GALLIA - TABLEAU SOMMAIRE DE LA GAULE SOUS LA DOMINATION ROMAINE

 

CHAPITRE XIII. — L’ART.

 

 

1. Faiblesse générale de l’art gallo-romain. — La production artistique ne fut pas moins générale en Gaule que la culture des champs ou le travail industriel. Toutes les villes se couvrirent de temples, s’ornèrent de statues et, à l’image de Rome, brillèrent de la splendeur du marbre et de l’or. Si elles reçurent des colonies de négociants, si elles demandèrent à l’étranger ses produits, elles surent aussi acheter les œuvres des artistes d’Italie et de Grèce, au besoin les inviter eux-mêmes à travailler en Gaule. Il y eut dans notre pays, pendant trois siècles, une importation ininterrompue de chefs-d’œuvre ou de copies de l’art grec. En même temps, plus d’un architecte ou d’un sculpteur oriental s’établit volontiers en Gaule ; ces villes, éprises de faste et d’élégance, voulurent ajouter à leur luxe l’éclat artistique et payaient généreusement ceux qui les embellissaient. C’est ainsi que les Arvernes commandèrent au Grec Zénodore une statue colossale de leur dieu Mercure, statue qui leur coûta 40 millions de sesterces, et qui lui demanda dix ans de travail

La Gaule eut aussi ses sculpteurs et ses peintres indigènes. Ils se formèrent à l’école hellénique, dont ils se montrèrent les fidèles disciples et les imitateurs consciencieux. Mais l’originalité leur manqua. C’est là en effet la grande faiblesse de la civilisation gallo-romaine : la Gaule, ni en art ni en littérature, n’eut le mérite de fonder une école, d’établir des traditions. Il n’y a pas eu, à vrai dire, d’art gallo-romain.

Elle ne trouva rien de nouveau. Elle ne sut que copier les modèles gréco-romains. Ses premiers essais, les monnaies gauloises du IIe siècle avant notre ère, ne sont que de maladroites copies des statères macédoniens ou des drachmes de Marseille. Les plus belles statues, l’Athlète de Vaison, la Vénus de Vienne, le Faune et la Vénus d’Arles, en supposant (chose fort incertaine) qu’elles soient l’œuvre de sculpteurs indigènes, ne sont que d’excellentes reproductions de types connus. La Gaule n’imagina rien de durable ou de spontané, de vraiment vivant. Autant la production artistique fut intense, autant l’invention fut nulle. Si l’on peut parler de l’art gallo-romain, c’est pour montrer qu’il est le dernier épisode de l’histoire de l’art hellénique.

On doit rappeler à ce propos les excellentes remarques de M. Lacour-Gayet : Quand les Romains eurent imposé au monde antique une loi unique, ils lui imposèrent aussi une architecture unique, l’architecture grecque romanisée. Les temples d’Héliopolis, de Palmyre, de Lambessa, de toutes les cités espagnoles ou gauloises sont l’application des mêmes principes d’architecture que les temples de Rome, copiés eux-mêmes sur les temples d’Athènes. Rome a fait l’unité dans les questions d’art comme elle l’a faite en toute chose : tous les styles provinciaux ont cédé la place à un style uniforme et universel.

Aussi le développement artistique de la Gaule n’a-t-il pas suivi une marche régulière : il ne s’est pas produit graduellement, allant peu à peu de l’ébauche à l’œuvre parfaite. Nous trouvons à la même date, dans les mêmes pays, des statues qui, par leur grossièreté, rappellent les essais naïfs de la Grèce primitive, et des statuettes d’un travail exquis, comparables aux meilleures œuvres de l’art classique. Ici, sur une stèle funéraire trouvée dans un cimetière de village, des dessins qui paraissent dus à quelque sauvage : la tête d’un homme représentée par un cercle, un sein de femme par une circonférence avec un point central, les mains par un zigzag à dix branches. Tout prés de là, dans les ruines d’une villa, un Apollon et une Vénus qui rie laissent qu’à admirer.

