle qui, dans le Sud-Est, est partagé entre Narbonne et Marseille : celui de point de départ des courses et des marches vers la mer, vers l’intérieur, vers la frontière espagnole.

Enfin, il fallait une capitale particulière à ces massifs et à ces bassins du Nord-Est dont la Moselle est l’axe et la richesse : et c’étaient les rives de cette rivière qui étaient désignées, par suite, pour la recevoir. Mais si, dans sa vallée, les carrefours sont nombreux, aucun ne s’impose comme centre durable. Celui qu’elle forme avec la Sarre[142], le plus long et le plus indépendant de ses affluents, attirait davantage l’attention[143] : c’est près de là que Trèves s’élèvera.

Tels étaient les traits essentiels de la structure de la Gaule, les éléments internes de sa vie matérielle et sociale ; telles étaient, par suite, celles des causes éternelles de son histoire qui résultaient de son organisme même.

 

 

 



[1] Dufrénoy et de Beaumont, Explication de la Carte géologique de la France, I, 1841, p. 21-34. Reclus, La France, 1877 (dans la Géographie Universelle, II), p. 4 et suiv. ; Schrader et Gallouédec, Géographie de la France, 3e éd., 1890 ; Vidal de La Blache, Tableau de la Géographie de la France (dans l’Histoire de France de Lavisse, I), 1903. p. 9 et suiv., le livre le plus pénétrant qui ait été consacré à la géographie de la France ; Ukert, Geographie der Griechen und Rœmer, II, II, 1832. p. 75-558 ; Forbiger, Handbuch der alter Geographie, III, 1848, p. 109-287 ; Desjardins, Géographie... de la Gaule romaine, I, 1878. — Une fois pour toutes, je renvoie, pour les textes relatifs aux noms anciens des lieux, à l’inestimable répertoire de Holder, Altceltischer Sprachschatz, I, 1890 ; III, 1904 ; III, en préparation. — Je n’ai voulu indiquer, dans ce chapitre et les deux suivants, que les traits essentiels de la géographie physique de la Gaule, et seulement en tant qu’ils peuvent servir il expliquer son histoire. Et j’ai tenu à faire cet exposé, autant que possible, suivant la manière et avec les expressions mêmes dont les géographes grecs et romains ont caractérisé la structure visible du sol gaulois.

[2] Peut-être est-ce Pythéas de Marseille (contemporain d’Alexandre) qui a le premier donné un nom général, et celui de Κελτική, à toute la contrée comprise entre Marseille, les Pyrénées, l’Océan et l’Elbe, au delà duquel il faisait commencer la Scythie (Strabon, I, 4, 3 et 5 ; III, 2, 11 ; et ici ch. X, § 6). Timée de Taormina (contemporain de Pyrrhus) semble distinguer la Celtique, arrière-pays de Marseille, et la Γαλατία, sur l’Océan du Nord (fr. 36 et 37, Didot ; cf. ch. VIII, § 8). Polybe, au second siècle, ajoute une précision ou une frontière de plus, celle des Alpes, lorsqu’il limite, en un endroit, l’expression de Γαλατία au pays compris entre les Pyrénées, l’Italie et les deux mers (III, 59, 7 ; cf. 37, 9) ; concurremment, on employait sans doute encore, de son temps, le mot de Κελτική pour cette même région (Apollodore, fr. 60 et 62). Le mot de Gallia devint prédominant chez les contemporains de Marius et de Cicéron. Ce n’est que depuis César qu’apparaît comme consacrée la limite du Rhin, qui sera désormais classique (De Bello Gallico, I, 1, 3 ; Salluste, Hist., fragments, I, 11, Maurenbrecher ; Cicéron, In Pisonem, 33, 81) ; mais il reste toujours possible que la frontière rhénane ait déjà été indiquée par Posidonius (vers l’an 100).

[3] Sur cette histoire, entre autres : Claude Fauchet, Recueil des Antiquités gauloises et françoises, Paris, 1579 (le premier grand travail critique) ; Amédée Thierry, Histoire des Gaulois, 1re éd., 1828, 3 vol. ; 8° éd., 1870, 2 vol. ; Histoire de la Gaule sous la domination romaine, 1re éd., 1842-7, 3 vol. ; Michelet, Histoire de France, livre 1er (1re éd., 1833) ; Henri Merlin, Histoire de France, 4e éd., I, 1861 ; Schayes, La Belgique et les Pays-Bas avant et après la domination romaine, Bruxelles, I, 1858 ; Bloch dans l’Histoire de France de Lavisse, I, 1900.

[4] Cf. Müller, édit. de Strabon, table IV, Galliæ figura sec. Strabonem ; de même, Reclus, p. 5 et 6.

[5] Eustathe, Comm. in Dionys., 294 (Didot, p. 268) : il traduit le mot Alpe par κλεισούρά, clôture. Cf. Polybe ap. Strabon, IV, 6, 12.

[6] Denys, XIV, 1, 2 ; Diodore, V, 25, 4.