2. La sculpture religieuse. — C’est la sculpture religieuse qui a été, en Gaule comme en Grèce, le plus tôt travaillée et qui a produit le plus d’œuvres, et de belles couvres. Mais ces rouvres ne sont que des copies : si elles n’ont pas été exécutées en Grèce, la Grèce en a du moins fourni l’original. C’est surtout dans cette partie de l’art que les Gaulois ont marqué leur impuissance à créer. Les plus célèbres morceaux trouvés dans notre pays, les Vénus, les Jupiters, les Dianes et les Faunes, ne diffèrent en rien, ni par le type ni par l’attitude, des modèles consacrés par l’art hellénique. L’expression elle-même n’offre rien de gaulois. Les Vénus de cette Narbonnaise, on les artistes pouvaient cependant trouver de si belles figures de femmes, ont la froide beauté des sculptures classiques. La divinité principale des Gaulois était celle que les Romains avaient appelée Mercure : même en représentant le dieu qui leur était le plus cher, les Gaulois n’ont rien imaginé de nouveau : la figure du Mercure gaulois est devenue gréco-romaine comme son nom ; les innombrables statues que nous possédons du dieu n’offrent rien qu’une copie banale du vieil Hermès des Grecs, avec son caducée, son pétase et ses talonnières.

Toutefois, pour représenter certaines divinités étranges de leur panthéon, qu’ils ne pouvaient reproduire d’après des modèles grecs ou romains, il a bien fallu aux Gaulois un certain effort d’imagination. Mais lit encore ils n’ont pu faire preuve de génie créateur et n’ont abouti qu’à des types difformes, incohérents, ou tout au moins sans grâce et sans beauté. Rien n’est plus laid que les images de cette divinité infernale qu’ils figuraient avec des cornes. La Gaule possédait, dans ce que nous appelons le dieu au marteau, une divinité originale et puissante : les statues qui nous en restent manquent également de force, de vie et de grandeur. Les types de nymphes ou de Mères gauloises ont quelque chose de guindé, de hiératique, mais on y chercherait également en vain la douceur des primitifs ou la naïve solennité des Byzantins : il n’y a rien là que des ébauches de vrais barbares. Que l’on étudie les figures de dieux gaulois représentés sur les autels trouvés à Paris : ce taureau sur lequel sont perchées trois grues, cet Ésus en forme de bûcheron, n’ont ni vigueur ni pittoresque, et n’offrent rien à remarquer ni comme invention ni comme exécution. Si l’on osait, on dirait que ce sont là uniquement les produits d’un fétichisme religieux : le sculpteur n’a eu qu’un seul désir, reproduire tous les symboles du dieu, tous ses attributs, n’en omettre aucun, même le moins artistique et le plus répugnant. Ces statues sont avant tout conformes au rituel de la religion gauloise : ce sont des types de commande, toujours les mêmes, à l’usage des dévots. Si on les compare aux Vénus et aux Jupiters de la vallée du Rhône, on pensera volontiers que ce qu’il y a de moins bon dans la sculpture gauloise est précisément ce qu’y a mis la Gaule.

3. — La sculpture funéraire est plus représentée encore dans les Gaules que la statuaire religieuse. Il n’y a pas de pays, dans tout l’empire romain, oit les tombeaux aient été plus ornés de bas-reliefs, plus encombrés de figures que les provinces gauloises, surtout les Trois Gaules. Près des deux tiers peut-être des monuments funéraires nous offrent les portraits des défunts ou des scènes empruntées à leur existence. Les musées de Trèves, de Bordeaux, d’Arlon, de Sens, bien d’autres encore, ont à cet égard un singulier intérêt.

Sur beaucoup de ces monuments on voit le buste ou l’image en pied du défunt : ce sont bien des portraits, et nous n’avons pas affaire un seul instant à des figures idéalisées.

Le mort a une physionomie très nette, ses défauts physiques ne sont point cachés : quelques-uns ont une calvitie bien apparente. Il est toujours représenté avec les objets qui caractérisent sa profession ou ses habitudes, ou ceux qu’il a le plus aimés. Les enfants ont des jouets, ou tiennent un chat, un oiseau, quelque animal familier. Les femmes portent des miroirs, des vases à parfum, des corbeilles de fleurs ou de fruits. Un tailleur de pierre tient un ciseau, le cocher agite son fouet, le forgeron soulève sou marteau. Sur un tombeau de Bordeaux, un sculpteur est représenté dans une niche, sculptant un chapiteau de son propre monument. Ailleurs, le titulaire du tombeau est représenté en face de son médecin qu’il consulte et qui lui tâte le pouls. Cet autre a certainement été la victime d’un meurtre : on le voit, assis à une table de travail, et derrière lui un malfaiteur s’approche, le poignard levé. Il n’est pas de riche marchand qui ne fasse sculpter sur son tombeau les épisodes de sa vie ou les occupations de sa journée : l’arrivée de barques chargées de tonneaux, ses fermiers qui lui apportent leurs redevances, ses chariots qui transportent ses marchandises, et, au milieu de toutes ces scènes, son portrait, celui de sa femme et de ses enfants. Quelques-uns de ces tombeaux sont de véritables mausolées atteignant jusqu’à soixante pieds de haut et sont couverts d’innombrables figures depuis la base jusqu’au faite : tel le monument encore debout d’Igel, près de Trèves.

Mais dans ces œuvres encore, il est difficile de voir les beaux spécimens d’un art vraiment original. L’artiste n’a obéi qu’à une seule préoccupation, où l’art n’avait rien à faire : ne négliger aucun détail précis pouvant faire connaître la vie, les habitudes ou P’opulence de son mort. II en est de la sculpture funéraire comme de la statuaire religieuse : elle vise à une exactitude minutieuse, à éviter toute omission, à exprimer le plus de détails possible sur une place donnée. L’exécution est à peu près partout maladroite : peu ou point de perspective, aucune harmonie dans la disposition des figures, absence complète de composition esthétique, beaucoup de fautes de dessin et de proportion ; à peine, çà et là, quelques figures expressives, quelques vigoureuses attitudes, peuvent faire supposer que les sculpteurs gallo-romains avaient déjà un peu ces tendances réalistes qui sont la meilleure part de l’art français.

Le seul mausolée qui soit une véritable œuvre d’art est le mausolée des Jules, près de Saint-Remy en Provence. Mais tout dans ce monument, le dessin de l’édifice, la disposition des bas-reliefs, le choix des sujets, le type des figures, tout dénote l’influence gréco-romaine. Le tombeau des Jules, dit justement M. Mommsen, œuvre du temps d’Auguste, est un merveilleux témoignage de la manière vivante et intelligente avec laquelle le sud de la Gaule a recueilli l’art hellénique. Les deux étages quadrangulaires, que couronne une colonnade à coupole conique, forment un ensemble architectural d’une grande hardiesse ; ses bas-reliefs, avec leurs scènes de chasses et de combats, rappellent d’assez près le style des sculptures de Pergame. On pourrait faire de semblables rapprochements en étudiant les bas-reliefs des arcs de triomphe, en particulier de celui d’Orange.

4. Architecture religieuse. — La Gaule nous a laissé des monuments architecturaux d’une idéale perfection : le temple dit la Maison Carrée, à Nîmes, le temple d’Auguste et de Livie, à Vienne, contemporains l’un de l’autre. Ce sont des temples d’ordre corinthien, admirables comme harmonie et comme finesse de détails. Bien n’offre un travail plus exquis que les feuilles d’acanthe de leurs chapiteaux, pleines de naturel et de vie, et les élégantes consoles qui surmontent les corniches. On l’a dit avec raison : ces deux temples sont de vrais bijoux. Mais ils n’ont rien qui ne soit grec, si ce n’est que leur grâce un peu efféminée est assez loin de la majesté des grands temples helléniques. Ils rappellent aussi peu le Parthénon que l’Énéide rappelle la grandeur des poèmes homériques.