[7] Josèphe, De B. J., II, 28 (16), 4. Ammien, XV, 10, 1. La similitude de ces deux passages autorise à leur supposer, en dernière analyse, une source commune, je ne sais si c’est Timagène.

[8] Plus loin, chap. II.

[9] Inscription d’Auguste (Pline, III, 136 ; C. I. L., V, p. 904-7) ; Ptolémée, III, 1, 2 ; Itin. Antonin, p. 296 : Alpe summa... huc usque Italia, abhinc Gallia ; Table de Peutinger ap. Desjardins, IV, p. 158 : In Alpe Maritima. C’est pour cela qu’Auguste a élevé sur ce point le tropæum Alpium (d’où le nom de La Turbie). Cf. Strabon, IV, 6, 1.

[10] Ce nom fut employé peut-être dès 500 ; cf. Hérodote, I, 166. Il se trouve (d’après une source de ce temps ?) dans le Périple d’Avienus, où il parait s’appliquer à toute la Méditerranée occidentale (150 : Æquor Sardum) ; de même, chez Apollonius de Rhodes, IV, 633 ; chez Polybe, III, 37, 8 ; 41, 7 ; 47, 2 ; etc.

[11] Strabon, IV, 1, 9.

[12] A environ 100 stades (18 à 19 k.) au delà de Marseille, dit Strabon (IV, 1, 6 ; cf. II, 5, 8) : il s’agit (à 25 k. à vol d’oiseau) du cap Couronne. En réalité, c’est au sud de la ville, au cap Croisette, que commence le retour franc du rivage vers le nord.

[13] Avienus, 566, 606, 602 ; Méla, II, 80-84. — Je ne puis croire que le rivage, vers l’an 600, différât sensiblement de ce qu’il est aujourd’hui (sauf l’ouverture du bras septentrional de l’Aude, en 1320 ??) : j’explique Avienus comme le fait Müllenhoff (Deutsche Altertumskunde, I, 1870, p. 185), et non comme le font Desjardins (I, p. 132-158, 231-232), Cons (De Atace, 1881), Jourdanne (Les Variations du littoral narbonnais, 1892, Soc. d’Ét. scient. de l’Aude), Malavialle (Soc. languedocienne de Géogr., Bull., XVII, 1894, p. 227 et suiv.), et autres. L’extension et l’allure des cordons littoraux à l’ouest de l’embouchure du Rhône sont la preuve d’une longue stabilité dans les conditions d’altitude du rivage : Suess, La Face de la Terre, tr. fr., II, 1904, p. 705 ; cf. p. 805.

[14] (Πέλαγος) τό Γαλατικός λεγόμενον (Ps.-Aristote, Ier s. ap. J.-C., De mundo, 3, p. 303) ; appelé également κόλπος Γαλατικός et Μασσαλιωτικός. On réservait aussi l’expression de golfe Gaulois à la partie située à l’est de l’îlot Brescou (Βλάσκων, Blasco, Avienus, 603) et du cap d’Agde (Strabon, IV, 1, 6 : Σίγιον ou Σήτιον όρος ne peut désigner Cette, malgré l’apparence du nom, transporté peut-être là par erreur) : la partie à l’ouest s’appelait proprement ό κατά Νάρβωνα κόλπος.

[15] Qua pinifertæ stant Pyrenæ vertices, Avienus, 555 ; fugiunt in nubila silvæ Pyrenes, Silius Italicus, XV, 175-176.

[16] Όρος διηνεκές, Strabon, III, 1, 3 ; κατά τό συνεχές, Polybe, III, 37, 9.

[17] Et non pas absolument vers le nord, comme le disent Strabon (II, 3, 27 et 28 ; IV, 1, 1 ; 1, 3), et bien d’autres (Méla, II, 83 ; etc.).

[18] Cervaria locus, Galliæ finis, Méla, II, 84. — Le développement du rivage est de 1113 kilomètres environ ; sur les routes du littoral, et jusqu’au Var, les Anciens comptaient 277 milles par terre, 2800 ou 2000 stades par mer, soit entre 413 et 318 kilomètres (Strabon, IV, 1, 3) ; cf. Ptolémée, édit. Müller, I, p. 233.

[19] 420 kilom., Reclus, p. 6. Strabon donnait de 2000 à 3000 clades (92 à 138 lieues), à l’isthme traversin par les Pyrénées (II, 5, 28 ; cf. Posidonius chez le même, IV, 1, 14) ; Diodore (V, 35), 3000 stades environ à la chalue.

[20] Prominens Ophiussæ, Avienus, 172 ; Οίασσώ άκρον, Ptolémée, II, 6, 10, 7, 1, et cf. Pline, III, 29. Cf. ch. VII, § 2, ch. X, § 1.

[21] Strabon, III, 1, 3 ; IV, 2, 1 : l’αλατικός ; Ptolémée, II, 7, 1 : Τώ Άκουιτανίω Ώκεανώ ; Pline, IV, 109 : Aquitanicus sinus.