Beaucoup de temples semblables furent bâtis au Ier siècle de l’empire dans la Gaule, surtout dans la Gaule du Midi, et ont dû être aussi parfaits que ceux de Nîmes et de Vienne. A partir du IIe siècle, des constructions analogues s’élevèrent en grand nombre par toute la Gaule, mais elles furent bien inférieures en mérite aux monuments de la Gaule Narbonnaise. Les temples qu’on bâtit à Saintes, à Bordeaux, à Trèves et dans les autres cités des Trois Gaules, sont des édifices de décadence, comme tous les monuments de l'époque des Antonins et des Sévères. On y recherche surtout le luxe, on y vise au grandiose, on y aime l'effort et la difficulté vaincue ; ce sont des monuments pleins d’exubérance et parfois aux proportions colossales. C’est toujours le chapiteau corinthien qui domine, mais l’influence du génie romain en a écarté la grâce hellénique ; à la feuille d’acanthe svelte et pure succède l’acanthe flamboyante, aux lobes fouillés et subdivisés à l’infini, encombrée d’ornements étrangers. Ces temples sont trop larges de base, beaucoup trop hauts surtout ; les proportions ne sont plus gardées ; la façade perd sa simplicité : on y accumule les figures, les ornements, les statues. Le temple de la déesse Tutelle, à Bordeaux, détruit sous Louis XIV, peut être regardé comme le type le plus net que ce style ait laissé en Gaule.

5. Architecture civile. — C’est une influence franchement romaine qui a dominé l’architecture civile en Gaule : les monuments qu’on y éleva, basiliques, thermes, portiques, théâtres, amphithéâtres, arcs de triomphe, ponts, aqueducs, villas, ne diffèrent en rien des monuments similaires que l’art romain multiplia en Italie, en Espagne et en Afrique : c’est le même type architectural, ce sont les mêmes procédés de construction.

Il y eut des thermes dans toutes les villes de la Gaule, ou peut ajouter sans exception. Les moins mal conservés sont ceux de Fréjus, qui paraissent du Ier siècle, ceux de Trèves, qui portent les traces de différentes époques, et les fameux thermes de Cluny, à Paris, qui sont vraisemblablement du IIIe siècle. Des vestiges fort remarquables de thermes ou de bains se voient dans les ruines de quelques grandes villas.

Les plus célèbres des amphithéâtres sont les arènes de Nîmes et d’Arles, qui sont, celles-ci du Ier siècle, celles-là du commencement du IIe ; elles sont assez intactes, aujourd’hui encore, pour servir à de pittoresques et vivantes représentations. Mais on en éleva peu à peu dans toutes les villes de la Gaule, depuis le règne d’Auguste, qui parait avoir fait construire l’amphithéâtre de Fréjus, jusqu’au milieu du IIIe siècle, d'où date celui de Bordeaux. Et, de fait, il n'est guère de cité, même médiocre, qui ne montre encore les ruines de ses arènes : Paris a les siennes, comme Senlis et Saintes, comme Périgueux et bien d'autres.

Les théâtres ne paraissent pas avoir été moins nombreux dans les cités gallo-romaines, et il n'est pas rare d'en rencontrer en pleine campagne, et presque en plein bois. On connaît surtout ceux d'Arles, de Fréjus, d'Autun et d'Orange : ce dernier est aujourd'hui encore si merveilleusement conservé qu'on peut y représenter des pièces antiques et y donner un instant le résurrection du passé, et que nos ingénieurs peuvent y étudier le soin méticuleux avec lequel leurs prédécesseurs romains appliquaient les règles d'une acoustique savante.

Presque toutes les villes de la Gaule eurent des arcs de triomphe. Celui d'Orange, qui date du règne de Tibère, est le plus pur comme style, et quelques-uns de ses bas-reliefs sont parfaits comme finesse d'exécution. Les moindres villes du sud de la Gaule, comme Cavaillon, Carpentras, Saint-Remy, ont eu également leur arcade triomphale. Saintes a la sienne, qui est du temps de Tibère. Si l’on voulait étudier avec soin nos arcs de triomphe, peut-être pourrait-on y reconnaître deux groupes bien séparés, ceux du règne de Tibère ou de Claude et ceux des temps d’Hadrien à Marc-Aurèle.

Il nous est resté, près de l’étang de Berre, dans un endroit presque désert, aux deux extrémités d’un petit pont jeté par les Romains sur la Touloubre, deux arches curieuses qui datent du règne d’Auguste. D’autres ponts dans le Midi, celui de Trèves, passent également pour l’œuvre des Romains.