[22] Pontus maximus, Avienus, 391 ; τήν έξω καί μεγάλην προς αγορευομένην... τήν έκτός (Polybe, III, 37, 11 et 9).

[23] Strabon ne comptait que 4300 à 4400 stades des embouchures du Rhin au cap pyrénéen (IV, 5, 1) : il songeait à la distance à vol d’oiseau, mais son chiffre est encore inférieur au chiffre réel (3300 à 5700 stades). Il en va de même des chiffres donnés par Marcien (II, 23, 20, 30), 9770 à 12.020 stades, pour le périple.

[24] Cela est bien marqué par Méla (III, 16), qui est le premier des géographes anciens à avoir bien noté les directions essentielles du rivage gaulois de l’Atlantique (d’après Artémidore, vers 100 av. J.-C.).

[25] J’écarte complètement, pour les temps anciens, la théorie dominante, celle d’un littoral dentelé, avec baies et caps. Elle est contredite par tous les documents classiques et médiévaux ; voyez en dernier lieu Saint-Jours dans le Bull. de la Soc. de Borda, Dax, 1904, Étangs et Dunes ; cf. les ouvrages cités à la note suivante.

[26] Voilà le seul changement notable qui se soit produit sur ce rivage : l’Adour, d’après les plus anciens textes médiévaux qui mentionnent son embouchure (XIIe siècle), débouchait à Capbreton, et aucun texte antérieur ne permet de dire que son boucau ait été auparavant sur un autre point. L’embouchure actuelle date du 28 octobre 1578. Cf. Gabarre, L’ancien Port de Capbreton (1897, Revue maritime) ; Saint-Jours, Port-d’Albret, 1900.

[27] Σιγμάτιος ποταμοΰ έκβολαί (la Leyre), Ptolémée, II, 7, 1. Arcachon (Arcaisso, Revue des Études anciennes, 1899, p. 243) est un lieu fort ancien, préceltique, auquel la passe donnait sa raison d’être.

[28] Cap de La Grave, Κουριανόν άκρον, Ptolémée, II, 7, 1. Sur ce point encore, je ne crois pas à un changement du rivage (contra, Dutrait, De mutationibus oræ... in peninsula Medulorum, Bordeaux, 1895, et bien d’autres). L’embouchure actuelle de la Gironde ressemble à celle d’il y a 335 siècles : Marcien d’Héraclée lui donnait 50 stades (II, 21), chiffre qu’atteint, en effet, la plus grande largeur de l’estuaire ; Méla décrit cet estuaire en termes qui lui conviennent toujours (III, 21). Quant à Cordouan, elle est une île dès le temps où on la mentionne (Anonyme de Ravenne. V, 33 : Cordano ; Recueil des Charges de l’abbaye de Cluny, IV, n° 3633, p. 801, année 1088 ? : In Corda insulam).

[29] Méla, III, 16.

[30] L’existence du golfe de Morbihan, avant le temps de César, me parait indiscutable ; cf. de La Borderie, Histoire de Bretagne, I, 1896, p. 6 et s. J’écarte complètement le système vulgarisé par Desjardins, I, p. 289 (cf. de Closmadeuc, Bull. de la Soc. polym. du Morbihan, an. 1882, p. 8-24) ; voyez maintenant, contre ce système, Vallaux, Ann. de Géogr., XII, 1903, p. 18 et s.

[31] Œstrymnin prominens, Avienus, 90-91, mot dérivé d’un mot indigène ; cf. ch. X. § 1 et 6 ; στήλη βόρειος (Ps.-Scymnus, 188) ; άκρωτήριον Κάβαιον (Strabon, I, 4, 5) ; l’άδαιον ou l’όβαιον (Ptolémée, II, 8, 1 et 5).

[32] L’existence de cette presqu’île et de ses caps avancés est la première particularité que les textes anciens signalent sur l’Océan Gaulois : Avienus, 90-91 ; Pythéas ap. Strabon, I, 4, 5 ; id., IV, 4. 1, où Strabon fait justement remarquer que l’extrémité de la péninsule (άκρα) n’est pas aussi saillante que le voulait Pythéas. Pline (IV, 107) donne à l’Armorique 125 milles à la base et 623 de circuit : le premier chiffre est juste, le second est de beaucoup trop fort.

[33] Sinus Œstrymninus, Avienus, 93 ; Βρεττανικός πορθμός, Strabon, II, 3, 28 ; Oceanus Britannicus, Méla, II, 85 ; I, 13 ; etc. Pline limite l’Océan Britannique à la Seine et au Rhin (IV, 109). Cf. Hübner apud Wissowa. III, c. 879.

[34] Méla, III, 16.

[35] Sur cette ressemblance du sommet de la France à un fronton, Reclus, p. 5.

[36] Rien n’est plus controversable que la théorie courante sur les modifications du rivage de la Manche. Tout ce qu’on a dit, par exemple, de la formation récente de la baie et de l’île du mont Saint-Michel (locus Tumba), repose sur une tradition de miracle qui avait cours au VIIIe siècle ; mais, en ce temps-là, les lieux étaient exactement ce qu’ils sont maintenant (Acta Sant., 29 sept., VIII. p. 75-77 ; cf. de La Borderie, I, p. 8). Suess, tr. fr., II, 1900, p. 673 et suiv., p. 689.