Des basiliques et des portiques, il ne nous est demeuré que des souvenirs et des inscriptions, et surtout quelques-uns des beaux chapiteaux ou (les meilleurs bas-reliefs conservés dans nos musées. Les ruines des villas abondent dans presque toutes nos campagnes.

Mais ce sont les restes des aqueducs qui sont peut-être les plus intéressants débris de l’art romain en Gaule. C’est là le propre de la civilisation romaine d’avoir voulu, à tout prix, doter toutes les villes d’une eau abondante : je ne pense pas qu’aucune cité de la Gaule, grande ou petite, ait été privée de son aqueduc. L’étude la plus intéressante à faire en Gaule pour observer l’incomparable habileté des architectes romains est de suivre depuis la prise d’eau jusqu’au bassin d’amenée la ligne d’un aqueduc ; c’est ce qu’on peut faire, presque pas à pas, pour les aqueducs de Fréjus, de Lyon et de Nîmes. Ce dernier traverse le Gard sur un pont à trois étages, étonnante construction qui est peut-être la plus belle chose que les Romains aient laissée d’eux dans le monde entier.

Rien ne montre peut-être mieux que l’histoire de l’architecture civile combien fut profonde la transformation de la Gaule à la Romaine : elle ne nous apprend pas seulement comment le sol se décora d’édifices : elle nous révèle aussi comment les mœurs se changèrent et que de nouvelles habitudes furent aisément prises. Les bains étaient, sans contredit, les monuments les plus utiles à la vie quotidienne d'un Romain : il s'en éleva, dès le temps d'Auguste et de Tibère, dans toutes les villes et les villas de la Gaule, et c'est par les thermes que l'architecture civile débuta chez nous. Les jeux préférés des Romains étaient ceux de l'amphithéâtre : les plus belles ruines de la Gaule sont celles des arènes. L'aqueduc était pour une cité romaine presque une chose sainte ; chacune de nos villes eut le sien.

6. Du mode de construction. — Il est à remarquer que l’on peut aisément distinguer deux catégories dans ces monuments, si l’on examine leur mode de construction. Ceux du Ier siècle et du ne sont, dans leur œuvre extérieure, construits entièrement en pierres : ces pierres sont disposées tantôt en petit appareil, comme dans les thermes, tantôt en grand appareil, comme dans la plupart des amphithéâtres. On peut constater peut-être que le petit appareil domine dans les constructions de la première époque, depuis Auguste jusqu’à Claude : cela est visible notamment à Fréjus, à Saintes, à Trèves et dans toutes les villes qui ont eu à cette époque leur plus grand développement. Le grand appareil domine au contraire dans le siècle des Antonins. Dans ces deux systèmes de construction, les pierres sont également disposées de la façon la plus symétrique, superposées de manière à former un dessin d’une parfaite régularité : la brique est employée surtout dans les détails de la construction intérieure. — Au IIIe siècle, au contraire, elle est utilisée même pour le revêtement extérieur de l’édifice : dans les monuments de ce temps, les ligues de briques, posées à plat, viennent presque toujours alterner avec les pierres de petit appareil : le tout ajusté et cimenté par un mortier compact et dur comme la pierre. Le grand appareil n’apparaît alors que dans le soubassement des édifices les plus considérables : il est maintenant disposé en assises inégales et disgracieuses.

7. L’architecture militaire : les murailles des cités gauloises. — De toutes les constructions élevées par la Gaule romaine, les plus importantes pour l’histoire politique de notre pays sont les murailles de nos cités. Les murs des anciens oppida gaulois ressemblaient à tous les remparts des époques primitives : c’étaient d’énormes blocs inégaux et irréguliers, juxtaposés et superposés presque toujours sans mortier. Mais déjà à l’époque de César, on savait construire les remparts d’une façon moins rude et moins pélasgique : on connaissait le moyen appareil régulier, aux assises presque symétriques de pierres légèrement équarries, et l’on utilisait déjà, pour renforcer la bâtisse, la terre et le bois. Ces remparts furent détruits ou abandonnés dans les premiers temps de l’empire, et surtout sous le règne de Tibère et sous celui de Galba. Un très petit nombre de villes eurent le privilège de conserver leurs anciennes murailles, qui d’ailleurs tombèrent très vite en ruine.