[37] Sauf l’élargissement au Moyen Âge du lacus Flevo (Zuiderzée) et de son émissaire (élargissement graduel, dit van der Veur, VIIIe Congrès géolog., 1900, p. 400 ; cf. Comptes rendus... de l’Acad. des Sciences, XCVII, 1883, p. 727-728 ; etc.), les lignes essentielles du rivage et des cours d’eau étaient les mêmes qu’aujourd’hui dans les terres basses du Nord : Strabon, IV, 3, 3 ; Méla, III, 24 ; Pline, IV, 101 ; Tacite, Annales, II, 6.

[38] Les Anciens, au contraire, mettaient un énorme écart entre les longitudes de ces deux points (Ptolémée, II, 9, 1 ; II, 10, 2) ; cf. Sieglin, Atlas antiquus, n° 1.

[39] Septentrionalis Oceanus, Pline, IV, 109.

[40] Asinius Pollion comptait 6000 stades pour la longueur du Rhin ; Strabon, un peu plus de 3000 en ligne droite, un peu plus de 4000 avec les détours (IV, 3, 3) ; Marcien d’Héraclée, 4375 stades en ligne droite (II, 20). Asinius se rapprochait de très prés de la vérité (1142 kil., 30 kil. de trop seulement).

[41] Strabon, IV, 6, 6 ; V, 1, 6 ; Ptolémée, II, 9, 2 ; III, 1, 1. Il s’agit sans doute du Rheinwaldhorn.

[42] Avienus, 644-650. Sans doute un des sommets qu’on aperçoit au nord dans le Haut Valais.

[43] Cf. César, IV, 10 ; Méla, III, 24.

[44] Strabon (II, 5, 28) place les quatre angles à l’embouchure et à la source du Rhin, au cap Creux et au cap du Figuier, le parallélisme du Rhin et des Pyrénées étant un postulat dont il ne s’écarte jamais (IV, 5, 1). Ptolémée a, plus justement, réuni Pyrénées et Méditerranée pour en faire la base méridionale (II, 7, 4 ; 10, 1).

[45] Sur cette habitude qu’avaient les Anciens de donner aux grandes régions une figure géométrique, Strabon, V, 1, 2 ; II, 1, 30.

[46] Strabon, IV, 5, 1.

[47] Strabon, V, 1, 2.

[48] Strabon, II, 5, 27 ; I, 30 ; III, 1, 3.

[49] Strabon compte moins de 3000 stades (cf. II, 1, 18) à la fois pour le côté atlantique de la Gaule et pour la distance de Marseille au centre de la Bretagne ; 5000 stades pour la plus grande distance entre le Rhin et les Pyrénées (I, 4, 3 ; IV, 5, 1 ; I, 4, 4 : IV, 3, 1).

[50] Avienus, 90-93 ; Pseudo-Seymnus, 188-190 ; peut-être Apollodore, Bibliothèque, II, 5, 11, 13. Cf., dans un sens différent, Müllenhoff, I, p. 89 ; Brandis apud Wissowa, IV, c. 2112.

[51] Dès l’époque romaine au plus tard, la Bidassoa (Magrada ?, Méla, III, 13 ; Vidaso ?, XIe s. ?) servait, je crois, de limite à la Gaule, séparant le Labourd aquitain du territoire de la bourgade vosconne Ofasso, qui correspondait sans doute aux anciens archiprêtrés bayonnais de Baztan, Lérin, Cinco-Villas et Fontarabie (Oyarzun, Irun, Leso, Renteria, Pasajes, Fontarabie, Urançu), ou en tout cas à celui de Fontarabie (Dubarat, Le Missel de Bayonne de 1343, Pau, 1901, p. XXXVII, cf. p. XXXIII).

[52] Polybe, III, 30, 4 ; Méla, II, 89 : Rupes quæ in altum Pyrenæum extrudit.

[53] Strabon, IV, 6, 2 ; cf. Reclus, p. 183-4.

[54] Virgile, Én., VIII. 727 : Extremi hominum ; Pline, XIX. 8 : Ultimi hominum.

[55] Cf. Strabon, IV, 1, 2 et 14.

[56] Strabon, IV, 1, 14.

[57] Nom de fleuve chez Hérodote (Άλπις, IV, 49), les Alpes, comme nom de montagne n’apparaissent pas avant la guerre d’Hannibal, à moins qu’on ne leur rapporte les Σάλπια de Lycophron (Alex., 1361). Aristote peut-être (Météorologiques, I, 13, 20) et Timée en tout cas les connaissaient sous le nom de monts Hercyniens (Apollonios, IV, 640). Cf. Nissen, Italische Landeskunde, I, 1883, p. 137 et suiv. ; Partsch apud Wissowa, I, c. 1399.

[58] Connues sous leur nom, au moins dès l’an 500 environ (Pyrene, Avienus, 472 ; Hérodote, II, 33 : Πυρήνη, nom de ville, etc.), et, on le voit, beaucoup plus tôt que les Alpes : cela à cause de leur situation sur les routes maritimes de l’ouest. Il est possible que le nom soit passé de la ville à la montagne.

[59] Mont Dore, 1886 mètres ; Mézenc, 1754 ; Lozère (Lesura, Pline, XI, 240 ; Læsora, Sidoine, Carm., 24. 44), 1702 ; Puy de Dôme (Damias, C. I. L., XIII, 1523), 1465 ; Ballons d’Alsace et de Guebwiller, 1230 et 1426 ; Donon, 1013. Le mont Blanc a 4810 ; la Maladetta, 3404.

[60] Cevenna, Cebenna, Κέμμενον, etc. (cf. Holder, I, c. 880). Mentionné pour la première fois par le Périple d’Avienus (622 : Cimenice regio).

[61] Sous le méridien de Limoges. Dufrénoy et de Beaumont, p. 101. Strabon fait partir les Cévennes des Pyrénées, les arrête près de Lyon et leur donne environ 2000 stades, 370 kilom., ce qui est seulement, à vol d’oiseau, la distance du col de la Perche au mont Pilat (IV, 1, 1 ; II, 5, 28, de même. Méta, II, 71 ; Pline, III, 31 ; IV, 105) ; cf. Desjardins, I, p. 105.

[62] Vidal de La Blache, Tableau, p. 236 et suiv.

[63] 'Ράχις όρεινή, Strabon, II, 3, 28 ; Avienus, 624-5 : Nominis [de Cévennes] porro auctor est mons dorsa celsus ; César, VII, 8, 3 : Cevenna ut muro.

[64] Monte Jura altissimo, César, I, 2, 3 ; le plus haut sommet du Jura, le Crêt de la Neige, atteint 1723 mètres.

[65] Les montagnes de Marseille et de la Provence sont appelées Alpes, Polybe, II, 14, 6 ; Strabon, IV, 6, 3.

[66] Vosegus, Vosagus, Vogesus. Les Anciens la faisaient commencer au plateau de Langres et à la source de la Meuse (César, IV, 10,1 ; Lucain, I, 307-8).

[67] Arduenna, Arduinna, Ardenna (cf. Holder, I, c. 187). César étend ce nom aux forêts qui allaient du seuil de Vermandois jusque vers le confluent du Rhin et de la Moselle (V, 3, 4 ; VI, 20, 4). La longueur de plus de 300 milles ou 4000 stades que César donnait à ces forêts (740 k.) a été reconnue exagérée dès le temps de Strabon (IV, 3, 5).

[68] L’unité de cette région a été bien marquée par Schrader et Gallouédec, p. 373.

[69] Pline, IV, 107 : Excurrentem in Oreanum. Cf. plus haut § 2 vers la fin.

[70] Vibius Séquester, s. v. Arar, p. 145, Riese.

[71] Le Périple d’Avienus appelait avec justesse les Cévennes regio (622).

[72] Cf. Vidal de La Blache, Tableau, p. 14-16.

[73] Strabon semble avoir entrevu, au moins dans la région provençale et alpestre, ce voisinage et cette solidarité des hauts et des bas pays (IV, 1, 11 ; IV, 6, 7 et 9).

[74] Æquor agrorum, dit Sidoine de la Limagne, Lettres, IV, 21, 5. Le nom de Limagne (Lemane ou Limane, Grégoire de Tours, H. Fr., III, 6 ; V, 33 ; In gl. mart., 83) doit être rapproché de celui du lac Léman (Lemannus) et du grec λίμνη.

[75] Ubelna plutôt que Ubelka, C. I. L., XII, 333 ; cf. add., p. 809.

[76] Strabon (IV, 1, 9) a noté l’importance de cette plaine de grandeur médiocre, qui s’ouvre près de Marseille dans la masse alpestre.

[77] Strabon, IV, 1, 2 et 14.

[78] Timée apud Plutarque, De placitis philosophorum, III, 17, p. 897 ; Diodore, V, 23, 3 : Μεγάλων ποταμών ; Méla, III, 20 : Fluviis ingentibus. Remarque faite par Kiepert (Manuel, tr. Ernault, p. 266).

[79] Rhodanus, mentionné d’abord par le Périple d’Avienus, 626, peut-être aussi par Eschyle (apud Pline, XXXVII, 32), et ensuite par Hérodote (Fragm. hist. Gr., II, p. 34).

[80] La prééminence économique du Rhône a été notée par Strabon (IV, 1, 2).

[81] Βρίγουλος primitivement, d’après une tradition très suspecte (De fluviis, 6, 1) ; Arar, dans les plus anciens textes (César, I, 12 ; etc.). Le nom de Sauconna n’apparaît qu’au IVe siècle (Ammien, XV, II, 17) ; mais la présence des Sequani dans cette vallée, les incertitudes de Strabon (IV, 3, 2 ; 1, 11), permettent de supposer qu’un nom au radical sequ-an- a été usité, des l’origine, pour tout ou partie du cours de la Saône ou du Doubs. Le Doubs (Dubis) est nommé par César, I, 38, 4.