Dans les colonies seulement et dans les villes favorisées comme Autun, les empereurs firent construire de nouvelles murailles. Le contour en fut habilement tracé par les ingénieurs ; ils sirent profiler des déclivités du terrain pour appuyer le rempart et assurer à la ville une situation plus forte : c’est ce qu’on peut constater à Arles, à Fréjus et ailleurs. Ces murs étaient revêtus, à l’extérieur, d’assises de pierres en moyen et petit appareil : les blocs, soigneusement équarris, disposés en ligues régulières, formaient un ensemble presque décoratif. Le tout était assujetti au blocage du massif intérieur du mur, à l’aide d’un mortier spécial, fait de sable, de brique pilée et de chaux, d’une étonnante dureté et d’une adhérence telle qu’il fait aujourd’hui corps avec la pierre. Les portes qui s’ouvraient dans ces remparts étaient élégantes dans leurs dimensions, légères et sobrement ornées : voyez à Nîmes la porte d’Auguste.

A la fin du nie siècle, lorsqu’on entoura de remparts toutes les autres villes de la Gaule, les procédés de construction furent plus rapides. A la base, d’énormes blocs irréguliers, formant façade ; à l’intérieur, comme blocage, des débris de toute sorte, et tous de forte dimension : chapiteaux, tambours et fûts de colonnes, autels, bas-reliefs, statues, tombeaux, tout cela emprunté aux édifices construits durant les deux premiers siècles et détruits par les barbares au temps de Gallien ou de Probus. C’est pour cela que, de nos jours, ces murailles de l’an 300 sont si précieuses pour nous : ce sont de véritables carrières d'inscriptions et d'antiquités ; c'est grâce à elles que nous retrouvons les vestiges du passé de nos villes. Comme revêtement extérieur, de la moitié de la hauteur jusqu'au sommets, ces remparts offrent uns construction plus régulière : les assises de pierres en petit appareil alternent avec des couches de briques soigneusement disposées à plat. Le ciment employé est aussi solide que celui du Ier siècle. Mais les ingénieurs militaires des temps de Maximien ou de Constance n'ont plus la même habilité : le tracé de ces murailles est jeté un peu au hasard, sans trop de souci de la facture ou du respect du sol ; pour plus de simplicité, les remparts sont presque toujours qudrangulaires, alignés au cordeau. Des tours, demi-rondes, les flanquent en très grand nombre : il y en a parfois tous les cents pieds. Tout cela est massif et lourd. Les portes seules sont plus soignées, encadrées d’un appareil assez régulier ; mais, trop basses ou trop larges, sans proportion, trop compliquées, ou écrasées par une trop grande masse de mur, elles ont un aspect trapu, lourd et disgracieux. Voyez la Porte Noire à Trèves, la porte de Langres, et bien d’autres.

8. La céramique. — Les Gaulois s’adonnèrent de très bonne heure aux arts industriels et ils y ont excellé. Mais, même dans ce qu’ils ont produit de plus parfait, notamment en orfèvrerie, ils n’ont rien fait qu’imiter les types et les formes des ateliers grecs ou romains.

C’est en céramique qu’ils paraissent avoir le moins réussi la quantité y a fait singulièrement tort à la qualité. Les ruines gallo-romaines abondent en vases de terre cuite, notamment en vases à vernis rouge qu’on appelle ordinairement, du nom des villes qui en ont créé la vogue, vases samiens, ou vases arrétins. Beaucoup sont d’importation étrusque ; beaucoup aussi sont visiblement de fabrication gauloise, mais ceux-là n’offrent rien qui les distingue des autres : ce sont de simples imitations.