[82] Strabon, IV, 1, 11.

[83] Chose étrange ! César, qui nomme la Meuse (Mosa, IV, 9, 3 ; etc.), ne parle pas de la Moselle, dont le nom (Mosella) n’apparaît pour la première fois que chez Tacite (Annales, XIII, 13 ; etc.) ; cf. Holder, II, c. 641.

[84] Cette dépression fut assez remarquée des Romains pour qu’ils aient songé à y faire passer un canal de jonction entre la Saône et la Moselle, entre la mer Intérieure et l’Océan (Tacite, Ann., XIII, 33). — La vallée de la Meuse n’a jamais eu l’importance économique de celle de la Moselle : elle fait un trop grand circuit vers l’ouest, elle est trop encaissée, et elle reçoit trop peu d’affluents (cf. t. II, chap. I, § 3).

[85] Rhenus. Le plus ancien texte qui cite le nom est contemporain de César (Cicéron, In Pisonem, 33, 81) ; cf. Holder, II, c. 1130. Mais les grands fleuves du Nord (l’Elbe peut-être avant le Rhin) ont été connus dès le Ve siècle (Hérodote, III, 115 ; d’après une source ancienne, Aristote, Météorologiques, I, 13, 20). Cf. ch. VI, § 1 ; ch. X, § 1 et 6.

[86] Les plus anciens géographes (500-300) attribuaient 5 branches au Rhône (Avienus, 688 ; Timée ap. Diodore, V, 25, 4 ; apud Strabon, IV, 1, 8) ; Artémidore, 3 (ap. Strabon, IV, 1, 8 ; cf. Pline, III, 33) ; les autres, 2 (Polybe apud Strabon, IV, 1, 8 ; Ptolémée, II, 10, 2) : d’autres, fort anciens, 7 (Apollonius, IV, 634 ; Strabon, IV, 1, 8). Abstraction faite de ces derniers, que censure Strabon, les divergences peuvent s’expliquer suivant qu’on ajoutait ou non, au Grand et au Petit Rhône, le Rhône Vif et les graus de deux branches mortes après le IIIe siècle av. J.-C. La grande branche a toujours été celle de l’est. — Les changements du delta ont été bien moindres que ne le dit la théorie courante (cf. Desjardins, I, 196 et suiv.). Le port des Saintes-Maries, sous le nom de Ratis, est un lieu habité fort anciennement (Avienus, 701, oppidum priscum Ra[tis] ; cf. Reynaud, La Tradition des Saintes-Maries, 1874, p. 16 et suiv.). L’Itinéraire maritime (p. 508) compte 30 milles (44 kilom.) d’Arles au grau du Grand Rhône ; Ammien (XV, 11, 18), 18 milles (27 kilom.) d’Arles au fond du golfe : distances qui sont exactes encore aujourd’hui.

[87] La forme ancienne est Attagus (source grecque, Avienus, 380 ; peut-être aussi chez Hécatée : Άτακός, Étienne de Byzance, s. v. Ναρβών) ; Atar à l’époque classique (Holder, I, c. 232). Polybe appelait le fleuve du même nom que Narbonne (III, 37, 8 ; XXXIV, 10). Le voisinage des embouchures de l’Aude et du Rhône a été indiqué par le mène Polybe (III, 37, 8).

[88] Cf. Tacite, Ann., XIII, 33.

[89] Apollonius, IV, 638.

[90] La Garonne (Garumna, Garunna), la Loire (Liger, et, moins souvent, Ligeris), l’Allier (Elaver), la Seine (Sequana), ne sont pas nommées avant César.

[91] Oise, Isara ou Isera ; Sambre, Sabis : ce dernier nom apparaît chez César, l’autre, beaucoup plus tard.

[92] Cf. Strabon, IV, 1, 2 et 14 ; Méla, III, 20.

[93] Méla, III, 23.

[94] Strabon, IV, 1, 2 ; de même, IV, 1, 14. Cette appréciation très intelligente du réseau hydrographique de la Gaule est peut-être due, non à Strabon, mais à Posidonius. On en trouve aussi l’indication, peu nette d’ailleurs, chez Diodore (V, 35, 3).

[95] Le seuil a été signalé par Strabon (IV, 1, 14), qui a toujours mieux compris la structure intérieure de la Gaule que la conformation de ses rivages c’est le contraire chez Méla.

[96] Strabon, IV, 1, 14.

[97] Du Chesne, Les Antiquités... de toute la France, 3e éd., 1624, p. 648 ; 1629, p. 656 ; voyez-en la minutieuse et très exacte description chez Gminitz, Ulysses belgicogallicas, 1631, p. 312 ; cf., sur la montagne de Tarare, Lettres de Madame de Sévigné, éd. Vonmerqué, t. I1, p. 80, 86, 92. Le passage de Tarare est indiqué par Strabon (IV, 1, 14, aux mots καίπερ, etc.).

[98] Autrement dit la vallée du Gier. Entre ces deux routes, Tarare et Jarez, celle d’Yzeron, qui vient de Feurs et qui eut son importance. Cf., sur ces trois routes, Steyert, Nouvelle Hist. de Lyon, I, 1895, p. 6-7.

[99] C’est la route dont parle Strabon, entre le Rhône et la Loire (IV, 1, 14). Cf. chap. X, § 5 ; t. II, chap. VII, § 2.

[100] César, VII, 8.

[101] Entrevu déjà par Strabon (IV, 1, 14).

[102] Strabon, IV, 1, 14. Cf. Dufrénoy et de Beaumont (I, p. 30), qui ne paraissent pas s’inspirer du géographe grec : La France, malgré les variétés que présente son sol, ou plutôt à cause de la manière dont sont disposés les éléments de celle variété, est un des pava de la terre dont la population est le plus nettement homogène, ou, du moins, le mieux reliée dans toutes ses parties.

[103] Aturus, d’abord chez Lucain (I, 420), à moins qu’on n’écrive Atur quelque part chez Tibulle (I, 7, 4 et 11).

[104] Tech (Polybe, XXXIV, 10, 1, qui donne au fleuve, comme à l’Aude, un nom de ville ; Ticis, Méla, 11, 84 ; Terum ou Telum, Pline, III, 32) ; Tét (Roschinus, Avienus, 580 ; cf. Polybe, l. c. ; Telis, Méla) ; Agly (Sordus ?, Avienus, 574 ; Vernodubrum, Pline, III, 32). Peu de fleuves français ont plus changé de noms que ceux de cette région, car nulle région peut-être n’a appartenu à plus de maîtres. Cf. Alart, Géogr., dans Société... des Pyr.-Orient., XII, 1860, p. 84-90.

[105] Arc (Ptolémée, II, 10, 5 ; Artémidore ap. Et. de Byz., s. v.) ; Argens (Argenteus, Cicéron, Ad familiares, X, 34, 1) ; Var (Varus ; cf. Strabon, IV, 1, 3 ; c’est l’Άκρων de Polybe, XXXIII, 8, 2).

[106] Herius (cf. Ptolémée, II, 8, 8), la Vilaine ?

[107] Scaldis (César, VI, 33, 3 : leçon à conserver).

[108] Surtout la Somme, Samara (cf. César, V, 24, 1 ; 47, 2 ; 53, 3), la Bresle (Φρούδιος, * Frulis ?, Ptolémée, II, 9, 1 ; Marcien, II, 29) et l’Orne, Olina (cf. Ptolémée, II, 8, 2).

[109] Orb (Orobus, Avienus, 592 ; Orbis, Méla, II, 80) ; Libron (Thyrius, Avienus, 505 ; Liria ou Libria, Pline, III, 32) ; Hérault (Oranus, Avienus, 612 ; Arauris, cf. Holder, I, c. 177) ; Lez (Heledus, Avienus, 592 ; Ledam, Méla, II, 80) ; Vidourle (Classius, Avienus, 621).

[110] Curantonus (Ausone, Mos., 463), défiguré par Ptolémée en Κανέντελος (II, 7, 1), dont on a fait à tort une rivière vendéenne.

[111] Cf. César, VI, 33, 3.

[112] Avec ce fleuve... il semble que la France elle-même pénètre dans les vieilles terres bretonnes, Vidal de La Blache, p. 321.

[113] Sur cette ligne se greffe, à Tourves ou à Saint-Maximin, une des plus longues percées du littoral provençal, la vallée de l’Huveaune, qui finit à Marseille : bien des faits de l’histoire économique et religieuse du Sud-Est s’expliqueront par ces deux routes et leur croisement.

[114] Denys le Périégète, 75.

[115] Actuellement, 800 mètres de longueur, 320 mètres de largeur moyenne, 5 à 8 mètres de profondeur : chiffres des Ports maritimes de la France, VII, IIe p., 1899, p. 43-4.

[116] Strabon, IV, 1, 4.

[117] Cf. Strabon, IV, 1, 10. Pomégue et Ratonnenu étaient, comme les îles d’Hyères, appelées les îles Alignées (Lucain, III, 516 ; Méla, II, 124, etc. ; Dioscoride, III, 25 ; cf. Desjardins, I, p. 180 et suiv.). Le bassin constitue par les îles d’Hyères (Stœchades, Strabon, IV, 1, 10 ; Pline, III, 79 ; etc.) devait être transformé par les Marseillais en une annexe de leur golfe.

[118] Odyssée, X, 93-94.

[119] Ratis (Anonyme de Ravenne, V, 33) ; Uliarus (Pline, IV, 109).

[120] Cf. Vidal de La Blache, p. 371.

[121] Belle-Isle (Vindilis), Houat et Hoëdik (Siata et Arica) ; Itinéraire maritime, p. 500. Cf. Loth, Revue celtique, X, 1889, p. 353-4. L’ensemble de ces îles, y compris peut-être celles du Morbihan, forme les insulæ Venelicæ de Pline, IV, 100.