Les figurines en terre cuite, grise ou rougeâtre, sont extrêmement communes en Gaule. Elles ont fort occupé les érudits. Presque tous ont voulu y voir des images de divinités gauloises. Mais il semble plus probable qu’elles ne sont que des copies de modèles grecs, et on ne les a crues originales que parce qu’elles étaient des copies trop informes. Les types les plus répandus sont certainement empruntés à ceux de la céramique grecque ou italo-grecque : la Vénus Anadyomène, Eros sur le dauphin, la Cérès au diadème, des bustes d’enfants, des matrones drapées ; Éros et Psyché, Vénus à la colombe, des coqs, et surtout (c’est le type le plus répandu) la Déesse Mère avec ses nourrissons sur les genoux. Mais quelle différence d’avec les modèles grecs ! M. Pottier le dit fort bien : Ce sont les mêmes motifs, mais appauvris de formes et raidis par une exécution barbare dont le caractère anguleux semblerait marquer un retour aux procédés archaïques, si la négligence du modelé et les traits émoussés des visages ne révélaient la fin d’un art vieilli. On peut appliquer cette remarque à presque toutes les œuvres de la sculpture gallo-romaine. Et M. Pottier ajoute finement : L’admirable Vénus du maître attique devient entre les mains de ces gâcheurs d’argile une idole figée dans son immobilité hiératique, au corps efflanqué, à la poitrine plate, aux gestes gauches. Les jolies promeneuses de Tanagre se reconnaîtraient difficilement dans la descendance que leur donnent les céramistes gallo-romains en façonnant d’informes poupées, plantées maladroitement comme des mannequins sur une base demi-sphérique. Aux charmants et espiègles bambins de l’art hellénistique se substituent d’horribles magots, qui tiennent plus de l’avorton et du nain difforme que de l’enfant. Le groupe poétique venus, d’Éros et de Psyché, l’image de l’amour vainqueur et de l’âme s’éveillant au plus délicat des sentiments, est travesti en un groupe de bourgeois patauds qui s’embrassent placidement.

9. La verrerie. — En revanche, les Gaulois sont, de très bonne heure, passés maîtres dans l’art de fabriquer et de travailler le verre. On a trouvé dans les régions de la Seine et de la Moselle des pièces qui sont les plus beaux spécimens peut-être que nous aient laissés les maîtres verriers d’autrefois. Ils n’ont ignoré aucun des procédés pour décorer le verre. Ils savaient le graver ou l’orner de reliefs : et ces reliefs ou cette gravure sont parfois d’une ténuité inimitable. Dans certaines pièces de dimensions importantes, ils appliquaient l’une sur l’autre deux couches de verre de teinte différente, et arrivaient à produire, avec ces verres doublés, les plus étranges effets de couleurs. Quelques vases trouvés en Gaule passent pour des chefs-d’œuvre de fine sculpture. Toutefois les motifs de décoration et le choix des figures paraissent encore empruntés aux traditions des écoles gréco-romaines : ici, ce sont des scènes mythologiques ; là, des représentations de cirque ; plus rarement, des scènes de genre ; tantôt des animaux ; tantôt de simples détails d’ornements. Mais tout cela est souvent d’une finesse incroyable. On ne sait qu’admirer davantage : l’exécution de l’artiste ou l’habileté du fabricant, la grâce un peu maniérée des dessins et des figures, ou l’éclat et la variété des scintillements de couleurs. Les verriers gaulois avaient certainement atteint la perfection des grands maîtres en cet art, les verriers d’Alexandrie d’Égypte.

10. Le travail des métaux. — Les artistes en métal rivalisèrent aussi heureusement avec ceux de la Grèce et de l’Italie. Si nos bronziers n’ont rien livré de comparable aux vases de Corinthe, les orfèvres qui travaillaient en Gaule étaient déjà fort habiles. On a trouvé près de Lyon l’écrin complet d’une dame romaine : sept colliers, deux anneaux, sept bracelets, six pendants d’oreilles, des broches, des fibules : chaque bijou a son caractère et l’or s’y allie habilement avec la perle et la pierre précieuse ; peut-être l’originalité a manqué à l’artiste, en tout cas l’exécution est parfaite, quoique visant plus au luxe qu’à la grâce. Le chef-d’œuvre de l’orfèvrerie romaine est la patère de Rennes, eu or massif, renfermant, sur un espace d’à peine 25 centimètres de diamètre, près de cinquante figures, exécutées au repoussé, puis ciselées : elle date sans doute des environs de l’an 200, mais l’art en est encore d’une grande finesse, le style d’une réelle pureté, sans excès dans le relief, sans grossièreté. dans le trait et l’expression.