[122] Avec comme petites mers annexes à caractère semblable, le Crac’h, la rivière d’Etel, l’estuaire du Blavcf.

[123] Cf. Vidal de La Blache, p. 328-7. Dans l’Itinéraire maritime, p. 500, Riduna, Sarmia, Cæsarea, Barsa, Lisia, Andium, Siedelis paraissent répondre aux trois grandes îles et aux flots de la cote bretonne du nord.

[124] D’où son nom de bouche Marseillaise (Polybe, III, 41, 5 ; Pline, III, 33). Cf., sur cette dépendance réciproque des deux points, Strabon, IV, 1, 8 ; Lucain, III, 515-6.

[125] Atlas Vidal-Lablache, n° 62-63.

[126] Aucun géographe ancien n’a essayé de se rendre compte de ces groupements.

[127] Garonne, Dordogne (Duranius, Ausone, Moselle, 464), grossie de l’Isle et de la Dronne ; Lot (Ottis ou Olitis, Sidoine, Carmina, 5, 209 ; cf. Holder, II, c. 849) ; Tarn (Tarnis, Pline, IV, 109). Cf. Strabon, IV, 2, 1.

[128] Seine, Oise, Marne (Matrona, César, I, 1) ; Aube (Albis, An. de Rav., IV, 26) ; Yonne (Icaunis, C. I. L., XIII, 2921) ; Aisne (Axona, César, II, 5, 4).

[129] Mayenne (Meduana, cf. Holder, II, c. 525 ; le vers de Lucain, I, 438, est apocryphe) ; Loir (Ledus, Sidoine, Carmina, 3, 208) ; Sarthe (Sarta, Holder, II, c. 1371) ; Cher (Caris ou Cares, Grégoire, Hist. Franc., V, 41) ; Indre (Angeris ou Anger, Grég., V. patr., 18, 1 et 2) ; Vienne (Vingenna, Vincenna, Vigenna, Grég., Hist. Fr., I, 48 ; II, 37).

[130] Atlas Vidal-Lablache, p. 64 et 65.

[131] César, VI, 13, 10. Je crois que ce point médian était placé par les Gaulois dans la région entre Cosne et Briare ; voir t. II, chap. IV, § 4.

[132] Le rôle stratégique de Paris apparaît dès l’arrivée des Romains en Gaule (César, VII, 57 et 58). Sur les routes qui convergent vers Paris, Sauval, Histoire et Recherche des antiquités de la ville de Paris, I, 1724, p. 3-4.

[133] Tout ceci a été bien vu et bien dit par Strabon (IV, 6, 11 ; cf. IV, 1, 11 et 14).

[134] Cf. Strabon, IV, 6, 11.

[135] Quinze jours, à partir de la sortie du Grésivaudan, pour toute la traversée ; neuf jours jusqu’au sommet du mont Cenis (Polybe, III, 53, 9 ; 56, 3 ; Tite-Live, XXI, 35, 4 ; 38, 3) ; sept jours pour la traversée des Alpes, d’Oulx à la descente du col de Cabre (César, I, 10, 5).

[136] A l’époque romaine, on comptait onze stations, c’est-à-dire onze étapes, de Paris à Bingen sur le Rhin, autant que de Lyon à l’Italie par le Petit Saint-Bernard (Desjardins, IV, pl. 8).

[137] Déjà au temps de la conquête Lutèce fut la résidence du chef romain, l’année de la grande campagne contre le Nord et la Germanie (en 53, VI, 3, 4). Il le redevint, pour le même motif, sous Julien en 357 (Ammien, XVII, 2, 4 ; etc.).

[138] Voir, entre autres dithyrambes, celui de Du Chesne (Les Antiquités, 1624, p. 627 ; 1629, p. 635) : Lyon,... boulevard de la France..., officine du commerce de tout le monde. De même, Gœlnitz, Ulysses, 1631, p. 315 ; Steyert, I, p. 1-8. — J’avais écrit ces lignes avant l’apparition des belles pages de Vidal de La Blache sur Lyon (p. 231-3), et j’ai été profondément heureux de me sentir en parfait accord avec lui, et de le voir douter que Lyon ait réalisé toutes ses possibilités géographiques.

[139] Ajoutez le rôle de l’Huveaune, cf. plus haut, § 6 et dernière note du § VIII.

[140] Encore que, comme Lyon, elle ne donne plus toute sa mesure dans l’histoire et la vie économique de la France.

[141] Julien a déjà noté le voisinage de Paris et de l’Océan : il indique 900 stades, un peu plus de 40 lieues, à peu pris la distance entre Paris et Le Havre (Misopogon, p. 341 = 438, Hertlein).

[142] Saravus, Ausone, Moselle, 91 et 367.

[143] Son confluent avec la Sarre, dit justement Vidal de La Blache, p. 198, marque l’achèvement d’un réseau fluvial autonome.