Ce sont surtout les argentiers gaulois qui paraissent avoir été d’incomparables artistes. Déjà au temps de l’indépendance on citait leur habileté dans l’argenture des métaux, et l’on montrait à Rome un char argenté, dépouille du roi arverne Bituit. Depuis ils ne cessèrent de se perfectionner, affinant leur goût en même temps que leur ciseau. Il suffit, pour se rendre compte du talent qu’ils avaient acquis, d’étudier les trésors de Hildesheim et de Bernay. Ce dernier, conservé à la Bibliothèque nationale, renferme soixante-six pièces, la plupart ornées de figures en repoussé et ciselées, et j’hésite encore à croire que toutes les bonnes pièces soient d’importation étrangère. Ce sont, évidemment, des copies de modèles grecs, mais d’une extrême délicatesse dans l’exécution des figures et des ornements. C’est que les riches Gaulois avaient, plus qu’autre chose, le goût de l’argenterie. C’était à peine le signe de l’aisance que de manger dans de la vaisselle d’argent. On l’employait aux usages les plus humbles : on a trouvé récemment jusqu’à des passoires et des seaux qui sont de bonnes pièces d’argenterie.

11. Mosaïques. — Enfin un art que les Romains ont implanté en Gaule et qui y devint fort populaire est celui de la mosaïque, opus musivum. Les temples et les demeures des particuliers, des plus pauvres comme des plus riches, avaient des pavés en mosaïque. On peut dire que le sous-sol de nos villes est encore presque partout recouvert de mosaïques romaines, et l’on en trouve de fort élégantes dans des recoins perdus de nos campagnes. La mosaïque fit, en Italie, une véritable concurrence à la peinture ; on la préférait, comme plus durable, et peut-être comme plus décorative : en cela, comme dans tout le reste, la Gaule accepta les caprices romains. Elle nous a déjà donné de précieux morceaux en ce genre ; il faut s’attendre chaque jour à des découvertes pl us belles encore.

Les plus simples des mosaïques ne présentent que des fantaisies de dessins géométriques, ou des rinceaux, des palmes, des feuillages ; mais les couleurs sont combinées de manière a produire toujours un effet surprenant, un peu trop éclatant parfois et de tons un peu crus et heurtés. Les plus belles figurent des scènes mythologiques, ou, ce que les Gaulois affectionnaient, des scènes de citasses ou des combats de cirque ou d’amphithéâtre. Dans la célèbre mosaïque de Lillebonne, ce sont des chasses ; celles de Nîmes et d’Aix représentent les légendes de la Fable ; à Reims, à Nennig près de Trèves, ce sont des gladiateurs ; à Lyon, des jeux de cirque ; à Grand dans les Vosges, une scène de théâtre. On peut voir à Trèves les fragments d’une vaste mosaïque qui renfermait les portraits des principaux écrivains latins. Le mosaïste se conformait évidemment au goût du propriétaire ou à la destination de la salle.

12. Le goût des Gaulois pour les choses de l’art. — On voit, d’après tout cela, quelle place les Gallo-romains faisaient, même dans leur vie quotidienne, aux choses de l’art. Que l’on compare la maison moderne à la maison du IIIe siècle : que de détails négligés de nos jours ou donnant lieu à la plus banale décoration étaient alors le motif d’ornements artistiques ! Nos tapisseries fragiles et médiocres ont remplacé les peintures à fresque des murailles ; les tapis ou d’insignifiants carrelages ont succédé aux mosaïques chatoyantes ; il y a bien peu de riches qui se glorifient de vaisselle en métal ciselé. Il y avait autrefois dans chaque maison une incroyable quantité de statues : le riche avait ses marbres et ses bronzes, le pauvre ses terres cuites. Si misérables que fussent quelques-unes de ces productions, elles répondaient toutes à ce besoin de choses artistiques que nos ancêtres eurent au plus haut point : l’art fut pour les Gaulois une des formes de ce bien-être que la domination romaine leur apprit à désirer.